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Mesdames et messieurs les membres du comité parlementaire, bonjour.
Je vous remercie de me permettre de participer à vos travaux en étant à distance, grâce à la technologie qui lie l’Université de Sherbrooke à Ottawa. J’apprécie les moyens contemporains de communication.
En tant que titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, cela me fait grand plaisir de commenter le projet de loi . Avant de faire part de mes commentaires, permettez-moi de présenter la chaire et mon parcours professionnel.
La Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées a été créée en novembre 2010 pour cinq ans, jusqu'en octobre 2015, dans le cadre du Plan d'action gouvernemental du gouvernement québécois pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées.
Selon le Réseau international pour la prévention des mauvais traitements envers les aînés, qu'on appelle aussi The International Network for the Prevention of Elder Abuse, Inc. et dont je suis la représentante pour l'Amérique du Nord, il s'agit de la seule chaire de recherche au monde dans le domaine. La chaire poursuit cinq objectifs, dont celui de diffuser les résultats de recherche à divers publics. C'est dans cette optique et riche de plus de 25 ans de pratique de recherche dans le domaine de la maltraitance envers les personnes aînées que je situe ma présente intervention.
Je remercie le gouvernement fédéral de se préoccuper de la maltraitance envers les personnes aînées. Ce problème social mérite l'attention pour diverses raisons. Je nommerai deux raisons principales.
La première est le nombre grandissant de la proportion d'aînés dans la population canadienne. Selon Statistique Canada, en 2012, les aînés constituaient 14,9 % de la population canadienne, mais il est estimé que d'ici 25 ans, une personne sur quatre sera un aîné. La seule force du nombre mérite qu’on s’y penche.
La seconde raison est que la réponse aux besoins des personnes aînées maltraitées et des gens qui les maltraitent est bien inégale d’une région à l’autre du Canada. Nous avons besoin de connaissances, de cadres réglementaires et législatifs et aussi de directives pour guider les pratiques. Vos actions vont dans ce sens.
Le pas que nous sommes donc en train de franchir en ce moment concerne le Code criminel canadien. Plus précisément, il s'agit du choix de nos législateurs qui est présentement à l’étude, c'est-à-dire la détermination de la peine. D’emblée, je commence par affirmer qu’il m’apparaît impossible d’être contre ce qui est proposé. Néanmoins, vous ne serez pas surpris de voir que je tiens à partager des interrogations avec vous. J’ai regroupé mes commentaires en deux catégories. Je vais d’abord commenter le libellé des changements, puis je vais m’attarder à leur mise en application.
Le libellé du sous-alinéa proposé se lit comme suit:
(iii.1) que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière,
Comme premier commentaire en lien avec le libellé, je félicite le législateur de ne pas avoir introduit la notion de vulnérabilité. Je me bats depuis plusieurs années pour faire éclater une équation erronée qui dit qu’être âgé veut nécessairement dire être vulnérable, et qui continue en affirmant qu’être vulnérable, c’est nécessairement être maltraité. Bref, je veux faire éclater ce lien trop rapide entre l'âge, la vulnérabilité et la maltraitance, car tout le monde aura peur de vieillir si la maltraitance devient une inévitable fatalité. De plus, la diversité individuelle entre les gens de 65 à 100 ans, voire entre deux personne de 75 ans, est si grande qu’il est terriblement réducteur de désigner ce groupe par une seule notion, soit celle de la vulnérabilité.
Cependant, comment le juge va-t-il évaluer la question d’effet important dans la vie d’un aîné? Ceux qui ont été près des tribunaux de droit criminel le savent: en cours de procès, les conséquences ne sont pas amenées en preuve. Ainsi, ce n’est qu’une fois qu’une personne a plaidé coupable ou qu’elle a été reconnue coupable que la cour peut entendre les conséquences pour la victime. La victime est alors invitée à remplir le formulaire de déclaration de la victime au tribunal où elle relatera l’effet du crime sur les diverses sphères de sa vie. Actuellement, le juge peut en tenir compte ou non.
Je me demande combien de victimes aînées remplissent ce formulaire. Je n’ai pas vraiment la réponse à cette question, que je soumets à la discussion. Bien que ce formulaire soit pensé pour donner la parole à la victime, certaines d'entre elles ont de la difficulté à relater et à mettre par écrit tous les effets. Est-ce pire ou est-ce mieux pour un aîné? Je ne le sais pas. Par contre, je suis portée à penser que si un aîné a des limitations cognitives ou fonctionnelles qui affectent sa santé, ce sera une épreuve.
Ainsi, qu'est-il prévu pour nous assurer que le juge aura accès à cet effet important, pour reprendre le libellé du projet de loi? Si je le traduis dans mes propres mots, voici la question à se poser: comment le juge va-t-il amasser ces conséquences et les traiter? Il est important qu'on le sache. Sinon, on peut avoir l'impression que le sous-alinéa proposé n'apportera rien de neuf, puisque les juges ont toujours eu le pouvoir de tenir compte de la nature du crime, de sa gravité et des conséquences dans la vie des victimes pour étayer leur sentence.
La seconde question que je me pose concerne l'âge. Comment définir l'âge? Est-ce par l'âge chronologique, qui fait que chaque jour nous serons tous plus âgés que la veille? Est-ce par l'âge physiologique, c'est-à-dire l'état de santé? Est-ce par l'âge cognitif ou les fonctions cérébrales? Est-ce par l'âge social, c'est-à-dire les différentes étapes de la vie qui comprennent, entre autres, l'école, le travail, la vie de couple ou de jeune famille et ensuite la retraite? Bref, dans ce projet de loi, comment la notion d'âge sera-t-elle opérationnalisée?
La troisième question que je me pose concerne le mot « et » placé entre « âge » et « de tout autre élément de sa situation personnelle », dans le libellé. Dois-je comprendre ici que la seule question de l’âge ne sera pas considérée? Encore ici, comment seront colligés les éléments nécessaires et comment seront-ils pris en compte pour étayer la situation personnelle de la personne aînée victime?
J'arrive à la deuxième partie de mon commentaire, qui concerne la mise en application.
