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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 060 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 20 avril 2023

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bienvenue à la 60e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
    La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres peuvent assister à la réunion en personne dans la salle ou à distance en utilisant l'application Zoom. J'aimerais faire quelques commentaires, à l'intention des témoins et des membres.
    Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence... j'essaie de voir si je reconnais des visages. On dirait qu'il n'y a aucun novice.
    Madame Lam, nous allons veiller à ce que vous compreniez le déroulement de la réunion. Je suis heureuse de vous voir, en ligne, madame Lam.
    Pour les personnes dans la salle, assurez-vous que l'interprétation fonctionne. Vous avez votre oreillette, et vous pouvez choisir entre l'anglais, le français et le parquet. Sur Zoom, vous avez le choix entre l'anglais, le français et le parquet également, pour l'interprétation. Si vous voulez prendre la parole, veuillez lever la main. Sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ». Conformément à la motion de régie interne du Comité relativement aux tests de connexion pour les témoins, je tiens à informer le Comité que toutes les témoins qui comparaissent virtuellement ont effectué les tests requis.
    Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 1er février 2022, le Comité reprend son étude sur la traite des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
    Avant de souhaiter la bienvenue aux témoins, j'aimerais donner un avertissement. Je sais qu'il y a de nouvelles personnes dans la salle aujourd'hui, et elles vont découvrir ce que nous faisons vraiment, ici. Tous les sujets difficiles sont abordés ici, dans cette salle. Nous allons discuter de cas de maltraitance, et cela pourrait être traumatisant pour les gens qui nous regardent, les membres du Comité ou les membres du personnel qui auraient vécu des choses similaires. Si vous ressentez de la détresse ou si vous avez besoin d'aide, je vous demande de le dire à la greffière ou de nous avertir de ce qui se passe.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui.
    Nous accueillons Mme Elene Lam, qui est avec nous en ligne, de Butterfly: Asian and Migrant Sex Workers Support Network, un réseau de soutien pour les travailleuses du sexe asiatiques et migrantes. Je souhaite aussi la bienvenue à Mme Kate Sinclaire, de Sex Workers of Winnipeg Action Coalition, et aussi à Mme Sandra Wesley, directrice générale de Stella, l'amie de Maimie.
    J'aimerais vous souhaiter la bienvenue en vous donnant chacune cinq minutes, pour commencer. Je vais donner la parole pour les cinq premières minutes à Mme Lam, en ligne.
    Madame Lam, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Elene Lam. Je suis la directrice générale de Butterfly, un réseau de soutien pour les travailleuses du sexe asiatiques et migrantes.
    Nous sommes un organisme communautaire qui encadre et soutient plus de 5 000 travailleuses du sexe asiatiques et migrantes d'un bout à l'autre du Canada. Je travaille dans le domaine des droits de la personne et de la lutte contre la traite de personnes; je l'ai fait pendant plus de 20 ans à l'échelle internationale et je le fais depuis 10 ans au Canada.
    Aujourd'hui, nous voulons donner une voix aux travailleuses du sexe asiatiques et migrantes et vous dire que les politiques actuelles contre la traite des personnes n'aident pas les victimes de la traite; plutôt, elles victimisent et traumatisent les travailleuses du sexe, les personnes migrantes, les personnes racisées et les personnes de diverses identités de genre.
    J'aimerais vous parler, à titre d'exemple, du vécu d'une travailleuse en particulier.
    C'est l'histoire d'une membre de Butterfly qui vivait depuis 15 ans au Canada. Elle était venue ici en tant qu'aide familiale, mais elle n'a pas pu obtenir la résidence permanente, parce que son employeur abusif refusait de remplir ses formulaires d'immigration avec elle. Sa demande de parrainage par l'époux a été rejetée, et elle est devenue une migrante sans papiers. Elle a commencé à travailler dans l'industrie du sexe.
    Un jour, des agents de police ont défoncé la porte de son appartement. Ils l'ont menottée et l'ont obligée à se tenir debout dans un coin. Ils l'ont traitée comme une meurtrière. Ils lui ont demandé si quelqu'un la contrôlait ou si quelqu'un l'aidait. Bizarrement, les agents lui ont dit qu'ils étaient là pour la protéger. Ils lui ont demandé si elle était en sécurité, et elle leur a répondu qu'elle l'était jusqu'à ce qu'ils arrivent. La police a appelé l'ASFC, puis l'a arrêtée. La police a saisi ses téléphones ainsi que 10 000 $, tout l'argent qu'elle avait gagné et mis de côté au Canada. Elle était travailleuse du sexe non seulement parce qu'elle était pauvre, mais aussi parce que c'était la seule façon pour elle de résister et de lutter contre la pauvreté.
    Durant son entrevue avec les forces de l'ordre, elle leur a dit qu'elle avait été volée, agressée et presque tuée, mais cela n'intéressait pas les agents. Son amie a elle aussi été arrêtée, parce que les agents soupçonnaient qu'elles travaillaient ensemble et qu'elles faisaient partie du crime organisé. Elles ont toutes les deux été expulsées du pays.
    Voilà, et ce n'était qu'une histoire parmi toutes les autres histoires des membres de Butterfly.
    Plus de 300 membres de Butterfly ont rapporté avoir été harcelées, accusées, arrêtées, emprisonnées et expulsées. Une migrante a beau avoir un permis de travail, elle perd son statut d'immigration si elle travaille dans l'industrie du sexe. De nombreuses travailleuses et leur famille sont considérées comme des trafiquantes et sont arrêtées, alors qu'elles aident d'autres travailleuses à communiquer ou à travailler en toute sécurité. Des centaines de salons de massage asiatiques ont été obligés de fermer à cause des campagnes contre la traite de personnes. Les femmes asiatiques ont perdu leur travail, leur moyen de subsistance et leur dignité.
    Manifestement, ce n'est pas la solution au problème. Le Canada, comme bon nombre d'autres pays, a adopté une approche visant à secourir ces femmes, mais elle ne fonctionne pas. Le système actuel a pour but de mettre fin au travail du sexe, et il ne fonctionne pas. Plus particulièrement, il a obligé les travailleuses du sexe migrantes et racisées à travailler dans la clandestinité, a encouragé la discrimination et la haine contre les travailleuses du sexe et les a rendues plus susceptibles d'être maltraitées et exploitées. Elles ne peuvent pas demander de l'aide. Au lieu de les protéger, le système leur nuit. Cela ne servira à rien de continuer ainsi.
    C'est pour cette raison que nous avons besoin d'adopter une nouvelle approche, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. Pour un grand nombre de personnes marginalisées, de personnes noires, autochtones et migrantes et de travailleuses du sexe, la police elle-même est une grande source de violence puisqu'elle distribue des allers simples vers l'emprisonnement et la déportation. Au lieu de demander à ces personnes de faire confiance à la police, nous devrions élaborer une solution de rechange, afin qu'elles aient accès à du soutien et à de l'aide de la part de gens à qui elles font déjà confiance.
    Nous devons adopter une approche qui met l'accent sur les droits plutôt que sur les secours, afin de respecter l'autonomie de ces personnes. Nous devons leur donner les moyens de se protéger et de protéger leur communauté, afin qu'elles accèdent à la sécurité et puissent tourner le dos à la violence.
    Voici les solutions: abroger toutes les lois contre les travailleuses du sexe et les migrantes afin qu'elles puissent se protéger sans crainte et sans être criminalisées, et lever aussi l'interdiction d'immigration pour les travailleuses du sexe. Nous n'avons pas besoin de fonds ciblant précisément la traite des personnes. À la place, offrez-leur du soutien pour qu'elles aient accès au logement, à un revenu, à des droits de travail et à un statut et qu'elles puissent ainsi quitter les situations violentes. Aidez les communautés à mettre en place des mesures de sécurité et donnez à ces personnes les moyens de se soutenir elles-mêmes dans la collectivité.
    Je veux insister sur la cause profonde de l'exploitation des migrantes: le fait qu'elles n'ont pas la résidence permanente. Voilà pourquoi nous continuons de nous battre, au côté de bon nombre d'autres organismes pour personnes migrantes, afin que toutes les personnes sans papiers soient régularisées et que tous les migrants, les étudiants, les réfugiés et leurs familles puissent obtenir la résidence permanente. Nous avons été déçus d'apprendre que d'autres organismes dirigés par des travailleurs migrants, comme la Migrant Workers Alliance for Change, n'ont toujours pas été invités à témoigner.
(1535)
    Butterfly a fait énormément de recherches, tout comme de nombreux universitaires ont fait énormément de recherches sur les méfaits des politiques sur la traite de personnes. Je répondrai avec plaisir à vos questions en vous donnant plus d'informations sur les lacunes de ce système ainsi que sur les autres solutions que nous pouvons mettre en place pour que les gens soient en sécurité et puissent se protéger dans des situations difficiles.
    Merci.
    Merci beaucoup. Je ne sais pas si vous avez surveillé le temps, chez vous, mais vous avez réussi à terminer presque pile. Félicitations.
    Je vais maintenant donner la parole à Mme Kate Sinclaire.
    Madame Sinclaire, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Je m'appelle Kate Sinclaire. J'étudie actuellement le droit ici à Ottawa, et je suis aussi membre de la Sex Workers of Winnipeg Action Coalition. Nous sommes un groupe de travailleurs et travailleuses du sexe, de militants, d'alliés et de chercheurs, dans ma ville natale de Winnipeg, au Manitoba, sur le territoire du Traité no 1. Nous avons une mission claire: lutter contre l'exploitation, et non pas contre les travailleurs et travailleuses du sexe.
