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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 59e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se tient suivant un format hybride, c'est‑à‑dire que certains membres du Comité y participent en personne alors que d'autres le font à distance, à l'aide de l'application Zoom.
J'ai quelques observations à faire à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par visioconférence, vous devez cliquer sur l'icône du microphone pour ouvrir votre micro et ne pas oublier de le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation sur Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le parquet, le français et l'anglais. Les membres présents dans la salle peuvent se servir de l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Si vous voulez prendre la parole, veuillez lever la main. Si vous êtes sur Zoom, servez-vous de la fonction « Lever la main ».
Conformément à sa motion de régie interne concernant les tests de connexion avec les témoins, j'informe le Comité que tous les témoins se sont préalablement pliés à ces tests.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 1er février 2022, le Comité reprend son étude de la traite des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
Avant de vous présenter les témoins, je dois vous avertir que le sujet de notre étude est très délicat. Nous allons discuter de situations mettant en cause la violence qui risquent d'ébranler des téléspectateurs, des membres du Comité, du personnel ou quiconque a vécu des expériences analogues. Si vous éprouvez de la détresse ou si vous avez besoin d'aide, veuillez vous adresser à la greffière.
Je souhaite la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Tout d'abord, nous accueillons le sergent d'état-major Robert Chrismas, qui comparaît à titre personnel. Nous accueillons également Miriam Pomerleau, directrice générale pour le Québec du programme Échec au crime, ainsi que Maria Mourani, criminologue et présidente de Mourani-Criminologie.
Je vous remercie de vous être joints au Comité aujourd'hui.
Nous allons tout d'abord écouter la déclaration préliminaire du sergent d'état-major Chrismas.
Vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Lorsque vous me verrez commencer à agiter les doigts, je vous demanderais de conclure dans les 15 prochaines secondes.
Je cède maintenant la parole à M. Chrismas.
Tout d'abord, je tiens à remercier tous les membres du Comité et tous les témoins pour les services rendus à la population canadienne. Merci pour le travail important que vous faites en faveur du statut des femmes et des victimes de la traite de personnes au pays.
Par où commencer? J'ai des souvenirs qui me reviennent de l'époque où j'effectuais le concours de thèses Three-Minute Thesis à l'Université du Manitoba. Je vais voir ce que je peux aborder en cinq minutes, et je serai ensuite prêt à répondre à vos questions.
Je travaille au sein de la police depuis maintenant 34 ans. J'ai fait mes débuts dans une classe de recrues à Winnipeg, au Manitoba, à l'époque où se déroulait l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones. En 34 ans de service, j'ai été témoin de nombreux changements quant à notre manière d'aborder divers enjeux de société. La traite des femmes et l'exploitation des enfants constituent un terrible fléau sur lequel nous avons fait quelques progrès, mais j'estime qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Au moment de choisir un sujet de recherche pour ma thèse de doctorat en 2016, j'ai repensé à ma carrière, à ce qui me stimulait le plus, ainsi qu'aux domaines dans lesquels je pourrais accomplir le plus de progrès. J'ai ainsi décidé de revenir au travail que j'effectuais à l'unité de lutte contre l'exploitation 10 ans auparavant.
Dans l'étude que j'ai menée en 2016, j'ai essayé d'adopter une approche plus générale. Je suis allé sur le terrain et je me suis entretenu avec des gens provenant de divers horizons, notamment des politiciens, des décideurs, des influenceurs, des personnes qui travaillent au sein d'organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et, bien entendu, des femmes victimes de la traite qui m'ont confié leur histoire pour que je la transmette auprès de la population canadienne. Pour moi, il s'agit d'un engagement sacré de me faire le porte-voix de ces femmes dans des lieux comme celui‑ci.
Compte tenu du peu de temps dont je dispose, je tiens à mentionner que j'ai résumé l'ensemble de mes recherches et de mes recommandations dans un livre que j'ai rédigé en collaboration avec les presses de l'Université de Toronto. J'y aborde notamment la violence et l'oppression structurelles auxquelles beaucoup de femmes et d'enfants sont confrontés au Canada. Toutes ces formes de violence affaiblissent la résilience des victimes qui se sont retrouvées dans l'industrie du sexe. Je porte ce livre à votre attention parce que je pense que les conclusions et les recommandations qui s'y trouvent pourraient s'avérer utiles au Comité.
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Oui. Le livre s'intitule
Sex Industry Slavery: Protecting Canada's Youth, et il a été publié en 2020.
Les sujets que j'aborde dans cet ouvrage et les conclusions que j'en ai tirées ont débouché sur des recommandations tant concrètes que spécifiques. Ces recommandations portent sur la vulnérabilité des personnes prisonnières de l'industrie du sexe, des défis intersectionnels auxquels sont confrontés de nombreuses femmes et de nombreux enfants — souvent en raison des conditions sociales dont ils sont issus —, les besoins spécifiques aux personnes autochtones, la notion d'intersectionnalité, la prévention, ainsi que l'importance de la collaboration et de la coordination entre les diverses agences concernées. J'ai ainsi constaté qu'il existe de nombreux moyens d'améliorer l'efficacité des systèmes déjà en place pour protéger les victimes de la traite de personnes. J'aborde également la nécessité de déployer de nouvelles ressources, la formation et la sensibilisation, les politiques, et l'amélioration de solutions s'étant avérées efficaces.
J'ai apporté plusieurs exemplaires de mon livre. J'ai été convoqué à la dernière minute à cette séance, mais j'ai toutefois eu le temps de saisir quelques exemplaires dans ma bibliothèque et j'aimerais en faire don au Comité. J'espère que vous aurez l'occasion de les consulter.
L'une des principales conclusions que j'ai tirées est l'importance et la force des récits narratifs. Ayant obtenu mon doctorat sur la paix et les conflits, je suis à même de constater l'importance de la narration comme outil de consolidation de la paix. Les récits narratifs permettent en effet d'influencer le discours public et la société en général. Afin d'apporter ma contribution, j'ai écrit deux histoires, que j'ai publiées avec DIO Press: The River of Tears, et Dream Catcher. Je compte en faire don au Comité, et j'espère que plusieurs d'entre vous y jetteront un coup d'œil. En résumé, c'est l'histoire d'une jeune fille qui a été victime de la traite des personnes au sein de l'industrie du sexe.
Enfin, je tiens à mentionner un livre que j'ai co‑écrit avec la Dre Laura Reimer, et qui traite du processus de réconciliation: Our Shared Future: Windows Into Canada's Reconciliation. Ce livre a été composé à partir de chapitres rédigés par plusieurs leaders communautaires, dont beaucoup sont d'origine autochtone, et porte sur les initiatives qu'ils ont menées en matière de vérité et de réconciliation au Canada.
Sur ce, je crois que mon temps de parole est écoulé.
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Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de l'invitation à comparaître.
Je m'appelle Miriam Pomerleau et je suis directrice générale d'Échec au crime, pendant québécois de l'organisme Crime Stoppers.
Dans le cadre de sa mission, Échec au crime exploite un service téléphonique de collecte de renseignements sur des activités criminelles et, ce faisant, respecte l'anonymat complet des appelants qui font des signalements. L'organisme est indépendant des corps policiers, mais il collabore avec eux en leur fournissant des renseignements criminels qui aident à faire avancer les dossiers.
Échec au crime existe depuis 25 ans au Québec. Vous aurez compris que je ne suis pas en mesure de vous donner des statistiques du même type que celles d'une ressource d'aide aux femmes en difficulté. Par contre, notre organisme est un baromètre très sensible des mouvements de la criminalité. Vous en avez la preuve dans le mémoire que j'ai déposé et que vous pourrez lire subséquemment.
Ce qui est flagrant, c'est que les victimes d'exploitation sexuelle se taisent et choisissent elles-mêmes de ne pas recevoir l'aide que le système veut leur apporter. Elles sont conditionnées ainsi: si elles parlent, elles meurent.
La drogue est le moyen le plus efficace pour entretenir la servitude. On cherche par ce moyen à altérer le jugement des victimes afin qu'elles soient carrément désensibilisées, jusqu'à ce qu'elles deviennent de simples marchandises du commerce sexuel. Les organisateurs et les passeurs veulent que leurs proies soient fragiles. En état de consommation, elles sont faciles à contrôler. Le trafic de stupéfiants est donc directement lié à la traite des personnes, comme en témoigne le pourcentage de signalements reçus.
Les drogues préférées des trafiquants sont les opioïdes et les psychotropes.
