Bienvenue à la 87e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
J'aimerais faire quelques commentaires à l'intention des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous reconnaisse par votre nom avant de prendre la parole. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, veuillez cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer et veuillez le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation pour les participants sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre l'anglais, le français ou le parquet. Pour ceux qui sont dans la salle, veuillez utiliser votre écouteur. Vous trouverez aussi — vous les voyez peut-être déjà — les options anglais, français et parquet.
Bien que cette salle soit équipée d'un système audio puissant, il peut y avoir des retours de son, ce qui peut causer de graves blessures à nos interprètes. C'est pourquoi je vous rappelle de faire attention à la façon dont vous utilisez vos microphones et vos écouteurs. Veuillez donc garder leur bien-être à l'esprit.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être faits par l'entremise de la présidence.
Les membres du Comité présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole n'ont qu'à lever la main. Les participants sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ».
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi . Je tiens à émettre un avertissement, car mon mari a regardé notre réunion l'autre jour et il m'a dit que nous étions tenus d'émettre un avertissement.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais donc vous avertir que nous allons discuter d'expériences liées à la violence et aux agressions. Cela pourrait troubler les téléspectateurs qui ont vécu des expériences semblables. Si vous vous sentez en détresse ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière ou me regarder et nous ferons tout ce que nous pouvons pour vous aider. Nous allons maintenant aborder ces enjeux.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous sommes ravis de les accueillir aujourd'hui.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à Emilie Coyle, qui se trouve dans la salle. Mme Coyle est directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Nous accueillons également Sarah Niman, directrice principale, Services juridiques, de l'Association des femmes autochtones du Canada, qui est également présente dans la salle. Enfin, nous souhaitons la bienvenue à Roxana Parsa, avocate-conseil à l'interne au Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, qui comparaît en ligne.
Nous accorderons à chaque témoin cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Je vous demande de vous en tenir à ces cinq minutes, afin que nous ayons le plus de temps possible pour les questions et les réponses. Lorsque vous me verrez commencer à agiter les bras, cela signifiera qu'il vous reste 15 secondes pour conclure votre déclaration.
Aujourd'hui, dans le cadre de notre examen du projet de loi , j'aimerais inviter Mme Coyle a faire la première déclaration préliminaire de cinq minutes.
Vous avez la parole, madame Coyle.
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Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés et je vous remercie, madame la présidente. Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, même si, comme vous l'avez dit, nous abordons un sujet très difficile.
Je suis directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Notre travail s'effectue principalement ici, sur le territoire de la nation algonquine, bien qu'il s'étende sur l'ensemble de l'Île de la Tortue.
Notre travail consiste principalement à lutter contre la façon dont les femmes et les personnes de diverses identités de genre qui ont commis des actes criminels sont déshumanisées et exclues de la communauté.
J'aimerais tout d'abord examiner les recommandations émanant de deux enquêtes récentes sur la violence entre partenaires intimes, à savoir l'enquête de Renfew, qui s'est déroulée pas très loin d'ici, et la Commission sur les pertes massives en Nouvelle-Écosse.
Ces deux enquêtes recommandent de traiter la violence entre partenaires intimes comme une épidémie, en soulignant la nécessité d'un effort global de l'ensemble du gouvernement pour éradiquer cette forme de violence omniprésente. Elles soulignent également l'urgence d'un financement correspondant à une situation d'épidémie pour la prévention et les interventions en matière de violence fondée sur le sexe et réclament d'urgence l'adoption d'une réponse à l'échelle de la société.
Dans la recommandation no 16 de son rapport, la Commission des pertes massives souligne précisément la nécessité de réorienter le financement des réponses carcérales vers la prévention primaire, notamment en s'attaquant à la pauvreté et en encourageant les formes de masculinité saines.
Je me concentrerai donc aujourd'hui sur la réponse carcérale à la violence entre partenaires intimes, plus précisément sur la surveillance électronique prévue dans le projet de loi .
De toute évidence, nous partageons l'objectif en matière de gestion et de prévention de la violence entre partenaires intimes. Les femmes et les personnes de diverses identités de genre sont victimes de violence entre partenaires intimes de manière disproportionnée à cause du patriarcat et de la misogynie permanents que nous connaissons tous, et c'est encore plus prononcé chez les femmes autochtones et les personnes de diverses identités de genre avec lesquelles nous travaillons, car elles font également face à l'oppression coloniale et à des taux plus élevés de violence entre partenaires intimes.
De nombreuses personnes avec lesquelles nous travaillons ont subi ce type de violence. Les données du Service correctionnel du Canada indiquent une proportion plus élevée de victimes d'agression physique et sexuelle chez les femmes et les personnes de diverses identités de genre avec lesquelles nous travaillons en milieu carcéral. Ces personnes comptent parmi les membres les plus vulnérables de notre société.
Malgré ces dures réalités, les personnes avec lesquelles nous travaillons ne sont pas considérées comme des victimes idéales, ce qui risque d'entraîner une sous-estimation des conséquences de la mise en œuvre de solutions carcérales, comme la surveillance électronique, sur la vie de ces personnes.
Les changements législatifs visant à protéger les populations vulnérables doivent faire l'objet d'un examen critique des conséquences involontaires potentielles. Dans le cadre de nos efforts en vue d'atteindre nos objectifs en matière d'éradication de la violence entre partenaires intimes, nous devons nous demander si ces efforts ne risquent pas, par inadvertance, d'accroître la vulnérabilité de ces personnes.
Je me demande donc si ce projet de loi permettra effectivement de réduire efficacement la violence entre partenaires intimes au Canada ou s'il détournera des ressources essentielles qui pourraient être investies dans la prévention. Le projet de loi s'attaquera‑t‑il concrètement aux causes profondes de la violence entre partenaires intimes, à savoir la misogynie et le patriarcat? Je vous laisse répondre à ces questions par vous-même.
Dans le passé, des projets de loi bien intentionnés fondés sur des réponses carcérales ont causé plus de mal que de bien. Par exemple, je suis certaine que vous avez entendu parler des politiques d'accusation obligatoire dans les cas de violence entre partenaires intimes, qui avaient évidemment été applaudies, au départ, par les organismes qui luttent contre la violence envers les femmes. Toutefois, ces politiques ont mené à la double accusation, car elles punissent les deux parties en raison de l'incapacité perçue de déterminer l'instigateur, même si l'« arme » utilisée par l'une des parties est un jouet d'enfant jeté par la victime dans sa fuite.
De même, il existe un risque bien réel que l'adoption de ce projet de loi entraîne un scénario dans lequel les personnes les plus vulnérables sont celles qui finissent par porter un bracelet de surveillance électronique, et elles seront encore plus marginalisées. En effet, la stigmatisation liée au port de ce bracelet pourrait intensifier les difficultés auxquelles font face des personnes qui font déjà l'objet d'une surveillance trop étroite et d'une peine trop sévère.
Vous connaissez déjà tous très bien les statistiques liées à l'incarcération excessive — ou ce que des personnes appellent l'incarcération de masse — des femmes autochtones et des personnes de diverses identités de genre dans notre pays. Il s'agit bel et bien d'une crise, et c'est une honte.
La surveillance électronique, lorsqu'elle est utilisée à titre de réponse carcérale réactive, ne permet pas de s'attaquer aux problèmes sous-jacents de ce type de violence. La lutte contre la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes nécessite une approche à multiples volets qui s'attaque aux causes sous-jacentes du problème. Nous devrions donc cesser de privilégier une réponse carcérale et adopter plutôt une approche plus durable à long terme.
Les survivants ont insisté sur les besoins en matière de travailleurs sociaux, d'aide financière, de logement, de services culturellement adaptés…
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Bonjour.
Hello.
Boozhoo.
Honorables membres du Comité et madame la présidente, je vous remercie d'avoir invité l'Association des femmes autochtones du Canada à faire entendre la voix des femmes autochtones dans le cadre de votre étude sur le projet de loi qui se déroule ici, sur le territoire algonquin non cédé.
Les femmes, les filles et les personnes bispirituelles, transgenres et de diverses identités de genre que notre association représente nous rappellent que c'est une chose être entendues dans cette vénérable enceinte, mais que c'en est une autre de voir des changements dans leurs communautés.
Les femmes autochtones sont beaucoup plus vulnérables à la violence familiale que les autres femmes au Canada. Elles connaissent les taux les plus élevés et les plus disproportionnés de violence familiale et sont ciblées dans un génocide des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.
