Bonjour. Bienvenue à la 40e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le lundi 31 octobre, le Comité amorce son étude sur les femmes et les filles dans le sport.
La séance se déroule selon une formule hybride, conformément à l'ordre pris par la Chambre le 23 juin 2022. Certains membres du Comité siègent en personne, et d'autres siègent à distance à l'aide de l'application Zoom.
Avant de commencer, je vais donner quelques consignes qui s'adressent aussi bien aux témoins qu'aux membres.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous nous joignez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour l'activer, et mettez‑le en sourdine quand vous n'avez pas la parole. Pour les services d'interprétation dans Zoom, vous pouvez sélectionner le français, l'anglais ou le parquet au bas de votre écran. Si vous vous trouvez dans la salle, utilisez l'oreillette fixée à votre microphone et choisissez la langue qui vous convient.
Les membres du Comité présents dans la salle peuvent demander la parole en levant la main. Ceux qui utilisent l'application Zoom pourront utiliser la fonction de main levée. La greffière et moi allons faire de notre mieux pour gérer l'ordre d'intervention. Merci à l'avance de votre patience et de votre compréhension.
Conformément à notre motion de régie interne, j'avise le Comité que tous nos témoins, sauf Mme Léa Clermont-Dion, ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Avant de vous présenter les témoins, je dois vous avertir que le sujet de notre étude est très délicat. Nous allons discuter de situations mettant en cause de la violence qui risquent d'ébranler des téléspectateurs, des membres du Comité, du personnel ou quiconque a vécu des expériences analogues. Si vous éprouvez de la détresse ou si vous avez besoin d'aide, veuillez vous adresser à la greffière.
Je souhaite la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Tout d'abord, Mme Léa Clermont-Dion, réalisatrice, autrice et politologue, comparaîtra en ligne. Nous accueillons également le directeur général de Global Athlete, M. Rob Koehler, ainsi que les cofondatrices de Gymnasts for Change Canada, Mme Amelia Cime, qui est avocate, et Mme Kim Shore.
Nous vous accordons cinq minutes pour les déclarations préliminaires. Nous serons assez souples à cet égard, mais je vous invite néanmoins à rester à l'affût des signaux de la présidence, c'est-à-dire moi-même.
Notre première témoin n'a pas le casque d'écoute de la Chambre. Nous allons commencer par un test de son, si vous le voulez bien.
Madame Clermont-Dion, pouvez-vous faire le test avec la greffière?
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Merci, madame la présidente.
Distingués membres du Comité, je trouve important de préciser que mon témoignage ne vise aucunement à nier les expériences positives associées au sport pour les athlètes et les enfants canadiens. J'irais même jusqu'à inviter les athlètes dont l'expérience a été positive à écouter et à observer ce qui se passe, et à devenir les alliés des personnes qui ont survécu à diverses formes d'abus.
À Global Athlete, nous avons reçu les témoignages directs et indirects d'athlètes de diverses disciplines, soit la gymnastique, le soccer, le bobsleigh, le skeleton, l'athlétisme, le ski de fond, le water-polo, la natation artistique, la boxe, le canoë-kayak, l'aviron et le patinage artistique. Les expériences qu'ils ont vécues doivent être entendues et prises en compte, et les comportements indignes doivent cesser.
Le choix des athlètes de s'adresser à Global Athlete plutôt qu'au système en place en dit très long sur la peur et la méfiance qu'il leur inspire. Les athlètes qui ont fait des dénonciations dans le cadre actuel en sont ressortis terrifiés et traumatisés. Ils sont tous des survivants courageux.
À titre de leaders de notre pays, nous devons nous assurer que les abuseurs et leurs complices répondent de leurs actes. Le système sportif actuel a carrément laissé tomber les athlètes. Depuis près d'une année, les athlètes canadiens se sont exprimés haut et fort, mais ils ont été ignorés la plupart du temps, jusqu'à aujourd'hui. Nous vous en remercions.
C'est un premier pas, un début de réponse à l'appel des athlètes pour la tenue d'une enquête judiciaire par un tiers indépendant sur la culture toxique et les pratiques abusives dans le sport canadien. Cela dit, les pratiques abusives dans le sport sont un phénomène mondial. Le Canada a la possibilité d'agir en chef de file, comme il l'a fait à l'époque de l'enquête Dubin, et de changer la culture du sport à l'échelle nationale.
Depuis l'enquête Dubin, les organismes de sport ne font plus les tests de dopage de leurs propres athlètes. Nous devons prendre des moyens analogues pour nous attaquer au problème des pratiques abusives, en mettant les droits de la personne et des enfants au centre du changement.
Au cours de la dernière année, Global Athlete a reçu un déluge de témoignages concernant des cas d'abus physique, sexuel et psychologique pour lesquels il n'y a jamais eu de recours adéquat. Les athlètes canadiens se sont sentis abandonnés par leur organisme de sport, comme nous l'avons vu partout dans les médias. Certains ont entamé des poursuites judiciaires contre leur propre organisme de sport sportif en raison de leur inaction. C'est une preuve évidente de l'incapacité du monde du sport à s'autoréglementer.
L'enjeu des pratiques abusives dans le sport est lié aux droits de la personne, pas au sport lui-même. Les abuseurs exploitent le déséquilibre du rapport de force qui fait en sorte que les athlètes sont impuissants alors que les entraîneurs ou les administrateurs sont tout-puissants. Des athlètes m'ont raconté des expériences qui m'ont carrément arraché le cœur, et je suis convaincu que l'effet serait le même pour vous.
L'inaction et le refus de prendre les plaintes au sérieux et d'aller au fond des choses sont troublants et frôlent même la négligence. Les expériences vécues sont très pénibles. La moindre des choses serait d'écouter, d'aider les victimes, de demander justice et de changer les choses. Toutes les victimes d'abus ont besoin que justice soit faite pour guérir.
Je vous épargne les détails, mais je vais parler des thèmes communs qui se dégagent des récits des athlètes concernant les abus subis. Les athlètes ne croient pas que le système sportif ou les administrateurs des organismes de sport agissent et fonctionnent au mieux de leurs intérêts. Les athlètes et les parents ont peur des représailles. S'ils dénoncent des situations, ils encourent des représailles réelles. Les milieux sportifs musèlent les athlètes depuis des années. On ne les croit pas. On remet leur parole en doute quand ils racontent ce qu'ils ont vécu et, s'ils dénoncent une situation, ils doivent passer par des processus qui ravivent leurs traumatismes. Quand les alliés des athlètes au sein des organismes essaient de prendre leur défense, ils se heurtent aux règles de confidentialité et aux ententes de non-divulgation qu'ils ont signées. Ce n'est pas un enjeu lié au sport, mais un enjeu lié aux droits de la personne.
Aucune règle de confidentialité ou entente de non-divulgation ne devrait empêcher ou dissuader quiconque de dévoiler la vérité. Pendant des décennies, les milieux sportifs ont fonctionné sous le couvert de l'autonomie. Au nom de cette autonomie, les milieux sportifs ont agi en qualité d'autorité suprême et ils ont pour ainsi dire échappé à tout contrôle et à toute obligation de rendre des comptes.
Au cours des derniers mois, nous avons réalisé les limites du champ d'action et des pouvoirs de Sport Canada, et son échec absolu à tenir les organismes de sport comptables de leur inaction et de leurs actes répréhensibles. Plutôt que de s'attaquer à la racine du problème, le Canada a créé d'autres problèmes en demandant à des structures sportives de s'occuper d'enjeux qui concernent les droits de la personne.
Ce rôle a d'abord été confié au Centre de règlement des différends sportifs du Canada, mais des informations anecdotiques ont ensuite mené à la création du Bureau du Commissaire à l'intégrité dans le sport. Ces instances sportives essaient de s'attaquer à des enjeux liés aux droits de la personne sans disposer des pouvoirs et de l'indépendance nécessaires.
Parce que le milieu du sport est petit et extrêmement propice aux conflits d'intérêts réels ou perçus, il ne pourra jamais régler ces problèmes de manière satisfaisante. Les athlètes canadiens que nous avons entendus en ont assez des solutions provisoires.
Distingués membres, au nom des milliers d'athlètes du Canada, nous vous demandons aujourd'hui un appui ferme à la conduite d'une enquête judiciaire par un tiers indépendant. Après cette étude, vos actions devront transmettre à tous les enfants, à tous les jeunes et à tous les athlètes d'élite le message clair qu'ils ne seront plus jamais forcés de se taire, qu'ils seront crus et qu'ils seront protégés s'ils dénoncent une situation.
Madame la présidente, distingués membres du Comité, merci.
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Merci, madame la présidente, et merci, distingués membres du Comité.
J'ai l'impression que le sport vit un moment décisif, surtout la gymnastique.
Quand on parle de gymnastique, on parle d'enfants de six à huit ans qui entrent dans le monde de la compétition, qui s'entraînent de 20 à 30 heures par semaine. Souvent, ces enfants passent plus de temps avec leurs entraîneurs qu'avec leurs parents.
