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Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la 36
e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 1er février, le Comité reprend son étude sur la santé mentale des jeunes femmes et des filles.
La réunion d'aujourd'hui se déroule selon une formule hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
Permettez-moi quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro. Veuillez le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne l'interprétation, si vous participez à la réunion par l'application Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre l'anglais, le français et le parquet. Si vous participez en personne, vous pouvez utiliser l'oreillette et sélectionner le canal que vous voulez.
Tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Pour ceux qui sont dans la salle, si vous souhaitez prendre la parole, veuillez lever la main. Pour ceux qui sont sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ». La greffière et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre des interventions, et nous vous sommes reconnaissants de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Conformément à la motion de routine, tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Avant de passer à la suite des choses, il y a une motion qu'il faut adopter ce matin. Elle concerne notre groupe en provenance d'Arménie. Le Comité accepte‑t‑il d'assumer les frais d’accueil, incluant l’achat d’un cadeau, engagés lors de la réunion informelle avec la délégation de l'Arménie tenue le mardi 25 octobre 2022? Il faudrait que quelqu'un propose une motion d'adoption.
Je vous remercie, madame Larouche.
La motion est‑elle adoptée à l'unanimité?
(La motion est adoptée.)
La présidente: C'est formidable.
Je vous mets en garde: cette étude sera difficile. Nous allons parler d'expériences liées à la santé mentale. Cela peut être un déclencheur pour nos téléspectateurs, nos membres ou notre personnel qui auraient vécu des expériences semblables. Si vous ressentez de la détresse ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière.
Comme vous le savez, un changement a été apporté à l'avis. La réunion se terminera à 12 h 15. Nous allons tâcher de procéder rondement.
Aujourd'hui, nous accueillons des témoins formidables. J'aimerais souhaiter la bienvenue à Gabrielle Fayant, de l'organisme Assembly of Seven Generations. Nous accueillons aussi Chelsea Minhas, de Covenant House, qui se joint à nous par vidéoconférence; Tamara Angeline Medford‑Williams et Sonia Alimi, du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, et Amber Crowe, des Dnaagdawenmag Binnoojiiyag Child and Family Services.
Nous allons accorder cinq minutes à chaque organisation. Nous commencerons avec Mme Fayant.
Madame Fayant, vous disposez de cinq minutes.
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[
La témoin s'exprime en michif-cri ainsi qu'il suit:]
Tân’si Gabrielle nisihkâson, Packechawanis ochi niya,
[Les propos en michif-cri sont traduits ainsi:]
Bonjour, je m'appelle Gabrielle et je viens de Packechawanis.
[Traduction]
Bonjour à tous. Je m'appelle Gabrielle Fayant. Je suis la co‑fondatrice de l'organisme Assembly of Seven Generations où je travaille comme assistante.
Moi aussi, je veux vous mettre en garde. Les réalités propres aux femmes et aux filles autochtones sont très dures. Je voulais le dire.
Je suis la câpân d'une arrière-grand-mère qui a survécu à la violence sexuelle et à de multiples formes de violence fondée sur le genre. Je suis la petite-fille d'une femme qui a été un produit de la violence sexuelle. Je suis la nièce d'une tante qui a été assassinée. Je suis la demi-sœur d'une jeune femme qui a été traquée et assassinée. Je suis l'amie d'une femme dont les restes ont été découverts dans un édifice condamné d'Ottawa. Je suis membre d'une communauté dont six femmes autochtones se sont suicidées ou ont été assassinées au cours des derniers mois à Ottawa.
Je tiens à dire clairement que la violence endémique fondée sur le genre de même que la surreprésentation extrême des cas de violence sexuelle et de décès des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones ne sont pas des événements isolés. Cela existe depuis plusieurs générations. Je ne suis pas la seule à vivre cela. Malheureusement, de nombreuses femmes autochtones qui sont membres de notre famille et de nos collectivités ont vécu ce genre d'expérience.
Cette violence a un lien direct avec les injustices systémiques au sein des administrations publiques au Canada. Ces injustices sont parfois intentionnelles ou prennent la forme d'un aveuglement volontaire, mais au bout du compte, elles ont pour cibles les personnes les moins privilégiées de la société.
En plus de vivre avec la menace de disparaître ou d'être assassinées, les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones continuent de souffrir des conséquences intergénérationnelles du génocide perpétré avec les pensionnats. Elles sont surreprésentées dans les organismes de protection de la jeunesse et dans le système de justice pénale et elles sont souvent la cible de brutalité policière, pour ne nommer que ces situations‑là. Ces injustices sont la plus grosse menace au bien-être des peuples autochtones. C'est un euphémisme que de dire que la santé et le bien-être mentaux des femmes et des filles autochtones est dans un état épouvantable.
Les communautés autochtones connaissent les solutions pour aider les jeunes avec lesquels elles travaillent à améliorer leur vie. Malheureusement, les services destinés aux jeunes Autochtones reçoivent un financement anémique ou bien n'en reçoivent pas du tout. En outre, il est rare que ces services offrent une approche intersectionnelle pour répondre aux besoins multiples et divers des personnes autochtones. Les gouvernements ont fait de gros investissements dans des initiatives autochtones au nom de la réconciliation. Cependant, le plus souvent, il ne s'agit pas de réponses aux appels à l'action qu'ont rédigés les survivants. De plus, ces fonds ne se rendent pas sur le terrain, là où ils sont le plus nécessaires.
J'aborderai ces points en vous parlant des difficultés que vit notre organisme jeunesse, l'Assembly of Seven Generations. Cet organisme à but non lucratif dirigé par des Autochtones est situé ici, sur le territoire traditionnel du peuple algonquin, plus précisément à Ottawa.
Toutes les semaines, nous nous occupons de 20 à 30 jeunes Autochtones que nous accueillons sur une base hebdomadaire. Nous faisons des interventions pour aider des personnes en situation de crise, pour lutter contre le suicide, apporter du soutien en matière de santé mentale et d'itinérance. Nous les aidons aussi à naviguer dans le système et nous faisons des patrouilles dans les rues pour retrouver des jeunes filles autochtones disparues. Nous organisons aussi des ateliers, des activités et des événements spéciaux allant des cercles de perlage aux festins, danses en rond et activités sur le territoire.
Nous faisons tout cela sans financement de base, sans personnel ou capacité à verser des salaires, sans avantage, sans congé, sans locaux garantis et sans espace à partir duquel opérer. Le nombre de cas augmente de jour en jour, au point où nous devons refuser de nouveaux jeunes.