    Une chose que nous voulons vous faire comprendre, c'est que de nombreux groupes qui se qualifient d'organismes de lutte contre la traite de personnes ont pour premier objectif « d'éradiquer » le travail du sexe, comme ils disent. Selon ces groupes, le travail du sexe est une activité intrinsèquement dangereuse, et les travailleurs et travailleuses du sexe font le choix délibéré de s'exposer à un danger, ce qui veut dire que, si nous vivons de la violence dans notre travail, c'est notre choix, nous l'avons voulu et nous en sommes même la cause. C'est ce qui est enseigné aux policiers, et c'est là‑dessus qu'ils fondent leurs interactions avec les travailleurs et les travailleuses.
    Nous ne pouvons pas continuer d'essayer de mettre fin à la violence en criminalisant et en surveillant les travailleuses du sexe. Les lois et les politiques jettent souvent le blâme de la traite des personnes directement sur les travailleuses du sexe elles-mêmes, leur donnant ainsi simultanément un statut de victime et un statut d'agresseur qu'il est impossible de concilier. Cela encourage les forces de l'ordre à contrôler les travailleuses du sexe pour des « vérifications du bien-être » et les habilite à procéder à des descentes, à des arrestations, à des expulsions et à d'autres formes de violence étatique.
    Une histoire tirée de ma propre carrière dans l'industrie du cinéma queer pour adultes vous aidera peut-être à comprendre. Un beau jour, une travailleuse du sexe que je n'avais jamais rencontrée a communiqué avec moi. Elle voulait confirmer qu'elle avait bien une audition avec mon entreprise. C'était la première fois que j'en entendais parler, parce que je ne tenais pas d'auditions. La vérité, c'est que quelqu'un utilisait ma réputation et mon statut de cinéaste pour leurrer des travailleuses du sexe pour qu'elles se rendent à une adresse rurale. Cet homme a volé mon nom pour avoir des rapports sexuels gratuits. C'est de la violence.
    Il savait que le système qui criminalise les travailleuses du sexe et leurs clients l'avantageait, en réalité, et il avait raison. Nous avons compris que nous ne pouvions pas le dénoncer à la police. Cette travailleuse était, à juste titre, et par expérience, plus préoccupée à l'idée d'être elle-même arrêtée, de perdre sa source de revenus et de perdre ses enfants. Pourquoi? Parce que les lois et les attitudes dépeignent les travailleuses du sexe à la fois comme les trafiquants et les victimes de la traite, à la fois comme les victimes et les agresseurs.
    Nous avions son adresse, mais nous ne pouvions pas porter plainte, alors nous avons fait ce que nous pouvions pour veiller à ce que les gens de la région soient en sécurité. Nous avons publié des avertissements en ligne. Nous avons communiqué avec les groupes locaux de travailleuses du sexe. Nous avons fait de notre mieux pour éviter que d'autres n'acceptent son invitation. Malgré tout, il ne faut pas oublier qu'Internet et les espaces physiques sont surveillés de façon à rendre le travail du sexe invisible et le tenir aussi loin que possible de la collectivité; par conséquent, nos avertissements ont une portée limitée. La situation n'a fait que se détériorer, ces dernières années, avec la loi contre la traite des personnes dans les espaces numériques. C'est de plus en plus difficile pour nous d'avertir les gens.
    Si nous voulons réduire les méfaits, nous devons prendre du recul et examiner les circonstances créées au Canada qui font que les gens se retrouvent dans ces situations: par exemple, un système d'immigration oppressif, la criminalisation du travail du sexe, la pauvreté, l'accès au logement, le nivellement par le bas des droits des travailleurs et du salaire minimum, le manque de soutien pour les personnes en situation de handicap et la surveillance policière des communautés marginalisées. Pour l'avenir, il faut mettre l'accent sur le soutien et non pas renforcer la criminalisation dans un système qui est déjà hostile aux femmes, aux filles et aux personnes de diverses identités de genre. Il faut éviter les attitudes condescendantes du type « l'expulsion et l'incarcération vont vous sauver ». Cela va peut-être vous surprendre, mais les gens n'ont pas envie d'aller en prison parce qu'ils ont dénoncé la violence au travail.
    Les travailleuses du sexe soutiennent depuis longtemps nos collectivités, même si elles sont criminalisées. Souvent, nous sommes les premières à voir un problème, mais nous ne pouvons pas aider si nous sommes arrêtées, surveillées davantage ou simplement ignorées quand nous portons plainte. Pour commencer, décriminalisez le travail du sexe, donnez un statut d'immigration aux travailleuses du sexe migrantes, donnez-leur un accès à un logement abordable et à un revenu de base viable et garanti, afin qu'elles puissent choisir le travail qu'elles font. Nous avons aussi besoin de systèmes d'éducation complets et inclusifs qui n'amènent pas les femmes à avoir honte de leur sexualité. Nous avons des lois contre la traite de personnes. Nous avons des lois, mais, si elles ne fonctionnent pas ou qu'elles ne sont pas appliquées, nous devons analyser la situation pour comprendre pourquoi, au lieu de faire de nouvelles lois qui ne feront que maintenir le statu quo.
    Pour conclure, j'ai une autre histoire, celle d'une travailleuse du sexe autochtone des Prairies. Elle écrit: « Quand j'étais jeune, j'étais itinérante, et j'ai dû me prostituer dans la rue pour survivre. J'ai toujours été ouverte sur le fait que j'ai été une travailleuse du sexe dans mes écrits, dans mes activités de militante et dans mes études. Je n'ai pas honte, parce que ce que je décris, c'est une expérience courante pour une jeune fille autochtone des Prairies. Le discours anti-travail du sexe est aussi anti-noirs, anti-autochtones, anti-prostituées, anti-trans et classiste, peu importe comment vous essayez de le camoufler derrière une parure de résistance et de décolonialisme. Si vous êtes en faveur du discours anti-travail du sexe, vous avez du sang autochtone sur les mains. Le seul endroit où j'ai trouvé un moyen de survivre était dans la rue. Il y a une force violente qui m'a poussée à faire le travail du sexe, et c'était le Canada et les Canadiens. »
    Nous, de la SWWAC, vous rappelons qu'il faut lutter contre l'exploitation et non pas contre les travailleurs et travailleuses du sexe. Ensemble, nous pouvons rendre le monde plus sécuritaire pour tout le monde, mais cela sera impossible si vous essayez de nous éradiquer.
    Merci beaucoup, et je répondrai bien sûr avec plaisir à toutes les questions que vous pourriez avoir.
(1540)
    Merci beaucoup.
    Vous respectez toutes vraiment bien le temps qui vous est alloué. C'est incroyable.
    Nous invitons maintenant Mme Wesley.
    Vous avez cinq minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Sandra Wesley. Je suis directrice générale chez Stella, l'amie de Maimie, une organisation située à Montréal fondée par des travailleuses du sexe et destinée aux travailleuses du sexe.
    Même si nous nous occupons de la défense de leurs intérêts, notre objectif premier est d'offrir des services aux travailleuses du sexe. Nous avons des contacts avec entre 5 000 et 8 000 travailleuses du sexe, en moyenne, dans toutes les sphères possibles de l'industrie du sexe de Montréal. Nous avons aussi une responsabilité envers la communauté des travailleuses du sexe; la communauté est grande, diversifiée et complexe.
    Chez Stella, et dans la plupart des organisations qui luttent pour les droits des travailleuses du sexe, nous avons pour politique de ne pas divulguer nos histoires personnelles. Nous pouvons nous identifier comme étant travailleuses du sexe, mais, par amour-propre et par respect pour nous-mêmes et notre communauté, nous ne racontons pas nos histoires d'horreur pour qu'elles soient utilisées contre nous; nous ne voulons pas vous faire pleurer ni mettre l'accent sur les émotions. D'une part, nos histoires sont toujours utilisées contre nous; d'autre part, nous avons aussi ce que nous appelons une charte, qui nous promet que nous avons des droits, peu importe l'opinion publique. Nous ne devrions pas être obligées de vous raconter un drame pour que vous nous écoutiez, et vous ne devriez pas interpréter notre intérêt réfléchi pour les droits de la personne comme signifiant que nous sommes d'avis qu'il n'y a pas de violence ou que nous ne vous disons pas ce que vous voulez entendre.
    Mon premier point est le suivant: le concept de la traite des personnes est tout à fait inutile lorsqu'il est question de violence contre les femmes et contre les travailleuses du sexe. C'est une idéologie. Durant la majeure partie du XXe siècle, le terme utilisé habituellement était « la traite des Blanches », ou en anglais White Slavery, et ce n'est que lorsque ce terme est devenu de toute évidence raciste que la langue a commencé à changer un peu.
    Cela tient entièrement à la notion raciste selon laquelle des hommes racisés s'en prenaient à des femmes blanches, pures et innocentes, et rien n'a changé depuis. Utiliser le terme « traite des personnes », c'est la stratégie délibérée d'un mouvement qui veut éradiquer l'intégralité de l'industrie du sexe parce que, de nos jours, dire simplement que nous détestons les travailleuses du sexe et que nous voulons les éradiquer ne fonctionne pas de la même façon.
    Vous n'avez pas nécessairement à me croire sur parole. Je vous invite à consulter le rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur la traite des personnes qui a été publié il y a quelques années — je crois que c'était en 2018 ou peut-être en 2019. Le chapitre 2 de ce rapport indique clairement qu'il y a deux types de témoins. Certains témoins ont dit qu'ils croyaient que le travail du sexe, c'était toujours lié à la traite des personnes, et les témoins qui étaient des travailleuses du sexe avaient une opinion un peu plus nuancée. Évidemment, vos collègues, à l'époque, ont choisi d'ignorer les travailleuses du sexe et ils ont gobé tout ce qui avait été dit par les gens qui voulaient éradiquer le travail du sexe.
    C'est votre travail d'examiner les témoignages et de rejeter les témoins qui exposent explicitement une idéologie et de vous questionner sur ce que vous entendez.
