NRGO Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON NATURAL RESOURCES AND GOVERNMENT OPERATIONS
COMITÉ PERMANENT DES RESSOURCES NATURELLES ET DES OPÉRATIONS GOUVERNEMENTALES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 6 novembre 1997
Le président (M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.)): Chers collègues et invités, j'ai le plaisir de déclarer ouverte la séance du jeudi 6 novembre du Comité permanent des ressources naturelles et des opérations gouvernementales. Nous poursuivons notre étude en vue de la Conférence de Kyoto sur les changements climatiques qui doit avoir lieu au début de décembre cette année.
Nous rencontrons au cours de la première heure des représentants de l'Institut canadien des produits pétroliers, soit MM. Jack Belletrutti et Robert Clapp. Nous aurons ensuite M. Richard Paton de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques.
Laissez-moi tout d'abord vous dire quelques mots au sujet de l'Institut aux fins du compte rendu. L'Institut canadien des produits pétroliers a été fondé en 1989. Ses membres sont issus de différents secteurs d'activités de l'industrie pétrolière, principalement de la vente au détail, j'imagine?
M. Robert Clapp (vice-président, Institut canadien des produits pétroliers): Du raffinage et de la commercialisation.
Le président: Il y aurait beaucoup à dire à propos de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques fondée en 1962, mais je me contenterai d'indiquer qu'elle emploie plus de 27 000 personnes, ce qui est assez important pour notre pays.
Je crois savoir que les représentants de chacune de ces deux organisations feront un exposé de six ou sept minutes, après quoi nous passerons directement aux questions. Sans plus tarder, j'inviterais l'Institut à commencer, monsieur Belletrutti ou monsieur Clapp.
Merci.
M. Robert Clapp: Merci, monsieur le président. Je m'appelle Bob Clapp et je suis vice-président de l'ICPP, responsable de la division de l'Ontario, et M. Jack Belletrutti est de notre bureau d'Ottawa.
Permettez-moi de prononcer quelques mots d'introduction, après quoi Jack vous présentera l'essentiel de notre exposé.
Comme le président l'a dit, nous représentons les secteurs du raffinage et de la commercialisation de l'industrie pétrolière au Canada. Nos membres englobent des entreprises comme Shell, Petro-Canada, la Compagnie pétrolière impériale Ltée, Suncor, Ultramar et Chevron, en exploitation d'une mer à l'autre. Nous intervenons pour plus de 85 p. 100 des activités de raffinage et plus de 85 p. 100 des produits vendus au Canada.
L'ICPP a pris une part très active à l'étude des changements climatiques au cours des cinq dernières années. Nous avons siégé au groupe de travail multipartite qui a élaboré le plan d'action national du Canada. Nous avons participé au premier examen du plan qui a eu lieu l'année dernière. Nous avons aussi joué un rôle important dans la revitalisation du Programme d'économie d'énergie dans l'industrie canadienne, le PEEIC. Nous avons également travaillé à l'établissement du registre volontaire et du bureau qui a récemment été créé. Je suis fier de dire que nous avons réussi à convaincre tous nos membres de participer à ce programme.
Plus récemment, nous avons aussi siégé au Comité de coordination national sur les problèmes atmosphériques et au comité consultatif sur les changements climatiques et travaillé à ce dossier avec des représentants de l'industrie, le Conseil canadien des chefs d'entreprise et d'autres associations industrielles. Nous avons donc une expérience assez vaste et assez longue de cette question.
C'est avec plaisir que je cède maintenant la parole à Jack Belletrutti qui va vous présenter le gros de notre exposé. Nous répondrons ensuite à vos questions.
M. Jack Belletrutti (vice-président, Institut canadien des produits pétroliers): Merci beaucoup.
L'ICPP est très heureux de vous faire part de ses observations sur cette question. Comme l'économie canadienne s'appuie sur l'énergie et sur les exportations, il pourrait s'agir là de l'une des décisions stratégiques les plus importantes sur le plan économique que notre pays devra prendre, du moins au cours de la prochaine décennie.
Comme vous le savez tous, les États-Unis ont fait connaître récemment leur position sur les changements climatiques, position qui consiste à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 d'ici 2008 à 2012, et de les réduire après 2012.
Nous savons tous que le Canada n'a pas encore fait connaître sa position, mais tout nous porte à croire qu'il s'apprêterait à s'aligner sur la position des États-Unis et même à la dépasser. S'il en est ainsi, il nous semble que le Canada soit prêt à adopter une position sans comprendre pleinement comment il atteindra ces objectifs. Nous nous demandons comment il s'y prendra. Nous devons donc mettre le gouvernement fédéral au défi de décrire à tous les Canadiens—les provinces, le grand public et le secteur privé—les moyens qu'il entend prendre pour respecter des engagements ayant force de loi, et les sacrifices que les Canadiens devront faire et ce, avant même qu'on signe une entente à Kyoto.
• 1110
Nous estimons qu'il est impossible de stabiliser les émissions
de gaz à effet de serre dans les délais prévus, c'est-à-dire en
l'an 2010, sans freiner considérablement la croissance de
l'économie canadienne. À en juger par les sondages qui ont été
effectués, selon nous, c'est un prix que le public canadien n'est
pas prêt à payer. Nous croyons également qu'il est prématuré et
inutile d'adopter des mesures aussi draconiennes.
Je vais vous expliquer pourquoi, dans un premier temps, la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre au cours des dix prochaines années aura pour effet de freiner la croissance économique et, dans un deuxième temps, pourquoi il est prématuré et inutile d'adopter des mesures draconiennes.
Premièrement, la consommation énergétique et la croissance économique sont étroitement liées. Pour croître, l'économie a besoin d'énergie. Au Canada, 70 p. 100 de cette énergie vient des combustibles fossiles pour lesquels il n'existe en ce moment aucune solution de remplacement qui soit à la fois économique et acceptable et qu'on puisse se mettre à utiliser aujourd'hui même.
Les combustibles fossiles représentent 70 p. 100 des sources d'énergie au Canada, mais le pourcentage correspondant est de 85 p. 100 environ aux États-Unis—et je pense que c'est aussi la moyenne mondiale. Cela veut donc dire que le Canada a déjà fait beaucoup sur le plan de l'efficacité énergétique pour réduire sa dépendance à l'égard des combustibles fossiles. Prenons, par exemple, les programmes de remplacement du pétrole des années 70 et 80. Il sera donc plus difficile pour nous de réduire notre consommation de combustibles fossiles.
Les mesures prises par l'industrie ne suffiront pas à elles seules à stabiliser les émissions. En fait, l'industrie a assez bien réussi à améliorer son intensité énergétique—l'intensité énergétique étant la quantité d'énergie utilisée par unité de production. Elle l'a améliorée d'à peu près 1 p. 100 par année depuis 1990. L'industrie des produits pétroliers, que nous représentons, a amélioré son intensité énergétique de plus de 12 p. 100 depuis 1990, et nos raffineries émettaient entre 3 p. 100 et 6 p. 100 moins de CO2 en 1996 qu'en 1990. Autrement dit, en ce qui concerne nos propres installations industrielles, nous sommes au- dessous de l'objectif de stabilisation de 1990.
Ce que nous cherchons à vous dire, c'est que ces initiatives, même si elles sont très louables, seront un jour réduites à néant par l'accroissement de la demande énergétique provenant de l'augmentation de la population et de la croissance économique.
On prévoit que les émissions augmenteront dans tous les secteurs. Vous trouverez deux tableaux à la fin de notre exposé. Je vous demanderais de vous y reporter, surtout au premier qui a pour titre: «On ne peut diminuer les émissions qu'en limitant la consommation énergétique pour tous.» Ce tableau donne une idée des émissions de CO2, en tonnes métriques par année, que représentent les colonnes, pour les différents secteurs de l'économie dont le nom figure au bas.
Au bas, à l'extrême droite, vous pouvez voir l'écart prévu en l'an 2020 si la tendance actuelle se poursuit. Ces chiffres proviennent des prévisions en matière d'énergie de Ressources naturelles Canada. L'écart en l'an 2020 sera de 164 millions de tonnes. Il s'agit du total pour l'ensemble des secteurs représentés ici. Vous pouvez donc voir qu'on ne peut faire porter tous les efforts sur un seul secteur pour atteindre un objectif de stabilisation. Aucun secteur ne peut, à lui seul, combler cet écart de 164 millions de tonnes. Par exemple, je suppose que si on convertissait tout à l'énergie nucléaire pour réduire la production d'énergie, on réussirait à combler une bonne partie de cet écart.
L'un des plus gros secteurs est celui des transports, qui concerne absolument tout le monde. Tout dépend des voitures que nous conduisons, de la mesure dans laquelle nous les utilisons, de notre façon de conduire, des endroits où nous allons et des distances que nous parcourons. Donc, pour combler l'écart, il faut vraiment se concentrer sur tous les secteurs. Selon nous, chaque secteur de l'économie a un rôle à jouer si nous voulons combler cet écart.
• 1115
Si vous prenez le tableau suivant, vous verrez, d'après les
quelques exemples donnés, à quel point il sera difficile
d'atteindre un objectif de stabilisation dans les délais prévus.
Par exemple, si nous éliminions la moitié des automobiles, nous
réduirions l'écart du tiers environ. Ce serait la même chose si
nous interdisions totalement l'immigration. Si on triplait le prix
du pétrole brut pour le faire passer de 20 $ à 60 $ la tonne—ce
qui ferait probablement doubler le prix d'un litre d'essence pour
le consommateur, qui passerait ainsi à près de 1 $—on pourrait
probablement combler l'écart. Mais il s'agit là d'une mesure très
coûteuse et assez draconienne qui repose sur l'hypothèse que les
consommateurs se comporteraient selon les modèles d'élasticité sur
lesquels de tels calculs seraient fondés. Permettez-nous d'en
douter.
Une enquête menée par le Conference Board du Canada a fait ressortir qu'il en coûterait entre 1,5 p. 100 et 2,5 p. 100 de notre produit national brut chaque année pour atteindre l'objectif de stabilisation en l'an 2010. Cela représente de 15 à 30 milliards de dollars par année jusqu'en 2010. S'il doit s'agir là de notre objectif, c'est une proposition très coûteuse.
Deuxièmement, nous trouvons qu'il est prématuré et inutile d'adopter des mesures draconiennes. Les découvertes scientifiques vous ont servi d'avertissement, mais trop de questions demeurent encore sans réponse pour qu'on puisse ajouter totalement foi à ces découvertes. Nous proposons donc une gestion prudente des risques. Nous devrions prendre des initiatives rentables tant que l'incertitude persistera au lieu d'adopter des politiques coûteuses qui nuiront vraiment à notre économie.
La plupart des scientifiques qui croient au réchauffement de la planète ne s'attendent pas à ce qu'il ait des effets importants avant plusieurs dizaines d'années. Deux documents traitent de cette question. Le premier a été préparé par Heritage Foundation aux États-Unis et le deuxième par l'Institut C.D. Howe au Canada.
Nous disposons donc d'assez de temps pour agir prudemment et faire porter nos efforts sur l'amélioration des mesures volontaires comme Mesures volontaires-Défi climat, programme auquel participent tous les membres de l'ICPP. Par exemple, pourquoi ne pas mettre pleinement à l'essai les mesures volontaires? Nous croyons qu'il y a encore beaucoup à faire en ce sens—lorsque nous disons pleinement, nous voulons dire à aussi grande échelle que possible. Il faudrait donc que de plus en plus de gens participent à ce programme.
La sensibilisation de la population aux économies d'énergie et une utilisation responsable de toute forme d'énergie font partie des programmes destinés aux consommateurs qui pourraient s'avérer assez payants. Nous devrions mettre en oeuvre un plus grand nombre de ces programmes. Par exemple, c'est ce que notre industrie envisage de faire. Nous essayons de trouver le meilleur moyen de nous y prendre, mais c'est une mesure que nous entendons prendre.
De plus, nous avons le temps de mettre au point de nouvelles technologies économiquement viables, parce que nous aurons besoin de percées technologiques pour pouvoir remplacer des infrastructures moins économes d'énergie et atteindre l'objectif fixé; en d'autres mots, une rotation des stocks de capital sera possible.
Ce ne sont là que de très brefs commentaires, mais j'espère avoir réussi à vous convaincre que la tâche qui nous attend n'est pas facile. Il sera très difficile d'atteindre l'objectif fixé, et nous ne pensons pas vraiment pouvoir y parvenir sans que des mesures draconiennes soient prises, si l'objectif est vraiment la stabilisation en l'an 2010 ou avant. Par mesures draconiennes... nous entendons l'imposition de lourdes taxes sur l'énergie et peut- être même le rationnement de l'énergie, solutions que les Canadiens ne sont peut-être pas prêts à accepter.
En l'absence d'un plan... Autrement dit, nous voulons savoir comment le Canada entend s'y prendre. Le gouvernement a-t-il un plan d'action si c'est vraiment l'objectif qu'il s'est fixé? En l'absence d'un tel plan, il devrait s'assurer que les objectifs établis n'ont pas force de loi ou que l'accord signé relativement aux protocoles de mise en oeuvre sera assez souple. Par exemple, les objectifs pourraient être différents compte tenu de nos circonstances particulières et du crédit pour les réductions d'émissions dans d'autres pays. J'aurais beaucoup d'autres choses à ajouter si vous me posez une question à ce sujet.