Dans le cadre de l'étude du projet de loi menée par votre comité, je souhaite parler de la question du pouvoir. En effet, le projet de loi S‑205 donne plus de pouvoir aux victimes, mais il ne tient pas compte de l'impuissance systémique qui accable les femmes autochtones. Permettez-moi de m'expliquer.
Le projet de loi n'aurait pas aidé l'Inuite survivante de violence familiale dans l'affaire R. c. L.P. qui se trouvait devant la Cour d'appel du Québec en 2020. En effet, cette femme a été déplacée de sa collectivité à la suite de politiques coloniales. Elle était en mauvaise santé parce qu'elle vivait dans la pauvreté et n'avait accès à aucun soutien en matière de soins. Elle était dépendante de son partenaire violent et vulnérable à ses agressions physiques et sexuelles répétées et de plus en plus agressives.
Si le projet de loi avait été promulgué à l'époque, cette femme ne serait pas allée chercher de l'aide auprès de la police et n'aurait pas demandé au tribunal de déposer une dénonciation pour la protéger.
La violence est l'un des principaux moyens par lesquels les agresseurs contrôlent l'autonomie et le pouvoir des femmes. Cette femme inuite n'était pas en mesure de demander de l'aide, car selon son expérience et celle de la plupart des femmes autochtones, la police n'est pas là pour les protéger, et le lien de confiance est rompu.
Les femmes autochtones ont récemment déclaré à l'AFAC que, d'une part, la police les surveille en permanence et est toujours prête à les surprendre en train de violer une condition ou à alerter les travailleurs sociaux pour qu'ils leur retirent la garde de leurs enfants. D'autre part, lorsqu'elles sont victimes de violence à leur domicile, la police ne semble pas les surveiller suffisamment de près pour pouvoir intervenir. Cette méfiance représente un obstacle important qui empêche les femmes autochtones d'avoir accès aux soutiens aux victimes prévus dans le projet de loi .
Le projet de loi doit intégrer les principes de la justice autochtone. De nombreux ordres juridiques autochtones contiennent des lois précises contre la violence fondée sur le sexe. Ces lois tiennent les délinquants responsables de leurs actes et visent à réparer les relations entre la victime et la communauté.
Les victimes ont également un rôle à jouer dans la détermination de la peine infligée à l'agresseur, tout en recevant elles-mêmes des services de guérison. Les collectivités autochtones ont besoin d'approches dirigées par les Autochtones pour s'attaquer à la violence fondée sur le sexe, et elles ont besoin de ressources et de soutien pour accomplir ce travail. La plupart de ces besoins sont reflétés dans les conclusions des appels à la justice formulés dans le cadre de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
L'AFAC recommande donc au Comité de modifier le projet de loi par l'ajout, au paragraphe 515(4), des conditions qui sont recommandées par les organismes de gouvernance autochtones avec le pouvoir de régir l'accusé. Si ce projet de loi permet à un juge d'une cour provinciale de déposer une dénonciation avant qu'un acte physique de violence familiale ne soit commis, il pourrait aller plus loin et obliger les juges à tenir compte des services de soutien aux Autochtones qui sont offerts.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones demande aux législateurs, ce qui inclut votre comité, de travailler avec les peuples autochtones pour protéger les femmes autochtones contre toutes les formes de violence.
Avant de terminer, je tiens à souligner qu'il est très important que votre comité étudie le projet de loi de manière à ne pas exacerber l'incarcération massive des femmes autochtones. Dans une récente mise à jour, l'enquêteur correctionnel du Canada indique que les femmes autochtones représentent plus de la moitié de la population carcérale adulte. Dans certains établissements, cette proportion atteint 75 %.
Nous avons entendu dans l'autre endroit que les femmes autochtones font souvent face à une situation de double accusation lorsque la police répond à un appel pour violence familiale. Cela signifie que la police inculpe à la fois l'agresseur et la victime. Lors des audiences sur le cautionnement pour ces accusations, les tribunaux imposent encore, et de manière disproportionnée, des conditions de mise en liberté sous caution inutiles et déraisonnables aux membres des populations autochtones.
L'AFAC est d'accord avec les amendements au projet de loi qui visent à éliminer une partie de la dépendance au bracelet de surveillance électronique, mais elle insiste auprès de votre comité pour qu'il supprime toutes les références à ces bracelets.
À titre d'organisme populaire, l'AFAC accompagne les femmes autochtones qui cherchent à obtenir de l'aide. Nous pouvons leur fournir des ressources, des trousses d'outils et des soutiens, mais il y a des forces systémiques en jeu qui sont beaucoup trop puissantes pour que notre organisme puisse y remédier seul.
Le projet de loi doit aller plus loin et tenir compte des réalités vécues par les femmes autochtones si on souhaite qu'il contribue à réduire la violence pour toutes les victimes, en particulier celles qui sont marginalisées et vulnérables au sein de ce groupe.
Je vous remercie et je suis à votre disposition, au nom de l'AFAC, pour répondre à vos questions.
Meegwetch.
Bonjour. Je m'appelle Roxana Parsa et je suis avocate-conseil à l'interne au Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, aussi connu sous le nom de FAEJ.
Je suis heureuse de comparaître depuis ce que l'on appelle aujourd'hui Toronto, qui se trouve sur les terres traditionnelles des Mississaugas de la nation de Credit, de la nation huronne Wendat, de la nation Anishinabe et de la nation Haudenosaunee.
Le FAEJ est un organisme de bienfaisance national qui s'efforce de faire progresser les droits à l'égalité des femmes, des filles et des personnes transgenres et non binaires par l'entremise de litiges, de réformes législatives et d'efforts en matière de sensibilisation du public. Au cours des 38 dernières années, le FAEJ a fait valoir la nécessité d'améliorer la réponse du système de justice en matière de violence fondée sur le sexe. Nous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est donnée d'être ici aujourd'hui pour partager notre point de vue sur ce projet de loi.
Je tiens tout d'abord à exprimer ma reconnaissance au sénateur Boisvenu pour ses efforts en matière de lutte contre la violence entre partenaires intimes. La violence entre partenaires intimes représente 45 % de tous les cas de violences signalés par les femmes. Ces risques sont plus élevés pour les femmes autochtones, noires et racisées, ainsi que pour les femmes handicapées et les femmes migrantes. Ces risques sont également beaucoup plus élevés pour les personnes bispirituelles, non binaires, transgenres et non conformes au genre.
La réponse à la violence entre partenaires intimes nécessite une vaste approche systémique qui tient compte des différents besoins des survivants de la violence. Cependant, nous encourageons les membres du Comité et tous les parlementaires à éviter de se concentrer sur le droit pénal comme solution universelle. L'adoption d'une approche carcérale et l'élargissement de la portée des dispositions du Code criminel ne permettent pas de résoudre les problèmes systémiques qui sous-tendent la violence. Nous craignons donc que l'accent qui est mis sur la surveillance électronique dans ce projet de loi ne détourne des ressources qui pourraient être consacrées à des mesures préventives et à des soutiens directs pour les survivants, en plus de favoriser la surveillance et un faux sentiment de sécurité.
Avant de vous faire part de nos préoccupations, nous aimerions d'abord faire l'éloge de ce projet de loi pour ses dispositions relatives au partage de renseignements avec les survivants au cours de la procédure judiciaire. Comme nous l'avons tous entendu à maintes reprises, pour de nombreux survivants de la violence, le processus de signalement d'un incident et d'engagement dans le système judiciaire représente un nouveau traumatisme. Souvent, ce processus ne répond pas à leurs besoins en matière de justice et de sécurité. Les survivants sont souvent laissés dans l'ignorance de leurs propres droits au cours de la procédure. Le fait d'obliger les juges à demander aux procureurs si la partenaire intime de l'accusé a été consultée, en plus de leur fournir un exemplaire de l'ordonnance de mise en liberté sous caution, peut avoir un impact positif en fournissant aux survivants les renseignements dont ils ont tant besoin. Il s'agit d'un pas positif vers une approche qui considère les survivants comme une partie intégrante du système de justice pénale.