Au cours des dernières années, nous nous sommes organisés avec d'autres groupes, des collectifs et des organisations de jeunes Autochtones au pays. Nous avons maintenant la preuve que ces expériences sont systémiques. Plus de 10 groupes de jeunes Autochtones nous ont fait part de leurs histoires, qui viennent de partout au Canada. Tous les groupes auxquels nous parlons ont une expérience étrangement similaire à la nôtre: manque de financement, de capacité et de ressources ainsi qu'un besoin irrépressible d'être un filet de sécurité pour les jeunes qui sont laissés pour compte par les systèmes en place.
Les jeunes leaders ont du mal à répondre à la demande afin de garder les choses en place, car s'ils savent ce qui se passera s'ils ne sont pas là et qu'ils sont le dernier recours des jeunes dans leurs collectivités. Financement ou pas, ils doivent poursuivre leur travail.
En outre, les jeunes personnes à la tête de ces groupes et organisations qui sauvent des vies sont aussi toutes des femmes et des jeunes filles autochtones.
Je n'ai pas toutes les solutions à ces problèmes systémiques gigantesques, mais je sais que les programmes de soutien communautaire pour les jeunes comme celui de l'appel à l'action no 66 de la Commission de vérité et réconciliation fonctionnent. Cependant, nous ne pouvons pas continuer de faire ce travail avec des microsubventions et un financement précaire. Cette situation mène à des cas de surmenage graves. Or, sans ces groupes de jeunes, il y a des décès — je n'invente rien. Nous l'avons vu ici, à Ottawa, au cours des deux derniers mois.
Meegwetch.
J'aimerais féliciter l'intervenante précédente et la remercier de ce qu'elle a dit.
Je sais que vous faites tous un travail extraordinaire sur le terrain.
Je m'appelle Chelsea Minhas, et je suis la directrice des services cliniques et des soins complexes à Covenant House, à Vancouver.
Je vous suis très reconnaissante de m'avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui des terres traditionnelles des nations Katzie et Kwantlen ainsi que des nations de Matsqui et de Semiahmoo.
Covenant House Vancouver a été créé en 1997. Cet organisme est un chef de file qui s'occupe des jeunes à risque et sans-abri à Vancouver et aux environs. Nos valeurs sont guidées par l'amour inconditionnel et le respect absolu. Nous offrons un ensemble de services fondés sur des théories et des pratiques probantes, qui font en sorte que nous prenons soin de l'ensemble de la personne — l'esprit, le corps et l'âme.
Notre équipe crée des plans d'intervention personnalisés avec des jeunes. Ces plans sont conçus en fonction des besoins précis du jeune grâce à une approche personnalisée. Parmi les activités que nous menons en ce moment, il y a du travail de rue, un centre d'accueil et un programme d'intervention en cas de crise, avec plus de 60 lits. Il y a aussi un programme de logement avec services de soutien qui élargira son offre à 44 lits à la fin du printemps. De plus, nous offrirons très bientôt des lits de stabilisation et des refuges peu restrictifs.
Nous sommes aussi en train de développer un système de soutien et de formation spécialisés pour les jeunes victimes de trafic et d'exploitation avec le soutien de Femmes et Égalité de genre Canada. Chaque année, nous servons environ 1 000 jeunes uniques, qui ont entre 16 et 24 ans. Approximativement 30 % de ces jeunes se désignent comme LGBTQ et environ 30 % se désignent comme étant Autochtones. Environ 35 % des jeunes que nous servons se désignent comme étant de sexe féminin et 11 %, comme étant trans ou intergenre.
Les personnes qui se désignent comme étant de sexe féminin ont de nombreux besoins particuliers. Les femmes et les jeunes filles font partie d'une population sans abri invisible, qui court un risque accru d'être victimes d'exploitation ou de trafic. Elles sont souvent oubliées dans les statistiques extrapolées des dénombrements typiques de sans-abris. Les femmes et les jeunes filles sont trois fois plus à risque de se faire du mal et d'être hospitalisées pour des comportements autodestructeurs.
Plus de la moitié des jeunes Canadiens et près des deux tiers des jeunes femmes ont le sentiment que leurs symptômes d'anxiété, de dépression et de stress sont plus sévères que jamais. Dans bien des domaines médicaux, les femmes et les jeunes filles sont laissées à elles-mêmes. C'est la même chose avec la santé mentale. De nombreux traitements sont conçus pour répondre aux besoins des hommes plutôt qu'aux besoins uniques des jeunes femmes et des jeunes filles.
Le langage genré, qui emploie des mots comme hystérique ou exaltée, a souvent pour résultat de diminuer l'importance accordée à la santé mentale des femmes et des jeunes filles. C'est particulièrement vrai dans le cas de la population adolescente, où l'on minimise souvent les choses en disant aux adolescentes que ce sont leurs hormones. Les femmes sont plus souvent victimes de violence sexiste et de violence entre conjoints, de traumatisme sexuel et de coercition, ce qui a de gros impacts sur la santé mentale.
À Covenant House, nous avons observé une hausse substantielle du nombre de jeunes femmes rapportant des violences sexuelles. À l'heure actuelle, nous voyons également un nombre accru de jeunes femmes qui cherchent refuge dans nos édifices. Nos lits sont pleins, et, pour la première fois en 25 ans d'histoire, nous devons dire à des jeunes femmes que nous ne pouvons pas les accueillir. Nous avons besoin de plus de lits et de services pour ces jeunes femmes.
Non seulement être sans-abri ou à risque de le devenir a un effet sur la santé mentale, cela a aussi un impact sur le retour vers le mieux-être. Il est très difficile de s'occuper de sa santé mentale quand on est mû par des réactions de lutte ou de fuite ou que l'on tente de répondre à ses besoins essentiels.
Au Canada, 20 % de la population itinérante a entre 13 et 24 ans, et de 35 000 à 45 000 jeunes se retrouvent en situation d'itinérance chaque année au pays.
La crise des surdoses touche aussi les jeunes femmes. Nous perdons des femmes et des jeunes filles. Il faut faire mieux. Nous ne pouvons pas ignorer le lien entre la santé mentale et la toxicomanie.
Il y a des choses que nous pouvons faire. Voici quelques-unes de nos recommandations: investir dans les logements offrant des soins complexes dans le cadre d'un système de soins et des logements offrant un continuum de soins qui réunit le logement et les services de soutien sous un même toit. Dans le cas des jeunes, il doit y avoir une expertise dans le développement adolescent à l'intérieur de ces organismes. Un système pour les adultes ne convient tout simplement pas aux jeunes.
