Bonjour à tous. Bienvenue à la 18e réunion du Comité permanent de la condition féminine. Conformément à l'ordre de renvoi du vendredi 29 avril 2022, le Comité entreprend l'étude du projet de loi .
La réunion d'aujourd'hui se déroule selon une formule hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 25 novembre 2021. Des députées sont présentes dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom. Le 10 mars 2022, le Bureau de régie interne a adopté une directive obligeant les personnes présentes dans la salle à porter un masque, sauf si elles sont assises à leur place durant les délibérations.
Permettez-moi quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro et veuillez mettre votre micro en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation, si vous participez à la réunion par l'application Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais et le français. Si vous participez en personne, vous pouvez utiliser l'oreillette et sélectionner le canal que vous voulez. Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
Pour ce qui est de la rédaction d'amendements, je rappelle aux membres de communiquer dès que possible avec Alexandra Schorah, conseillère législative, si des amendements sont envisagés.
J'ai maintenant le privilège d'accueillir notre premier groupe de témoins dans le cadre de l'étude de ce projet de loi qui, soyons francs, est d'une grande importance. Évidemment, je ne suis pas tout à fait objective sur la question. En tant que présidente, je serai on ne peut plus honnête là‑dessus.
Nous discutons aujourd'hui du projet de loi et accueillons une invitée spéciale, soit la marraine du projet de loi, Anju Dhillon.
Merci beaucoup pour ce projet de loi, madame Dhillon.
Je suis également fière d'accueillir Pam Damoff, comotionnaire du projet de loi, qui appuie cette mesure législative depuis ses tout débuts à la Chambre.
Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'accueillir Jennifer Kagan-Viater et Philip Viater dans le cadre de nos discussions sur ce projet de loi fort important.
D'emblée, je vais mettre cartes sur table: nous aimons habituellement respecter le temps alloué. Je sais que la première heure de ce groupe de témoins est très très importante pour le Comité, donc je vais faire preuve de souplesse. Cela dit, si vous me voyez agiter les bras, je vous prie, dans la mesure du possible, de conclure dans les quelques secondes qui suivent.
Je cède maintenant la parole à Mme Dhillon.
Madame Dhillon, vous avez cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire. Allez‑y.
Merci beaucoup.
:
D'abord, j'aimerais vous remercier, madame la présidente, de même que les membres du FEWO, de vous pencher aussi rapidement sur cette question d'une extrême importance. Je vous en suis très reconnaissante. Je vous remercie toutes du fond du cœur. Vous avez ma sincère gratitude.
[Français]
Je suis très enthousiaste à l'idée de vous présenter, aujourd'hui, le projet de loi , que j'ai déposé. Je dois admettre que je suis extrêmement émue du vaste soutien qu'il a reçu. Même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais osé imaginer que mon initiative législative puisse bénéficier d'un soutien aussi extraordinaire, que ce soit de la part des victimes de violence conjugale, de mes collègues, de groupes de défense des droits de la personne ou des médias.
Ce projet de loi a été rédigé avec une idée en tête, celle de mieux protéger les femmes et les enfants vulnérables victimes de violence conjugale et de leur sauver la vie.
[Traduction]
Le projet de loi vise la mise en œuvre de deux amendements, soit l'un au Code criminel et l'autre à la Loi sur les juges. Le but est d'inscrire au Code criminel la surveillance à distance d'un accusé en liberté provisoire dans des circonstances données, de même que de former les juges fédéraux sur le phénomène de la violence entre partenaires intimes et le contrôle coercitif.
[Français]
Depuis que j'ai commencé à pratiquer le droit criminel et familial, j'ai pu constater à quel point il était difficile pour les victimes de violence conjugale de sortir du cercle vicieux de la violence et de la maltraitance. Beaucoup de victimes étaient réticentes à l'idée de dénoncer l'enfer dans lequel elles vivaient, par peur de ne pas être crues par le système ou de subir des représailles d'un partenaire violent, ou par crainte d'une précarité financière.
[Traduction]
Certains de mes collègues avocats ont perdu des clientes aux mains d'un ancien partenaire violent qui les harcelait. D'autres ont représenté des clients violents qui ne laissaient pas leur partenaire intime tranquille malgré l'ordonnance du tribunal, un comportement qui a entraîné la perte de vies humaines.
Le Comité de la condition féminine, où j'étais secrétaire parlementaire et, ultérieurement, membre, est arrivé aux mêmes conclusions. Le témoignage des victimes, des spécialistes et des alliés brosse encore et toujours le même portrait effroyable d'un très grand nombre de victimes subissant de la violence familiale, tout comme leurs enfants. En matière de violence entre partenaires intimes, il se dégage entre autres conclusions que le risque de violence et de décès chez les victimes et leurs enfants ne disparaît pas après la séparation du couple. Au contraire, bien souvent, dans les 18 mois suivant ladite séparation, le partenaire, qui est la plupart du temps une femme, et les enfants risquent encore plus d'être victimes d'une attaque violente.
Dans les très rares coins du monde où la surveillance à distance a été adoptée afin d'améliorer la protection des victimes de violence familiale, comme l'Australie et l'Espagne, on a constaté une baisse marquée des crimes violents de même que des féminicides et des filicides.
[Français]
En d'autres termes, dans certains cas problématiques où l'agresseur refuse de se tenir à l'écart de la victime ou n'accepte pas la séparation imposée par le partenaire, le port d'un bracelet anti-rapprochement permet d'informer les autorités et l'ancienne partenaire du non-respect des conditions imposées par le juge et, donc, de sauver des vies ou de prévenir des crimes violents.
Étant donné qu'une femme est assassinée tous les deux jours et demi, ce qui représente entre 144 et 178 meurtres par année, souvent commis par un partenaire intime, il semble évident que notre pays a besoin d'une telle technologie pour éviter ce genre de tragédies.
[Traduction]
Il est donc évident que notre pays a besoin de ce type de mesure législative.
[Français]
Il est impératif que cette loi donne la possibilité à un juge d'ordonner le port d'un bracelet anti-rapprochement lorsque des individus représentent un risque pour la sécurité de leur partenaire intime et de leurs enfants, et seulement lorsque cela est jugé nécessaire.
[Traduction]
Procéder ainsi permettra aux juges provinciaux de même qu'aux juges municipaux d'ordonner de telles conditions quand elles s'avèrent nécessaires.