Nous restons toutefois très préoccupés par le fait que le projet de loi se concentre surtout sur la surveillance électronique. Nous comprenons le désir et l'intention d'explorer d'autres voies pour assurer la sécurité des survivants. Cependant, à notre avis, la surveillance électronique n'est qu'une solution temporaire. En effet, la surveillance électronique n'est pas nécessairement un moyen efficace d'accroître la sécurité. La dépendance à l'égard de cette technologie peut entraîner des défectuosités, comme des fausses alarmes et des avertissements qui arrivent trop tard. Ce risque est accru dans les collectivités éloignées et géographiquement isolées, ou le manque de connectivité et les conditions météorologiques parfois extrêmes peuvent également entraîner des défectuosités des systèmes de surveillance. Ces défaillances empêchent les forces de l'ordre de réagir efficacement. Dans les faits, même si certains survivants peuvent avoir l'impression de se sentir plus en sécurité, ce n'est pas nécessairement le cas en réalité.
De plus, les juges avaient déjà la possibilité de recourir à la surveillance électronique, car le projet de loi a récemment intégré cette option dans la loi, plus précisément dans le contexte de la violence entre partenaires intimes. Ce projet de loi est donc redondant et sert à accroître la surveillance des délinquants et de leur famille, dont un grand nombre sont issus de communautés qui font déjà l'objet d'une surveillance et d'une marginalisation exacerbées. Comme le souligne la sénatrice Pate, des études menées aux États-Unis révèlent un recours disproportionné à la surveillance électronique pour les familles racisées et à faible revenu.
Enfin, les dispositifs de surveillance électronique sont onéreux, puisqu'ils coûtent des centaines de dollars par mois. Lorsque nous réfléchissons à la meilleure façon de dépenser les ressources, nous devons penser à ce qui aura l'impact le plus important. Nous encourageons vivement le gouvernement à réexaminer les ressources précieuses qu'il dépense pour des solutions juridiques pénales qui n'ont pas prouvé qu'elles protégeaient les femmes. Ces ressources pourraient être affectées à des services qui apportent un soutien direct aux survivants et aux mécanismes pour assurer la sécurité.
Même si l'adoption de nouvelles lois peut donner l'illusion qu'on prend des mesures concrètes, le droit pénal n'est pas la solution. Des modifications législatives répétées n'ont pas permis de réduire le nombre de décès. En outre, lorsque les services de police sont considérés comme la principale solution à la violence entre partenaires intimes, cela exclut par inadvertance les survivants des communautés marginalisées, qui risquent de ne pas demander l'aide dont ils ont besoin, et cela ne fait qu'aggraver les inégalités existantes en matière de recherche de moyens d'assurer la sécurité.
La réponse, selon nous, consiste à offrir un soutien et un financement adéquats aux services d'éducation et de prévention et aux services de première ligne qui répondent aux besoins des survivants tout en s'efforçant de mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Il est temps de regarder au‑delà du système de justice pénale et de concentrer nos ressources sur la mise au point des systèmes sociaux nécessaires à la prévention de la violence.
Je vous remercie de votre temps.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les trois témoins qui se sont rendues disponibles aujourd'hui.
Je vais revenir sur les témoignages des deux victimes de violence conjugale qui se sont adressées au Comité en début de semaine.
Je suis un peu bouleversée par ce que j'ai entendu ce matin. J'ai l'impression qu'on met en opposition des outils qui seraient mis en place si le projet de loi était adopté. Ce matin, il est en effet beaucoup question de thérapie, mais aussi de la révision du fameux article 810 du Code criminel, qui a vraiment besoin d'un coup de crinque, comme on dit au Québec. Il est aussi question de l'éventuelle adoption du bracelet électronique, une expérience menée au Québec actuellement.
Selon moi, le projet de loi n'exclura pas pour autant le droit à la réhabilitation. Ce n'est pas du tout son objectif. De la même façon, il ne fera pas non plus que les droits des prévenus ou de toute autre personne dans la société civile seront bafoués.
Chez nous, au Québec, on dit « trop fort ne casse pas ». Alors, si on peut adopter et la ceinture et les bretelles, faisons-le, surtout quand il est question de victimes.
Avant de redonner la parole aux témoins, en particulier à Mme Coyle, j'aimerais lire — si vous me le permettez, madame la présidente — un extrait du témoignage que nous avons entendu de Mme Martine Jeanson, en début de semaine, qui a eu...
Est‑ce que tout le monde est d'accord pour voter avec son appareil?
Des députés: D'accord.
La présidente: Nous allons voter avec nos appareils.
Nous nous regarderons donc tous sur notre téléphone pendant quelques minutes. Nous nous en excusons. Nous ne sommes pas si vaniteux...
Des voix: Ha, ha!
La présidente: … et nous reconnaissons l'importance d'entendre tous les témoins d'aujourd'hui. Nous suspendrons la séance pendant quelques minutes avant le vote pour que tout le monde ait le temps de se connecter et de s'acquitter de sa tâche. Lorsque tout le monde aura voté, nous reprendrons les délibérations.
Je vous redonne la parole, mesdames.
Il vous reste quatre minutes et 28 secondes.
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J'ai été interrompue dans mon élan, mais je sais où reprendre.
Je vais vous lire un extrait du témoignage de Mme Martine Jeanson, qui dit ceci:
Si mon ancien conjoint avait porté un bracelet électronique, j'aurais été protégée de sa tentative de meurtre, et toutes ses autres victimes auraient pu être informées.
En effet, il y en avait eu d'autres avant elle.
Actuellement, il est impossible de bien nous protéger d'un ancien conjoint violent, car nous ne sommes pas prévenues de l'arrivée de celui-ci. Le groupe de 100 femmes avec qui nous avons travaillé sur le projet est exclusivement composé de victimes de violence conjugale, dont au moins la moitié ont subi une tentative de meurtre. Nous sommes tous d'accord pour dire que la seule chose qui pourrait nous protéger est le bracelet électronique, car rien ne nous protège présentement.
Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé avec des centaines de femmes qui avaient besoin d'aide. Il n'y a aucun moyen de les cacher. L'homme peut les traquer à leur travail ou dans leur famille. Il peut suivre les enfants jusqu'à l'école ou chez leurs amis. L'homme n'arrêtera jamais de les traquer, de les suivre, de les harceler et de les violenter. Tant que le port du bracelet électronique ne sera pas imposé, la femme et ses enfants ne seront jamais protégés.
Les deux témoins qui nous ont parlé sont des femmes qui ont été traquées pendant des années par leur conjoint. Ce qu'elles nous disent, c'est non seulement qu'il faut adopter le projet de loi , mais aussi qu'il faut l'adopter tel quel, sans amendements.
Je termine en disant que le sénateur Boisvenu n'est pas quelqu'un d'excité, mais quelqu'un qui est posé, calme, très modéré et très progressiste. Il a vécu le meurtre de sa fille et est venu nous prier, preuves et statistiques à l'appui, d'appuyer ce projet de loi.
Comment soutenir aujourd'hui que ce n'est pas une bonne idée d'appuyer le projet de loi , alors qu'il comprend aussi tout ce qui a été évoqué, dont la thérapie et la révision de l'article 810 du Code criminel?
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Je vous remercie de votre question.
C'est épouvantable. Nous avons tous vécu cette expérience dans notre famille, dans notre vie personnelle et avec nos amis. La violence entre partenaires intimes, comme je l'ai dit au début, a atteint des proportions épidémiques dans notre pays. Nous voulons tous faire quelque chose pour y remédier.
Je sais par expérience que la plupart des personnes avec lesquelles nous travaillons, c'est‑à‑dire des personnes qui sont criminalisées et incarcérées, ont subi de la violence de la part de leur partenaire intime ou de la violence d'une autre nature. Elles continuent d'être punies et lésées, car plutôt que de les aider, notre droit pénal va à l'encontre de leurs intérêts. Nous abordons toute réforme législative en gardant cela à l'esprit, d'autant plus que la plupart des personnes avec lesquelles nous travaillons sont les plus marginalisées et les plus vulnérables dans notre société.
Nous voulons nous assurer de procéder avec toutes les précautions…
C'est tout à fait exact. De nombreuses défaillances technologiques peuvent survenir lors de l'utilisation de ces appareils.
Dans les régions rurales, par exemple, il se peut que le signal entre l'appareil et l'unité de réception soit interrompu. J'ai lu des cas où la batterie perdait de la puissance et provoquait de fausses alarmes ou elle ne fonctionnait pas correctement. L'un des problèmes que posent ces fausses alarmes, c'est qu'on y prête de moins en moins attention. Même dans les régions urbaines, la technologie GPS peut poser des problèmes en raison de ce qu'on appelle la « dérive » du GPS, qui se produit lorsque les signaux rebondissent sur les édifices, ce qui réduit la précision de l'appareil.