Ces petits êtres humains extrêmement vulnérables sont confiés à des entraîneurs qui leur promettent de leur montrer à faire des vrilles et à virevolter. C'est au nom de ces enfants que je prends la parole aujourd'hui. C'est pour eux que nous exhortons le gouvernement et le Comité à décréter la conduite d'une enquête judiciaire sur les violations des droits de la personne commises contre des athlètes et sur l'absence de mécanismes pour protéger les enfants au Canada.
Je suis moi-même une ancienne gymnaste et mère d'une ancienne gymnaste. Je connais la beauté et les bienfaits que peut procurer le sport s'il est pratiqué dans un esprit de bienveillance et selon une approche axée sur l'enfant. Malheureusement, les centaines de témoignages que nous avons reçus et les arrestations dont nous avons été témoins depuis sept mois ont confirmé nos pires craintes: le milieu de la gymnastique est pourri, de haut en bas et de bas en haut.
Je ne sais pas combien d'entre vous choisiraient la gymnastique pour eux-mêmes ou pour leur enfant s'ils savaient ce qui s'y passe.
Enfant, auriez-vous choisi une activité dans laquelle vous auriez constamment eu peur pour votre sécurité physique parce qu'un tyran adulte vous force à faire des mouvements dangereux qui, vous le savez trop bien, peuvent entraîner des blessures catastrophiques?
Je me demande combien d'entre vous ont eu un entraîneur de confiance qui tirait sur leurs jambes pour les forcer à faire un grand écart extrême et qui leur criait de se taire s'ils sanglotaient et les suppliaient d'arrêter.
Qui parmi vous a passé sa jeunesse à vomir tous ses repas dans les toilettes? Qui s'est pesé de manière obsessive ou s'est fait gaver à l'hôpital pour traiter un trouble de l'alimentation, toujours avec une voix dans sa tête qui lui dit qu'elle est trop grosse et trop laide pour être une gymnaste, qu'elle a l'air du bonhomme Pillsbury?
Qui a connu la confusion, les nausées, la panique quand un adulte de confiance lui a dit qu'il voulait la toucher, ou parce qu'il fallait choisir entre les abus sexuels d'un entraîneur ou la cruauté délibérée d'une entraîneuse?
Ressentez-vous des douleurs chroniques depuis l'adolescence? Avez-vous eu des gestes d'automutilation parce que la voix dans votre tête vous disait que vous ne valiez rien, que vous étiez inutile et paresseux? Peut-être entendez-vous encore cette voix?
Et pour couronner le tout, imaginez que vous devez dépenser des milliers de dollars pour suivre une thérapie afin de pouvoir fonctionner en société.
L'équipe de Gymnasts for Change est ici aujourd'hui. Mes amies, combien d'entre vous se reconnaissent dans ces exemples?
Vous êtes debout. Restez debout si les médailles que vous avez gagnées vous ont fait oublier la douleur, la détresse et la peur que vous avez vécues dans votre enfance.
C'est la réalité pour d'innombrables jeunes gymnastes au Canada qui subissent la violence, l'humiliation et les pires formes d'abus imaginables. Pourtant, nous attendons encore un plan de prévention.
N'oublions pas que la gymnastique est un milieu très peu ouvert à la diversité, et que les enfants qui en font sont souvent issus des milieux parmi les plus privilégiés. Si nous ne pouvons pas assurer la sécurité de ces enfants, qu'en est‑il des enfants racisés ou transgenres, ou qui ont un handicap et qui sont mille fois plus à risque de subir de la maltraitance en raison des systèmes d'oppression croisée?
Malgré l'horreur de ces abus, les personnes qui y ont survécu nous répètent sans cesse que ce qui les hante le plus aujourd'hui est de savoir que les adultes qui auraient pu les protéger n'ont rien fait, qu'ils ont choisi de protéger leurs amis et une image de marque.
Nous aurions préféré ne pas avoir à créer un mouvement comme Gymnasts for Change Canada. Nous pensions qu'en nous unissant pour raconter nos histoires aux organismes de réglementation provinciaux, à Gymnastique Canada et, en dernier recours, à Sport Canada, quelqu'un quelque part nous écouterait. Nous pensions qu'ils agiraient rapidement pour protéger les athlètes. Nous nous trompions. Neuf pays ont déjà terminé leurs enquêtes indépendantes sur les programmes de gymnastique. Avec deux ans d'avance sur le Canada, ces pays ont commencé à s'attaquer à la culture de la cruauté au moyen de réformes législatives et de mécanismes contraignants pour assurer la protection des droits des athlètes.
Je vais être très claire. Ce dont il est question aujourd'hui n'est pas une crise dans le sport, mais une crise des droits de la personne dans le monde du sport. Le Canada a besoin de leaders qui auront le courage moral nécessaire d'exiger la tenue d'une enquête judiciaire nationale. C'est essentiel pour empêcher que le passé se répète et trouver des solutions inédites. Le temps est venu d'agir avec courage et audace. Tous les enfants du Canada doivent pouvoir pratiquer un sport qui leur procure de la joie et qui leur permettra de devenir une meilleure personne grâce à cette expérience et non en dépit de celle‑ci.
Comment pouvons-nous continuer d'entendre ces histoires et rester les bras croisés? C'est la question que je soumets au Comité.
Merci beaucoup.
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C'est la présidente qui parle.
Merci énormément d'être des nôtres, mais je dois tenir compte des répercussions d'une mauvaise qualité du son pour les interprètes. Il y a déjà eu beaucoup trop de problèmes de santé. Nous allons devoir vous réinviter pour entendre votre témoignage mais, pour l'instant, nous devons poursuivre la séance. Je ne crois pas que nous allons pouvoir vous entendre aujourd'hui, et c'est bien dommage, mais nous allons nous reprendre, je vous l'assure. Merci beaucoup.
Sur ce, nous allons entamer les périodes de questions. Comme à l'habitude, nous allons commencer avec des blocs de six minutes. Je serai assez indulgente, mais je vais m'assurer que chaque parti dispose du temps de parole auquel il a droit.
C'est Mme Anna Roberts qui va commencer. Vous avez six minutes.
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Merci, madame la présidente.
Merci énormément de faire preuve d'autant de courage. Il s'agit de situations très éprouvantes et très émotives, et je suis de tout cœur avec vous. Merci de partager votre histoire avec nous.
Ma première question s'adresse à Mme Shore.
Dans vos notes et vos déclarations, une des choses qui m'a frappée est ce que vous avez affirmé concernant le fait que cette étude est un premier pas et qu'elle doit déboucher sur une enquête judiciaire indépendante et d'envergure nationale, qui devra être confiée à des spécialistes en matière de droits de la personne. C'est ce que vous avez dit. Vous avez dit également que vous aviez affirmé très clairement que le Bureau du Commissaire à l'intégrité dans le sport, ou BCIS, n'a pas ce qu'il faut pour mener cette enquête. Selon vous, il n'a pas l'indépendance requise, il n'a pas aucun pouvoir de contraindre et il est financé directement par Sport Canada, qui a laissé tomber les athlètes canadiens à de multiples reprises.
Qu'auriez-vous à dire au Comité concernant l'idée que des athlètes et des personnes bien placées pour comprendre ce qui s'est passé forment cette tierce partie? Pourriez-vous nous en dire davantage à ce propos?
Je peux seulement parler du milieu de la gymnastique, parce que c'est celui que je connais. Gymnastique Canada tient une liste publique des entraîneurs suspendus ou interdits d'exercice. Toutefois, le public n'a pas accès à leur dossier disciplinaire. Si une personne est suspendue pour un an, par exemple, c'est tout ce qui sera inscrit sur la liste. Dès que la suspension est levée, le nom de cette personne est rayé de la liste.
Les parents n'ont aucun moyen de savoir si un entraîneur a déjà fait l'objet de mesures disciplinaires et, malheureusement, il n'existe pas non plus de registre national qui permettrait de savoir si des mesures disciplinaires ont été prises contre un entraîneur dans un autre sport. En principe, rien n'empêche un entraîneur à qui il a été interdit d'exercer en gymnastique de se tourner vers le soccer, le football ou le hockey. Il n'existe pas vraiment de moyen pour un parent ou pour quiconque de vérifier ce que fait un entraîneur après une mesure disciplinaire.
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Merci, madame la présidente.
Je veux tout d'abord vous remercier d'être ici et de vous confier aussi ouvertement. Cette ouverture change tout et fera certainement une différence. Nous vous en sommes immensément reconnaissants. Je crois m'exprimer au nom de tous mes collègues du Comité en affirmant que la protection des enfants est vraiment notre intérêt premier.
Ma première question sera pour Mme Shore. Beaucoup de Canadiens qui n'ont pas de lien avec le monde du sport ou qui n'ont pas d'enfants qui font du sport sont très choqués par tout ce qui se passe. Nous sommes nombreux à nous demander comment cette situation a pu perdurer aussi longtemps. Faisons-nous l'autruche depuis des décennies? Instinctivement, en tant qu'humains, nous voulons protéger les enfants. C'est clair qu'il y a eu des dérapages. Quand je parle à des amis qui ont déjà été des athlètes, ils me disent tous qu'ils savaient qui étaient les entraîneurs louches. Ils le savaient. On murmurait dans les couloirs, mais personne ne parlait. La culture du silence régnait.