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Je pourrais aussi vous exposer nos vues sur l'engagement des
pays en développement, si elles vous intéressent.
Autrement dit, nous avons besoin de ce genre de souplesse. L'exécution conjointe est une question importante. Nous devons penser à tout cela pour éviter des sanctions ou peut-être même des embarras politiques dans l'avenir.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup. Je crois que vous avez distribué un résumé, et vous pourrez nous donner plus de précisions, j'espère, lorsque vous répondrez aux questions.
Nous allons maintenant céder la parole à MM. Paton et Caswell de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques.
M. Richard Paton (président-directeur général de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques): Merci beaucoup, monsieur le président. Je pense que mon exposé va compléter celui de l'ICPP en ce sens que je vais m'attacher plus particulièrement au secteur de la fabrication des produits chimiques et vous indiquer certains des défis que poseraient pour nous les objectifs de stabilisation liés aux changements climatiques.
Premièrement, je tiens à remercier le comité de prendre le temps de se renseigner sur cette question. Je dirais que c'est l'une des questions les plus importantes pour notre pays à l'heure actuelle. Sans vouloir exagérer, il est très alarmant que nous abordions cette question avec si peu d'information et aussi tardivement. La décision qui sera prise pourrait facilement influer sur les perspectives d'emploi de nos enfants, la nature de notre économie et la croissance économique. Il est très difficile d'imaginer comment nous en sommes venus à participer aux discussions de Kyoto sans en savoir davantage sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur notre pays et sur les citoyens canadiens.
Je vais tout d'abord vous dire quelques mots au sujet de nos entreprises et de notre association. Nous représentons 72 entreprises qui fabriquent des produits chimiques. Je vais me contenter de mentionner Dow, Dupont, Shell et l'Imperial qui ne sont que quelques-unes des nombreuses entreprises qui font partie de vos circonscriptions. La valeur de notre production s'élève à environ 15 milliards de dollars, nous employons 27 000 personnes, sans compter les nombreux emplois dans d'autres secteurs de l'économie, et nous sommes une industrie en pleine croissance. Par exemple, nous sommes en train d'investir quatre milliards de dollars en Alberta, ce qui créera à peu près 12 000 emplois dans le secteur de la construction et 100 000 emplois au total dans d'autres secteurs, et nous avons des projets en cours partout au Canada.
La raison pour laquelle je vous parle de croissance, c'est que, malheureusement, dans la plupart des cas, croissance veut dire consommation de combustibles fossiles. La croissance engendre du dioxyde de carbone ou CO2. L'un des défis que nous devons relever et que le gouvernement devra relever lui aussi je pense, consiste à concilier la croissance et l'emploi avec le CO2 et les gaz à effet de serre.
L'ACFPC est une association unique parce qu'elle a institué ce que nous appelons le Programme de gestion responsable. Il s'agit probablement du programme de mesures volontaires pour la protection de l'environnement et de la santé le plus rigoureux au Canada et peut-être même dans le monde. Nous avons lancé la Gestion responsable vers le milieu des années 80. Nos entreprises ont adopté des codes et des principes de gestion responsable. Ce programme a maintenant été adopté par 42 autres pays et nous nous sommes engagés à réduire sans cesse l'impact que nous avons sur l'environnement et sur les collectivités. Nous parlons franchement aux Canadiens de nos émissions et de notre impact sur les collectivités.
Dans le cadre de la Gestion responsable, nous participons à Mesures volontaires et Registre et nous avons cherché activement à réduire les émissions de CO2 et d'autres gaz à effet de serre. Dans le cadre également de la Gestion responsable, nous publions un rapport annuel sur la réduction des émissions. En fait, c'est Bruce Caswell qui a l'honneur, et malheureusement peut-être la tâche, de le publier chaque année. Nous faisons rapport de toutes les émissions de produits chimiques, de toutes nos émissions comme industrie. Tous nos membres nous communiquent leurs données et nous les publions chaque année. Trop peu d'organisations peuvent se vanter d'en faire autant, mais cela nous donne aussi l'occasion de faire le point sur nos émissions de CO2 et d'autres gaz à effet de serre. J'y reviendrai dans une minute.
• 1125
Je dois mentionner qu'en 1996, nos membres ont indiqué que
leurs émissions de dioxyde de carbone avaient augmenté de 6 p. 100
depuis 1992, pendant que les données préliminaires de Statistique
Canada montrent que la valeur des expéditions en dollars constants
avait connu une hausse supérieure à 18 p. 100 pendant la même
période.
Je vous dis cela parce que notre industrie produit environ 2 p. 100 de toutes les émissions de dioxyde de carbone au Canada. Nous avons enregistré un taux de croissance de 18 p. 100 depuis 1992. Nos émissions de dioxyde de carbone n'ont augmenté que de 6 p. 100. Nous avons donc un taux de rendement énergétique semblable à celui que l'ICPP mentionnait.
Pour ce qui est des autres gaz à effet de serre—je pense à l'oxyde nitreux, par exemple—nous avons pu réduire nos émissions de 90 p. 100 en 1997. Dans les cas où des gaz à effet de serre précis ont pu être identifiés, nos entreprises ont investi pour réduire ces gaz. Cependant, nous demeurons aux prises avec un problème de dioxyde de carbone qui est dû en grande partie à notre croissance.
Par ailleurs, nos membres ont amélioré leur efficacité énergétique si on mesure l'énergie employée par tonne de produits fabriqués. Depuis 1973, l'amélioration est de 35 p. 100, ce qui est supérieur à la moyenne des industries canadiennes. Nos membres continuent à faire rapport de leur consommation énergétique par l'entremise de Statistique Canada et à améliorer leur rendement énergétique.
Comme organisation membre du Programme de gestion responsable, nous nous attendons à ce que nos membres s'engagent—et ils le font—à réduire leurs émissions, ce qu'ils font.
Nous avons fait d'énormes progrès dans des secteurs précis où nous pouvons identifier des produits chimiques ou des émissions en particulier que nous pouvons réduire en modifiant les opérations d'une usine donnée. Toutefois, le CO2 pose un énorme problème pour nous.
Je veux que vous regardiez pendant un instant les tableaux de l'annexe qui vous donnent une idée de ce problème et de certains des problèmes que pose la Convention de Rio.
Si vous regardez le premier tableau et que vous prenez la ligne verte, vous remarquerez peut-être que le chiffre pour 1991, qui est le plus bas, correspond à la période de récession. Nos émissions de CO2 étaient à leur niveau le plus bas au moment où notre production l'était elle aussi. Il est regrettable que le chiffre utilisé pour la stabilisation ait été fixé au point le plus bas du cycle économique et non trois ans plus tôt—disons en 1989— parce que si cela avait été le cas, nous aurions presque atteint aujourd'hui l'objectif de stabilisation.
Toutefois, il n'a pas été fixé à ce niveau. Si vous remontez la ligne verte, vous verrez qu'elle correspond à notre production. Vous pouvez voir que notre production augmente considérablement, ce qui est une bonne nouvelle, je suppose, pour tous les députés. Elle est synonyme d'emploi. Les emplois posent aussi un problème dans notre pays—un problème très grave.
Cette ligne continuera à grimper, malheureusement en ce qui concerne le débat sur les changements climatiques, mais très heureusement en ce qui concerne l'économie. Donc, notre production continue à augmenter.
Si vous prenez la ligne du dessous, vous pouvez remarquer aussi que nos émissions de CO2 n'augmentent pas aussi rapidement que notre production, mais il reste qu'elles augmentent. Elles ont augmenté par rapport au niveau de 1991. Même si elles n'augmentent pas proportionnellement à la production, elles enregistrent quand même une tendance à la hausse.
Si vous prenez le tableau suivant, vous verrez que nous avons pu réussir à réduire les gaz à effet de serre—qui englobent l'oxyde nitreux. Mais il reste que nous sommes aux prises avec un défi difficile à relever concernant le CO2. Ce défi est lié au fait que la formule de Rio ne tient pas compte de l'économie canadienne, du rôle important des ressources dans l'économie canadienne, de la population ou de la croissance économique. Les chiffres sont tous basés sur une formule qui ne reflète pas l'économie canadienne.
J'aimerais maintenant vous exposer nos vues sur les changements climatiques. Étant donné cette réalité et la réalité pour notre industrie, le fait est que c'est une question économique de la plus haute importance pour notre pays. Nous ne pouvons pas adopter des mesures draconiennes du genre de celles que l'ICPP a mentionnées sans que les investissements dans l'industrie chimique et sans que la croissance s'en ressentent.
Donc, le gouvernement a fait preuve d'un grand optimisme, et d'une certaine naïveté je dirais, lorsqu'il a dit qu'il faut que nous considérions cela comme une chance, que nous allons y parvenir grâce à l'innovation technologique. Tout cela suppose des coûts réels et de véritables compromis. Il faut que les Canadiens sachent que ces compromis ne se bornent pas aux problèmes qui se poseront à l'industrie chimique; il s'agit d'un problème concernant leurs automobiles, leurs maisons et chacun des aspects de leurs vies, et ils devront y faire face.
• 1130
L'ACFPC aurait quelques suggestions à faire. Tout d'abord,
nous devrions nous fixer des objectifs à plus long terme.
L'avantage important dont nous jouissons comme industrie chimique,
c'est que nous pourrions, grâce à la R-D et à l'innovation,
fabriquer des produits chimiques autrement qu'en les faisant
chauffer et en causant des réactions, mais cela n'arrivera pas
avant l'an 2010. Des usines ont été construites et fabriquent des
produits chimiques, mais des limites seront imposées à la
technologie dans les dix prochaines années. Nous avons besoin d'un
délai plus long pour pouvoir apporter les ajustements nécessaires.
Nous devons reconnaître les différences entre les pays. Le Canada n'est pas les États-Unis, ni la France, ni l'Allemagne, ni le Royaume-Uni. Chaque pays a des défis particuliers à relever, mais notre économie est plus axée que d'autres sur l'énergie. Un grand nombre de nos exportations, comme le gaz naturel, contribuent à la diminution des coûts de l'énergie et des émissions de CO2 dans d'autres pays. Je crois que le premier ministre l'a reconnu, mais la formule de Rio n'en tient pas compte, et je ne vois rien pour l'instant dans les discussions de Kyoto qui en tiendrait compte. Donc, nous devons être prudents dans la façon dont nous établissons ces objectifs, et nous devons reconnaître que le Canada a un type différent d'économie et des défis différents à relever.
Il faudrait intégrer les pays en développement dans la formule. C'est une question d'intérêt mondial. La solution est mondiale elle aussi. Dans dix ans, nous pourrions avoir apporté des changements en profondeur pour voir les investisseurs quitter notre pays pour aller s'implanter ailleurs. C'est une possibilité réelle. Le tableau général ne change pas du tout, parce que les pays en développement ont actuellement des émissions de CO2 beaucoup plus élevées que les nôtres.
Il faudrait exploiter tout le dynamisme des entreprises et du marché. On pourrait notamment se servir d'outils comme les échanges de droits d'émission, utiliser des mesures volontaires, comme l'ICPP l'a mentionné, encourager les investissements en R-D dans les technologies qui n'affectent pas le climat et inciter toutes les sphères de la société à faire partie de la solution. À l'heure actuelle, bien des gens ont l'impression que le problème, tout comme sa solution, se situe au niveau de l'industrie. Ce n'est pas le cas, comme l'ICPP l'a fait valoir dans son exposé.
En guise de conclusion, je dirais qu'il s'agit d'un défi de taille pour l'économie et pour les Canadiens. Nous sommes très préoccupés par le fait que tout semble indiquer aujourd'hui que le Canada s'apprête, les yeux fermés, à emboîter le pas aux États-Unis sans tenir vraiment compte des réalités de l'économie canadienne et des répercussions pour les Canadiens. Merci.
Le président: Merci, monsieur Paton.
Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler aux membres du comité que nous essayons d'entendre le plus de témoins possible en quelques réunions puisque la conférence aura lieu au début de décembre. Je vous demanderais donc de poser de courtes questions auxquelles les témoins voudront bien répondre en s'en tenant à l'essentiel.
Nous allons commencer par M. Darrel Stinson, puis ce sera au tour de M. Julian Reed.
M. Darrel Stinson (Okanagan—Shuswap, Réf.): Merci, monsieur le président.
Dans l'exposé que j'ai ici, monsieur Belletrutti, vous dites que:
-
...l'industrie des produits pétroliers a amélioré son intensité
énergétique de plus de 12 p. 100 depuis 1990. De plus, nos
raffineries émettaient entre 3 p. 100 et 6 p. 100 moins de CO2 en
1996 qu'en 1990.
Avons-nous une idée de ce que les autres pays ont fait, de leur performance à cet égard, par comparaison au Canada?
M. Robert Clapp: Je pourrais peut-être répondre à cette question.
L'intensité énergétique de l'industrie du raffinage est évaluée en fonction de la performance des autres raffineries du monde. Tous nos membres mesurent leur rendement énergétique par comparaison à celui de tous les autres raffineurs du monde, la norme étant de 100. En moyenne, les raffineurs canadiens se situent actuellement à 105 p. 100 à peu près par comparaison à la norme. Je crois que les raffineries américaines se situent juste au-dessous, à environ 99 p. 100. Donc, par comparaison, nous nous classons assez bien. Nous nous en tirons mieux que les raffineurs d'Amérique Latine et de l'Extrême-Orient. Nous ne sommes pas très éloignés des raffineries américaines et européennes. Tout le monde continue donc à améliorer son rendement.
