Bonjour et bienvenue à la 44e séance du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le lundi 31 octobre, le Comité reprend son étude sur les femmes et les filles dans le sport.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres participent ici même ou à distance par Zoom.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous donne la parole en vous désignant par votre nom avant de parler.
Pour les personnes qui participent par vidéoconférence, veuillez cliquer sur l'icône du microphone pour activer votre micro et veuillez le désactiver quand vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre « parquet », « anglais » et « français ». Les personnes présentes dans la salle peuvent utiliser leur oreillette et sélectionner le canal voulu.
Je rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Si vous voulez prendre la parole, veuillez lever la main. Pour les personnes qui participent à distance, veuillez utiliser la fonction « Lever la main » de Zoom.
La greffière et moi-même ferons de notre mieux pour gérer l'ordre des interventions. Nous vous remercions de votre patience.
Conformément à notre motion de régie interne, j'informe le Comité que tous les témoins ont passé le test de connexion nécessaire avant la réunion.
Un mot d'avertissement avant d'accueillir nos témoins. Ce sera une étude difficile. Nous discuterons d'expériences violentes. Cela pourrait faire réagir des gens qui nous regardent, des membres du Comité ou des membres du personnel qui ont eu des expériences semblables. Les personnes qui se sentent perturbées ou ont besoin d'aide peuvent s'adresser à la greffière.
Je vais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins d'aujourd'hui. Nous accueillons Geneviève Jeanson, conférencière et consultante, qui comparaît à titre personnel.
Nous accueillons ensuite Mme Jennifer Fraser, autrice et conseillère pédagogique.
Nous accueillons également Wendy Glover, enseignante au secondaire et consultante en développement des athlètes.
Nous allons vous accorder cinq minutes chacune pour votre exposé préliminaire. Quand vous me verrez agiter la main, veuillez conclure, après quoi nous passerons aux questions.
Vous avez les cinq premières minutes, madame Jeanson. Je vous en prie, allez‑y.
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Merci, madame la présidente et distinguées membres du Comité.
J'étais cycliste professionnelle. J'ai représenté le Canada aux Jeux olympiques de 2000. J'ai remporté plusieurs championnats et coupes du monde tout au long de ma carrière.
Je m'estime très privilégiée d'avoir été invitée ici aujourd'hui, parce que les membres de ce comité ont un rôle à jouer dans la protection des athlètes et que vous êtes en mesure d'influencer le développement des générations futures d'athlètes.
Comprenez bien que je vais vous parler aujourd'hui de mes propres expériences. Tout ce que je dirai ici est mon opinion personnelle. Pour aller plus vite, je vais passer directement à la version non expurgée de mon histoire — d'où la brutalité des termes employés.
Pour les besoins de la cause, on peut dire que mon histoire a commencé quand j'avais 14 ans. C'est l'âge que j'avais quand mon entraîneur, qui en avait 26 de plus que moi, m'a frappé à la tête pour la première fois au cours d'une séance d'entraînement. Il m'a dit que c'était pour faire de moi une athlète meilleure et plus forte. Il a comparé le monde de la compétition à la vie dans la jungle. Dans la jungle, seuls les plus forts survivent. On m'a appris à accepter les agressions et à croire que la violence physique faisait partie de l'entraînement normal et que c'était vraiment bon pour moi.
Quand j'ai eu 15 ans, la violence verbale et physique s'est transformée en agression sexuelle et en viol, immédiatement suivis de menaces comme: « Je suis amoureux de toi. Si tu me quittes, je te tue et ensuite je me suicide. » Je n'ai jamais été la même après cette première agression sexuelle.
Comme je vivais dans une violence constante, je croyais effectivement qu'il pourrait me tuer et se suicider. C'était tellement réel que je ne pouvais pas partir. Je ne voulais pas vivre le reste de ma vie en portant la responsabilité du suicide de quelqu'un. Dans mon cas, les mauvais traitements comprenaient aussi des drogues, que j'ai commencé à prendre à l'âge de 16 ans pour améliorer ma performance.
Je gagnais beaucoup de courses chez les juniors, et même des championnats nationaux contre des filles plus âgées, et mon entraîneur a décidé de prendre de plus en plus de congés pour se consacrer à ma carrière et à mon développement athlétique. Il a fini par prendre un congé sans solde de son emploi de professeur d'éducation physique.
L'année de mes 16 ans, on a découvert que j'étais anémique. Mais on m'a dit que je ne pouvais pas attendre que l'anémie se résorbe et que je recouvre naturellement la santé, parce que j'étais censée gagner, trouver des commanditaires et gagner de l'argent pour qu'il puisse vivre. Il m'a amenée chez un médecin, et ils ont décidé de me donner de l'OEB, une hormone qui améliore la performance, pour que je puisse continuer à m'entraîner et à performer malgré mon anémie. Ce qui devait être quelques injections pour traiter l'anémie s'est transformé en dopage tout au long de ma carrière.
Dans notre société, quand quelqu'un se livre à des activités illégales, il est considéré comme un criminel, qu'il soit pris ou non. Pour établir un parallèle avec la société, en moins de deux ans, je suis devenue à la fois la victime de mauvais traitements, une tricheuse et, puisque le dopage est illégal dans le sport, une criminelle — tout cela à 16 ans.
J'étais une adolescente sans porte de sortie, sans personne à qui parler et sans personne pour m'aider. Les séances d'entraînement se déroulaient rarement sans violence verbale, psychologique et physique. Mon entraîneur a pris le contrôle de tout — à qui je pouvais parler, quand je pouvais sortir, tout ce qui concernait mes finances, etc. J'essayais désespérément de trouver un moyen de me sortir du sport pour le quitter, lui. Je ne pouvais pas simplement m'arrêter, parce que je gagnais de l'argent pour qu'il vive. Il me le rappelait tout le temps: il avait tout quitté, y compris sa femme dont il était divorcé, pour s'occuper de ma carrière, et c'était moi qui étais responsable.
À cause de ses menaces de suicide, je ne pouvais pas aller voir un autre entraîneur. Je ne pouvais pas raconter mon histoire à ma fédération nationale ou internationale, parce que, si je révélais tout, on m'aurait accusée d'avoir triché. J'aurais perdu toute ma carrière, ma vie et mon nom. J'en étais venue à penser que la seule solution était d'avoir un accident — pas un accident mortel, mais quelque chose d'assez grave pour que je puisse enfin tout arrêter.