Au cours de mes préparatifs menant au dépôt de mon projet de loi d'initiative parlementaire, mes bonnes amies et collègues d'Oakville-Nord—Burlington et de York-Centre, Pam Damoff et Ya'ara Saks respectivement, m'ont demandé de rencontrer Jennifer Kagan-Viater et son mari, Philip Viater, qui réclament ardemment l'obligation pour la magistrature d'assister à des colloques sur la violence familiale et le contrôle coercitif.
J'ai eu l'occasion d'échanger avec eux et leur histoire m'a profondément secouée. En février 2020, la Dre Kagan-Viater a perdu sa fille de quatre ans, Keira, aux mains de son père dans le cadre de ce qui semble être un meurtre-suicide. Les signes avant-coureurs étaient là avant la tragédie, mais le tribunal qui a accordé des droits de visite non supervisée au père de Keira a rejeté cette preuve sous prétexte que le comportement violent envers la mère de Keira ne devait pas être vu comme posant un risque pour l'enfant.
On constate toutefois que la réalité est toute autre.
La sécurité des enfants est à risque quand un parent est violent envers l'autre et qu'il a la garde partagée des enfants du couple ou des droits de visite non supervisée.
[Français]
Dans cette optique, avec l'appui de ces deux précieux alliés et de mes collègues mentionnées précédemment, j'ai rédigé une disposition dans le projet de loi qui, si le projet de loi est adopté, exigera des juges qu'ils suivent une formation sur la violence conjugale.
Merci beaucoup.
Je m'appelle Jennifer Kagan. Je suis mère et médecin. Permettez-moi de vous présenter mon mari, Philip Viater, qui est père et avocat en droit de la famille.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi , et plus particulièrement du volet sur la formation des juges nommé de façon informelle en l'honneur de ma fille, Keira Kagan.
Aujourd'hui, je tiens à remercier les députées Dhillon, Damoff et Saks, de même que vous toutes au Comité, de nous avoir invités à prendre la parole. C'est vraiment un honneur.
Il va sans dire que j'ai du mal à me présenter devant vous pour en parler, mais c'est très important, et ce projet de loi sauvera des vies.
Essentiellement, je vais vous raconter mon histoire et la raison pour laquelle elle n'est pas inhabituelle, mais plutôt typique d'un problème plus général, à savoir la façon dont le système des tribunaux de la famille traite les cas de violence familiale, et elle illustre le manque de compréhension des questions de violence familiale et de contrôle coercitif au sein de la magistrature.
J'ai été victime de violence familiale dans mon mariage précédent. Il a été court, et j'ai fait l'objet de différents types de violence, dont des épisodes isolés de violence physique de même que du contrôle coercitif.
J'avais une petite fille et j'ai pu fuir mon agresseur en toute sécurité, mais quand j'ai eu recours au système des tribunaux de la famille pour protéger Keira, j'ai constaté qu'il n'était pas outillé pour protéger un jeune enfant. Si ma mémoire est bonne, j'ai comparu devant 10 à 12 juges, aucun d'eux ne saisissant bien ce que sont la violence familiale et le contrôle coercitif. Pendant mon procès, quand je suis allée à la barre pour parler de la violence que j'ai vécue, j'ai été interrompue par le juge qui m'a dit que la violence n'était pas pertinente du point de vue de la parentalité et qu'il n'allait pas en tenir compte.
Keira a été remise sans la moindre supervision entre les mains d'une personne très dangereuse. Comme l'a déjà dit Mme Dhillon, Keira a été tuée dans le cadre d'un meurtre-suicide en février 2020. Elle et son père ont été retrouvés sans vie au pied d'une falaise, à Milton, en Ontario.
Nous ne voulons pas qu'un autre enfant ou qu'une autre famille éprouve ce que nous avons vécu. Tous les ans, de 30 à 40 enfants au pays sont tués par l'un de leurs parents. Un enfant, c'est déjà un de trop. Quand on constate les échecs des tribunaux de la famille, nous comprenons que le système a laissé tomber Keira et qu'il en est de même pour d'autres enfants. Les enfants qui connaissent la violence familiale auront un éventail de problèmes au cours de leur vie, y compris des troubles de santé physique et psychologique. La violence familiale est une crise de santé publique qui exige une intervention urgente.
Nous sommes convaincus que les juges doivent recevoir de la formation sur la violence familiale et le contrôle coercitif, d'où le volet sur la formation continue des juges du projet de loi .
Quelque part au pays, une femme est tuée tous les jours et demi. Une intervention urgente s'impose, et nous sommes reconnaissants aux députées de déposer cette mesure législative afin qu'aucun autre enfant n'ait à subir une mort violente et prématurée aux mains de l'un de ses parents, ce qui peut être évité.
Nous avons bon espoir que la formation sera offerte en consultation avec les survivants de violence et les organismes qui les appuient. Nous serions certes ouverts à une conversation avec la magistrature sur la formation en matière de violence familiale et ce qu'elle devrait comprendre. Selon moi, elle doit manifestement comprendre le contrôle coercitif, mais aussi l'évaluation des risques, les facteurs de risque associés à la létalité et des données des comités canadiens d'examen des décès dus à la violence familiale, qui étudient ces signes avant-coureurs.
Je cède maintenant la parole à M. Viater.
Une fois de plus, merci beaucoup. C'est vraiment un honneur d'être ici.
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À mon tour de toutes vous remercier de nous entendre aujourd'hui, surtout Mmes Dhillon, Damoff et Saks, qui ont beaucoup soutenu et défendu ce projet de loi. Merci une fois de plus de nous accorder la parole aujourd'hui.
Nous croyons qu'il s'agit d'un projet de loi extrêmement important. Le cas de Jennifer illustre parfaitement pourquoi ce projet de loi est si nécessaire. Ce qu'elle ne vous a pas dit, c'est que dans son cas, il y a eu 53 ordonnances rendues par plus de 12 juges. Beaucoup de ces ordonnances étaient des avertissements à son ancien mari à propos de sa mauvaise conduite. C'est de là que vient la dissonance.
Il y a eu dissonance à deux degrés. D'abord, des juges reconnaissaient qu'il y avait quelque chose qui clochait chez son ancien mari, mais ils n'ont pas agi en conséquence. Ensuite, certains juges ne l'admettaient tout simplement pas. Dans un cas comme dans l'autre, cela s'est terminé exactement comme nous le craignions, soit par la mort de Keira.
Je suis avocat en droit de la famille depuis 13 ou 14 ans déjà. Je suis fort occupé. Je le dis parce que, sur le terrain, il y a des problèmes dont je peux clairement témoigner. Beaucoup de victimes de violence font peu confiance au système. Pour être franc, les avocats ne sont guère plus convaincus.