M. Darrel Stinson: Par conséquent, vous ne voyez aucun inconvénient à ce que le Canada essaie de concurrencer des pays qui, disons, n'ont pas un aussi haut rendement énergétique?
M. Robert Clapp: L'énergie est un élément important des coûts d'exploitation des raffineries de sorte que nous avons de bonnes raisons sur le plan économique d'utiliser l'énergie le plus efficacement possible pour maintenir la compétitivité de l'industrie canadienne. Ce sont des raisons économiques qui nous poussent à le faire.
M. Darrel Stinson: Avez-vous des études qui montrent ce qu'il en coûterait à l'industrie pétrolière pour ramener ses émissions aux niveaux de 1990 à court terme, disons d'ici l'an 2007, soit dans dix ans d'ici, par comparaison à ce qu'il lui en coûterait pour atteindre le même objectif à plus long terme, disons dans vingt ans d'ici?
M. Jack Belletrutti: Comme je l'ai indiqué, nos raffineries sont déjà parvenues à une certaine stabilisation. En fait, nous nous situons actuellement au-dessous des niveaux de 1990 et c'est vraisemblablement là que nous nous situerons en l'an 2000. Cependant, si l'économie croît au niveau prévu de 2,2 p. 100 par année—et je pense que c'est le chiffre que Ressources naturelles Canada a utilisé pour ses prévisions—nous allons éventuellement être dépassés par les événements.
Une étude a été effectuée, il y a un peu plus d'un an je pense, sur l'effet de coût sur le raffinage et la production pétrolière, soit les activités en amont et en aval. Je ne me souviens pas des chiffres exacts qui ont été donnés, mais ils étaient assez élevés. Le scénario envisagé était un peu plus sévère que la stabilisation d'ici 2010. Je peux vous fournir cette information si vous voulez.
M. Darrel Stinson: Oui, j'aimerais bien.
Dans le même ordre d'idées, savez-vous s'il y a d'autres pays producteurs de pétrole qui ne signeront pas le traité de Kyoto?
M. Jack Belletrutti: Les pays membres de l'OPEP.
M. Darrel Stinson: Comment cela influera-t-il sur les performances de notre industrie sur les marchés mondiaux? Autrement dit, à quel genre d'avantage renoncerions-nous?
M. Jack Belletrutti: Nos coûts augmenteraient considérablement. Pour commencer, nous serions limités quant à la quantité de pétrole et de gaz que nous pourrions produire. Si nous avions un objectif, nous aurions un plafond d'émissions de CO2 à respecter pour l'industrie, de sorte que nous serions obligés de nous en tenir au taux de production maximal permis pour y arriver. Il en coûterait beaucoup plus cher pour produire plus. Nous aurions donc à soutenir la concurrence de pays qui n'auraient pas à assumer des coûts semblables.
M. Darrel Stinson: Toujours dans le même ordre d'idées, serait-il juste de dire qu'il faudrait envisager des mises à pied dans notre industrie pour appuyer un système que des pays concurrents ne respecteraient pas?
M. Robert Clapp: C'est tout à fait possible parce que nous nous retrouverions avec un revenu net moins élevé au Canada et des coûts plus élevés. C'est ce qui arriverait.
Je crois savoir que vous rencontrerez l'Association canadienne des producteurs pétroliers la semaine prochaine. Elle est probablement mieux qualifiée que nous pour en parler, parce qu'il s'agit de la production en amont. C'est à ce niveau-là que le problème se pose.
L'impact serait considérable.
Nous vous enverrons cette étude aujourd'hui ou demain. Je pense que vous la trouverez très intéressante, en raison des répercussions considérables, surtout sur l'industrie en amont, quand on a ce genre de scénario.
M. Darrel Stinson: Merci.
Le président: Monsieur Reed.
M. Julian Reed (Halton, Lib.): En 1979, le cheik Yamani, qui était alors ministre du pétrole de l'Arabie saoudite, disait que le pétrole est une ressource trop précieuse pour être brûlée.
Je voudrais aussi vous rappeler, pour le compte rendu, le vieux proverbe chinois qui dit qu'un voyage de mille lis a commencé par un pas.
• 1140
J'ai lu dans votre mémoire qu'il ne faut pas aller trop vite
et qu'il n'y a pour le moment aucune solution de remplacement qui
soit à la fois économique et acceptable, mais je dois vous dire que
si nous avions commencé à chercher des solutions de remplacement il
y a quinze ans, nous serions beaucoup plus avancés aujourd'hui.
À un moment donné, il faut se décider à agir. Même si nous nous décidions à agir aujourd'hui, tout ne changerait pas comme par magie du jour au lendemain, et l'industrie du pétrole ne serait pas menacée non plus parce que le pétrole continuerait à jouer un rôle de premier plan, probablement un rôle plus grand encore dans les secteurs des matériaux incombustibles qu'à l'heure actuelle. La situation a changé du tout au tout au Canada depuis que j'ai commencé à m'intéresser à l'énergie.
À mon avis, si nous nous étions mis à faire des recherches sur l'éthanol dix ans plus tôt, probablement que l'éthanol serait utilisé à 10 p. 100 dans la plupart des automobiles aujourd'hui étant donné qu'un demi-milliard de dollars y ont été investis au cours des quatre dernières années seulement.
Vous ne parlez pas nulle part non plus des nouvelles technologies que le Canada a inventées, comme la technologie de précombustion qui a été inventée au Québec. Je ne sais pas si vous avez vu l'émission à la télévision il y a quelques semaines... si c'est vrai, on pourrait s'attendre à un impact majeur sur les émissions de CO2.
Il me semble qu'au lieu de dire qu'il ne faut pas aller trop vite, qu'il est prématuré et inutile d'adopter des mesures draconiennes... Je ne sais pas au juste ce que vous entendez par mesures draconiennes. J'ai l'impression que si nous ne changeons pas notre façon de voir, nous ne ferons aucun progrès, parce que nous ne pouvons plus nous passer du pétrole. Je l'admets, j'en consomme autant que n'importe qui. Mais il me semble que tant que le gouvernement n'aura pas changé sa façon de voir—et je ne parle pas de taxes sur le carbone ou d'autres mesures du genre...
Le président: Julian, pourriez-vous poser votre question? Nous allons manquer de temps.
M. Julian Reed: Je vous demanderais tout simplement d'englober certaines de ces solutions de remplacement dans votre vision, dès aujourd'hui. C'est tout.
M. Jack Belletrutti: Est-ce que je pourrais faire un bref commentaire?
Le président: Allez-y.
M. Jack Belletrutti: Nous ne trouvons rien à redire aux suggestions de M. Reed. En fait, nous mettons actuellement l'accent sur la technologie et les solutions technologiques. Cela veut dire, bien sûr, que nous cherchons des moyens plus efficaces d'utiliser les combustibles fossiles tout en ayant recours à des produits de remplacement. Nous sommes tout à fait en faveur de ce que vous préconisez.
M. Richard Paton: Je crois que vous avez raison. Nous devons réfléchir à la situation, car il faut réduire les émissions de CO2. La question est de savoir comment, à quel rythme et selon quelle formule—applicable au Canada seulement ou à tous les pays—d'ici dix ans ou vingt ans. Pour la plupart des technologies que vous avez mentionnées... par exemple, je pense que personne n'aurait pu prédire que la pile à combustible serait utilisée à grande échelle avant 2010.
Nous sommes confrontés à un très grave problème. Il existe des technologies, et d'autres encore seront mises au point un jour, mais si nous nous fixons des objectifs qui sortent du cadre technologique, nous allons payer un prix plus élevé qu'il ne faut.
Donc, je crois que vous avez raison. Il nous faut entreprendre ce voyage. Mais à quelle vitesse allons-nous rouler pour arriver à destination? Quelle quantité de CO2 allons-nous émettre en cours de route?
Le président: Monsieur Pickard.
M. Jerry Pickard (Kent—Essex, Lib.): Monsieur le président, ma question s'adresse surtout à M. Paton, parce qu'il a dit avoir l'impression que le gouvernement canadien s'en va les yeux fermés à notre conférence au Japon, et je suis indigné par cette remarque.
Comment se fait-il alors que le comité tient des audiences, que des audiences ont lieu au ministère de l'Environnement, et ce depuis un certain temps déjà? Que fait le ministère de l'Environnement? Communique-t-il avec l'industrie pour lui parler de cette question? Le ministère des Ressources naturelles communique-t-il avec votre industrie pour discuter avec elle et définir ce qui pourrait être considéré comme une approche raisonnable de cette question?
• 1145
Bien sûr, nous savons qu'il s'agit d'un problème grave. Le
premier ministre l'a indiqué très clairement. Le premier ministre
tient aussi à ce que nous nous assurions d'aller chercher ce que
l'industrie a de mieux à offrir et d'établir un partenariat avec
elle. Il ne fait aucun doute que la cogénération et l'énergie
nucléaire, par exemple, ont une grande incidence sur la production
de CO2 et sur ce que nous pouvons faire. Nous avons parlé de
crédits de pollution et des efforts qui pourraient être faits à
Kyoto pour négocier des crédits.
Les mêmes arguments reviennent constamment.
Vous savez, nous n'avons pas encore dit oui. Nous ne nous sommes pas encore engagés à nous aligner sur la position des États- Unis, et à la dépasser de 5 p. 100. Nous n'allons pas avancer de chiffre à la légère sans en avoir discuté longuement avec les intéressés et sans avoir ensuite négocié avec d'autres pays pour obtenir le meilleur scénario possible. Selon moi, c'est l'approche que le gouvernement canadien a adoptée. Votre remarque m'a surpris. Je me demande ce qui vous amène à dire que nous nous apprêtons à assister à cette conférence les yeux fermés.
M. Richard Paton: Oui, j'y suis peut-être allé un peu fort.
M. Jerry Pickard: C'est ce que je pense, mais je me demande aussi pourquoi vous dites que nous ne faisons rien.
M. Richard Paton: Laissez-moi vous expliquer, parce qu'il y a peut-être un grain de vérité là-dedans.
Prenons les Australiens. Les Australiens ont fait toutes les analyses économiques, ont analysé tous les impacts sur l'économie. Ils l'ont fait il y a six ou huit mois pour ensuite aller défendre leur position partout dans le monde, et ils ont très bien su s'y prendre.
Il y a six mois, au gouvernement du Canada, cette question était considérée comme purement environnementale; elle n'était pas du tout considérée comme une question économique. Bien des changements sont survenus depuis. Beaucoup de travail a été fait avec les ministères. Je pense que l'intérêt est là, et je suis heureux de voir que des comités parlementaires s'intéressent eux aussi à cette question, mais il reste qu'il est un peu tard.
La question est maintenant de savoir si nous allons emboîter le pas aux États-Unis, si nous devrions prendre position ou non. À vrai dire, je suis très heureux que nous ne prenions pas position. Je préfère que nous n'ayons aucune opinion au lieu de risquer de nous tromper. Je ne suis pas de ceux qui pensent que le gouvernement doit prendre position. Je préfère que nous gardions nos munitions et que nous abordions les négociations en toute connaissance de la situation du Canada.
Cependant, les Canadiens s'interrogent sur cette question et je ne pense pas qu'ils se sentent très informés. Il est possible que les négociations de Kyoto débutent avant même que la population, les parlementaires et les provinces aient pu se faire une idée des coûts réels de la stabilisation en l'an 2010 pour les Canadiens et pour l'économie canadienne. Je ne crois pas que nous comprenions assez bien la question ou que nous ayons une approche assez élaborée pour protéger les intérêts des Canadiens.
Je pense que nous avons raté une bonne occasion. C'est bien de tenir des audiences, mais nous aurions dû prendre position il y a des mois, il y a un an même.
M. Jerry Pickard: Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire à très court terme. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que c'est impossible. Nous devons toutefois nous assurer d'avoir des objectifs réalistes et réalisables. L'industrie le dit...
M. Richard Paton: Absolument.
M. Jerry Pickard: ...tous ceux à qui nous en avons parlé l'ont dit, et c'est la raison principale pour laquelle le gouvernement canadien a décidé de publiciser cette question. C'est pourquoi l'industrie participe à toutes les facettes de la discussion, l'environnement y compris. Je ne pense pas que le gouvernement ait pensé à l'environnement seulement, et je suis...
M. Richard Paton: Je suis d'accord.
M. Jerry Pickard: ...surpris d'entendre l'industrie dire cela.
M. Richard Paton: Pas récemment. Ce que je veux dire, c'est que la situation a acquis un caractère politique depuis que la presse s'en est mêlée. Allons-nous faire mieux que les Américains? Là ne devrait pas être la question. La question devrait être de savoir quel genre d'économie nous avons, quels progrès nous avons réalisés, quel sera l'impact et quelle position le Canada devrait adopter, pas si M. Clinton a pris position dans un sens ou dans l'autre.
M. Jerry Pickard: C'est là que le gouvernement canadien en est.
M. Richard Paton: Il est déjà trop tard.
M. Jerry Pickard: L'opposition peut laisser entendre que nous ne faisons rien et la presse aussi, mais ce n'est pas le cas, du moins je l'espère.
M. Robert Clapp: J'aurais un tout petit commentaire à faire. Je suis d'accord avec Richard. J'applaudis à la tenue de cette audience par le comité et à sa mission, mais comme Richard l'a dit, cela aurait dû se faire il y a un an.