Au lieu d'avoir un accident, j'ai échoué à un test de dépistage de drogues. J'ai été frappée d'une interdiction de pratiquer tous les sports pendant 10 ans. Je vous jure que l'échec à ce test de dépistage a été la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. J'ai été immédiatement soulagée, car cela signifiait que je pouvais enfin arrêter de faire du cyclisme et que je pouvais quitter mon entraîneur. Un résultat positif au dépistage de drogue n'était rien à côté de l'enfer dans lequel je vivais. Le fait que mon nom ait été terni à jamais a été un prix peu élevé à payer pour finalement me débarrasser de lui.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je ne suis pas partie, tout simplement. Eh bien, ce n'est jamais simple de fuir une relation de violence. Le moment de la fuite est de loin l'étape la plus dangereuse, parce que l'agresseur se bat pour reprendre le contrôle. C'est précisément au moment où la victime s'en va ou juste après que le danger est le plus mortel.
Jusqu'en 2015, j'aimais mieux que mon nom et mon identité soient associés à des drogues améliorant la performance qu'aux mauvais traitements dont j'avais été victime. En 2015, j'étais en bonne voie de guérison et je me suis enfin sentie prête à parler de la violence que j'avais vécue et de la façon dont on m'avait forcée à prendre des drogues pour améliorer ma performance, mais je n'étais pas encore prête à parler des agressions sexuelles. Pour moi, c'était encore trop sale et trop honteux.
Ce n'est qu'en 2021, après avoir lu de nombreux témoignages d'athlètes, que j'ai décidé de raconter tout ce que j'avais vécu et que je viens de vous raconter aujourd'hui.
Cela dit, ne me dites pas que vous regrettez ce qui s'est passé. Les regrets ne changent rien au passé. Regrettez plutôt que la culture du sport soit encore ce qu'elle est aujourd'hui et dénoncez plutôt le fait que la situation n'évolue pas assez vite pour protéger les athlètes.
C'est parce que je crois que je peux faire partie de la solution et influer sur le changement de culture qu'il faut imposer dans le sport que je me suis engagée auprès de Sport'Aide. Et je suis extrêmement reconnaissante de pouvoir faire entendre ma voix aujourd'hui devant ce comité.
Les ouvrages spécialisés le confirment: les athlètes féminines sont plus à risque de vivre des situations de violence sexuelle; les jeunes athlètes sont plus vulnérables; et les athlètes féminines sont particulièrement à risque de subir de la violence lorsqu'elles ont une faible confiance en elles, des troubles de l'alimentation et une très forte dépendance à l'égard de l'entraîneur. De plus, les athlètes d'élite sont plus à risque de subir de la violence psychologique et les jeunes athlètes de subir de la violence physique.
Mon souhait est que vous nous aidiez à apporter les changements suivants. Voici mes recommandations.
Premièrement, nous devons sensibiliser nos athlètes le plus tôt possible à ce qu'est un comportement acceptable ou non. Il faut outiller les jeunes athlètes pour qu'elles sachent comment réagir et vers quels services ou ressources se tourner et qu'elles comprennent qu'il n'y a pas de honte à demander de l'aide. Il ne faut pas partir du principe qu'un entraîneur gagnant est un bon entraîneur. Certains entraîneurs ne font que répéter les mauvais comportements dont ils ont été témoins et qu'ils ont subis comme athlètes. Il faut donc élargir le réseau d'éducation pour sensibiliser les entraîneurs, les représentants de fédérations et les parents. L'éducation à l'intégrité devrait être obligatoire.
Deuxièmement, je voudrais qu'on crée un système d'accueil et de traitement des plaintes qui soit totalement indépendant des fédérations et qui ne soit pas réservé à nos athlètes d'élite. Vous devez savoir que la violence dans les sports transcende les âges, les genres et les niveaux de compétence. Cela se produit dans les sports récréatifs comme dans les sports de compétition.
Enfin, je demande aussi au système sportif canadien de repenser le financement de nos fédérations afin qu'il accorde au moins la même importance au bien-être de nos athlètes qu'à leur performance. On ne peut pas continuer à donner de l'argent aux fédérations uniquement en fonction de la performance, parce que cette mentalité de « gagner à tout prix » autorise une culture de la violence.
J'espère sincèrement que votre étude ne sera pas jetée aux oubliettes. Comme beaucoup d'autres témoins que vous avez entendues, je vais réclamer des changements. Vous avez un pouvoir décisionnel, et nous comptons sur vous pour nous donner le soutien que nous n'avions pas quand nous étions de jeunes athlètes.
Merci encore de m'avoir invitée aujourd'hui.
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Merci de consacrer du temps à cet enjeu d'une importance cruciale et urgente.
Dans les années 1980, entre mes 13 et mes 17 ans, j'ai été agressée par des enseignants dans une école publique de Vancouver.
En fait, de nos jours, le nombre d'agressions sexuelles par du personnel scolaire est en hausse. Pour moi, cela remonte à 40 ans, et je n'arrive pas à croire que rien n'a changé pour mieux protéger les enfants et tout le monde contre les mauvais traitements.
Selon le Centre canadien de protection de l'enfance, au moins 750 écoliers ont été victimes d'agressions sexuelles par du personnel scolaire entre 2017 et 2021, et ce n'est que la pointe de l'iceberg.
Il y a 40 ans, dans le cadre du programme Quest, nous avons été victimes de violence psychologique, physique et sexuelle de la part de trois enseignants juste en face des bureaux du directeur, du directeur adjoint et des conseillers scolaires. Les dommages causés par les agressions commises par des enseignants sont évidents, mais les neurosciences montrent aujourd'hui, grâce aux scintigraphies cérébrales, que les dommages physiques sont causés non seulement par les agressions commises par des enseignants, mais aussi par l'incapacité du personnel scolaire à y mettre fin.
Je suis ici aujourd'hui pour parler de cette inaction et des systèmes qui nuisent à ceux qui dénoncent et à ceux qui prennent la parole.
J'ai été une enseignante primée pendant 20 ans, mais, quand, en 2012, j'ai signalé au personnel scolaire et aux instances dirigeantes les témoignages directs d'élèves athlètes qui vivaient dans un contexte toxique fait de peur, de favoritisme et d'humiliation, ces élèves ont été de nouveau victimisés et j'ai été, quant à moi, exilée de la profession d'enseignant.