Dans tout processus judiciaire, l’étape de la détermination de la peine est celle qui vient clore, ou presque, le processus judiciaire. Cela implique qu’il y a eu d'abord infraction ou commission d’un crime et intervention policière. À cette étape, le dossier a déjà été jugé suffisamment important et possible à étoffer pour qu’il y ait plainte formelle. Le ou les suspects ont été identifiés, même si je reconnais que dans les cas de maltraitance envers les aînés, puisqu'on parle ici d'une relation de confiance, l'identification des agresseurs pose peut-être moins de défis. Le dossier s'est rendu au tribunal, il n'y a pas eu de règlement hors cour, puis le ou les malfaiteurs ont été reconnus coupables ou ont plaidé coupables. Ce n’est qu’à ce moment que le sous-alinéa proposé s’appliquera.
On comprend tous que plusieurs dossiers de maltraitance risquent de ne pas franchir toutes ces étapes. Qu’adviendra-t-il des situations d’aînés maltraités qui ne se seront pas rendues au bout? En d’autres mots, quelles seront les répercussions réelles de cette mesure ou combien de cas cela concernera-t-il?
Toute la littérature le démontre et les récits de pratique aussi: une infime proportion des situations de maltraitance se rendent devant les tribunaux. Il y a bien sûr des situations plus subtiles qui ne se rendront jamais devant les tribunaux, comme des tutoiements excessifs ou des impolitesses graves, mais il y a toutes ces autres situations qui ne sont jamais entendues. Plusieurs raisons peuvent nous aider à comprendre pourquoi si peu de cas sont entendus. Il y a d’abord l’âgisme structurel de nos sociétés.
Pour un policier, que vaut la parole d’un aîné? Comment tient-on compte d'un aîné? Qu'en est-il d'un avocat, d'un juge? Comment un procureur de la Couronne évalue-t-il la capacité d’un aîné à témoigner au tribunal? Dans certains cas, ne vaut-il pas mieux un bon règlement hors cour qu’un procès, parce qu'on craint que ce ne soit difficile pour l'aîné de témoigner?
Comment un aîné peut-il composer avec la durée des procédures, soit du moment de la victimisation au prononcé de la sentence? Il est bien connu — il ne faut pas faire preuve d’angélisme — que certains avocats de la défense comptent sur les remises pour faire tomber les procès dans lesquels les victimes sont âgées.
Vous aurez donc compris, à la lumière de mes nombreux commentaires et questions qui précèdent, que je m’interroge sur toutes les autres actions nécessaires en amont du changement dont nous discutons aujourd’hui. Puisque je crains qu'il ne touche qu'un nombre limité de situations, que pouvons-nous mettre en place pour assurer l’assistance nécessaire au plus grand nombre possible de personnes aînées maltraitées?
Si on admet que 10 % des aînés pourraient être victimes de maltraitance au Canada, on pourrait parler de près de 52 000 victimes, car il y a près de 5,2 millions d'aînés au Canada. Si on ne s'entend pas sur 10 % et qu'on accepte la proportion de 5 %, on parle quand même de 26 000 victimes — c'est beaucoup. De ces 26 000, combien se rendront jusqu'au tribunal?
Je vous invite donc, comme société, et vous comme membres d'un comité parlementaire, à continuer ensemble à développer d'autres actions concrètes pour soutenir les victimes de maltraitance. Ces actions passeront par une meilleure sensibilisation, de même que par la préparation de tout le personnel appelé à intervenir auprès des aînés maltraités.
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Merci, monsieur le président.
Je suis ravie de comparaître aujourd'hui pour vous exprimer mon appui à l'endroit du projet de loi .
L'Association canadienne des individus retraités est une organisation nationale non partisane à but non lucratif qui compte 55 sections régionales et plus de 300 000 membres partout au pays. Nous nous préoccupons avant tout d'améliorer la qualité de vie de tous les Canadiens d'un âge avancé. Par conséquent, nous croyons que tous les Canadiens ont le droit de vivre à l'abri de la discrimination fondée sur l'âge, dont la pire forme est la maltraitance des aînés; c'est au coeur de notre mandat.
J'ai pris connaissance de vos délibérations de la semaine dernière en préparation à la séance d'aujourd'hui, et je crois que les membres de l'Association canadienne des individus retraités seront emballés de l'appui que tous les partis ont manifesté à l'égard de la proposition d'infliger une peine plus lourde aux individus trouvés coupables de maltraitance à l'endroit d'un aîné. Au nom des victimes qu'ils connaissent et parfois en leur propre nom, nos membres se réjouiront de constater que le Parlement passe à l'action dans le but d'enrayer ce fléau.
Ils seront aussi ravis du fil conducteur de vos délibérations, à savoir que la proposition constitue simplement un aspect de la stratégie globale visant à prévenir la maltraitance des aînés, à la déceler et à favoriser son signalement, les enquêtes et les poursuites.
L'association a déjà demandé la création d'un guichet unique de premier contact ou d'un service d'écoute téléphonique en matière de maltraitance des aînés pour les cas où il existe des preuves de mauvais traitements. Au nom de la responsabilité sociale, les citoyens devraient être tenus de signaler les situations semblables. La maltraitance des aînés n'est pas une simple affaire personnelle, mais bien un crime d'intérêt public.
Nous croyons qu'il faut accorder plus de soutien aux quelque 2,7 millions de Canadiens qui prennent actuellement soin d'un proche à la maison. Il faut aussi un soutien aux enquêtes spécialisé, de même que des services d'aide et des refuges pour les aînés victimes de maltraitance. Ces demandes s'ajoutent à l'adoption rapide du projet de loi .
Il va sans dire que les autres instances gouvernementales ont un rôle à jouer elles aussi. Les enquêtes et les poursuites entourant les crimes à l'endroit des aînés relèvent de la compétence des provinces. Les provinces et les municipalités peuvent également offrir des services d'aide et des refuges aux victimes de maltraitance. Grâce à leurs priorités en matière de dépenses, toutes les instances gouvernementales peuvent améliorer l'accès des logements à prix abordable, atténuer la pression exercée par la personne soignante et offrir un soutien du revenu, des mesures qui contribuent à prévenir la maltraitance des aînés. Il ne s'agit pas d'excuser la situation, mais plutôt de réfléchir aux facteurs pouvant y donner lieu.
Pour que ce soit parfaitement clair, l'Association canadienne des individus retraités considère la maltraitance des aînés comme un crime de prédation. Nous ciblons donc les prédateurs, dont le crime est encore plus grave du fait qu'ils profitent du rapport de force déséquilibré entre leur victime et eux. Le plus souvent, le prédateur abuse d'une relation de confiance, de l'amour familial ou d'un lien de dépendance, ce qui rend la victime vulnérable. C'est pourquoi la grande majorité des auteurs font partie de l'entourage de la victime, contrairement à d'autres crimes. C'est aussi pour cette raison que l'association appuie le projet de loi , qui cible justement ce type d'exploitation ainsi que les répercussions exacerbées par l'âge et par d'autres situations personnelles.