De multiples études montrent qu'investir dans les logements offrant des soins complexes permet de diminuer d'autres dépenses, que paient les contribuables, qui se rapportent aux services sociaux, aux soins de santé, aux questions juridiques et aux refuges.
Nous demandons aussi aux comités parlementaires d'entreprendre une étude pour enquêter sur les défis et les obstacles systémiques qui attendent les jeunes à risque de devenir sans-abri et de faire des recommandations.
Nous recommandons aussi que 20 % de tout le financement pour le logement soit destiné aux 30 ans et moins.
Nous voulons d'abord applaudir toutes les intervenantes pour le courage qu'elles ont de parler d'un sujet qui touche un grand nombre d'entre nous.
Le Réseau des femmes handicapées du Canada est un organisme de défense des droits de la personne plurihandicap et féministe. Il a pour objectif de lutter contre les systèmes d'oppression dans une perspective d'intersectionnalité axée principalement sur l'incapacité. Nous sommes situés sur le territoire non cédé de la nation Kanien'kéha de Tiohtià:ke, à Montréal.
Selon Statistique Canada, à l'heure actuelle, 24 % des jeunes femmes et des jeunes filles vivant au Canada ont un handicap. Elles représentent un groupe fortement défavorisé qui fait face à de l'oppression croisée sous forme, par exemple, de taux disproportionnés de pauvreté, de violence, de discrimination et d'incarcération qui ont tous l'effet d'un catalyseur pour les problèmes de santé mentale.
Selon une récente étude, il y a une corrélation entre l'incapacité et la maladie mentale. En outre, l'incapacité est étroitement associée aux troubles mentaux, comme la schizophrénie, l'anxiété, la dépression et une pléthore d'autres troubles de comportement et de santé mentale.
L'étude a conclu que les personnes ayant des incapacités ont plus souvent des problèmes de santé mentale et des difficultés sur le plan des soins personnels, des relations interpersonnelles, du fonctionnement au travail, des communications et de la compréhension.
La race et la prévalence du traumatisme racial, lequel est défini comme étant « une douleur émotionnelle ou physique ou la menace d'une telle douleur découlant de [...] la discrimination [...] du harcèlement » ou d'une hostilité répulsive est une autre facette de l'identité des jeunes femmes et des jeunes filles qui joue un rôle primordial à l'égard de leur santé mentale.
Au Canada, 35 % des femmes et des jeunes filles noires et autochtones ont une incapacité. Des données empiriques ont montré un lien entre le racisme et une mauvaise santé mentale. La présence d'inégalités systémiques a aussi un impact sur la façon dont certains groupes marginalisés accèdent aux ressources et au soutien social. Par exemple, les enfants et les adolescents noirs au Canada sont confrontés à des difficultés disproportionnées pour obtenir des soins de santé mentale.
Une étude récente qui cherchait à mesurer la relation entre la discrimination perçue et les résultats sur le plan de la santé mentale comme la dépression, les tentatives de suicide et l'alcoolisme chez des personnes autochtones a conclu qu'il y avait une corrélation entre la discrimination et une forte consommation d'alcool ou des tentatives répétées de suicide. Par ailleurs, les facteurs de protection, comme la participation à des activités traditionnelles, disparaissent quand des répondants ont eu à subir une forte discrimination perçue.
Il en découle un contexte où les problèmes de santé mentale sont exacerbés par le stress psychologique du racisme systémique. Globalement, cette situation est particulièrement préoccupante si les personnes ayant des problèmes de santé mentale deviennent admissibles à l'aide médicale à mourir, sans compter que les jeunes aussi pourraient devenir admissibles à celle‑ci.
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Madame Medford‑Williams, je vous remercie de nous avoir transmis ces données, qui nous permettent d'être plus alertes quant à l'imbrication du racisme, du capacitisme, d'autres systèmes d'oppression, et du sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
Pour prolonger un peu plus cette analyse et entrer dans des statistiques plus précises, il faut rappeler que le type d'incapacité le plus répandu chez les jeunes est lié à la santé mentale. Selon les données recueillies par Statistique Canada en 2017, cette incapacité touchait environ 60 % du plus d'un demi-million de jeunes âgés de 15 à 24 ans ayant une déficience. Les jeunes femmes sont surreprésentées dans ce nombre. Sur un total de 325 670 jeunes, 213 000 étaient des jeunes femmes, ce qui représente 65 % de l'échantillon. C'est beaucoup.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit précédemment, mais je souhaite quand même rappeler quelque chose en ce qui a trait à la race et au handicap. En 2010, la Fondation autochtone de guérison indique dans un rapport qu'« un tiers de l'ensemble des décès chez les jeunes autochtones est attribuable au suicide ». Par ailleurs, une récente étude américaine de 2018 démontre que les conséquences du racisme touchent particulièrement la santé des jeunes enfants noirs, qui ont le taux de suicide le plus important chez les jeunes enfants.
En 2020, nous avons réalisé un projet avec Nelly Bassily au sein du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada. Nous nous sommes penchées sur les problèmes sociaux rencontrés par les jeunes filles en situation de handicap et nous avons porté une attention particulière aux situations de handicap invisible, notamment les situations de handicap mental.
Il y a deux problèmes que j'aimerais mettre en évidence parce qu'ils sont très peu abordés quand on étudie ce sujet.
Premièrement, lorsque des enfants sont incarcérés, ils peuvent développer des situations de handicap mental qui auront des répercussions sur leur santé mentale. Le Conseil canadien pour les réfugiés déplore la présence d'enfants dans les centres de détention et de rétention. Il précise que, durant l'année 2018‑2019, le Canada a détenu plus de 118 enfants. Une lettre ouverte signée par plus de 2 000 professionnels indique que ces conditions de détention ont des conséquences néfastes sur leur santé, particulièrement sur leur santé mentale.
Deuxièmement, quand on parle de santé mentale, surtout chez les filles, on parle également d'estime de soi et d'image corporelle. C'est un autre problème qu'il faudra aborder. Je pourrai donner plus de détails durant la période de questions.
Je vous remercie de votre écoute.
Bonjour, je m'appelle Amber Crowe. Je suis la directrice générale des Dnaagdawenmag Binnoojiiyag Child and Family Services. Je suis une anishinaabekwe de la Première Nation d'Alderville.
Je remercie les intervenantes qui m'ont précédée. J'ai moi aussi l'insigne honneur et privilège de parler au nom des femmes et des jeunes filles autochtones — Premières Nations, Inuites ou Métisses — dont les voix, souvent, ne sont pas entendues.