Les avocats recommandent souvent à leurs clients de ne pas mentionner la violence, parce que les juges n'en saisissent pas l'importance. En fait, on va s'en servir pour vous punir. Les victimes ont peur que les juges ne les écoutent pas, ne les comprennent pas ou rejettent la question du revers de la main. Elles ont l'impression d'être revictimisées au tribunal. Bien souvent, les juges les remettent dans des situations où elles doivent communiquer avec leur agresseur ou le côtoyer. Ils n'admettent pas vraiment tout le danger que cela peut parfois représenter.
Quand je parle des juges, c'est une généralisation. Il y en a évidemment certains qui sont vraiment bons et bien informés, puis il y a ceux qui sont un peu moins bien informés. Globalement, on voit que les gens ne se sentent pas en sécurité, et qu'il y a un manque de confiance du public, surtout en ce qui concerne les survivants.
Permettez-moi de vous expliquer la procédure usuelle. Pendant le premier tour de questions, chaque parti a droit à six minutes. On m'a permis de poser des questions, bien que la présidence s'en abstienne habituellement. Tous les partis m'en ont donné l'occasion aujourd'hui. Je vais donc commencer avec une intervention de six minutes au nom du Parti conservateur, si vous le voulez bien. Ne vous en faites pas, j'ai mon chronomètre ici.
Je vais commencer par vous, madame Dhillon.
Madame, nous savons à quel point ce projet de loi est important. Je crois que vous étiez tout comme moi membre du Comité de la condition féminine quand nous avons étudié le projet de loi de Rona Ambrose. Nous parlions de la nécessité de former la magistrature.
Pourquoi avez-vous posé ce geste maintenant? De quoi avez-vous entre autres été témoin? Avez-vous posé ce geste plus particulièrement en raison du cas de Keira ou avez-vous plutôt été incitée à le faire par quelque chose que vous avez mis de l'avant?
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Comme je l'ai dit, quand j'exerçais le droit, je voyais des lacunes dans le système, surtout quand il s'agissait de rompre le cycle de la violence. Les enfants en particulier sont très gravement affectés.
Oui, nous avons siégé ensemble au Comité.
Ces deux dernières années, pendant la pandémie, nous avons constaté une augmentation de la violence envers les femmes. Elles étaient isolées par leur partenaire. Les enfants étaient victimes de cette violence directement et par procuration. Les témoignages étaient horribles. La plupart du temps, j'étais assise là, à me dire: « Il faut faire quelque chose. » Je me le répétais sans cesse.
J'aimerais ajouter une chose, car je sais que vous avez beaucoup de questions pour tout le monde et je vous vois bouger. Pendant les études, on a entre autres dit que la pandémie était le « paradis de l'agresseur ». Cette expression m'a vraiment marquée. Par paradis de l'agresseur, on entend que la victime est isolée et ne peut aller nulle part. Il fallait faire quelque chose.
C'est ce qui m'a motivée. Puis Mme Damoff est venue me voir à propos de la tragédie des Kagan. Je lui ai répondu: « D'accord. Agissons. »
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Parfait. Merci beaucoup.
Au début de 2020, lorsque j'étais la ministre du cabinet fantôme chargée des femmes et de l'égalité des sexes, je me souviens que des gens m'appelaient chez moi pour me dire: « Il faut que nous trouvions un endroit sûr pour cette femme. » C'était absolument tragique.
Madame Kagan‑Viater, je veux que vous en parliez.
D'abord, en tant que mère, je n'ai même pas les mots pour dire ce que je ressens. Une chose est sûre, « désolée » ne suffit pas, mais je pense à vous tous les jours. Pendant que nous examinons ce projet de loi, le projet de loi , l'image de votre magnifique petite fille aux cheveux bouclés me revient chaque jour.
Je voudrais vous demander ceci. Vous avez obtenu 53 ordonnances judiciaires, et rien n'a été fait. On rendait des ordonnances qui disaient que cet homme, votre ex‑mari, ne pouvait pas venir chez vous, que c'était impossible. Chaque fois, il a défié ces ordonnances du tribunal. Qu'est‑ce qui s'est passé? Qu'est‑ce que vous pouviez faire ensuite? Quelles mesures d'exécution ont été prises? Qu'est‑ce que la police a fait? De quelles ressources disposiez-vous?
Monsieur Viater, nous voulons vous entendre. Il nous reste 1 minute et 45 secondes.
J'ai eu l'occasion de parler avec vous avant, et je pense que vous apportez au dossier une vaste expérience en tant qu'avocat en droit de la famille. Je suis sûre que vous avez été un partenaire formidable pour Mme Kagan‑Viater tout au long de cette période.
Je crois qu'il y a une chose que nous observons, et ce, même dans les salles d'audience, où les avocats eux-mêmes se concentrent sur des aspects très précis. Il y a le droit de la famille et il y a le droit civil. Il y a tellement de choses différentes — le droit pénal, le droit immobilier. Ils veulent le faire. Je constate souvent que ce sont ces personnes qui deviennent juges. Un avocat peut avoir exercé le droit pénal pendant 20 ans, ou le droit immobilier pendant 20 ans, et voilà qu'il se retrouve à trancher des affaires pénales, comme nous l'avons vu à maintes reprises.
Je vais vous laisser la prochaine minute, et je veux que vous me disiez ce que nous devons faire et la façon dont nous pouvons améliorer cela. Vous avez une minute, monsieur Viater.
Oui, c'est l'une des plaintes et l'un des problèmes les plus importants que nous rencontrons aujourd'hui. C'est que vous n'avez pas toujours un juge qui a une expérience en droit de la famille. Très franchement, même lorsque c'est le cas, cela ne veut pas dire que la violence a fait partie de sa formation particulière. Il a pu s'occuper d'affaires concernant des revenus nets élevés ou des biens.
C'est principalement à cause de cela que la formation sur ce sujet est si importante, et que l'amendement que j'ai demandé concernant l'engagement est si important. En l'absence d'un tel engagement, les juges décident de leur propre formation. Ce qui finira par arriver, c'est que l'avocat spécialisé dans l'immobilier ne suivra pas la formation sur la violence conjugale, parce qu'il ne siège pas souvent dans des affaires de droit familial. Ces avocats estiment ne pas en avoir besoin. Si nous leur donnons cette formation dès le début, lorsqu'ils deviennent juges, nous finirons par avoir une magistrature entièrement informée en matière de violence.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'être ici avec nous.
Aucun enfant ne mérite cela. Je sais qu'il est difficile de parler de cela, docteure Kagan et monsieur Viater, mais vous défendez une cause si importante, et vous faites changer les choses.