J'aimerais vous poser une question ouverte sur ce qui a pu se passer. Comment cela a-t-il été possible alors que, selon ce que j'ai compris, il y a des responsables de la sécurité depuis 30 ans dans le milieu de la gymnastique au Canada? Qu'est‑ce qui est allé de travers?
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Merci de cette question, madame la présidente.
Beaucoup de choses sont allées de travers. Vous avez parlé de la politique de l'autruche. L'aveuglement volontaire est omniprésent dans le sport, et particulièrement dans le milieu de la gymnastique. Comme gymnastes, nous apprenons à ne pas pleurer. On nous apprend à sourire même avec une fracture à la cheville ou des muscles déchirés dans le dos. On nous dit de sourire et de faire ce que nous avons à faire.
Vous avez dit qu'instinctivement, les humains veulent protéger les enfants. Personnellement, je pense que le monde de la gymnastique a oublié qu'il avait affaire à des enfants. Les entraîneurs disent par exemple que leur travail est de produire des athlètes d'élite. Ils utilisent le mot « produire ». On ne « produit » pas des enfants, on en prend soin.
Selon moi, il existe un réseau très regrettable et très corrompu d'adultes qui protègent d'autres adultes. Je peux seulement parler de ce qui se passe en gymnastique. J'ai siégé au conseil d'administration de l'organisme provincial de la gymnastique en Alberta et au conseil national de Gymnastique Canada, et j'y ai vu trop souvent des amis qui se protègent entre eux, des gens qui dissimulent l'information, des conseils d'administration laissés dans l'ignorance, qui ne connaissent qu'une partie de la réalité, qui se fient à ce qu'une seule personne leur raconte. Bien entendu, cette personne leur donne seulement sa version des faits et veut à tout prix protéger ses amis et elle-même, et dans certains cas, elle veut surtout protéger son emploi. Alors ma réponse est oui, dans le monde du sport, les adultes ont fait l'autruche.
Comme parent, j'ai été manipulée. Comme athlète, j'ai été manipulée. La pire manipulation que j'ai vécue comme parent a été celle qui m'a conduite à amener ma fille à la gymnastique même si elle me disait que l'entraîneur la détestait, qu'il se fâchait contre les gymnastes, qu'il criait. Elle me montrait les brûlures sur sa peau parce qu'elle avait dû répéter un mouvement des centaines de fois. Parce que nous sommes confiants, nous pensons que ceux à qui nous confions nos enfants auront l'instinct, comme vous l'avez dit, de les protéger. C'est pourquoi, au début, nous excusons des comportements inacceptables. Jamais il ne nous viendrait à l'idée qu'ils n'ont pas à cœur de protéger nos enfants.
Madame la présidente, si vous m'accordez quelques secondes de plus… Vous avez dit que Gymnastique Canada a le même agent responsable des questions liées au harcèlement depuis une trentaine d'années. Nous comprenons que Mme Gretchen Kerr a joué ce rôle pour la plupart des plaintes soumises à Gymnastique Canada au cours des 30 dernières années. Or, depuis 30 ans, selon ce qui nous a été rapporté, les pratiques abusives se sont perpétuées. Nous avons de sérieuses inquiétudes et de sérieuses réserves quant au traitement de ces plaintes. Nous avons reçu des rapports très troublants concernant la conduite de Mme Kerr.
Nous allons remettre au Comité un mémoire de cinq pages qui relate une de ces histoires. Essentiellement, il porte sur la violence sexuelle subie par plusieurs athlètes, dont certaines étaient mineures. Au début, Gymnastique Canada a informé les plaignantes que la personne qui a commis ces actes n'était plus sous contrat avec l'organisme et qu'il lui était donc impossible de mener une enquête. Cela dit, Gymnastique Canada a fini par faire enquête parce que le Centre canadien pour l'éthique dans le sport a insisté.
J'ai une copie du rapport de Mme Kerr. Elle y résume les allégations, mais elle ne rend aucune décision quant à la crédibilité des signalements et elle ne propose aucune mesure disciplinaire contre la personne en cause. En lieu et place, Mme Kerr invite les plaignantes à faire un signalement à l'ordre des massothérapeutes et elle recommande un examen du dossier de l'intéressée si jamais elle soumet de nouveau sa candidature à Gymnastique Canada.
Il n'existe pas de dossier disciplinaire pour cette personne qui aurait agressé sexuellement au moins cinq athlètes, y compris des athlètes d'âge mineur. Selon ce que nous en savons, Gymnastique Canada n'a pas pris contact avec la police après avoir reçu ces signalements. Par conséquent, puisqu'elle n'a pas de dossier disciplinaire, cette personne peut continuer de travailler dans d'autres disciplines sportives que la gymnastique.
Vous avez demandé comment la situation avait pu perdurer aussi longtemps. Pensez à ces problèmes préoccupants et vous avez la réponse.
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Je ne crois pas que les athlètes font confiance au système en place. Plusieurs raisons expliquent cette méfiance. Le BCIS est encore trop imbriqué dans le système sportif et, comme nous l'avons entendu aujourd'hui, les athlètes ne font pas confiance à ce système.
Il suffit de rappeler que le Bureau du Commissaire à l'intégrité dans le sport relève du Centre de règlement des différends sportifs du Canada. Cette année, un ancien administrateur de Gymnastique Canada a été nommé au conseil d'administration du Centre. Au moment de sa nomination, il était encore administrateur à Gymnastique Canada. Le Centre supervise le BCIS. Comment voulez-vous que des gymnastes fassent confiance à un Bureau qui est supervisé par des personnes qui elles-mêmes devraient faire l'objet d'une enquête?
Plusieurs raisons nous donnent à penser que le BCIS n'est pas outillé pour mener des enquêtes sur ces enjeux. Tout d'abord, il n'a aucun pouvoir d'assignation, comme l'a évoqué Mme Shore. Ensuite, il ne peut d'aucune façon contraindre les organismes nationaux de sport à prendre part à une forme quelconque d'examen. Enfin, il ne peut pas exiger la mise en application des recommandations formulées dans ses rapports.
Nous savons que le BCIS met tout en œuvre pour corriger certaines de ces lacunes mais, pour l'instant, il n'est pas du tout outillé pour mener des enquêtes sur les pratiques abusives qui ont été dénoncées.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je vais commencer en remerciant les témoins de lever le voile sur des réalités aussi pénibles.
Madame Shore, j'ai été très touchée quand vous avez raconté qu'on ne vous a pas crue quand vous avez dénoncé les abus subis. Ce déni est violent et ravive les traumatismes, j'en suis convaincue. Je voudrais… Excusez-moi d'être aussi émotive, mais j'espère de tout cœur que vous obtiendrez tous justice, qu'on vous entendra et qu'on reconnaîtra votre vérité.
Je tenais à commencer par ce préambule. J'ajouterai que je suis tout à fait d'accord avec les témoins quand ils affirment que c'est une crise des droits de la personne. Ces agissements sont contraires à la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies, et notamment à l'article 19, selon lequel:
Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
J'ai été particulièrement frappée par ce que vous avez dit, madame Cline, concernant l'absence de contrôle des antécédents des entraîneurs en matière d'abus. Ce genre de contrôle est exigé pour les enseignants, dont j'ai fait partie, et même pour les éducateurs de la petite enfance, dont j'ai aussi fait partie.
Pensez-vous qu'une réforme de la réglementation en vue de rendre ces contrôles obligatoires aiderait à mieux protéger les enfants?
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Je suis d'accord, madame Shore, surtout si on pense que les entraîneurs qui ont commis des abus sont protégés et ne risquent pas de voir leurs agissements inscrits à un registre. Je suis parfaitement de votre avis.
Monsieur Koehler, vous avez affirmé que les milieux sportifs ne peuvent pas s'autoréglementer. C'est aussi ce que je pense, et j'aurais quelques questions à ce sujet.
La première concerne la nomination des membres des organismes de réglementation. Qui fait ces nominations?
La seconde a trait à une solution de rechange pour ce qui est des organismes de supervision. Qui devrait faire les nominations et à quoi ressemblerait une enquête menée par un tiers?
En résumé, qui fait les nominations actuellement, quelle est la solution de rechange et à quoi ressemblerait une enquête menée par un tiers?
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Madame la présidente, merci de cette question.
Selon ce que nous observons dans le milieu du sport, la meilleure solution selon nous serait de ne pas confier certaines fonctions à des personnes proches de ce milieu. J'ai travaillé à l'étranger et au Canada, et je sais d'expérience à quel point il est difficile de dénoncer un ami. C'est moins le cas dans mon travail actuel, mais je sais que c'est beaucoup plus difficile. Il existe un réseau interne dans lequel tout le monde se connaît et essaie de protéger les autres. C'est pourquoi le milieu du sport ne peut pas faire ce travail.
J'ai utilisé l'exemple de la lutte contre le dopage. J'ai travaillé 20 ans à l'Agence mondiale antidopage. Dans la foulée de l'enquête Dubin, les organismes de sport ont perdu le droit d'administrer les tests de dépistage. Ils relèvent maintenant d'une autorité indépendante. Il faut faire la même chose pour les pratiques abusives dans le sport.
Par ailleurs, tous les survivants parlent de leur isolement après une dénonciation. Ils n'ont ni encadrement ni soutien. Une de nos recommandations serait d'établir un point de contact où les athlètes pourraient demander du soutien et recevoir l'encadrement nécessaire, et de s'assurer que les responsables des enquêtes rendent des comptes.