Le président: Monsieur Stinson.
M. Darrel Stinson: Je tiens à dire moi aussi que je suis d'accord avec M. Paton. Nous savions depuis 1992 que ce moment allait venir et nous avons attendu jusqu'à maintenant pour en arriver à une décision quelconque pour ne pas perdre la face, mais ce sera impossible, du moins en ce qui me concerne.
J'ai une brève question. Savez-vous combien d'argent à peu près le gouvernement canadien a investi dans la R-D à ce sujet?
M. Richard Paton: Non, je n'ai aucune idée.
M. Darrel Stinson: Aucune idée?
M. Richard Paton: Non.
M. Darrel Stinson: Merci.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue aux témoins.
Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est une question très importante pour l'environnement et pour l'économie. Je suis heureux que vous soyez ici pour éclaircir certaines des questions économiques qui vont de pair avec la question qui nous préoccupe.
Je suppose que le but est d'améliorer notre performance environnementale sur le plan des émissions de dioxyde de carbone. La question est de savoir comment y arriver. Nous pouvons parler d'objectifs et ainsi de suite, mais j'aimerais m'éloigner de cette question un instant même si je sais qu'elle est très importante.
Je voudrais parler de quelques-uns des moyens d'améliorer la performance environnementale. Prenons les mesures volontaires. Il y a deux entreprises dans ma circonscription—BASF et Bayer—qui ont des programmes environnementaux qui dénotent une gestion responsable. Les mesures volontaires seront très bonnes dans leur cas, mais il y a dans l'industrie quelques entreprises qui ne sont peut-être pas prêtes à appliquer des mesures volontaires.
Est-ce qu'il peut y avoir des demi-mesures? Les mesures volontaires peuvent-elles faire partie des outils d'amélioration de la performance environnementale, ou est-ce tout ou rien? Faut-il soit fixer des objectifs, soit avoir des mesures volontaires, ou est-ce qu'on peut avoir un peu des deux?
M. Robert Clapp: Je vais répondre à cette question. Je pense qu'on peut avoir un peu des deux. Je vous rappellerais aussi...
M. Roy Cullen: Comment vous y prendriez-vous?
M. Robert Clapp: Permettez-moi juste un commentaire.
M. Roy Cullen: Bien sûr.
M. Robert Clapp: Nous avons concentré notre attention sur l'industrie et, comme Jack le disait, il faut aussi penser à... L'industrie ne pourra pas régler le problème toute seule. Il faut faire appel aux Canadiens. L'industrie est responsable de 17 à 20 p. 100 environ des émissions de dioxyde de carbone. Notre vie de tous les jours explique le reste. Nous chauffons nos maisons, nous nous promenons en automobile, etc. Pour moi, c'est la question la plus importante au Canada aujourd'hui.
Pour l'industrie, les mesures volontaires représentent un défi que nous pouvons élargir, et il faudra le faire et travailler très fort. Cependant, nous devons aussi engager la participation d'un segment beaucoup plus vaste de la population canadienne. Sinon, je ne vois pas comment nous atteindrons notre but.
M. Jack Belletrutti: Nous pouvons aussi le faire en partie dans le cadre du programme Mesures volontaires - Défi climat. Ce programme est en train d'être remanié. Il est sur le point d'être privatisé.
On essaie d'en arriver à ce qu'on appelle un deuxième niveau d'engagement pour les entreprises qui participent déjà au programme. On est en train de définir tout cela. Il pourrait par exemple y avoir des programmes destinés à sensibiliser la population ainsi que les employés aux moyens à prendre pour utiliser l'énergie efficacement et pour la conserver. C'est le genre de mesures volontaires qui peuvent être très payantes, parce qu'elles concernent tout le monde.
M. Roy Cullen: Je vois ce que vous voulez dire. Certains ont dépeint la situation comme si c'était «l'Alberta contre le reste», et ce n'est vraiment pas le cas. Les transports, comme quelqu'un l'a indiqué, contribuent énormément au problème du dioxyde de carbone.
J'aimerais laisser de côté les mesures volontaires un instant pour poser une autre petite question si vous me le permettez, monsieur le président.
Pourriez-vous nous dire quelques mots au sujet des instruments économiques qui pourraient être utilisés pour aider notre économie à aller de l'avant? Quelles sortes de mesures devrions-nous préconiser comme gouvernement pour essayer d'améliorer notre performance environnementale? Je pense entre autres aux crédits de pollution, aux encouragements fiscaux à la R-D et ainsi de suite. Pourrait-il aussi y avoir d'autres incitatifs comme les actions accréditives? Il existe toute une gamme d'instruments économiques. À votre avis, quels sont les préférés?
M. Jack Belletrutti: Je pourrais peut-être y aller le premier.
Prenons tout d'abord les crédits de pollution. Il s'agit essentiellement d'un moyen qu'on peut prendre pour essayer d'optimiser le coût de la réduction des émissions en achetant et en vendant des crédits, ou des permis. Par exemple, pour pouvoir utiliser plus d'énergie que son objectif le permettrait, le Canada serait obligé d'acheter les permis de quelqu'un d'autre. Cela veut dire, toutefois, que quelqu'un d'autre devrait maintenir sa consommation au-dessous de son objectif. Il s'agit en quelque sorte d'un échange.
• 1155
Sur le plan de l'optimalisation économique, les échanges de
droits d'émission ont du bon, parce qu'ils tendent à faire baisser
les coûts. Ils ne contribuent cependant pas à la réduction des
émissions. Ce n'est qu'un moyen de parvenir au même résultat.
Il a souvent aussi été question d'essayer d'obtenir des crédits pour nos exportations énergétiques. Par exemple, nous devrions obtenir des crédits pour nos exportations de gaz naturel vers les États-unis, qui n'ont plus besoin de faire brûler du charbon pour produire de l'électricité puisqu'ils peuvent se servir de notre gaz naturel.
Je me suis permis de faire des calculs rapides. De quoi parlons-nous au juste ici? Qu'est-ce que cela représente? D'après mes calculs—que j'ai faits rapidement, je le répète, et ce n'est donc pas parole d'évangile—je dirais que cela représente entre 25 et 26 millions de tonnes, soit 25 p. 100 de l'écart à combler d'ici l'an 2010, ce qui n'est pas à dédaigner. Cependant, il nous faudrait arriver à convaincre les États-Unis de réduire notre écart de 25 millions de tonnes et d'augmenter leur écart d'autant. Je ne pense pas que nous ayons de très bonnes chances de réussir à les en convaincre. Même si le concept est valable et repose sur des arguments solides, nos chances sont plutôt minces.
M. Richard Paton: J'aurais une seule observation à faire. Elle va au coeur de votre question: comment envisagez-vous le problème?
Malheureusement, on a surtout parlé ces derniers mois des émissions de CO2. Nous savons déjà que le problème ne concerne pas les émissions de CO2; il concerne les émissions de gaz à effet de serre. D'autres gaz sont en cause. Cela nous ramène au style de vie et à différentes autres choses.
Prenons un exemple. L'industrie chimique utilise du pétrole, du gaz naturel et transforme un produit qui finit par prendre la forme d'un sac de plastique, d'un sac de lait ou d'une pièce automobile. Prenons la pièce en plastique qui entre dans la fabrication d'une automobile.
Les automobiles sont aujourd'hui beaucoup plus légères qu'avant. Une des raisons pour lesquelles elles sont plus légères est qu'on se sert de pièces en plastique pour les fabriquer. Parce qu'elles sont plus légères, elles consomment moins d'essence. Supposons qu'on crée une usine qui fabrique plus de produits chimiques qui entrent dans la fabrication de meilleurs plastiques pour la construction d'automobiles plus légères. Cela suppose des émissions de CO2, mais, en bout de ligne, les émissions auront diminué. La formule actuelle ne permet pas d'en tenir compte.
Il est donc très important de bien cerner le problème et de le cerner de manière à exploiter les forces du marché—ce qui revient à ce que vous disiez—pour favoriser l'efficacité écologique. Si nous ne sommes pas prudents, nous cernerons mal le problème et irons à l'encontre de tout ce qui pourrait contribuer à l'efficacité écologique au sein de l'économie.
Notre industrie peut apporter une énorme contribution, mais qui pourrait ne pas se traduire par une réduction des émissions.
Le président: Monsieur Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin (Charlevoix, BQ): Au premier point du document soumis par l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques, on suggère que le Canada réagisse au changement climatique en fixant des objectifs à long terme, allant plus loin que l'an 2020, puisque le changement climatique est un dossier planétaire à long terme.
On se rappelle qu'au moment de la campagne électorale de 1993, les libéraux avaient promis dans leur Livre rouge de réduire de 20 p. 100 les gaz à effet de serre d'ici l'an 2005. Aujourd'hui, vous vous présentez devant nous et nous dites que la date visée est reportée beaucoup plus loin, que ce n'est pas si dangereux que ça et que ce n'est pas si grave que ça. Je pense que nous sommes devant la pointe de l'iceberg, et c'est malheureux parce que même s'il y a eu promesse dans le Livre rouge en 1993, on se retrouve maintenant à la fin de 1997 et nous sommes le seul pays du G-7 à ne même pas avoir de plan d'action.
• 1200
Le Canada doit se présenter d'ici trois semaines ou un
mois à Kyoto et il ne dispose même pas d'un
plan d'action à court,
moyen ou long terme afin de réduire les gaz à
effets de serre.
Je comprends le point de vue des fabricants de pétrole et de produits chimiques. Vous avez peut-être peur que le gouvernement réagisse trop rapidement, ce qui vous pousserait à moderniser vos équipements et votre produit, entraînant peut-être des coûts désastreux pour l'industrie pétrolière ou chimique. Vous venez donc nous dire ce matin d'y aller tranquillement parce que cela vous donnerait le temps de vous moderniser et de vous adapter aux exigences qui figureront au plan d'action.
Moi, je pense qu'il faut agir. C'était un problème en 1900, et en 1997 le problème est encore plus grave qu'il l'était alors. Tous les témoins précédents nous ont démontré l'urgence de réagir à cause du réchauffement de la planète, des glaciers dans le Nord, des inondations, etc. Ici, au Canada, on se trouve chanceux. Souvent, quand on se compare, on se console; ça dépend à qui on se compare, mais si on se compare, on peut se désoler aussi. Si je nous compare à la Corée ou au Mexique, c'est sûr que je me console. Mais si je nous compare à d'autres pays dans lesquels l'environnement a la priorité par rapport à la production, je dois concéder que nous sommes loin d'être les deuxièmes. Et ce qui est drôlement plus inquiétant, c'est que le gouvernement canadien n'a même pas de plan d'action et qu'il s'apprête à se présenter à Kyoto, en dépit de ses engagements, dans le Livre rouge en 1993, de réduire ses émanations de 20 p. 100 d'ici 2005.
Est-ce que ça vous semblait une promesse réalisable ou tout simplement une promesse qu'on a écrite comme ça, un peu comme la réduction de la TPS ou différentes autres choses qu'on a inscrites dans le Livre rouge? On a une multitude d'exemples depuis 1993. Cette question est posée à qui veut bien y répondre.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Paton.
M. Richard Paton: Je vais répondre très rapidement. J'ai entendu un certain nombre de personnes dire, si les propos de M. Paul Martin et de Mme Christine Stewart ont été rapportés fidèlement ces dernières semaines, que lorsque les objectifs de Rio ont été établis, on n'avait pas une idée très claire de l'impact, ni des plans d'action qu'il faudrait mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs. Donc, certaines personnes se demandent si ces chiffres ont été établis à la lumière de toutes les répercussions possibles—et pas seulement pour l'industrie, monsieur Asselin, ce qui est très important. L'industrie prend déjà des mesures. Nous participons au programme Mesures volontaires - Défi climat, nous réduisons nos émissions, et notre intensité énergétique s'améliore. N'oubliez pas le reste des Canadiens. Un plan d'action ne viserait pas uniquement l'industrie. Il viserait tous les Canadiens et comporterait des objectifs concernant l'immigration, le chauffage domestique, les automobiles, les achats à l'épicerie, etc.
Il aurait été bon d'avoir un plan d'action, et un plan d'action plus élaboré, mais il aurait été bon aussi que la formule de Rio soit un peu plus réaliste et tienne davantage compte des différences entre les économies, de la croissance et des diverses innovations.
C'est une question complexe.
Le président: Darrel.
M. Darrel Stinson: Monsieur Paton, y a-t-il des chances que les fabricants de produits chimiques quittent le Canada pour s'implanter dans des pays non signataires si tout se déroulait comme prévu?
M. Richard Paton: C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre, parce que la plus grande partie de la concurrence... bien des facteurs interviennent dans la décision d'une industrie de s'implanter dans un pays plutôt que dans un autre. Le Canada offre des avantages de taille. Je pense, par exemple, aux matières premières de l'Alberta.
Mais réfléchissez à ceci. La croissance de quatre milliards de dollars en Alberta est attribuable à 90 p. 100 aux exportations. La plupart de ces exportations sont destinées à l'Extrême-Orient. Bien des pays de l'Extrême-Orient qui consommeraient ces produits ne seraient pas touchés par l'accord de Kyoto. Nous avons signé l'ALÉNA et le Mexique ne serait même pas touché par cet accord.