Je tiens également à remercier la députée Anju Dhillon de défendre ce projet de loi, ainsi que la députée Damoff d'avoir travaillé sans relâche.
Ma première question s'adresse à la Dre Kagan. Outre la réforme judiciaire nécessaire, où voyez-vous des lacunes dans les mesures à prendre pour éliminer la violence fondée sur le sexe et protéger les enfants des préjudices qui y sont associés? Vous avez parlé de l'éducation en matière de violence conjugale. Pouvez-vous préciser ce point?
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Absolument. Je pense que l'éducation est vraiment essentielle pour donner aux professionnels du système les outils dont ils ont besoin pour prendre des décisions qui mettent la sécurité des enfants au premier plan. Il y a énormément de littérature et d'expertise en matière de violence familiale. Par exemple, le Centre for Family Violence de London, en Ontario, regroupe des personnes qui ont étudié la question.
Je suis médecin, mais j'ai reçu une formation en soins palliatifs. Les gens se demandent parfois si cela suffit pour répondre aux besoins, mais en fait, j'ai suivi une formation très complète d'un an pour devenir médecin en soins palliatifs au Canada. Les enfants doivent pouvoir profiter de ce même degré d'expertise de la part des personnes qui prennent ces décisions.
Il est bien sûr urgent de former les juges, mais aussi les travailleurs de la protection de l'enfance et, en fait, tout professionnel qui intervient dans des dossiers portés devant un tribunal de la famille, par exemple les évaluateurs en matière de garde ou tout travailleur social ou psychologue qui travaille à ce genre de dossier, ainsi que la police. Nous pouvons espérer que cela constituera un premier pas et que les provinces suivront en mettant en œuvre des initiatives de formation similaires. Même dans le domaine des soins de santé, il faut que les médecins soient prêts à reconnaître les signes de violence lorsqu'ils reçoivent des patients dans les services d'urgence ou les cliniques de médecine familiale, par exemple.
Je vous remercie beaucoup de votre question, car c'est très important.
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Merci, madame la présidente.
Madame Kagan‑Viater et monsieur Viater, je veux d'abord commencer mon intervention en vous offrant mes plus sincères condoléances. Étant moi-même, depuis peu, maman d'une petite fille, j'ai peine à imaginer la douleur que vous avez pu ressentir, en tant que parents. Cela démontre à quel point les violences entre partenaires intimes affectent non seulement ces derniers, mais aussi l'ensemble de la famille. Plusieurs témoins sont venus le dire au Comité. J'ai donc une pensée pour vous.
Madame Dhillon, je vous remercie beaucoup d'avoir présenté le projet de loi . Vous m'avez beaucoup entendue parler du contrôle coercitif, tout comme Mme Damoff.
J'ai eu l'occasion de rencontrer une survivante qui recevait, sur son blogue, « Les mots de Myra », les témoignages d'autres survivantes. À la lumière de tous ces témoignages, on peut constater que la notion de contrôle coercitif permet d'avoir un point de vue beaucoup plus large et global sur la question des violences familiales. Vous m'avez souvent entendue en parler.
Je suis heureuse que vous déposiez le projet de loi C‑233, et vous ne serez pas surprise d'apprendre que ma formation politique et moi-même, évidemment, allons l'appuyer.
Le projet de loi suit, en quelque sorte, ce que le gouvernement du Québec a récemment mis en place. Il s'inscrit dans la lignée de ce qui s'est fait à l'Assemblée nationale. Nous avions hâte de voir Ottawa en arriver là. Par contre, nous voyons que Québec a déjà bougé peut-être un petit peu plus rapidement. Bref, je tiens à vous dire que nous appuyons vraiment cette nouvelle politique publique, qui est cohérente avec les valeurs des Québécoises et des Québécois.
Cependant, il faut souligner que cette amélioration à la législation ne règlera pas tous les problèmes de violence conjugale. Elle n'est pas une solution miracle. Plusieurs témoins ont prévenu le Comité qu'il ne faut pas penser qu'une mesure, comme le bracelet anti-rapprochement, par exemple, va tout régler en un coup de baguette magique. De nombreux témoins nous l'ont dit: il va falloir ajouter plusieurs autres moyens pour contrer ces violences.
Nous savons que le gouvernement du Québec a déjà annoncé l'implantation du bracelet anti-rapprochement, parmi un ensemble de 14 autres mesures en cours pour contrer la violence entre partenaires intimes.
Pour assurer la continuité de mise en application de ces mesures, je veux vous sensibiliser à l'importance de continuer d'augmenter le financement en santé versé au Québec et aux provinces pour maintenir l'offre de services adéquats aux victimes de violence conjugale. Plusieurs témoins l'ont mentionné. De nombreux organismes peuvent accompagner les victimes, et leurs services doivent aller de pair avec des mesures comme celle du bracelet anti-rapprochement.
Plusieurs témoignages ont insisté sur le caractère essentiel de ces organismes. Qu'en pensez-vous?
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Vous avez absolument raison.
D'ailleurs, je suis fière de dire qu'un des projets pilotes de tribunal spécialisé sera implanté chez nous, à Granby, au cœur de ma circonscription.
La réflexion qui sous-tend l'implantation de tribunaux spécialisés est justement fondée sur la question de la formation des juges. Il est essentiel qu'ils soient mieux formés.
Je veux simplement faire remarquer que le contrôle coercitif n'est abordé qu'en regard de la formation des juges et que, comme vous le dites, la modification au Code criminel qui est proposée dans le projet de loi déposé ne porte pas sur la criminalisation du contrôle coercitif. Je vous ai entendu dire que c'était le début d'une réflexion. Pourtant, une recommandation en ce sens a été faite par de nombreux experts, à maintes reprises, au Comité permanent de la condition féminine et au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Pour le moment, qu'est-ce qui fait que vous n'avez pas incorporé la recommandation de criminaliser le contrôle coercitif au projet de loi ?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je voudrais commencer par dire que c'est un plaisir de vous revoir, docteure Kagan. J'aimerais vous dire à quel point j'admire le courage dont vous faites preuve en vous servant de votre expérience pour évoquer la mémoire de votre fille d'une manière aussi héroïque. C'est vraiment touchant, et je tiens à vous rendre hommage aujourd'hui pour cet immense courage. Monsieur Viater, je sais que cette situation vous a également touché personnellement, alors je veux aussi saluer votre courage, votre amour et votre compassion.