    J'ai entendu, dans de précédentes réunions de ce comité, des choses absolument scandaleuses, y compris qu'il est habituel, d'une certaine façon, que des personnes de 12 ans travaillent dans l'industrie du sexe. Aucune preuve n'appuie cette croyance. Si vous regardez tous les endroits destinés au travail du sexe qui font l'objet d'une descente policière à répétition, dans notre pays, habituellement, aucune fille de 12 ans ne s'y trouve. C'est totalement faux. L'âge moyen d'une personne qui commence à travailler dans ce secteur n'est pas 14 ans. C'est absurde. Si vous avez terminé votre quatrième année en mathématiques, vous devriez être en mesure de comprendre cela. Nous en avons assez de devoir toujours nous battre contre des choses totalement absurdes alors que personne n'entend ce que nous disons.
    La réalité, c'est qu'il y a depuis de nombreuses années, dans notre pays, une grande théorie entourant la traite des personnes. On y a consacré des centaines de millions de dollars, et aucune preuve ne l'appuie. Ce n'est pas parce que c'est bien caché. Ce n'est pas parce que les victimes ont trop peur. Nous sommes les victimes pour lesquelles vous dites vous inquiéter et nous sommes ici pour vous dire que cette approche ne fonctionne pas. Cette idéologie ne répond pas à nos besoins.
    Il ne s'agit pas de deux groupes distincts. Nous n'avons pas les travailleuses du sexe d'un côté et les victimes de la traite des personnes de l'autre. Ce n'est pas parce que nous choisissons de ne pas utiliser ce langage idéologique pour nous identifier que cela veut dire que nous ne sommes pas précisément les femmes dont vous parlent les experts qui luttent contre la traite des personnes. La plupart d'entre nous seraient définies comme des victimes de la traite des personnes selon les définitions des militants qui luttent contre le travail du sexe.
    En 2014, en adoptant la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, le Parlement s'est fixé pour objectif d'éradiquer les travailleuses et travailleurs du sexe. Ce n'est pas compatible avec le moindre objectif visant à garantir notre protection, le respect de nos droits humains ou que nous ayons de bonnes conditions de travail. En fin de compte, la traite des personnes correspond à de mauvaises conditions de travail. Elle correspond au travail forcé ou à des conditions de travail si terribles qu'elles correspondent à cette définition de la traite des personnes.
    Si, en tant que groupe, nous n'avons pas accès aux normes fondamentales du travail, au salaire minimum, à un nombre maximal d'heures de travail, à des congés, à des vacances payées ou à des congés de maternité ou que nous n'avons pas accès aux normes de santé et sécurité au travail, il est impossible de même commencer à envisager quelle pourrait être la définition de la traite des personnes dans une telle industrie. La traite des personnes est un concept utile lorsque nous parlons des travailleurs qui ont des droits et de choses hors norme.
(1545)
    Lorsqu'on s'attarde à la traite des personnes, on ne voit pas la violence que nous vivons réellement. Nous vous disons qu'il y a des tueurs en série qui nous assassinent, et ce n'est pas intéressant. Si nous ne parlons pas en termes de traite des personnes, ce n'est pas important. Nous vous disons que nous sommes agressés sexuellement, que nous sommes...
    Oui, le temps est écoulé, mais je vais terminer en parlant de la violence dont nous sommes victimes. Merci.
    Nous vous disons que nous nous faisons voler. Nous sommes...
    Excusez-moi, je suis désolée.
    Madame Wesley, respectueusement, je vous écoute. Nous vous écoutons tous. Nous avons un temps à respecter afin que nous puissions tous poser ces questions très importantes. Lorsque vous dites des choses comme « personne ne nous écoute », c'est pour cette raison que nous devons respecter le temps alloué: c'est pour que nous puissions réellement poser ces questions.
    Je suis d'accord avec ce que vous dites, mais, en tant que présidente, je vais maintenant laisser la parole aux autres députés. Nous devons respecter cela. Je vais vous respecter, vous allez me respecter et nous allons tous très bien nous entendre.
    Puis‑je vous demander si vous avez encore besoin de quelques secondes ou de quelques minutes?
    Je peux terminer en 30 secondes si vous le voulez.
    S'il vous plaît, finissez dans 30 secondes.
    Comme je le disais, nous clamons haut et fort depuis des années que notre employeur peut nous voler en toute impunité, que nos clients peuvent nous agresser et nous menacer et que nos propriétaires peuvent nous évincer. Nous parlons de conditions de travail absolument terribles. Si nous ne sommes pas prêtes à dire qu'il s'agit de traite des personnes et que nous ne convenons pas que la solution, c'est de perdre notre travail et de trouver autre chose à faire dans la vie, cela n'intéresse vraiment personne.
    La solution est la suivante: si vous êtes préoccupés par la violence dont sont victimes les travailleuses du sexe, ne dites pas qu'il s'agit de traite des personnes. Dites que vous êtes préoccupés par la violence infligée aux travailleuses du sexe, et vous finirez par conclure que la première étape dont nous avons besoin et qui est absolument essentielle est la décriminalisation.
    Madame Wesley, merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à notre série de questions. À chaque série, chaque parti aura l'occasion de s'exprimer.
    Nous allons commencer par Mme Michelle Ferreri; vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    J'aimerais vraiment remercier nos témoins d'être présents aujourd'hui devant le Comité de la condition féminine, au moment où nous commençons une étude sur la traite des personnes. Cela a été intéressant. Merci beaucoup de vos témoignages.
    Je vais commencer par Mme Lam.
    Madame Lam, je crois qu'il y a encore beaucoup de confusion. Elle découle peut-être d'une bonne intention, celle de vouloir protéger les femmes, mais il existe tout de même encore beaucoup de confusion entre le travail du sexe et le trafic sexuel.
    Je vous demanderais d'aider à informer les personnes qui nous regardent de la maison. Quelle est la différence? Comment pouvons-nous nous assurer que nos êtres chers, les membres de notre famille et nos amis sont protégés, si cela suppose un choix? Quelle est la différence?
(1550)
    Mme Wesley vient de l'expliquer. Les termes « traite des personnes » ou « trafic sexuel » sont inutiles et portent à confusion. De nombreux organismes de lutte contre le travail du sexe qualifient de traite des personnes tout type d'activité dans l'industrie du sexe.
    Si nous pouvions supprimer cette idéologie selon laquelle c'est mal de travailler dans l'industrie du sexe, que personne ne devrait le faire et que nous devrions trouver d'autres types de travail... Les personnes qui vivent des situations différentes ont peut-être besoin de travailler dans l'industrie du sexe. Chaque personne vit des choses différentes, et quelqu'un peut vouloir devenir chef dans une cuisine. Lorsque vous demandez aux aides familiales si elles ont voulu quitter leur famille et prendre l'avion pour prendre soin des enfants des autres, elles ne vous diront pas qu'il s'agit de leur travail idéal. Cela ne veut pas dire qu'il faut criminaliser ce type de travail.
    Je pense que c'est pour cela que votre comité rencontre toujours autant de problèmes. C'est parce que la définition de traite des personnes est si souvent utilisée pour parler du travail du sexe. Ce terme vise à éradiquer les travailleuses du sexe. Il fait en sorte que les gens démonisent le travail du sexe. Je pense que c'est pour cette raison...
    Merci. Je suis désolée de vous interrompre. C'est le temps: je n'ai qu'un certain temps pour poser mes questions.
    Je suis confuse. Dites-vous qu'il n'y a pas de différence entre le trafic sexuel et le travail du sexe, ou tout simplement que vous ne voulez pas utiliser cette terminologie?
    Nous n'avons pas à gaspiller de l'énergie et à perdre autant de temps pour cerner qui est victime de la traite des personnes et qui ne l'est pas. Qu'est‑ce que la traite des personnes? Nous entendons des histoires. C'est peut-être lié à la violence familiale.
    De nombreuses personnes dans notre communauté... Si je suis une travailleuse du sexe et que j'accepte de l'argent, je suis perçue comme une victime de la traite des personnes. Donc, si vous retirez le terme « traite des personnes », nous pouvons commencer à chercher une façon de donner aux femmes le pouvoir et la capacité de se définir elles-mêmes.
    Je suis désolée, madame Lam. J'essaie seulement d'être succincte, ici.
    Ce que nous examinions, c'est le fait qu'il y a une très grande différence entre quelqu'un qui choisit... Le documentaire sur Pornhub — je ne sais pas si vous l'avez regardé — , intitulé Money Shot: the Pornhub Story, a fait un excellent travail. Je ne sais pas si vous êtes d'accord ou pas. J'ai pensé qu'il avait fait un très bon travail en créant...
    Nous parlons de deux choses très différentes. Je pense que personne, ici, ne juge celles qui choisissent en toute connaissance de cause de travailler comme escorte, dans l'industrie du sexe ou peu importe la façon dont vous voulez appeler cela. Nous tentons de déterminer comment dire au public... Si une entreprise d'escortes ouvre ses portes, c'est du travail du sexe; ce n'est pas le cas quand une enfant, en ligne, se fait piéger et a un proxénète, un proxénète violent ou un proxénète romantique, qui la manipule, l'utilise et contrôle sa vie. Nous tentons de faire voir la différence. Nous voulons soutenir les femmes qui font ce choix compte tenu de leur situation.
    Je pense que ce que vous dites mêle un peu le Comité. Vous dites que la traite des personnes n'existe pas.
    Je dirais seulement, par exemple, que, lorsque le travail du sexe est toujours criminalisé, lorsqu'il est perçu comme de la traite des personnes et de l'exploitation, nous ne pouvons pas distinguer la violence. Nous savons très bien qu'une grande part de la violence fondée sur le sexe est...
    J'ai un peu de difficulté avec cela, parce que j'ai accompagné...
    Je suis désolée, madame Lam...
    La présidente: Je dois...
    Mme Michelle Ferreri: Est‑ce tout le temps que j'avais, madame la présidente?
    Je dois vous interrompre un petit moment. Non, nous avons encore du temps.
    Je sais que c'est parfois très difficile, virtuellement, mais les personnes qui posent les questions ont bel et bien le temps. Nous tentons de répartir le temps aussi également que possible, mais, lorsque la personne qui pose les questions interrompt... Essayons d'être plus disciplinés. Merci beaucoup.
    Je voulais dire que j'ai accompagné en patrouille des policiers de l'une de nos unités anti-traite de personnes, dans ma circonscription de Peterborough—Kawartha.