Lors de notre première comparution en février 2011, c'est l'Association canadienne des individus retraités qui avait recommandé cette disposition à , qui était ministre des Aînés à l'époque. Puisqu'il avait été chef de police, je savais qu'il comprendrait immédiatement le fonctionnement de l'article 718 du Code criminel, qui permet d'infliger une peine plus lourde en présence de certaines circonstances aggravantes. Par un malheureux hasard, nous avons eu l'occasion de mettre en application la discussion un mois plus tard dans l'affaire d'une grand-mère de Toronto forcée à passer l'hiver dans un garage qui n'était pas chauffé.
Le projet de loi ajoute une disposition à l'article 718.2, mais il est bon de se rappeler que l'article original du Code criminel exigeait une peine plus sévère si l'infraction était motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, le sexe, la religion, l'âge, et ainsi de suite. Nous sommes d'avis que le projet de loi cible plus directement les prédateurs et leurs motifs. Il précise que les répercussions exacerbées par l'âge de la victime constituent une circonstance aggravante supplémentaire.
Ensemble, nous croyons que ces dispositions répondent aux objectifs de dissuasion et de prévention.
L'association est d'avis qu'un cas de maltraitance des aînés, c'en est déjà un de trop, mais les chiffres méritent quand même d'être mentionnés. D'après leurs enquêtes, les membres de l'association estiment que 10 p. 100 des aînés canadiens sont victimes d'une forme ou d'une autre de mauvais traitement, ce qui correspond aux conclusions des recherches universitaires et de Statistique Canada. Selon les données du dernier recensement qui viennent d'être publiées, il y avait 4,9 millions d'aînés en 2011. Si 10 p. 100 d'entre eux subissent un type de maltraitance, cela signifie qu'un demi-million d'aînés canadiens pourraient en être victimes.
D'ici aussi peu que 10 ans, on estime que 7,9 millions de citoyens seront âgés de 65 ans et plus. Si rien n'est fait pour diminuer la fréquence de la maltraitance, environ 750 000 aînés pourraient en souffrir.
Plusieurs facteurs peuvent aggraver l'estimation de 10 p. 100.
Tout d'abord, une recherche britannique démontre que le taux de mauvais traitement pourrait être plus élevé et atteindre 25 p. 100 chez les aînés vulnérables, qui dépendent du soin des autres ou qui souffrent d'un handicap.
En deuxième lieu, les crimes ne sont pas toujours dénoncés. Statistique Canada estime qu'au Canada, 7 crimes sur 10 à l'endroit d'un aîné ne sont pas signalés à la police. Aux États-Unis, des études sur la maltraitance des aînés démontrent que ce sont jusqu'à 90 p. 100 de l'ensemble des cas qui sont tus.
Troisièmement, le pire, c'est que ce genre de crime est surtout commis là où la victime aurait dû être en sécurité, à savoir auprès de sa famille et de ses amis. La violence en milieu familial à l'endroit des personnes âgées a augmenté de 14 p. 100 depuis 2004. Comme le ministre de la Justice l'a dit dans son témoignage, parmi les 7 900 actes de violence à l'endroit des aînés qui ont été signalés, environ le tiers ont été commis par un membre de la famille, et un autre tiers par des connaissances.
J'ai une dernière remarque au sujet de la sensibilisation du public. Il est évident que la population doit être en mesure de mieux reconnaître la maltraitance des aînés et, surtout, qu'elle doit savoir quoi faire. Les avis de la fonction publique au sujet du programme Nouveaux Horizons ont largement contribué aux efforts de sensibilisation. La police et les procureurs ont besoin de formation et de ressources supplémentaires afin de mener des enquêtes sur les auteurs de mauvais traitements et de les traduire en justice. Toutefois, ils ne recevront rien à moins que l'ensemble des instances gouvernementales priorise clairement la lutte contre la maltraitance des aînés. C'est pourquoi il est important que le ministre de la Justice exprime notre horreur de la maltraitance des aînés devant le Parlement et le comité, puis que vous adoptiez le projet de loi .
Au point où on est rendu, la Journée internationale de sensibilisation pour contrer les abus envers les personnes aînées devrait plutôt s'appeler la Journée visant à mettre fin à la maltraitance des aînés.
Merci beaucoup.
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Je voudrais remercier le Comité permanent de la justice et des droits de la personne d'avoir invité le Social Services Network. Votre comité se penche sur le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (maltraitance des aînés).
Je m'appelle Naila Butt et je suis la directrice exécutive du Social Services Network, organisme de bienfaisance à but non lucratif de Markham.
Le Social Services Network a été créé en 2004 afin de fournir des services adaptés aux différences culturelles et linguistiques de notre communauté sud-asiatique. Son objectif consiste à informer et à appuyer cette communauté pour lui donner les moyens de vivre une vie indépendante et enrichie au Canada. Grâce à notre personnel multilingue, nous offrons de plus en plus de services et de projets à ces Canadiens sud-asiatiques venant de pays différents et appartenant à des cultures et à des religions diverses. Nous administrons 27 projets avec 32 partenaires, dont des bénévoles. Nous coordonnons plus de 800 activités de sensibilisation et de bien-être auprès de 4 000 clients. Nous comptons sur l'aide de plus de 50 000 membres dans la collectivité.
Ces deux dernières années, nous sommes devenus un interlocuteur provincial et national important, particulièrement à cause de notre expertise en matière de violence dans les familles sud-asiatiques et de maltraitance des aînés.
Nous nous attaquons principalement à ce problème dans le cadre de notre conférence provinciale annuelle sur les répercussions de la violence au sein des familles sud-asiatiques.
Ressources humaines et Développement des compétences Canada a reconnu notre expertise en nous accordant des fonds pour mener à bien un projet pancanadien dans le cadre de son programme Nouveaux Horizons pour les aînés. Ce projet s'adresse aux aînés sud-asiatiques appartenant à diverses collectivités culturelles et linguistiques ainsi qu'aux intervenants s'occupant de prévention de la violence et de la maltraitance. L'objectif consiste à cerner les risques de maltraitance, à coordonner l'intervention de la collectivité en cas de maltraitance, à sensibiliser la population à ce problème et à offrir des solutions judicieuses.