Pensons notamment au carfentanyl, dont une seule dose est 10 000 fois plus forte qu'une dose de morphine. Coupé avec d'autres drogues, parce que les trafiquants ne veulent pas tuer leurs victimes sur le coup, le carfentanyl crée une dépendance presque instantanée. Ainsi, les trafiquants peuvent dominer leur marchandise, c'est-à-dire les filles et les femmes grâce auxquelles ils font leurs profits.
Pour ce qui est de la kétamine et du GHB, ces drogues créent une dissociation. Elles produisent un effet de détachement du corps et de non-conscience qui permet aux victimes d'accumuler les traumatismes. Celles-ci se retrouvent dans un état où elles acceptent absolument tout ce qui peut leur être infligé.
De plus, il y a des enlèvements. Des femmes et des jeunes filles sont kidnappées, on leur donne une identité fictive et on les force à offrir des services sexuels. Ce qui est le plus fréquent, c'est la séquestration graduelle. Les jeunes femmes ayant des antécédents de consommation sont amenées à avoir des rapports sexuels payants pour rembourser leurs dettes de drogue. On les recrute dans les bars, les écoles, les centres jeunesse, les centres d'aide aux dépendances, les gares d'autobus, les gares de train et les centres commerciaux.
Les gangs de rue innovent en recourant à la location de courte durée de logements qu'offre la plateforme Airbnb. Ils rendent ainsi encore plus anonyme le processus de marchandisage du sexe. Les victimes vont rencontrer les clients dans des logements loués, et l'aspect très privé permet aux trafiquants de se retirer dans l'ombre et de conserver l'argent généré par les services sexuels.
Les jeunes filles unilingues francophones de 12 à 17 ans qui proviennent du Québec sont extrêmement prisées dans le reste du Canada. En Ontario, en Alberta et en Colombie‑Britannique, la demande est très forte. Beaucoup de jeunes Québécoises se retrouvent en Ontario dans un marché très actif, ce qui s'explique par la grande facilité à traverser la frontière par voie terrestre et par le fait que l'article 65 de la Loi portant réforme du droit de l'enfance de l'Ontario permet aux jeunes de 16 ans ou plus de se soustraire à l'autorité parentale.
Il s'agit d'un problème récurrent. Pour l'enrayer, il faudrait créer des ententes interprovinciales. Les policiers du Québec devraient avoir des mandats d'amener qui sont bilingues et qui comportent une mention non contraignable selon laquelle c'est exécutable partout au Canada.
Dans son mémoire, Échec au crime formule deux recommandations.
Le 15 mars dernier, l'Assemblée nationale du Québec a adopté une motion disant que les drogues du viol sont un fléau et qu'il faut augmenter la disponibilité des tests de dépistage dans les hôpitaux et, graduellement, dans les pharmacies. C'est en 2023, soit 30 ans après la mise en marché illégale de psychotropes utilisés pour battre, violer et maintenir les victimes en état de soumission, que les grandes instances se réveillent. C'est non seulement inexcusable, mais insuffisant. Le manque de statistiques sur la question est directement lié au manque d'effectifs pouvant effectuer le dépistage. Cette motion s'en veut la preuve.
Alco Prevention Canada propose des tests fiables, sous forme de bracelets et de sous-verres, pour détecter le GHB et la kétamine. Il s'agit par contre de produits payants; ils ne sont pas donnés.
C'est ce qui explique notre première recommandation: il est impératif de lancer une campagne massive de conscientisation afin d'obliger les bars, les hôtels, les restaurants et les organisateurs de grands événements extérieurs à offrir un accès gratuit à des tests de dépistage du GHB et de la kétamine. Le besoin est flagrant. C'est maintenant que ça se passe.
Notre deuxième recommandation est la suivante.
Comme la mission d'Échec au crime en témoigne, nous sommes de grands passionnés de l'implication citoyenne. Ainsi, inspirés par l'idéologie de Truckers Against Trafficking Canada, nous recommandons la mise en place d'un programme de financement d'organismes favorisant le développement de regroupements de citoyens dont le rôle serait de surveiller les points de transition par transport terrestre et de collaborer avec les gouvernements provinciaux et les municipalités. Ces organismes pourraient offrir des commandites aux grandes entreprises canadiennes qui assurent le transport de voyageurs par autobus et par train, en échange de séances de formation offertes aux chauffeurs et au personnel de ces entreprises pour les aider à détecter la traite des personnes.
Énormément de gens veulent faire œuvre utile, alors donnons-leur une chance de le faire.
Merci.
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Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, bonjour. Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui.
Depuis 2016, je dirige une firme de criminologie qui fait de la recherche, conçoit des outils de prévention et offre des services de relation d'aide et de l'expertise judiciaire. En ce qui a trait à la traite des personnes, j'ai la grande chance de pouvoir rencontrer des victimes, mais également des trafiquants et des proxénètes. Cela me permet d'avoir une vision globale du phénomène dont je vais vous parler aujourd'hui. Je vais me concentrer sur la traite à des fins d'exploitation sexuelle.
Au Canada, la traite des personnes est, en grande portion, un phénomène interne. Les filles qui sont exploitées sont, en très grande majorité, des Canadiennes qui sont déplacées d'une province à l'autre ou d'une ville à l'autre. C'est la forme de traite la plus présente chez nous. Cela dit, il y a aussi des femmes étrangères, bien évidemment.
Avant d'aller plus au fond du sujet pendant la période des questions, auxquelles je me ferai un grand plaisir de répondre, je voudrais profiter des cinq minutes à ma disposition en ce moment pour aborder quelques mythes très puissants qui circulent énormément et qui obscurcissent un peu notre vision de l'exploitation sexuelle.
Un des mythes qui circulent beaucoup ces temps-ci, c'est que la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation érige en criminelles les personnes prostituées et rend plus dangereuse la pratique elle-même. En résumé, on dit que cibler l'achat de services sexuels serait une mauvaise chose. À mon avis, c'est tout à fait faux.
Cette loi, que j'estime être moderne, est basée sur le droit de vivre dans la dignité et dans l'égalité, et s'appuie sur le principe que nul ne peut acheter un être humain. En réalité, cette loi protège les personnes prostituées en leur attribuant un nouveau statut, soit celui de victimes. Celles-ci peuvent donc dénoncer une situation à la police. Malheureusement, plusieurs victimes ne le font pas, et ce n'est pas parce qu'elles ont peur de la police. C'est un autre mythe: on pense que les personnes prostituées ont peur d'être traitées comme des criminelles. C'est faux, car cette loi a décriminalisé la sollicitation, justement. Auparavant, c'était l'acte de sollicitation qui était considéré comme criminel. Ce n'est plus le cas, maintenant.
Actuellement, au Canada, nous avons une loi moderne qui nous place parmi les pays qui respectent le plus les droits de la personne. Aux termes de cette loi, ce sont les proxénètes et les prostitueurs, ceux qu'on appelle communément les clients, qui sont considérés comme des criminels.
Les prostitueurs sont ceux qui déterminent ce qui sera mis sur le marché. C'est exactement cela: c'est un marché qui fonctionne comme tous les autres marchés, soit en fonction de l'offre et de la demande. À l'heure actuelle, au Canada, le marché est composé de personnes adolescentes et de jeunes adultes. La majorité des prostitueurs sont des hommes, mais, soit dit en passant, ce ne sont pas tous les hommes qui ont recours à des prostituées. On estime qu'entre 11 % et 12 % des hommes au pays seraient allés voir une prostituée au moins une fois. Alors, ce ne sont pas tous les hommes. Il est faux de penser que beaucoup d'hommes le font. Ce sont certains hommes qui vont voir les personnes prostituées.
Bref, ces prostitueurs mettent en place un marché que les proxénètes vont leur donner. Ici, c'est un marché composé de personnes adolescentes et de jeunes adultes. Entre 12 et 22 ans, une personne est considérée comme une très bonne marchandise. À partir de 23, 24 ou 25 ans, ça va encore, mais une personne qui a plus de 25 ans est considérée comme trop vieille, sur le marché. Telle est la situation sur le marché.
Je termine en soulevant un point très important: nous devons renforcer la loi que nous avons mise en place, pour permettre aux policiers de faire des enquêtes. Il est extrêmement difficile, actuellement, de mener des enquêtes.
Je vais m'arrêter là, mais j'aurai d'autres points à discuter avec vous par la suite.