    Les agents semblaient parfaitement savoir qui étaient les escortes ou les travailleuses du sexe, et ils les laissaient tranquilles. Ils avaient une excellente relation avec elles. Ils savaient qu'elles ne faisaient pas partie d'un groupe de femmes vulnérables qui étaient utilisées. Ils savaient que ces femmes avaient choisi ce mode de vie. Elles étaient indépendantes. C'étaient des entrepreneures, à défaut d'un autre terme. Elles n'étaient sous l'emprise de personne.
    C'est vraiment ce que j'ai vu, dans mes interactions avec la police, et c'est aussi ce que j'ai vu quand nous sommes allés à Halifax. Je n'ai entendu parler d'aucun agent de police qui aurait arrêté des entrepreneures légitimes. Tout ça pour dire que je ne comprends pas ce que vous dites.
(1555)
    Dans le système juridique actuel, les autres tierces parties, celles qui aident les autres travailleuses du sexe à annoncer leurs services, par exemple, ou qui aident d'autres personnes à trouver un endroit où travailler, sont toutes devenues illégales. Dans ce discours, dans cette histoire et aussi dans la loi, ces groupes sont souvent perçus comme des trafiquants d'êtres humains. C'est pour cette raison que je répète toujours que cela nous cache l'autonomie de ces personnes et que nous ne pouvons pas voir quelle est leur véritable situation, quand on qualifie le travail du sexe de « traite de personnes » ou quand on considère que le travail du sexe c'est de l'exploitation. C'est pour cette raison qu'il y a tant d'agents de police qui continuent de harceler les travailleuses du sexe...
    Merci beaucoup, madame Lam.
    La parole va maintenant à Mme Emmanuella Lambropoulos, qui est elle aussi en ligne.
    Assurons-nous seulement que vous avez toutes les deux autant de temps pour vous exprimer.
    Madame Lambropoulos, vous avez six minutes.
    Merci, madame la présidente.
    J'aimerais tout d'abord remercier toutes les témoins d'être ici avec nous pour nous éclairer dans le cadre de notre étude.
    Premièrement, j'aimerais donner à Mme Wesley l'occasion de continuer ce qu'elle disait dans sa déclaration liminaire. Je sais que nous avons une limite de temps à respecter, et je comprends la décision de la présidente, mais je sais que vous avez commencé à parler de la violence que les travailleuses du sexe subissent, effectivement. Vous pouvez poursuivre, puis je poserai mes questions.
    Merci beaucoup.
    Ce que j'essayais d'expliquer, plus tôt, c'est que je suis certaine que d'autres témoins vous ont parlé de l'amalgame entre le travail du sexe et la traite de personnes, mais il y a aussi un amalgame entre toutes les formes de violence contre les travailleuses du sexe et la traite de personnes.
    La définition de la traite de personnes devrait être très précise et englober le travail forcé et d'autres choses très spécifiques. Ce qui se passe, présentement, c'est que toutes les formes de violence contre les travailleuses du sexe et toutes les formes de mauvaises conditions de travail sont inscrites sous la rubrique « traite de personnes ».
    Nous ne sommes pas en train de dire que la violence n'existe pas. Au contraire, nous tentons désespérément d'obtenir de l'aide pour mettre fin à la violence. Nous savons que, dans n'importe quelle autre industrie, quand les conditions de travail sont mauvaises, les travailleurs forment un syndicat. Nous le voyons ici, à Ottawa: les travailleurs du gouvernement qui sont syndiqués se battent pour leurs droits. En tant que travailleurs et travailleuses du sexe, nous devrions avoir les mêmes droits. Si nous n'avons pas ces droits fondamentaux en tant que travailleuses, cela n'a aucun sens de commencer à demander si nous sommes ou non victimes de la traite de personnes, parce que nous ne pouvons même pas travailler légitimement et nous donner de bonnes conditions de travail.
    Ce qui m'intéresse — et je pense que cela intéresse aussi bien des membres du Comité —, c'est de trouver une façon d'éviter que d'autres tueurs en série s'en prennent aux travailleurs et travailleuses du sexe et aussi d'éviter que le gouvernement envoie aux gens qui exploitent ou maltraitent les travailleuses du sexe le message qu'ils peuvent le faire parce que « les travailleuses du sexe sont de bonnes victimes pour vous, parce qu'on ne va pas vous attraper; vous pouvez utiliser la violence contre les travailleuses du sexe, parce que nous voulons aussi les éradiquer. Si vous voulez exploiter le travail d'une autre personne, aussi bien le faire dans l'industrie du sexe, parce que les travailleuses n'ont pas de droits et qu'elles auront plus peur de la police que de vous. »
    Il est vraiment important de cesser de faire cet amalgame entre le travail du sexe et la traite de personnes. Il est aussi très important d'arrêter de faire un amalgame entre la violence contre les travailleuses du sexe et les femmes en général et la traite de personnes.
    Merci beaucoup de cette clarification.
    Je viens de vous entendre dire que la définition de la traite de personnes devrait englober le travail forcé. Évidemment, avant de prendre part à cette étude, je croyais que c'était justement ça, la traite de personnes. Si nous devions modifier la définition et créer une loi, ou alors abroger ou corriger la loi actuelle sur la traite de personnes, quelles recommandations spécifiques feriez-vous, par rapport à la définition concrète que vous voudriez utiliser? Nous parlerons ensuite des droits des travailleuses du sexe; c'est ma prochaine question.
    Premièrement, et c'est le plus évident, il faudrait abroger les dispositions sur l'expulsion des travailleuses du sexe migrantes, peu importe le type de travail qu'elles font. C'est la première chose à faire, et la plus urgente. Ensuite, il ne suffit pas de modifier les lois sur la traite de personnes. Il faut abroger les lois sur le travail du sexe, qui sont presque mot pour mot les lois qui définissent de facto tout le travail du sexe comme de la traite de personnes. C'est ce dont nous avons besoin, pour commencer, si nous voulons avoir une discussion intelligente à propos de la traite de personnes.
    L'autre chose, c'est qu'il faut cesser d'élaborer de nouveaux projets de loi qui visent à faire en sorte qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une victime. Il y a des victimes qui hurlent, devant les tribunaux; il y a des affaires de ce genre que vous pourriez lire. Vous pouvez lire des décisions sur des affaires de traite de personnes où la victime pleure et hurle devant le tribunal: « Je ne suis pas victime de la traite de personnes. Laissez-moi tranquille. Je ne veux pas être ici. » Pourtant, on la force tout de même à témoigner pendant des jours et des jours, dans des conditions très traumatisantes. Il faut abandonner l'idée que nous sommes tellement traumatisées qu'il faut nous forcer à nous considérer comme des victimes. Voilà, essentiellement, la première étape. Lorsque nous aurons une définition cohérente du travail du sexe en tant que travail, je pense que le concept de la traite de personnes deviendra beaucoup plus clair.
    Enfin, il faut arrêter d'avoir des normes différentes pour les travailleuses du sexe. La plupart des gens travaillent parce que nous vivons dans un système capitaliste et qu'il faut de l'argent pour payer ses factures. Personne ne va dans un restaurant rapide pour demander aux employés s'ils se sentent autonomes et s'ils ont choisi ou sont forcés d'aller travailler ce jour‑là. On tient pour acquis que les gens doivent travailler. Même l'assurance-chômage dit que vous devez accepter tout travail décent que vous pouvez trouver, sans poser de questions. Il faut avoir les mêmes normes pour les travailleuses du sexe. Nous ne sommes pas victimes de la traite de personnes simplement parce que nous n'aimons pas notre travail. Nous pouvons détester notre travail, et décider tout de même de le faire, parce que c'est de cette façon que nous payons les factures; c'est beaucoup plus nuancé que cela. Dans cette discussion, il faut avoir la même rationalité que quand il est question d'autres formes de travail. Ce sera vraiment de cette façon que nous pourrons commencer à trouver des solutions et avoir une discussion sur la traite de personnes...
    Un dernier petit point, la traite de personnes n'est pas la même chose que la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Le concept de la traite de personnes, c'est la vente d'êtres humains. La traite à des fins d'exploitation sexuelle, c'est la vente de sexe, tout comme le trafic de stupéfiants, c'est la vente de drogues, et le trafic d'armes à feu, c'est vendre des fusils. C'est cet amalgame entre les deux qui fait que les gens confondent le travail du sexe et la traite de personnes et créent un nouveau vocabulaire qui est très préoccupant.
(1600)
    Il vous reste 45 secondes, madame Lambropoulos.
    Merci, tout le monde.
    Merci beaucoup, madame Wesley.
    Il vous reste 45 secondes.
    J'avais entendu cinq.
    Non, j'ai dit 45 secondes. Profitez‑en.
    J'ai une question complémentaire, madame Wesley. Plus tôt, vous avez dit que la raison pour laquelle nous avons entrepris cette étude tenait en grande partie au fait que les travailleuses du sexe sont souvent maltraitées par leur employeur, par exemple, et que c'est parce qu'elles n'ont pas de droits, vu que leur travail n'est pas reconnu par le gouvernement. Je me demandais si vous aviez des recommandations spécifiques à faire quant aux éléments de base qui devraient être inclus dans la définition du travail du sexe, s'il y en avait une, et quant à ce qui devrait être permis.
    Madame Lambropoulos, vous avez pris 40 secondes pour poser votre question. Je vous laisse une dizaine de secondes, et ensuite nous pourrons demander une réponse par écrit pour votre question également.
    À sexworklawreform.com, nous avons un document de 80 pages contenant des recommandations très détaillées pour une réforme législative à propos du travail du sexe. Nous avons intenté une contestation constitutionnelle contre le gouvernement du Canada. Vous pouvez consulter tout cela, nos arguments ainsi que ceux du gouvernement, et je vous encourage à le faire si vous voulez comprendre la violence associée à la criminalisation du travail du sexe.
    Merci beaucoup.
    La parole va maintenant à Mme Louise Chabot.
    Madame Chabot, vous avez six minutes.