Tous ces problèmes technologiques entrent en jeu et peuvent créer une situation dans laquelle les femmes ont la certitude que la police sera alertée immédiatement par ce bracelet électronique, mais que ce n'est pas le cas en réalité. Cela peut donc souvent créer un faux sentiment de sécurité, comme je le disais plus tôt.
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Merci, madame la présidente.
Mesdames Niman, Coyle et Parsa, je vous remercie de vos témoignages.
Le Comité a tenu une première réunion sur le projet de loi lundi dernier. Nous avons entendu des victimes témoigner et expliquer l'importance de ce projet de loi pour les protéger. En tant que victimes, elles nous ont demandé, à titre de législateurs, d'aller de l'avant. Nous avons aussi entendu le témoignage du sénateur Boisvenu.
J'ai discuté avec le sénateur Dalphond, qui a collaboré à ce projet de loi. Il a eu des discussions sérieuses, notamment avec des représentantes de regroupements de maisons pour victimes de violence conjugale au Québec, qui lui ont demandé de travailler pour l'adoption de ce projet de loi.
Le gouvernement du Québec a fait un travail consciencieux pour produire le rapport « Rebâtir la confiance », qui contient des centaines de pages et qui est le résultat d'une collaboration non partisane. Toutes les formations politiques au Québec ont travaillé à ce rapport avec une approche féministe et, peut-être, moins partisane qu'ailleurs. C'est beau de voir qu'ils ont réussi à produire ce rapport et qu'ils lui ont donné un titre très significatif, « Rebâtir la confiance ». En effet, la perte de confiance est au cœur du problème du système en ce moment. Les victimes n'ont pas confiance. Elles ont besoin d'outils, elles ont besoin de mesures concrètes leur démontrant que nous agissons et que nous voulons leur redonner confiance dans le système, que nous voulons les entendre et les écouter.
J'ai rencontré cet été une députée provinciale du Québec qui m'a dit que la balle était maintenant dans le camp du fédéral. Le gouvernement du Québec a effectué sa part du travail. Il a réussi à adopter un projet de loi concernant les bracelets électroniques et à lancer un projet pilote de tribunaux spécialisés en violence sexuelle. Le fait d'être à l'écoute des victimes et d'avoir des juges mieux formés peut être complémentaire à l'utilisation de bracelets antirapprochement. En ce moment, ce système est mis en place à différents endroits du Québec.
Il y a certaines réticences, notamment au sujet de la connectivité, mais le sénateur Dalphond me disait hier que ce n'était pas une objection valable puisque la couverture cellulaire va continuer à se développer au Québec et ailleurs, en milieu rural. Au Québec, comme ailleurs au pays, il y a encore du travail à faire dans certains milieux ruraux, mais il se fait, et ça avance. Le sénateur a confiance que la couverture va se développer.
Madame Parsa, comme je l'ai expliqué, la surveillance à distance fait donc partie des options que les juges peuvent envisager depuis un certain temps, notamment dans des provinces comme le Québec, qui a lancé son projet pilote, son programme de bracelets antirapprochement. Avez-vous commencé à examiner ce projet et à vous intéresser aux résultats? Même s'il s'agit d'un projet pilote, avez-vous étudié ce qui se fait au Québec? Pourriez-vous nous expliquer un peu ce que vous avez appris?
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Je vous remercie de votre question.
Je n'ai pas examiné de façon très approfondie ce qui se fait au Québec. Par contre, j'ai lu des études provenant d'autres endroits en Europe où l'on a recours à la surveillance électronique.
Une chose qu'il est important de souligner et que j'ai vue émerger, c'est que l'on constate souvent que la surveillance électronique est efficace lorsqu'elle est jumelée à d'autres interventions et à d'autres programmes. Il est rare que la surveillance électronique, à elle seule, constitue un plan complet de protection des survivants de la violence. C'est un point qui a été soulevé dans certaines études que j'ai consultées. Ce type de surveillance est donc souvent jumelé à des mesures de soutien à l'intégration communautaire, à de la formation, à des efforts de collaboration avec la police et à d'autres mesures plus axées sur la prévention.
Je n'ai pas lu de documents détaillés sur ce qui se fait au Québec.
Effectivement, quand on examine la situation à l'échelle internationale, on constate qu'en Espagne, cela a fonctionné, et qu'on s'y intéresse aussi en France et en Australie. C'est pour cette raison que, au Québec, cela s'inscrit dans un continuum de services aux victimes. Donc, c'est plus qu'une recommandation; je pense qu'il y a plus de 90 recommandations dans le rapport « Rebâtir la confiance ». C'est un complément, mais qui inclut cette mesure. Il est évident qu'il faut l'élargir.
On sait que le paragraphe 1(2) du projet de loi modifie le Code criminel pour ajouter le port d'un dispositif de surveillance à distance par le prévenu à la liste des conditions qui sont énumérées au paragraphe 515(4) et qui peuvent être incluses dans l'ordonnance de mise en liberté provisoire, soit la libération sous caution. Il y a eu aussi une étude du Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur le sujet. Je sais que mon collègue, porte-parole en matière de justice, a aussi étudié cette question au sein de ce comité. Les juges peuvent donc déjà envisager d'imposer le port d'un bracelet, mais, maintenant, on nous dit qu'il faut élargir son utilisation et c'est ce que ce projet de loi veut faire.
Madame Coyle, outre les expériences en cours au Québec et à l'étranger, ainsi que l'étude sur le sujet menée par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, voyez-vous d'autres pistes d'amélioration? Dans le cadre du continuum de services, qu'ajouteriez-vous? Y a-t-il des choses qu'il ne faut pas oublier?
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Je vous remercie beaucoup.
Ma première question s'adresse à Mme Parsa.
Le 16 novembre 2022, votre collègue Rosel Kim a déclaré ce qui suit devant un comité sénatorial: « En réalité, la surveillance électronique est un outil réactif qui procure un faux sentiment de sécurité à de nombreuses survivantes et qui ne change rien aux causes systémiques de la violence familiale ni aux problèmes sous-jacents auxquels les survivantes sont confrontées, comme l’isolement et le manque de ressources. »
Je sais que nous avons parlé de… D'autres témoins ont indiqué que certains groupes, par exemple des groupes autochtones, font l'objet d'une surveillance excessive. Grâce à l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, nous savons qu'en cas de problèmes liés à la sécurité, les systèmes mêmes qui sont censés nous protéger ne le font pas. Nous faisons l'objet d'une surveillance excessive, mais lorsque nous avons besoin de soutien, on ne nous voit plus. C'est la raison pour laquelle nous entendons dire que les systèmes actuels suscitent la méfiance. On nous dit maintenant que nous devrions compter sur ces mêmes systèmes comme principaux outils pour assurer notre sécurité, même si des études prouvent que ces systèmes ne nous protègent pas.
Pouvez-vous nous expliquer davantage comment les bracelets électroniques peuvent être des outils réactifs qui ne s'attaquent pas aux causes profondes présentes dans nos systèmes actuels, qui eux-mêmes perpétuent l'augmentation de la violence entre partenaires intimes?
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Certainement. Merci de votre question.
Je crois qu'il est très important de souligner ce que vous venez de dire, à savoir que le fait de privilégier la surveillance électronique, qui fait partie intégrante du système de justice pénale, éloigne beaucoup de survivants de l'accès au soutien. Femmes autochtones, femmes noires, communautés racialisées et migrantes.... Beaucoup n'iront pas voir la police pour les raisons que vous avez évoquées. Le mécanisme de sécurité n'est même pas à leur disposition et les femmes de ces communautés ne l'utiliseront pas.
Quand nous disons qu'il s'agit d'une réponse réactive, nous voulons dire que nous devons réfléchir à l'affectation de nos ressources. Nos ressources devraient être dirigées davantage vers des réponses proactives et préventives. Les véritables solutions à la violence entre partenaires intimes résident dans les investissements effectués dans les services communautaires et les logements, dans l'extension des réseaux de refuges et dans la mise à disposition de ressources en matière de santé mentale. Les refuges sont constamment pleins et on doit refuser l'entrée aux femmes.