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Je peux vous faire part de ce que j'entends sur le terrain. Lorsque les enquêtes portent sur les proxénètes, cela fonctionne, les policiers ont les techniques pour pouvoir faire ces enquêtes. Par contre, lorsque les enquêtes concernent les prostitueurs, c'est extrêmement compliqué de faire la preuve de l'échange de services contre de l'argent. En fait, les policiers vont parfois utiliser des agents doubles pour faire enquête. Actuellement, certaines personnes font même des contestations sur la base du fait qu'il y avait des agents doubles. On relance donc la question de savoir s'il est légitime de recourir à des agents doubles.
Au fond, il est extrêmement difficile de démontrer qu'il y a eu achat de services sexuels. Les policiers sont obligés d'avoir recours à des agents doubles. Ils doivent pouvoir observer une telle transaction plusieurs fois, mais c'est très difficile de le faire dans des salons de massage, par exemple, qui sont des bordels, car la transaction se fait dans une chambre et le propriétaire de l'établissement ne touche pas à l'argent. Les policiers sont donc incapables de voir s'il y a vraiment échange d'argent. C'est extrêmement complexe.
Par conséquent, il faudrait voir comment on peut donner plus d'outils aux policiers. Pour ce faire, je ne sais pas s'il suffirait d'apporter une modification à la loi ou s'il faudrait plutôt se pencher sur les pratiques policières. C'est à vous de le déterminer.
L'autre problème, c'est que les personnes prostituées ou les personnes qui sont prises dans ces systèmes ne savent pas qu'elles sont protégées par la loi. Elles pensent vraiment que, si elles font une dénonciation, elles pourraient en subir les conséquences. Il y a un grand manque d'information sur ce plan.
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C'est une très bonne question.
En fait, c'est un peu à vous de voir comment vous pouvez renforcer la loi en question.
Je vous dirais que le problème réside vraiment dans l'accumulation de preuves. La difficulté sur le terrain actuellement, c'est la preuve.
En ce qui concerne les proxénètes, comme je le disais tout à l'heure, ça va. Les policiers travaillent là-dessus depuis des années. Lorsque la loi a changé, il a fallu un temps d'adaptation avant de pouvoir s'attaquer à l'achat de services sexuels et aussi à la publicité de ces services. Là encore, la publicité arrive très loin dans l'ordre de priorité des policiers.
Je pense que la situation est la même un peu partout au Canada, mais je vais parler du Québec. À partir du moment où il est question de mineurs, de groupes criminels, de drogue et d'armes, les policiers vont facilement intervenir. Malheureusement, c'est différent lorsqu'il s'agit de femmes de 18 ans. Or, comme je le dis toujours, quelle est la différence entre 17 ans et 18 ans? Il n'y en a pas.
J'ai vu des cas où des parents avaient demandé l'aide des policiers dans le cas d'une mineure de 17 ans, qui allait avoir 18 ans quelques mois plus tard. Les policiers sont intervenus pour sortir la mineure de ce milieu et du joug du proxénète. Par contre, les policiers n'avaient plus le même pouvoir d'intervenir lorsque, rendue à 18 ans, cette personne a dit qu'elle n'avait aucun problème et que le proxénète était son amoureux. C'est un peu comme ce qu'a raconté Mme Pomerleau tout à l'heure. Dans un système de manipulation comme celui-là, la personne arrive à croire que le proxénète est son amoureux. En fait, il y a deux cas de figure: soit la personne est terrifiée, soit elle est amoureuse. C'est ce qui explique que ce soit extrêmement difficile pour les policiers dans ces circonstances.
Dans le cas des prostitueurs, ceux qu'on appelle les clients, il est extrêmement difficile de faire la preuve de l'achat de services sexuels.
Ce que je dis, c'est qu'il faut vraiment miser sur la prévention dès maintenant.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les trois témoins, M. Chrismas, Mme Mourani et Mme Pomerleau, d'être ici dans le contexte de cette étude.
On constate que la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle est l'un des crimes en croissance dans le monde.
Madame Pomerleau, mes premières questions s'adresseront à vous.
En plus d'être porte-parole en matière de condition féminine, je suis également porte-parole en matière d'égalité des genres. On parle souvent de la statistique selon laquelle 96 % des victimes sont des femmes. Vous en faites d'ailleurs mention dans votre mémoire. Je m'en suis fait parler lors de notre mission, la semaine dernière. C'est aussi une statistique qui a été évoquée lors du colloque de deux jours tenu à Winnipeg.
J'aimerais quand même que vous nous parliez du fait que ce chiffre sous-estime le nombre de personnes membres des communautés LGBTQ+, et aussi d'hommes, à la rigueur, qui peuvent compter parmi les victimes de traite. Il faut aussi tenir compte de cela, quand on parle des chiffres et des statistiques en lien avec le trafic sexuel.
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Merci beaucoup, madame Pomerleau.
Comme vous le dites, il y a une sous-estimation de l'ensemble du phénomène. Les chiffres que l'on a ne montrent que la pointe de l'iceberg. On se rend compte qu'il est extrêmement difficile d'avoir les chiffres réels sur la traite des personnes et l'exploitation sexuelle, car c'est difficile à quantifier. Ces crimes sont en bonne partie cachés, c'est-à-dire qu'ils sont commis dans l'ombre par des organisations criminelles qui font tout pour laisser cela sous le tapis, de sorte qu'il soit difficile de trouver les victimes de ces crimes.
À ce sujet, en réponse à une question de mon collègue, vous avez abordé la question d'Internet et des médias sociaux. Au-delà du dossier actuel, on parle de plus en plus d'une loi qui serait en préparation sur la question de la haine en ligne et dans les réseaux sociaux. Inévitablement, une telle loi devra aussi aborder la question de l'exploitation sexuelle en ligne. En effet, c'est quelque chose que j'ai pu constater lors de mes tournées: tous les intervenants disent que ce genre de crime s'est beaucoup transformé pendant la pandémie et qu'il a maintenant cours sur le Web.
Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?
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Si on parle de haine en ligne, pourquoi ne parle-t-on pas tout de suite d'exploitation sexuelle en ligne? C'est interrelié.
Qu'il s'agisse de pornographie juvénile ou carrément de vente de personnes sur le Web clandestin — oui, cela existe —, les trafiquants et les consommateurs sont majoritairement des hommes. Cela dit, ils sont issus de tous les milieux; il peut s'agir de gens d'affaires, d'avocats, d'étudiants, de gens du milieu de la construction ou de l'informatique, par exemple. La demande augmente tellement rapidement qu'il devient extrêmement difficile de catégoriser ceux qui font naître la demande. Ce qui est clair, c'est que ce sont des hommes. L'arrestation des suspects le démontre très bien.
Bref, cela se transforme très rapidement.
Quelle était votre question, déjà?
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Vous en parliez d'emblée. Je pense que c'est une clé de la solution.
Nos policières et policiers sont formés pour intervenir en réponse à des appels d'urgence ou des plaintes. Leur travail est capital.
En ce qui concerne les points chauds du trafic sexuel, par exemple les salons de massage, les appartements de transition et les quartiers chauds, il faut miser sur la reconnaissance des acquis des travailleurs de rue. N'oublions pas qu'ils sont là depuis les années 1970. Ils ont un bagage et une expertise en lien direct avec les victimes d'exploitation sexuelle. Je ne comprends pas pourquoi on n'en tire pas profit davantage. Seigneur Dieu, favorisons leur recrutement et majorons leur salaire. Je trouve qu'on n'a pas assez recours à eux.
Aussi, l'approche de la police de proximité, ou de la police communautaire, est en effervescence en ce moment, et c'est une bonne chose.
Il faut favoriser ces corps de métiers.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je suis désolée de ne pas pouvoir être avec vous en personne. Je couvre un petit rhume alors j'ai jugé préférable de participer à la séance en ligne aujourd'hui.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les membres du Comité.
Ma première question s'adresse à Mme Mourani.
Dans votre témoignage, vous avez évoqué certaines des raisons pour lesquelles les victimes d'exploitation sexuelle peuvent avoir peur de se manifester.
Si je suis un peu enrhumée, c'est en partie parce que nous avons entrepris une tournée éclair, et je pense que mon corps me fait signe qu'il était temps de se reposer.
Vous avez entre autres dit qu'une partie du problème réside dans le fait que les victimes d'exploitation sexuelle comprennent mal leurs droits et la manière dont elles sont protégées par la loi. Lors de notre tournée, nous avons rencontré les membres d'un organisme à Halifax. L'organisme a réalisé un rapport portant sur les clients dans l'industrie du sexe. Ce rapport indique que 50 % des travailleuses du sexe ont reçu des sollicitations de clients qui étaient des policiers; 38,9 % avaient des clients qui étaient des professionnels, comme des médecins et des avocats; 27,8 % avaient des clients qui étaient des leaders politiques, spirituels ou culturels; enfin, 38,9 % avaient eu affaire avec des clients qui étaient leur propriétaire ou leur employeur.