En tablant sur le développement communautaire dans les diverses localités, le projet est actuellement mis en oeuvre dans quatre régions de l'Ontario: York, Toronto, Peel et London. Nous voulons nous attaquer au problème de la maltraitance des aînés afin d'en réduire son incidence.
Pourquoi la maltraitance des aînés devient-elle un problème au sein des familles sud-asiatiques?
C'est un problème de plus en plus préoccupant. C'est l'avis de notre personnel de première ligne, et nous avons abordé la question dans le rapport que nous avons produit dans la foulée de notre conférence sur les répercussions de la violence familiale.
Publié le 5 mai 2011, le rapport énumère les diverses solutions proposées par plus des 200 participants et experts pour s'attaquer au problème.
Nous manquons de données quantitatives concrètes pour expliquer l'étendue de la maltraitance des aînés dans la communauté sud-asiatique. Cependant, les travaux de la conférence et d'autres groupes de réflexion que nous avons créés nous indiquent que c'est un phénomène qui est répandu au sein de la communauté sud-asiatique et est passé sous silence.
Lors de nos conférences de 2011 et de 2012, nous avons organisé un atelier sur la maltraitance des aînés sud-asiatiques. Parmi les participants, on comptait du personnel de première ligne qui intervient auprès des aînés appartenant à des collectivités linguistiques, religieuses et culturelles diverses; des aînés sud-asiatiques; des universitaires experts en la matière; des organisations comme le Réseau ontarien pour la prévention des mauvais traitements envers les personnes âgées et l'Advocacy Centre for the Elderly ainsi que les services de police de Toronto, de York et de Peel qui interviennent dans les cas de maltraitance des aînés.
Pour vous aider à mettre en contexte le problème, je vous cite les propos de l'un de nos six travailleurs communautaires qui interviennent auprès des familles et des personnes âgées:
Les personnes âgées ignorent ce qu'est la maltraitance des aînés. Ils ne connaissent pas leurs droits. Ils ont peur de dénoncer. Beaucoup ont honte de la façon dont leurs enfants et leurs petits-enfants les traitent. En raison d'obstacles linguistiques et culturels, ils ne peuvent utiliser les nombreuses ressources auxquelles ils ont accès.
De toute évidence, les aînés sud-asiatiques sont isolés et négligés. La plupart cohabitent avec leurs enfants adultes qui travaillent et leurs petits-enfants qui étudient. La communication fait défaut dans ces familles. À cause de leur emploi du temps, enfants adultes et petits-enfants n'ont pas le temps de bien s'occuper des grands-parents.
Bien des aînés sont exploités financièrement. On leur enlève leur chèque de pension. On leur demande de s'occuper des enfants, d'effectuer les tâches ménagères et de préparer les repas, activités qui peuvent se révéler difficiles pour des aînés dont la santé est fragile.
La dynamique familiale est complexe. De multiples facteurs augmentent le stress au foyer, notamment les problèmes financiers auxquels font face les enfants d'immigrants à l'âge adulte, leur difficulté de se trouver un emploi et leur obligation de subvenir aux besoins des enfants et des parents.
Dans la culture sud-asiatique, les enfants s'occupent de leurs parents âgés de la même façon que ceux-ci se sont occupés d'eux. Dans leurs pays d'origine, c'est ainsi que les choses se passent. Cependant, les familles d'immigrants sont aux prises avec divers obstacles, notamment la discrimination sur le marché du travail et dans les établissements d'enseignement et d'autres facteurs de stress qui mettent à mal cette coutume sud-asiatique.
Les aînés et les intervenants ont décrit la violence psychologique et verbale dont font l'objet les personnes âgées et qui conduisent à la dépression et à d'autres problèmes de santé mentale. Certains aînés sud-asiatiques, notamment des Tamouls, ont vécu la guerre et souffrent du trouble de stress post-traumatique. Ils se soucient de la sécurité de leur famille dans leur pays d'origine. Des aînés sont également exploités financièrement. Ils sont dépendants de leurs enfants adultes même pour payer leur transport.
Les aînés font également l'objet de négligence active et passive. Leurs droits sont violés. Les agresseurs se servent de diverses tactiques pour exercer leur dominance sur eux. On leur donne de faux renseignements sur leurs droits à titre d'immigrants parrainés et on table sur leur crainte d'être expulsés et leur peur de la police.
En outre, ces aînés connaissent mal les lois et le système canadien. Ils ignorent auprès de qui obtenir de l'aide. On nous a parfois signalé des cas de sévices au foyer.
Les aînés ne sont pas enclins à divulguer la maltraitance en raison de barrières systémiques et culturelles. C'est là l'un des principaux problèmes qui ressort de nos travaux sur la question. Nous pouvons donc en déduire que la maltraitance des aînés est encore plus répandue.
Qu'est-ce qui empêche ces aînés d'avoir accès aux services? Ils craignent beaucoup de jeter la honte sur leur famille ou ils sont trop fiers pour faire part de leurs problèmes à d'autres. Toute la famille est couverte de honte si d'autres membres de leur collectivité culturelle ou religieuse pensent que les enfants négligent leurs parents.
L'enfant adulte estime qu'il est honteux d'avoir recours à quelqu'un de l'extérieur pour aider ses parents âgés, ce qui complique la tâche de ces familles déjà débordées. Les barrières linguistiques, les conflits culturels, la perte de leur réseau social et leur nouveau rôle au sein de la société canadienne rendent également les aînés plus vulnérables. Ceux-ci ignorent à qui s'adresser et ne sont pas au courant de leurs droits. Enfin, ils hésitent à recourir aux services communautaires de crainte qu'une telle intervention conduise à la désintégration de la famille.
Cependant, nous reconnaissons que les facteurs conduisant à la maltraitance des aînés au sein des familles sud-asiatiques sont complexes. Il n'y a pas que la tension familiale et les différences culturelles qui sont en cause. Les formalités d'immigration et d'établissement constituent les facteurs de stress les plus importants pour bien des Sud-Asiatiques vivant au Canada. Ces derniers essaient de se trouver un emploi et un logement abordable, de payer le loyer, de nourrir leur famille et de comprendre le système de justice canadien.
Le stress et la pauvreté mettent à mal leur santé physique et mentale. Ils sont alors aux prises avec l'isolement, la frustration et la dépression. Ils vivent dans des foyers surpeuplés et doivent composer avec la nouvelle nécessité d'avoir plus d'un soutien de famille ainsi qu'avec les nouveaux rôles que doivent jouer femmes et aînés.