Les ressources engagées dans le système pénal pourraient être transformées en un système d'aide sociale efficace et fonctionnel ...
Je ne manque pas de respect envers le travail que vous faites. Cela est tellement...
Ce qu'elles ont dit est honteux et donc j'aimerais juste lire ce que les victimes ont dit.
Je cite Mme Martine Jeansen: « Le groupe de 100 femmes et toutes les personnes avec lesquelles on travaille attendent juste que vous adoptiez ce projet de loi. Ces personnes attendent juste ça. Le groupe existe toujours et demande si le dossier avance et où on en est rendu ».
Et je cite encore Mme Jeansen: « Voilà pourquoi les femmes ne veulent pas dénoncer les agresseurs. Par contre, si elles savent qu'elles sont entendues, si on commence à voir l'utilisation de bracelets électroniques et qu'on commence à voir des jugements favorables aux femmes, ces dernières se diront que, si elles portent plainte, on mettra un bracelet à leur agresseur et il ne reviendra pas les attaquer par la suite ».
Je crois que ce qui est honteux est ce que je vous entends dire... Ce n'est pas personnel. C'est juste que vous dites que les criminels ont le droit d'être libres. Qu'en est‑il des femmes et des enfants qui, en ce moment même, restent chez eux, terrifiés? Leur agresseur est en liberté. Grâce au projet de loi des libéraux, vous pouvez purger une peine pour un crime violent, un crime commis avec une arme à feu, en étant assigné en résidence. Ces enfants, ces femmes vivent dans la peur, et le créneau pendant lequel vous pouvez le faire est très petit. C'est ce que fait ce projet de loi. C'est pourquoi je dis que ce que vous avez dit à ces victimes aujourd'hui est honteux. Je connais le travail que vous faites. Elizabeth Fry accomplit un travail extraordinaire dans ma collectivité, mais ce que vous avez dit aujourd'hui est insultant.
Le volet prévention est crucial, à 100 % et ce n'est pas ce dont il s'agit dans ce projet de loi. Faut‑il apprendre aux hommes à être gentils? Faut‑il leur apprendre la différence entre violence et colère? Oui. Devons-nous leur apprendre tout cela? Oui, à 100 %, mais si vous ne voyez pas la valeur de ce projet de loi, qui protégera les femmes et les enfants aujourd'hui, alors nous sommes très profondément en désaccord.
Je vous remercie, madame la présidente. Je n'ai pas de véritables questions à part celle‑ci: allez-vous soutenir ce projet de loi, oui ou non? Ce sera ma dernière question à tous les témoins.
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Je vous remercie. J'apprécie beaucoup les voix que vous nous faites entendre aujourd'hui.
Ma prochaine question s'adresse à Mme Coyle.
Je vais revenir sur certains points que vous avez mentionnés. Il semble que beaucoup d'arguments pour l'amendement de ce projet de loi tournent autour de l'idée que certaines choses sont redondantes, d'autres ne sont pas nécessaires, d'autres… enfin, l'agent serait mieux dépensé ailleurs.
Ce que je n'ai pas entendu c'est si ce projet de loi pouvait causer des torts. Quand vous regardez quelque chose et que vous dites que c'est déjà dans le code criminel c'est très différent que de dire que, si ce projet de loi était adopté, il y aurait des conséquences imprévues qui n'étaient pas dans l'intention du législateur.
Je tiens également compte du fait que lorsque nous avons entendu des témoins auparavant, ils ne parlaient pas uniquement d'un sentiment de sécurité ou de sûreté, mais encore de l'effet dissuasif qu'aurait par exemple un bracelet, ainsi que la possibilité de prouver en cour où se trouvait la personne si elle contrevenait à ses conditions.
Je vois que Mme Niman hoche la tête. J'adresse la question à Mme Coyle et, s'il reste du temps, je demanderais aux autres témoins de répondre.
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Merci, madame la présidente.
Après avoir examiné le rapport « Rebâtir la confiance », j'avais plus d'une centaine de recommandations en tête, mais il en contient plus précisément 190. Comme je le disais tout à l'heure, ce rapport a vraiment examiné la question de la violence conjugale dans un continuum, du tribunal jusqu'à la prévention, en passant par les bracelets électroniques. Je serais bien curieuse de voir l'étude que le Québec est en train de faire à ce sujet. Il serait important de voir les effets positifs qu'on est en train de constater sur le terrain à la suite de ce rapport.
Ce projet de loi est déposé dans un contexte où, encore ce matin, après Toronto, ce sont les comtés de Prescott et Russell qui qualifient cette violence d'« épidémie ». Même Antònio Gutteres a déclaré que les violences envers les personnes pendant la pandémie de la COVID-19 constituaient une épidémie dans l'ombre.
On constate que la violence a des conséquences et que certaines personnes sont plus touchées que d'autres. Le rapport final de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a mis en lumière les difficultés pour ces dernières de se tourner vers le système, de déclarer leur situation et de faire confiance au système.
Madame Niman, j'aimerais que vous nous parliez de ce qui pourrait être apporté au projet de loi ou ce qui pourrait y être bonifié pour mieux soutenir les femmes et les filles autochtones. Que pourrait-on faire de plus?
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens à souligner que je pense que nous sommes tous sur la même longueur d'onde en ce qui concerne la lutte contre la violence entre partenaires intimes. Nous sommes tous très préoccupés par cette question. Je sais que je m'y suis intéressée de près au cours de ma carrière.
Cela dit, je pense qu'une chose dont nous devons nous souvenir en tant que législateurs, c'est que bon nombre d'entre nous n'ont pas vécu cette expérience et que c'est nous qui établissons les lois. L'une de mes préoccupations est précisément le fait que les personnes qui sont surreprésentées dans les cas de violence entre partenaires intimes n'utiliseront même pas ce système, parce qu'elles n'obtiendront pas de réponse. L'enquête nationale nous l'a appris. Lorsque les femmes et les filles autochtones et les 2ELGBTQQIA appellent à l'aide, que ce soit pour faire face à la situation ou même pour les rechercher, personne ne répond à l'appel.
Je voudrais que vous nous en disiez plus à ce sujet, madame Niman. Vous avez parlé d'un amendement. Pourquoi cet amendement est‑il si important si nous voulons nous occuper de la majorité statistique des personnes qui subissent des violences de la part d'un partenaire intime?
Ma réponse s'appuie sur la perspective de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Elle oblige les législateurs à élaborer des lois qui tiennent compte des droits des peuples autochtones. En vertu de l'article 22 de ce traité international sur les droits de la personne et de la loi nationale, les États sont tenus de prendre des mesures pour protéger les personnes vulnérables, en particulier les femmes autochtones, contre la violence.
Bien que ce projet de loi vise à réduire la violence entre partenaires intimes, et à la prévenir dans certains cas, il n'est tout simplement pas adapté aux expériences vécues par les femmes autochtones. Par conséquent, nous craignons que, même s'il aide certaines victimes, il n'ait pas d'incidence sur les expériences vécues par les personnes qui se méfient du système colonial qui les opprime et qui se méfient des gens qui sont censés les protéger, mais qui, souvent, ne le font pas.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je voudrais juste répondre à l'argument disant que ce projet de loi recoupe ce qu'a fait le projet de loi , si ma mémoire est bonne. Ces deux projets de loi interviennent dans deux parties complètement différentes d'un processus. Il s'agit ici d'un projet de loi qui agit en amont, là où plusieurs femmes vivent de la violence conjugale et sont complètement démunies. Je parle des femmes, parce que ce sont beaucoup plus souvent des femmes.
Nous avons entendu des témoignages assez poignants, lundi, probablement parmi les pires que j'ai entendus. Vous m'avez entendu réagir. À un moment donné, c'était devenu insupportable à entendre. J'ai donc de la difficulté à concevoir comment ces femmes peuvent continuer à survivre comme elles le font, avec autant de force, après avoir vécu cette violence.
J'aimerais aussi préciser que l'association Femmes autochtones du Québec a appuyé l'initiative québécoise concernant l'utilisation du bracelet électronique, dont Mme Larouche et moi avons beaucoup parlé aujourd'hui et qui est un phare en la matière. C'est une expérience positive. Dans ce domaine, comme dans d'autres, nous pouvons nous inspirer du Québec, et je le dis sans gêne.