[Français]

     Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je remercie beaucoup tous les témoins de leurs témoignages.
    Madame Wesley, Stella est un regroupement reconnu depuis maintenant plus de 25 ans, je crois. Je pense que les droits des travailleuses du sexe sont reconnus, tout comme le fait qu'ils doivent être protégés.
    Corrigez-moi si je fais erreur, mais, à propos de la traite des femmes, vous disiez tout à l'heure qu'il n'y avait pas de gamines chez les travailleuses du sexe.
    Peut-être, mais l'Organisation internationale du travail se penche quand même de plus en plus sur la question des victimes de la traite qui sont des enfants. Il y aurait 34 % des victimes qui sont des enfants. Quand on parle de traite, on ne parle pas nécessairement d'enfants qui ont fait le choix du travail du sexe. On parle de traite. D'ailleurs, les enfants migrants sont très vulnérables à la traite des personnes ou à des formes d'exploitation qui peuvent être sexuelles, de travail ou de mendicité, de même qu'au prélèvement d'organes ou à l'exploitation pour servir des soldats.
    La traite des personnes est une réalité. Je comprends qu'il y a une distinction à faire entre le travail du sexe et la traite des personnes, mais reconnaissez-vous l'existence des choses dont je parle?
(1605)
     Évidemment, nous ne sommes pas en train de dire qu'il n'y a pas de comportement violent qui s'apparente à certaines définitions beaucoup plus réduites de la traite humaine. Il y a des situations d'abus extrêmes qui respectent les définitions. Ce sont des situations qui sont très marginales et beaucoup plus rares que ce que les chiffres montrent souvent. D'ailleurs, il est très difficile de faire confiance aux chiffres, parce que les définitions ne sont pas claires. Cela inclut aussi des données de sources qui ne sont pas fiables.
    Par contre, ce que nous savons, surtout si on revient à la situation de la traite humaine, particulièrement au Canada, c'est que des personnes mineures échangent des services sexuels, et qu'elles le font surtout dans de très mauvaises conditions. Dans nos communautés, nous voyons sont souvent des jeunes LGBT qui ont été expulsés de leur famille d'origine, notamment des jeunes hommes gais qui se retrouvent dans la rue et qui n'ont pas le choix, afin de survivre, de trouver quelqu'un qui va payer le loyer, quelqu'un avec qui ils auront des relations sexuelles. Pour beaucoup de ces jeunes, le problème central dans leur vie, ce n'est pas l'échange de services sexuels. Ils vont être très vulnérables devant des agresseurs qui vont tirer avantage de la situation. Ultimement, c'est parce qu'ils n'ont pas de place dans la société. Ils n'ont pas d'endroit où habiter. Ils ne font pas confiance au système de protection de la jeunesse. Ils doivent se cacher de la police. C'est de là que vient surtout cette violence.
    La plupart des jeunes filles qui se retrouvent également dans de telles situations sortent des centres jeunesse ou se retrouvent dans la rue dans des situations difficiles. De jeunes filles autochtones se retrouvent en ville sans aucun soutien.
     L'échange de services sexuels est rarement le problème de ces personnes. Quand nous leur parlons, elles nous disent qu'elles veulent être en sécurité et survivre et que la violence qu'elles ont subie est un problème. Pour elles, l'échange de services sexuels représente une solution. Selon elles, ce n'est pas pire qu'aller voler un vélo pour survivre ou quêter de l'argent sur le coin de la rue que faire tout autre chose quand on se retrouve vraiment dans des situations difficiles.
    À mon avis, si on met l'accent sur ces enjeux, c'est là qu'on voit aussi des solutions. La répression policière contre l'industrie du sexe, y compris cette recherche infinie de mineurs, vient souvent mettre ces jeunes plus en danger et peut les pousser à se cacher davantage. Cela donne beaucoup de place aux agresseurs pour pouvoir les cibler en toute impunité.
    La question n'est pas de nier ou non la violence ou la violence résultant de la traite des personnes. Il y a en effet des jeunes qui échangent des services sexuels dans de très mauvaises conditions. Il s'agit plutôt de revenir à leur réalité et de leur demander ce dont ils ont besoin.
    La répression policière n'est pas la solution.
    Je comprends ce phénomène. J'essayais de dire que la traite des personnes existe quand même. Je ne connais pas l'ampleur de ce phénomène au Canada. Il serait intéressant de le connaître et d'en comprendre les conditions.
    Certains diront que les facteurs liés à la pandémie ont beaucoup influencé la situation en raison, probablement, des conditions de pauvreté, entre autres. Certaines personnes qui font la traite d'individus ne sont pas, au départ, des travailleuses du sexe. On exploite ces personnes à toutes sortes de fins, dont la violence sexuelle où on va les victimiser dans ce sens. Ce n'est pas le choix de la personne au départ. On fait la traite d'une personne dans un but précis. Cette personne se retrouve victime de la traite.
    La raison pour laquelle il est possible pour des personnes d'exploiter d'autres personnes dans l'industrie du sexe, c'est parce que cette industrie est criminalisée. Il s'agit de la même dynamique de violence que celle de beaucoup d'autres types de violence, mais cette dynamique va plus loin parce que l'industrie est criminalisée.
    Je donne souvent l'exemple d'une infirmière qui travaille dans un hôpital. Elle peut être sous l'emprise de quelqu'un de violent qui peut prendre tout son chèque de paie, qui la bat, qui la force à faire des heures supplémentaires. Assez rapidement, elle pourra se tourner vers ses collègues et leur demander de l'aide parce qu'elle est dans une situation difficile. Cette situation va habituellement arrêter. Elle ira voir la police et elle sera prise au sérieux.
    Quand on est dans une industrie qui est criminalisée, où tout le monde doit se protéger de la police, où notre chauffeur, notre réceptionniste, notre client peuvent tous aller en prison, cela donne l'occasion à des agresseurs d'être violents ou de profiter des personnes. C'est pour cette raison qu'il est impossible de séparer les préoccupations liées à la traite des personnes de la décriminalisation du travail du sexe. Une fois qu'il y a une décriminalisation, on a alors des leviers pour mettre fin à ces types d'exploitation.

