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Bonjour. La séance est ouverte.
Bienvenue à la 57e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes. La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres participent en personne, dans la salle, ou à distance avec l'application Zoom.
J'ai quelques commentaires à faire, dans l'intérêt des témoins et des membres.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur le microphone. Personne ne participe par vidéoconférence pour le moment, alors il ne devrait pas y avoir de problème.
Pour l'interprétation, si vous participez par Zoom, vous avez le choix sur votre écran entre le parquet, l'anglais ou le français, et pour les témoins qui sont avec nous aujourd'hui, vous avez le choix entre l'anglais, le français ou le parquet.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, je tiens à aviser le Comité que tous les témoins qui participent virtuellement ont passé les tests requis avant la réunion.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 1er février 2022, le Comité reprend son étude sur la traite des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
Avant de souhaiter la bienvenue à nos témoins, j'aimerais donner un avertissement: ce sera une étude très difficile. Nous allons discuter d'expériences de maltraitance, et cela pourrait déclencher des traumatismes chez les gens qui nous regardent, les membres du Comité ou les membres du personnel qui auraient vécu des choses similaires. Si vous ressentez de la détresse ou si vous avez besoin d'aide, je vous demande d'en informer la greffière.
Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins.
Nous accueillons en personne, à titre personnel, Mme Megan Walker, défenseure des femmes et ex‑directrice exécutive du London Abused Women's Centre, un foyer pour femmes battues de London.
Nous accueillons Mme Diane Matte, cofondatrice de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle.
Nous accueillons Mme Krystal Snider, consultante principale du projet Women's Centre for Social Justice, donc le Centre des femmes pour la justice sociale.
Je vais vous donner chacune cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire. Quand vous me verrez gesticuler bizarrement comme ceci, cela veut dire qu'il vous reste 15 secondes. Si vous me voyez m'affoler, cela veut dire que vous devriez avoir terminé.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Walker. Vous avez cinq minutes.
J'ai commencé à travailler auprès de femmes et de filles dans l'industrie commerciale du sexe en 1990, et j'ai transmis ce que je sais de ce travail ainsi que les pratiques exemplaires à des organismes canadiens et internationaux. J'utilise l'expression « les femmes et les filles de l'industrie du sexe » pour décrire les femmes et les filles prostituées et victimes de la traite. Selon ces travailleuses du sexe, il est difficile de distinguer la prostitution et la traite de personnes. Une femme ou une fille qui est d'abord indépendante peut rapidement tomber sous l'emprise d'un trafiquant.
Les clients qui achètent des services sexuels se soucient rarement de savoir si une femme ou une fille est victime de la traite ou même si elle est mineure. À dire vrai, beaucoup d'entre eux seront prêts à payer davantage pour les services sexuels d'une fille mineure.
Au cours des 25 dernières années, j'ai remarqué une augmentation graduelle du nombre de femmes et en particulier de filles qui se sont laissées entraîner dans l'industrie du sexe par des trafiquants ou le crime organisé. La plupart tombent dans le piège après s'être laissé aborder à l'université, au collège ou dans un bar ou même au travail. Leurs parents disent souvent qu'ils vont sur les sites à caractère sexuel sur Internet pour voir si les services sexuels de leurs filles y sont offerts. Même si cela est extrêmement douloureux pour eux, c'est leur seule façon de savoir si leurs filles sont mortes ou si elles sont toujours en vie.
Je ne vais pas donner trop de détails sur le contenu des annonces de services, mais je sais que les travailleuses du sexe subissent de la violence aux mains des clients et des trafiquants: elles sont battues violemment, torturées, soumises à des simulations de strangulation et forcées de se livrer à des actes de fétichisme. Selon le Service de police de London, la ville de London en Ontario est une plaque tournante de la traite de personnes, vu sa proximité avec l'autoroute 401, qui permet de déplacer facilement les femmes et les filles entre Détroit et Toronto et offre un accès facile aux hôtels et aux motels tout près des bretelles de sortie vers la ville.
Entre 2014 et le début de 2021, sous ma direction, le London Abused Women's Centre a fourni des services directement à au moins 2 888 femmes et filles qui ont déclaré être des travailleuses du sexe. Je trouve cela choquant. Soixante-huit filles ont dit être mineures, et parmi elles, 15 ont rapporté avoir moins de 15 ans. Sur ces 2 888 femmes que nous avons aidées, seulement 6 ont dit être entrées dans l'industrie du sexe par choix.
C'est difficile de quitter l'industrie du sexe. Les femmes et les filles sont terrorisées à cause des menaces qu'elles reçoivent de leurs trafiquants, qui menacent par exemple de les tuer ou de tuer des membres de leur famille. Elles ont difficilement accès à des centres de désintoxication ou de réadaptation, et il peut leur être impossible de trouver un emploi si elles ont un casier judiciaire. Même lorsqu'elles arrivent à se trouver un travail, trop peu d'emplois offrent un revenu de subsistance garanti. Les logements abordables sont pour ainsi dire inexistants, et l'aide sociale est inadéquate. Les femmes et les filles sont forcées de rester dans l'industrie du sexe, parce qu'elles n'ont pas les ressources de soutien nécessaires pour changer de vie.
Il est crucial d'utiliser une approche à trois volets pour empêcher la traite de personnes. Ces trois volets sont: le financement robuste des organismes qui travaillent auprès des femmes prostituées et victimes de la traite de personnes; la sensibilisation et l'éducation du public; et la loi et l'application de la loi.
Les femmes et les filles qui travaillent dans l'industrie du sexe ont besoin d'avoir immédiatement accès d'un bout à l'autre du pays à des services bien dotés en ressources et fondés entièrement sur des données probantes, y compris des refuges. Un financement de base est essentiel. Lorsque ce sont des subventions et du financement à durée limitée qui sont offerts, cela empêche de réaliser le travail à long terme qui est nécessaire pour aider les victimes de la traite de personnes.
Nous avons besoin de campagnes de sensibilisation et d'éducation du public pour donner aux parents et aux enfants de tout le Canada de l'information cohérente à propos de la traite de personnes, pour qu'ils sachent entre autres quels sont les signes, comment reconnaître la coercition, comment naviguer en sécurité sur Internet et quelles sont les tactiques de leurre. La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation donne à la police des outils importants pour aider les femmes et les filles.
Tout comme il existe en économie une loi de l'offre et de la demande, c'est la demande en services de prostitution qui alimente l'offre de femmes. Cette offre provient des trafiquants. Lorsque la demande baisse, il en va de même pour l'offre. Toutefois, pour réduire la demande, il faut que la police porte des accusations contre les clients qui achètent des services sexuels et que la Couronne les poursuive en justice. Le défaut de la police dans tout notre pays d'appliquer la LPCPVE, et le défaut de la Couronne de donner suite à l'application de la loi, ont contribué à la croissance de l'industrie commerciale du sexe.
Enfin, j'aimerais parler de l'importance d'effacer les casiers judiciaires. Comme je l'ai dit plus tôt, nous savons que les femmes et les filles qui ont un casier judiciaire ont de la difficulté à trouver un emploi. Le fait d'effacer ces condamnations historiquement injustes peut aider ces femmes et ces filles à changer de vie.
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Merci, madame la présidente.
Chers membres du Comité, je veux tout d'abord reconnaître que nous sommes sur un territoire non cédé de la nation anishinabe algonquine. Je veux surtout reconnaître le fait que les femmes et les filles autochtones et inuites ont été et sont les premières victimes de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle au Canada.
La Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle est un organisme féministe intervenant auprès des femmes victimes d'exploitation sexuelle et offrant des solutions de rechange pour les femmes souhaitant sortir du milieu de la prostitution.