Donc, la réponse est oui. Si les coûts étaient considérables, ils pourraient avoir une grande incidence sur le choix de l'emplacement et sur l'emploi.
Le président: Chers collègues, permettez-moi de remercier les témoins de leurs exposés. Nous reviendrons sûrement à cette question l'an prochain, à un moment donné après la conférence de Kyoto, et nous pourrions alors vous inviter de nouveau.
• 1205
Je pourrais peut-être essayer de résumer ce que les témoins
nous ont dit. Il s'agit en quelque sorte d'une mise en garde. Si le
gouvernement a l'intention d'aller de l'avant, si des objectifs
doivent être établis, qu'on le dise tout de suite à l'industrie. Ce
que j'ai surtout retenu, c'est que l'industrie est responsable de
moins de 20 p. 100 de toutes les émissions de gaz à effet de serre
au Canada. Si la population canadienne ne s'engage pas à atteindre
les objectifs, peut-on s'attendre à ce que l'industrie en assume le
fardeau toute seule? Je pense qu'elle est en droit de se poser la
question.
Cela dit, je vous remercie, messieurs.
J'invite maintenant les témoins suivants à s'installer pour la prochaine ronde.
Nous allons entendre des présentations du Pembina Institute et du Sierra Club. Le témoin du Pembina Institute est ici, mais celui du Sierra Club n'est pas encore arrivé. Nous allons par conséquent commencer par la présentation du Pembina Institute, et la porte- parole du Sierra Club pourra se joindre à nous quand elle arrivera.
J'invite donc M. Robert Hornung, qui est directeur du service des changements climatiques à l'institut Pembina, à nous faire une présentation de huit à dix minutes.
Vous allez certainement nous dire quelques mots sur votre institut, monsieur Hornung, mais je précise tout de suite qu'il s'agit d'un organisme sans but lucratif qui s'occupe d'éducation, de recherche et de politique publique en matière d'environnement et qui offre également aux entreprises des services de gestion de l'environnement.
Monsieur Hornung, veuillez commencer. Merci d'être venu.
M. Robert Hornung (directeur, Changements climatiques, Pembina Institute for Appropriate Development): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous tous d'avoir accepté d'étudier cette question et d'y consacrer un peu de votre temps.
Comme l'a dit M. le président, je représente le Pembina Institute, une organisation sans but lucratif qui se consacre à la protection de l'environnement et à la recherche dans ce domaine. Notre institut est établi à Drayton Valley, en Alberta, une petite ville située tout près du champ pétrolifère Pembina, le plus grand au pays.
Nous nous intéressons surtout aux répercussions de la production et de l'utilisation de l'énergie sur l'environnement, ce qui inclut évidemment les changements climatiques. Nous examinons également les moyens de nous servir des instruments économiques pour résoudre les problèmes d'environnement.
Je voudrais vous parler aujourd'hui de deux choses, en gros: les questions économiques et les mesures à prendre. Je vais commencer par vous parler d'économie. Depuis cinq ans, le débat sur les changements climatiques ne porte plus tellement sur l'exactitude des données scientifiques disponibles—qui sont aujourd'hui largement acceptées—, mais surtout sur la nécessité d'agir. Vous verrez même ces temps-ci des annonces pleine page de l'Association canadienne des producteurs pétroliers, qui reconnaît que nous en savons suffisamment et que nous devons nous mettre à l'oeuvre. Nous amorçons maintenant un débat sur l'aspect économique de ce problème et sur ce qu'il en coûtera pour y remédier.
• 1210
Pour commencer, voyons un peu en quoi consiste le problème et
ce que nous en savons. Les médias ont fait toutes sortes
d'affirmations au cours des dernières semaines au sujet des coûts
énormes que les efforts visant à réduire les émissions de gaz à
effet de serre entraîneraient pour l'économie canadienne. Ils ont
parlé de «milliards et de billions de dollars», d'«apocalypse
économique», et d'autres choses du genre. Permettez-moi de mettre
ces affirmations en doute et de vous expliquer certaines choses
dont vous devriez tenir compte quand vous entendrez ces chiffres.
Premièrement, vous avez probablement entendu des chiffres selon lesquels, par exemple, la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre aux niveaux de 1990 d'ici l'an 2010 ferait chuter le PIB de 0,5 p. 100, de 2 p. 100, ou de 3 p. 100. Cela paraît inquiétant, parce que ce sont des chiffres énormes. Mais ce qu'on oublie souvent de dire, c'est qu'il s'agit du PIB cumulatif, c'est- à-dire de ce qui se passera d'ici l'an 2010. Autrement dit, plutôt qu'une croissance économique de 30 p. 100 d'ici l'an 2010, nous n'aurions qu'une croissance d'environ 28 p. 100 si nous cherchions à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il se pourrait que ce soit un désastre économique, mais je ne le pense pas. Franchement, c'est conforme à la marge d'erreur de la plupart des modèles économiques.
Deuxièmement, je tiens à souligner que les économistes ont appliqué toute une gamme de modèles pour évaluer les répercussions possibles de ces mesures et qu'ils en sont arrivés à toute une gamme de résultats différents. Certains prévoient un effet négatif sur le PIB, et d'autres un effet positif. Un organisme américain, le World Resources Institute, a examiné 162 modèles différents qui ont été appliqués pour l'étude des répercussions possibles de ces mesures. Ces modèles ont donné toutes sortes de résultats différents, parfois très positifs, parfois très négatifs.
Les gens de cet organisme ont essayé de comprendre d'où venaient ces différences. Ils se sont rendu compte qu'elles s'expliquaient à 80 p. 100 environ par le fait que les modélisateurs s'étaient fondés sur sept hypothèses différentes, en se fiant à leur jugement personnel. De façon générale, ceux qui avaient émis des hypothèses positives étaient arrivés à des résultats positifs, tandis que ceux qui étaient partis d'hypothèses négatives avaient obtenu des résultats négatifs.
Si je vous dis cela, c'est pour illustrer cette histoire d'incertitude. Quand les médias parlent des données scientifiques sur les changements climatiques, ils ne manquent jamais de mentionner qu'elles sont «incertaines». Mais quand ils évoquent l'aspect économique des changements climatiques, c'est comme si leurs données étaient absolument fiables et que nous savions exactement de quoi nous parlons. Franchement, c'est de la foutaise. Les modèles économiques que nous appliquons pour établir des prédictions jusqu'à l'an 2010 ne sont pas plus fiables que les modèles climatologiques dont nous nous servons pour faire la même chose. En fait, je dirais qu'ils le sont moins parce qu'ils ne reposent pas sur l'étude des rapports physiques influant sur le climat et l'atmosphère, mais sur notre compréhension des humains et de leurs réactions à différentes choses, dont les prix. Il y a là beaucoup d'incertitude dont personne ne parle jamais.
L'autre chose que je veux souligner au sujet des modèles économiques et de ce qu'en disent les médias, surtout depuis quelques semaines, c'est que quels que soient les modèles utilisés—et que les résultats obtenus soient positifs ou négatifs—, je pense que nous pouvons en tirer deux grandes conclusions. La première, c'est que tous ces modèles ont tendance à sous-estimer les avantages. En effet, si nous ne faisons rien et que le climat change, nous devrons assumer certains coûts, par exemple pour nous adapter à ces changements, pour essayer d'en atténuer les effets. On peut supposer que nous éviterions ces coûts en agissant. Mais nous n'en tenons jamais compte dans nos modèles économiques.
Si nous faisons quelque chose pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous allons régler plus d'un problème d'environnement. Nous allons réduire les émissions qui entraînent les dépôts acides, et aussi celles qui causent le smog urbain. Nous en retirerons donc de multiples avantages. Mais nous n'en tenons jamais compte non plus dans nos modèles.
Donc, je pense que nous avons tendance à sous-estimer les avantages. Je pense aussi que nous avons tendance à surestimer les coûts, surtout parce que nous comprenons mal comment fonctionne l'innovation technologique.
Je vais vous donner un exemple qui se rattache à un autre problème d'environnement. Au moment de la signature du Protocole de Montréal visant à réduire les substances qui entraînent l'appauvrissement de la couche d'ozone, il y a eu des discussions semblables à celles auxquelles nous assistons aujourd'hui; tout le monde disait que ce serait la fin de l'industrie chimique. Tous les modèles montraient que ce serait un désastre. Eh bien, il ne s'est rien passé de tel. En définitive, nous nous sommes entendus sur certains objectifs, et les gens de l'industrie chimique se sont mis à l'oeuvre pour trouver des moyens de les atteindre. Ils ont cherché des solutions pour remplacer les produits chimiques existants. Et ils ont réussi. Ils ont vendu ces produits de remplacement deux fois plus cher que les anciens et ils ont réalisé des profits.
• 1215
Les Américains essaient de s'attaquer au problème des
émissions de soufre. Ils ont mis sur pied un système d'échange de
droits d'émission. Au départ, on croyait que ce serait un désastre
économique. Les gens disaient qu'il en coûterait 600 $ la tonne
pour acheter un permis d'émission. Mais on peut en acheter
aujourd'hui pour 60 $ la tonne parce que, encore là, nous avions
sous-estimé notre capacité d'innovation technologique.
Tout cela pour dire que, quand on parle de l'aspect économique des changements climatiques, les répercussions sur l'économie dépendront de la façon dont nous allons réagir au problème, des mesures que nous allons prendre, des solutions que nous allons trouver.
Nous avons un véritable problème au Canada, en ce sens que nous avons passé les deux derniers mois—et même les cinq dernières années—à nous demander si nous devrions faire quelque chose, plutôt que ce que nous devrions faire. C'est une question importante parce que nous pouvons soit trouver des solutions vraiment stupides qui vont entraîner de sérieux problèmes économiques, soit faire preuve de créativité, concevoir des solutions intelligentes et produire des choses qui auront des retombées favorables sur l'économie.
Les écologistes demandent depuis longtemps que les pays industrialisés s'engagent, dans le Protocole de Kyoto, à réduire leurs émissions de 20 p. 100 par rapport aux niveaux de 1990. Est- ce que cela va se faire? Je dirais que c'est très peu probable. En fait, il est à peu près certain que le Protocole de Kyoto sera insuffisant, du point de vue environnemental. Mais il sera utile s'il nous force, à notre retour de Kyoto, à nous engager dans une discussion sérieuse sur les moyens de régler le problème et les mesures précises à prendre pour y arriver.
Il y a deux éléments auxquels nous devons tous réfléchir—votre comité, le gouvernement, nous tous—pour l'après- Kyoto.
Premièrement, qui sera responsable du respect de cet engagement au Canada?
Il ne suffira pas de revenir de Kyoto en disant que nous avons un objectif national. Tout le monde doit contribuer aux efforts pour régler le problème. Ce n'est pas seulement le problème de l'industrie, ou le problème de l'Alberta. C'est le problème de tout le monde. Alors, comment allons-nous répartir les responsabilités à cet égard? Allons-nous essayer de fixer des objectifs par province? Par secteur industriel? Allons-nous avoir recours à un instrument économique qui transmettra les signaux voulus aux consommateurs ou aux producteurs? Nous n'avons jamais discuté de ces questions au Canada. Nous devons le faire.
Deuxièmement, nous devons commencer à penser aux mesures précises que nous pouvons prendre. Nous énumérons 15 de ces mesures dans un des documents que je vous ai distribués. À notre avis, le gouvernement fédéral devrait s'engager à prendre certaines mesures avant même la conférence de Kyoto et commencer dès son retour à mettre en oeuvre les mesures retenues; ce serait la première étape d'une stratégie graduelle pour résoudre le problème. Nous vous proposons ici différentes initiatives.
Par exemple, nous avons fait des recommandations sur le renforcement du programme Défi-Climat—je suis arrivé à la toute fin de la présentation du témoin précédent. Au Pembina Institute, nous avons examiné pendant deux ans tous les projets soumis par les entreprises dans le cadre de ce programme. Nous sommes d'avis que le programme ne fonctionne pas du tout. Je vais vous donner un exemple.
Le ministre des Ressources naturelles aime à dire que nous avons plus de 600 entreprises qui participent au programme Défi- Climat. Or, nous avons examiné tous les projets qu'elles ont soumis. Franchement, nous sommes probablement à peu près les seuls au pays à l'avoir fait.
Quand on examine les envois de ces entreprises, on se rend compte qu'une fois sur deux, il s'agit de lettres dans lesquelles les entreprises disent que le programme Défi-Climat est une bonne idée et qu'elles vont s'y mettre. Quant aux autres projets, Ressources naturelles Canada les a baptisés «plans d'action», mais sans définir ce qu'était exactement un plan d'action; nous avons donc adopté pour notre examen une définition que nous trouvons très généreuse. Nous avons décidé qu'un plan d'action était un document dans lequel une entreprise—après avoir déterminé quelles étaient ses émissions de gaz à effet de serre, de manière à savoir où était le problème—s'engageait à faire quelque chose à l'avenir, à prendre ne serait-ce qu'une seule mesure, pour régler ce problème. Quand nous avons appliqué ce critère, les 280 plans d'action dont le ministre parlait ont été ramenés à 73. Et quand on examine ces 73 plans d'action comme nous l'avons fait... nous les avons évalués selon 45 critères. Nous les avons tous évalués sur 100, et 11 d'entre eux ont obtenu la note de passage.