C'est ce que nous essayons de faire avec ce projet de loi, qui a été déposé et parrainé par le sénateur Boisvenu, avec toute son ardeur et son cœur. Je rappelle qu'il a vécu un drame majeur, c'est-à-dire la perte de sa fille, qui a été assassinée. Il a consacré toute sa vie à cette cause, soit la protection des femmes.
Au début de la semaine, nous avons entendu deux témoignages, celui de Diane Tremblay et celui de Martine Jeanson. Elles sont venues nous dire, sans ambages ni équivoque, à quel point il était important d'appuyer ce projet de loi. Je ne pense pas que quiconque ici ait l'intention de faire de la petite politique dans ce dossier. Je ne sens pas cela, en tout cas. Nous essayons de faire ressortir les meilleurs éléments possible de ce projet de loi, mais nous avons tous et toutes entendu lundi le témoignage de ces femmes. Elles nous ont dit de ne pas perdre de temps et qu'il fallait appuyer ce projet de loi, et ce, sans amendement. C'était un cri du cœur.
J'aimerais vous lire un petit passage du témoignage de Mme Tremblay: « Je ne peux pas vous dire à quel point le bracelet électronique sera vraiment très important une fois le projet de loi adopté. »
Personne n'a dit que ce projet de loi était l'unique solution. D'ailleurs, celui-ci prévoit d'autres outils, notamment la thérapie et la révision de l'article 810 du Code criminel, lequel ne sert à peu près à rien. Je continue à citer Mme Tremblay: « Quand nous demandons que le projet de loi ne soit pas modifié, nous avons nos raisons. Nous sommes devant vous à vous dire ce qui se passe. S'il y en a qui le savent, c'est bien nous. Nous voulons nous protéger, nous voulons protéger nos enfants. »
Mesdames, j'entends ce que vous dites aujourd'hui et je vous en remercie. Vous avez pris du temps pour préparer vos mémoires. Toutefois, de toute évidence, nous ne sommes pas d'accord avec vous, et nous voulons le dire pour que ce soit enregistré. Nous voulons que ce projet de loi franchisse toutes les étapes. Nous vous remercions d'être venues nous rencontrer, mais, de toute évidence, nous ne trouverons pas de terrain d'entente, parce que, pour nous, le projet de loi est fondamental. C'est un outil majeur qui aidera concrètement les femmes qui, partout au pays, ont peur pour elles, mais aussi pour leurs enfants.
Madame la présidente, j'exhorte donc l'ensemble des parlementaires, les témoins qui sont ici et les associations qu'elles représentent à reconsidérer leur position sur ce projet de loi et à se joindre à nous. Il n'y a rien de parfait. Personne ne dit que c'est parfait, mais tout le monde dit que c'est mieux que rien. Dans cette perspective, je crois qu'il faut aller de l'avant.
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Merci, madame la présidente.
Je veux faire une observation avant d'entamer mes questions.
Comme ma collègue l'a dit, nous voulons trouver ce qu'il y a de meilleur dans le projet de loi. Les politiques ne sont pas élaborées avec des questions à répondre par oui ou non. Les nuances sont importantes. Aujourd'hui, ces nuances signifient le respect des victimes racisées et autochtones.
Ma question s'adresse à vous, madame Niman.
Très brièvement, quels sont les amendements que vous souhaiteriez voir adopter pour protéger les femmes et les femmes autochtones?
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Nous passons beaucoup de temps à réfléchir à la question de la violence entre partenaires intimes dans le cadre d'un texte législatif précis. Cette mesure législative précise se concentre certainement sur l'article 810 et sur le fait de permettre aux personnes qui ont subi de la violence entre partenaires intimes de mieux se faire entendre.
Cependant, ce que nous ne faisons pas, c'est prendre du recul et faire ce que l'enquête de la Commission des pertes massives nous a demandé de faire, ce que l'enquête Renfrew nous a demandé de faire, ce que le rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous a demandé de faire, et ce que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, en particulier la recommandation no 30, nous a demandé de faire. Ils nous ont demandé de réduire le nombre d'Autochtones dans nos prisons. Nous ne prenons pas de recul et ne faisons pas cela. Nous consacrons plutôt tout notre temps et toute notre énergie à un tout petit texte législatif qui ne fera pas ce dont nous avons besoin pour lutter contre l'épidémie de violence entre partenaires intimes.
Les survivants vous diront qu'ils ont besoin de travailleurs sociaux. Ils ont besoin d'un revenu de base universel, d'une aide financière, d'un logement, de ressources adaptées à leur culture, de médiateurs, de spécialistes de la violence conjugale, de refuges, de pairs, d'une intervention communautaire et d'une désescalade de la violence, d'un soutien des communautés religieuses, de services juridiques, de mesures de prévention des crises, de services de prise en charge de la toxicomanie et de l'alcoolisme et de services de santé mentale. Il y a toute une série de mesures que nous devrions prendre.
Nous ne devrions pas passer tout notre temps à examiner cette petite mesure législative qui ne fera pas ce que nous voulons qu'elle fasse.
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Bonjour, tout le monde.
Merci, honorable présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je suis Deepa Mattoo, avocate et directrice générale de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic à Toronto.
Je vous suis sincèrement reconnaissante d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui et de vous présenter la déclaration au nom de la clinique.
La clinique offre des services juridiques et une représentation qui tiennent compte des traumatismes, des conseils, un service d'interprétation multilingue et un soutien à la transformation du système aux femmes et aux personnes de sexe différent qui ont subi de la violence. Nos efforts sont ancrés dans les principes fondamentaux de l'intersectionnalité, de soins tenant compte des traumatismes subis et d'un dévouement indéfectible à une approche axée sur le client.
Dans mon exposé d'aujourd'hui, je veux mettre l'accent sur la voix de nos clients. Je vais exposer quatre points clés en réponse aux amendements proposés. Je parlerai de la façon dont ces changements sont liés aux expériences des survivants de violence fondée sur le genre, les conséquences pour les communautés marginalisées, une évaluation des conditions actuelles de notre système et, enfin, une recommandation pour une réforme du droit fondé sur des preuves.
En commençant par la voix des survivants, je voudrais exprimer mon soutien au paragraphe 515(3.1) proposé. Nous pensons que c'est un pas dans la bonne direction que d'exiger du juge de paix qui supervise l'enquête sur le cautionnement qu'il demande au procureur si le partenaire intime de l'accusé a été consulté au sujet de ses besoins en matière de sécurité.
Cela souligne l'importance de prendre en considération le bien-être et les préoccupations du partenaire intime et donne l'occasion aux survivants d'expliquer ce qu'ils craignent et ce que les ordonnances des tribunaux pourraient leur apporter. Nous nous demandons toutefois si cette disposition va assez loin. Existe‑t‑il un moyen de s'assurer non seulement que les survivants sont consultés, mais aussi que leurs préoccupations sont effectivement présentées à la cour afin d'évaluer la manière dont les conditions y répondent?
Dans le même ordre d'idées, le paragraphe 515(14.1) proposé exige que le juge demande si le survivant a été informé de son droit à une copie de l'ordonnance du tribunal. Nous pensons que l'amendement pourrait également exiger qu'une copie soit fournie au survivant. D'après l'expérience de la clinique, les survivants peuvent attendre une semaine pour obtenir une copie des conditions de mise en liberté sous caution, qui sont habituellement de nature très générale, plutôt que d'être adaptées aux préoccupations précises en matière de sécurité soulevées dans le cadre de la procédure judiciaire.
En ce qui concerne l'amendement à l'article 810.03 proposé, qui crée une ordonnance d'engagement précisément pour les situations de violence entre partenaires intimes, nous recommandons une approche supplémentaire axée sur le survivant. La protection devrait être disponible pour les partenaires intimes actuels et antérieurs, car notre expérience montre que la violence peut persister après la séparation des partenaires et, dans de nombreux cas, s'aggraver jusqu'à devenir mortelle au moment de la séparation. En outre, les dénonciateurs qui demandent une ordonnance d'engagement devraient avoir la possibilité de se présenter au tribunal un jour différent de celui du défendeur.
Je veux insister sur le fait que de nombreux amendements dans le projet de loi sont un pas vers l'autonomisation des personnes qui craignent de subir des préjudices de la part de leurs partenaires intimes et reflètent votre engagement à créer un environnement juridique plus sécuritaire et plus réactif. Toutefois, je voudrais signaler qu'il y a des répercussions involontaires pour les communautés historiquement marginalisées d'origine autochtone, les Noirs, les personnes sans statut, les communautés de migrants et les personnes handicapées. D'après nos observations, ces conséquences peuvent être les suivantes.