Nous existons depuis 2005. Nous recevons et accompagnons annuellement plus de 200 femmes et leurs proches. La majorité des femmes fréquentant notre organisme ont entre 24 et 35 ans. Parmi ces femmes, 25 % sont issues des minorités ethnoculturelles, et une très grande majorité vit une très grande pauvreté. En effet, la pauvreté est à la fois un facteur d'entrée dans la prostitution et un obstacle à la sortie de ce milieu. Ainsi, la lutte contre la pauvreté des femmes devrait être un des axes importants de la lutte contre la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Si le Canada se dotait d'un revenu minimum garanti et viable, moins de femmes et de filles seraient amenées dans l'industrie du sexe et seraient donc moins victimes de traite humaine.
Nous nous concentrerons aujourd'hui sur la question de la prévention de la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle et du soutien à apporter aux femmes et aux filles victimes de cette forme de violence envers les femmes. Nous apprécions le fait que ce comité a décidé de se pencher spécifiquement sur la question de la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. C'est un choix judicieux sur lequel nous reviendrons.
Malgré le fait que le Canada se soit doté d'une loi sur la traite humaine, en 2005, ainsi que d'une loi criminalisant l'achat d'actes sexuels, en 2014, le Canada continue de traiter ces deux crimes comme s'ils étaient distincts. Il s'agit là d'une erreur, et cela explique sûrement pourquoi nos efforts afin de contrer cette forme de violence envers les femmes et les filles stagnent.
Nous vous recommandons trois changements majeurs à l'approche gouvernementale afin de contrer cette forme de traite de personnes.
Premièrement, comme il est stipulé dans le protocole de la Convention de Palerme elle-même et a été réitéré en décembre dernier par l'Assemblée générale de l'ONU, les gouvernements doivent redoubler d'efforts pour prévenir et combattre, en vue de l'éliminer, la demande qui est à l'origine de la traite des femmes et des filles vouées à toutes les formes d'exploitation. À cette fin, nous recommandons de mettre en place ou de multiplier les mesures préventives, législatives et punitives, notamment pour dissuader ceux qui exploitent les victimes de la traite et veiller à ce qu'ils répondent de leurs actes.
S'attaquer à la demande est l'outil principal pour contrer la traite de personnes. Tous les pays ayant adopté un modèle sociolégal criminalisant l'achat d'actes sexuels ont vu la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle diminuer de façon draconienne sur leur territoire.
Le Canada dispose d'une telle loi, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, ou LPCPVE, qui criminalise l'achat d'actes sexuels au Canada. Cependant, elle n'est pas appliquée comme elle se doit. Il y a beaucoup d'incohérence et très peu de prévention. Par exemple, il faudrait que des messages s'adressent à ceux qui achètent des actes sexuels et qui sont la source du problème.
Deuxièmement, nous savons qu'une majorité de femmes dans l'industrie du sexe souhaitent en sortir. Selon des recherches, c'est le cas de 80 à 95 % des femmes interviewées. Or elles n'ont pas accès au soutien et à l'accompagnement nécessaires, dont l'accès à un revenu, l'accès à un logement, l'accès à un statut, si nécessaire, l'accès à l'éducation ou à un travail ainsi que du soutien psychosocial. Le modèle « égalité », qu'on appelle aussi le modèle nordique, adopté par des pays tels que la Suède, l'Islande, la Norvège, la France et l'Irlande, offre ensemble des outils juridiques et des outils sociaux afin de changer les comportements de ceux qui consomment des actes sexuels tarifés et d'offrir plus de sécurité et de protection pour les femmes et les filles qui en sont victimes.
Il est recommandé, comme c'est le cas en France, par exemple, que le gouvernement du Canada travaille à définir ou à mettre sur pied un programme de soutien à la sortie de la prostitution, geste cohérent avec les deux lois que nous avons.
Troisièmement, l’exploitation sexuelle commerciale est la forme de violence envers les femmes et les filles la plus taboue. La traite à des fins d’exploitation sexuelle est liée à l’égalité pour toutes les femmes.
Je tiens tout d'abord à souligner que nous nous réunissons sur un territoire algonquin et anishinaabe non cédé. Il est particulièrement important pour moi de reconnaître non seulement la terre que j'occupe en tant que colon lorsqu'il s'agit de lutter contre la traite des personnes, mais aussi d'être solidaire avec ses premiers habitants, surtout en raison de la surreprésentation des femmes et des filles autochtones et des personnes bispirituelles parmi les victimes de la traite des personnes.
Je m'appelle Krystal Snider, et je tiens à remercier mes collègues, Nicole Taylor et Nneka MacGregor, qui ont corédigé notre exposé, ainsi que les nombreuses survivantes qui ont apporté une contribution essentielle. Je suis la consultante principale du programme de lutte contre la traite des personnes, « Embedding, Resilience & Grounding Resistance » — soit Intégrer la résilience, ancrer la résistance —, un projet dirigé par le Women's Centre for Social Justice, mieux connu sous le nom de WomenatthecentrE.
Je vous remercie de me donner la possibilité de participer à votre importante étude. En tant que survivante de la traite intérieure à des fins sexuelles et du système de protection de l'enfance et fille d'une mère qui a fréquenté les centres d'éducation surveillés de l'Ontario, le fait d'avoir la possibilité de parler de prévention et de responsabilité est significatif et a un impact.
Le projet de lutte contre la traite des personnes de WomenatthecentrE, qui est financé par le ministère des Femmes et de l'Égalité des genres du Canada, est un projet dirigé et élaboré par et pour des survivantes et survivants de diverses formes de traite et d'exploitation. Dans le cadre de ce projet, nous menons des recherches participatives communautaires avec d'autres survivantes et survivants de la traite, nous créons un réseau national de survivantes de la traite des personnes et nous élaborons une stratégie nationale pour les survivantes. Nous proposons également une formation pour les travailleuses pairs, les médias, le personnel des hôtels, les services de santé, les forces de l'ordre et les agences de service de première ligne.
WomenatthecentrE souhaite reconnaître l'incroyable travail qui a été et est encore réalisé dans l'ensemble de ce que nous appelons aujourd'hui le Canada, et nous sommes très reconnaissantes envers les nombreuses merveilleuses personnes qui travaillent sans relâche pour perturber et éradiquer la traite des personnes à l'échelle nationale.
Depuis le début du projet, nous avons intensifié nos activités de consultation auprès des survivantes et survivants, afin de documenter ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et ce qui va mener à des changements durables et à long terme. Il y a des lacunes particulières liées à l'arrestation et à la condamnation continues des survivantes et survivants de la traite des personnes, en tant que trafiquants; au fait de tenir des survivantes responsables d'autres crimes commis sous le contrôle d'un trafiquant; et à la surreprésentation continuelle des femmes et des filles noires, autochtones et racisées, des personnes bispirituelles, des personnes de diverses identités de genre et des personnes transgenres qui sont non seulement victimes de la traite de manière disproportionnée, mais qui sont aussi accusées et condamnées de manière disproportionnée pour des délits liés à la traite de personnes.
Nous recommandons entre autres que le principe de non-sanction des Nations unies soit adopté et intégré dans l'information destinée aux membres des forces de l'ordre dans tout le pays, pour assurer une même compréhension et un même respect des droits des survivantes et survivants. Selon le principe de non-sanction, un survivant de la traite ne peut être tenu légalement responsable d'un crime commis alors qu'il était sous le contrôle d'un trafiquant. En outre, nous recommandons aux agences de services d'adopter le même cadre et de fournir un soutien aux survivantes et survivants qui ont recruté d'autres personnes sous la direction d'un trafiquant.