Je le dis parce que les personnes qui sont censées protéger les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre semblent parfois être elles-mêmes des agresseurs. Pensez-vous que l'un des facteurs qui empêchent les victimes de se manifester est que les personnes auxquelles ils s'adressent pourraient être leurs propres clients?
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C'est une très bonne question, madame Gazan.
Je travaille depuis des années dans ce milieu, et je peux vous dire que les prostitueurs sont de toutes les classes sociales. C'est aussi le cas lorsqu'il s'agit de prostitution de personnes mineures. Cela peut être M. Tout‑le‑Monde, mais, bien souvent, ce sont des hommes de pouvoir, des gens d'affaires, des gens du milieu politique ou des gens de grands conglomérats. C'est un des éléments qui font que les personnes n'osent pas faire de dénonciations.
Ce que me disent les femmes, entre autres choses, c'est qu'elles ont peur de ne pas être crues. Elles se demandent ce que vaut leur voix par rapport à celle d'un homme politique ou d'un grand homme d'affaires très connu qui gagne des milliards de dollars. Par exemple, il y a eu quelques scandales de ce genre au Québec. Ces femmes se disent qu'on ne les croira pas. Alors, la peur qu'on ne les croie pas est une des raisons pour lesquelles les victimes ne font pas de dénonciations.
À propos de la peur, une recommandation que je pourrais faire au Comité serait d'abolir les fameux permis de travail fermés. Ceux-ci font que des filles venant de l'étranger supposément pour travailler dans des restaurants très huppés de Montréal, par exemple, finissent par travailler dans l'industrie du sexe contre leur volonté. Les soi-disant employeurs, qui sont en fait des proxénètes déguisés en propriétaires de restaurant, utilisent ces permis pour tenir en laisse ces femmes. Elles n'osent pas les dénoncer, parce qu'elles ont peur d'être renvoyées dans leur pays. Elles ont peur aussi...
Je disais que je représente la circonscription de Winnipeg-Centre, où Peter Nygard a bâti son empire de la mode. C'était un proxénète bien connu, qui se trouve actuellement en prison.
Je sais qu'une poursuite a été déposée contre lui à New York, et une autre à Toronto. Des conseillers municipaux de Winnipeg et des députés provinciaux ont été vus avec M. Nygard à la Barbade, pourtant personne n'a porté plainte. Aucune accusation n'a été déposée contre lui à Winnipeg, la ville où est basée son entreprise.
Dans le documentaire The Fifth Estate, des femmes qui n'avaient pas été crues ont eu l'occasion de se manifester. Êtes-vous au fait de ce cas? Avez-vous des recommandations à formuler à ce sujet?
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Je vous remercie. Je perçois votre compassion quand vous parlez. J'ai eu le privilège d'accompagner l'un des agents de ma circonscription, celle de Peterborough—Kawartha, qui travaillait à des cas de traite des personnes. Ce que j'ai constaté sur le terrain — et nous l'avons vu également avec la police de Halifax —, c'est qu'un grand changement de culture s'opère pour établir des liens, comme vous l'avez dit, plutôt que d'exécuter la loi. J'ai vraiment observé ce changement dans des services de police.
Nous avons constaté qu'il y avait un plus grand nombre d'incidents à Halifax, le plus grand nombre de cas de traite des personnes dans une métropole canadienne. C'est intéressant, car obtenir des données constitue l'un des grands problèmes. Entre autres théories, on disait que parce que la police était progressiste, parce qu'elle était ouverte et avait des relations plus souples, les gens étaient plus enclins à faire des signalements. Je pense que c'est intéressant. Je ne sais pas comment nous pourrions quantifier le tout. Encore une fois, c'est toujours difficile.
Madame Mourani, je vous remercie de votre témoignage. Je sais que vous avez beaucoup parlé de l'offre et de la demande. Cette approche suscite quelque peu la controverse. L'un des outils utilisés, que j'ai vu, c'était LeoList. Je ne sais pas si vous le connaissez. Connaissez-vous LeoList?
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Merci beaucoup de cette question.
En fait, il y a énormément de choses qu'on peut faire, mais qu'on ne fait malheureusement pas.
Je vais prendre l'exemple du Québec, que je connais très bien. Au Québec, on fait beaucoup de prévention dans les écoles et en collaboration avec des organismes communautaires. Cependant, on cible généralement ce qu'on appelle les populations à risque. À partir du moment où on considère que des populations sont à risque, on va faire de la prévention. On fait aussi de la prévention universelle, mais beaucoup moins.
Ce qu'on constate actuellement, c'est que le plus gros du recrutement des personnes d'environ 13 à 22 ans se fait dans les réseaux sociaux. On y observe une accélération de l'exploitation, autrement dit une accélération de la prostitution, ce qui comprend le recrutement et la mise en marché.
Plus de 90 % des jeunes, en tout cas au Québec, utilisent au moins un réseau social. Le plus populaire est YouTube. Il y a aussi TikTok et Snapchat, qui sont très populaires, de même qu'Instagram. Ce qu'il manque, c'est de la prévention dans les réseaux sociaux. À Mourani-Criminologie, nous concevons un outil en ce sens...
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Merci, madame la présidente.
Je vous remercie tous de vos témoignages très utiles.
Je voudrais revenir sur ce qu'a dit le sergent Chrismas.
Vous avez parlé du fait que l'on met trop l'accent sur l'application de la loi et le maintien de l'ordre et pas assez sur la prévention.
Une chose qui m'a frappée au cours de cette étude, et en particulier lors de nos déplacements de la semaine dernière, c'est l'utilité du Code criminel, qui comprend essentiellement deux pôles — quelque chose est soit légal, soit illégal —, par rapport à ce que nous disent les organismes axés sur les survivantes, qui parlent plutôt d'un spectre.
Mme Mourani a parlé des difficultés liées à l'application de la loi et Mme Pomerleau a parlé de la méfiance.
J'aimerais que vous nous expliquiez un peu comment, dans une société dont l'un des meilleurs outils — du moins à l'échelle fédérale — est le Code criminel, nous parvenons à faire fonctionner le tout dans une situation qui concerne les conditions sociales, une situation dans laquelle nous devons nous tourner vers la prévention et dans laquelle la question liée à la coercition par rapport à l'intervention... Rien n'indique à quel moment l'une se termine et l'autre commence.
Je me demande si vous pourriez nous donner votre avis ou faire des recommandations quant à la manière de procéder dans ce type de contexte.
J'invite d'abord le sergent Chrismas à répondre.
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À l'heure où on se parle, il n'y a pas grand-chose à faire du côté du Code criminel. Il faudrait plutôt mettre en place les ressources nécessaires pour appliquer le Code criminel, ce qu'on ne fait pas actuellement. Si les policiers axaient vraiment leurs actions sur les clients de services sexuels, un méchant paquet d'hommes auraient déjà été interpellés. Or ce n'est pas ce que disent les chiffres quant aux interpellations pour achat de services sexuels.
Là où il y a un problème, c'est en matière d'éducation. Il faut consacrer des ressources à l'éducation des clients potentiels. Il n'y a pas de ressources allouées pour venir en aide aux personnes qui vont voir les prostituées, ou pour les réhabiliter, même si je n'aime pas ce terme, c'est-à-dire pour faire en sorte qu'elles n'utilisent plus ce genre de services.
Il faut aussi faire de la prévention auprès des jeunes. Par exemple, je me suis rendue dans une école secondaire pour y donner un atelier de prévention sur le proxénétisme. Je parlais de peines d'emprisonnement à une bande de jeunes, et tout ce qui les intéressait, c'était de savoir comment ils pouvaient déjouer le système. C'est pour vous dire à quel point avoir de l'empathie pour l'autre, cela s'apprend quand on est tout petit. Je leur ai mentionné qu'il était question d'une peine maximale de 14 ans de prison, et cela les étonnait. C'est ce qu'ils ont retenu. Je leur ai ensuite précisé qu'une peine minimale était également prévue pour les cas où c'est une personne mineure. Ce qui les intéressait, c'était de savoir comment ils pouvaient déjouer le système.
Pourquoi est-ce ainsi? C'est parce que nous sommes dans une société qui banalise la prostitution. C'est comme un cancer: cela vous bouffe de l'intérieur. On aura beau investir des millions de dollars pour faire de la prévention dans les écoles, ce ne sera pas assez.