Je remercie les députées Dhillon et Damoff d'avoir présenté ce projet de loi. En tant que femme à la Chambre des communes, je sais que l'espace que nous occupons n'est pas très grand. En créant l'occasion de parler de la violence et des mesures qui s'imposent pour y mettre fin, nous devons occuper ce champ d'action. Je tiens à vous remercier de faire ce travail à la Chambre des communes.
Ma première question s'adresse à Mme Dhillon.
Au sein de notre comité, nous avons parlé de la grande diversité culturelle en ce qui concerne les réactions aux traumatismes, aux préjudices et à la peur, ainsi que la manière dont on les exprime. Je suis tout à fait favorable au projet de loi pour ce qui est de la formation des juges, mais comment allons-nous nous assurer que la formation que reçoivent les juges leur permet d'avoir une vision interculturelle lorsqu'ils prennent de telles décisions?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Bonjour, chères collègues. Je salue également nos invités.
Nous vous sommes très reconnaissantes d'être ici aujourd'hui.
En tant que députée et, il y a 15 ans, à titre de ministre au gouvernement du Québec, j'ai posé des gestes, et nous en posons encore ici aujourd'hui. Je suis contente que nous ayons encore des conversations très pertinentes. Parfois, nous réussissons à améliorer la vie des gens. La plupart du temps, c'est ce à quoi nous travaillons, ici, au Parlement. Chaque geste que nous posons et chaque parole que nous prononçons peuvent changer la vie des gens et des femmes en particulier.
J'ai quelques questions à poser, mais vous aurez compris qu'il n'y aura pas beaucoup d'opposition, ici, cet après-midi.
En ce qui concerne l'obligation pour les juges de se former sur ces sujets, monsieur Viater, comment pensez-vous que cela va être reçu par les juges?
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Merci beaucoup. J'aimerais partager mon temps avec M. Morrice.
Docteure Kagan et monsieur Viater, je voudrais tout d'abord mentionner à quel point vous êtes incroyablement courageux. Il y a beaucoup de gens qui auraient sombré dans le chagrin après avoir vécu une expérience de ce genre, mais vous avez transformé cela en une mission qui va sauver la vie de nombreux enfants à l'avenir. Je crois que nous applaudissons tous l'incroyable courage que cela demande.
J'ai une question à vous poser, et j'aimerais que chacun de vous y réponde en environ 30 secondes, car je veux économiser une partie de mon temps afin de le céder à M. Morrice.
La loi comporte de nombreuses lacunes, et il y a de nombreuses façons de les combler. Pourquoi la formation des juges est-elle l'élément auquel nous devons nous attaquer en priorité?
Je suppose que je commencerai par entendre Mme Anju, puis Mme Damoff. Ensuite, j'aimerais donner la parole à nos deux autres témoins.
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En 2020, j'ai reçu un message sur Twitter de la part de Jennifer Kagan qui disait ce qui suit: « Une amie m'a dit que je devrais communiquer avec vous, et j'aimerais vous raconter l'histoire de ma fille. » Nous avons parlé au téléphone, et depuis, nous conduisons une mission afin d'honorer la mémoire de Keira et de faire en sorte que les juges soient éduqués.
Je pense que les modifications apportées à la Loi sur le divorce ont de bons côtés. Nous avons eu des conversations avec le au sujet de l'excellent travail qui a été réalisé en ce qui concerne la teneur de la mesure législative, mais d'un point de vue pratique, nous devons nous en assurer sur le terrain.
Je pense également que Mme Dhillon a mentionné de façon très élégante la surveillance électronique et l'éducation judiciaire dans le même projet de loi, car sans l'élément d'éducation, les juges ne sauront même pas qu'ils peuvent demander une surveillance électronique. Nous avons besoin que les juges soient sensibilisés à cette possibilité. Notre perception de ce qui constitue la violence familiale à l'heure actuelle est différente de ce qu'elle était il y a cinq ou 20 ans.
Je sais qu'il en va de même pour la Dre Kagan. J'ai été inondée — et je crois que la présidente l'a été aussi — de messages provenant de personnes qui ont fait affaire avec le système judiciaire d'aujourd'hui et qui vivent exactement la même chose. J'ai été attirée par Jennifer Kagan dès notre première conversation, comme chacun d'entre vous l'a été. Nous devons simplement prendre cette mesure.
Je vous remercie de votre question.
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Mesdames Dhillon et Damoff, je vous remercie beaucoup, encore une fois, d'avoir présenté le projet de loi . Je remercie également de leur présence la Dre Kagan‑Viater et M. Viater.
J'aimerais rappeler que le fait de parler de cette question ne date pas d'hier. Docteure Kagan‑Viater, vous avez souligné que la violence n'était pas toujours physique, mais qu'elle faisait toujours mal. Une campagne publicitaire diffusée à l'époque m'avait marquée en tant que jeune femme. C'est mon conjoint qui était à l'origine de cette campagne, qui y avait pensé. Je trouve qu'elle résumait bien ce qu'est le contrôle coercitif.
Si je comprends bien, le bracelet électronique n'aurait peut-être pas pu sauver votre fille. Vous avez rappelé que c'était davantage la formation des juges qui était en cause dans ce cas. C'est ce que j'ai compris.
Pour les survivantes et victimes de violence de la part d'un partenaire intime, l'important est qu'il n'y ait pas d'autres victimes, mais aussi de redonner confiance aux femmes pour qu'elles aient envie de rapporter ces situations, sentent qu'elles vont être écoutées et qu'on va accorder à leur situation toute l'importance qu'elle peut avoir.
Docteure Kagan‑Viater, j'aimerais que vous nous parliez de l'impact qu'aura une meilleure formation des juges et du fait que les femmes seront encouragées à rapporter ces situations.
Je suis entièrement d'accord, même si je pense que le droit familial provincial a régulièrement laissé tomber les femmes, en particulier dans les affaires où les enfants jouent un rôle.
Ma question vous est destinée, docteur Kagan-Viater. Vous venez de parler de la peur des représailles si l'on se manifeste. Cependant, les femmes qui subissent des mauvais traitements sont également maltraitées par les systèmes qui les interrogent. Les personnes maltraitées doivent prouver qu'elles sont maltraitées, et c'est aux femmes qu'il incombe de le faire. De mon point de vue, il s'agit là d'un autre acte odieux et violent commis à l'encontre des victimes de violence.
En ce qui concerne la formation, comment pensez-vous que nous puissions faire en sorte que le système judiciaire ne devienne pas un agresseur secondaire pour les femmes qui fuient la violence, notamment dans les cas de contrôle coercitif où les femmes n'ont pas d'ecchymoses sur le visage?