En outre, étant donné que les lois relatives au travail du sexe seront à nouveau contestées devant la Cour suprême dans un avenir proche, nous souhaitons éviter qu'on ne fasse aucune distinction entre le travail du sexe et la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Nous reconnaissons le fossé qui sépare les travailleuses du sexe et les défenseurs des droits des travailleuses du sexe, d'une part, et les victimes de la traite des personnes touchées par celle‑ci par ce secteur, d'autre part, mais nous voulons mettre en lumière les préjudices importants subis par les travailleuses du sexe suite à l'adoption du modèle nordique, notamment les préjudices et les déportations massives des travailleuses et travailleurs du sexe migrants qui ne s'identifient pas comme des survivants de la traite des personnes. Nous encourageons le gouvernemental fédéral à créer des possibilités de discussion entre les différents groupes, à défendre les droits des travailleuses et travailleurs du sexe en consultant des organisations telles Butterfly et à adopter une optique d'analyse comparative entre les sexes plus, une optique d'ACS Plus, qui tient compte des impacts sur les travailleuses du sexe lors de la création de nouvelles lois ou de modifications aux lois existantes.
WomenatthecentrE estime que l'utilisation constante d'un discours centré sur la victimisation et sur « l'image du sauveur » par les personnes et les organisations participant aux efforts de lutte contre la traite, y compris les forces de l'ordre et les fournisseurs de services, est dégradante et ne fait qu'illustrer à quel point les systèmes et les structures nous croient faibles et brisés. Ces systèmes et ces structures, qui sont censés apporter soutien et aide aux survivantes et survivants de l'exploitation, sont souvent le théâtre de nouveaux traumatismes et de nouvelles victimisations, car leur approche unique ne tient pas compte des besoins culturels et divers des survivantes et survivants, en particulier, comme nous l'avons déjà mentionné, les personnes qui font partie de ce que la coprésidente de notre conseil d'administration, Mme Tope Adefarakan, appelle « vivre en marge des marges », c'est-à-dire les personnes noires, les personnes autochtones, les femmes, les filles, les personnes bispirituelles, les personnes de diverses identités de genre, les personnes transgenres, les jeunes, les personnes vivant avec un handicap, les personnes au statut précaire, etc.
Je vais conclure ici, mais j'espère que j'aurai la chance de vous présenter le reste. Merci de m'avoir invitée. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
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Je vous remercie de la question.
La France a établi, en 2016, une loi similaire à celle que nous avons adoptée en 2014 pour criminaliser l'achat d'actes sexuels. En 2016, son gouvernement a également adhéré au principe d'accorder un programme de soutien direct aux femmes qui souhaitent sortir de la prostitution. À ce sujet, je vous invite à regarder le modèle de la France, qui est très intéressant. En effet, il permet aux femmes, pendant deux ou trois ans, d'avoir accès à un logement et à du soutien pour réaliser leur plan de sortie de la prostitution. C'est la même chose pour la traite des personnes: il est beaucoup plus facile d'y entrer ou d'y être emmené que d'en sortir. Cela demande à la fois du temps, des ressources et, surtout, de quoi vivre; souvent, ces femmes sortent de la prostitution encore plus pauvres qu'elles ne l'étaient lorsqu'elles y sont entrées.
J'aimerais prendre quelques instants pour parler de l'application de l'analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, aux travailleuses du sexe.
Selon moi, ce serait une erreur que d'adopter uniquement ce point de vue. L'ACS Plus est basée sur les systèmes d'oppression et la discrimination qui existent au Canada. Si on veut vraiment examiner les lois en fonction de l'ACS Plus, on doit s'appuyer sur le principe que la traite et particulièrement l'exploitation sexuelle découlent des inégalités sociales et économiques qui existent et qui frappent tout particulièrement des femmes.
Il faut donc prendre en considération l'ensemble des femmes. On ne peut pas se limiter à celles qui, pour une raison ou une autre, ont choisi l'industrie du sexe ou ont souhaité s'y retrouver.
Plusieurs organismes au Canada rencontrent suffisamment de femmes qui se sont retrouvées dans le milieu de la prostitution à cause d'un manque de choix dans leur vie, et ce sont des individus ou des réseaux qui les ont amenées à être victimes de traite et à être prises pendant des années, des mois ou des semaines dans cette situation de domination. En effet, si on veut vraiment qualifier ce qu'est la traite des personnes, particulièrement à des fins d'exploitation sexuelle, il faut reconnaître que c'est un acte de domination. Si on ne pense pas à l'égalité entre les femmes et les hommes dans ce contexte, on passe totalement à côté de la question.
J'en profite pour inclure ma troisième recommandation. La prévention et la criminalisation de la traite des personnes ne peuvent pas être laissées à la sécurité publique seulement. C'est un choix de société que nous devons faire. Nous devons aussi nous pencher sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous devrions donc avoir un plan d'action national sur l'exploitation sexuelle au Canada. Ce serait un outil supplémentaire pour prévenir, agir et soutenir les femmes qui sortent de ces milieux.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie Mmes Snider, Matte et Walker d'être parmi nous aujourd'hui pour discuter de la traite des personnes, qui amène les femmes à être victimes d'exploitation sexuelle. Il est prouvé que les femmes représentent 96 % des victimes de la traite des personnes. C'est énorme. Il faut le souligner. Chaque fois que je me rappelle ce chiffre, je le trouve disproportionné et je me rends compte que c'est une question féministe.
Je vais vous poser ma première question, madame Matte. Dans vos recommandations, vous avez beaucoup parlé de la question des lois et de l'aspect criminel de la chose, mais j'aimerais vous entendre sur l'importance de mettre en œuvre le Plan d'action du Canada pour la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité 2017‑2022. Il y avait même eu une première mouture en 2012. Il y a donc déjà un plan d'action sur la table concernant la traite des personnes, et nous voyons que les chiffres continuent d'augmenter.
Pouvez-vous nous dire ce que la mise en œuvre de ce plan d'action pourrait changer dans le dossier de la traite des femmes?
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À ma connaissance, rien, dans ce plan d'action, ne s'attaque à la demande.
Encore une fois, si on veut lutter sérieusement contre la traite, il faut s'attaquer aux causes premières. S'attaquer à la demande devrait donc faire partie des éléments d'un plan d'action national. À ma connaissance — je ne peux pas le jurer —, cet élément n'est pas inclus dans le plan actuel. Comme ce dernier est sous l'égide de Sécurité publique Canada, il s'attarde beaucoup plus aux questions criminelles, juridiques ou policières, entre autres.
Nous jugeons que le ministère des Femmes et de l'Égalité des genres devrait s'occuper davantage de la question de la traite. Je sais qu'il finance des projets et a sûrement des programmes très intéressants. Cependant, en ce qui concerne et la recherche et la compréhension du phénomène, on ne peut pas dissocier la question de l'égalité entre les femmes et les hommes et, en général, l'égalité sociale du phénomène de la traite à des fins d'exploitation sexuelle ou de l'exploitation sexuelle dans son sens premier. S'attaquer à la demande est donc nécessairement de première importance.
Comme société, il nous faut vraiment faire un effort. Je suis d'accord avec vous, 96 % des victimes de la traite des personnes sont des femmes. Cela devrait tirer une sonnette d'alarme et nous inquiéter au plus haut point. On devrait chercher à savoir pourquoi. La réponse se trouve dans l'existence du commerce du sexe. C'est pour cela qu'une loi qui, depuis 2014, interdit la marchandisation de la sexualité des femmes et des filles, ou de toutes les personnes. Toutefois, on sait qu'il s'agit majoritairement de femmes et de filles.