La colonisation et l'assimilation forcée de nos peuples dans la société canadienne a eu, et continue d'avoir, un impact négatif sur notre population, nos collectivités et nos nations. Les répercussions négatives sont souvent plus grandes pour les femmes et les filles de nos communautés en raison de la conception occidentale des rôles de chaque sexe et de la sexualisation des femmes. La surreprésentation dans les services de protection de la jeunesse s'observe à l'échelle du pays. Au Canada, un enfant autochtone ou issu des Premières Nations est 17 fois plus susceptible d'être placé dans un foyer d'accueil, ce qui entraîne des problèmes de santé mentale importants pour les mères et les enfants. Les personnes autochtones sont quatre fois plus à risque que les personnes non Autochtones de vivre un traumatisme grave. Ces traumatismes contribuent à la surreprésentation et au passage dans les services de protection de la jeunesse.
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les femmes et les jeunes filles subissent des traumatismes graves. Il y a des expériences négatives durant l'enfance, qui sont plus fréquentes dans les populations autochtones que dans les populations non Autochtones, selon une étude de 2021. Un pointage plus élevé sur le plan des expériences négatives durant l'enfance pour les participants autochtones était associé à une augmentation des taux de suicide et de détresse psychologique accrus.
Aujourd'hui, j'aimerais attirer votre attention sur ce qu'on appelle des « facteurs de protection ». Dans le cas des femmes et des jeunes filles autochtones, l'identité culturelle, le sentiment d'appartenance et l'attachement sont des facteurs de protection qui peuvent réduire les répercussions des traumatismes et des expériences négatives. Ces facteurs de protection sont particulièrement importants pour les femmes et les filles de nos communautés parce que nos identités ont été remises en question et volées. Nous avons vécu cela tout au long de notre histoire, je pense ici au système des pensionnats et à la perte du statut prévue dans la Loi sur les Indiens. Tout cela a eu un impact sur de nombreuses générations.
La perte d'identité fait en sorte qu'il est quasiment impossible d'avoir un sentiment d'appartenance. En tant qu'être humain, le besoin d'appartenance est inné. Pour les peuples autochtones, l'interdépendance et les interrelations sont notre raison d'être. Savoir et comprendre qui nous sommes dans le monde nous aide à nous évoluer dans celui‑ci et à établir des liens avec d'autres personnes. Quand cela ne se produit pas, nous avons du mal à avoir un sentiment d'appartenance et nous en souffrons.
Une femme autochtone est trois fois plus à risque qu'une femme non Autochtone d'être victime d'un crime violent. Quand ces femmes ont des enfants, et la plupart en ont, cet élément contribue aussi à leur surreprésentation dans le système de protection de la jeunesse. Plus de 6 femmes autochtones sur 10 ont été victimes d'une agression physique ou sexuelle au cours de leur vie, et près de la moitié ont été victime d'une agression sexuelle. À 42 %, les femmes autochtones sont plus susceptibles d'avoir subi des abus physiques ou sexuels de la part d'un adulte pendant leur enfance et d'avoir eu une éducation brutale de la part d'un parent ou d'un tuteur que les femmes non Autochtones, pour lesquelles la proportion est de 27 %. Comparativement aux femmes non Autochtones, les femmes autochtones sont deux fois plus susceptibles d'indiquer qu'elles n'ont pas beaucoup ou pas du tout confiance dans la police.
Les femmes autochtones sont près de six fois plus susceptibles que les femmes non Autochtones d'avoir été sous la responsabilité légale du gouvernement. Environ 8 femmes autochtones sur 10 ont été victimes d'actes de violence au cours de leur vie pendant qu'elles étaient sous la responsabilité du gouvernement. Le passage dans le système de protection de la jeunesse mène à des vies marquées par des problèmes de violence, de victimisation et de santé mentale; être sous la responsabilité légale du gouvernement est associé à un plus grand risque d'être victime d'actes violents au cours d'une vie. Environ 81 % des femmes autochtones qui ont été sous la responsabilité légale du gouvernement ont été victimes d'actes violents au cours de leur vie.
Les personnes dont les parents ont fréquenté les pensionnats sont plus à risque d'avoir des symptômes de dépression sévères, de vouloir se suicider, d'avoir un trouble de stress post-traumatique et d'éprouver de la détresse psychologique générale. Par exemple, des études ont montré que la participation à des activités spirituelles et le fait d'avoir un sentiment d'identité culturelle et d'attachement étaient associés à des résultats positifs en matière de santé mentale, malgré des expériences négatives pendant l'enfance. Ce sont là quelques facteurs de protection.
En outre, des études montrent que le passage dans le système de protection de la jeunesse, surtout si les enfants ont été séparés de leur mère, a des répercussions importantes sur leur bien-être mental, émotionnel et spirituel.
D'après l'Association des femmes autochtones du Canada, les femmes autochtones ne représentent que 4 % de la population canadienne.
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Je vous remercie, madame la présidente.
J'aimerais remercier tous les témoins.
Vos témoignages étaient tous importants. Je vous suis reconnaissante de votre présence. Il s'agit d'un sujet de nature délicate, qui a une incidence sur nous tous, de même que sur notre avenir et nos enfants.
Si vous n'avez pas d'objections, je m'adresserai d'abord à Mme Minhas, de l'organisme Covenant House.
Madame Minhas, je sais que vous aviez d'autres recommandations. Je veux vous donner l'occasion de finir de les présenter.
Comme je l'ai dit, nous examinons la recommandation proposant d'investir dans des logements offrant des soins complexes. Nous demandons qu'un comité parlementaire entreprenne une étude pour examiner les recommandations sur les défis et les obstacles systémiques auxquels font face les jeunes susceptibles de devenir sans-abri et que cette étude comprenne des jeunes en âge de quitter le système de placement en foyer d'accueil. Comme nous le savons, ces jeunes, qui sont plus à risque de vivre une détresse psychologique, indiquent ressentir cette détresse de manière accrue. Il serait bon de prendre en considération les avantages économiques à long terme d'investir dans les jeunes et les services de soutien.
Nous demandons aussi au gouvernement du Canada d'allouer 20 % de tout le financement pour le logement aux jeunes de 30 ans et moins, et de prévoir un sous-ensemble de fonds spécifiquement consacrés aux jeunes de 24 ans et moins qui ont des besoins en soins complexes.