Je suis la mère d'une des victimes et j'ai pu observer directement les effets dévastateurs sur mon fils, non seulement des mauvais traitements, mais aussi de l'« armée de complices », pour reprendre l'expression d'Amos Guiora. Même si les mauvais traitements infligés à mon fils étaient révoltants, pour lui, la complicité des organes de gouvernance et le camouflage dont ils se rendaient coupables étaient bien pires.
J'ai démissionné pour protester contre cette école qui couvrait les cas de mauvais traitement, mais je me suis retrouvée dans une autre école qui en faisait autant. Cette fois, la violence était sexuelle. C'est une victime qui m'en a parlé directement. J'ai ensuite pu constater directement que l'école et les organes de gouvernance camouflaient la situation et faisaient publiquement l'éloge de l'agresseur devant sa victime. Ils n'ont pas révélé qu'il avait été congédié après une longue enquête policière.
Le commissaire à la réglementation des enseignants a été de connivence enfaisant disparaître son certificat d'enseignement du registre des enseignants sanctionnés. Rien ne s'opposait alors à ce que l'agresseur cherche sa victime à l'université et la rencontre de nouveau, la traumatisant davantage. Elle s'est suicidée quelques mois plus tard. Elle avait 19 ans.
Au lieu d'être soutenue pour avoir essayé de protéger une élève maltraitée, j'ai appris que la dénonciation m'exposait à de grands risques et que je n'avais aucune protection juridique. Le commissaire à la réglementation des enseignants n'a essayé de protéger ni la victime ni moi. Au lieu de cela, il m'a mise sous enquête pour avoir parlé publiquement de l'enseignant agresseur et du risque qu'il représentait pour d'autres élèves vulnérables.
Que doit‑on faire?
Une enquête judiciaire comme celle de Dubin en 1988 se fait attendre depuis 40 ans. Nous sommes au courant de la violence endémique faite aux enfants et des dommages qu'elle cause depuis les années 1980, et nous en avons eu la confirmation chaque décennie suivante.
La question urgente est la suivante: quand allons-nous donc mettre fin à la violence? La question tout aussi urgente est de savoir comment. La réponse se trouve dans l'enquête Dubin.
Voici un extrait du rapport Dubin:
Le fait que les organismes de réglementation des sports ne se sont pas penchés plus sérieusement sur le problème des drogues et n'ont pas pris de moyens plus efficaces pour en décourager 1'utilisation a également contribué dans une grande mesure à étendre 1'usage des drogues chez les athlètes.
Cette analyse s'applique également à la violence.
Le fait que les organismes de réglementation des sports ne se sont pas penchés plus sérieusement sur le problème de la violence et n'ont pas pris de moyens plus efficaces pour la décourager a contribué à son ampleur. Si les agresseurs pensent qu'ils peuvent s'en tirer impunément, ils s'en permettront plus encore.
Au Canada, les organes de gouvernance ne sont pas enclins à protéger les victimes de violence. Cette attitude de négligence changera instantanément lorsque des parlementaires déterminés modifieront la loi pour les tenir criminellement responsables d'avoir été complices de ces mauvais traitements et d'avoir revictimisé les victimes.
Les dispositions du Code criminel auraient un effet dissuasif sur les organes de gouvernance qui se montrent négligents, qui mènent des enquêtes bidon, qui camouflent les cas de mauvais traitements, qui protègent leurs auteurs et qui refusent de régler sérieusement les torts causés par toutes les formes de violence.
Mieux encore, on aurait besoin d'un organisme parlementaire entièrement indépendant pour analyser toutes les formes de violence dans le sport, dans l'éducation et ailleurs, faire enquête et en dresser un portrait exhaustif. Il devrait être indépendant du sport, de l'éducation et de toutes les instances dirigeantes en conflit d'intérêts. Il devrait avoir le pouvoir d'agir à titre autonome et sans crainte. Il devrait pouvoir prendre des mesures correctives.
Je répondrai volontiers à vos questions.
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Merci, madame la présidente.
Chers membres du Comité, je vous remercie de m'accueillir. J'ai observé et écouté et j'ai appris des membres du Comité et de divers témoins. C'est très important pour moi d'être ici, car ce sujet me préoccupe depuis de nombreuses années.
Je suis enseignante certifiée en éducation physique et en santé, de la maternelle à la 12e année. J'ai eu l'occasion d'enseigner au niveau primaire pendant cinq ans et au niveau secondaire pendant 20 ans. J'ai progressivement assumé divers rôles dans les sports communautaires, comme entraîneure, parent, administratrice et membre du conseil d'administration. J'ai surtout œuvré dans les domaines du soccer et du hockey.
Il y a deux ans, j'ai été invitée à contribuer à la communauté du hockey par l'entremise de la Ligue de hockey de l'Ontario comme conseillère en développement personnel et académique auprès des Knights de London, car on estimait que mon expérience antérieure de soutien au développement holistique d'élèves-athlètes serait utile aux joueurs. De plus, mes enfants ont grandi dans le système du hockey et sont maintenant au début de la vingtaine. Je connaissais donc le système du hockey junior, dont les joueurs de la LHO sont diplômés.
J'ai également donné des conférences à l'échelle locale, provinciale, nationale et internationale sur l'athlétisme et le développement holistique des athlètes. J'ai élaboré des cours et des programmes d'études dans le système scolaire de l'Ontario. En même temps que j'enseignais et que j'entraînais des athlètes, je continuais à étudier le développement des enfants et des adolescents. J'étais déterminée à apporter au sport communautaire de l'information actuelle sur le développement sain et à long terme des athlètes. Je ne comprenais pas pourquoi, dans le sport communautaire, on ne suivait pas les lignes directrices de l'Organisation nationale du sport pour apporter aux enfants ce dont ils avaient besoin. Au fil des ans, j'ai pris connaissance des modèles de développement du sport de l'ONS et j'ai écouté les préoccupations des athlètes. J'ai étudié des principes comme les droits des enfants dans le sport et les modèles de développement des athlètes d'autres pays. Il y a beaucoup à apprendre, à partager, à adopter et à appliquer.
Les athlètes ne sont pas tous heureux de leurs expériences sportives. Plus j'enseignais au secondaire, plus j'entendais parler des soucis des athlètes. J'ai progressivement compris que les adultes faisaient du mal aux enfants dans ce système. Les adolescents, eux, savaient. Ils voulaient faire quelque chose. Je les ai écoutés.
Je me disais: Et si je sensibilisais les adolescents et donnais des moyens à ceux qui étaient prêts à faire quelque chose de positif dans le sport pour que, arrivés à l'âge adulte, ils puissent réellement changer les choses? Je savais que je devais faire quelque chose, mais je savais que je ne pouvais pas le faire seule.