Les problèmes de violence au sein des familles sud-asiatiques sont complexes et déroutants. Et de les expliquer par les différences culturelles ne constitue qu'une analyse simpliste du phénomène.
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Comment faut-il s'attaquer au problème?
Nous appuyons entièrement le projet de loi. Notre projet sur la maltraitance des aînés et nos autres initiatives intersectorielles en Ontario mettent l'accent sur plusieurs stratégies.
Premièrement, il faut sensibiliser les immigrants à ce qui les attend au Canada, les renseigner sur notamment les droits, les libertés, les lois et le système de justice de notre pays, ainsi que sur les restrictions financières et la cohabitation des aînés avec petits-enfants et enfants.
Il faut offrir à tous les membres de la famille du counseling qui doit être donné par des conseillers sud-asiatiques.
Nous devons appuyer davantage les enfants adultes qui s'occupent de leurs parents ainsi que les programmes destinés aux aînés sud-asiatiques et offerts par des organismes comme le SSN. Il faut davantage de groupes d'entraide.
Les renseignements sur la maltraitance des aînés doivent être donnés dans la langue parlée par les personnes âgées. Il faut les informer de ce qu'est la maltraitance, de ses conséquences et des moyens mis à leur disposition. Il faut également offrir des programmes de soutien pour aider les personnes âgées ainsi que les professionnels de la santé et des services sociaux à détecter les signes de la maltraitance. Il faut donner de la formation adaptée aux différences culturelles et portant sur divers domaines.
Il faut procurer des refuges aux aînés sud-asiatiques et s'attaquer aux divers problèmes avec tous les membres de la famille. Il faut également financer davantage les services en santé mentale.
En résumé, il faut mettre davantage l'accent sur la sensibilisation et le soutien des aînés et de leur famille, à toutes les étapes du processus d'immigration et offrir de la formation aux professionnels de la santé et aux travailleurs sociaux pour les aider à détecter les différents symptômes de la maltraitance. Il faut offrir des programmes de counseling familial adaptés aux différences culturelles et linguistiques. Il faut favoriser la collaboration intersectorielle et aider davantage les enfants adultes et les autres membres de la famille.
En conclusion, la communauté sud-asiatique canadienne augmente rapidement. Elle constitue toujours l'une des minorités visibles les plus importantes en Ontario. La population canadienne augmente rapidement elle aussi. Dans la seule région de York, on estime que le nombre d'aînés augmentera de 400 p. 100 d'ici 2026.
Ces données démographiques et les statistiques sur la maltraitance des aînés prouvent ce que nous avançons, c'est-à-dire que la maltraitance est aussi répandue en Ontario que...
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Je ne me suis pas plainte.
[Français]
Je vous remercie tous trois d'être ici aujourd'hui pour discuter de cette question qui est si importante. Je pense qu'on partage tous la même vision sur la question de la maltraitance envers les aînés. Madame Beaulieu, vous avez dit, je crois, qu'on ne pouvait pas être contre cela. Je lance le défi à quiconque de se lever et de se dire opposé au projet de loi .
Par contre, je refuse toujours de tomber dans la facilité. Je ne crois pas avoir entendu, au cours de vos trois présentations, quelqu'un dire que le projet de loi était une panacée. C'est un problème qui est beaucoup plus profond et beaucoup plus subtil qu'on ne le pense et qui touche une des catégories d'individus qui se plaignent le moins — ce n'est pas dit de façon péjorative —, mais qui auraient peut-être le plus des raisons de se plaindre.
Lorsque j'ai commencé la pratique du droit — je vais révéler mon âge — il y a presque 30 ans, quand j'ai été admise au Barreau, la question de la violence conjugale commençait à faire l'objet de plus d'attention. Tout ce que j'ai lu jusqu'à maintenant entourant le projet de loi m'a beaucoup fait penser à cela. Autrement dit, cela prendra beaucoup d'éducation, de publicité, chose qui a bien commencé au Québec. En effet, j'ai beaucoup apprécié les publicités avec Yvon Deschamps, par exemple, qui s'attaque au tabou rattaché à la question de la maltraitance envers les aînés.
J'ai une inquiétude relativement au projet de loi et à la façon dont il est rédigé. En effet, je ne suis pas certaine qu'il réussira réellement à représenter ce qu'on pense. Madame Beaulieu, vous avez bien abordé la question quand vous avez indiqué que cela arrivait à la toute fin du processus. Encore faut-il qu'on ait commencé, qu'il y ait eu une accusation contre quelqu'un. Beaucoup d'articles du Code criminel, que ce soit en matière de négligence criminelle, de fraude ou peu importe, pourraient être utilisés dans des cas de maltraitance envers les aînés.
[Traduction]
C'est à vous trois que je pose ma question.
Dans vos études — nous avons entendu les chiffres sur la proportion de gens touchés ou censés être touchés par ce problème —, saviez-vous que les juges ne tenaient pas compte de ces statistiques pour considérer cette violence comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine pour en faire un élément dissuasif? Les représentants du ministère nous ont dit la semaine dernière qu'ils en tenaient déjà compte. Êtes-vous de cet avis?
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Je vous remercie, madame Boivin, de vos commentaires que j'apprécie énormément.
En effet, vous revenez sur des éléments que j'avais soulignés brièvement lors de ma présentation de 10 minutes. Je me demande si les juges n'utilisent pas déjà leur pouvoir discrétionnaire et ne considèrent pas le fait qu'ils ont devant eux une victime âgée.
Je suis préoccupée par le fait que si peu de cas se rendent devant les tribunaux. Quand on fait une recherche dans la jurisprudence, ce que j'ai fait il y a deux ou trois ans, on trouve finalement peu d'éléments.
Toutefois, l'une des solutions réside probablement dans le fait qu'il faut sensibiliser l'ensemble des intervenants du réseau de la justice à ce que veut dire intervenir avec des aînés. C'était ma recommandation un peu plus tôt, lorsque j'ai dit que les policiers devaient apprendre à travailler avec des aînés et à amasser la preuve. Cette recommandation s'applique aussi aux procureurs de la Couronne, aux avocats de la défense et aux juges.
Cette modification va-t-elle apporter beaucoup plus? Ce sera peut-être le cas pour le petit nombre de causes qui se rendent jusqu'à la condamnation. Toutefois, je crains foncièrement qu'on ne touche quand même qu'une minorité de situations, alors qu'on pourrait agir beaucoup plus en amont.