Je voudrais souligner quelque chose. Souvent, on pense qu'il y a deux extrêmes: celles qui sont pour le travail du sexe et celles qui sont pour l'abolition de la prostitution. Selon les organismes comme l'Organisation des Nations unies, ou l'ONU, et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ou l'OSCE, pour contrer la traite à des fins d'exploitation sexuelle ou la traite des personnes, il faut s'attaquer à la demande. Il ne s'agit pas de personnes ou de groupes radicaux. Selon de nombreux organismes internationaux, s'attaquer à la demande est au cœur de la capacité d'obtenir des résultats sur le plan de la lutte contre la traite.
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Effectivement, c'est un aspect intéressant.
Vous avez parlé de la sécurité publique, mais vous avez aussi parlé du ministère des Femmes et de l'Égalité des genres sur le plan de la prévention. On le voit, ce travail doit se faire en amont et en aval, mais il y a aussi un entre-deux. On ne peut ignorer aucun de ces trois aspects.
Il doit y avoir une concertation entre différents ministères. Il faut travailler en prévention et en éducation, et soutenir les femmes dès le départ. Il faut aussi améliorer la détection des victimes et s'assurer d'avoir plus d'outils, notamment aux frontières, même si je sais que ces crimes se produisent en majorité au Canada même. Comment peut-on se doter d'outils de détection des victimes pour pouvoir ensuite les soutenir?
On espère travailler à la prévention pour réduire le nombre de femmes qui se retrouvent dans cette situation. Il y a une forme de concertation entre différents ministères, à Ottawa, mais il doit aussi y en avoir une entre les différents paliers de gouvernement. Pour soutenir les femmes, notamment au Québec, il faut se pencher sur la question des services sociaux. Il faut aussi, dans nos lois fédérales, tenir compte de la capacité des différents paliers de gouvernement en matière de soutien des victimes. Il y aurait même des choses à faire en matière de logement, par exemple la mise en place de projets dans la sphère municipale. Comment les divers paliers de gouvernement peuvent-ils travailler en concertation?
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À mon avis, ce problème porte à la fois sur les causes profondes de l'existence du problème et sur qui peut faire quoi.
À cet égard, je pense qu'on doit s'inspirer du Québec. Quand je parle du programme de soutien à la sortie de la prostitution, je pense au comité qui s'est penché sur l'exploitation sexuelle des mineurs, il y a quelques années. Selon ce comité, il faut viser à offrir des programmes de soutien précis, offerts directement aux gens, et pas seulement des programmes de financement destinés à des organismes comme le nôtre, même si c'est aussi très important. Il faut donc mettre sur pied des programmes spécifiques qui sont offerts directement aux femmes. Tous les paliers de gouvernement doivent se concerter à cet égard.
Ce qui est incohérent, c'est de parler de l'importance de la détection des victimes. Je ne sais pas si c'est le cas dans vos milieux, mais je sais qu'à Montréal, il y a une foule de salons de massage et beaucoup de jeunes femmes qui sont aux prises avec l'exploitation sexuelle, et on ne fait rien.
Très rapidement, j'ai une question pour toutes les témoins, et je leur demanderai de répondre par oui ou non.
J'ai déposé le projet de loi pour établir un revenu de base garanti suffisant. Peu importe que vous défendiez ou pas les droits des travailleuses du sexe, je pense que nous pouvons toutes convenir qu'un revenu de base garanti suffisant, ainsi que l'accès à un logement abordable, avec un loyer proportionné au revenu, seraient utiles, quelle que soit votre position sur la question.
Oui ou non, est‑ce que le revenu de base garanti suffisant serait fondamental dans la lutte contre ce problème?
Je pose la question parce que je me dis souvent que, à la Chambre des communes, peu importe votre position sur le travail du sexe et dépendamment du parti auquel vous appartenez, soit vous soutenez des efforts de prévention et de protection très concrets, soit vous ne le faites pas. Je vais continuer de militer pour cela, en particulier pour mettre fin à toutes les formes de violence fondée sur le genre.
Ma prochaine question s'adresse à Mme Snider.
Vous avez présenté un mémoire, et j'aimerais discuter tout particulièrement de la loi dont tout le monde parle aujourd'hui. Cela vient de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, une alliance de 25 groupes de défense des droits des travailleuses du sexe de partout au pays, dirigés majoritairement par des travailleuses du sexe et travaillant pour elles. Je crois aux décisions fondées sur le principe « rien sur nous sans nous ».
Avec beaucoup d'autres requérants individuels, l'Alliance a déposé en 2021 une contestation constitutionnelle contre la LPCPVE au motif que la loi enfreint les droits constitutionnels des travailleuses du sexe « à la sécurité, à l'autonomie personnelle, à la vie, à la liberté, à la liberté d'expression, à la liberté d'association et à l'égalité ».
Dans votre mémoire, vous avez dit ceci:
En outre, étant donné que les lois relatives au travail du sexe seront à nouveau contestées devant la Cour suprême dans un avenir proche, nous souhaitons éviter qu'on ne fasse aucune distinction entre le travail du sexe et la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Nous reconnaissons le fossé qui sépare les travailleurs du sexe et les défenseurs des droits des travailleurs du sexe, d'une part, et les victimes de la traite et les personnes touchées par celle‑ci par ce secteur, d'autre part.
Je me demandais si vous pouviez poursuivre un peu plus à ce sujet.
En 2014, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle a fait un portrait de l'industrie du sexe à Montréal et les alentours. Nous avions repéré 270 salons de massage seulement à Montréal et dans ses banlieues. Nous parlons donc de milliers de femmes qui sont dans ces situations et ces fameux salons de massage. La police ne peut rien faire parce qu'elle agit seulement s'il y a une plainte.
En quelques secondes, je dirais que l'industrie du sexe a réussi à s'installer dans nos esprits et dans nos communautés et à être considérée comme une industrie au même titre que les autres.
D'ailleurs, pour avoir un permis afin d'ouvrir un salon de massage, j'ai simplement besoin de demander un permis pour soins personnels. C'est la même chose que pour les coiffeuses. N'importe qui offrant des soins personnels, de la massothérapie, etc. peut obtenir un permis. Comme Mme Larouche le mentionnait, il manque de concertation entre les différents ordres de gouvernement. Les règles municipales pour obtenir des permis ne régissent pas ce qui se passe à l'intérieur de ces établissements. La police n'intervient pas non plus, à moins qu'il y ait une plainte. Les salons de massage sont...
[Traduction]
Le temps était écoulé pour cette intervention.
Je vais vous expliquer ce qui se passe. Les interprètes ont demandé un redémarrage. Cela nous prendrait cinq minutes. Il nous reste trois minutes avec ce groupe de témoins. Il nous reste quatre minutes pour les questions.
Vous aurez deux minutes, et Mme Gazan aura deux minutes. Cependant, nous allons faire le redémarrage pour la prochaine partie de la réunion, parce que nous allons passer à huis clos.
Je vais demander à tout le monde d'agir de façon responsable. Je sais que les interprètes doivent pouvoir faire leur travail, alors je demande à tout le monde de bien vouloir s'occuper des micros autour de nous, afin que nous puissions faire les travaux du Comité en plus du redémarrage. Ainsi, nous pourrons travailler et faire les deux à la fois, alors pouvons-nous tous et toutes surveiller les micros?
Monsieur Serré, vous serez responsable de ces cinq‑là. C'est votre responsabilité.