Une enquête indépendante, selon moi, pourrait ressembler à l'enquête Dubin. Il faut qu'elle soit menée par des personnes de l'extérieur des milieux sportifs. Il faut aussi qu'elle soit de nature judiciaire et qu'elle protège le droit de chacun de raconter son histoire.
Enfin, il faut que les abuseurs et leurs complices rendent des comptes. C'est primordial.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie chacune et chacun d'entre vous de s'être déplacé ce matin. C'est très éclairant et aidant pour le travail que nous avons à faire.
C'est très difficile d'entendre ce que vous nous livrez comme témoignage, ce matin. J'ai beaucoup de questions à poser, mais je n'aurai pas le temps de toutes les poser.
Nous sommes dans le contexte du mouvement #MeToo, où la parole se libère. Il y a également des sportifs et des sportives qui veulent que la vérité soit connue.
Au quotidien, j'ai l'impression que c'est beaucoup l'entraîneur ou l'entraîneuse qui peut être cet agent créant des problèmes auprès des sportifs et des sportives. Vous disiez tantôt que c'était difficile, ou que cela ne se faisait pas correctement, de vérifier et de passer au tamis le pedigree de l'entraîneur ou de l'entraîneuse. Personnellement, cela me renverse de savoir que les antécédents judiciaires ne sont pas davantage vérifiés, alors que ces gens œuvrent auprès de personnes vulnérables. Au Québec, dans nos résidences privées pour aînés, on passe au peigne fin le profil de ceux qui interviennent auprès des aînés.
Au moment où on se parle, comment se déroule le processus d'embauche d'un entraîneur ou d'une entraîneuse?
Ma question s'adresse à nos trois invités.
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Je dirai d'entrée de jeu que le système juridique a aussi laissé tomber le sport, et tout particulièrement le domaine de la gymnastique. Récemment, dans plusieurs dossiers d'entraîneurs pris en défaut, nous avons vu des remises en liberté, des arrêts des procédures et des acquittements. C'est encore beau parce que très souvent, il n'y a pas assez d'éléments de preuve ou de témoins courageux pour que les dossiers aillent aussi loin. À peine 1 plainte sur 1 000 se rend devant les tribunaux. Si le système juridique nous laisse tomber, cela signifie qu'il n'y a même pas de casier judiciaire à vérifier durant le processus de vérification des antécédents d'un individu.
Nous sommes aussi sous l'emprise de centaines d'entraîneurs qui pensent encore que pour produire des athlètes, il faut les brutaliser, les humilier, les culpabiliser et manipuler leur corps pour lui faire prendre les positions voulues, même au risque de le blesser ou de le faire souffrir. Il n'y a pas de registre pour ces entraîneurs et aucune accusation criminelle ne peut être portée contre eux. Cette brutalité envers les enfants est admise.
Ma collègue, Mme Cline, a été forcée par son entraîneur de faire un grand écart qui allait au‑delà de sa limite. Il lui a placé la jambe au‑dessus de la tête et son muscle ischiojambier s'est détaché du pelvis en délogeant un fragment de l'os. Il n'y a pas de registre pour ce genre de torture. Une fois sorti de sa famille, l'enfant n'est pas protégé. Si un parent brûle son enfant avec une cigarette, il devra rendre des comptes, mais si un entraîneur inflige des sévices physiques à un enfant, il s'en sort indemne.
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Je crois que quelques mécanismes pourraient être mis en place pour régler certains de ces problèmes.
Tout d'abord, je pense qu'un facteur clé de ce que nous voyons, c'est que ces entraîneurs qui ont agi de façon abusive n'ont eu que très peu de comptes à rendre. Comme ma collègue l'a dit, plusieurs de ces entraîneurs violents sur le plan émotif et physique n'ont jamais eu à répondre de leurs actes parce que, tout d'abord, ils ne sont généralement pas accusés par le système pénal, même si ce que ma collègue a décrit était, en fait, des agressions. Le système pénal ne portera pas d'accusations, et le système de plaintes en place à Gymnastique Canada, et dans ces organismes provinciaux de sport, est tellement traumatique et difficile que beaucoup des plaignantes laissent tomber avant même d'obtenir des résultats.
Dans mon cas, lorsque j'ai tenté de dénoncer les abus que je subissais en 2021, Gymnastique Canada a embauché un gestionnaire de cas qui m'a dit sans détour que je devais gérer mes attentes à l'égard du résultat, que même si les mauvais traitements présumés étaient incroyablement graves, il avait vu suffisamment de ces enquêtes pour savoir que je ne pouvais pas espérer que mes entraîneurs soient radiés et, qu'en fait, je ne pouvais probablement pas espérer qu'une longue suspension soit imposée.
C'est exactement cela le problème: les entraîneurs peuvent agir comme ils le font sans s'attendre à ce que l'organisation elle-même leur demande des comptes.
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Merci, madame la présidente.
Certainement, deux minutes ne suffiront jamais pour rendre justice à ce que nous devons faire aujourd'hui.
Je veux d'abord vous remercier. Vos témoignages sont très puissants et vous nous inspirez. Nous sommes toutes très touchées. Le bien-être des enfants est notre avenir.
Hier, c'était la Journée nationale de l'enfant. C'est bouleversant de lire que nous nous classons aux derniers rangs pour ce qui est de la survie infantile, incluant le suicide chez les adolescents, la mortalité et la santé des enfants, y compris la vaccination, le poids malsain et la satisfaction globale à l'égard de la vie des enfants. Cela en fait partie. Tout ce dont nous parlons est certainement interrelié.
Madame Cline, j'ai beaucoup de choses à dire, mais je sais que vous n'avez pas eu l'occasion de donner votre témoignage. J'aimerais vous donner la parole.
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Merci, madame la présidente. Je vous en remercie.
Beaucoup de ce que je voulais dire au départ a déjà été abordé par mes collègues. J'aimerais cependant que le Comité comprenne que bien qu'il soit essentiel que les personnes qui ont survécu à des abus soient entendues — et nous sommes toutes très heureuses d'avoir l'occasion de le faire aujourd'hui —, nous pourrions passer des heures ici à vous raconter des histoires qui vous briseraient le coeur mille et une fois, mais cet exercice sera inutile si aucune mesure n'est prise à la fin du processus.
C'est ce que les survivantes veulent, et c'est ce que nous n'avons pas encore vu. Il doit y avoir une reddition de comptes.
Comme je le disais au sujet du leadership actuel de Gymnastique Canada, malgré toute l'attention des médias et malgré le fait que le président ait été mêlé à au moins deux situations dans lesquelles des entraîneurs abusifs ont obtenu des promotions sous sa direction, il occupe toujours son poste. L'agente de lutte contre le harcèlement dont j'ai parlé tout à l'heure est toujours à son poste. Il n'y a pas encore eu de reddition de comptes, et c'est vraiment ce que nous cherchons, parce que beaucoup d'entre nous n'avons pas obtenu justice.
C'est pour ça que nous sommes ici aujourd'hui. Nous espérons que le Comité le fera pour nous.
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais d'abord remercier tous les témoins d'avoir eu le courage de venir nous parler de leurs expériences et d'essayer d'améliorer le sport au Canada pour les jeunes qui se joignent à des équipes et qui participent.
J'ai une formation en enseignement. J'ai aussi pratiqué des sports, mais pas au niveau professionnel. J'ai été entraîneuse.
Je pense que le problème ne concerne pas uniquement Gymnastique Canada, je crois qu'il s'agit d'un problème généralisé. Chaque fois qu'un enfant n'est pas avec ses parents et qu'il est avec un adulte qui ne fait pas partie de sa famille, il faut malheureusement prendre plus de précautions.
Les enfants sont parmi les principales victimes d'abus sexuels, et nous n'en parlons pas avec nos enfants ni dans les écoles. Nous n'en parlons pas dans les équipes.
J'aimerais savoir ce que vous pensez du rôle que l'on peut jouer pour protéger les enfants qui pratiquent des sports, pour les sensibiliser à ce qui est approprié et à ce qui ne l'est pas, et pour qu'ils sachent à qui ils peuvent s'adresser. Par exemple, si quelqu'un vous touche de cette façon, vous devez en parler à la police. Que pensez-vous de cela, pour l'avenir?
J'ai parlé à la . Je comprends ce qu'est votre principale demande. Vous en avez parlé plusieurs fois, alors je veux me concentrer sur autre chose. La ministre s'entretiendra avec ses homologues provinciaux. J'aimerais savoir si vous auriez des observations à faire sur ce dont je viens de parler.
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Nous reprenons la séance.
Nous allons commencer par accueillir notre deuxième groupe de témoins. Je crois que tout le monde est avec nous en ligne.
Notre deuxième groupe de témoins est composé de Mme Teresa Fowler, professeure adjointe à la Concordia University of Edmonton, qui comparaît à titre personnel. Nous accueillons également Mme Shannon Moore, professeure adjointe à la Faculté d'éducation de l'Université du Manitoba. Nous souhaitons également la bienvenue à Mme Allison Sandmeyer-Graves, directrice générale de Femmes et sport au Canada. De plus, nous accueillons des représentantes d'Indigenous Sport and Wellness Ontario: Mme Belle Bailey, adjointe, Développement du programme sportif, et Mme Christina Ruddy, directrice et coordonnatrice, Relations gouvernementales, stratégie nationale, qui sont toutes deux dans la salle aujourd'hui.
Chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Comme vous le savez, nous commençons un peu en retard, et je vais donc faire mon possible pour que tout se déroule rondement.
J'invite d'abord Mme Fowler et Mme Moore à prendre la parole.
Mesdames, si vous partagez votre temps, vous avez cinq minutes.
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Bonjour. Je m'appelle Teresa Fowler. Comme il a été mentionné, je suis professeure adjointe à la faculté d'éducation de la Concordia University of Edmonton.
Nous remercions la présidente et les membres du Comité de nous avoir invitées à témoigner aujourd'hui.
Nous allons aujourd'hui vous parler de certaines des conclusions d'une étude que nous avons menée en 2021 avec 21 joueurs masculins de hockey sur glace de niveau élite sur l'hypermasculinité et le hockey. Nos conclusions font écho aux témoignages qui ont déjà été présentés au Comité, notamment celui de M. Koehler concernant le silence des athlètes, le manque de reddition de comptes et le fait que nous devons croire et protéger les athlètes; et aussi le témoignage de Mme Shore qui a parlé du manque de diversité dans le sport et du fait que les adultes dont le rôle est de protéger doivent en fait protéger les athlètes et non la marque.
Au Canada, le hockey sur glace masculin est lié à notre identité nationale. Les chercheurs ont établi ce lien en raison du nombre d'inscriptions, de l'attention médiatique et du financement. Ce lien entre le nationalisme et le hockey sur glace masculin est renforcé par le fait que les sports relèvent du portefeuille du ministère du Patrimoine canadien. Le fait de considérer le hockey sur glace masculin en tant que patrimoine perpétue une culture blanche, cis, hétéro et dominée par les hommes. Cette culture est résolument ancrée dans la mentalité selon laquelle la victoire à tout prix se fait au détriment du droit des femmes à la sécurité et de la santé physique et mentale des hommes.
Bien que les participants à notre étude aient affirmé être réfractaires à cette culture, ils ont majoritairement parlé de leur incapacité à la combattre. Par exemple, un participant nous a parlé d'un événement qui s'est produit dans le vestiaire et des tactiques de contrôle qui encouragent la conformité. L'entraîneur « est entré dans le vestiaire et il a essentiellement dit à chaque joueur à quel point il jouait mal et que ce qu'il avait fait était nul, et il a terminé sa tirade en disant qu'il allait se pendre dans la douche et que c'était notre faute. Nous avions 12 ans ».
En tant que Canadiens, nous devons remettre en question le statut national du hockey sur glace pour hommes et le privilège accordé aux joueurs, surtout lorsque cela se traduit par la banalisation des agressions sexuelles et les camouflages subséquents. Dans le cadre de notre étude, lorsque le sujet était aborné directement, les participants ont reconnu que le sexisme est omniprésent dans la culture du hockey; mais souvent, ils ne donnaient pas d'exemples précis ou ne montraient pas d'intérêt particulier à en parler sérieusement.
Cela dit, les participants nous ont fait part d'histoires que nous avons classées comme étant du sexisme et de la misogynie pendant toute l'entrevue. Les participants ont raconté comment des femmes et des filles étaient utilisées comme accessoires et pour marquer des points lors d'activités d'équipe. Un participant a mentionné qu'un entraîneur avait fait des tirs au corps sur une jeune fille de 15 ans à l'occasion d'une fête de recrues. Pour ces joueurs, ce n'était rien de plus que des histoires de hockey partagées nonchalamment pendant les entrevues. Cet intérêt superficiel à l'égard du sexisme évident dans nos données et dans la culture en général pourrait expliquer pourquoi il y a encore des agressions sexuelles, pourquoi des efforts de camouflage sont encore faits pour sauver l'équipe et les hommes responsables plutôt que les victimes, et pourquoi il est difficile de faire un changement significatif.
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Les chercheurs s'entendent pour dire que le hockey sur glace pousse les jeunes garçons et les jeunes hommes à adopter des idéaux masculins bien précis. La masculinité du hockey repose sur l'agressivité, la domination, le stoïcisme et la bravade. À mesure que les joueurs progressent pour atteindre des niveaux d'élite, ces comportements sont attendus, renforcés et récompensés. Pourtant, comme les participants à notre étude l'ont clairement indiqué, ces attentes nuisent à leur santé physique et mentale. Lorsque des gens laissent entendre que les chercheurs ne comprennent pas la culture du hockey et qu'ils diabolisent le hockey par rapport à d'autres sports, ils ignorent la voix d'athlètes comme ceux qui ont participé à notre étude.
En analysant les données, nous avons été étonnées par le sentiment de précarité exprimé par les participants. Ces joueurs de niveau élite avaient l'impression de marcher sur des oeufs. Ils craignaient les conséquences d'une simple petite erreur. Les participants ressentaient de l'insécurité quant à leur place dans l'équipe et ont dit qu'ils étaient chanceux de faire partie de l'équipe, qu'ils devaient travailler très fort pour y rester ou qu'ils ne pouvaient pas prendre le temps de soigner une blessure. Ils avaient l'impression qu'ils devaient sacrifier leur corps pour l'équipe, ce qu'ils justifiaient par le fait que, premièrement, ils faisaient partie d'un sport national et que c'était quelque chose de plus important qu'eux, et, deuxièmement, ils espéraient y réussir.
Tout ce qui se passe dans le hockey est lié aux étapes à venir et l'espoir d'avancer est utilisé pour discipliner les joueurs. Comme un participant l'a dit: « Si vous ne faites pas exactement ce qu'ils demandent, si vous ne renoncez pas à tout ce que vous avez, si vous ne défendez pas les intérêts de votre équipe, alors vous trouverez un jour votre équipement dans un sac à ordures jeté à l'arrière. C'est comme ça qu'ils réduisent les rangs. »
Les participants ont également mentionné les échanges lorsqu'ils étaient adolescents, l'un d'eux se qualifiant de « valise ». D'autres ont affirmé clairement que leurs entraîneurs ne se souciaient pas d'eux en tant que personnes et qu'ils les considéraient uniquement comme de l'« argent ». Ils ont dit que le hockey est une industrie impitoyable et ils savaient qu'ils en étaient les produits.
Le sentiment de précarité lié au processus de marchandisation peut nous aider à comprendre, mais sans les excuser, pourquoi les joueurs de hockey ne résistent pas ouvertement ou activement aux divers aspects de la culture, même lorsqu'ils nuisent à leur propre santé mentale.
Dans le sillage des dénonciations touchant Hockey Canada, nous assistons à une réponse superficielle à un problème systémique qui fait que tant que le jeu favorisera le nationalisme et conservera son statut national, certains aspects de la culture seront encouragés, ignorés ou excusés. Ces aspects culturels continueront de nuire aux victimes de cette culture qui sont agressées, dévalorisées, exclues et rejetées au nom de la victoire à tout prix.
Je vous remercie de votre attention.
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Bonjour, madame la présidente et membres du Comité.
[Traduction]
Je m'appelle Allison Sandmeyer. Je suis la directrice générale de Femmes et sport au Canada. Mon pronom est « elle ».
Je me joins à vous aujourd'hui à partir des territoires traditionnels des peuples de la région du Traité no 7 dans le sud de l'Alberta. La ville de Calgary est également la terre natale des Métis historiques du Nord-Ouest et de la nation métisse albertaine de la région 3.
Avant de commencer, je tiens à exprimer mon profond respect et ma gratitude aux personnes qui ont vécu de la maltraitance dans le sport. Nous sommes de tout coeur avec vous dans vos efforts pour obtenir des changements.
Le travail que nous effectuons dans le cadre de Femmes et sport au Canada repose sur notre conviction que le sport sécuritaire, équitable et inclusif est un puissant moyen de promouvoir les possibilités et l'équité pour les femmes dans tous les secteurs de la société. Je suis ici pour m'assurer que le sport respecte cette promesse.
La maltraitance dans les sports est mondiale et universelle, comme M. Koehler l'a dit, mais les femmes et les filles forment un groupe particulièrement vulnérable. Ceci est encore plus vrai pour les femmes et les filles qui sont victimes de systèmes d'oppression qui se chevauchent, notamment les filles autochtones, les filles transgenres et les filles handicapées.
Comment en sommes-nous arrivés là? Malgré les progrès réalisés, la recherche et l'expérience confirment que le sport demeure un monde dominé par les hommes et dans lequel le patriarcat, la misogynie et la masculinité hégémonique sont institutionnalisés et exprimés culturellement à tous les niveaux. La dévalorisation systématique des femmes et des filles crée des conditions qui les exposent à des risques de préjudice dus à la maltraitance ou à la violence fondée sur le sexe. C'est une situation normalisée.
Comme nous venons de l'entendre, il est évident que cela a des répercussions négatives sur les hommes et les garçons.
Nous reconnaissons que beaucoup de femmes ont intériorisé le patriarcat et la misogynie et qu'elles peuvent perpétuer l'inégalité entre les sexes et se nuire. C'est une réalité qu'il ne faut pas ignorer dans l'élaboration de solutions.