Par conséquent, jamais je ne m'opposerai au projet de loi , mais je vais toujours demander aux parlementaires canadiens de continuer à envisager toutes les autres étapes, notamment les étapes axées sur la prévention et sur un meilleur accompagnement.
Pour ma part, j'ai un projet de recherche qui vise à développer de meilleures pratiques policières auprès des aînés, parce que tout commence là. Si on n'a pas la bonne façon d'amasser la preuve dès le départ, on ne se rendra jamais jusqu'à la condamnation.
Merci à toutes d'être ici aujourd'hui. Il est clair que nous abordons un sujet important pour nous et tous les Canadiens.
Malheureusement, j'ai dû composer à maintes reprises avec ce genre de situation, notamment lors de litiges familiaux et successoraux. C'est parfois très triste et difficile. À mon avis, de nombreux cas ne sont pas déclarés ou sont sous-déclarés, comme on le souligne ici.
Toutefois, nous tentons d'ajouter une disposition au Code criminel pour permettre aux juges d'être plus uniformes dans la détermination de la peine. À ce chapitre, je souligne que les tribunaux semblent plus conscients de la situation.
Je vais citer quelques cas à titre d'exemple. Dans l'affaire R. c. Foubert, à la Cour supérieure de justice de l'Ontario, en 2009, un préposé aux services de soutien à la personne a plaidé coupable à des accusations de voies de fait sur quatre anciens combattants atteints d'Alzheimer et de démence dont il prenait soin. L'accusé a été condamné à une peine d'emprisonnement accompagnée d'une ordonnance de probation comprenant de lourdes conditions. Le juge a souligné que la violence envers les personnes âgées est un phénomène croissant dans notre société et qu'il faut sérieusement s'y attaquer.
En 2010, il y a eu l'affaire R. c. Manuel, à la Cour suprême de Terre-Neuve-Labrador. L'accusé était entré à deux reprises par effraction chez un ancien combattant âgé et l'avait battu et volé. Il a été condamné à six ans et demi de prison. En rendant sa décision, le juge a clairement indiqué que la peine imposée était dans l'intérêt public, notamment parce qu'elle servait à dissuader les criminels d'entrer par effraction dans les domiciles et qu'elle cadrait avec le devoir public de protéger les aînés de la société.
Toujours en 2010, il y a eu l'affaire R. c. Kos Rabcewicz Zubkowski. L'accusée a été reconnue coupable de voie de fait sur sa mère âgée et de défaut de lui fournir les choses nécessaires à l'existence.
Bien entendu, la détection et la prévention sont essentielles. D'autres l'ont souligné aujourd'hui, et je sais que c'était l'opinion du gouvernement lorsqu'il a proposé, notamment, l'Initiative de lutte contre les mauvais traitements envers les aînés. Il s'agissait d'un projet de trois ans d'une valeur de 13 millions de dollars visant à sensibiliser davantage la population à ce problème. Selon nous, même si ce fut un succès, il ne faut pas nécessairement s'arrêter là. Nous croyons que ce projet fait partie d'un ensemble d'initiatives dans ce domaine.
En vertu de ce projet de loi, si l'infraction a eu un effet important sur la victime — et je crois, madame Eng, que vous avez mis l'accent sur ce point — en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière, cela est considéré comme une circonstance aggravante. Selon nous, une fois adoptée, cette modification assurera une détermination de la peine plus uniforme.
Je vais d'abord poser ma question à Mme Eng, puisque nous sommes toutes les deux diplômées en droit.
Croyez-vous qu'une détermination de la peine plus uniforme fera en sorte que la violence envers les personnes en raison de leur âge sera prise au sérieux, peu importe les circonstances? Croyez-vous que ce projet de loi aura cet effet?
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Je serais tentée de faire le parallèle avec les apprentissages qu'on a faits en matière de violence conjugale. Je dois dire que j'ai été diplômée à peu près en même temps que Mme Boivin, donc on se rappelle où en était le dossier de la violence conjugale il y a 30 ans. On s'était demandé si, pour faire changer les choses, il fallait vraiment créer des articles de loi spécifiques ou s'il ne fallait pas plutôt s'assurer que les articles existants étaient bien appliqués dans toutes les circonstances. On n'a donc pas créer un nouveau crime qui s'appelait « violence conjugale ». Toutefois, on a travaillé dans toutes les étapes du processus pénal pour s'assurer que les situations de violence conjugale allaient être prises au sérieux et que les choses allaient être bien faites quand on allait devoir se présenter devant les tribunaux.
C'est normalement la posture que j'adopte le plus. Ce qui compte actuellement, c'est de se rendre compte qu'on a beaucoup de mécanismes qu'on n'emploie pas lorsque ce sont des aînés. C'est pour cette raison que je parlais plus tôt d'âgisme structurel dans nos systèmes. Si, à chacune des étapes, on éveillait les consciences et qu'on travaillait ensemble pour faire réaliser que la maltraitance existe, on irait beaucoup plus loin.
J'aimerais revenir sur une autre chose qui n'a pas beaucoup été mentionnée aujourd'hui. La définition même de la maltraitance qu'on est tenté d'utiliser la plupart du temps est celle qui a été donnée par l'Organisation mondiale de la santé, soit la suivante: « Il y a maltraitance quand un geste singulier ou répétitif, ou une absence d'action appropriée, se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance, et que cela cause du tort ou de la détresse chez une personne aînée. »
La notion de relation de confiance est fondamentale. Il est question ici de conjoints, d'enfants, de petits-enfants, de voisins, de dispensateurs de services. Il s'agit de gens qui ne sont pas étrangers à la personne âgée et, la plupart du temps, de gens avec qui elle veut continuer à être en relation. Cela signifie que lorsqu'on parle de maltraitance, on exclut les crimes commis par des étrangers. Tout à l'heure, lors de son intervention, une autre personne a donné des exemples forts intéressants de jurisprudence où il était question d'introduction par effraction chez une personne âgée. Selon moi, cela constitue un crime général où un aîné est victime. Cela est fort différent de la dynamique de maltraitance qui se produit entre proches.
Ce projet de loi aura-t-il un effet dissuasif? Je n'en suis pas certaine. Je suis beaucoup plus certaine qu'on aura un effet dissuasif quand on rappellera à chacun des intervenants, à chacune des étapes, l'importance de considérer la maltraitance des aînés.