Nous allons tous travailler ensemble. Si vous voyez une lumière rouge et que personne ne parle, appuyez sur le bouton.
Je vais céder la parole à Mme Larouche. Vous avez deux minutes. Allez‑y.
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Merci, madame la présidente.
Encore une fois, je remercie les trois témoins, soit Mmes Snider, Matte et Walker, de leur présence.
J'aimerais aborder un aspect que Mmes Walker et Snider ont toutes deux abordé.
Pendant la pandémie, on a vu que la traite des personnes a changé de visage. En effet, elle s'est beaucoup déplacée dans le Web, c'est-à-dire en ligne.
Mme Snider a un peu parlé de l'importance d'agir en matière de cybercriminalité et de cyberviolence, mais j'aimerais savoir ce qu'en pense Mme Walker.
Le gouvernement doit-il adopter une loi, dans le but de contrôler davantage ce qui se passe sur l'espace Web en lien avec la traite des personnes?
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Absolument. Les trafiquants vont tenter de recruter des victimes partout où ils le peuvent, que ce soit sur Internet, dans la rue, dans les bars ou au restaurant ou peu importe.
Bien sûr, Internet est une plateforme où il y a énormément de leurres, mais, le plus important, c'est une plateforme où il y a beaucoup d'exploitation. Beaucoup de filles, en particulier des filles mineures, se font conditionner sur les médias sociaux afin qu'elles croient que la personne à qui elles parlent est leur ami et qu'il aimerait entamer une relation avec elles. Souvent, ce qui arrive, c'est que la fille est forcée de se toucher, d'enlever ses vêtements ou d'autres choses du genre. Voilà le lien avec Pornhub ou la pornographie, parce que tout ce qu'elle fait va ensuite être transféré et téléchargé vers Pornhub et d'autres sites de pornographie.
Comment pouvons-nous empêcher cela? La traite de personnes est un problème très complexe. Le cœur du problème concerne principalement les femmes, et les femmes n'ont pas les mêmes droits, dans notre pays. Les femmes ont besoin de droits, et nous devons nommer le problème que se pose pour les femmes. Dans le cas présent, c'est la traite de personnes. Dans d'autres cas, c'est la violence des hommes contre les femmes dans les relations conjugales...
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Je serai directe. Tout ce que je veux, c'est qu'on garde les gens en vie et qu'on réduise les méfaits.
J'aimerais parler de l'appel à la justice 9.11 du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Dans le résumé, on demande « à tous les services de police d'élaborer et de mettre en œuvre des lignes directrices » sur le maintien de l'ordre dans l'industrie du sexe, en consultation avec les travailleuses du sexe. À l'appel à la justice 4.3, on demande au gouvernement « d'appuyer les programmes et les services de soutien destinés aux femmes, aux filles et aux personnes 2SLGBTQQIA de l'industrie du sexe afin de promouvoir leur sécurité », puis cela continue.
J'en parle parce que je constate qu'il y a beaucoup de lois et même certaines interventions qui sont mises en œuvre sans que les travailleuses ou les gens de l'industrie aient été consultés, et en conséquence, les femmes, les filles et les personnes ayant diverses identités de genre ne sont pas en sécurité. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet, s'il vous plaît, madame Snider?
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Nous allons reprendre les travaux, parce que je sais que nous n'avons vraiment pas beaucoup de temps. Pourrais‑je demander le silence? Reprenons.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, en ligne et dans la salle. Dans la salle, nous accueillons Mme Kate Sinclaire, membre de Sex Workers of Winnipeg Action Coalition; et en ligne, nous avons Mme Jenn Clamen, coordinatrice nationale de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
Je tiens à ce que tout le monde sache que nous avons encore quelques problèmes informatiques. Je vais donc devoir demander l'aide de tout le monde. Si votre ordinateur s'allume et que vous n'avez pas la parole, assurez-vous de l'éteindre, s'il est près de vous. Dans le cas contraire, nous allons devoir redémarrer tout le système. Je veux simplement prendre le moins de temps possible.
Je vais céder la parole à Mme Jenn Clamen, en ligne, pour sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
Encore une fois, je vous demande à tous de surveiller vos micros.
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Les groupes membres de l'Alliance, à l'échelle du pays, représentent l'expérience des milliers de travailleuses du sexe qui vendent ou qui échangent des services sexuels. Nos membres ont une grande expertise personnelle en ce qui a trait à l'atténuation de la violence interpersonnelle et étatique et à l'exploitation des travailleuses. Ils connaissent aussi les effets des initiatives de lutte contre la traite des personnes.
« La traite des personnes » est une expression chargée qui est utilisée, ici, au Comité et ailleurs, pour décrire toutes sortes de choses, de la violence entre partenaires intimes à l'exploitation des travailleuses, en passant par le commerce du sexe.
L'autre jour, une députée de votre comité parlait d'extorsion sexuelle comme s'il s'agissait de la traite de personnes. La semaine dernière et ce matin, vous avez entendu des groupes anti-trans et anti-travail du sexe, qui définissent la prostitution comme étant la traite de personnes. On fait de plus en plus l'amalgame entre les différents types de violence et des choses qui n'en sont pas, et tout cela est présenté comme étant la traite des personnes. La première tâche de votre comité doit être d'éclaircir le paradigme de la traite de personnes et de l'examiner avec un regard beaucoup plus critique.
C'est en partie à cause de ces amalgames que vous n'arrivez pas à trouver les statistiques dont vous avez désespérément besoin. Lorsque la violence contre les travailleuses du sexe est définie comme étant de la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle, cela crée un contexte où les statistiques sont grossièrement surévaluées et cela oblige la police à surveiller la vie des personnes des communautés déjà criminalisées. Ces amalgames nous empêchent de bien intervenir à l'égard des véritables problèmes structuraux que sont la violence ciblée, la pauvreté, l'itinérance et le manque de logement et d'éducation. C'est malhonnête de prétendre que ces préoccupations et cette absence de possibilités, c'est de la traite de personnes. Les mesures contre la traite de personnes exposent les communautés marginalisées à un risque de violence.
Toutes les mesures de protection qui dépendent pour être efficaces des interventions policières et de la surveillance dans nos communautés les plus marginalisées, comme les mesures contre la traite des personnes, ne sont ni protectrices, ni féministes, et les femmes autochtones qui vivent et travaillent dans l'espace public en sont les premières victimes.
Toutes les femmes autochtones qui vendent ou qui échangent des faveurs sexuelles sont considérées comme étant des victimes de la traite de personnes, mais bon nombre d'entre elles sont des travailleuses du sexe parce que c'est une façon pour elles de faire de l'argent ou d'avoir accès à des ressources dans un contexte de pauvreté. Nier l'autonomie des femmes autochtones qui vendent des services sexuels et les étiqueter comme des victimes, c'est ne pas reconnaître les nombreuses façons dont le colonialisme perpétue la violence, les injustices et les autres préjudices, comme le déplacement des populations, l'itinérance, la pauvreté, le racisme, les inégalités et les obstacles à l'accès aux services, aux soutiens et aux ressources. Les lois contre le flânage, les violations de l'espace public, les lois sur le travail du sexe et les lois sur les stupéfiants sont utilisées pour cibler et arrêter les femmes autochtones; cela fait en sorte que le mandat de la police n'est pas de les protéger, mais bien de les arrêter.
Les travailleuses du sexe migrantes sont menacées de détention et d'expulsion, ce qui les pousse à travailler dans des conditions précaires; elles sont plus vulnérables à l'exploitation et elles sont moins susceptibles de demander de l'aide.