[Traduction]

    Excellent. Merci beaucoup.
    La parole va maintenant à Mme Leah Gazan.
    Madame Gazan, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je m'excuse d'avoir ri ou gloussé, mais j'ai trouvé cela drôle. À dire vrai, je ne connais personne qui travaille dans un restaurant rapide et qui affirme qu'il adore faire cuire des burgers à deux heures du matin, mais peu importe, je voulais m'excuser d'avoir ri.
     Je vais m'adresser d'abord à Mme Lam.
    Vous avez dit qu'il fallait une solution de rechange à la police. J'essaie justement de créer une initiative pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, l'alerte robe rouge. Ce que je dis, c'est que la surveillance doit être distincte de la police.
    Voici pourquoi: nous revenons de Halifax. Cela ne m'a pas choqué, mais c'était plus répandu que je ne m'y attendais. On a parlé des clients. Une étude sur le travail du sexe a conclu que, parmi les gens qui achetaient des services sexuels, 50 % faisaient partie des forces de l'ordre et 38,9 % étaient des professionnels, comme des médecins et des avocats, donc des gens qui font partie du système judiciaire. Pour ce qui est des propriétaires et des employeurs, c'était 38,9 %, ce qui n'est pas surprenant, et pour les leaders politiques, spirituels et culturels — donc, des gens qui, je dirais, font partie du monde politique —, c'était 27,8 % des clients.
    Je pense qu'il est logique de dire que les gens qui sont aussi vos clients ne peuvent pas, objectivement, assurer votre protection. Est‑ce bien l'une des raisons?
(1610)
    Je pense qu'il faut distinguer, d'un côté, les clients qui paient et qui sont en réalité un réseau de soutien important pour les travailleuses du sexe et, de l'autre côté, les agresseurs, ceux qui prétendent être des clients pour causer préjudice à la communauté.
    Comme le travail du sexe est criminalisé, il arrive souvent que des agents des forces de l'ordre, y compris des policiers chargés de l'application de la réglementation, vont se faire passer pour un client, puis vont abuser de la travailleuse du sexe en refusant de payer ou en la menaçant de l'arrêter si elle ne coopère pas. Je n'ai pas lu les études, mais c'est parfaitement clair, c'est ce qui arrive. N'importe qui peut être un client, mais, si nous considérons que tous les clients sont de mauvais clients, alors nous ne pouvons pas les départager.
    C'est donc pourquoi, aux fins d'une réforme de la loi sur le travail du sexe, nous recommandons également de décriminaliser le travail du sexe, afin de pouvoir différencier les travailleurs et travailleuses du sexe et leur donner un revenu et du soutien, mais aussi de comprendre de quelle façon ces gens causent préjudice à nos travailleuses du sexe. Ensuite, les forces de l'ordre, justement...
    Excusez-moi, mais mon temps est limité.
    Je comprends. J'ai bien sûr entendu parler, à Winnipeg, de menaces venant des gens en position d'autorité. Ceux qui ont le pouvoir vous disent de faire ceci ou cela, sinon ils vont vous arrêter ou vous menacer d'autre chose.
    Ce qui m'amène à un autre point. J'aimerais m'adresser à Mme Sinclaire.
    Ma théorie générale est que, quand on décide qu'une personne est illégale — n'importe qui, mais il est question aujourd'hui des travailleurs et des travailleuses du sexe —, on l'expose à un risque. Je pense que nous avons entendu beaucoup d'exemples qui montrent que, quand quelque chose d'illégal arrive, cette personne n'a nulle part où aller, parce qu'elle est illégale elle-même.
    Êtes-vous d'accord? Pourriez-vous nous parler un peu plus de cela?
    Oui, tout à fait. Pour en revenir aux histoires dont j'ai parlé tout à l'heure, il existe des espaces où les personnes qui ne sont pas criminalisées pourraient chercher une forme d'aide, alors que, dans ces situations...
    Je raconte ces histoires pour faire valoir mon point de vue. En ce qui me concerne, j'ai subi du harcèlement en raison des lois contre la traite de personnes, qui m'obligent à publier l'adresse où je conserve mes dossiers. L'information est accessible au public, donc, bien sûr, des gens se sont présentés pour essayer de trouver mon bureau, des choses comme ça. J'ai contacté la police à un moment donné, lorsque la situation est devenue vraiment inquiétante, et elle m'a répondu des mois plus tard. Les policiers m'ont dit que, bien sûr, ce type était intéressé. Ils m'ont dit « À quoi vous vous attendiez? Vous travaillez dans un domaine dangereux. » Il n'y a eu aucun suivi. Il n'y a eu rien d'autre.
    Cela limite vraiment notre capacité à demander de l'aide.
    Il y a aussi les vérifications du bien-être; des membres de la Sex Workers of Winnipeg Action Coalition, ou SWWAC, nous ont fait part de leurs histoires sur les contrôles de police. Je crois comprendre que, à Halifax et dans le cadre des patrouilles, on vous déroule le tapis rouge, mais en réalité, ces vérifications du bien-être ont permis aux travailleuses de sexe à découvrir, au moyen des demandes au titre de la Loi sur l'information et la protection de la vie privée, que leurs dossiers contenaient des notes relatives à la prostitution. Aujourd'hui, elles ne peuvent pas aller aux États-Unis. Elles ne peuvent pas voyager. Elles n'ont commis aucun crime, mais cela figure d'une façon ou d'une autre dans leur dossier de manière permanente.
    Ajoutons à cela que... Je sais que vous êtes de Winnipeg et que vous êtes au courant de certaines des difficultés dont on parle ici.
    Le rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié. Nous savons que le système de protection de l'enfance — et je crois que Mme Wesley nous a donné un exemple aujourd'hui — est une voie vers les assassinats et les disparitions. Il y a également eu des appels à la justice très clairs dans l'enquête nationale concernant le travail du sexe.
    L'une des choses que je mets en avant — vous serez d'accord ou non avec moi — est qu'il existe une différence très claire entre l'exploitation sexuelle des enfants... On normalise l'exploitation sexuelle dans notre pays si on appelle un enfant de 11 ans un travailleur du sexe. Il ne l'est pas. Il est un enfant exploité sexuellement.
    Êtes-vous d'accord...? Il ne me reste plus de temps.
(1615)
    Nous avons dépassé de beaucoup le temps alloué.
    Ce que je vais faire, c'est en ajouter un peu, parce qu'elle... Gardez cela à l'esprit pour notre prochaine série de questions. Nous reviendrons à Mme Leah Gazan, puis nous pourrons poser la question, parce que nous avons dépassé de beaucoup le temps alloué. Je veillerai à ce que le temps soit respecté.
    Madame Vien, vous êtes de retour. Nous allons nous limiter à cinq minutes, avec deux séries de deux minutes et demie.