J'ai aussi rencontré des filles de 14 ans dans des écoles pour leur parler de prostitution. Encore là, elles essayaient de voir comment elles pouvaient gagner de l'argent. Elles me disaient que c'était comme un travail. C'est ce qu'elles avaient entendu dire.
Ce qu'il faut faire, c'est éliminer la banalisation de la prostitution et changer la culture de la société canadienne à cet égard, et c'est très difficile.
Nous allons reprendre la réunion puisque nous n'avons pas beaucoup de temps.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités du deuxième groupe.
Nous accueillons ici même, dans la salle, M. Mario Catenaccio, qui comparaît à titre personnel.
Nous recevons également Mme Jody Miller, qui représente l'organisme EFRY Hope and Help for Women; et Mme Joy Brown, agente de l'unité de mobilisation communautaire du service de police régional de Peel. Nous accueillons également, en ligne, Mme Andrea Scott, sergente de l'unité de lutte contre l'exploitation au Service de police de Winnipeg. Chacun et chacune d'entre vous fera tout d'abord sa déclaration préliminaire.
Monsieur Catenaccio, je vois que vous mettez votre écouteur, mais cela ne devrait pas être difficile. Je vais vous donner la parole pour les cinq premières minutes de votre témoignage.
La parole est à vous, monsieur Catenaccio, pour cinq minutes.
Madame la présidente, honorables députés de la Chambre des communes, je vous remercie de m'avoir invité à participer aux audiences.
Je m'appelle Mario Catenaccio. Bien que je témoigne à titre personnel et non en tant que représentant d'une agence ou d'une organisation gouvernementale, j'ai acquis des connaissances et de l'expérience en la matière lors de mon passage à l'Agence des services frontaliers du Canada.
J'ai commencé ma carrière à l'Aéroport international Pearson et j'étais aux premières lignes jusqu'à ce que je sois promu agent d'exécution de la loi au Centre d'exécution de la loi du Grand Toronto. Finalement, j'ai été choisi pour faire partie du Groupe de travail sur l'immigration, une unité spécialisée dans l'arrestation de fugitifs présentant un risque élevé.
Le Groupe de travail sur l'immigration avait pour mission de trouver les individus au Canada qui faisaient l'objet de mandats d'immigration non exécutés pour avoir commis des crimes graves ou qui étaient recherchés pour avoir commis des crimes graves dans d'autres pays. Nous étions également chargés de trouver et d'arrêter les individus que le SCRS considérait comme une menace pour la sécurité nationale après la signature d'un certificat de sécurité nationale par le gouvernement du Canada.
En 1999, on m'a choisi pour participer à un projet qui faisait intervenir différentes autorités et organisations compétentes. Il s'agit du projet Almonzo, qui a duré environ deux ans. Il comprenait des agents de l'Agence des services frontaliers du Canada, de la GRC, de la Police provinciale de Toronto, du service de police régional de Peel et de la Commission des alcools et des jeux, pour n'en nommer que quelques-uns.
Étant donné que la traite des personnes n'était pas un phénomène très connu à l'époque, le projet comportait plusieurs facettes et était axé sur l'importation de personnes de l'étranger, principalement de l'Europe de l'Est, que l'on forçait à travailler dans l'industrie du sexe, en particulier dans des salons de massage et des bars de danseuses nues. Il s'agissait principalement de jeunes femmes de l'Europe de l'Est qui venaient au Canada prétendument pour travailler comme artistes ambulantes ou nourrices ou pour visiter le pays.
Au cours du projet, nous avons obtenu des renseignements dans le cadre de notre enquête et grâce à des sources confidentielles — généralement des personnes qui avaient été arrêtées lors de précédentes descentes — qui ont fourni des renseignements en échange d'une prise en compte pour leurs accusations criminelles ou leurs accusations en matière d'immigration. Bien que la plupart d'entre elles aient fourni des informations générales, une jeune femme que nous avons rencontrée nous a fourni des renseignements précis qui ont fait avancer notre projet. Elle s'appelait Timea Nagy et elle allait ultimement vivre le rêve canadien en devenant citoyenne canadienne, autrice à succès, défenseuse des victimes de la traite des personnes et conseillère des Nations unies en matière de traite des personnes.
Pendant le projet et les enquêtes qui ont suivi, j'ai pu constater que les victimes de la traite des personnes sont généralement les gens les plus vulnérables de notre société. Il s'agit principalement de jeunes femmes qui ont peu de soutien familial ou qui n'en ont pas du tout. Les trafiquants s'en prennent à elles en les accablant de compliments et en les comblant de cadeaux, de soupers coûteux et de voyages. Une fois qu'elles sont devenues dépendantes d'eux, ils commencent à les initier à la drogue et à d'autres substances créant de la dépendance, ce qui, finalement, les rend complètement dépendantes du trafiquant. C'est alors que le trafiquant commence à les exploiter et à les forcer à entrer dans l'industrie du sexe.
La plupart des victimes ne partent pas de leur plein gré, car elles craignent qu'elles-mêmes ou des membres de leur famille immédiate soient blessés physiquement ou tués. Même celles qui sont rencontrées par la police et qui fournissent des preuves contre les trafiquants se présentent rarement aux procédures judiciaires prévues, ce qui aboutit finalement au retrait des accusations contre les trafiquants. D'après mon expérience, l'une des principales raisons, c'est que les services de police et d'autres organisations manquent de financement et de ressources pour fournir un logement, du soutien et un encadrement aux victimes. Une fois soustraites à l'emprise des trafiquants, la plupart des victimes sont, faute d'un meilleur terme, perdues, et elles sont incapables de subvenir à leurs besoins, car elles sont devenues complètement dépendantes des trafiquants, qui les nourrissaient, leur donnaient de l'argent et leur tenaient compagnie.
Un exemple que je peux donner à propos de Timea, c'est qu'elle a réussi à ouvrir le premier refuge de l'Ontario pour les victimes de la traite des personnes. Elle y accueillait les victimes et leur fournissait un foyer, de la nourriture et un encadrement pour les aider à retourner progressivement dans la société. Son travail a été un succès jusqu'à ce que le gouvernement cesse de lui donner du financement.
Pour que les poursuites soient fructueuses, il faut que la victime participe activement, ce qui est difficile si on la laisse se débrouiller seule après que la police l'a secourue.
Merci.
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Merci. Je vais commencer.
Je suis l'agente Joy Brown. Je suis la responsable du dossier de la traite des personnes au sein de l'unité de mobilisation communautaire du service de police régional de Peel. De plus, je préside le comité des fournisseurs de services de lutte contre la traite des personnes de Peel, qui compte plus de 40 partenaires communautaires, dont l'organisme EFry.
La traite des personnes est une priorité pour notre service. L'unité de la moralité compte 16 enquêteurs spécialisés qui sont disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ils se consacrent à la lutte contre la traite des personnes et à l'aide aux survivantes. En 2022, nous avons porté 127 accusations de traite des personnes à Peel, soit presque le double de 2018. Cependant, selon nCourage, le centre de services de lutte contre la traite des personnes de Peel, environ 75 % des survivantes auprès desquelles ils travaillent ne signalent pas leur cas à la police.
En collaboration avec Timea's Cause, nous avons récemment annoncé que tous les agents de première ligne et enquêteurs du service de police régional de Peel suivront une formation spécialisée dirigée par des survivantes afin de mieux trouver et arrêter les trafiquants et, plus important encore, d'aider les victimes. Notre service de police est le premier à le faire au Canada. L'expérience des survivantes demeure au centre de tout notre travail. Nous collaborons avec la région de Peel et des partenaires communautaires par l'intermédiaire du comité des fournisseurs de services de lutte contre la traite des personnes de Peel à la stratégie régionale et aux mesures de soutien. Il y a, par exemple, nCourage, que votre comité permanent a eu l'occasion de visiter la semaine dernière.
Peel a réalisé des progrès considérables et s'est imposé comme chef de file lorsqu'il s'agit de collaborer avec la collectivité et d'offrir des services et du soutien appropriés aux personnes touchées par la traite des personnes. Nous avons préparé un mémoire à l'intention du Comité dans lequel on souligne la nécessité d'investir davantage dans des mesures coordonnées, préventives et éducatives, ainsi que dans une stratégie relative au logement dans la lutte contre la traite des personnes qui comprend des lits d'urgence et des logements sûrs, de transition et indépendants, en coordination avec les provinces et la région. Nous savons que ces mesures améliorent le bien-être et le rétablissement des survivantes, réduisent le risque qu'elles retournent auprès de leurs trafiquants pour satisfaire leurs besoins essentiels et aident les enquêteurs et les procureurs de la Couronne à avoir accès aux survivantes.