Nous savons que les adolescents ont besoin d'un soutien global. Comme je l'ai indiqué, il ne suffit pas de prendre un système pour les adultes et de l'appliquer à un problème d'adolescent. Il doit y avoir un programme adéquat qui prend en considération les besoins complexes et uniques des adolescents.
Nous savons que chaque petit geste visant à améliorer l'accès à des facteurs de protection pour les jeunes... Lorsque nous parlons de prévention et de santé mentale chez les jeunes, nous parlons de facteurs de protection comme l'éducation, l'hygiène, l'eau potable, le logement, l'emploi et le transport. Il s'agit d'outiller les jeunes et de leur donner accès au soutien dont ils ont besoin pendant la durée de leur passage à l'âge adulte, dans un environnement sain, qui favorise leur santé mentale.
Nous savons qu'investir dans les jeunes, c'est investir dans la prévention. Si nous pouvons intervenir correctement, au bon moment dans la vie d'un jeune, les résultats peuvent avoir un effet d'entraînement infini dans nos collectivités. Cela aura un impact non seulement sur le jeune, mais aussi sur ses amis, sur les familles de ses amis, sur les tantes, les oncles et les futurs enfants. Investir dans la santé des jeunes, c'est investir dans l'avenir.
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Merci beaucoup, madame Minhas. Je ne peux qu'être d'accord avec vous.
Nous avons, à l'heure actuelle, un véritable dilemme. Nous sommes aux prises avec une inflation et une crise de l’abordabilité qui atteignent un niveau record. Tout le monde a besoin d'argent. Or, si nous nous concentrons trop sur la crise, nous ne faisons pas de prévention. En même temps, bien des gens sont en pleine crise. Chercher à aider tout le monde, c'est très difficile. J'y pense souvent .
C'est comme si on était un soldat dans un champ. On ne peut sauver que deux personnes, pourtant, il faut sauver tout le monde.
Comment pouvons-nous y arriver? Comment pouvons-nous prendre les meilleures décisions qui soient en matière de politique fédérale pour avoir des adultes en santé? Voilà pourquoi cette étude est si essentielle... quand on pense au logement et aux jeunes.
J'ai une question. Je ne sais pas qui voudra y répondre.
Nous savons que la santé mentale de la mère est essentielle. Je ne sais pas si vous connaissez ce qui semble être le livre de l'heure. Ma fille m'a demandé de le lire en fin de semaine. Chaque fois que ma fille me demande de lire un livre, j'accepte, parce qu'à l'évidence, c'est important pour elle. Il a été écrit par Jennette McCurdy et a pour titre: I'm Glad My Mother Died. Je ne sais pas si vous le connaissez. C'est un livre bouleversant.
Je suppose que ma question est... Je vous regarde, madame Fayant. Vous parlez de reconnaissance suivie de mesures concrètes.
Comment pouvons-nous empêcher que la mère soit écartée? Elle n'élève pas ses enfants en cherchant volontairement à leur nuire ou à les traumatiser: c'est un traumatisme intergénérationnel. Comment pouvons-nous prendre soin de la mère et lui offrir des ressources afin qu'elle puisse guérir ses blessures et, essentiellement, éviter de reproduire le modèle qui lui a été inculqué?
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Oui, c'est une question très importante.
Comme vous venez de le dire, beaucoup de services sont actuellement axés sur la crise et nous devons passer à la prévention, c'est‑à‑dire aux méthodes de prévention.
Nous avons également produit de nombreux rapports sur les enfants pris en charge et c'est ce que demandent également les enfants pris en charge. Ils veulent des méthodes de prévention pour garder les familles unies avant que l'enfant soit retiré, ce qui est la réaction instantanée: « Il y a un problème ici, alors retirons l'enfant. » Il n'y a pas de mesures de prévention en place.
Tous les problèmes qui ne sont pas abordés ne cessent d'être repoussés à la génération suivante et ce sont maintenant d'énormes problèmes auxquels s'attaquer, mais nous devons commencer quelque part. Pour ma part, cela revient toujours au travail que nous faisons, qui porte vraiment sur de l'appel à l'action no 66 de la Commission de vérité et réconciliation. Il parle de programmes « communautaires œuvrant auprès des jeunes ». Il n'y a pas de programmes fédéraux pour les jeunes. Ils n'existent tout simplement pas. Beaucoup de ces jeunes doivent s'accrocher à des microsubventions pour appuyer de grandes quantités de travail et tout cela fait peser un poids tout simplement incroyable sur nos épaules. Parfois, je pense que c'est un miracle que nous nous en sortions encore, mais les jeunes femmes sont si fortes.
Je vous remercie de votre question.
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D'accord, et merci pour la question.
Comme l'a dit l'intervenante précédente, vous ne pouvez pas imposer aux jeunes un programme destiné aux adultes et vous attendre à ce que cela fonctionne. C'est la même chose pour les peuples autochtones. Vous ne pouvez pas appliquer un programme traditionnel aux peuples autochtones et vous attendre à ce qu'il fonctionne de la même manière. Les visions du monde et les approches doivent être adaptées à la population visée.
Pour que les programmes soient efficaces pour les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits, ils doivent inclure un soutien culturel et cérémoniel axé sur la terre et des éléments de soutien de l'identité. Je dirais que notre organisation a été témoin des répercussions de ces éléments de notre modèle de service et de leurs effets positifs sur les familles que nous servons, surtout en comparaison avec les services et les programmes traditionnels auxquels elles avaient accès.
Étant donné que nous sommes une nouvelle agence autochtone de protection de l'enfance, un très grand nombre des quelque 1 200 dossiers qui sont actuellement ouverts nous ont été confiés par une agence traditionnelle, ce qui nous permet de comparer la manière dont les familles étaient servies auparavant et la manière dont elles sont servies maintenant. Nos organisations comptent un certain nombre de services et de postes que les agences traditionnelles de protection de l'enfance n'ont pas et ces éléments, qui touchent à la culture et aux cérémonies, à la protection et à l'entretien de leur identité ainsi qu'à l'intégration de leur identité dans le modèle de service, font une différence incroyable.
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Dans le cadre du rapport que nous avons réalisé, nous avons observé à quel point la faible représentation des filles et des jeunes femmes en situation de handicap contribuait à aggraver leur état en ajoutant une situation de handicap mental.
Aussi, pour les femmes et les jeunes filles qui ne sont pas en situation de handicap physique et qui vivent dans une société patriarcale avec des corps normés, la façon d'appréhender leur corps et de se mouvoir dans la société va être influencée par le regard de l'autre, et particulièrement par le regard négatif posé sur certains corps.