Les entreprises se servent du programme Défi-Climat pour se glorifier de mesures qui ont été prises dans le passé et qui ont réduit indirectement les émissions de gaz à effet de serre. Cela ne reflète aucun changement de mentalité, aucune priorité plus grande accordée aux efforts de réduction de ces gaz dans le processus décisionnel des entreprises.
Pour conclure rapidement, puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, vous verrez que nous avons inclus parmi les 15 autres mesures que nous proposons des initiatives en matière de taxation, comme des encouragements fiscaux et des crédits d'impôt. Quand les Américains ont annoncé leur plan d'action, ou leurs objectifs, il y a quelques semaines, vous vous rappellerez que le président Clinton a indiqué que les États-Unis envisageraient des crédits d'impôt et des encouragements fiscaux de l'ordre de 5 milliards de dollars pour favoriser les investissements dans les technologies touchant l'efficience énergétique et les énergies renouvelables. Par ailleurs, dans des pays comme le Japon, les secteurs public et privé concluent des ententes de collaboration afin d'effectuer de la recherche et développement sur ces questions. Nous devrions faire la même chose. Vous verrez que nous proposons aussi une réglementation visant par exemple les automobiles et les codes du bâtiment, de même que des mesures destinées à sensibiliser la population.
• 1220
Il n'y a pas de solution miracle. Il n'y a pas de mesure qui
pourrait nous permettre à elle seule de régler le problème. Il nous
fait une série de mesures, une série d'outils, une série
d'instruments.
Le gouvernement fédéral doit laisser entendre avant la conférence de Kyoto qu'il est prêt à prendre des mesures de ce genre; ce sera une première étape qui nous permettra de discuter des étapes subséquentes après la conférence.
Ce sera tout.
Le président: Je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Louise Comeau, du Sierra Club.
Avez-vous repris votre souffle suffisamment pour nous résumer rapidement la position du Sierra Club, en cinq ou six minutes, de manière à ce que les membres du comité aient amplement de temps pour poser leurs questions?
Mme Louise Comeau (directrice, Campagne sur les changements climatiques, Sierra Club du Canada): Merci beaucoup. Je suis désolée d'être en retard. J'étais au comité de rédaction du Citizen d'Ottawa, où nous avons eu des échanges, disons... passionnés. Cela a duré un peu plus longtemps que je le prévoyais.
Effectivement, le Sierra Club s'intéresse à la question des changements climatiques depuis 1991 et a participé à toutes les consultations qui se sont tenues au pays, de même qu'à toutes les négociations internationales. Il est certain qu'à titre de directrice du programme de l'énergie et de l'atmosphère, je sais assez bien où en sont ces négociations internationales.
Je vais diviser ma présentation en trois volets.
Je voudrais d'abord attirer votre attention sur un des documents que je vous ai distribués; il s'intitule «Intergovernmental Panel on Climate Change». Je voudrais vous lire des extraits de ce document qui résume la position du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, le GIEC, et vous présenter un bref résumé d'un de ses rapports techniques récents, qui pourra aider les membres du comité à déterminer ce que le Canada pourrait et devrait faire dans ce dossier.
Pour commencer, voici ce que dit le GIEC:
-
Il est reconnu que les critères de mesure habituels, par exemple
les conséquences sur le PIB par habitant, ne sont pas satisfaisants
pour l'évaluation des conséquences des changements climatiques
parce que, même si certaines de ces conséquences sont quantifiables
financièrement, d'autres ne sont pas faciles à évaluer sur le plan
monétaire.
S'il y a une chose sur laquelle je tiens à insister, c'est que nous devons nous montrer très prudents quand nous entendons dire que toutes les mesures visant à atténuer les effets des émissions de gaz à effet de serre auront des conséquences dévastatrices sur l'économie canadienne et que le PIB est le seul moyen de mesurer ces conséquences. En fait, la plupart des conclusions des études sur lesquelles tout le monde se fonde, et dont l'étude de la DRI n'est qu'un exemple parmi d'autres, sont très facilement contestables.
Il faut bien vous rendre compte que les modèles appliqués pour ces études ne tiennent pas compte des retombées positives, des possibilités d'utilisation de carburants de remplacement, des possibilités technologiques dont nous disposons, et ainsi de suite, et qu'ils sous-estiment nettement les avantages qu'il y aurait à agir.
Donc, non seulement il faut éviter de tenir compte uniquement du PIB, mais il faut faire preuve d'une grande prudence quand on analyse les résultats des études qui portent sur le PIB, parce que ces résultats sont sujets à caution.
Le GIEC affirme aussi que, sur le plan de la stratégie—et je pense que c'est une stratégie très importante pour le Canada... Vous avez certainement entendu dire souvent qu'il faut beaucoup de temps pour faire tourner le capital national et que nous devrions attendre 20 ans avant de réduire nos émissions parce que la technologie sera automatiquement moins coûteuse à ce moment-là. En fait, le GIEC s'est prononcé contre cette stratégie; il dit très clairement:
-
Pour réduire le coût de tout objectif de stabilisation, il faut se
concentrer sur les nouveaux investissements et sur les
remplacements à la fin du cycle de vie économique des usines et de
l'équipement... Quand on parle de mettre l'accent sur les nouveaux
investissements, cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire.
C'est sur cela que le gouvernement fédéral devrait concentrer ses énergies, à mon avis. Si nous faisons en sorte que les nouvelles pièces d'équipement, les nouveaux moteurs, les nouveaux immeubles, les nouveaux véhicules automobiles soient construits plus efficacement que les modèles actuels, nous aurons déjà accompli des progrès importants dans le sens de la réduction des émissions.
• 1225
Les scientifiques disent également dans ce document que, si
nous n'agissons pas tout de suite pour réduire les émissions de gaz
à effet de serre, le rythme des changements climatiques
s'accélérera. Il est particulièrement important de tenir compte de
cet aspect. Ce que nous proposons, c'est en quelque sorte une
police d'assurance parce que des réductions importantes dès les
premières années libéreraient l'atmosphère. D'après la communauté
scientifique, des émissions plus élevées au départ—et les taux de
concentration plus élevés qui en découlent—pourraient bouleverser
les processus physiques et géophysiques qui influent sur le bilan
énergétique du carbone organique dans notre écosystème.
J'insiste sur le fait que personne ne se soucie vraiment des effets que pourrait avoir sur l'atmosphère un feedback positif résultant d'un réchauffement rapide, à savoir une fréquence accrue des incendies de forêts, des cas de pullulation de ravageurs ou des phénomènes de fusion, particulièrement dans la toundra arctique, ce qui contribuerait à libérer d'importantes quantités supplémentaires de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
Bien des gens, autant parmi les particuliers que dans l'industrie, soutiennent que les niveaux de concentration dans l'atmosphère sont la seule chose qui compte et que nous pouvons aller jusqu'à 550 parties par million. Le niveau actuel est de 360 parties par million, et ces gens-là disent que la différence entre 360 et 550 est justifiée pour l'usage humain. Mais j'invite instamment les membres du comité à examiner très attentivement les effets sur la biosphère. Les scientifiques, et en particulier les membres du groupe intergouvernemental, en sont arrivés à la conclusion qu'il pourrait y avoir jusqu'à 200 milliards de tonnes de carbone libérées dans l'atmosphère par le feedback positif de l'environnement lui-même. Cela montre bien que le Canada doit participer aux efforts de la communauté mondiale pour réduire les émissions le plus rapidement possible.
Je voudrais vous dire un mot des négociations, après quoi je vais vous parler de ce que nous pouvons faire chez nous. Je suis très heureuse de voir que le gouvernement fédéral joue maintenant un rôle plus actif dans ce dossier. Robert et moi, nous nous intéressons à la question des changements climatiques depuis très longtemps. Je n'aurais jamais pensé que nous verrions un jour le gouvernement prendre au moins un engagement politique.
Cependant, les objectifs que les gouvernements comme celui du Canada proposent dans les négociations internationales sont relativement modestes. Ce n'est pas ce que nous aurions souhaité pour l'environnement, mais nous sommes encore plus inquiets des résultats des plus récentes négociations, au cours desquelles les participants ont soumis un certain nombre de propositions qui créeraient de telles échappatoires que l'objectif de stabilisation pourrait en fait entraîner une augmentation de 30 p. 100 dans les émissions. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je tenais à vous le faire remarquer.
Je vais vous laisser un exemplaire du document intitulé Rational Energy Program: Analysis of the Impact of Rational Measures to the Year 2010, dont le Sierra Club a coordonné la publication au nom du Climate Action Network. Nous nous sommes servis du modèle économique du ministère des Ressources naturelles lui-même et nous avons fait appel à la firme Informetrica pour effectuer une analyse économique complète.
Il est possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada. Et cette étude a démontré que nous pourrions créer du travail pour 1,5 million d'années-personnes de cette façon.
Je demande aux membres du comité d'essayer, si possible, d'atténuer la panique qu'inspirent par exemple les taxes sur les combustibles fossiles et sur l'essence. Il faudrait à la fois améliorer les normes imposées par réglementation et adopter des encouragements fiscaux à plus ou moins long terme, tout en intervenant au niveau des prix. Si ce changement se produit, et nous pensons que c'est nécessaire, il devrait s'accompagner d'un recyclage des recettes. Nous avons examiné dans cette étude la possibilité d'imposer après l'an 2000 une taxe minime sur les combustibles fossiles, qui servirait à réduire la TPS.
Nous ne proposons pas de hausses de taxes qui rapporteraient d'importantes recettes supplémentaires au gouvernement. Ce que nous envisageons, c'est une réforme fiscale écologique qui compenserait pour les charges fiscales et les autres taxes qui nuisent à l'emploi dans notre économie. Ce sera tout pour le moment.
Merci.
Le président: Merci, madame Comeau.
Nous allons passer aux questions. D'abord M. Stinson, ensuite M. Cullen.
M. Darrel Stinson: J'ai quelques questions. Madame Comeau, pouvez-vous me dire en gros combien de membres vous avez au Canada et si vous recevez des fonds du gouvernement? J'aimerais également souligner tout de suite que dans la fin des années 60 et au début des années 70, la grande crainte était que la terre se refroidisse et que l'on soit aux portes d'une nouvelle ère glaciaire. Aujourd'hui, les scientifiques ne sont pas d'accord sur ce sujet. Il semble d'ailleurs que les scientifiques sont de moins en nombreux à appuyer la thèse d'un changement climatique. Seulement 17 p. 100 des membres de l'American Meteorological Society et de l'American Geophysical Union, interrogés en septembre dernier, estiment que le réchauffement planétaire est en grande partie d'origine humaine et qu'il sera catastrophique. C'est une diminution de près de 40 p. 100 par rapport à 1992. J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.
Mme Louise Comeau: Sierra Club est un petit groupe environnementaliste qui est en activité au Canada depuis 1989. Nous comptons environ 5 000 membres dans tout le Canada. Notre budget provient des cotisations des membres, des subventions de base et, en effet, de divers programmes de type Action 21 d'Environnement Canada. Nous ne voyons rien de mal à cela. Par contre, nous n'acceptons pas d'argent des sociétés privées.
Quant aux aspects scientifiques et à la question de la glaciation, je pense que nous nous trouvons actuellement dans une période interglaciaire, si nous ne tenons pas compte des différentes actions qui modifient le système climatique.
Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat est composé d'experts du climat—non pas des météorologues, des spécialistes du temps ou des physiciens, mais des climatologues. Je me fie aux spécialistes de la climatologie et à l'évaluation qu'ils font des risques que nous courons si nous continuons à déverser dans l'atmosphère des gaz qui emmagasinent la chaleur. On ne sait pas exactement quand cela se produira, ni quels seront les impacts régionaux, mais il est indiscutable que certains gaz à effet de serre ont un impact réel qui se traduit par un forçage radiatif du climat produisant à son tour une incidence sur la température, deux phénomènes qui sont tout à fait définissables.
Il y a également d'autres impacts sur le cycle de précipitation qui sont, eux aussi, assez faciles à quantifier. Je me fie en toute confiance aux résultats du groupe intergouvernemental. En vertu de la convention, c'est le groupe désigné pour conseiller les gouvernements.
Je fais confiance à mon gouvernement. Le gouvernement canadien a accepté en 1996 les résultats de la deuxième évaluation scientifique. Le gouvernement du Canada, représenté par Sergio Marchi à Genève, a dit accepter les évaluations scientifiques et nous sommes prêts, sur cette base, à aller de l'avant. Cela me convient parfaitement.
M. Darrel Stinson: Je suis ravi de vous l'entendre dire. Après tout, cela fait longtemps qu'il est question de ce problème. Depuis 1992, nous savions qu'il faudrait l'affronter et voilà où nous en sommes aujourd'hui, six semaines avant la Conférence de Kyoto, essentiellement à cause de l'inaction du gouvernement. Tant mieux si tout est parfait pour vous.
Mme Louise Comeau: Non, je ne pense pas que tout soit parfait. En fait, je crois que la raison pour laquelle nous en sommes là aujourd'hui, c'est à cause des difficultés fédérales-provinciales et surtout à cause de l'incapacité de l'Alberta à s'asseoir à la table afin de discuter du problème de manière rationnelle.