Enfin, nous recommandons vivement la création d'une base de données nationale sur la traite des personnes afin que les renseignements sur les délinquants et les victimes soient accessibles, étant donné que la traite des personnes est un phénomène tellement mouvant. À l'heure actuelle, les organismes chargés de l'application de la loi utilisent différents systèmes de suivi disparates qui n'incluent pas de mécanismes de communication des données entre les diverses administrations.
Notre mémoire contient de plus amples renseignements.
Je cède maintenant la parole à Jody Miller, directrice générale de l'organisme EFry Hope and Help for Women.
L'organisme EFry soutient chaque année plus de 5 000 femmes et filles qui risquent d'être victimes de violence; beaucoup d'entre elles sont des survivantes. Nous concentrons nos efforts sur la prévention, le soutien, la réintégration et la défense des droits. Au Canada, environ les deux tiers des cas de traite des personnes signalés à la police surviennent en Ontario, et 62 % proviennent de la région du Grand Toronto, Peel étant un important corridor pour cette activité. La traite des personnes touche principalement les femmes et les filles, l'âge moyen des victimes se situant entre 12 et 24 ans.
Depuis 2012, nous offrons des programmes de lutte contre la traite des personnes à des fins sexuelles, programmes qui s'inscrivent dans le droit fil des stratégies provinciales et régionales et qui mettent l'accent sur les piliers nationaux, à savoir l'autonomisation, la prévention, la protection et le partenariat. Notre organisme élabore et fournit une variété de programmes et d'ateliers de sensibilisation et de prévention à l'intention des écoles et des partenaires communautaires. Mentionnons, entre autres, un programme de prévention qui s'adresse aux jeunes s'identifiant comme des femmes pour leur permettre de comprendre et d'éviter les tactiques de recrutement, pour leur fournir de l'information sur la sécurité en ligne et sur les médias sociaux, en plus de leur indiquer comment obtenir de l'aide.
Nous offrons également aux jeunes hommes un programme qui porte sur le rôle vital que jouent les hommes pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, à l'exploitation sexuelle et à la traite des personnes.
Notre organisme fournit une aide à la gestion des cas pour les personnes à risque, les personnes exploitées et les victimes de la traite des personnes. Dans le cadre du centre nCourage, nous assurons un logement aux survivantes par l'entremise du refuge Bonnie McPhee et de la maison de transition Peel.
Malgré l'attention et les ressources accordées par Peel à la lutte contre la traite des personnes, nous ne disposons pas encore de toute la gamme des services de soutien nécessaires. Leur disponibilité dépend fortement de l'accès à un financement durable, au‑delà des cycles de trois ans, pour que nous puissions combler les lacunes et maintenir les services.
Le logement reste un obstacle majeur pour les survivantes. Il faut une stratégie conçue spécialement pour assurer l'accès immédiat à des lits, ainsi qu'à des logements autonomes et à des services de soutien offerts à domicile pour le traitement des traumatismes, des problèmes de santé mentale et de la toxicomanie. Il s'agit d'une des mesures les plus fondamentales pour faire en sorte que les victimes et les survivantes quittent ce milieu et ne retournent plus auprès des trafiquants.
Enfin, la traite des personnes est une activité transitoire et facile à dissimuler. Les Canadiens doivent être davantage sensibilisés à cet enjeu. Il faut notamment investir dans des activités de prévention et de sensibilisation qui permettent d'échanger des renseignements sur les moyens de se protéger contre la traite des personnes et sur les endroits où obtenir de l'aide, en plus d'investir dans des initiatives visant à uniformiser les programmes de lutte contre la traite des personnes dans les écoles. Vous trouverez plus de détails sur nos recommandations dans le mémoire que nous vous avons remis.
L'agente Brown et moi remercions le Comité de nous avoir donné l'occasion de prendre la parole, et nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
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Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie de m'avoir invitée.
Je suis honorée d'être ici aujourd'hui pour vous parler de ce sujet important du point de vue de l'application de la loi. Aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de ce que nous, les policiers, voyons au quotidien dans cette ville et dans toute la province. J'aimerais également vous parler des efforts que nous avons déployés et de l'orientation que nous prenons pour lutter contre l'exploitation sexuelle et la traite des personnes.
L'unité d'intervention pour les personnes disparues et l'unité de lutte contre l'exploitation au Service de police de Winnipeg représentent une unité intégrée qui vise à repérer et à protéger les personnes risquant d'être exploitées et à appliquer les lois relatives à la traite des personnes. Nous appuyons la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes et nous misons sur la prévention, la protection, les poursuites et les partenariats.
L'unité reçoit chaque jour des signalements d'exploitation. Les cas signalés varient, allant du contrôle des besoins fondamentaux, comme la nourriture et le logement, à la distribution d'alcool et de drogues en échange d'actes sexuels. Il ne s'agit pas d'un crime qui est commis en fonction du sexe, du quartier de la ville ou du milieu socioéconomique. Ce crime ne connaît pas de frontières et, à l'ère du numérique, ses auteurs ont accès à un large éventail de victimes potentielles.
Notre unité appuie les membres de première ligne et mène des enquêtes sur les signalements reçus par les agents en uniforme, les renseignements provenant de Cyberaide, les appels des membres de la famille, de nos organismes à vocation sociale et de nos partenaires en matière de protection de l'enfance au sein de la collectivité, pour n'en citer que quelques-uns.
Nous recherchons également de manière proactive des victimes potentielles, car nous savons que les victimes de la traite des personnes et de l'exploitation ne se manifestent pas toujours; elles ont besoin de nous pour se faire retrouver.
L'unité de lutte contre l'exploitation prend également des mesures proactives contre les exploiteurs ou les acheteurs de services sexuels. Ces types d'enquêtes aboutissent régulièrement à de nombreuses arrestations. Lorsque les membres de l'unité rencontrent les survivants, ils sont habillés en civil; ils ne portent pas l'uniforme. Ils leur expliquent qui nous sommes et quelles ressources nous pouvons leur offrir s'ils sont prêts. Ces rencontres ont lieu aux coins des rues, dans des hôtels et dans des appartements partout dans notre ville. Souvent, nous ne faisons que leur fournir une paire de gants, par une froide soirée d'hiver, ou une trousse de soins.
Dès qu'un survivant se manifeste, notre unité travaille avec lui tout au long du processus judiciaire afin de maintenir cette relation et cette convivialité avec le même enquêteur. Ce que nous avons appris, c'est que nous devons continuer à nouer des relations avec les organismes de protection de l'enfance, les groupes communautaires et les autres organismes d'application de la loi. Plus nous collaborons et échangeons des renseignements pour le bien-être de ces jeunes et de ces adultes, plus nous obtiendrons des résultats positifs. Nous poursuivons nos efforts pour établir des relations solides et durables avec nos partenaires communautaires.
L'éducation est vraiment la clé du succès, par l'entremise des écoles et des plateformes de médias sociaux, et nous devons prendre soin des personnes les plus vulnérables de notre ville.
En tant que service, l'unité de lutte contre l'exploitation offre à ses membres et à d'autres organismes une formation qui porte précisément sur la traite des personnes. Dans le cadre de ce cours annuel, nos membres de première ligne découvrent des pratiques exemplaires, des techniques d'enquête et des moyens de faire preuve de compassion dans leurs interactions avec les survivants. Cette année, nous avons invité une survivante à parler de son expérience avec les forces de l'ordre afin d'aider les membres de première ligne à comprendre et à reconnaître les traumatismes et à les gérer de manière appropriée.
De plus, nous avons récemment formé les membres du service des pompiers et ambulanciers de Winnipeg pour qu'ils puissent reconnaître les indicateurs liés à la traite des personnes. Les pompiers et les ambulanciers sont souvent les premiers sur les lieux. Ils disposent désormais de connaissances supplémentaires sur les signes potentiels de la traite des personnes.
L'unité de lutte contre l'exploitation s'est également associée à l'industrie de l'accueil de la ville et a dispensé à divers hôtels une formation sur les indicateurs liés à la traite des personnes. Nous sommes également en train de collaborer avec la GRC et d'autres organismes pour réaliser un projet commun d'application de la loi.