Pour toute femme vivant dans une société patriarcale, et donc pour toute femme dans cette pièce, cela va indéniablement avoir un effet sur sa santé mentale, de la même façon que, dans une société raciste ou colonialiste, des personnes qui sont à la croisée de différentes oppressions ne peuvent pas se libérer du poids que cela a sur leur santé mentale.
Malheureusement, nous n'avons pas le privilège d'être dans des corps qui ne sont pas impactés par des obstacles sociaux qui empêchent notre façon de vivre et de nous mouvoir. Pour nous, les femmes, vivre dans une société patriarcale influence forcément notre façon d'être dans notre corps, ainsi que notre santé mentale.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Mesdames les témoins, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Vous nous rappelez que la question de la santé mentale est vraiment complexe, mais qu'il faut aussi travailler en amont. Vous nous rappelez qu'il faut prévenir, et pas seulement guérir. C'est dans cet esprit que je poserai mes premières questions.
Madame Minhas, dans vos remarques préliminaires, vous avez abordé la question du logement. Nous voyons que les choses ne vont pas aller en s'améliorant avec l'inflation et que c'est de plus en plus difficile.
Vous avez parlé du lien entre la difficulté de se loger et les gens ayant des problèmes de santé mentale. J'aimerais que vous nous parliez de l'importance d'augmenter les transferts d'argent en matière de logement et de l'importance de les rendre les plus récurrents possible, afin que les organismes et les gens puissent avoir de la prévisibilité. J'aimerais également que vous nous expliquiez le lien entre la santé mentale et un logement adéquat.
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Absolument. Il existe certainement un lien entre le logement et la santé mentale. Non seulement l'absence de logement a une incidence sur la santé mentale, mais elle peut aussi souvent avoir une incidence sur la capacité des personnes ayant des problèmes de santé mentale à trouver un logement du marché pour diverses raisons, que ce soit le loyer ou le manque de soutien pour les aider à entretenir le logement.
Sur le plan de la santé mentale, nous avons donc réellement besoin d'un système de logements pour les personnes ayant besoin de soins complexes, c'est-à-dire une série de logements qui répond aux divers besoins des personnes ayant des problèmes de santé mentale, qu'ils soient diagnostiqués ou non. Nous savons que les problèmes de santé mentale commencent souvent à apparaître à l'adolescence, la période de la vie à laquelle appartient la population que nous servons. Nous devons pouvoir soutenir ces jeunes au point où ils en sont à l'aide d'une série d'options, qu'il s'agisse d'un logement entièrement subventionné où une permanence était assurée 24 heures sur 24 — qui est parfois plus communément appelé logement pour la santé mentale — ou d'un logement du marché que des jeunes choisissent d'occuper, mais d'où ils ont accès à du soutien lorsqu'ils sont en difficulté ou simplement à quelqu'un avec qui prendre des nouvelles. Il s'agit de jeunes dont le cerveau est en pleine croissance et en développement et qui entament leur cheminement vers l'âge adulte et nous devons pouvoir leur proposer des options.
C'est très difficile, surtout sur le marché de Vancouver — où nous servons les jeunes —, où les loyers sont astronomiques et où il y a si peu de logements disponibles. Nous avons besoin d'un investissement dans le logement. Cependant, cela ne suffit pas. Nous devons également réserver un certain nombre de logements aux jeunes et construire des immeubles propres aux adolescents.
Nous savons que les jeunes ne se sentent pas en sécurité lorsque leurs logements se trouvent juste à l'intérieur d'immeubles destinés aux adultes. Ils courent un plus grand risque d'être exploités, surtout les jeunes femmes. Certaines d'entre elles pensent qu'elles sont plus en sécurité dans les rues que dans certains de ces immeubles destinés aux adultes où elles sont exploitées derrière des portes closes. Il est donc extrêmement important de garantir des logements réservés aux jeunes.
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Il faut des logements adaptés, mais il faut aussi un soutien de la part des organismes.
Au Québec, nous avons de beaux projets de logements sociaux et communautaires et des organismes demandent que des sommes leur soient réservées. Nous avons créé un fonds d'acquisition pour qu'une partie des sommes consacrées au logement soit versée aux organismes. Ainsi, ces derniers peuvent créer des projets selon les besoins du milieu. C'est extrêmement important.
Vous avez aussi abordé la question de l'itinérance, qui a des répercussions sur la santé mentale. Vous avez fait le lien entre ces deux éléments. Il est important d'investir dans la lutte contre l'itinérance. Le programme fédéral Vers un chez-soi devrait être bonifié de façon récurrente afin que les organismes qui travaillent en itinérance puissent avoir de la prévisibilité pour les prochaines années.
Pourriez-vous nous parler du lien entre l'itinérance et la santé mentale et de l'importance du programme Vers un chez-soi pour aider les organismes?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Tout d'abord, je remercie tous les témoins de leur témoignage et d'avoir accepté de nous faire part de leur expertise.
Ma première question s'adresse à Gabrielle Fayant de Seven Generations.
Vous avez parlé du suicide chez les jeunes.
En 2019, Greg Macdougall, du National Observer, a rapporté que le taux de suicide chez les jeunes des Premières Nations était 6,2 fois plus élevé que celui des non-Autochtones du même groupe d'âge. Il parlait des jeunes de 15 à 24 ans. Pour les Inuits, le taux est 23,9 fois plus élevé. Le taux de suicide chez les jeunes Autochtones est en voie d'être normalisé.
Vous avez également parlé des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, de l'inaction du gouvernement et de ses conséquences. Cela fait partie de la discussion des peuples autochtones qui partagent cette histoire commune de violence.
Compte tenu de cela, je dirais que nous constatons un manque de mesures visant à répondre à cette urgence. Je vais vous donner quelques exemples. Le gouvernement fédéral a débloqué 724,1 millions de dollars pour donner suite aux appels à l'action lancés dans l'Enquête nationale. En 2020, un peu plus de 12 millions de dollars ont été dépensés.
Au cours de cette séance, vous avez parlé en particulier de l'appel à l'action n
o 66 de la Commission de vérité et réconciliation:
Nous demandons au gouvernement fédéral d’établir un financement pluriannuel destiné aux organisations communautaires œuvrant auprès des jeunes pour leur permettre d’offrir des programmes sur la réconciliation, et de mettre en place un réseau national de mise en commun de renseignements et de pratiques exemplaires.