Au nom du Comité de la condition féminine, je tiens à remercier Anju Dhillon et Pam Damoff d'être venues faire un exposé aujourd'hui, pendant la première heure du débat sur le projet de loi .
Je remercie infiniment Jennifer Kagan-Viater et Philippe Viater. Je suis tout à fait d'accord avec Mme Damoff pour dire que le travail et le militantisme que vous avez accomplis pour honorer la mémoire de Keira Kagan sont méritoires. Nous sommes tous avec vous. Nous vous remercions de nous permettre de participer à votre mouvement et de faire en sorte que les choses changent pour tous les Canadiens. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant quelques secondes afin d'accueillir le ministère de la Justice.
Vous pouvez mettre fin à votre session. Nous vous remercions une fois de plus de vous être joints à nous.
La séance est suspendue.
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Bonjour. Nous amorçons la deuxième heure du débat et des délibérations sur le projet de loi .
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre deuxième groupe d'experts composé de membres du ministère de la Justice, notamment Melissa Moor, conseillère juridique, Services des affaires judiciaires, Secteur du droit public et des services législatifs; et Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil, Section du droit pénal et des politiques pénales.
Vous disposez ensemble de cinq minutes pour faire votre exposé. Quand vous me verrez commencer à faire rouler mon stylo, ce serait fantastique si vous pouviez commencer à conclure votre exposé.
Je vais maintenant vous céder la parole. Je ne sais pas qui souhaite commencer, mais je donne la parole aux représentants du ministère de la Justice. Vous disposez de cinq minutes.
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Je vous remercie infiniment de me donner l'occasion de parler aujourd'hui des réformes proposées par le projet de loi .
J'aimerais commencer par signaler le fait que je me joins à vous depuis ma résidence et mon lieu de travail qui se trouvent sur les territoires traditionnels de la nation Haudenosaunee et de la Nation algonquine anishinabe.
Je propose de vous donner un bref aperçu des réformes prévues dans le projet de loi en faisant référence aux cadres juridiques pertinents. Ensuite, ma collègue, Melissa Moor, et moi-même serons heureuses de tenter de répondre à vos questions.
Comme vous le savez, le projet de loi propose deux séries de modifications: une série de modifications apportées aux dispositions du Code criminel relatives à la mise en liberté judiciaire provisoire, communément appelées dispositions relatives à la mise en liberté sous caution, et une autre série de modifications apportées aux dispositions de la Loi sur les juges relatives aux colloques en vue de la formation continue des juges. J'aborderai ces séries de modifications tour à tour.
[Français]
Les modifications au Code criminel exigeraient qu'un juge de paix détermine si un accusé inculpé d'une infraction contre son partenaire intime devrait être tenu de porter un dispositif de surveillance à distance comme condition de mise en liberté provisoire, communément appelé « cautionnement », lorsque le procureur général le demande.
À l'heure actuelle, le Code criminel permet aux tribunaux saisis des demandes de mise en liberté provisoire d'imposer les conditions qu'ils jugent nécessaires, tant qu'elles sont justifiées, dans l'un des cas suivants: pour assurer la présence de l'accusé au tribunal, pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes, et [difficultés techniques] pour ne pas miner le paragraphe 515(10) du Code criminel.
Ils peuvent notamment imposer toute condition qu'ils jugent nécessaire pour assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infraction, ce qui peut inclure l'obligation de porter un dispositif de surveillance à distance comme condition de mise en liberté pour toute infraction, y compris les infractions contre un partenaire intime. La surveillance électronique des accusés mis en liberté sous caution est une question d'administration de la justice, et cette responsabilité relève donc des provinces et des territoires. L'utilisation d'un tel dispositif varie dans le pays. Certaines provinces et certains territoires offrent des programmes de surveillance électronique et assument le coût du dispositif, tandis que d'autres obligent l'accusé à en assumer le coût.
[Traduction]
J'aborderai maintenant les modifications apportées à la Loi sur les juges par le projet de loi C‑233, qui ajouteraient la violence entre partenaires intimes et le contrôle coercitif à la liste des colloques organisés en vue de la formation continue des juges que le Conseil canadien de la magistrature peut établir. Cette liste de colloques fait déjà allusion aux « questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social, lequel comprend le racisme et la discrimination systémiques », comme le prévoyait le projet de loi C‑3, qui est entré en vigueur en 2021.
Le « contrôle coercitif » est un terme inventé par les sociologues pour désigner un modèle de comportement contrôlant qui se produit au fil du temps dans le contexte de relations intimes ou familiales et qui sert à piéger les victimes, en éliminant leur sentiment de liberté dans la relation. Un vaste éventail de comportements contrôlants peut être employé, mais l'accent est mis sur la manière dont un tel modèle de comportement sert à assujettir les victimes, et non sur chaque incident au cours duquel l'agresseur exerce son contrôle.
Le concept de contrôle coercitif a été utilisé dans le contexte du droit de la famille et du droit pénal. Dans le contexte du droit de la famille, le concept a récemment été ajouté à la définition de la violence familiale dans la Loi sur le divorce. Bien qu'il n'y ait pas d'infractions particulières liées à la violence entre partenaires intimes ou au contrôle coercitif dans le Code criminel, de nombreuses infractions du Code criminel d'application générale peuvent viser ce type de comportements, comme l'homicide, les voies de fait, les menaces de mort ou de lésions corporelles, l'agression sexuelle et le harcèlement criminel.
Cela met fin à mes observations. C'est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions.
Merci.
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Je vous remercie et je remercie nos témoins d'être avec nous.
Je commencerai par dire que nos témoins précédents, Mme Kagan et son mari — Mme Kagan est la mère de Keira — ont beaucoup parlé des échecs du système actuel et du manque de formation des juges en matière de violence contre un partenaire intime et de violence familiale en général, même lorsqu'il s'agit d'enfants. Je ne sais pas trop comment les choses fonctionnent actuellement dans le système judiciaire en matière de violence, mais pourriez-vous nous donner une idée de ce à quoi cela ressemble actuellement?
Je sais que jusqu'à l'âge de 12 ans, un enfant n'est pas autorisé à décider s'il va vivre avec sa mère ou son père. Il ne peut pas choisir avec quel parent il va vivre. Dans certains cas, même lorsqu'il y a de la violence, le juge décide quand même que les deux parents ont la garde. Comment une telle décision peut-elle être prise? Selon vous, quelles autres protections existent actuellement pour garantir que l'enfant n'est pas maltraité ou qu'il est protégé d'un père comme celui de Keira?