Je m'intéresse à la question depuis 1992. En 1993, nous avons créé le groupe d'étude sur le changement climatique. Ce groupe était composé de représentants fédéraux et provinciaux ainsi que d'autres parties intéressées, y compris des environnementalistes et des groupes de l'industrie et les participants à cette session ou plutôt à ce groupe ont insisté pour que toutes les décisions soient prises par consensus. Les représentants de l'industrie et de l'Alberta ont insisté pour choisir une formule autre que celle du consensus et ont réclamé que l'adhésion à la stratégie se fasse uniquement sur une base volontaire.
En 1995, Pat Black a empêché au Nouveau-Brunswick que les gouvernements fédéral et provinciaux s'accordent à ce que le Canada s'engage volontairement plus à fond sur cette question. Ce n'est pas uniquement un problème du gouvernement fédéral, bien que je constate que le gouvernement fédéral, notant le manque d'intérêt de la part des gouvernements provinciaux, aurait dû réagir beaucoup plus rapidement. De fait, nous espérons qu'il ne répétera pas la même erreur et qu'en revenant de Kyoto, il montrera qu'il est décidé à prendre la direction des opérations, étant donné qu'il est clair qu'il n'obtiendra pas cette fois l'appui des provinces.
M. Darrel Stinson: Vous avez mentionné l'Alberta.
Mme Louise Comeau: Oui.
M. Darrel Stinson: En d'autres termes, vous affirmez que l'Alberta est la seule province qui a refusé de se joindre. Est-ce bien exact?
Mme Louise Comeau: J'ai dit que l'Alberta a été la province qui s'est le plus fortement opposée à toute action concernant le changement climatique au Canada. Elle a reçu l'appui de la Saskatchewan, et la Nouvelle-Écosse serait la... Je dois dire très franchement, étant restée présente aussi longtemps que j'ai pu, que l'Alberta a été la province la plus réticente et celle qui a posé le plus de difficultés sur cette question. C'est bien dommage, parce que le changement climatique touchera aussi bien des gens en Alberta. Je crois que la position de l'Alberta repose sur des théories fumeuses plutôt que sur des faits réels. Il y aura une forte demande de gaz naturel au Canada et nous n'avons jamais pu examiner les possibilités qui s'ouvriront à ce chapitre, à cause de l'hystérie du gouvernement albertain.
• 1235
La Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse n'ont pas été non plus
d'ardents partisans parce qu'elles ont certaines craintes au sujet
du secteur des centrales thermiques utilisant le charbon. Nous
avions l'appui des gouvernements précédents de l'Ontario et de la
Colombie-Britannique. Évidemment, tout est changé avec les nouveaux
gouvernements. C'est dommage, parce que l'Ontario aurait pu
profiter énormément du programme. Le plus fort taux de croissance
des exportations en Ontario et au Québec se situe dans le domaine
des télécommunications et des produits manufacturés. Il faut que
ces produits soient fabriqués d'une manière plus efficiente sur le
plan de l'énergie. Ils doivent consommer moins d'énergie et en
fait, il y a là un créneau commercial qu'on a tendance à oublier.
Actuellement, tous les feux sont braqués sur Hydro Ontario et c'est
dommage.
Le président: Merci.
Mme Louise Comeau: Le Nouveau-Brunswick a été relativement favorable...
M. Darrel Stinson: Que fait le Sierra Club dans les pays qui refusent de signer cette convention?
Mme Louise Comeau: Le Sierra Club est très actif au sein du Climate Action Network, et j'ai été très...
M. Darrel Stinson: En Chine aussi?
Mme Louise Comeau: Permettez que je continue. J'ai été très active dans le Climate Action Network, réseau qui regroupe des ONG du monde entier. Dans le Climate Action Network, je représente en fait l'ONG qui a encouragé les autres organisations à adopter un consensus sur l'engagement des pays en développement dans ce domaine. Nous avons beaucoup travaillé pour obtenir un consensus affirmant que l'avenir du développement et de toutes les économies passent par une diminution des émissions de gaz carbonique et nous avons obtenu ce consensus au sein de la communauté environnementale.
Tout le débat tourne autour des échéanciers. La convention fait état d'une responsabilité différenciée. Les changements climatiques intervenant dans l'atmosphère depuis le début de la révolution industrielle...
M. Darrel Stinson: Vous ne répondez pas à ma question. Je vous ai posé une question bien précise.
Mme Louise Comeau: Peut-être, mais ce que je dis, c'est que nous devons reconnaître les aspects politiques de la question. La convention exige une responsabilité différenciée. En vertu du Berlin Mandate, nous ne devons pas imposer de nouveaux engagements aux pays en voie de développement. À l'intérieur de ce mandat, la communauté environnementale travaille très fort pour obtenir un consensus selon lequel les groupes environnementaux du Sud et ceux du Nord s'entendent pour ne pas exiger d'engagements de la part des pays en développement—mais pas à Kyoto. Après Kyoto. C'est ce que nos gouvernements ont convenu en avril 1995.
Le président: Darrel, nous pourrons peut-être y revenir si nous avons le temps.
Nous allons maintenant donner la parole à Roy Cullen.
M. Roy Cullen: Merci monsieur le président. Merci madame Comeau et monsieur Hornung.
Je n'ai pas eu l'occasion de lire la documentation de Mme Comeau, mais votre mémoire, monsieur Hornung, m'a paru très constructif et très détaillé et je suis certain qu'il va m'aider à analyser toutes ces questions prochainement. Je comprends ce que vous voulez dire quand vous parlez du coût de l'inaction. Je comprends ce que vous voulez dire quand vous évoquez la sous-estimation des avantages et la surestimation des coûts. Je pense qu'il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites. Vous proposez un certain nombre d'outils précis dont nous aurons besoin, je crois, et, à mon avis, il faut bien faire savoir que la solution nécessitera un certain nombre d'initiatives. Je vous félicite pour les idées très constructives que vous avez présentées.
J'aimerais vous poser à tous les deux une question se rapportant à la technologie. Dans la modélisation que vous faites ou que vous supervisez, je pressens, comme vous aussi, que la technologie et l'innovation permettront de régler certains de ces problèmes à l'avenir. La seule réserve que j'aie se situe au niveau de la pondération.
Le débat est à peu près le suivant. Il suffit de mettre l'accent sur la technologie pour que l'innovation se produise et nous permette de régler tous ces problèmes. Je simplifie à outrance, mais cela m'inquiète. C'est très bien tant qu'on se limite à en parler de manière théorique, mais c'est autre chose quand on s'appuie là-dessus pour prendre des décisions qui ont d'énormes conséquences sur le plan environnemental et économique.
On a pu voir dans l'industrie les conséquences négatives de cette attitude de confiance aveugle dans la technologie qui est censée parvenir, de manière magique et mystérieuse, à résoudre tous les problèmes. Pouvez-vous nous dire quel est le genre de pondération que vous utilisez à ce sujet dans vos modèles et nous expliquer peut-être comment vous envisagez d'intégrer cela dans le plan global.
M. Robert Hornung: Je crois qu'en fait nous nous trouvons dans une position privilégiée, dans le sens que, pour ce qui est des engagements découlant de Kyoto, nous envisageons de nous servir de technologies déjà existantes. Le problème, tout au moins à court terme, que posera l'entente que nous obtiendrons à Kyoto et le degré d'engagement que nous obtiendrons, ne se situe pas au niveau du développement de la nouvelle technologie. Il s'agit plutôt d'introduire les technologies existantes sur le marché.
Prenons l'exemple de la construction domiciliaire. Nous savons déjà construire des maisons qui utilisent un tiers de l'énergie moyenne que consomment les maisons construites de nos jours. Pourquoi ce genre de construction ne parvient-il pas à percer le marché? On peut penser que c'est pour une question de coûts, mais nous savons que si la construction de maisons plus économes sur le plan énergétique augmente les coûts au départ, le propriétaire récupère ses coûts grâce à l'amélioration du rendement énergétique. Alors, qu'est-ce qui empêche l'adoption de ces techniques plus efficaces?
• 1240
Nous savons qu'il est possible d'améliorer de 20 à 30 p. 100
le rendement énergétique de la plupart des bâtiments commerciaux.
Pourquoi rien ne se fait? Tout simplement parce que dans beaucoup
de ces bâtiments, l'énergie n'est pas le poste le plus coûteux.
Aussi, les entreprises qui veulent diminuer leurs coûts cherchent
avant tout à diminuer leurs coûts de main-d'oeuvre—le poste le
plus important—et à réduire certaines autres dépenses en capital
même si elles ont la possibilité de réduire considérablement leurs
dépenses sur le plan de l'énergie.
Nous travaillons beaucoup avec les entreprises du secteur pétrolier qui reconnaissent les énormes possibilités que présente l'amélioration du rendement énergique, tout en avouant qu'il est bien plus profitable pour elles d'utiliser leurs ressources financières ailleurs. Aussi, nous devons imaginer d'autres incitatifs pour encourager des investissements qui paraissent actuellement marginaux. Ces investissements sont rentables et utiles.
Dans d'autres secteurs, nous savons déjà comment construire des automobiles offrant un meilleur rendement énergétique. Il existe déjà plusieurs modèles et il ne sera pas difficile d'encourager ce type de développement.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'énergie éolienne n'est pas un mythe puisque c'est un type d'énergie qui est exploitée dans plusieurs pays du monde. Comment l'implanter au Canada? Il y a actuellement une occasion en or qui se présente ici, puisqu'on envisage le déréglementation des réseaux d'électricité. Nous avons donc la chance de modifier les règles du jeu. Certains pays ont choisi de modifier les règles pour encourager l'implantation des technologies utilisant l'énergie renouvelable. Nous pouvons en faire de même.
M. Roy Cullen: Le modèle que vous examinez propose l'exploitation de technologies existantes et éprouvées; il n'est pas question de technologies hypothétiques.
M. Robert Hornung: C'est exact.
M. Roy Cullen: Très bien.
Est-ce que je peux poser une question supplémentaire?
Il a beaucoup été question de trouver un équilibre entre les ressources renouvelables et les ressources non renouvelables. Notre régime fiscal offre un certain nombre d'encouragements sous la forme d'actions accréditives, d'investissements dans la R et D, etc., qu'il faudra peut-être réexaminer en tenant compte des sources d'énergie renouvelables. Est-ce que c'est un aspect que vous avez examiné ou que vous avez l'intention d'explorer?
M. Robert Hornung: En effet. La documentation que je vous ai fournie fait état d'un certain nombre d'initiatives qui visent à appliquer des règles uniformes aux différents types de ressources.
Il y a deux ans, le ministère des Finances et le ministère des Ressources naturelles ont rendu publique leur étude relative à l'uniformisation des règles du jeu, concluant que le régime actuel des encouragements fiscaux n'accorde pas le même traitement à toutes les sources d'énergie. Cette étude a révélé que ce sont les sables bitumineux qui obtiennent le traitement le plus favorable et que les investissements dans le secteur du rendement énergétique sont en fait pénalisés, par rapport à un régime fiscal neutre.
Le gouvernement a pris quelques mesures pour y remédier mais, franchement, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Je peux vous donner quelques exemples précis.
Il y a eu quelques changements dans le régime des encouragements fiscaux. Il y a aussi la question de l'appui qu'accorde le gouvernement à la recherche et au développement. On se rend compte, quand on examine le soutien que le gouvernement accorde à la recherche et au développement dans le secteur de l'énergie depuis 20 ans, que la plus grande partie de l'argent est consacré à l'énergie nucléaire. Vient ensuite le secteur des carburants fossiles, tandis que le secteur du rendement énergétique et de l'énergie renouvelable vient en troisième position. Ce secteur obtient une part beaucoup plus petite des ressources.
Il faut souligner que la dernière ministre des Ressources naturelles, Mme McLellan, a tenté de rajuster cette répartition afin d'accorder un pourcentage plus grand des ressources à l'efficience énergétique et à l'énergie renouvelable. Cependant, les ressources financières dont elle disposait étant moindres, le secteur de l'énergie renouvelable dispose de ressources moins grandes, même si sa part a augmenté.
Le gouvernement en place a beaucoup parlé de faire entrer le Canada dans le XXIe siècle, d'effectuer des investissements stratégiques et d'investir dans les technologies qui nous préparerons à l'économie du XXIe siècle. L'économie énergétique du XXIe siècle sera assez différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Actuellement le Canada n'est absolument pas prêt et n'a pas envoyé les bons messages qui nous aiderons à nous préparer à jouer un rôle dans cette économie.
Le président: Roy, est-ce que ça va pour le moment?
M. Roy Cullen: J'ai d'autres questions, mais j'y reviendrai.
Le président: Très bien.
Est-ce que ça va pour vous, Louise, ou est-ce que vous voulez rajouter quelque chose?
Mme Louise Comeau: Je voudrais tout simplement développer et compléter.
Les technologies existantes sont extrêmement nombreuses, mais nous devons également planifier de manière stratégique ce que nous voulons faire dans cinq, dix ou quinze ans. Nous pensons qu'Industrie Canada a un rôle plus important et beaucoup plus actif à jouer, en particulier dans le secteur des technologies nouvelles et de l'automobile.
• 1245
Les deux secteurs dans lesquels le Canada doit agir s'il veut
réduire les émissions de gaz sont le charbon dans le secteur de
l'électricité et le secteur de l'automobile. Essentiellement, nous
envisageons l'élimination complète du moteur à combustion interne,
au profit du véhicule hybride que vient de présenter Toyota, des
véhicules utilisant des piles à combustible de Ballard. Il y a une
voiture que l'on appelle l'hyper-car, etc.