Parmi les récents exemples de ces comportements dans l'actualité, mentionnons la masculinité toxique incontrôlée qui normalise la violence sexiste exercée par les athlètes masculins contre les jeunes femmes; l'inégalité entre les sexes exprimée par une surveillance et une reddition de comptes inadéquates qui expose les jeunes athlètes féminines à des abus sans retenue de la part des entraîneurs; la misogynie dans les pratiques d'encadrement, exprimée par la honte corporelle et la surveillance du poids des jeunes filles. Ce ne sont là que quelques exemples.
Nous avons besoin d'un système sportif fondé sur des valeurs et qui privilégie avant tout la dignité, les droits et le bien-être des participants, ce qui se reflète dans la façon dont le sport est conçu, contrôlé et financé. Nous avons besoin d'un système sportif qui reflète les besoins et les intérêts des femmes, des filles et d'autres groupes sous-représentés en intégrant leurs voix et leurs points de vue dans tous les aspects, notamment la gouvernance, la stratégie et la prestation des programmes. Nous avons besoin d'un système sportif fondamentalement diversifié, équitable et inclusif.
La sécurité dans le sport est indissociable de la lutte menée depuis des décennies pour que les femmes soient valorisées, respectées et traitées équitablement, dans le sport et ailleurs. Sans l'égalité entre les sexes, le sport ne sera pas un espace sécuritaire pour les femmes et les filles. Sans sécurité, la pleine participation des femmes et des filles est impossible.
Nous appuyons fermement la nécessité d'une multitude de mesures de protection pour atténuer les préjudices causés par toute personne dans le sport. Dans ce contexte, nous devons intervenir d'urgence pour régler le problème de l'inégalité entre les sexes. Nous devons agir dans une optique intersectionnelle.
Des progrès sont incontestablement accomplis, mais ils se produisent trop lentement et ils ne sont pas réalisés de manière uniforme dans l'ensemble du système sportif. L'annonce récente du renouvellement du financement fédéral de 25,3 millions de dollars pour l'équité des genres dans le sport est d'une importance cruciale. Cependant, les témoignages entendus aujourd'hui montrent clairement que d'autres mesures sont nécessaires pour accélérer les progrès. L'objectif doit être une transformation structurelle et culturelle. Rien de moins ne sera suffisant.
À cette fin, nous recommandons ce qui suit:
Tout d'abord — et je me fais l'écho des autres témoins —, le gouvernement du Canada doit profiter de la préoccupation partagée par tous les partis à l'égard des abus dans le sport pour lancer une enquête judiciaire nationale sur la maltraitance à tous les niveaux du sport afin d'obtenir une compréhension systémique des défis et de concevoir des solutions appropriées. Encore une fois, ce processus doit se dérouler dans une perspective intersectionnelle sexospécifique, et dans le cadre de l'enquête, il faudrait envisager d'éventuels systèmes de réglementation du sport.
Entretemps, nous devons agir de toute urgence et utiliser toute la puissance du gouvernement fédéral en tant qu'important investisseur dans le sport afin d'apporter des changements. Cela englobe l'imposition de normes minimales en matière d'équité entre les sexes, de diversité, d'inclusion et de protection à tout organisme sportif qui reçoit du financement. Cela ne devrait pas s'appliquer uniquement aux cadres de financement de base. Le financement de programmes de haut niveau comme À nous le podium, ainsi que le financement consacré à la tenue d'événements, à l'infrastructure, aux projets, etc. devrait être conditionnel au respect de ces normes sportives fondées sur des valeurs par tous les différents groupes.
Merci.
:
[
Le témoin s'exprime en anishinaabemowin. ainsi qu'il suit:]
Kwey, Belle Bailey nid-ijinikàz. Pikwakanagan nid-ondjibà. Makwà ashidj mikinàk nidòdem.
[Français]
Je m'appelle Belle Bailey. Je suis une Algonquine de la Pikwakanagan First Nation, et j'ai toujours été passionnée par le sport.
En 2017, j'ai eu l'honneur d'être choisie pour représenter l'équipe de l'Ontario aux Jeux autochtones de l'Amérique du Nord en tant qu'athlète. En 2020, j'ai été embauchée par Indigenous Sport and Wellness Ontario pour aider à gérer différents aspects de cet organisme sportif provincial. C'est un poste que j'occupe encore aujourd'hui et que j'aime beaucoup.
En 2023, je vais accompagner l'équipe de badminton de l'Ontario à titre d'entraîneuse lors d'une autre participation aux Jeux autochtones de l'Amérique du Nord, qui se dérouleront en Nouvelle-Écosse l'été prochain.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler au nom d'Indigenous Sport and Wellness Ontario que je vais désigner par l'acronyme ISWO pendant le reste de mon exposé.
L'ISWO est l'organisme provincial désigné pour le sport autochtone en Ontario. Nous sommes au service de tous les peuples et de toutes les collectivités autochtones de la province, y compris les Premières Nations, les Inuits et les Métis vivant dans les réserves et hors réserve, en milieu rural et urbain.
Notre organisme propose des occasions de participer à des activités sportives et culturelles qui favorisent le mieux-être et les modes de vie positifs. Nous avons mis en oeuvre à l'intention des femmes et des filles un programme dont l'objectif est d'accroître les possibilités de participation aux sports, aux loisirs et à l'activité physique, tout en renforçant leur autonomie par une confiance, une capacité et des connaissances accrues.
Nous avons récemment créé un fonds pour l'engagement des femmes et des filles dans le sport et organisé la toute première conférence Partageons nos forces.
Nous aimerions faire les observations suivantes.
Premièrement, la participation des hommes et des femmes dans le sport est extrêmement inégale au Canada. Tout le monde sait que le taux de participation des filles dans les sports diminue au début de l'adolescence, ce qui se traduit par un taux d'abandon d'une fille sur trois à l'adolescence. Pour les filles de 19 à 24 ans, le taux de participation diminue à 34 %. Dans le cas des femmes et des filles autochtones, cette disparité est encore pire, le taux de participation n'étant que de 24 % à partir de l'adolescence.
Notre deuxième observation est que les médias sportifs canadiens ne représentent pas adéquatement les athlètes féminines qui pourraient inspirer les jeunes. Des études montrent que 92,6 % de la couverture médiatique porte sur les sports masculins; cependant, d'autres recherches montrent que les Canadiens veulent regarder des compétitions sportives féminines. Le problème, c'est qu'aucune chaîne ne les diffuse. Comme vous pouvez l'imaginer, il n'existe pratiquement aucune donnée équivalente pour ce qui est de la représentation des peuples autochtones dans les médias sportifs. La représentation est importante.
Notre troisième observation est que les préjugés sexistes conscients et inconscients jouent un grand rôle dans tous les aspects du sport. Les capacités et les compétences des femmes sont systématiquement sous-estimées. Cette inégalité perçue nuit à la participation des femmes et des filles au sport. Les hommes sont perçus au départ comme étant compétents dans le sport. Les femmes doivent d'abord faire leurs preuves et elles doivent ensuite constamment prouver leurs compétences. Si l'on ajoute les préjugés raciaux envers les peuples autochtones aux préjugés qui existent envers les femmes, on comprend aisément qu'il y a une dure pente à remonter.
Enfin, notre quatrième observation est que tout ce dont nous parlons nous amène directement à l'équité salariale, car il y a une corrélation entre les salaires plus bas résultant du peu de couvertures médiatiques et la sous-représentation dans les rôles de direction. Le Canada a fait des progrès à cet égard, mais il y a encore beaucoup de travail à faire.
L'ISWO souhaite formuler les recommandations suivantes:
La première est d'accroître les programmes de sport particulièrement adaptés aux femmes et aux filles afin de créer des espaces sûrs dans lesquels elles pourront pratiquer une activité physique et profiter des possibilités de bien-être. Cela permettra de réduire les obstacles psychosociaux aux loisirs, à la santé et au bien-être. Le fait d'avoir ces possibilités pourra encourager les femmes et les filles à faire du sport pendant toute leur vie.
Notre deuxième recommandation est de faire connaître et de célébrer un plus grand nombre d'athlètes féminines en général. Cela englobe aussi la reconnaissance d'un plus grand nombre de femmes et de filles autochtones qui réussissent dans le sport. En soulignant et en reconnaissant l'excellence athlétique et en partageant les histoires de réussite, nous pouvons continuer d'inspirer de jeunes athlètes et de leur présenter des modèles. Comme je l'ai déjà dit, la représentation est importante. Vous ne pouvez pas devenir ce que vous ne pouvez pas voir.
La troisième recommandation porte sur l'engagement du gouvernement du Canada à atteindre l'équité entre les sexes dans le sport à tous les niveaux d'ici 2035, ce qui est, selon nous, beaucoup trop tard. De récents sondages ont révélé qu'une fille sur quatre n'a pas l'intention de reprendre les activités sportives pratiquées avant la pandémie à un moment où le sport pourrait être plus important que jamais. Il faut accélérer ce calendrier.