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Merci, monsieur le président.
Pour faire suite à mes commentaires de la semaine dernière lors de la première réunion portant sur l'étude du projet de loi , j'ai été rassuré de constater, en tant que nouveau membre du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qu'il semblait y avoir un consensus sur la nécessité d'adopter cette mesure législative.
Pour en apprendre davantage sur le sujet, j'ai décidé de consulter les débats de la Chambre des communes. Certains commentaires mémorables ont été émis par la dernière intervenante, , une des porte-parole du NPD sur la question des aînés. Lors de la deuxième lecture du projet de loi , elle a déclaré: « Le NPD appuiera le projet de loi C-36, mais il doit être clair que ce n'est pas suffisant. »
Il semble que la députée d'en face ait appuyé cette mesure à contrecoeur. Je ne dois pas oublier qu'il s'agit tout de même d'un appui et qu'il faudrait s'en réjouir.
Il faudrait également souligner que le gouvernement a toujours défendu un point de vue plus vaste sur la question de la violence envers les personnes âgées et qu'il a agi. D'ailleurs, dans le cadre de son témoignage devant le comité la semaine dernière, le a affirmé que le gouvernement ne considère pas cette mesure législative comme étant l'unique solution à ce problème, mais qu'il s'agissait d'un complément aux autres initiatives du gouvernement dans ce domaine.
Le a répondu à de nombreuses questions des membres du comité, dont les miennes, au sujet de ces compléments. Il nous a rappelé que le gouvernement conservateur continue à se pencher sur la question de la violence envers les aînés grâce, notamment, au programme Nouveaux horizons pour les aînés. De plus, les Budgets 2010 et 2011 proposaient d'affecter de nouveaux fonds au programme portant le financement annuel total à 45 millions de dollars pour favoriser, entre autres, la mise en oeuvre de projets visant à sensibiliser la population à l'exploitation financière des personnes âgées.
Je crois comprendre que le réseau de services sociaux a reçu des fonds du programme Nouveaux horizons pour les aînés afin de sensibiliser la communauté sud-asiatique à la violence envers les personnes âgées. Je vais donc poser ma question à Mme Butt.
Le gouvernement conservateur propose une approche à deux volets, soit contribuer financièrement par l'entremise du programme Nouveaux horizons pour les aînés et proposer des projets de loi, comme le . Selon vous, cette approche est-elle la bonne?
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Je vous remercie de cette question, monsieur Jacob. C'est vraiment une question cruciale pour moi.
Je vais reprendre les résultats des travaux de recherche d'une équipe américaine dirigée par Mme Terry Fulmer. Elle a vraiment bien démontré l'importance d'apprécier la vulnérabilité, qui est souvent rattachée à des facteurs plus personnels à la personne âgée. Elle distinguait cela des facteurs de risque. Dans les facteurs de risque, elle mettait tout l'entourage de la personne âgée, y compris la personne qui maltraite.
Ce qu'elle est arrivée à démontrer est crucial, selon moi. Dans certains cas, une personne âgée peut être objectivement très vulnérable parce qu'elle peut avoir des pertes cognitives, des problèmes de santé et autres, mais elle ne sera jamais maltraitée parce que son entourage est adéquat.
Malheureusement, à l'inverse, on peut aussi voir des situations où une personne âgée qui est objectivement peu ou pas vulnérable sera quand même maltraitée. Pourquoi? C'est parce que des gens dans son entourage cherchent quand même à exercer leur pouvoir sur elle ou à poser de mauvaises actions.
Par conséquent, l'appréciation de la maltraitance ne peut jamais se faire seulement d'après les caractéristiques de l'aîné. Il faut toujours prendre en compte l'interaction ou le lien dynamique avec l'entourage, dont celui de la personne qui maltraite. Quand on focalise uniquement sur la vulnérabilité des aînés, on a une vision partielle du problème, et je vous dirais même une vision partiale.
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Merci beaucoup, cher collègue.
Mesdames, merci d'être ici pour présenter votre expertise et répondre à nos questions.
Je dois vous avouer que je suis un peu pris au dépourvu par le service que m'a rendu mon collègue immédiatement, mais je dois vous dire tout de suite que ma présence au comité m'a fait apprendre beaucoup de choses. On a parlé entre autres du facteur de dissuasion que pouvait représenter le projet de loi. J'ai pu comprendre, selon les témoignages de beaucoup d'experts au cours de nos travaux, que la loi par elle-même n'avait pas énormément d'effet dissuasif. En tout cas, j'en suis arrivé à cette conviction.
Il ne faut pas se le cacher, les gens qui commettent des crimes le font en prenant en compte le fait qu'ils ne se feront pas prendre en flagrant délit et qu'ils ne seront pas dénoncés. C'est quand même un élément que je trouve très important de considérer, ce qui n'empêche pas que j'appuie clairement ce projet de loi. J'espère simplement qu'il va être suffisant pour sanctionner enfin certains comportements criminels.
Je veux vérifier une chose avec vous, madame Eng. Dans votre mémoire, vous avez présenté passablement d'éléments intéressants. Pourrait-il y avoir des éléments plus systématiques qui pourraient réduire la vulnérabilité ou, disons, l'exposition des aînés à être victimes de maltraitance? Je parlerais entre autres de questions liées à la situation financière, de l'inscription automatique des aînés à la Sécurité de la vieillesse ainsi que de la possibilité de leur offrir des pensions plus généreuses pour les mettre à l'abri de circonstances qui les amènent à être dépendants de personnes proches, par exemple. Il ne faut pas se le cacher, la grande majorité de ces questions de maltraitance y sont liées.
Je vais vous laisser répondre.
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Bonjour, monsieur Côté. J'aimerais, moi aussi, répondre à votre question.
J'aimerais clarifier une première chose qui a été évoquée plusieurs fois. Quand on parle d'une relation de confiance dans une situation de maltraitance de nos aînés, on ne parle pas toujours d'une relation de dépendance. Il faudrait faire attention de ne pas réduire les situations de maltraitance des aînés uniquement à des dynamiques entre un proche aidant et une personne âgée en perte d'autonomie. C'est beaucoup plus large que cela. Je parlais des enfants, des conjoints, des petits-enfants, des voisins et des dispensateurs de services de toutes sortes. Or, cela n'implique pas toujours une perte d'autonomie et, donc, une relation de dépendance.