[Français]

    Je remercie les témoins d'être là aujourd'hui.
    Je vais d'abord m'adresser à vous, madame Elene Lam. Vous avez dit que la police était une des principales sources de problèmes relativement au sujet que nous étudions à ce comité. Du même souffle, vous avez dit qu'il faudrait trouver une solution de rechange.
    Que vouliez-vous dire exactement?

[Traduction]

    Chez Butterfly, plus de 60 % de nos membres ont déclaré avoir subi différents types de violence de la part de la police et des forces de l'ordre. Étant donné que le système policier est conçu pour mettre fin au travail du sexe et surveiller de nombreuses personnes racisées et migrantes, si vous lui donnez la mission d'aider d'autres travailleurs, particulièrement les travailleuses du sexe migrantes, cela ne fonctionne pas.
    C'est pourquoi je pense que, devant votre comité et à de nombreuses occasions, certaines personnes disent que la victime a trop peur pour parler et signaler ce qui lui est arrivé, mais c'est faux. La victime dit constamment qu'elle ne fait pas confiance à la police. Elle ne veut pas aller voir la police, et c'est pourquoi...

[Français]

    Excusez-moi de vous interrompre, madame Lam. Qu'est-ce qui devrait être mis en place pour remplacer la police, dans ce cas?

[Traduction]

    Par exemple, dans de nombreux cas, dans le domaine de la santé mentale, il existe aujourd'hui davantage d'initiatives de soutien communautaire, car les travailleuses du sexe sont les meilleures défenseures des droits et de la sécurité des autres travailleuses du sexe. Quand les travailleuses du sexe ne sont pas criminalisées, elles peuvent se protéger les unes les autres et contrôler les mesures de sécurité et ainsi savoir si quelqu'un prend le pouvoir à d'autres travailleuses du sexe et si elles travaillent en sécurité.
    De nombreuses initiatives peuvent donner des résultats à leurs communautés, particulièrement la communauté des travailleuses du sexe, pour qu'elles puissent se soutenir mutuellement...

[Français]

    Merci beaucoup, madame Lam.
    Madame Wesley, soyez la bienvenue.
    Vous avez parlé des normes du travail. En quoi la mise en place de normes du travail, notamment pour les travailleurs du sexe, ferait-elle en sorte d'éloigner la traite?
    Pour être bien claire, je précise nous ne demandons pas nécessairement des normes particulières. La décriminalisation ferait en sorte que nous aurions accès aux mêmes normes que d'autres travailleuses.
    Si on travaille dans un organisme communautaire ou pour le gouvernement, par exemple, et qu'on ne se fait pas payer, on est protégé par les normes du travail, on peut déposer une plainte et il y a un processus. Quand on est dans un milieu criminel, la seule option qu'on a, c'est la police, qui va fermer notre milieu de travail et saisir l'argent qui nous est dû, de toute façon. C'est là que la violence peut monter. C'est pourquoi il y a de la violence dans toute industrie criminalisée. Il faut s'armer et se méfier de toutes les personnes autour de nous.
    Alors, les normes du travail et les autres programmes afférents, comme l'assurance-emploi, feraient en sorte qu'on serait en mesure d'utiliser des leviers administratifs plutôt que répressifs.
    Pensez-vous vraiment que cela permettrait d'éradiquer le problème?
    Parler d'éradiquer la violence dans ce milieu revient à parler d'éradiquer la violence sexuelle ou conjugale. C'est difficile de croire quelque chose d'aussi extrême que cela, parce que cela a des racines beaucoup plus profondes, et la violence envers les femmes est partout dans la société.
    Cependant, les normes du travail changeraient complètement la situation, de la même façon qu'elles ont réduit le recours aux enfants dans les mines et toutes sortes d'autres abus. Pour nous, en tant que mouvement de travailleuses, c'est la voie de l'avenir. En Nouvelle‑Zélande, il y a des exemples très concrets de ce que cela veut dire.
    Merci, madame Wesley.
    Madame Sinclaire, je vous remercie d'être là aujourd'hui. Parlez-vous français?
(1620)
     Je ne le parle pas assez.
    Madame Sinclaire, que souhaiteriez-vous voir dans notre rapport? Comme parlementaires, qu'est-ce que nous pourrions écrire dans un rapport qui ferait la différence? Vous connaissez bien l'industrie, vous êtes étudiante en droit, vous êtes une personne qui réfléchit et, de toute évidence, vous avez une vision large de ce qu'est cette industrie.
    Madame la présidente, je ne sais pas si elle a assez de temps pour répondre.

[Traduction]

    Vous avez en fait 30 secondes pour répondre.
    Je formulerai une recommandation importante: ne pas suivre les pays qui adoptent des lois contre la traite à des fins sexuelles ou contre la traite des personnes, plus précisément les États-Unis, qui ont lancé une initiative numérique, par l'entremise de deux textes de loi appelés FOSTA/SESTA, visant les sphères numériques. Ces textes de loi ont changé radicalement la vie des travailleuses du sexe, et pour le pire.
    Les lois ont supprimé l'accès à des moyens de communication sûrs sur Internet. Quand ces services ont été lancés, dans chaque ville, on a constaté une baisse du nombre de meurtres de travailleuses du sexe. Maintenant qu'elles ont été abrogées — cela fait maintenant cinq ans —, la loi a été utilisée une fois pour prouver la traite, mais elle en fait la cause des meurtres.
    Merci beaucoup, madame Sinclaire.
    Nous allons maintenant passer à Mme Anita Vandenbeld.
    Madame Vandenbeld, vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je n'ai que cinq minutes et j'ai une question pour chacune d'entre vous; je vous demanderai donc de répondre brièvement.
    J'aimerais commencer par vous, madame Lam, en particulier au sujet de l'interdiction pour les ressortissants étrangers de travailler dans l'industrie du sexe consensuel. C'est une chose dont bon nombre d'entre nous ignoraient l'existence jusqu'à cette étude.
    Pourriez-vous nous faire part de votre recommandation sur ce que nous pouvons faire à ce chapitre? S'agit‑il simplement de supprimer complètement cela de nos lois sur l'immigration?
    Oui, supprimer toute loi sur l'immigration qui interdit aux gens de travailler dans l'industrie du sexe et les industries connexes. De plus, ne pas inscrire l'interdiction d'immigration sur les permis de travail. C'est très important. Nous voulons simplement que vous soyez d'accord et que vous éliminiez cela dès que possible.
    L'autre chose que nous savons, de manière générale, c'est que différentes personnes disent qu'il est également très important de protéger les migrants contre l'exploitation et la violence.
    Merci, et merci d'avoir répondu brièvement.
    Madame Wesley, vous avez évoqué très rapidement une très longue... le site Web sexworklawreform.com, une contestation constitutionnelle et la décriminalisation.
    Pourriez-vous, en une minute, nous faire part de la principale recommandation? Que devons-nous faire, en tant que législateurs?
    Il s'agit d'éliminer complètement du Code criminel toute mention du travail du sexe, donc de décriminaliser complètement — pas de légaliser, mais de décriminaliser complètement — et de supprimer les politiques en matière d'immigration.
    Nous avons quelques recommandations sur d'autres choses, comme le chômage et le fait de ne pas forcer les gens à travailler dans l'industrie du sexe. Ce sont des éléments de base auxquels nous devons réfléchir.
    Ensuite, nous avons des recommandations touchant les lois provinciales et la manière dont cela se passerait.
    Dans le cadre de notre contestation constitutionnelle, nous demandons au gouvernement fédéral d'arrêter de défendre ces lois devant les tribunaux et de ne pas nous obliger à aller jusqu'à la Cour suprême. Nous lui demandons également de cesser d'envoyer ses représentants dire que 34 travailleuses du sexe assassinées ont été identifiées en quatre ans et que c'est un nombre raisonnable de meurtres de travailleuses du sexe dans le cadre de cette loi. C'est l'argument que votre gouvernement avance en ce moment devant le tribunal.
    D'accord. Nous examinerons, en tant que Comité, certaines de ces autres recommandations également. Je vous en remercie.
    Madame Sinclaire, tout d'abord, merci d'être revenue. Je sais que vous avez été interrompue, plus tôt.
    Je suis horrifiée par l'histoire que vous avez racontée, quand vous avez commencé, à propos d'un prédateur et de l'impossibilité d'obtenir un recours pour le dénoncer.
    À part décriminaliser et nous assurer que le travail du sexe consensuel est légal, y a‑t‑il d'autres choses que le gouvernement peut faire pour protéger les personnes qui travaillent dans cette industrie?
    Le fait que la décriminalisation soit au centre de la question pose problème. Si nous ne décriminalisons pas, nous continuerons alors de subir la violence de la police. On peut bien dire qu'il faut parler à la police et lui demander d'être gentille et compréhensive, mais en réalité... J'ai entendu certaines personnes devant votre comité dire « non, ce sont seulement les clients qui sont criminalisés ». Nous avons des listes de personnes qui ont été accusées de traite de personnes de s'être livrées à la traite de leur propre personne et de ce genre de choses; les travailleuses du sexe sont donc accusées de se livrer à la traite de leur propre personne.
    Ce sont les lois que les gens mettent en avant, parce que cela favorise l'éradication du travail du sexe. Je pense qu'il faut vraiment se concentrer sur la décriminalisation, mais, encore une fois, c'est pour s'assurer que les vérifications du bien-être cessent. Si la police sait que ces personnes travaillent de manière consensuelle, et ce genre de choses, laissez donc les gens travailler.
    De plus, j'aimerais faire remarquer que le travail du sexe, en lui-même, est consensuel. On peut entrer dans l'industrie du sexe par toutes sorties de portes, et les gens pourraient se dire qu'ils n'auraient pas pris, eux, cette décision. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il y a de nombreux facteurs dans le monde qui amènent une personne à faire ce choix, et nous devons respecter cela, pour sa survie.
(1625)
    Cette fois‑ci, j'invite toutes celles qui ont... Je crois qu'il me reste une minute.
    Il vous reste 45 secondes.
    J'ai 45 secondes.
    Évidemment, forcer illégalement des filles, des femmes et des personnes de diverses identités de genre à travailler dans l'industrie du sexe, quand elles-mêmes ne l'ont pas choisi, doit être illégal. Cela fait maintenant partie de la traite de personnes. Nous avons des dispositions dans le Code criminel.
    Que feriez-vous de ces dispositions?
    C'est pour cela que nous avons des lois d'application générale. Forcer une personne à avoir des relations sexuelles contre de l'argent, ou sans argent, c'est une agression sexuelle, point final. Il faut faire respecter cela, et il y a bien d'autres choses aussi.
    Pour commettre une infraction liée à la traite de personnes, il faut commettre de nombreuses autres infractions. Celles‑ci sont suffisantes dans la plupart des cas. C'est en fait très insultant, pour de nombreuses victimes qui ont parfois subi des violences extrêmes, que la seule accusation soit la traite de personnes ou le proxénétisme, et non pas chacun des actes de violence. Si on commence à intenter des poursuites pour ces infractions‑là, on commencera à voir la répression dont nous avons besoin contre ce type de violence.
    Formidable. Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant donner la parole à Mme Chabot, pour deux minutes et demie.
    Madame Chabot, vous avez la parole.