La police et l'Agence des services frontaliers du Canada font équipe pour surveiller les espaces intérieurs où travaillent les travailleuses migrantes et racisées, et elles utilisent le Code criminel et les dispositions du RIPR qui interdisent le travail du sexe ainsi que les règlements municipaux dans leurs efforts supposément protecteurs pour lutter contre la traite de personnes. Les initiatives de lutte contre la traite de personnes sont fondées sur des idéologies racistes et antimigrantes. Les communautés racisées sont perçues comme des supposés réseaux du crime organisé. Durant la réunion de la semaine dernière, une députée a demandé combien de délinquants étrangers venaient ici de façon irrégulière depuis d'autres pays. Elle a reconnu qu'il n'y avait aucune donnée pour appuyer ce qu'elle disait.
Les travailleuses du sexe de race noire subissent leur part de racisme. Elles sont beaucoup plus susceptibles de faire l'objet d'un contrôle aléatoire, la police les vise beaucoup plus fréquemment, et elles sont régulièrement sous-protégées.
Si on éliminait les lois qui criminalisent la vie des travailleuses du sexe marginalisées, qui sont actuellement criminalisées, cela n'aurait pas pour résultat, peu importe les mensonges qu'on vous a dits jusqu'ici, d'accroître la violence; bien au contraire, cela la réduirait.
L'application des lois contre la traite des personnes cause préjudice à toutes les travailleuses du sexe. Elle crée un antagonisme et mine la confiance. Elle amène la police et les autres à recourir à la violence et prive les victimes de mobilité, de possibilités et d'accès.
J'ai quelques solutions concrètes pour vous. Vous devez commencer par une réforme des lois.
Premièrement, vous devez éliminer les lois et les règlements criminels, d'immigration et des municipalités. Vous devez abroger la LPCPVE, les lois sur le travail du sexe. Tant et aussi longtemps qu'un aspect ou un autre du travail du sexe sera criminalisé, les travailleuses du sexe ne voudront pas porter plainte. Éliminez les règlements qui permettent d'entrer dans les espaces où travaillent majoritairement des travailleuses du sexe migrantes. Abrogez les dispositions du RIPR qui interdisent le travail du sexe. L'ASFC doit cesser de « visiter » les salons de massage. Effacez les casiers judiciaires des travailleuses du sexe qui ont été condamnées pour des infractions en lien avec le travail du sexe, parce que cela nuit à leur mobilité physique et économique.
Deuxièmement, accordez immédiatement un statut d'immigrant permanent en bonne et due forme à tout le monde, au Canada, sans exception, et donnez à tout le monde un accès sans crainte aux services.
Troisièmement, il faut une refonte du financement et des initiatives stratégiques afin de les dissocier des cadres de lutte contre la traite des personnes. Les services de lutte contre la traite des personnes, y compris la plupart des fonds pour les victimes, sont un obstacle pour les travailleuses du sexe qui veulent obtenir du soutien. Cela les oblige à s'identifier comme des victimes de la traite de personnes ou à quitter le milieu du travail du sexe. Dans le même ordre d'idées, vous devez reconnaître, dans vos politiques et en pratique, que le travail du sexe est un travail. Cela veut dire investir de l'argent pour lutter contre l'exploitation des travailleuses et améliorer les conditions de travail des travailleuses du sexe.
Quatrièmement, investissez de l'argent dans les initiatives communautaires dirigées par les travailleuses du sexe, les groupes de travailleuses du sexe autochtones, les groupes de travailleuses du sexe migrantes et les groupes de travailleuses du sexe de race noire. Ces groupes existent. Les groupes qui ont témoigné ce matin, comme celui de Mme Snider, dictent et définissent littéralement l'expérience de ces femmes pour elles. Nous avons besoin de programmes sans jugement, qui ne cherchent pas à réduire les débouchés dans le travail du sexe ou dont le but est d'abolir le travail du sexe ou de le confondre avec la traite de personnes.
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Merci beaucoup de m'accueillir parmi vous.
Je m'appelle Kate Sinclaire. J'étudie présentement le droit ici, à Ottawa. Je fais partie de la Sex Workers of Winnipeg Action Coalition. La SWWAC est un groupe de travailleurs et travailleuses du sexe, de militants, d'alliés et de chercheurs qui a été fondé en 2014 dans ma ville natale de Winnipeg, au Manitoba, sur le territoire du Traité no 1. Nous avons une mission claire: lutter contre l'exploitation, et non pas contre les travailleurs et travailleuses du sexe.
Nous ne pourrons mettre fin à la violence en criminalisant et en surveillant les travailleuses du sexe. Les lois et les politiques jettent souvent le blâme de la traite des personnes directement sur les travailleuses du sexe elles-mêmes, leur donnant ainsi simultanément un statut de victime et un statut d'agresseur qu'il est impossible de concilier. Cela encourage les forces de l'ordre à contrôler les travailleuses du sexe pour des « vérifications du bien-être » et les habilite à procéder à des descentes, à des arrestations, à des expulsions et à d'autres formes de violence étatique.
Une histoire tirée de ma propre carrière dans l'industrie du cinéma queer pour adultes vous aidera peut-être à comprendre. Un beau jour, une travailleuse du sexe que je n'avais jamais rencontrée a communiqué avec moi. Elle voulait confirmer qu'elle avait bien une audition avec mon entreprise. C'était la première fois que j'en entendais parler, parce que je ne tenais pas d'auditions. La vérité, c'était que quelqu'un utilisait ma réputation et mon statut de cinéaste pour leurrer des travailleuses du sexe pour qu'elles se rendent à une adresse rurale.
Cet homme a volé mon nom pour avoir des rapports sexuels et gratuits. C'est de la violence. Il savait que les systèmes qui criminalisent les travailleuses et leurs clients l'avantageaient, en réalité, et il avait raison. Nous avons compris que nous ne pouvions pas le dénoncer à la police. Cette travailleuse était, à juste titre, et par expérience, plus préoccupée à l'idée d'être elle-même arrêtée, de perdre sa source de revenus et de perdre ses enfants. Pourquoi? Parce que les lois et les attitudes dépeignent les travailleuses du sexe à la fois comme les trafiquants et les victimes de la traite, à la fois comme les victimes et les agresseurs.
Nous avions son adresse, mais nous ne pouvions pas porter plainte, alors nous avons fait ce que nous pouvions pour veiller à ce que les gens de la région soient en sécurité. Nous avons publié des avertissements en ligne. Nous avons communiqué avec les groupes locaux de travailleuses du sexe. Nous avons fait de notre mieux pour éviter que d'autres acceptent son invitation. Malgré tout, il ne faut pas oublier qu'Internet et les espaces physiques sont surveillés de façon à rendre le travail du sexe invisible et le tenir aussi loin que possible de la collectivité; par conséquent, nos avertissements ont une portée limitée. La situation n'a fait que se détériorer, ces dernières années, avec la loi contre la traite des personnes dans les espaces numériques.
Si nous voulons réduire les méfaits, nous devons prendre du recul et examiner les circonstances créées au Canada qui font que les gens se retrouvent dans ces situations, par exemple, les systèmes d'immigration oppressifs, la criminalisation du travail du sexe, la pauvreté, l'accès aux logements, le nivellement par le bas des droits des travailleurs, le salaire minimum, le manque de soutien aux personnes vivant avec un handicap et la surveillance policière des communautés marginalisées.
Pour l'avenir, il faut mettre l'accent sur le soutien et non pas renforcer la criminalisation dans un système qui est déjà hostile aux femmes, aux filles et aux personnes ayant diverses identités de genre. Il faut éviter les attitudes condescendantes du type « l'expulsion et l'incarcération vont vous sauver ».