La première est une utilisation abusive du système ou de fausses accusations à l'encontre des survivants. Les sociétés Elizabeth Fry vous ont expliqué en détail comment le système est parfois difficile pour les survivants lorsqu'ils ont cette relation complexe et qu'ils sont accusés.
La deuxième est l'effet dissuasif sur les signalements. C'est une autre de nos craintes: les répercussions juridiques pourraient dissuader involontairement les personnes qui doivent réellement signaler leurs problèmes. Il est essentiel de s'attaquer à tout obstacle susceptible de décourager les gens de demander les protections dont ils ont besoin.
La troisième est la pression sur des ressources juridiques déjà limitées. Je suis persuadée que ce comité a entendu d'autres personnes sur ce sujet également. Les ressources juridiques sont déjà très sollicitées dans ce pays. Des mesures adéquates devraient être mises en œuvre pour gérer les arriérés éventuels et maintenir l'efficacité du système judiciaire si ces amendements sont adoptés.
La quatrième est la stigmatisation des personnes accusées. Nous devons être vigilants quant à la stigmatisation sociétale involontaire à laquelle les personnes accusées peuvent être confrontées, même si leur innocence est prouvée par la suite. Les perceptions du public peuvent avoir des répercussions durables sur la vie personnelle et professionnelle des gens. Elle peut également mener à une criminalisation accrue des communautés marginalisées — les survivants qui ne parlent pas anglais, les survivants issus de communautés de migrants, les survivants autochtones et noirs.
Je suis d'avis que les changements apportés au paysage juridique comme celui‑ci doivent aller de pair avec un soutien supplémentaire en matière d'aide juridique pour les survivants et les options...
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Merci, madame la présidente. Merci également aux membres du Comité. Je suis ravie de venir témoigner. Merci beaucoup de vous intéresser au point de vue de la John Howard Society sur le projet de loi .
La John Howard Society est un organisme de bienfaisance dont la mission est de donner une réponse efficace, équitable et humaine aux causes et aux conséquences de la criminalité. Elle se penche sur la prévention de la criminalité et sur les conséquences appropriées et efficaces à donner aux auteurs d'actes criminels.
L'éradication de la violence entre partenaires intimes est un objectif qui fait consensus. Or, notre analyse du projet de loi révèle que cette mesure renferme très peu de choses qui contribueraient à éliminer la violence.
Les modifications proposées dans le projet de loi touchent aux dispositions sur la mise en liberté provisoire, ou libération sous caution. Elles prévoient également une ordonnance d'engagement pouvant être rendue en cas de craintes liées à la violence familiale.
Les dispositions sur la mise en liberté provisoire, comme l'ont souligné d'autres témoins, accordent une grande place à la surveillance électronique comme condition de libération avant procès si le procureur général en fait la demande.
Soulignons d'abord que les études sur la surveillance électronique comme instrument de prévention de la criminalité n'ont pas donné de résultats concluants.
Ensuite, la technologie est très coûteuse. Il est important de préciser qui assumera les frais du dispositif et de la surveillance. Pouvons-nous présumer que ces frais sont assumés par le procureur général, puisque c'est lui qui en fait la demande? Ce n'est pas toujours le cas. Souvent, les personnes qui sont libérées sous caution ou qui écopent de peines à purger dans la communauté doivent payer elles-mêmes leur dispositif de surveillance. Cette règle renforce un préjugé de classe bien présent dans le système de justice pénale faisant en sorte que l'accès à ce système soit beaucoup plus facile pour les nantis que pour les personnes pauvres ou marginalisées, notamment les membres des communautés noires et autochtones.
La disposition de l'inversion du fardeau de la preuve proposée à l'alinéa 515(6)b.1) reproduit la disposition controversée du projet de loi . Conformément à ces dispositions, les absolutions pourraient au même titre que les condamnations antérieures déclencher la disposition de l'inversion du fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution dans le cas d'infractions antérieures de violence entre partenaires intimes. Bon nombre de témoins qui ont comparu devant le Sénat à propos du projet de loi ont dit que l'inclusion des absolutions pourrait entraîner des contestations fondées sur la Charte.
Cette application presque rétroactive de la disposition est troublante. Cette disposition touche de nombreux accusés, dont des femmes — qui sont elles aussi souvent inculpées lorsque la source du conflit familial est floue — qui ont plaidé coupables pour une infraction qui aurait pu être contestée en sachant que l'absolution n'entraîne pas ultérieurement de conséquences négatives sur le plan de la justice pénale. Or, conséquences il y aurait au titre du projet de loi.
Quoi qu'il en soit, la disposition du projet de loi sera acceptée ou rejetée en premier, ce qui rendra l'autre, selon le cas, redondante ou incompatible avec la volonté du Parlement.
Les ordonnances d'engagement sont le deuxième aspect préoccupant. De notre point de vue, la prolifération des ordonnances rendues au titre de l'article 810 lorsque des personnes craignent que certains crimes soient commis ultérieurement est inutile et constitue une mauvaise politique. Les articles 810 et 810.2 existants, qui visent précisément la violence entre partenaires intimes, offrent déjà des recours aux personnes qui craignent que soit commise une infraction de violence familiale.
Notons que l'engagement lié à la violence entre partenaires intimes prévu dans le projet de loi est rendu en cas de craintes liées à des infractions causant des lésions personnelles, même si l'engagement prévu à l'article 810.2 existant est déclenché par la « crainte de sévices graves à la personne ». Le deuxième engagement s'applique donc aux personnes qui posent une menace de préjudice plus grave que le premier. Pourtant, dans le projet de loi , l'engagement de l'article 810 est assorti de conditions beaucoup plus sévères que les conditions dont est assorti l'engagement de l'article 810.2. Nous avons donc l'impression que la réponse est disproportionnée et inéquitable par rapport à la gravité du risque posé.
Des modifications sont également apportées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, mais je ne vais pas m'y pencher, car je vais manquer de temps.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Madame Latimer, merci de vous être déplacée aujourd'hui pour comparaître devant notre comité.
Nous avons les transcriptions des témoignages qui ont été entendus lundi, et je vais vous lire un petit bout du témoignage de Mme Diane Tremblay:
Le port du bracelet électronique permettrait de dresser un périmètre de sécurité entre la victime et son agresseur et aurait l'avantage de prouver le non-respect des conditions imposées [...] Malgré les nombreuses fois où j'ai dénoncé mon agresseur, il s'en est toujours tiré indemne, contrairement à moi. Alors, je vous en prie, pensez sérieusement à imposer le port du bracelet électronique. Selon moi, c'est un incontournable. Nous avons besoin d'être entendues et respectées dans nos droits et nos besoins vitaux.
Je suis un peu surprise que vous veniez nous dire aujourd'hui de ne pas adopter, du moins pour l'instant, le projet de loi . Je pense que vous étiez dans la salle tout à l'heure. Je suis vraiment très surprise, et je suis même sans mots, compte tenu des...
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais commencer en remerciant les témoins des deux groupes de se présenter devant le Comité pour exprimer leur point de vue et pour nous faire part de leur expérience avec les communautés sous-représentées dans la société, mais surreprésentée dans les prisons. Je trouve intéressant d'entendre les différentes perspectives, car l'élaboration de mesures législatives doit tenir compte de tous les points de vue. Sachez que je suis très reconnaissante de vous avoir parmi nous aujourd'hui.
Je vais adresser ma question aux deux témoins. Vous avez parlé des lacunes du projet de loi . Vous avez souligné que cette mesure ne prévoyait pas grand-chose pour prévenir la violence entre partenaires intimes. Vous avez mentionné également que certaines dispositions pourraient accroître le danger que courent déjà certaines communautés. En fait, elles pourraient nuire à des victimes et creuser les inégalités déjà présentes dans la société.
J'espère que vous avez entendu les témoins précédents. Elles ont formulé des recommandations et proposé certains amendements qui pourraient être apportés à la version actuelle du projet de loi.
Voulez-vous ajouter quelque chose qui n'a pas encore été mentionné à propos d'amendements en particulier qui permettraient d'intégrer au projet de loi des mesures de prévention ou qui aideraient les personnes qui ne se sentent pas protégées par le système judiciaire ou par la police? Quels éléments ajouteriez-vous au projet de loi si nous ne le rejetons pas au complet et que nous finissons par l'adopter? Pourriez-vous nous décrire plus précisément les éléments manquants?