En date du 16 octobre 2022, c'est toujours en cours. Pourtant, nous savons que les taux de suicide élevés persistent.
Je me demande comment ce genre d'approche nonchalante à la crise peut coûter la vie à de jeunes femmes et filles autochtones et à des personnes de diverses identités de genre.
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Merci de votre question. Je vais essayer d'y répondre le plus rapidement possible.
La plupart des jeunes Autochtones avec lesquels nous travaillons sont des femmes ou des personnes bispirituelles. Dans le cadre de notre approche communautaire, nous sommes en mesure de prendre soin les uns des autres grâce à un soutien par les pairs et à ce que nous appelons un réseau de tantes.
Je finis donc par être de garde. Je suis de garde 24 heures sur 24 et je n'ai même pas un emploi à temps plein pour le faire. Parfois, je dois répondre à une crise de prévention du suicide à 3 heures du matin. Je sais que si je n'y vais pas, personne n'ira, je dois donc y aller. C'est la même situation pour de nombreux groupes de jeunes partout au Canada.
Ensuite, il y a les jeunes qui ne font pas partie de ces groupes communautaires en raison du manque de ressources. Ce sont ces jeunes qui perdent la vie. Ce sont les cousins de jeunes membres de notre groupe de jeunes qui doivent faire face au suicide et voir leurs proches se faire assassiner.
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Merci beaucoup de votre réponse. Je vous connais très bien et je sais que vous travaillez jour et nuit, tous les jours. Je vous connais depuis longtemps. Je vous remercie du travail que vous faites pour essayer de lutter pour un monde meilleur.
Ma prochaine question s'adresse à Amber Crowe.
Je viens du Manitoba. À l'heure actuelle, près de 10 000 à 11 000 enfants sont pris en charge chaque année au Manitoba, dont 90 % proviennent de familles autochtones. Nous savons que de nombreux enfants qui cessent d'être pris en charge sont souvent placés en dehors de la communauté. Vous avez parlé de l'importance de l'identité et de la culture en tant que bouclier ou protecteur dans le monde, comme moyen de sécurité pour protéger l'identité et la culture des gens.
Un sujet dont nous ne discutons pas souvent est l'impact sur une mère lorsque ses enfants lui sont retirés. Nous savons que lorsque ses enfants lui sont retirés, il n'est pas rare que la santé mentale de la mère se détériore davantage. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet, s'il vous plaît?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous nos témoins de leur dévouement et de leur engagement. Vous faites face aux difficultés du quotidien et c'est vraiment important. Nous pourrions avoir une étude complètement séparée sur l'ampleur des problèmes chez les jeunes filles et les femmes autochtones.
Madame Fayant et Madame Crowe, je me demande si vous pourriez enrichir nos recommandations. Actuellement, le gouvernement fédéral est en négociations bilatérales avec les provinces. J'aimerais vous entendre sur les difficultés qui sont soulevées.
Vos deux organisations viennent principalement en aide aux femmes autochtones. L'organisme Covenant House Vancouver et le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada viennent aussi en aide aux femmes autochtones, mais leur mandat ne s'y limite pas.
Que recommandez-vous au gouvernement fédéral dans ses négociations et son travail avec les provinces au sujet d'organisations comme les vôtres et d'agences qui ont le mandat de venir en aide aux gens? Il y a des Autochtones dans les centres urbains et des Autochtones dans les réserves. Ce sont là deux choses distinctes. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Madame Fayant, je vous invite à commencer, avant de passer la parole à Mme Crowe.
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Je vous remercie de votre question.
[Traduction]
Je vais répondre en anglais.
Il y a tellement de recommandations. Je ne saurais même pas par où commencer. Cependant, de prime abord, je conviens qu'une étude doit être menée expressément sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones. Ce groupe est souvent laissé pour compte dans les grandes études. Si nous ne répondons pas aux besoins des personnes à risque et des personnes les plus vulnérables, alors nous ne remplirons jamais le mandat.
En tant que groupe communautaire de jeunes, nous avons beaucoup de mal à obtenir des fonds. Les grands organismes reçoivent des fonds en premier parce qu'ils paient des rédacteurs pour produire les demandes. Les personnes qui lisent ces demandes aiment ce qu'elles lisent, mais elles n'ont pas non plus de lien avec la collectivité. C'est un cycle qui se poursuit pendant que des gens sur le terrain font ce travail.
Une autre chose que nous avons observée au cours de la création de programmes est le manque de connexion avec la collectivité et de compréhension de ce qui se passe réellement sur le terrain.
Au cours des deux derniers mois, on m'a demandé de comparaître devant plusieurs de ces comités, mais c'est la première fois, depuis toutes les années que je travaille sur ces questions, qu'on me demande de participer à ces discussions. L'aspect le plus difficile de la situation est le fait que je peux venir ici, mais que je n'ai pas un emploi à temps plein qui me permet d'être ici, contrairement à la plupart des témoins qui ont un emploi à temps plein ou qui reçoivent un salaire et des avantages sociaux pour parler de ces questions. Nous pouvons commencer une discussion avec les femmes autochtones, mais l'équité n'est tout simplement pas abordée. Le dédommagement n'est pas abordé.
Il doit y avoir...
Je voudrais attirer votre attention sur trois choses. Deux d'entre elles ont déjà été mentionnées. Il s'agit des recommandations et des appels à l'action qui se trouvent dans le rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que dans les rapports de la Commission de vérité et réconciliation. Ces rapports sont incroyables en ce qui a trait aux recommandations qu'ils contiennent.
La troisième chose que je vous demande d'examiner est la série de recommandations qui ont été publiées il y a moins d'une semaine à la suite de l'enquête menée en Ontario sur le décès de Devon Freeman. Il s'agit du décès d'un jeune qui vivait dans un foyer de groupe et qui avait des problèmes de santé mentale et un certain nombre d'autres troubles diagnostiqués.
Ce qui ressort de ces recommandations, c'est que les systèmes de soins actuels et les systèmes de services doivent être davantage axés sur la collaboration et être mieux intégrés les uns aux autres afin qu'ils puissent régler tout problème qui se pose. Les problèmes ne surviennent pas en vase clos, ils surviennent en groupes. Les systèmes doivent être en mesure de les aborder et de les traiter comme tels.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Encore une fois, je remercie les témoins. C'est vraiment très intéressant. Les membres du Comité prennent beaucoup de notes.
Madame Crowe, vous avez mentionné la Loi sur les Indiens dans votre allocution d'ouverture. Vous avez beaucoup insisté — et vous venez d'en reparler — sur le rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Vous avez aussi parlé de vérité et de réconciliation et notamment de l'appel à l'action no 66 sur les jeunes.