[Français]

     Merci.
    Madame Wesley, y a-t-il beaucoup de femmes qui demandent le soutien de votre organisme parce qu'elles sont des victimes? J'emploie le mot « victimes » parce qu'elles ont subi, et non pas choisi, une forme de violence comme la traite de personnes. On sait ce qu'il en est à Montréal. Le Québec n'a pas vraiment de plan d'action en ce qui concerne la traite des femmes ou des filles. Votre organisme est-il appelé à soutenir ces femmes et ces filles?
    Oui, absolument. C'est au cœur de notre travail, c'est notre raison d'être. Nous reconnaissons qu'il y a de la violence et nous voulons aider les femmes. Il n'y a pas nécessairement de lien entre la façon dont la personne est entrée dans l'industrie du sexe et la violence qu'elle y subit. Quand une personne est dans une situation violente, où quelqu'un la force à faire quelque chose ou prend son argent, c'est vers nous qu'elle viendra généralement, et nous allons l'accompagner. Il est rare que la personne recoure à la police. Généralement, elle va chercher d'autres solutions pour se séparer de la personne violente et prendre ses distances. Souvent, elle va continuer à travailler dans l'industrie du sexe, mais dans d'autres conditions de travail.
    Évidemment, nous accompagnons énormément de femmes qui veulent faire autre chose, que leur expérience dans l'industrie soit positive ou négative. Ces femmes font face à de grands obstacles. La stigmatisation associée au travail du sexe les suit toute leur vie, peu importe qu'elles s'identifient comme des victimes ou des travailleuses du sexe. Si on sait qu'elles ont déjà eu des relations sexuelles pour de l'argent, elles perdent leurs enfants, leur conjoint, leur famille. C'est surtout sur ces aspects que nous travaillons avec les personnes qui cherchent à sortir de telles situations. Les répercussions de cette stigmatisation sont souvent plus grandes que celles de la violence qu'elles ont vécue.
    Diriez-vous que le nombre de personnes qui n'avaient pas fait ce choix au départ va grandissant? En accueillez-vous davantage qu'auparavant?
    Il n'est pas nécessairement grandissant. Je dirais cependant que, depuis les changements apportés à la loi en 2014, nous constatons qu'il est beaucoup plus difficile pour ces personnes de se sortir de telles situations. Au Québec, des centaines de millions de dollars sont investis dans la lutte contre l'exploitation sexuelle, ce qui a pour effet qu'elles n'ont plus du tout accès à toutes sortes de services parce qu'elles doivent s'identifier comme victimes, ce qu'elles ne veulent pas faire.

[Traduction]

    Excellent. Merci beaucoup.
    Madame Gazan, vous avez deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Pour faire suite à ce que vous venez de dire, madame Wesley, — et je pense que cela va dans le sens de ce que je disais — non, c'est non. Ce n'est pas un consentement. S'il y a des actes sexuels sans consentement, c'est une agression. Quand cela arrive à un mineur, il s'agit d'exploitation sexuelle d'enfants. Il y a ensuite le travail du sexe, qui est autre chose. C'est consensuel.
    Pensez-vous qu'en faisant un amalgame...? Selon moi, cela expose en fait les enfants à un risque. Certainement, au Manitoba, où on enregistre le nombre le plus élevé d'enfants pris en charge, il y a des enfants qui ont des relations sexuelles, mais ce n'est pas consensuel. C'est de l'exploitation sexuelle des enfants. C'est l'une des choses auxquelles j'aimerais que vous répondiez.
    La deuxième chose sur laquelle j'ai insisté, c'est un revenu de base garanti. Si on veut parler des gens qui font de bons et de mauvais choix, on doit leur donner de véritables choix. Je ne pense pas qu'il y ait un choix. Peu importe comment ils sont entrés dans l'industrie du sexe, si on veut que les gens choisissent autre chose... je ne connais pas beaucoup de choix.
    Pensez-vous qu'un revenu de base garanti donnerait aux gens des choix, s'ils préfèrent ne pas rester dans l'industrie du sexe?
    J'adresse cette question à Mme Sinclaire, parce que vous êtes de ma province natale.
(1630)
    Oui. Il est très important de faire remarquer que, en ce qui concerne les enfants pris en charge, je pense que l'ensemble du système de soins est intrinsèquement imparfait, et il y a beaucoup de déviations. On dit simplement « Oh, c'est du trafic; ce sont des trafiquants d'êtres humains. » Ce n'est pas pour rien que des gens se retrouvent dans de mauvaises situations.
    Comme vous l'avez dit, quand des gens sont laissés pour compte par les systèmes et qu'ils se retrouvent dans de mauvaises situations, il ne suffit pas de dire « Eh bien, il faut mettre fin au travail du sexe; il faut éradiquer le travail du sexe. » On passe complètement à côté de la question. On parle d'un revenu de base garanti et de ce genre de choses. Cela permet aux gens de faire des choix qui leur conviennent et de ne pas s'inquiéter de la recherche d'un logement. On entend souvent dire que ce sont des personnes qui veulent un sac à main et sont attirées par ce genre de choses, mais elles veulent un endroit où vivre. Elles veulent se sentir en sécurité. Elles veulent manger. Elles veulent une communauté qui les soutient. Si nous les privons de tout cela, alors oui, nous les laissons tomber.
    Merci beaucoup.
    Au nom du Comité, je tiens vraiment à vous remercier d'être venues aujourd'hui. Nous allons suspendre la séance pour quelques minutes parce qu'il nous reste de nombreuses affaires du Comité à traiter.
    Je vous rappelle que nous allons passer à huis clos. Nous pouvons avoir un seul membre du personnel par personne et seulement une personne par parti, et je demanderais à tous les autres de partir.
    Nous allons suspendre la séance pour deux minutes au maximum. Merci.
    La séance est suspendue.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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