Je vais commencer avec Mme Mattoo, car je la vois à l'écran, suivie de Mme Latimer.
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Il y a deux choses vraiment importantes que j'ajouterais aux amendements que j'ai proposés au début.
Aucun amendement ne comporte de liens avec les causes des comportements criminels ou de stratégies complètes qui pourraient s'y attaquer. Aucune proposition ne vise l'intégration des soins en santé mentale, du traitement des dépendances ou d'un soutien social qui faciliterait la réadaptation. L'accent est beaucoup mis sur les nouvelles conditions, mais aucune disposition n'énonce que ces conditions devraient aller de pair avec les services qui jouent un rôle essentiel dans la prévention des comportements criminels.
Je pense aussi que le libellé du projet de loi est ambigu, surtout les dispositions sur les engagements assortis de conditions, qui laissent trop de marge à l'interprétation et à l'application, ce qui pourrait donner lieu à des contestations judiciaires. En outre, des efforts concertés devraient être consentis pour éliminer du système les biais à l'encontre des communautés marginalisées. Des termes juridiques plus précis devraient être employés afin de favoriser une application plus uniforme et transparente de la loi.
Voilà les deux points que je voulais ajouter et qui devraient être pris en compte si le projet de loi est adopté.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Mesdames Latimer et Mattoo, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui pour vous exprimer sur le projet de loi .
Madame Mattoo, par rapport au nouveau paragraphe 515(3.1) qu'on propose d'ajouter au Code criminel, le juge saisi de la demande de mise en liberté provisoire doit d'abord vérifier « auprès du poursuivant que le partenaire intime du prévenu a été consulté au sujet de ses besoins en matière de sécurité », au cas où ce serait lui qui est la victime de l'infraction alléguée.
L'actuel paragraphe 515(3) indique que le juge chargé de prendre une ordonnance tient compte du « fait que le prévenu est accusé ou non d'une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime ». Dans le cas où la victime présumée n'est pas le partenaire intime de l'accusé, est-ce qu'il y a d'autres choses qu'on devrait faire pour protéger le partenaire intime ou la victime?
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Je peux volontiers en dire plus. Merci beaucoup d'avoir posé la question.
Notre organisme — je veux que le Comité le sache — reçoit au moins cinq appels de survivantes par semaine, de la part de femmes survivantes ou de personnes survivantes de diverses identités de genre qui font l'objet d'un contrôle coercitif et qui sont criminalisées en raison de la manière dont les accusations sont portées.
Je trouve les changements proposés préoccupants en raison de la criminalisation des survivantes appartenant à certains groupes, tels que les personnes racisées, les Autochtones, les Noirs, les personnes sans statut légal et les migrants. Les ordonnances en question pourraient instaurer un environnement permettant aux agresseurs — des hommes dans les cas dont nous nous occupons — de porter de fausses accusations ainsi que dissuader les survivantes qui veulent dénoncer leur agresseur.
En théorie, je trouve excellente l'idée de créer un espace pour accueillir et soutenir les personnes qui veulent parler, mais en pratique, cette proposition risque d'exercer une pression sur les ressources limitées du système. Il faut par ailleurs que cet espace offre aux survivantes des avis juridiques indépendants. Dans le projet de loi, c'est la grosse pièce manquante du casse-tête. S'attend‑on que les survivantes se débrouillent toutes seules?
Même si cela peut se retourner contre elles, les survivantes sont...
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Pour mémoire, je sais que le ministre libéral devait mettre à jour la Charte des droits des victimes, mais cela n'a pas été fait.
Concernant la réforme de la mise en liberté sous caution, les libéraux ont adopté le projet de loi , qui permet aux délinquants sexuels dangereux de servir leur peine en liberté sous caution. Vous pouvez imaginer comment se sentent les victimes.
Compte tenu de ce changement législatif, pensez‑vous que les victimes méritent des initiatives, des politiques et des projets de loi comme le projet de loi , pour avoir plus de droits? Évidemment, les victimes seront consultées sur les bracelets électroniques, qui leur donneraient bien plus de pouvoir.
Je demanderais à Mme Mattoo de répondre à cette question.
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Je vous remercie beaucoup de cette question.
À savoir si nous devrions adopter une approche plus centrée sur les clients et les victimes — je parle plutôt de survivantes — dans les projets de loi et s'il devrait y avoir plus de réformes législatives en ce sens, je dirais que oui, tout à fait, mais je vous répondrais que toute réforme législative doit se fonder sur la science. Il faut financer convenablement la recherche sur les réformes législatives. Ces réformes et les projets de loi doivent s'accompagner d'une évaluation d'impact. Il faut une évaluation indépendante externe des [difficultés techniques] nouveaux changements et il faut financer tout ce travail.
Malheureusement, vous voyez que bon nombre d'entre nous ont une réaction viscérale à ce projet de loi, parce qu'il pourrait aggraver le problème au lieu de le régler. Selon mon expérience sur le terrain, bien des survivantes constatent que les lois visant à les protéger sont utilisées à leurs dépens.
J'espère que ma réponse vous aide.
C'est intéressant, parce que ce rapport a été fait d'une façon non partisane à Québec par tous les partis politiques, peu importe leur allégeance.
J'ai regardé la composition du comité d'experts. On y trouve: Mme Élizabeth Corte, juge en chef de la Cour du Québec de 2009 à 2016; Mme Maggie Fredette, coordonnatrice du CALACS de l'Estrie; M. Jean-Thierry Popieul, intervenant et coordonnateur clinique du CAVAC de Montréal; M. Sylvain Guertin, enquêteur spécialisé: Mme Deborah Trent, travailleuse sociale et directrice du Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal: Mme Éliane Beaulieu, procureure aux poursuites criminelles et pénales: Mme Julie Desrosiers, chercheuse et professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval; M. Michel Dorais, chercheur et professeur titulaire à l'École de travail social et de criminologie de l'Université Laval; Mme Patricia Tulasne, comédienne et membre des Courageuses, mais aussi victime; M. Pierre Picard, consultant principal du Groupe de recherche et d'interventions psychosociales en milieu autochtone; Mme Arlène Gaudreault, présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes; M. Jean‑Marc Bouchard, fondateur du groupe Emphase de Trois‑Rivières; Mme Hélène Cadrin, fonctionnaire émérite et spécialiste en matière de violences conjugales; M. Simon Lapierre, chercheur et professeur à l'Université d'Ottawa. Je termine avec Mme Cathy Allen, coordonnatrice de la maison Alternative pour Elles.
Il y en a beaucoup d'autres et on a consulté très largement. Le document contient 190 recommandations. Parmi celles-ci, parce qu'on doit s'attaquer à la question de la violence fondée sur le genre d'une façon globale, il y a le port de bracelets électroniques qui est étudié en ce moment.
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Je vous remercie beaucoup.
Au Comité aujourd'hui, je pense que nous avons des points de vue divergents, mais un objectif semblable, soit de lutter contre la violence faite aux femmes, plus particulièrement. Cependant, je pense que nous devons mieux comprendre comment ce projet de loi, censé protéger les femmes, criminaliserait les victimes, qui sont bien souvent des femmes noires, autochtones ou de couleur. Au lieu de les aider, ce projet de loi les criminalise. Comment peut‑il en être ainsi?
Vous avez 1 minute et 45 secondes.
Si vous avez d'autres informations et amendements à nous soumettre, n'hésitez pas à le faire. Or, nous devons respecter notre échéance. Nous devons avoir en main tous les documents d'ici mercredi prochain à midi. Nous vous en serions très reconnaissants.
Je tiens à remercier sincèrement Mmes Mattoo et Latimer de leur présence ici aujourd'hui.
J'ai un ou deux commentaires à faire. Ce lundi, nous poursuivrons notre étude sur la traite des personnes. Nous recevrons bientôt la deuxième version du rapport, mais nous avons déjà terminé la conclusion et quelques petites choses de plus. C'est ce que nous examinerons, en plus des recommandations. Ce jeudi, nous reprendrons notre étude sur l'autonomisation économique. Lundi prochain, nous passerons à l'étude article par article. Puis jeudi prochain, nous accueillerons la .
S'il n'y a pas d'autres questions, la séance est levée.