Les travailleuses du sexe soutiennent depuis longtemps nos collectivités, même si elles sont criminalisées. Gardez-nous aux tables de discussion, financez les programmes dirigés par les travailleuses du sexe et écoutez-nous quand nous parlons. Pour commencer, éliminez les lois contre le travail du sexe. Accordez aux travailleuses du sexe migrantes un statut d'immigration, un logement abordable et un revenu de base viable garanti.
Nous avons des lois contre la traite de personnes. Nous avons des lois, mais, si elles ne fonctionnent pas ou qu'elles ne sont pas appliquées, nous devons analyser la situation pour comprendre pourquoi, au lieu de faire de nouvelles lois qui ne feront que maintenir le statu quo.
Pour conclure, j'ai une autre histoire, celle d'une travailleuse du sexe autochtone des Prairies. Elle écrit: « Quand j'étais jeune, j'étais itinérante, et j'ai dû me prostituer dans la rue pour survivre. J'ai toujours été ouverte sur le fait que j'ai été une travailleuse du sexe dans mes écrits, dans mes activités de militante et dans mes études. Je n'ai pas honte, parce que ce que je décris, c'est une expérience courante pour une jeune fille autochtone des Prairies. Le discours anti-travail du sexe est aussi anti-noir, anti-autochtone, anti-prostituées, misogyne contre les personnes trans et classiste, peu importe comment vous essayez de le camoufler derrière une parure de résistance et de décolonialisme. Si vous êtes en faveur du discours anti-travail du sexe, vous avez du sang d'Autochtone sur les mains. Il y a une force violente qui m'a poussée à faire le travail du sexe, et c'était le Canada et les Canadiens. »
Nous, de la SWWAC, vous rappelons qu'il faut lutter contre l'exploitation et non pas contre les travailleurs du sexe. Ensemble, nous pouvons rendre le monde plus sécuritaire pour tout le monde.
Merci beaucoup, et je répondrai bien sûr avec plaisir à toutes les questions que vous pourriez avoir.
Je pense qu'on a promis de travailler à la décriminalisation du travail du sexe et aussi d'offrir des espaces sécuritaires pour les travailleuses migrantes, mais cela ne s'est pas concrétisé. À la place, il y a eu une consultation avec le comité de la justice au sujet de la loi sur le travail du sexe en vigueur, la LPCPVE, et le résultat a tout bonnement été le maintien du statu quo. Tout ce qui a été dit, c'est: « D'accord, nous allons écouter les divers groupes anti-traite de personnes, au lieu d'écouter les travailleurs et travailleuses du sexe. » Nous nous sommes présentés plusieurs fois pour témoigner, mais, pour une raison ou une autre, on nous ignorait continuellement. C'était comme si nous étions une case à cocher pour les comités. Ensuite, on n'a retenu aucune de nos recommandations. C'était très frustrant.
On peut commencer immédiatement le travail pour décriminaliser le travail du sexe, comme point de départ.
Je peux céder la parole à Mme Clamen, si elle a des commentaires supplémentaires. Elle en a peut-être plus à dire.
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Merci, madame Sinclaire. Vous vous êtes admirablement débrouillée. C'est apprécié.
Le gouvernement a, sans équivoque... et je parle de tous les gouvernements. On pensait, avant, que seul le gouvernement conservateur misait énormément sur l'application de la loi et investissait dans les forces de l'ordre, mais maintenant, tous les gouvernements semblent miser sur l'application de la loi comme solution à pratiquement tous les problèmes sociaux qui existent.
On vous a dit encore et encore — pas seulement Mme Sinclaire et moi-même ce matin, mais les gens de diverses communautés, y compris le comité sur les femmes autochtones disparues et assassinées — que l'application de la loi ne permet pas réellement de réduire la violence, peu importe la forme. Je pense sincèrement qu'il faut se pencher sérieusement là‑dessus, et qu'il faut cesser d'accorder tant d'argent aux forces de l'ordre. Je...
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Je ne dis pas du tout qu'il ne faut jamais appliquer le Code criminel, peu importe les circonstances. Je ne dis vraiment pas cela. Ce que j'ai dit, c'est qu'on investit beaucoup trop d'argent dans cette notion de la traite des personnes et qu'il n'y a aucune ressource de soutien pour les gens qui subissent réellement de la violence. Voilà ce que j'essaie de dire.
Aussi, j'ai constaté, par rapport aux initiatives de lutte contre la traite des personnes, aux politiques et aux discussions — parce qu'il y en a eu beaucoup au fil des ans —, qu'on ne fait qu'investir de plus en plus d'argent dans l'application de la loi, tandis qu'il y a très peu d'argent qui est acheminé aux collectivités pour lutter contre la violence que vivent les gens.
Une autre chose qui a été recommandée au gouvernement actuel de nombreuses fois, y compris lors du dernier examen des lois sur le travail du sexe par le comité de la justice, c'est d'éliminer les dispositions du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés qui font en sorte qu'il est illégal pour les gens de travailler dans l'industrie du sexe. Il y a des statistiques et des rapports qui démontrent les préjudices que cet obstacle crée. Je me ferai un plaisir de vous les faire parvenir.
Il y a beaucoup de réformes juridiques que le gouvernement ne fait pas, et comme je l'ai dit dans mes commentaires, c'est par là que vous devriez commencer.
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D'accord. Merci beaucoup de la clarification.
Je pense que ce qui m'a beaucoup choquée, quand des fonctionnaires sont venus témoigner devant notre comité, alors que nous menons une étude et essayons d'aider les victimes et les survivantes de la traite des personnes, c'est le manque de données. C'est quelque chose qui me choque.
Madame Sinclaire, vous avez beaucoup parlé du fait que bon nombre de survivantes ne peuvent pas ou ne veulent pas demander de l'aide, et c'est quelque chose que nous avons aussi entendu. C'est très difficile de recueillir un témoignage qui servira à mettre quelqu'un derrière les barreaux ou à mettre fin à quelque chose, parce que c'est très difficile pour les survivantes de témoigner, et nous ne voulons pas les revictimiser. Nous ne voulons pas les traumatiser à nouveau.
Les chiffres que nous voyons, ils sont faux. Quelles solutions proposez-vous pour que nous puissions obtenir les données qu'il nous faut?
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais m'excuser d'avance si je dis quelque chose qui n'a pas de bon sens. J'essaie d'apprendre, et je suis ici pour écouter.
J'ai évidemment écouté aujourd'hui le témoignage de différentes personnes qui nous ont désigné des personnes que nous ne devrions pas nécessairement écouter, alors que c'est de ces personnes que nous obtenons nos informations, alors je m'excuse d'avance pour cela.
J'aimerais revenir sur quelque chose qu'une témoin a dit précédemment et j'aimerais que les témoins actuels nous disent ce qu'ils en pensent. L'une de nos témoins, Mme Krystal Snider, a dit que nous devrions mettre en œuvre ou mettre en place le principe de non-sanction des Nations unies pour les personnes qui sont victimes de la traite ou qui sont sous le contrôle d'un trafiquant. Il y a eu une certaine résistance de la part d'une autre témoin du même groupe, et elle a dit que les femmes victimes de la traite ne sont pas poursuivies en justice.
Je me demandais si vous pouviez clarifier tout cela, et me dire aussi ce que vous en pensez.
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Je vais commencer, si vous le voulez bien, madame Sinclaire.
J'ai été très contente quand Mme Snider a corrigé les fausses informations que vous avaient présentées les deux personnes qui n'avaient pas véritablement d'expérience dans l'industrie et qui avaient seulement des analyses fondées sur leur idéologie. Ce que Mme Snider disait est absolument vrai.