Le Canada doit se lancer dans certaines nouvelles technologies. Nous devons garantir et conserver nos emplois dans le secteur de l'automobile en faisant en sorte que notre base manufacturière s'adapte continuellement aux progrès réalisés dans ces domaines technologiques.
Dans le secteur de l'électricité, les centrales thermiques seront un jour éliminées, mais il faut accélérer le processus, nous n'avons tout simplement pas d'autre choix. Nous pensons qu'il faut examiner les possibilités en ce sens.
Le président: Jerry Pickard.
M. Jerry Pickard: Vous avez abordé le sujet dont j'avais l'intention de parler. Nous savons tous qu'il est impossible pour le moment d'aboutir à une solution idéale, mais le Canada a un rôle à jouer à Kyoto. Il est indéniable que les buts doivent être réalistes et accessibles. Quels sont les buts réalistes et accessibles que vous pourriez suggérer au gouvernement canadien de se donner à Kyoto?
Mme Louise Comeau: Si vous me permettez, je vais répondre à votre question en deux étapes.
D'un point de vue économique et technique, je pense qu'une réduction de 20 p. 100 est réaliste et crédible. D'un point de vue politique, compte tenu de la situation actuelle du Canada, des réductions de 20 p. 100 d'ici 2005 ou 2010 sont tout simplement inimaginables.
Aussi, je reviens toujours à la question de savoir ce qui est vraiment «réaliste»? Il faut se demander si c'est politiquement réaliste ou scientifiquement, environnementalement, économiquement réaliste.
À Kyoto, nous espérons que le Canada appuiera l'objectif le plus ambitieux possible qu'il juge politiquement réalisable aujourd'hui, en évitant toutes les échappatoires... Il faut que ce soit un objectif suffisamment ambitieux pour qu'il entraîne un changement réel de comportement au Canada. Nous pensons que le problème réel n'est pas quantitatif. Le problème réel est de savoir si la rencontre de Kyoto va envoyer un message ferme et indéniable au monde des affaires et des investissements, leur signalant que le statu quo ne peut plus durer.
Au Canada, étant donné nos projections de croissance, nous estimons qu'un objectif de réduction d'au moins 5 p. 100 est viable d'ici 2005 et que des réductions supérieures sont viables et réalistes au Canada et devraient faire comprendre au monde des affaires qu'il faut abandonner le scénario de maintien du statu quo. À notre avis, la stabilisation est un objectif trop timide, incapable de provoquer le genre d'activités dont nous estimons que le Canada a besoin pour progresser dans ce domaine.
Toutefois, la réalité politique est telle que l'objectif qui ressortira de Kyoto sera inférieur à cela.
M. Robert Hornung: J'aimerais moi aussi donner mon point de vue.
Pour le moment, aucun objectif officiel n'a été fixé, mais le premier ministre a fait une déclaration dans laquelle il manifeste la volonté de viser un objectif plus radical que les États-Unis et de servir de pont entre les points de vue différents, avec les États-Unis et l'Union européenne. Pour moi, cela impose au Canada au moins deux obligations.
La première, c'est qu'il faudrait envisager des réductions avant 2010 plutôt qu'après. L'Union européenne et les pays en voie de développement ont tous demandé des réductions d'ici l'année 2005. Personne n'a proposé de réductions applicables après 2012. Le Canada serait le seul à présenter une telle proposition. Dans ce cas, je ne vois pas très bien entre quels pays le Canada veut servir d'intermédiaire.
Deuxièmement, le Canada doit discuter de réductions. Les États-Unis ont présenté une proposition, la plus faible de toutes. Par conséquent, il est question de stabilisation d'un côté tandis que les Européens, quant à eux, préconisent une réduction de 15 p. 100. Si le Canada a l'ambition de servir d'intermédiaire entre ces deux extrêmes et de montrer qu'il devance les États-Unis et qu'il protège l'environnement, il doit se situer quelque part entre les deux. Or, je pense qu'une réduction de 1 p. 100 ne suffit pas, dans ce cas. Il faut envisager une réduction de 5 p. 100 ou 10 p. 100.
Franchement, je ne pense pas que cela va se produire. Et d'ailleurs, on peut se poser des questions sur la crédibilité de telle déclaration du gouvernement concernant l'établissement d'un objectif, avant la rencontre de Kyoto.
Le président: Monsieur Stinson.
M. Darrel Stinson: En fait, cela répond à une de mes questions. Une autre de mes craintes était que l'on fasse des promesse là-bas et qu'on revienne sur ces promesses par la suite sous prétexte qu'elles sont irréalisables; c'est en fait ce que nous avons fait en 1992.
Madame Comeau, j'aimerais citer un document d'Elizabeth May. Vous me direz ce que vous en pensez. Voici son point de vue au sujet du rôle du Canada à Kyoto, tel que rapporté dans ce document:
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Nous continuons à jouer un rôle d'empêcheur de tourner en rond dans
ces négociations. Cela affaiblit les effets du traité et retarde
son entrée en vigueur. Le rôle que joue le Canada dans ces
négociations est embarrassant. C'est honteux... C'est purement et
simplement une tactique dilatoire.
Mme Louise Comeau: Les récentes négociations de Bonn ont été tout à fait spéciales en ce qui a trait au comportement du Canada. Depuis trois ans, le Canada n'a pas été très combatif dans les négociations. En fait, de manière générale, il a affirmé sa position réelle sur certaines questions de manière plutôt discrète et a très rarement fait des interventions dans un sens ou dans l'autre.
Le Canada a adopté une approche nettement différente au cours de la plupart des négociations récentes. Cette approche était, à mon avis, en contradiction directe avec la profession de foi écologique du premier ministre à la Chambre. De fait, le Canada a appuyé et continue d'appuyer sans relâche des positions qui, à notre avis, aboutiraient à l'objectif le plus bas et offriraient le maximum d'échappatoires. Je vais vous donner quelques exemples.
Le Canada a toujours été en faveur de la réduction nette des gaz à effet de serre. Cela permettrait essentiellement de déduire, en termes de séquestration, l'utilisation des arbres des émissions de combustibles fossiles. Les méthodes permettant ce genre de quantification soulèvent beaucoup de difficultés sur le plan scientifique et un grand débat politique sur la meilleure façon de les utiliser.
À notre avis, il ne faudrait pas autoriser les gouvernements à utiliser ce que nous appelons des «puits» ni calculer des crédits, avant la tenue d'une évaluation scientifique et avant que le GIEC ait choisi la meilleure façon de procéder.
Le Canada est un ardent défenseur d'une proposition présentée actuellement par la Nouvelle-Zélande qui, selon nous, contribuerait à augmenter les émissions jusqu'à 10 p. 100, en raison de la façon dont les calculs seraient faits. Les avantages n'existent que sur papier. Les calculs semblent parfaits, mais cette proposition entraînerait une augmentation des émissions polluantes dans l'atmosphère.
Par ailleurs, le Canada a fait, au cours de cette réunion, une intervention qui a vraiment surpris tout le monde. C'était une des dernières interventions du Canada au cours du débat sur les questions de ratification. Comment le protocole serait-il appliqué? Certains ont proposé un double mécanisme de ratification; il faudrait que la convention soit ratifiée par 50 pays et que ces pays représentent un certain pourcentage d'émission.
Le texte du président actuel propose 50 ratifications et trois gigatonnes de gaz carbonique émis par les pays signataires, ce qui représente juste moins de 50 p. 100. Cela donne bien entendu un droit de veto aux États-Unis, mais permettrait de regrouper tous les pays de l'annexe 1.
Le Canada a proposé que le déclencheur soit fixé à 75 p. 100 des émissions globales, exigeant essentiellement que les pays en voie de développement ratifient la convention avant qu'aucun engagement puisse s'appliquer au Canada et dans les autres pays développés.
Ce fut une intervention très décevante. Le Canada a toujours voulu que les pays en voie de développement participent aux négociations, mais nous nous trouvons actuellement aux dernières étapes des négociations et le président Strada a demandé aux gouvernements de faire preuve de souplesse.
À mon avis, le Canada a été très rigide au cours des négociations. Je crois que ma directrice générale l'a très bien perçu. Je crains que le Canada continue à s'associer avec des pays comme les États-Unis et l'Australie qui sont les moins progressistes dans ce domaine. C'est ce que fait le Canada depuis plusieurs années.
Le président: Roy, une question rapidement, puis nous allons conclure.
M. Roy Cullen: Merci monsieur le président.
J'ai une question qui s'adresse principalement à Mme Comeau, mais peut-être que M. Hornung pourrait également nous parler des impacts économiques.
Je pense que la solution se trouve en partie dans la cogénération. Voyons comment cela se présente en Ontario.
Vous avez parlé de l'Ontario et de l'hydroélectricité, et de la production à la baisse dans les centrales nucléaires. Lorsque je travaillais dans le secteur des ressources naturelles, nous avions appuyé la cogénération. Hydro Ontario et les autres producteurs d'électricité accueillaient nos propositions de manière positive, mais, la capacité étant beaucoup trop grande, il n'y avait jamais de suite ou alors, l'expérience était extrêmement limitée. Je crois en particulier que la biomasse recèle un énorme potentiel.
Si vous deviez actuellement prendre des décisions concernant la politique énergétique de l'Ontario, est-ce que vous préféreriez intensifier à nouveau la capacité de production des centrales nucléaires ou examiner d'autres options telles que la cogénération pour remplacer une partie de cette capacité de production d'électricité?
Mme Louise Comeau: Sans hésitation. D'ailleurs, nous sommes d'ardents partisans de la cogénération. Notre étude envisage que 25 % de toute la croissance provienne de la cogénération. Nous estimons en fait que c'est un moyen très économique pour l'industrie de venir non seulement plus efficiente, mais également de produire de l'électricité et de réduire ses coûts.
Nous espérons que l'ouverture de notre marché de l'électricité à la concurrence permettra d'intéresser toute l'industrie à la cogénération. Nous sommes convaincus que cela contribuerait à réduire considérablement les émissions polluantes de ce secteur. De fait, la cogénération et l'adoption de nouveaux systèmes de propulsion seraient les deux principales initiatives que nous envisageons dans le secteur industriel—l'élimination du charbon dans la production de l'électricité et la conception de véhicules innovateurs, et vous avez pratiquement tout dit sur la réhabilitation thermique des immeubles. Ce serait les quatre catégories principales. Mais la cogénération est un élément fondamental de la solution. Nous ne sommes pas pour les investissements dans d'autres centrales nucléaires.
M. Robert Hornung: J'ajouterai tout simplement que vous avez très bien souligné que nous avons actuellement en Ontario une possibilité extraordinaire... Nous avons vu un peu plus tôt que tout dépend de la conception. L'Ontario se trouve actuellement à la croisée des chemins et peut soit agir de manière extrêmement nocive sur le plan de la production de gaz à effet de serre, compliquant ainsi la tâche du Canada pour trouver une solution à ce problème, soit, au contraire, prendre d'autres options.
Hydro Ontario a rompu des contrats qu'il avait signés avec un certain nombre de fournisseurs d'énergie renouvelable. De fait, l'industrie de l'énergie renouvelable a entamé des procédures contre Hydro Ontario qui n'a pas honoré ses contrats. En un premier temps, Hydro Ontario pourrait tout simplement permettre la réalisation de ces projets...
Mme Louise Comeau: Tout à fait.
M. Robert Hornung: ...ce serait déjà un grand pas vers une solution à ce problème.
En guise de conclusion, j'aimerais laisser comme message que nous avons besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination créatrice. C'est quelque chose que nous n'avons pas beaucoup fait pour le moment, car nous avons consacré beaucoup de temps de part et d'autre du pays, à des argumentations théoriques.
M. Roy Cullen: Une dernière question. Avez-vous présenté ce point de vue ou fait des pressions auprès du gouvernement de l'Ontario au sujet de la cogénération? Si c'est le cas, pourriez-vous transmettre au comité, par l'intermédiaire du président, ces documents énonçant vos points de vue? Si vous ne l'avez pas encore fait, pourriez-vous nous en faire part pour que nous puissions suivre le progrès?
Mme Louise Comeau: Le Sierra Club fait partie d'un groupe appelé la Green Energy Coalition qui est intervenu aux audiences de la commission de l'énergie d'Hydro Ontario et à toutes les audiences de la commission du gaz naturel depuis 1992. Nous préconisons nous seulement une ouverture du marché de l'électricité—nous sommes très intéressés par les possibilités qu'offre la libre concurrence—mais nous avons également réclamé une beaucoup plus grande planification intégrée des ressources et un investissement dans la gestion de la demande. Vous seriez sans doute surpris du nombre d'interventions que nous avons faites à ce sujet auprès d'Hydro Ontario.
D'ailleurs, le Sierra Club sera très actif dans le débat sur le marché concurrentiel de l'électricité et nous avons l'intention d'appuyer très énergiquement un marché respectueux de l'environnement.
Le président: Merci monsieur Cullen.
Au nom du comité, je remercie les deux témoins que nous avons entendus aujourd'hui. Vous avez enrichi le débat. Le comité poursuivra sans aucun doute cette étude après la rencontre de Kyoto, au cours de l'année nouvelle et nous nous réservons le droit de vous réinviter à l'avenir. Merci.
Mme Louise Comeau: Merci.
M. Robert Hornung: Merci monsieur le président.
Le président: La séance est levée jusqu'à mardi 18 novembre, après la semaine de relâche.