À l'époque, il y a une quinzaine d'années, j'ai élaboré un programme Athleadership pour que les athlètes adolescents puissent devenir des entraîneurs, des administrateurs des sports, se former en développement de l'enfant, en sécurité dans le sport, en communications, etc. Une fois formés, ils assumaient divers rôles dans la communauté sportive et appliquaient ce qu'ils avaient appris. Par la suite, ils avaient l'occasion de discuter, de réfléchir et d'obtenir des conseils sur ce qu'ils vivaient afin de mieux comprendre comment contribuer efficacement au sport.
On compte plus de 500 diplômés du programme Athleadership, et j'ai partagé ce modèle avec d'autres écoles secondaires et communautés sportives. Elles l'ont adopté.
L'un des principes du programme est le suivant: « Cessez de vous plaindre — comment régler le problème? » Il a fait ses preuves, et bon nombre de ces anciens élèves occupent maintenant des postes de direction dans le domaine du sport. L'effet domino est réel. J'ai testé cette idée et j'ai découvert que les gens qui ont reçu une éducation, une orientation et un mentorat valables peuvent avoir un effet positif dans le sport, et ce quel que soit leur âge, s'ils sont prêts à apprendre, à réfléchir et à être dirigés.
Dans le sport communautaire, il peut être difficile de convaincre des adultes d'apprendre, de réfléchir et d'être dirigés. Je pensais que, si on sensibilisait les adultes comme le fait le programme Athleadership pour les adolescents, ils écouteraient enfin. J'ai essayé, mais non, ils n'écoutent pas. J'ai entendu plus de « Tout est sous contrôle » que de « Comment faire mieux pour les enfants ». Cela fait partie du problème.
Les problèmes sont liés à la gouvernance. Les adultes du système profitent du statu quo. Même s'ils veulent apprendre, la communauté sportive ne permettra pas qu'ils appliquent ce qu'ils auront appris. Les gens qui s'occupent de sports junior n'ont pas suffisamment d'éducation, de soutien et de mentorat pour diriger, suivre ou appliquer les politiques de façon efficace. Souvent, ils ne savent pas ce qu'ils ne savent pas.
Je ne les blâme pas; je blâme le système qui permet tout cela. Il est pratiquement impossible de déclencher un changement dans le système sportif actuel. J'ai essayé.
Le système tel qu'il a été créé ne répond pas aux besoins des enfants. L'objectif était d'offrir des expériences sportives sécuritaires et adaptées à leur développement. Nous n'avons pas mesuré les bons exemples de programmes réussis. Comme le dit Martin Toms, chercheur en développement de l'enfant, « les enfants ne sont pas des adultes en miniature ». Nous avons permis que le manque de gouvernance dans le sport « adultise » les sports pratiqués par les jeunes et cause du tort à nos enfants.
Je me fais l'écho de ce que les témoins précédentes ont dit, à savoir qu'il faut une enquête judiciaire indépendante pour connaître l'ampleur des enjeux qui rendent possible une culture de la violence dans le sport, faute de quoi les préjudices continueront.
Merci.
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Je me suis d'abord adressée à des administrateurs scolaires pour signaler la violence dont j'entendais parler directement. Ils m'ont demandé de prendre les témoignages des élèves, ce que j'ai fait. J'ai aidé les élèves à témoigner dans des entrevues avec eux, et puis tout a changé. Très rapidement, ces responsables qui semblaient vouloir soutenir les victimes se sont mis à essayer de couvrir l'affaire. Il se trouve qu'ils étaient au courant depuis un an et qu'ils auraient pu être accusés de négligence si la situation était avérée.
Quand j'ai compris qu'ils n'allaient pas s'acquitter de leur obligation légale de rendre compte au commissaire à la réglementation des enseignants, j'ai dû intervenir et le faire moi-même, comme enseignante. J'ai dénoncé quatre enseignants, le directeur et l'aumônier pour dissimulation, et puis j'ai regardé tout le système se déployer. Il me faudrait beaucoup de temps pour vous parler de la corruption, mais j'ai beaucoup de documents qui montrent à quel point le système était corrompu.
Et j'étais une convaincue. Mon père est avocat. Mon grand-père est juge. Mon oncle est avocat. Je croyais. Je croyais à l'école, je croyais au gouvernement, je croyais à l'éducation jusqu'à ce que tout cela arrive, et c'est pourquoi je me suis adressée au commissaire à la réglementation des enseignants. Ensuite, j'ai pris toute la documentation et je l'ai remise au bureau de l'ombudsman, parce que c'est évidemment là qu'il faut aller quand on est détruit par sa propre organisation professionnelle, qui est censée protéger les élèves. Elle est là pour protéger les élèves et elle est censée être transparente.
Le dossier a atterri au bureau de l'ombudsman, et, trois ans plus tard, quand, dans l'affolement, je l'ai informé que mon étudiante avait des idées suicidaires et que le directeur de l'école la poursuivait encore, même si elle était à l'université, personne n'a bougé. Les choses ne faisaient que traîner en longueur.
Je ne savais plus quoi faire. Je suis allée voir le représentant des enfants et des jeunes. Je suis allée au ministère de l'Éducation. J'essayais désespérément de la sauver. Je savais qu'elle souffrait d'une maladie mentale grave et je savais qu'il la poursuivait et qu'il l'avait rencontrée. J'ai appelé la police, et on m'a dit qu'on ne pouvait pas porter d'accusations contre lui. La policière spéciale chargée des victimes a démissionné par la suite. Elle n'en pouvait plus.
J'ai pu constater que tous les organes de gouvernance auxquels j'ai eu affaire et qui ont la responsabilité de protéger les jeunes et les enfants, de protéger les dénonciateurs et de vous aider dans ce genre de situation alors que vous êtes manipulé, sont les premiers à faciliter cette violence.
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais commencer par remercier nos témoins d'être venues et de nous avoir fait part d'expériences qui, je crois, seront très utiles à notre étude. Je tiens à ce que vous sachiez que je suis reconnaissante à chacune d'entre vous d'être avec nous aujourd'hui.
Plusieurs éléments des trois témoignages font largement écho à mes propres expériences ou à ce que je pense que ce processus devrait être. Et j'en remercie les témoins.