Enfin, je voudrais parler de certaines des difficultés auxquelles nous nous heurtons. L'un des plus grands défis est l'absence d'un centre de désintoxication à long terme dans notre province. Le nombre de jeunes disparus et exploités que je vois est extrêmement élevé. Beaucoup de ces jeunes sont vulnérables à l'exploitation à cause de leur toxicomanie. Nous devons être en mesure de traiter ces dépendances afin de rompre le cycle de la vulnérabilité qui mène à l'exploitation. Si nous voulons vraiment prévenir la traite des personnes, nous devons nous attaquer à la crise de la toxicomanie chez les jeunes et reconnaître ses liens directs avec l'exploitation.
Je vous remercie.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'être des nôtres.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à féliciter l'agente Joy Brown pour le prix qu'elle a reçu, et je crois que vous y avez fait allusion. En effet, nous vous avons rencontrée la semaine dernière. Félicitations donc pour le prix des services policiers qui vous a été décerné par la chambre de commerce de Brampton pour le soutien que vous apportez à la collectivité.
Toutes mes félicitations. Je ne peux imaginer tout le beau travail que vous accomplissez pour nous protéger. Je vous en remercie.
Ma première question s'adresse à M. Catenaccio, avec qui je travaille depuis maintenant plusieurs mois. J'ai quelques questions à vous poser.
L'une des choses dont nous avons entendu parler la semaine dernière lors de nos déplacements, c'est le manque de financement. J'aimerais d'abord connaître votre avis à ce sujet.
Que pensez-vous de l'idée de saisir tous les actifs des auteurs de ces crimes et de les remettre dans le système afin d'aider les victimes?
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Si les fonds saisis comme produits de la criminalité servaient directement à aider les victimes, ce serait déjà un pas dans la bonne direction. On aiderait ainsi les victimes à réintégrer la société et à reprendre une vie normale après avoir été dépendantes de leurs trafiquants pendant si longtemps.
Quant aux policiers, c'est un peu plus difficile, car notre travail est, par nature, dangereux. Toutefois, il y a lieu de prendre certaines mesures. Je sais, par exemple, que la police de Toronto a mis en place un programme, en collaboration avec le ministère des Transports, qui supprime toutes les adresses des policiers de son système. Ainsi, si quelqu'un a un ami qui travaille au ministère des Transports, il ne peut pas trouver une adresse résidentielle au moyen d'une plaque d'immatriculation ou d'un permis de conduire.
Il est difficile de répondre à cette question du point de vue de la police ou des forces de l'ordre, mais pour les victimes, il s'agit de leur fournir un refuge pour assurer leur réinsertion en société et de miser sur les services offerts par d'anciennes victimes, par des survivants, afin de les aider. Ce n'est pas différent de la situation d'un alcoolique qui suit un programme dans le cadre duquel il est encadré par des gens qui ont surmonté leur dépendance à l'alcool, parce qu'ils peuvent comprendre ce que cette personne traverse.
Mon autre question s'adresse à l'agente Joy Brown.
Lorsque nous étions à Sault Ste. Marie, nous avons remarqué la présence d'étiquettes, et je crois que nous en avons parlé lors de notre rencontre avec le service de Peel. C'est très bien, parce qu'on a ainsi la photo de la personne, mais d'après ce que nous avons pu constater, ce n'est pas utilisé partout; cela se fait seulement dans certaines régions. Nous avons également discuté avec la police de Halifax pour savoir comment elle s'y prend en matière de sensibilisation, et elle procède de la même façon.
Pensez-vous qu'un programme de ce genre à l'échelle du pays, programme qui permettrait d'échanger des renseignements avec toutes les forces de l'ordre d'une province à l'autre, y compris la GRC à tous les niveaux, la Police provinciale de l'Ontario et tout le reste, nous aiderait à appuyer les victimes et à éliminer la demande?
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Je peux certainement vous parler de ces services de soutien spécialisés, comme beaucoup de gens l'ont fait jusqu'ici. Nous savons tous que les survivants ont des besoins criants et que les services de soutien offerts par un seul organisme ne répondent pas à leurs besoins. Il faut vraiment une approche axée sur la collaboration pour rassembler ces divers types de services et de ressources afin d'éviter de recourir à un seul programme ou à un seul service.
Par exemple, le centre nCourage regroupe un certain nombre d'organismes. Il y a des organismes financés, comme le nôtre, ainsi que les organismes Our Place Peel et Catholic Family Services, qui offrent des services de soutien et un accès aux ressources, mais nous travaillons également avec plus de 40 autres organismes de services dans notre collectivité qui fournissent, eux aussi, de l'aide et des services auxquels on accède par l'intermédiaire du centre nCourage. Ainsi, les survivants peuvent se rendre à un seul endroit. Nous veillons à ce qu'ils n'aient pas à raconter leur histoire plusieurs fois et à ce qu'ils puissent accéder au soutien dont ils ont besoin. Cela comprend les refuges. Nous avons une maison d'hébergement et une maison de transition dédiées au soutien des survivants.
Nous avons parlé, dans nos recommandations, de la nécessité d'offrir une gamme complète de services, car nous n'avons toujours pas de lits immédiats pour les survivants qui ne sont peut-être pas prêts ou aptes à se désengager des trafiquants ou pour ceux qui ne veulent pas participer à des programmes de soutien intensifs qui pourraient être associés à des refuges ou à des maisons de transition.
Nous devons être en mesure d'offrir de multiples services de soutien, en plus d'accompagner les survivants qui ont terminé ces programmes. Ces personnes ont également besoin d'un loyer adapté à leurs revenus, d'allocations transférables pour le logement et d'autres types de logements autonomes, ainsi que de suppléments de loyer qui les aident à accéder au logement dont ils ont besoin, au lieu de se retrouver dans des situations précaires où ils pourraient facilement redevenir des victimes.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Catenaccio et madame Miller, votre expertise est très intéressante. Bien que mes premières questions s'adressent davantage aux représentantes des services de police, soit Mmes Brown et Scott, je vous invite à ajouter quelque chose si vous le désirez.
Dans le cadre de cette étude, on entend beaucoup parler du manque de confiance des victimes envers le système. C'était frappant lorsque nous entendions le premier groupe de témoins aujourd'hui. Les conséquences sont nombreuses. Notamment, les victimes n'osent pas faire de signalements aux services policiers. L'exploitation est un crime qui reste caché. On ne voit que la pointe de l'iceberg. Il est difficile d'obtenir les chiffres réels et de brosser un portrait réel de la traite des personnes et de l'exploitation sexuelle.
J'avais en tête une question que je n'avais pas posée jusqu'à maintenant et qui est en lien avec le rapport « Rebâtir la confiance », au Québec, qui se penche sur des questions de violence conjugale. J'aimerais parler d'une des mesures proposées dans le rapport en la ramenant dans le contexte de notre étude sur la traite des personnes.
Selon le rapport, puisque les victimes manquent de confiance envers le système, on devrait mieux les protéger. Dans cet esprit, le bracelet électronique antirapprochement, qu'on utilise parfois dans certaines situations, pourrait-il aussi servir à protéger les victimes de traite des personnes après qu'elles ont fait une dénonciation? Selon vous, est-ce qu'on enverrait ainsi aux victimes le message selon lequel on les a entendues et on essaie de les protéger?
Ma question s'adresse aux représentantes des services policiers, mais les deux autres témoins peuvent aussi ajouter des éléments de réponse.
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Je peux répondre à la question.
Je ne connais pas très bien le bracelet électronique, mais je pense qu'il est certainement utile de donner aux victimes un sentiment de sécurité après qu'elles se sont manifestées.
Dans de nombreux cas, c'est le système dans lequel nous devons travailler qui est en cause. Nous finissons par revictimiser nos survivants encore et encore, parce que lorsqu'ils arrivent au tribunal 18 mois ou deux ans plus tard, ils ont déjà dû raconter leur histoire quatre ou cinq fois, et ils sont traumatisés à nouveau au tribunal. C'est un problème majeur dans notre système judiciaire en général. Nos procureurs font un excellent travail pour atténuer les problèmes du mieux qu'ils peuvent, mais c'est le système dans lequel nous devons travailler. Je pense que nous devons trouver une meilleure solution.
Les victimes doivent-elles être présentes au tribunal? Pouvons-nous utiliser une déclaration vidéo? Est‑ce nécessaire de les traumatiser à nouveau en les faisant comparaître en personne?
Pour revenir au bracelet électronique, je pense que ce serait utile du point de vue de la sécurité.
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... est sensibilisé aux traumatismes, en particulier lors des conférences de presse et au moment d'informer la famille de la découverte d'un proche.