Des solutions, il y en a dans des rapports. Concernant toutes ces solutions, que nous connaissons déjà, en quoi serait-ce important qu'il y ait une volonté politique et des moyens pour les mettre en application?
Madame Crowe, c'est d'abord à vous que je pose la question, mais je pense que Mme Fayant aura aussi quelque chose à dire après. Je la vois hocher de la tête.
Je serai très rapide. Je sais que dans la dernière série de questions, Chelsea Minhas de Covenant House a dit qu'il est préférable d'aider les familles dans leur foyer dès le début plutôt que de retirer les enfants du foyer. Les conséquences de cette mesure sont considérables.
Ma question s'adresse à Amber Crowe. En juillet 2020, alors qu'elle parlait des décès de jeunes, Brittany Hobson d'APTN a dit ceci:
Selon les statistiques du bureau de la défenseure des enfants et des jeunes du Manitoba, Daphne Penrose, 1 605 jeunes âgés de 0 à 17 ans sont décédés au cours des 10 dernières années.
De ces 1 605 décès, 590 sont ce que Mme Penrose qualifie de « décès susceptibles de contrôle », ce qui signifie que la personne a eu des contacts avec le système d'aide à l'enfance au cours de la dernière année de sa vie.
Au total, 131 des victimes étaient considérées comme prises en charge par le gouvernement au moment de leur décès.
La situation est alarmante. Nous savons que pour les enfants pris en charge, en particulier les jeunes femmes et les filles, il s'agit d'une entrée vers les FFADA2S. Grâce à un bon nombre d'études et de rapports, nous savons que les impacts de la prise en charge sur les enfants sont préjudiciables à leur santé mentale.
Convenez-vous qu'il faut consacrer plus de ressources financières au maintien de la cohésion des familles au lieu de continuer à soutenir des systèmes, y compris le système d'aide à l'enfance, qui ont souvent de très mauvais résultats?
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Je peux répondre à cette question.
Au RAFHC, nous travaillons beaucoup avec des organisations partenaires; nous fonctionnons plutôt comme un réseau.
Sachant que le gouvernement nous accorde plus d'attention, nous essayons toujours, lorsque nous obtenons des fonds, de nous associer à des organisations qui font un travail de première ligne ou qui travaillent sur le terrain en étroite collaboration sur ce problème et avec les populations cibles. Nous sommes associés à différents travailleurs sociaux au sein des organisations auxquelles nous sommes affiliés.
Je suis actuellement en train de préparer ma maîtrise en travail social. Nous avons réalisé divers projets avec d'autres universités où des professeurs travaillent dans le domaine du travail social. Nous essayons vraiment de maintenir ce lien pour qu'il y ait toujours un retour d'information. Nous donnons vraiment l'occasion aux personnes qui sont en première ligne d'avoir une voix dans ce domaine.
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Merci, madame la présidente.
Merci à toutes les témoins d'être parmi nous.
J'ai une question pour Mme Minhas.
Nous avons entendu, madame Minhas, que les jeunes femmes sont parmi les plus vulnérables aux violences sexuelles. En 2018, Statistique Canada a noté que 61 % des jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans ont été victimes de comportements sexuels non désirés.
Pensez-vous que les réseaux sociaux ou l'intimidation en ligne affectent la santé mentale des jeunes femmes et des filles au Canada?
Je ne dispose que de deux minutes donc j'adresserai ma question à Mme Fayant puisqu'elle travaille à Ottawa.
En tant que députée d'Ottawa, permettez-moi de vous remercier pour le travail que vous accomplissez. Il y a un conseil des jeunes Autochtones dans ma circonscription. J'aimerais beaucoup avoir votre avis — je ne sais pas si vous avez beaucoup de temps pour cela — ou celui d'autres personnes que vous me recommanderiez, car il est très important pour nous d'entendre ce qui se passe réellement sur le terrain. Je suis très alarmée d'entendre que, malgré les milliards de dollars, le travail que vous faites n'est pas du tout financé et que vous faites du bénévolat sept jours sur sept. Nous ne pouvons pas nous contenter de vous remercier. Nous devons faire quelque chose.
En ce qui concerne les programmes pour les femmes, nous avons notamment financé l'embauche de personnes chargées de rédiger des propositions afin d'obtenir des fonds. Beaucoup d'organisations de première ligne ont le même problème. Elles n'ont pas la bande passante ou le temps nécessaire pour rédiger une proposition de financement. Pensez-vous que cela pourrait être utile pour le financement des jeunes Autochtones?
Il y a toutefois une difficulté là aussi, parce que nous sommes littéralement plongés dans notre travail de terrain. Il est donc difficile de rencontrer des gens et de trouver quelqu'un que nous pourrions engager pour rédiger une proposition, alors que nous avons les mains dans le cambouis. Cependant, c'est certainement un pas dans la bonne direction.
J'encourage vivement le département des femmes à chercher d'autres moyens de financement, également. Par exemple, un grand nombre de groupes de jeunes avec lesquels nous travaillons cessent de demander des fonds en raison de la difficulté du processus de financement. Il y a beaucoup de choses à démêler. Ce n'est pas facile d'accès. Ensuite, on retient son souffle, on attend que le financement arrive, et bien souvent, c'est un refus parce qu'on ne connaît pas les bonnes personnes ou le fonctionnement des systèmes. On est littéralement en plein dans les tranchées à essayer de soutenir les gens en mode survie.
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Parfait. Merci beaucoup.
À vrai dire, madame Vandenbeld, votre temps est écoulé. Je sais que le temps est compté pour des questions aussi excellentes que celles que nous avons eues aujourd'hui, avec des réponses formidables.
Au nom du comité de la condition féminine, j'aimerais vraiment vous remercier toutes d'être venues ici aujourd'hui et de nous avoir fourni ces réponses. S'il y a des mémoires que vous n'avez pas encore envoyés, n'hésitez pas à le faire. J'adore donner encore plus de travail à ces dames. Merci beaucoup d'avoir été présentes aujourd'hui.
Nous allons seulement suspendre la séance jusqu'à 12 h 25 afin de pouvoir commencer notre prochaine réunion. Je rappelle à tous les participants de reprendre leur place à 12 h 25. Nous sommes tous d'accord, et nous discuterons davantage à ce moment‑là, donc...
D'accord, nous allons suspendre la réunion d'aujourd'hui, et reprendre à 12 h 25.