J'étais enseignante au secondaire. J'ai commencé à enseigner à l'âge de 23 ans. En fait, j'étais moi-même dans une position assez dangereuse, et l'école a tout fait pour camoufler la situation, de sorte que je comprends tout à fait ce que vous voulez dire. Je sais que cela a beaucoup à voir avec la protection de la réputation de l'école. C'est de cela qu'ils se soucient vraiment et ce qu'ils veulent protéger.
Malheureusement, je ne peux pas aller beaucoup plus loin aujourd'hui parce que nous sommes le gouvernement fédéral et qu'il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire à l'échelle provinciale, mais ce que nous ont dit nos trois témoins concerne l'éducation et l'importance de sensibiliser les jeunes qui vont faire du sport, ainsi que les entraîneurs et tous les protagonistes qui participent à l'expérience sportive d'un enfant.
Madame Fraser, vous avez parlé de l'enseignement aux enfants au sein du système d'éducation.
Madame Jeanson, vous avez parlé de l'importance de s'assurer que les enfants savent ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas. Y aurait‑il une procédure formelle? Auriez-vous une recommandation à nous faire sur la manière dont, selon vous, cette sensibilisation devrait se faire au sein de nos organisations sportives nationales?
Par ailleurs, les autres témoins pourraient parler, à leur gré, des mesures que les organisations sportives nationales pourraient adopter, selon elles, pour mieux sensibiliser les jeunes qui pratiquent des sports professionnels.
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Merci, madame la présidente.
Madame Glover, je vous remercie de votre témoignage et de votre présence à notre comité aujourd'hui.
Madame Fraser, j'ai de l'empathie pour vous, compte tenu du témoignage que vous nous avez livré.
Madame Jeanson, dans vos remarques préliminaires, vous avez dit que vous vouliez faire partie du changement. Je vous le souhaite. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous êtes ici.
J'aimerais revenir sur une lettre que vous avez envoyée à l'Union cycliste internationale. Dans cette lettre, vous parlez des lacunes dans le processus de dépôt des plaintes. Vous dites que, dans la société, l'agression sexuelle est un crime passible d'une peine d'emprisonnement, que les suspensions doivent correspondre à la gravité des actions et que le dépôt d'une plainte officielle pour agression, comme une agression physique ou une agression sexuelle, devrait entraîner une suspension provisoire immédiate pendant l'enquête. Vous faites également valoir que, si on trouve le temps de mesurer la longueur des bas des cyclistes et de dicter comment les coureurs peuvent manœuvrer ou non leur vélo, on peut certainement trouver le temps d'enquêter sur un courriel dénonçant un entraîneur trop capricieux ou qui accorde une attention indésirable et inappropriée à ses athlètes et de lui faire savoir que quelqu'un le surveille et mène une enquête à son sujet.
Vos propos rejoignent en quelque sorte ceux de plusieurs athlètes qui se sont déjà exprimés sur le sujet et qui sont d'avis que le Centre de règlement des différends sportifs du Canada, le CRDSC, n'est pas un mécanisme qui protège convenablement et adéquatement les athlètes.
Êtes-vous surprise d'apprendre que l'organisme mis en place par le gouvernement pour traiter les plaintes ne comprend pas ce que vous avez réclamé? Vous y avez fait allusion tout à l'heure en répondant à une question de ma collègue et lorsque vous vous êtes prononcée sur le cas des cyclistes victimes d'agression sexuelle de la part de Patrick Van Gansen.
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Bienvenue à notre deuxième groupe de témoins et à la deuxième heure de notre séance d'aujourd'hui.
Je vais accueillir nos prochains témoins. De ITP Sport & Recreation Inc., nous avons Allison Forsyth, cheffe de l'exploitation. Nous avons aussi Guylaine Demers, professeure au Département d'éducation physique de l'Université Laval, qui témoignera à titre personnel. Madame Demers, vous êtes en ligne.
Enfin, du Centre de règlement des différends sportifs du Canada, nous accueillons Marie-Claude Asselin, cheffe de la direction. Madame Asselin, merci beaucoup d'être ici.
Chacune d'entre vous aura cinq minutes pour présenter son exposé préliminaire. Quand vous me verrez agiter mon stylo... J'essaie de faire preuve de souplesse, surtout lorsqu'il s'agit de sujets très délicats, mais si vous me voyez faire cela, essayez de conclure.
Commençons les cinq premières minutes.
Madame Forsyth, vous avez la parole pour cinq minutes.
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Bonjour et merci de m'accueillir.
J'ai participé deux fois aux Olympiques, je suis mère de trois jeunes joueurs de hockey et j'ai été victime d'agression sexuelle de manière flagrante dans le cadre de notre système sportif canadien.
Je travaille également dans ce domaine. J'ai choisi de travailler aux premières lignes de cette crise, et ce depuis plus de quatre ans. J'ai travaillé aux côtés d'organisations sportives, d'athlètes et d'organismes gouvernementaux pour les aider à trouver des solutions et à fournir de l'éducation à tous les niveaux, à tous les âges et à tous les rôles au sein de ces organisations.
Les répercussions de mon expérience de violence sexuelle ne se résument pas en quelques minutes. La manipulation extrême, les agressions sexuelles épouvantables, la coercition mentale et la violence psychologique sont quelques-unes des énormes séquelles physiques et mentales que je subis encore chaque jour.
Je connais bien le traumatisme que représente la dénonciation et les effets d'être réduite au silence pendant 17 ans avant que mon agresseur ne se fasse prendre. Pendant des années, j'ai vécu colère, dépression, honte, autoaccusation et TSPT chronique.
Oui, j'ai participé aux Jeux olympiques, et oui, j'ai été championne canadienne à huit reprises. Le succès n'est pas nécessairement synonyme de bonheur ou de santé. J'en ai une expérience directe. En fait, à bien des égards, lefait de privilégier absolument le succès est un bouclier pour les victimes. Je rendrais toutes mes médailles pour échapper à ce qui m'est arrivé.
Je suis bien placée pour savoir pourquoi il est essentiel de sortir immédiatement l'agresseur de son environnement. Après avoir été emmenée dans les bois pendant six heures et contrainte par des menaces de suicide, je l'ai revu le lendemain, debout dans les bois en tenue de camouflage, me regarder faire la plus grande course de ma vie.