Premièrement, les lois interdisant la traite de personnes sont utilisées pour arrêter un grand nombre de travailleuses du sexe, des membres de leur famille et des membres de la communauté, parce que les membres de la famille ou de la communauté sont identifiés comme des trafiquants ou présumés être des trafiquants. Je pense qu'il y a aussi certains sous-entendus racistes, vu la façon dont on accole des stéréotypes raciaux aux communautés.
Un excellent indicateur du fonctionnement du processus, c'est la fréquence des cas où ce sont des hommes noirs qui font la traite de femmes blanches; il y a cette idée que des étrangers illégaux font la traite de femmes blanches, et beaucoup de ces idées se reflètent dans l'application de la loi.
Plus tôt, les membres du Comité parlaient du fonctionnement des dispositions législatives sur le travail du sexe en vertu de la LPCPVE, et ces dispositions législatives criminalisent absolument toutes les personnes œuvrant dans l'industrie du sexe, y compris les travailleurs et les travailleuses du sexe eux-mêmes. Un des membres de votre comité a demandé une copie de la disposition. C'est une loi pénale. C'est une disposition en vertu de la LPCPVE, alors vous y avez accès. C'est dans vos propres lois.
Il ne fait aucun doute que ces lois pénales criminalisent les travailleuses de l'industrie du sexe. Il y a une disposition qui semble dire que les travailleuses du sexe ne peuvent pas être poursuivies en justice pour avoir vendu leurs propres services sexuels, mais le travail du sexe et les travailleuses du sexe sont criminalisés en tout temps et dans tous les contextes. Ce n'est pas parce que les travailleuses du sexe ne peuvent pas être poursuivies en justice qu'elles ne travaillent et ne vivent pas dans un contexte de criminalité. C'est de cette façon qu'elles organisent leur travail, et c'est ce qui va déterminer si oui ou non les travailleuses du sexe portent plainte à la police.
Tout, dans le travail du sexe est illégal, et les travailleuses du sexe sont tout le temps criminalisées. Alors, quand vous avez des lois contre la traite de personnes en plus des lois sur le travail du sexe, en plus des dispositions supplémentaires en matière d'immigration, en plus des règlements municipaux, en plus des lois contre le flânage, etc., le contexte de criminalisation pour les gens travaillant dans l'industrie du sexe est insupportable, et cela n'est absolument pas propice à la confiance.
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Oui. Je voulais justement parler de l'application de la loi et surtout des programmes de formation sur la traite de personnes qui perpétuent ces amalgames.
À Winnipeg, il y a la Joy Smith Foundation, qui est bien financée et qui forme nos policiers en matière de traite de personnes. Ce groupe fait aussi des amalgames entre le travail du sexe et la traite de personnes. Durant leur formation, les policiers eux-mêmes apprennent à voir les travailleurs et travailleuses du sexe comme étant à la fois des trafiquants et des victimes de la traite. Ils seront donc inévitablement accusés en vertu des lois.
Un autre groupe, mais celui‑là n'est pas dans ma ville, forme la GRC ainsi que bon nombre des services de police en Alberta. J'ai suivi son programme de formation, par curiosité, pour voir ce qu'on disait. Supposément, il y a des études qui montrent que la traite de personnes s'aggrave quand il y a une industrie prospère du commerce du sexe. Cela veut dire que la traite de personnes et l'exploitation vont continuer aussi longtemps qu'il y a une demande en services sexuels commerciaux.
Le but de ce groupe est qu'il n'y ait plus de travailleuses du sexe. Je veux le dire clairement: ce n'est pas seulement de mettre un terme à l'industrie commerciale du sexe; c'est de pousser les travailleuses vers la clandestinité, peu importe le coût.
Je veux vraiment insister sur le fait que c'est la formation qui est donnée à nos forces de l'ordre.
Je ne sais pas à quoi ressemble un trafiquant. Je ne sais pas si vous savez de quoi un trafiquant a l'air. Je pense que c'est ridicule de présumer qu'on pourra un jour savoir de quoi un trafiquant a l'air, puisque les définitions de la traite que vous utilisez tous et toutes ne sont même pas semblables.
Je vais revenir sur le fait que personne ne dit qu'il ne faut pas appliquer les lois d'aucune façon que ce soit, mais il y a certaines lois, à la disposition des forces de l'ordre, qui causent en réalité un préjudice aux gens dans l'industrie du sexe, comme les lois sur le travail du sexe, et ce n'est pas seulement les gens dans l'industrie du sexe, mais bien tous les gens qui vendent ou qui échangent des services sexuels en général. Ce sont les lois sur le travail du sexe, les lois sur le flânage et les dispositions du RIPR, et il faut que ces lois soient supprimées et, simultanément...
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Merci, madame la présidente.
Madame Sinclaire et madame Clamen, je vous remercie d'être avec nous.
La question de la protection des travailleurs du sexe et de la traite des personnes est importante. Or l'une des plus grandes difficultés est qu'on ne parle pas tous de la même chose lorsqu'on en parle. Vous en avez déjà parlé, il est important de faire la distinction entre les travailleurs et travailleuses du sexe et les gens qui se livrent à la traite de personnes.
Je vous inviterais, l'une après l'autre, à revenir sur cette question afin de clarifier, le plus simplement possible, la distinction que vous faites entre les travailleurs et les travailleuses du sexe, d'une part, et les victimes de la traite de personnes, d'autre part.
Madame Sinclaire, je vous invite à répondre la première.
Madame Sinclaire, je répète ma question parce que je ne sais pas quelle partie vous avez pu entendre ou pas.
Je parlais de l'importance de faire la distinction entre les travailleurs et les travailleuses du sexe, d'une part, et les victimes de la traite de personnes, d'autre part, puisque le traitement ou la protection accordés aux uns ou aux autres ne sont pas les mêmes. À mon sens, les acteurs de la traite de personnes devraient être pénalisés, alors que la travailleuse ou le travailleur du sexe ne le devrait probablement pas.
J'aimerais comprendre la distinction que vous faites entre ces deux situations. Veuillez clarifier cela le mieux possible en une minute, s'il vous plaît.
J'aimerais que Mme Sinclaire réponde d'abord, et Mme Clamen, ensuite.
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Nous allons nous arrêter un instant, s'il vous plaît.
Nous avons eu un très beau lundi matin, et nous sommes tous satisfaits. Madame Sinclaire et madame Clamen, c'était une discussion très intéressante, alors je pense que nous allons vous demander de revenir.
Nous avons perdu environ 10 minutes. Nous n'allons pas pouvoir aborder ces questions. Nous devons nous arrêter et redémarrer le système.
Je suis désolée, madame Vandenbeld.
Voici ce que nous allons faire: nous allons inviter Mme Sinclaire et Mme Clamen à nouveau pour quelques minutes. Nous avons déjà entendu vos déclarations préliminaires, alors ce sera uniquement pour les questions, parce que je sais que M. Fortin et Mme Gazan avaient des questions à vous poser. Malheureusement, notre système ne fonctionne pas.
Ce que je vais faire maintenant, c'est clore cette partie de la réunion, puis nous allons redémarrer et passer à huis clos, parce que nous devons aussi nous occuper des travaux du Comité pendant la réunion d'aujourd'hui.
Il y a deux choses: nous allons clore cette partie de la réunion, puis redémarrer à huis clos. Donc, nous serons à huis clos, alors tout le personnel qui n'est pas affilié à un membre ou à un parti doit quitter la salle.
Madame Clamen et madame Sinclaire, puis‑je vous demander...
Allez‑y, monsieur Fortin.