Enfin, la quatrième recommandation est d'accroître le soutien à l'établissement de parcours sportifs et de carrière à l'intention des femmes dans le but d'accroître le nombre d'athlètes, d'entraîneuses certifiées, de gérantes et d'entraîneuses personnelles qui, à leur tour, pourront servir de modèles aux jeunes athlètes.
Je termine en rappelant que je m'appelle Belle Bailey. Je suis une fière Algonquine de la Pikwakanagan First Nation et je représente aujourd'hui Indigenous Sport and Wellness Ontario. Nous continuerons de défendre les intérêts des femmes et des filles dans le sport et nous espérons que le Comité examinera attentivement nos recommandations.
Madame la présidente, nous tenons à exprimer notre gratitude envers le Comité pour nous avoir offert cette occasion de témoigner. Merci. Meegwetch.
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Je vous remercie de poser cette importante question. Je suis désolée, mais le retour me déconcentre un peu.
Encore une fois, notre étude est centrée sur la culture du hockey. Cela n'enlève rien aux expériences que d'autres personnes ont partagées, mais notre travail révèle exactement ce dont vous parlez. Ces joueurs sont traités comme des produits utilisés pour la victoire et cela façonne ensuite leur façon de traiter les autres.
Ce n'est pas le cas. Les hommes qui ont participé à notre étude ont dit qu'ils auraient voulu parler et s'exprimer; mais puisque personne dans le vestiaire ne le faisait, ils se contentaient d'obéir à l'entraîneur. Lorsque l'entraîneur vous dit que vous devez gagner à tout prix, ces coûts, malheureusement, se font au détriment des femmes et des filles, comme nous l'avons appris cet été.
Je crois qu'il est également important de mentionner, et je céderai ensuite la parole à Mme Moore pour qu'elle puisse répondre, que les chercheurs se penchent là‑dessus depuis des décennies. Ces expériences n'ont rien de nouveau pour les chercheurs et les victimes. Les gens n'ont pas écouté, alors Hockey Canada, bien qu'il s'agisse certainement d'un événement tragique, nous offre également l'occasion, comme d'autres l'ont dit, de vraiment changer la culture du sport.
Je vais céder la parole à Mme Moore.
Je crois qu'il y a une lacune dans l'éducation en général. Il est vrai que je travaille à la faculté d'éducation, mais une des constatations de notre étude, c'est qu'il y a un manque général d'éducation qui permettrait aux entraîneurs et aux joueurs de comprendre ce qu'est la saine masculinité et les façons dont ils pourraient éventuellement réifier d'autres personnes.
Ensuite, il y a évidemment la sensibilisation des parents. Il y a un manque absolu d'éducation sur les questions liées aux sexes. Certes, ils reçoivent constamment de l'information sur les questions liées aux deux sexes, mais ils n'en parlent pas ouvertement.
Nous croyons que la culture des vestiaires est un énorme problème à cet égard. C'est un espace dans lequel les jeunes hommes et les garçons n'ont pas de guide. Beaucoup de choses sont discutées dans les vestiaires et il y a cette notion que cela doit rester privé.
Je demanderais aux parents comment les enfants sont « adultérés » dans ce processus de marchandisation. Il y a de jeunes enfants de 12 et 13 ans qui n'ont jamais de périodes de congé. Ils ne vont pas jouer au baseball pendant l'été; ils participent maintenant à des camps de hockey parce qu'ils doivent se préparer pour les prochaines étapes. Je demanderais aux parents de penser à leur rôle dans la marchandisation et l'adultification de leur enfant.
Nous pensons souvent qu'il n'est pas nécessaire de parler aux hommes et aux garçons qui jouent au hockey parce qu'ils forment un groupe privilégié. Comme les autres recherches de Mme Fowler le montrent, ils doivent parler de leur expérience de la masculinité dans le processus de son développement par le biais du hockey.
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Merci de votre question.
Oui, c'est vrai que le taux de participation des femmes et des filles est beaucoup plus faible que celui des hommes et des garçons. Comme indiqué, nous disposons de recherches qui montrent qu'à l'adolescence, les filles qui s'adonnent à des sports abandonnent leur pratique dans une proportion d'une sur trois, contre un sur dix chez les garçons.
Essentiellement, qu'est‑ce qui se passe? En bout de piste, la réponse est complexe et multidimensionnelle. Les filles nous disent que pour elles, les principaux facteurs en cause sont les facteurs d'accessibilité. On sait déjà que les filles n'ont toujours pas le même nombre d'occasions et la même facilité d'accès aux sports, mais elles citent aussi la qualité de pratique des sports.
Historiquement, le sport a été conçu par des hommes pour les garçons et les hommes. Pour cette raison, toute tentative d'inclure les filles et les femmes est de nature curative. C'est une correction rétroactive, si vous voulez. Ça varie d'un sport à l'autre, mais le sport est encore largement dirigé par les hommes. Même dans les sports à participation largement féminine, la plupart des entraîneurs sont masculins. Si on prend des sports comme la ringuette par exemple, on constate qu'ils sont en fait définis par les hommes. Ils sont conçus et pratiqués selon une vision masculine du monde, et les filles nous disent que cette vision ne les rejoint pas. Elles n'ont pas l'impression que ces sports ont été conçus en fonction de leurs besoins et de leurs intérêts. Dans ce cas, le sport ne leur convient pas.
Elles nous parlent aussi d'aspects comme la sécurité. Elles parlent d'intimidation. Elles parlent des difficultés réelles qu'elles vivent avec la confiance et l'image corporelles. Dans le sport, votre corps est en vitrine, et il est l'objet d'une interaction constante avec les autres individus.
Il y a une multitude de facteurs en jeu, mais ce que les filles disent, en fin de compte, c'est que le sport, qui est censé remplir leur temps libre, leur temps extrascolaire et leur temps loin des autres amis, ne comble pas ces attentes.
Bien sûr, la sécurité est un des principaux facteurs de l'équation. Quand on parle aux filles de sécurité ou de maltraitance au sens large, il ne s'agit pas seulement de protection contre les abus sexuels et le harcèlement sexuel, mais aussi de sécurité psychologique et émotionnelle. Il s'agit de sécurité entre pairs. Il s'agit de sécurité vis‑à‑vis des adultes dans la pièce. Quand on commence à réfléchir aux solutions, il est très important d'avoir une vision holistique des choses.
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Voulez-vous que je poursuive?
Mme Jenna Sudds: Oui, tout à fait.
Mme Christina Ruddy: Quand on parle d'égalité des genres dans le sport, ça ne se limite pas au tableau d'ensemble, par exemple à ce qu'on voit à la télévision. Ça comprend aussi l'égalité des chances à la base, donner les mêmes chances aux garçons, aux filles et aux personnes LGBTQIA2+. C'est leur donner la possibilité d'au moins essayer de faire du sport.
Dans une perspective autochtone, il y a aussi les multiples obstacles auxquels se heurtent les Autochtones dans le sport, notamment la pauvreté et la distance, et nous devons tenir compte de l'éloignement du Grand Nord. La plupart des occasions de faire du sport sont offertes aux garçons et aux hommes, et non aux filles et aux femmes. Il faut envisager d'investir davantage dans les personnes qui sont le plus éloignées du sport par leurs conditions de vie, par la pauvreté, par l'alimentation et par toutes ces choses fondamentales que le reste de la population, mais pas les Autochtones, considère comme allant de soi.
Quand on parle d'égalité entre les genres, on envisage un tableau plus global: l'égalité des chances pour les garçons, les filles et toutes les différentes communautés, et la forme que cela pourrait prendre dans l'avenir. Ça pourrait être magnifique, n'est‑ce pas? Nous avons récemment assisté aux championnats nationaux de hockey autochtone, où les hommes et les femmes étaient également représentés. Ce sont les communautés elles-mêmes qui peuvent offrir cette possibilité aux jeunes, mais ça nécessite une mobilisation de toute la communauté et un effort national.
Il y a égalité à ces niveaux, mais pas à celui de la base. C'est là qu'il faut creuser davantage: à la base, chez nous, dans nos cours arrière, et aussi en ciblant les femmes et les filles.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie aussi les témoins, ici présents et en ligne, de leurs témoignages. Nous nous rendons compte du caractère urgent et essentiel de cette étude.
Ma première question s'adresse à Mme Fowler.
Lorsque j'ai siégé au Comité permanent du patrimoine canadien, l'été dernier, je me suis sentie très interpellée. Si je ne m’abuse, vous avez fait partie des chercheurs cosignataires qui ont écrit une lettre dans le cadre de l’étude.
Je vois Mme Moore hocher de la tête aussi. Si vous avez quelque chose à ajouter, n’hésitez pas.
D’abord, pourquoi avez-vous écrit cette lettre? En quoi vous êtes-vous sentie interpellée par ce qui s'est passé cet été avec Hockey Canada?
Merci d'avoir commencé, ça m'a permis de rassembler mes idées.
Si nous avons signé la lettre, c'est parce que nous n'observons aucun changement systémique. Nous constations une tentative de claironner avec des slogans les changements qui sont nécessaires dans le sport et dans le hockey, mais on ne se donne pas vraiment la peine d'écouter les chercheurs.