Je sais ce que c'est que de raconter mon histoire des centaines de fois et d'être traumatisée à chaque fois, y compris aujourd'hui, et pendant deux ans et demi de procès criminel et d'enquête qui ont abouti à une peine d'emprisonnement de 12 ans. Je sais ce que c'est que d'avoir à témoigner en cour 36 heures après avoir donné naissance à mon bébé et l'avoir emmené avec moi pour pouvoir l'allaiter en prenant des pauses pendant le contre-interrogatoire. Je ne pourrai jamais récupérer la première semaine de vie de ma fille. C'est pourquoi j'ai un engagement sans précédent à créer un avenir sportif différent pour elle et ses deux frères aînés.
Je sais aussi ce qu'il faut assumer pour que l'interdiction de publication soit levée sur mon nom pour que je puisse enfin l'associer à ce mouvement il y a plus de quatre ans et partager ouvertement mon histoire plusieurs fois par mois dans le but d'éduquer les gens et de changer le système. Chaque fois que je le fais, je revis ces souvenirs, ces expériences et ces traumatismes. Je fais tout cela parce que le changement se produit dans la vérité des échanges. Si les gens ne savent pas clairement ce qui m'est arrivé, comment peuvent-ils savoir ce qu'il faut faire pour aider les autres?
Je me suis engagée dans ce travail et j'ai collaboré avec votre ancienne ministre des Sports, , en 2018.
J'aimerais vous parler de la double victimisation. Des gens insinuent ou même allèguent directement que, depuis que j'ai choisi de me mêler de cette crise et de m'adresser à des organisations pour les aider à trouver des solutions, à identifier les risques systémiques et à définir les enjeux du milieu, on pourrait m'accuser de les aider à couvrir les abus. À ceux‑là, je réponds qu'ils ne méritent pas mon énergie ou ma défense. Je vis dans ce milieu tous les jours. C'est le but de ma vie, et j'ai choisi de croire que, au final, nous voulons tous la même chose, c'est‑à‑dire un véritable progrès. C'est là‑dessus que je me concentre. J'ignore le bruit ambiant et je laisse le travail être ma priorité. Mon entreprise et moi-même le faisons mieux que quiconque dans ce domaine.
J'ai l'air de pleurer sur moi-même aujourd'hui, mais je ne pleure pas sur mes enfants. D'abord et avant tout, et pour toujours, je défends les intérêts des athlètes et je suis l'une des premières à avoir dénoncé la situation au Canada. Je sais que beaucoup d'entre vous ont témoigné dans cette perspective. Permettez-moi de vous donner un aperçu éclairé de la sécurité du sport dans notre pays.
La crise va bien au‑delà de la violence que les entraîneurs font subir aux athlètes. Comme moins de 5 % des cas sont de nature sexuelle, c'est beaucoup plus que de la violence sexuelle. Je discute de cette question plus que n'importe qui au pays avec des athlètes de première ligne. Je dis cela pour mettre en contexte mon expérience et mon point de vue. Il y a un préjudice intentionnel. C'est certain. Nous savons également avec certitude qu'il existe un conditionnement culturel profond et une normalisation des comportements dans le sport, et nous devons mettre fin à cette acceptation systémique de la maltraitance.
Voici quelques exemples. Je sensibilise les entraîneurs de hockey aux dangers du sprint en patinage et les entraîneurs de soccer au traumatisme des courses suicides. Ces deux pratiques enracinées sont maintenant considérées comme des formes de punition, et de nombreux entraîneurs croient encore en leur validité.
Ce n’est pas une question de jugement. C’est une question d’éducation. Comme pour les commotions cérébrales: quand on en sait plus, on fait mieux.
Ces entraîneurs me répondront presque toujours: « Comme j’ai fait de la planche à roulettes, ça devrait aller », ce à quoi je réponds: « Certes, mais il y a 25 ans, quand un athlète perdait conscience, on lui faisait respirer des sels et on le renvoyait sur la glace. »
Nous devons changer. Je donne des formations à de jeunes athlètes ayant été sanctionnés pour pratiques de bizutage sur d'autres. Quand je leur demande comment ils peuvent penser que ce qu’ils ont fait n’est pas nuisible, ils répondent: « Parce que, cela m’est arrivé il y a quatre ans, Allison. »
Je parle à des arbitres démissionnaires, à l'instar de 70 % de leurs pairs dans cette seule province parce qu'en plus des 900 plaintes qu’ils ont déposées pour discrimination au hockey seulement l’an dernier, en ont assez d’être poursuivis jusqu'à leur maison par des parents en colère. Assise sur le banc de hockey de l'équipe de mon propre fils, j'ai personnellement assisté à des pugilats entre parents dans les gradins et j'ai vu des parents crier des obscénités aux arbitres. Pas plus tard que la semaine dernière, alors qu’il venait d'être expulsé d’un match pour avoir agressé un arbitre, un parent a lancé devant des dizaines de jeunes athlètes de 11 ans: « Hé, l'arbitre, pourquoi ne te grilles‑tu pas la cervelle? »
Oui, je parle à des athlètes qui sont effectivement tombés dans le piège de la mise en confiance ou du conditionnement. Je travaille avec eux pour les aider à comprendre ce que cela veut dire et pourquoi être le meilleur ami et le préféré de leur entraîneur n’est pas sain. Pourquoi faut‑il voir un signe évident de conditionnement quand l'athlète a l’impression que, s’il n'est pas le préféré de son entraîneur, il ne fera pas partie de l’équipe et pourquoi, s’il a l’impression de jouer par peur, c'est qu'il peut aussi être victime de violence psychologique.
Nous mettons trop l’accent sur le problème ou, au mieux, nous en rabotons la surface, alors que nous devrions appliquer des solutions pourtant évidentes. Nous devons éliminer le culte — je dis bien, le culte — du sport. Cela exigera patience et courtoisie, tandis que les gens se rendront compte du système auquel ils sont habitués depuis tant d’années. Nous avons été amenés à penser que tout allait bien parce que nous connaissons ce système depuis notre plus tendre enfance, que nous avons vu des enfants dans des toilettes ou nus dans des autobus, des entraîneurs molestant des sportifs, des insultes raciales lancées comme si c'était normal, et des administrateurs qui font peu de cas des victimes et protègent plutôt la réputation de l’institution.
Tout cela doit changer par l'application de tactiques proactives concertées visant à prévenir et à éduquer. Nous devons être éveillés aux techniques de conditionnement qui comportent quatre étapes: le favoritisme, l'établissement d'un rapport personnel, l'isolement et la complicité. J’ai appris ces étapes du conditionnement à l’âge de 30 ans quand je prenais la parole sur une scène. J'aurais tant voulu en savoir plus sur ces étapes du conditionnement quand j’étais jeune athlète.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, je nous mets tous au défi d’avancer et de ne pas reculer. Nous sommes un système, et le sport est en crise. Nous devons investir davantage dans nos organisations qui appuient le mouvement sportif et qui en financent l'évolution. Nous devons imposer des sanctions rapides et sévères aux délinquants, mais chaque fois que nous regardons dans le rétroviseur, nous retirons la pédale d’accélérateur sur laquelle nous devons appuyer.