L'avenue que vous proposez, soit la justice réparatrice, est une avenue fort importante. Un projet-pilote se met actuellement en route à la Cour municipale de Montréal pour aller en ce sens. C'est mené entres autres par des procureurs de la Couronne. Il faut dire que la Cour municipale de Montréal est particulière: comme il s'agit d'une très grande cour municipale, on y pratique du droit criminel, ce qu'on ne voit pas nécessairement ailleurs.
Une procureure de la Couronne me disait que dans les cas qui se retrouvent le plus souvent devant les procureurs de la Couronne, la dynamique la plus claire est celle d'une femme âgée dont le fils vit avec elle parce qu'il a un problème de toxicomanie, de santé mentale ou de jeu. Par moments, il peut être très bien avec sa mère, mais lorsqu'il est en crise ou en mauvaise situation, il peut aussi devenir plus violent, ou même aller chercher de l'argent si c'est un joueur pathologique. La mère finit souvent par accepter de porter la cause devant le tribunal non pas pour voir son fils s'en aller en prison, mais pour qu'il puisse accéder à des services dont il a besoin. Elle a le sentiment, par moments, que le réseau de la santé ne lui offre pas ce dont cette personne a besoin.
C'est là que cela devient intéressant. Il faut comprendre les motivations qu'ont les victimes à se rendre jusqu'au tribunal et voir la panoplie de services qu'on peut donner. Dans ces cas, ce n'est peut-être pas la sévérité de la peine qui est importante, mais bien de donner un service qui va permettre de régler le problème particulier de la personne maltraitante.
Cela rejoint certainement le débat qu'on a parfois avec soi-même et aussi avec les autres. Et s'il est une chose que je n'aime pas particulièrement, c'est faire de la politique sur le dos des aînés.
Lorsque, en campagne électorale, tous partis confondus, on va rencontrer les aînés dans les centres de soins de longue durée ou dans les résidences pour aînés autonomes, on entend parfois des histoires d'horreur. Un peu plus tôt, on parlait de peines sévères. Je veux bien, mais encore faut-il qu'on se rende jusqu'à l'incrimination, c'est-à-dire qu'on reconnaisse l'infraction. Toutefois, on a un problème: les personnes aînées n'osent pas le dire, elles n'osent pas dénoncer, elles ont peur. Elles n'iront pas dire que c'est leur fils qui — pardonnez-moi l'expression — est en train de les fourrer. Des histoires comme celles-là à Gatineau, j'en ai entendu plusieurs. Cela fend le coeur. Il n'y a pas une personne en particulier sur qui devrait reposer la responsabilité de dénoncer cela. Je pense qu'il appartient à nous tous, comme membres de la société, de le faire lorsque nous sommes témoins de choses pareilles.
Madame Beaulieu, vous avez dit au début quelque chose qui m'a frappée. Je feuilletais tout à l'heure quelques documents. Sauf erreur, vous avez remercié les législateurs et le gouvernement de ne pas avoir introduit la notion de vulnérabilité. Pourtant, le sommaire du projet de loi, qui constitue toujours l'explication qu'on en donne, mentionne que « le texte modifie le Code criminel pour que la vulnérabilité due à l'âge soit considérée comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine ». Je voudrais savoir si vous êtes toujours aussi fière de nous. Peut-être pouvez-vous expliquer un peu ce que vous essayiez de nous dire.
J'ai compris que cette modification de l'article 718 qu'on propose vise justement à faire ressortir comme facteur aggravant le fait qu'on utilise l'âge d'une personne pour la maltraiter encore plus. Cela n'a-t-il pas un peu une connotation de vulnérabilité, ou est-ce moi qui comprends mal le libellé utilisé?
J'ai fait très attention de parler de victimisation dans ma question précédente, pas de vulnérabilité.
Dans ma circonscription de Delta—Richmond-Est, en Colombie-Britannique, les gens d'Asie du Sud et les Sino-Canadiens sont nombreux. Les électeurs m'ont dit que la langue et la culture moins répandues sont un facteur important. C'est facile de se sentir isolé, surtout si on ne peut pas s'exprimer ou si on ne sait pas à qui s'adresser.
Je veux parler de l'effet dissuasif et de la sanction publique établie par une modification du Code criminel. Dans ma région, un fils exploitait financièrement sa mère. Cette affaire est devenue publique, car cette femme a fini par être hospitalisée et le personnel de l'hôpital lui a posé des questions. Les factures demeuraient impayées, et on ne répondait pas à ses besoins essentiels.
Au bout du compte, j'ai appris qu'il y avait une unité spécialisée dans la maltraitance des aînés au service de police. Bien sûr, cette unité cherchait avant tout à sécuriser la situation de cette femme.
Par ailleurs, j'ai appris que même si la mère ne voulait pas témoigner contre son fils, l'enquête policière a dissuadé ce dernier de lui causer plus de tort. À son âge, elle aurait selon moi été très stressée et elle n'aurait pas été très efficace, de toute façon. D'autres membres de la famille qui avait à coeur les intérêts de la mère ont pu prendre le relais.
Les cas sont souvent résolus ainsi, peut-être pas devant les tribunaux. Comme Mme Eng l'a souligné, la sanction publique contre ce genre de comportement peut mener à la protection d'un aîné qui était vulnérable.
Nous avons aussi parlé de la confiance. Le ministre a déclaré devant nous qu'à peu près un tiers des délinquants était dans la famille, qu'un tiers était des connaissances et qu'un tiers était des étrangers.
Pour avoir soigné ma mère qui est maintenant décédée, je sais que même si l'on est très présent dans la vie des personnes âgées, d'autres peuvent établir très, très vite une relation de confiance avec elles dans certaines circonstances. Un jour, j'ai appelé ma mère et j'ai entendu la voix d'un étranger sur le répondeur, même si je pensais qu'elle n'en avait pas. Je suis allée à son appartement pour demander ce qui se passait et j'ai appris que deux personnes l'avaient aidée à faire son épicerie. Elle les avait invitées chez elle, et ces gens lui ont conseillé d'installer un répondeur. C'est ce qu'ils ont fait le lendemain, en prenant le thé.
Je ne sais pas ce qu'ils avaient en tête, mais ma mère était très fâchée contre moi parce que je pensais que ce n'était pas une bonne idée.
Parfois, les gens sont seuls, même si leur famille prend soin d'eux. Ils vivent seuls, et c'est très facile d'établir un lien de confiance en vue de profiter d'eux.
Êtes-vous d'accord avec moi que certaines questions ne concernent que les aînés?