Même si notre troisième co‑chercheur était un joueur de hockey masculin de niveau élite, des gens s'efforcent constamment de miner nos arguments, soit parce que nous sommes des athlètes et des parents de sexe féminin, soit parce que notre co‑chercheur, M. Tim Skuce, titulaire d'un doctorat, n'est plus un joueur d'élite. C'est maintenant à l'âgisme qu'on recourt pour minimiser ses propos.
Nous avons signé la lettre pour les raisons mêmes données par Mme Fowler: parce que d'après nous, il faut vraiment écouter les chercheurs qui parlent directement aux athlètes qui craignent de s'exprimer dans d'autres contextes, et aussi tenir compte de ces recherches pour agir concrètement au lieu d'appliquer des « solutions miracles » superficielles.
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Madame Fowler, auriez-vous objection à ce que j'intervienne d'abord?
Dans notre étude... Je ne souhaite pas déborder le cadre de notre étude, parce que j'enseigne à la faculté d'éducation, je ne suis pas une sociologue du sport. Une grande partie de mes recommandations portent sur l'éducation.
Ce que notre étude a mis au jour, ce sont des cas d'hommes et de garçons qui décrochent du sport d'élite parce qu'ils ne se sentent pas en sécurité dans cet espace. Quand on regarde le type de masculinité qui est privilégié dans le sport, on écarte les hommes qui expriment leurs féminités.
Quand on pense à la binarité de genre, on se rend compte de l'important amalgame qui existe dans notre société entre le sexe et le genre. Il faut vraiment repousser ce postulat et examiner les façons dont ces espaces ne sont pas sûrs pour les hommes qui expriment leurs féminités. Même notre co‑chercheur souligne que son fils n'est pas à l'aise dans le vestiaire parce que c'est très bruyant. Il ne sait pas où trouver un espace pour lui.
Il est certain qu'au‑delà de nos recherches, d'autres personnes auraient des choses à dire, mais nos recherches portaient sur la façon dont les espaces ne se prêtaient pas à une expression variée des masculinités.
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Pour compléter, j'ai trouvé un peu paradoxal que nous ayons besoin d'espaces sûrs pour les individus qui ne se conforment pas à ces normes d'équipe.
À Calgary par exemple, il y a une ligue de hockey dont les équipes sont uniquement composées d'hommes gais, qui jouent contre d'autres équipes d'hommes gais. Il y a aussi évidemment des équipes féminines. Il y a une raison pour avoir ces espaces distincts.
Je pense que le danger, c'est que ça maintient les espaces séparés. Dans le hockey sur glace masculin, par exemple, le danger est qu'il s'agit d'un environnement très cis-hétéro et très hétéro-patriarcal, sans laisser de place à quiconque se situe sur un quelconque continuum de différence.
Même si nous avons clairement besoin d'espaces sûrs qui permettent aux individus de s'exprimer, il faut également veiller à ne pas continuer de ségréguer ces espaces d'une manière qui permette l'épanouissement de cultures comme celle qui caractérise le hockey sur glace masculin.
Ma collègue et moi avons créé le comité des femmes et des filles, dont nous sommes coprésidentes. Nous pensions que les femmes et les filles avaient besoin d'un espace pour se réunir, pour échanger leurs expériences et pour écouter des personnes dont elles pourraient s'inspirer; essentiellement, pour leur donner des modèles d'identification.
Nous avons invité des entrepreneures, des femmes du milieu culturel et des athlètes à relater leur expérience personnelle et, s'il y avait lieu, à nous faire connaître leur entreprise.
Nous avons jugé qu'il était de la plus haute importance d'organiser cette activité pour les femmes et les jeunes filles, car comme je l'ai dit, il y a peu de représentation féminine à ce niveau, à notre connaissance du moins. Nous voulions une activité où les femmes et les filles auraient le goût d'aller, un espace sûr où elles pourraient échanger entre elles et écouter les autres.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie également tous les témoins. Je pense que nous avons beaucoup de pain sur la planche, et pour longtemps, mais il faut commencer.
Je vais parler du comportement dans les sports.
Un de mes électeurs — Nick Boynton, un joueur de hockey qui a remporté la Coupe Stanley avec les Blackhawks de Chicago — a récemment écrit un article. En lisant son article… je suis peut-être naïve, je ne croyais pas que ça pouvait arriver à des hommes, mais c'est le cas. Il parle d'abus, et du fait qu'il s'est effectivement produit. Nous savons qu'ils se produisent pour les femmes, mais nous devons également comprendre comment interpeller et éduquer les entraîneurs, masculins et féminins, pour faire en sorte qu'ils comprennent l'importance d'éduquer adéquatement nos enfants à un jeune âge pour éviter qu'ils ne perpétuent ce comportement dans leur vie d'adulte. Quelles recommandations…?
Je vais laisser la question ouverte à quiconque veut y répondre, car ce problème me préoccupe vraiment. Nous devons y mettre fin. Nous devons le stopper à un jeune âge, parce que sinon il ne fera que perdurer.
Mme Fowler pourrait peut-être commencer.
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Merci, j'aurais effectivement quelques commentaires.
Je pense qu'au Canada, nous avons en fait un atout par rapport à d'autres systèmes, parce que nous avons un système national de formation des entraîneurs dirigé par l'Association canadienne des entraîneurs et ses partenaires des provinces et des territoires. La plupart des gens reconnaîtront avec moi que la formation des entraîneurs au Canada a été vraiment axée sur les aspects techniques et tactiques du sport, sans réellement s'intéresser à ses aspects sociaux et émotionnels — la personne humaine dans son ensemble, si vous voulez, l'athlète humain dans son ensemble. Même si d'excellents modules et programmes de formation ont été élaborés, comme Respect in Sport — sous la direction bien entendu de Sheldon Kennedy, un athlète qui a été agressé par son entraîneur —, ils n'ont pas été totalement intégrés et normalisés comme formation obligatoire pour les entraîneurs. Il y a des progrès à ce niveau, mais si on veut brasser les choses, il faut aller encore plus loin.
En outre, comme tout le monde l'a dit, il doit y avoir des freins et des contrepoids au comportement. Si l'entraîneur a la pleine autorité sur l'environnement d'entraînement quotidien, s'il n'y a pas de supervision et si le groupe est homogène... On sait que le comportement des groupes diversifiés est mieux équilibré. Si, dans cet environnement, tout le monde partage le même vécu et la même vision du monde, alors il y aura beaucoup moins de freins et contrepoids.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Il s'agit de ma première participation au comité de la condition féminine, et je vous remercie de votre accueil. Avant de me présenter ici aujourd'hui, j'ai pu participer en mode virtuel avant de venir remplacer Mme , ou tenter de la remplacer.
J'aimerais tout d'abord remercier toutes les extraordinaires personnes qui sont venues aujourd'hui livrer leur précieux témoignage.
Je souhaite également souligner que le fardeau de la vérité et le fardeau de ce témoignage reposent trop souvent sur les épaules de femmes fortes, et exclusivement de femmes et de victimes; c'est un fait qui doit être reconnu. Ça prend de la force pour se dresser contre ces injustices, et il faut appeler les choses par leur nom. La plupart du temps, il s'agit de violence perpétrée par des hommes contre des femmes, et pas seulement de violence à l'égard des femmes, pas seulement de violence des entraîneurs à l'égard des femmes. Il s'agit de violence commise par des hommes envers des femmes. En tant qu'homme siégeant aujourd'hui au comité de la condition féminine, je veux m'assurer que c'est très clair.
J'aimerais poser une question à Mme Fowler.
Tout d'abord, je vous remercie d'avoir dit quelque chose qui me tient à coeur depuis longtemps. Je suis un grand partisan du financement du sport pour et par la santé. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
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Je précise qu'en fait, une grande partie de ce travail prend sa source dans une étude effectuée par tous les partis, ou une étude du comité du patrimoine, qui a mené à un investissement initial de 30 millions de dollars dans le sport, dont une partie a servi à combattre la violence basée sur le genre.
Notre organisation constitue la voix et l'autorité nationales sur ce sujet. Nous avons observé de grands progrès. Nous sommes passés du stade de la discussion à celui de l'action, ce qui est très positif. Sur nos 41 ans d'existence, les cinq dernières ont été remarquablement productives.
Je pense que tout cela avance pas à pas, à un rythme qui peut sembler glacial. Quand on écoute les survivants, on se rend compte qu'on est loin de cheminer assez rapidement. Nous manquons de dynamisme, de sentiment d'urgence, et nos actions ont trop souvent une optique institutionnelle. Nous devons placer les athlètes au centre de nos interventions, sans nous conformer au rythme prisé par les institutions. Il faut avancer au rythme exigé par la société, par les familles et par les athlètes.
Je suis désolée, madame Gazan, nous avons dépassé le temps imparti. Avant de me faire montrer la porte par les membres du Comité, je dois mettre fin à la réunion d'aujourd'hui.
Au nom de tous les membres du Comité, je tiens à remercier sincèrement tous les témoins de leur participation.
Comme indiqué, si vous voulez faire un suivi, n'hésitez pas à nous contacter. Si vous avez des problèmes, veuillez vous adresser à la greffière ou à moi-même.
Je donne à tout le monde rendez-vous pour jeudi de 15 h 30 à 17 h 30. Nous allons commencer à discuter de la première version de notre étude sur les femmes et les filles autochtones.
La séance est levée.