Au cours des quatre dernières années, j’ai constaté des progrès et des erreurs, y compris une très mauvaise mise en œuvre des changements obligatoires au niveau des ONS. Par‑dessus tout, je nous ai vus nous concentrer davantage sur ce qu’il faut faire une fois que nous attrapons quelqu’un plutôt que sur ce qu’il faut faire collectivement pour que la violence ne se produise pas au départ. Quand nous réussissons à sanctionner un délinquant et que nous ignorons le système en général, nous permettons qu'une autre personne soit victimisée.
Je lance ce défi à chacun d’entre nous parce que je crois sincèrement que le sport peut encore être un endroit magnifique pour élever mes enfants. Je n’abandonnerai pas cette réalité, et je vous demande de faire de même.
Merci.
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Je vous remercie de l'invitation à participer à votre étude.
Vous m'excuserez de ne pas être au sommet de ma forme. Je suis grippée et clouée au lit depuis deux jours, mais, la cause étant plus grande que moi-même, je me suis botté le derrière pour être parmi vous.
Madame Forsyth, merci de votre témoignage. Chaque fois, c'est bouleversant.
Votre comité m'avait aussi invitée à témoigner sur le même sujet, en 2016, alors qu'il faisait une étude sur les femmes et les filles dans le sport. J'ai relu les 16 recommandations du rapport qui a découlé de cette étude et, franchement, je pense que plusieurs d'entre elles pourront être reprises intégralement dans le rapport qui sera produit cette année.
Je suis d'accord avec Mme Forsyth et les intervenantes précédentes pour dire qu'il y a eu de l'avancement, et la présence de Mme Asselin en est une bonne preuve. Je reconnais tout le travail qu'elle fait. Cependant, à mon avis, il y a encore des problèmes à régler. J'avais insisté sur deux leviers importants, en 2016, sur lesquels j'aimerais revenir. Mme Forsyth parlait, entre autres, du changement de culture. Ce type de changement prend du temps, mais cela fait déjà six ans qu'un premier rapport a été déposé. Il y a quand même eu des actions à la suite de cela, et je remercie d'ailleurs l'ancienne ministre Duncan de ce qu'elle a fait. Toutefois, il y a ces deux problèmes qui persistent dans le sport au Canada.
Premièrement, il y a un manque de reddition de comptes. Le financement n'est pas toujours associé à la reddition de comptes. Si de l'argent public est investi dans des organisations nationales de sport, celles-ci devraient rendre des comptes. C'est une condition nécessaire pour assurer la protection des athlètes et la progression des femmes. Certaines études démontrent qu'effectivement, lorsqu'il y a plus de femmes en position de leadership, on observe moins de violence dans ces organisations. Alors, la reddition de comptes est un levier important. Après tout, c'est de l'argent public.
L'autre problème important, c'est que souvent, pour ne pas dire toujours, le financement est ponctuel. L'ancienne ministre avait annoncé 30 millions de dollars en 2018, et la ministre actuelle, Mme St-Onge, vient d'ajouter 26 millions de dollars, mais ce financement est souvent associé à des mesures ponctuelles. Au cours des dernières années, les fédérations nationales pouvaient demander de l'argent pour des projets liés à l'égalité et l'équité des genres, mais c'étaient des projets ponctuels. Une fois les projets mis en œuvre, il n'y avait plus d'argent et on ne pouvait plus proposer d'autres projets. Il est donc difficile d'avoir une vision et une planification à long terme.
Je vais vous donner un exemple qui me fend le cœur. Grâce à un investissement de 1,65 million de dollars qui avait été annoncé par la ministre Duncan, un centre de recherche pour l'équité des genres dans le sport, nommé E‑Alliance, a été mis en place en 2020. C'était une première au Canada. C'était un projet de trois ans, mais, vous savez comment cela fonctionne, nous avons eu l'argent deux semaines avant la fin de la première année. Alors, en réalité, nous avons eu deux ans pour fonctionner. J'étais codirectrice de ce centre avec Gretchen Kerr et Ann Pegoraro. Je ne le suis plus, parce que j'ai maintenant la chance de diriger un laboratoire de recherche québécois pour l'équité des genres dans le sport. Le financement de ce centre canadien a pris fin en mars 2022 et, depuis ce temps, nous n'avons aucune nouvelle. C'est comme si on avait jeté 1,65 million de dollars par la fenêtre et que nous avions fait en vain tous ces efforts pendant deux ans afin de mettre en place cet important centre de recherche pour recueillir des données longitudinales, assurer le suivi et faire avancer les connaissances. Nous ne savons même pas ce qu'il adviendra de ce centre de recherche, alors que celui-ci faisait l'objet d'une recommandation déterminante dans le rapport de 2018 du Groupe de travail sur les femmes et les filles dans le sport.
Il me reste 30 secondes. J'avais mis mon chronomètre devant moi. Je suis une fille de sports, alors j'ai l'habitude de respecter le temps.
Bref, il y a deux choses à retenir. Premièrement, une reddition de comptes est obligatoire. Deuxièmement, il faut un financement à long terme pour permettre une meilleure planification et s'assurer que les initiatives ne tombent pas à l'eau après un an ou deux sans faire l'objet d'aucun suivi. Autrement, on fait du surplace et on gaspille beaucoup d'argent.
:
Madame la présidente, distingués membres du Comité, je vous remercie sincèrement de m’avoir invitée à parler d’un sujet aussi important.
[Français]
Je m'appelle Marie‑Claude Asselin. Depuis près de 16 ans, je suis la cheffe de la direction du Centre de règlement des différends sportifs du Canada, le CRDSC, qui est le siège du nouveau Bureau du commissaire à l'intégrité dans le sport, le BCIS.
De nombreux témoins avant moi ont parlé avec éloquence des problèmes qui nous préoccupent toutes et tous. Je pense particulièrement aux victimes et aux survivantes qui ont raconté des histoires profondément troublantes, mais qu'il était nécessaire d'entendre.
Permettez-moi maintenant d'orienter la conversation vers des solutions.