Lorsqu'un membre de la famille est violent, les enfants peuvent être protégés de différentes façons par le système judiciaire. Dans différents domaines du droit, il y a des dispositions qui peuvent être invoquées pour protéger les enfants.
Par exemple, il y a le système de protection de l'enfance. C'est un domaine de compétence provinciale. Dans chaque province et territoire, il existe des lois qui régissent la protection des enfants. Si les autorités chargées de la protection de l'enfance estiment qu'un enfant est en danger, ce sont les lois de la province ou du territoire qui déterminent quels types de mesures peuvent être nécessaires pour protéger un enfant.
En ce qui concerne le divorce, dans la Loi sur le divorce [difficultés techniques], les critères renvoient à ce qu'on appelle « l'intérêt de l'enfant ». La Loi sur le divorce comporte une liste de facteurs. Le facteur principal est le bien-être et la sécurité physiques, psychologiques et affectifs de l'enfant.
Puis, il y a le Code criminel. S'il est allégué que des infractions criminelles ont été commises ou s'il y a une crainte qu'une infraction criminelle soit commise, si des accusations ont été portées contre un individu, alors il peut être détenu et...
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Merci. J'espère avoir bien compris la question.
Oui, nous suivons ce qui se fait au Québec.
[Traduction]
Je vais tenter de vous donner la réponse la plus précise possible.
Nous avons effectué un suivi des mesures qui sont prises dans différentes administrations, y compris au Québec, notamment en raison de certaines similitudes avec les changements proposés au Québec en matière de surveillance électronique.
Comme je l'ai mentionné, à un haut niveau, un élément comme la surveillance électronique est considéré comme faisant partie de l'administration de la justice, donc c'est un élément qui serait mis en place par les provinces et les territoires. Ils ont actuellement un certain nombre de mesures et de programmes différents.
Maintenant, pouvez-vous nous expliquer l'effet de cette mesure sur le plan judiciaire? Comment cela va-t-il changer précisément la manière de juger les agresseurs dans les cas de violence entre partenaires intimes?
Lors de l'implantation d'une nouvelle politique publique, il est important de la lier à une solution. C'est une mesure parmi tant d'autres et il faudrait peut-être la mettre en place sur le plan politique, mais comme vous l'avez dit, bien sûr, c'est difficile pour vous d'émettre des opinions. Je comprends cela, alors je vais plutôt parler d'outils.
Comment votre ministère va-t-il mesurer l'efficacité de cette politique publique? Avez préparé des outils de suivi pour évaluer cette nouvelle politique et voir comment cela évolue?
Je vais revenir à une question que j'ai tenté de poser à Mme Lambropoulos et à Mme Damoff. Elles m'ont dit de vous la poser, puisque cela relevait plus de vous, comme fonctionnaire.
Au Québec, avec l'adoption récente du projet de loi no 24, on a choisi le bracelet anti-rapprochement comme dispositif, mais sa mise en place, qui va commencer dès ce printemps, va s'échelonner sur plusieurs mois.
Comment la mise en place de ce bracelet va-t-elle s'effectuer du côté fédéral?
Concernant l'implantation concrète, Québec a un plan. De votre côté, au ministère de la Justice, est-on en train de prévoir comment cela va se dérouler? Avez-vous un calendrier d'implantation pour bien déterminer ce qui va se passer?
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Je pose cette question parce qu'au Manitoba, nous avons ce qui s'appelle « pour le bien des enfants ». Les parents qui divorcent doivent suivre une formation pour examiner leurs propres comportements afin d'être coparents dans l'intérêt de l'enfant et de toujours faire passer l'enfant en premier. Il est vraiment important de toujours faire passer l'enfant en premier.
Une partie de la stigmatisation qui entoure cette question se produit lorsqu'un des partenaires subit un contrôle cœrcitif. Il craint même de faire des commentaires sur l'autre parent de peur d'être étiqueté avec ce qu'on appelle le « syndrome du parent malveillant ». Il existe quatre critères à cet égard.
Le premier est qu'une personne souffrant de ce syndrome « tente de punir le parent qui divorce en s'efforçant de monter les enfants contre l'autre parent et en impliquant d'autres personnes ou les tribunaux dans des actions visant à séparer le parent et l'enfant ». Le deuxième est que la personne « cherche à priver les enfants de visites et de communications avec l'autre parent et de sa participation à l'école ou aux activités extrascolaires de l'enfant ». Le troisième est « mensonges répétés à l'égard de ses enfants et d'autres personnes et peut se livrer à des violations de la loi ». Enfin, une personne souffrant de ce syndrome ne souffre d'aucun autre trouble mental qui expliquerait ces actions.
Je le mentionne parce que dans le cas de la Dre Kagan-Viater, elle s'est plainte 53 fois et a soulevé des préoccupations qui étaient valables concernant les visites du père à Keira. Elles n'ont pas été prises au sérieux. Elle a été traitée comme un parent malveillant. En conséquence, Keira a perdu la vie.
Dans le cadre de la formation des juges, comment va‑t‑on aborder cette question afin d'éviter cette présomption? Si un parent fait part de préoccupations légitimes, même dans les cas de divorce où les deux parents subissent des évaluations psychologiques approfondies, cela ne doit plus jamais être négligé pour éviter que des enfants perdent la vie ou soient brisés moralement.
Est‑ce qu'un des témoins peut répondre à cette question?
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Comme ma collègue l'a mentionné, en tant que représentantes du ministère, nous ne pouvons pas émettre d'opinions sur des amendements potentiels ou suggérer des amendements à un projet de loi. Cependant, je vais répondre à votre question d'une manière différente.
Comme vous l'avez mentionné, la magistrature a un contrôle sur la formation des juges, y compris la formation qu'ils suivent. On peut voir que le Conseil canadien de la magistrature, qui fixe les exigences en matière de formation des juges nommés par le gouvernement fédéral, prend la formation des juges très au sérieux. Sur son site Web, il présente plusieurs politiques sur la formation des juges qui soulignent l'importance de la formation continue pour que les juges puissent continuer à apprendre et aussi garder la confiance du public. On sait que les juges élaborent des plans de formation qui sont approuvés par leurs juges en chef.
Ce projet de loi reconnaîtrait expressément, dans l'une des modifications proposées à la Loi sur les juges, que le CCM peut organiser des séminaires sur le contrôle cœrcitif et la violence entre partenaires intimes, et il modifierait également la Loi sur les juges pour élargir la portée de la disposition qui recommande ou encourage le CCM à organiser des séminaires pour inclure des séminaires sur la violence interpersonnelle ou la violence entre partenaires intimes et le contrôle cœrcitif.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je vous remercie, mesdames, d'être présentes cet après-midi.
Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser. Cependant, j'en ai une qui porte sur une de vos réponses, qui m'a un peu surprise.
Madame Davis‑Ermuth, à la question d'une de mes collègues concernant l'application des nouvelles dispositions du projet de loi et la façon dont tout cela allait être vérifié sur le terrain, de même qu'à ma question en début d'après-midi, à savoir comment on analysait les effets de ces nouvelles dispositions, vous avez répondu que c'était Statistique Canada qui allait faire ce travail.
Ai-je bien compris?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier nos témoins, et tous les membres de ce comité. Ce projet de loi me tient à cœur, car j'ai travaillé avec les députées Dhillon et Damoff, ainsi qu'avec Mme Kagan et M. Viater, pour que nous en arrivions là. Je tiens à tous vous remercier des efforts de collaboration que vous avez déployés, afin d'approfondir cette question pour que nous puissions protéger les partenaires et les enfants.
La question du contrôle coercitif, ainsi que celle de la surveillance électronique, ont fait l'objet de conversations nationales dans un certain nombre d'administrations aux vues similaires, notamment en Australie et au Royaume-Uni, ainsi qu'ici au Canada.
À titre de précision, lorsque nous parlons de contrôle coercitif et de violence conjugale, le ministère de la Justice a publié un document sur les différentes définitions de la violence conjugale dans « Renforcement de la sécurité ». On y lit ce qui suit:
« La violence conjugale coercitive »... est habituellement un processus cumulatif et structuré qui survient lorsqu'un conjoint ou un ancien conjoint adulte tente, par des moyens émotionnels et psychologiques, physiques, économiques ou sexuels, d'exercer à l'égard de l'autre une coercition, une domination, une surveillance, une intimidation ou une autre forme de contrôle.
Le paragraphe suivant se lit comme suit:
La violence conjugale coercitive peut comporter un ensemble de comportements de surveillance émotionnelle, financière ou psychologique, de domination, de dégradation, d'intimidation, de coercition ou de contrôle sans violence physique ou sexuelle.
Je pense que ces précisions sont très importantes dans le cadre de ce projet de loi. D'après ce que j'ai compris, d'autres aspects de la formation actuelle qui se rapportent aux agressions sexuelles ou à la violence entre partenaires intimes comprennent la formation à la compréhension des répercussions physiques, c'est-à-dire la détection des signes révélateurs que présentent les victimes. Ce que nous constatons de plus en plus est que ce comportement cumulatif de violence s'intensifie au fil du temps suivant un schéma systématique qui aboutit à une explosion de violence à l'encontre des victimes, qui peuvent être des enfants ou des partenaires. Les personnes affirment qu'elles n'ont rien vu venir, alors que les signes étaient là.
Ma question s'adresse à Mme Moor ou à Mme Davis-Ermuth: dans la formation actuelle, qui ne mentionne que les agressions sexuelles et la violence entre partenaires intimes, l'élément relatif au « contrôle coercitif » que nous allons ajouter permettrait-il aux juges de mieux comprendre les signes avant-coureurs?
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais revenir à la question de l'application, parce que nous sommes quelques‑unes — vous n'êtes pas toute seule, madame Vien — à trouver que ce n'est pas clair.
Madame Moor, vous venez pourtant d'ouvrir la porte sur ce qui se passe à l'étranger. Le Québec est en train de mettre en place le système des bracelets anti-rapprochement. Des mesures sont prises dans d'autres pays.
Si le ministère de la Justice pense ne pas disposer des moyens nécessaires pour bien mesurer les effets de ce bracelet sur les victimes, pourrait-il s'inspirer d'autres pays, comme l'Australie, que vous avez nommée, l'Espagne et le Royaume‑Uni? Il pourrait ainsi obtenir de la rétroaction sur ce qui lui manque afin de pouvoir mieux comprendre les effets de cette mesure sur les victimes et bien les évaluer.
J'aimerais donc vous entendre à nouveau sur le sujet.
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Merci beaucoup, madame la présidente, et merci pour le temps que vous nous avez accordé aujourd'hui.
J'ai une petite inquiétude, car la façon dont nous définissons les choses est très importante dans le cadre de cette loi. Je fais cette mise en garde parce que le fardeau est souvent placé sur les femmes — le conjoint éconduit, vous savez, et tous les stéréotypes — puis les juges, qui sont essentiellement tous des hommes, peuvent suivre une formation ou non. Je trouve cette situation profondément inquiétante.
J'ai une question sur les services de police. Dans le cadre de l'étude de notre comité sur la violence entre partenaires intimes, on nous a dit que l'utilisation de dispositifs de surveillance électronique doit s'accompagner d'une formation destinée aux agents de police, et que les services de police doivent développer les compétences nécessaires pour répondre aux signaux d'alarme émis par ce dispositif.
Que faut‑il faire pour que les agents de police de tout le Canada soient correctement formés sur la façon de réagir au signal envoyé par les dispositifs et pour garantir la sécurité des survivants?
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Formidable. Merci beaucoup, madame Lambropoulos, pour ce préavis.
Comme l'a dit Mme Lambropoulos, et compte tenu du temps dont nous disposons, nous ne débattrons pas de cette motion. Nous n'avons que deux minutes et nous devons examiner un projet de loi très sérieux.
Tout d'abord, je dois faire adopter ce budget au montant astronomique de 5 175 $. Il s'agit de la somme totale.
Puis‑je obtenir l'approbation de ces 5 175 $?
Des députés:Oui.
Le président: Tout le monde l'approuve.
Nous allons passer à un autre sujet. Il s'agit d'un thème qui vient d'être abordé par ce comité. Le Conseil de la magistrature a répondu non à notre invitation. C'est ce dont nous avons beaucoup parlé, l'indépendance du Conseil canadien de la magistrature. L'Association du Barreau canadien avait demandé à venir, et je me suis dit: « C'est un peu la même chose. C'est toute la question du droit ». Ces personnes ont maintenant retiré leur demande de comparution parce qu'elles n'ont pas assez de temps.
On a également suggéré le nom de Peter Jaffe. Vous vous souviendrez tous de son travail sur la violence entre partenaires intimes, mais nous avons également entendu parler de l'institut du conseil de la magistrature. J'aimerais juste vous dire que nous devons déterminer qui seront les autres membres du groupe de témoins, car nous avons eu plusieurs personnes différentes. L'institut du conseil de la magistrature crée ces programmes. Est‑il prêt à comparaître?
Madame Damoff, souhaitez-vous faire un commentaire?