Par exemple, en décembre 2022, le Free Press a rapporté les paroles de Markus Chambers, président de la Commission de police de Winnipeg, au sujet de la décision de la police de ne pas fouiller le site d'enfouissement de Prairie Green pour retrouver les restes de Morgan Harris, Marcedes Myran et Buffalo Woman. Il a dit: « Nous savons que la communauté autochtone n'est pas satisfaite de cette décision. C'est donc à elle qu'il incombe maintenant de s'adresser aux différents ordres de gouvernement [...] afin de déterminer les prochaines étapes ».
Pourtant, les conclusions de l'étude de faisabilité initiale du Service de police de Winnipeg ont été contestées par des experts médico-légaux, des membres des familles, des dirigeants autochtones et des défenseurs des familles comme Cambria Harris qui, dans un article du Globe and Mail paru le 6 décembre 2022 a déclaré: « Je ne devrais pas avoir à être ici aujourd'hui [...] et à vous supplier encore et encore pour que vous retrouviez et rameniez les corps à nos familles. »
Lucy Beardy, sœur de Linda Beardy, a déclaré dans une entrevue à la CBC le 7 avril 2023 que le Service de police de Winnipeg, après l'avoir informée de la mort de sa sœur, « a profité de mon chagrin, du fait que j'étais bouleversée, de ma vulnérabilité. J'ai l'impression qu'ils ont trahi la confiance de ma famille. J'ai eu l'impression d'avoir été piégée, d'avoir été victime d'une machination. Ils n'ont pas tenu compte de ce que j'avais à dire, de ce que je voulais ».
Des inquiétudes ont également été exprimées au sujet du zèle ou du laxisme des policiers du Service de police de Winnipeg. Beaucoup de personnes se sont dits inquiètes après qu'Eishia Hudson a été abattue par un policier. Cette affaire a suscité de vives critiques à l'égard de l'Organisme chargé des enquêtes sur l'application de la loi, qui ne dispose d'aucun mécanisme de surveillance civile, et de l'Unité d'enquête indépendante, qui est composée d'anciens agents de police.
L'honorable Murray Sinclair, par exemple, doute que l'Unité d'enquête indépendante puisse enquêter correctement sur les tragédies parce qu'elle manque à la fois de transparence et d'indépendance. M. Sinclair a déclaré lors d'une entrevue sur la chaîne CBC: « Je n'ai pas beaucoup confiance en l'Unité d'enquête indépendante qui est actuellement en place pour examiner la conduite des agents de police. Je n'ai pas souvenir d'un cas où elle a vraiment mené une enquête transparente et approfondie qui m'ait convaincu... que sa décision était la bonne compte tenu des circonstances. » Il a également dit: « Ils ont tout intérêt à s'assurer qu'ils ne se mettent pas à dos la police municipale. »
Je suis d'accord avec lui, car, comme nous le savons, l'honorable Murray Sinclair est probablement le juriste le plus aimé au pays, et l'agente Joy Brown a parlé de confiance.
Ma première question, sergente Scott, est la suivante: que va faire la police pour s'assurer que les personnes vulnérables sont prioritaires dans les efforts de recherche à l'avenir?
Je pense que nous avons tous été un peu choqués lorsque vous avez raconté l'histoire de votre propre attaque. J'ai regardé dans la salle, et il y avait une certaine stupéfaction et de l'effroi à l'idée que vous aussi étiez en danger.
L'un des problèmes qui revient de façon générale dans notre étude, c'est le coût de la vie.
Une personne qui travaille dans cette industrie m'a dit ce qui suit, et cela m'a vraiment marquée: ce qu'il faut pour aider les victimes, c'est répondre aux besoins essentiels que le trafiquant comble pour elles. Ce n'est pas toujours l'argent; c'est parfois l'intimité. Il peut s'agir de toutes sortes de choses.
Est‑ce que la police travaille avec un autre organisme pour aider une victime à passer au volet du soutien?
Comme je l'ai dit aux témoins précédents, je pense qu'il s'agit d'une approche à trois volets: la prévention, l'intervention et le soutien. Il faut faire en sorte que la victime ne retombe pas dans ce mode de vie. Il faut répondre aux besoins essentiels que le trafiquant comble pour elle.
Que pensez-vous qu'il faille faire à cet égard?
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C'est très intéressant, car les statistiques et les données à ce sujet montrent la taille du problème. Nous savons que la traite des personnes se conjugue avec d'autres éléments, la drogue, la fraude, etc.
Pour avoir une idée des statistiques et du commerce lucratif que représente la traite des personnes, si vous n'avez pas eu la chance de lire l'article du Globe and Mail relatant l'histoire de Mme Nagy, voici quelques données: si le proxénète a 40 femmes, il fait un profit de 36 000 $ par jour, de 252 000 $ par semaine et de 13 104 000 $ par année. On peut voir rapidement à quel point cette industrie est lucrative et pourquoi il est si difficile d'y mettre un terme.
Ma question est la suivante: si la traite se présente sous une autre forme, dans la base de données nationale — qui fait partie de vos recommandations et que je considère comme un élément essentiel —, pourrions-nous avoir une section où l'on mentionnerait que des individus ont été accusés de fraude ou de trafic de drogue, mais qu'il y avait aussi des indications de traite des personnes?
Il est vraiment très difficile pour les victimes d'admettre cela, n'est‑ce pas? Il y a beaucoup de réticences à cet égard.
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Nous faisons appel à nos organismes partenaires. L'Armée du Salut fait un travail phénoménal.
Il y a un cas qui me vient à l'esprit, celui d'une survivante de l'Ontario qui est venue à Winnipeg. Au bout du compte, des accusations ont été portées contre un individu, puis nous avons été en mesure de travailler avec l'Armée du Salut pour renvoyer la survivante chez elle par avion. L'organisme a permis cela, ainsi qu'un hébergement sûr en ville afin que la survivante fasse la transition, recouvre la santé, puis rentre chez elle en avion. Toutefois, je suis d'accord avec l'agente Brown quand elle affirme que le partage d'information entre provinces, entre organismes, pose problème.
Nous avons une banque de données policières nationale, mais son aspect change selon l'organisme. Il doit y avoir une sorte de banque de données universelle à laquelle nous pouvons tous accéder, parce que les trafiquants se déplacent. Dans notre ville, nous voyons souvent des trafiquants qui viennent de l'Est ou de l'Ouest, et si je savais ce qu'ils font dans l'Ouest, cela me serait assurément utile et me donnerait des pistes quant à leur présence dans notre ville, en plus de me permettre ensuite de transmettre ces renseignements à nos organismes.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'avais terminé ce que je voulais dire lors de mon dernier tour, mais j'aimerais poser rapidement une autre question. Je parlais de la coordination entre les différents groupes concernés, qu'il s'agisse de ministères, d'ordres de gouvernement ou même d'acteurs sur le terrain, comme les organismes communautaires et les policiers. Mes collègues vous ont déjà posé des questions à ce sujet, mais je vous laisse le temps de formuler d'autres recommandations que le Comité devrait garder en tête.
La question s'adresse autant aux deux représentantes des services de police qu'aux deux autres témoins. Y a-t-il certains éléments qui n'ont pas été mentionnés jusqu'à maintenant?
Si personne ne veut répondre à cette question, je vais en poser une autre, tout simplement.
Poursuivons avec vous, sergente Scott. Vous avez dit qu'il y a une nouvelle unité des personnes disparues créée conjointement par le Service de police de Winnipeg et la GRC.
Selon un article de la CBC du 23 mars 2023, il y a, uniquement à Winnipeg, 9 315 personnes disparues. Comme nous manquons de temps, pourriez-vous s'il vous plaît nous soumettre, à partir de tous ces cas, le nombre d'Autochtones; le nombre de femmes, de filles et de personnes bispirituelles autochtones; le nombre de ces personnes qui sont retournées saines et sauves dans leur famille; et le nombre d'heures de travail consacrées à enquêter sur des cas de disparition d'Autochtones?
Ma dernière question est en réponse à cette demande. Étant donné que le Manitoba a maintenant établi une unité d’intervention intégrée pour les personnes disparues, je présume qu'il y aura un rapport annuel sur vos activités et les données afférentes. Je l'espère. Le cas échéant, puisque nous savons que Winnipeg est l'épicentre des disparitions et assassinats de femmes et de filles autochtones, y aura‑t‑il dans notre ville un groupe spécifiquement dédié à cette crise des femmes et filles autochtones disparues et assassinées qui se poursuit?