[Traduction]
En 2000, un groupe de travail auprès du Secrétaire d'État au sport amateur a conclu que « Faute de politiques justes et cohérentes ou à cause d’une mauvaise application des politiques, les athlètes et autres participants se font imposer des mesures disciplinaires, sont harcelés et se font refuser des possibilités sans avoir de recours appropriés ni de mécanisme d’appel. » Le CRDSC a été créé pour remédier à cette situation.
Vous avez entendu des témoins citer la commission Dubin qui avait mis en lumière le fait qu'on ne pouvait pas faire confiance aux organismes de sport pour appliquer les règles antidopage à leurs propres membres. Ils ont affirmé que le Canada dispose maintenant d'un programme antidopage solide et indépendant. Je suis d'accord avec eux.
Le 21 novembre en particulier, un témoin a fait l'éloge de ce système antidopage véritablement indépendant, mais il a omis de mentionner que le CRDSC est le tribunal antidopage du Canada. Pourtant, dans le même souffle, il a insisté sur le fait que le CRDSC n'est pas indépendant.
Le CRDSC est neutre et indépendant par définition. Ses arbitres ont pour mission de s'assurer que les politiques des organismes nationaux de sport et les décisions rendues en vertu de ces politiques ne sont pas arbitraires, ni discriminatoires, ni illégales. Depuis sa création en 2004, le CRDSC a traité plus de 600 différends relatifs à la sélection d’équipes, au financement des athlètes, aux questions d'éligibilité, à la discipline, et ce pour contrer la discrimination, l'injustice, la tricherie, la corruption et la maltraitance.
En offrant un accès à la justice adapté à la réalité du sport, le CRDSC sert d'alternative aux longues et coûteuses procédures judiciaires proposées par les tribunaux civils et les tribunaux des droits de la personne. Les retards rencontrés dans ces forums ne serviront pas les athlètes, dont la carrière ne peut être mise sur pause pendant deux, voire quatre ans alors qu'ils attendent leur date d’audience. Les affaires du CRDSC sont résolues, en moyenne, dans un délai de 54 jours pour les affaires de dopage et de 44 jours pour les autres différends liés au sport.
Tous les témoins qui ont parlé devant vous de leur expérience négative suite au signalement d’abus, ont divulgué avant juin 2022, donc avant la création du Bureau du commissaire à l'intégrité dans le sport. Par conséquent, elles ont dû suivre les procédures de leur propre organisme de sport, qui de toute évidence étaient grossièrement inadéquates. Au CRDSC, les victimes et les survivants ont accès à des services en santé mentale et d'aide juridique avant même de déposer une plainte. Les règles spécialisées du Tribunal de protection établissent un équilibre très délicat entre le droit à l’équité procédurale et la nécessité d'offrir une protection aux parties et aux témoins vulnérables, comme aucun autre tribunal statutaire au Canada, et peut-être même dans le monde.
Les médiateurs et arbitres du tribunal de protection du CRDSC et les enquêteurs du BCIS sont des experts, formés aux pratiques tenant compte des traumatismes, ayant de l'expérience dans le domaine des droits de la personne, de la protection de l'enfance et des jugements relatifs aux pensionnats autochtones. Leurs biographies sont publiées sur les sites Internet du CRDSC et du BCIS. Je peux également vous assurer que les voix des victimes et des survivants sont entendues au CRDSC, tant au niveau consultatif que décisionnel. Le fait qu'une victime ou un survivant n'affiche pas sa vie privée sur les médias sociaux ne fait pas d’elle ou de lui une moins bonne victime. Nous respectons ce choix, qui leur appartient à 100 %.
Au CRDSC, nous sommes d'accord avec les victimes et les survivants qui affirment que le programme actuel a ses limites. Moins de six mois après son ouverture, il n'en est qu'à ses débuts. Mais il est injuste de ne pas lui donner sa chance. Il est construit sur des bases solides, et il bénéficierait certainement de plus de pouvoirs, comme: le pouvoir de citation à comparaître; le droit de tenir un registre public des sanctions; et l'immunité pour ses professionnels. Personne ne nie que des abus horribles ont été commis, et le sont encore.
Si nous leur donnons les pouvoirs et les ressources nécessaires, madame la présidente, je vous assure que le CRDSC et le BCIS peuvent absolument remplir leur mandat pour un sport sécuritaire.
Merci de votre attention.
Je pense que Mme Asselin et Mme Forsyth ont souligné le fait qu'il s'agit d'un problème multifactoriel et que nous devons nous assurer que nous...
Je pense que nous devons coordonner tous nos efforts à cet égard, parce que, comme l'a dit Mme Asselin, l'un de nos plus grands défis au Canada est l'aspect des secteurs de compétence. L'éducation relève des provinces; on peut faire quelque chose à l'échelle nationale, mais chaque province doit ensuite décider pour elle-même. Par exemple, au Québec, nous avons un organisme, Sport'Aide, avec qui Mme Asselin travaille en étroite collaboration, mais encore une fois, qui fait quoi? Au Québec, il y a encore des entraîneurs qui changent d'école et qui continuent d'être entraîneurs dans le même sport, même si... Encore une fois, l'organisation, le collège ou l'école ne veut pas ou ne peut pas dire pourquoi il congédie tel ou tel entraîneur, à cause de cette politique de protection de la vie privée, ce qui me rend malade. Je suis d'accord avec Mme Asselin pour dire que nous avons besoin d'un moyen d'inscrire ces entraîneurs sur une liste noire quelque part — ce registre —, afin qu'ils ne puissent pas poursuivre leurs activités d'entraînement.
Je suppose que le défi est de savoir comment et qui. Peut-être que Mme Asselin a la réponse avec son organisation, mais nous avons besoin d'un leadership fort. Je pense qu'un organisme qui devrait participer à cela est notre CFPTS, ou comité fédéral-provincial-territorial du sport, qui essaie au moins de s'assurer que nous avons une certaine collaboration entre les paliers fédéral, provincial et territorial et que nous coordonnons nos efforts. Ce comité devrait peut-être s'intéresser davantage à cette question.
Je le répète, pour ma part, l'une des plus grandes priorités serait certainement d'avoir ce registre, parce qu'à l'heure actuelle, nous voyons ces entraîneurs, nous connaissons ces entraîneurs et nous voyons qu'ils continuent à entraîner. Que pouvons-nous faire? Ce serait ma première priorité.
Je suppose que Mme Asselin et son équipe sont probablement les mieux placées pour que cela se produise le plus tôt possible.