:
Oui. Merci, monsieur le président.
Comme je vous l'avais indiqué, j'ai ce que l'on pourrait appeler, j'espère, un rappel au Règlement de précaution et amical, découlant de la discussion d'hier, et d'une partie de la discussion pendant laquelle je devais être à la Chambre, et donc avant de reprendre l'étude article par article, j'aimerais revenir sur ce point.
Je crois que le problème s'est présenté en partie parce que l'un des témoins a, innocemment mais peut-être un peu à tort, contribué aux délibérations, produisant un résultat sur lequel je dois attirer l'attention du comité. Je demande l'indulgence de tous les partis car je sais qu'il n'était pas prévu que nous allions jusque-là aujourd'hui, mais je soulève la question dès le départ afin que, si ce que je dis tiens debout, les membres puissent consulter qui ils veulent dans le courant de la journée, pendant la pause, et peut-être à la fin de nos délibérations pourrons-nous donner suite.
Le problème, si je puis l'expliquer aussi succinctement que possible, monsieur le président, a surgi lors de la discussion d'hier sur l'article 103 du projet de loi, page 59, où la version anglaise dit « sexual exploitation of a person with a disability » et où la version française dit:
[Français]
« personnes en situation d'autorité ».
[Traduction]
Je sais que vous avez discuté de cet article hier, mais le problème que nous avons, monsieur le président, est qu'à la page 102 du projet de loi, c'est-à-dire l'Annexe 2 — et nous ne l'avons pas encore abordée, et j'anticipe donc, mais il y a un lien — l'anglais donne la même référence à l'article du Code criminel, à l'article 153. Mais la référence au même article du code dans le texte français dit: « Personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'une personne ayant une déficience ».
[Français]
« personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’une personne ayant une déficience ».
[Traduction]
Autrement dit, la deuxième référence dans le texte français, plus loin dans le même projet de loi, est clairement différente.
Je réalise, comme on l'a fait remarquer hier, monsieur le président, et je me suis efforcé de suivre attentivement, qu'il s'agit là de titres de chapitres qui n'ont par eux-mêmes qu'une valeur juridique limitée, en vertu de la Loi d'interprétation, comme mes collègues conservateurs l'ont à juste titre fait observer hier.
Nous ne pouvons pas réellement avoir deux interprétations différentes en anglais et en français, de cette manière. Soit l'anglais est erroné, soit le français est erroné, et soit l'erreur réside dans un article soit dans les deux.
J'aimerais que le gouvernement se penche là-dessus et décide quel libellé il juge acceptable, afin que nous fassions faire rapport à tout le moins d'une version du projet de loi non entachée d'une incohérence interne.
Monsieur le président, c'est là que je dois rappeler ce qui a été dit hier par l'un des témoins au cours de la discussion. Ma collègue du NPD, Mme Boivin, a souligné qu'il importait que l'anglais et le français correspondent. M. Jean et d'autres ont fait valoir, à juste titre encore une fois, que nous ne pouvons modifier le Code criminel car nous n'en sommes pas saisis.
Cependant, les propos du témoin — et, encore une fois, je réalise qu'ils ont été tenus par inadvertance dans le but de nous éclairer — donnaient à entendre que nous ne pouvions modifier le texte de la référence à l'article en question du Code criminel, soit l'article 153, ou, en d'autres termes, ont pu donner aux membres l'impression légitime que ces notes marginales sont immuables dans le Code criminel et que nous devons nous en accommoder, du fait que nous ne sommes pas saisis du Code criminel.
Monsieur le président, c'est là où réside le problème. Les références subséquentes à l'article 153 dans le Code criminel, dans le texte français, alors que la version anglaise utilise la même formulation partout, emploient en français une formulation différente de la nôtre, à savoir celle que j'ai dite:
[Français]
« exploitation d'une personne handicapée à des fins sexuelles »
[Traduction]
C'est une formulation française différente de celle que nous avons ici. Aussi, monsieur le président, le témoin avait peut-être tort de donner à entendre que ces formules sont gravées dans la pierre, sont immuables dans le Code criminel, et que donc Mme Boivin avait tort de modifier notre version française de façon à l'aligner sur la référence en langue anglaise à l'article 153.1 du Code criminel. Au contraire, si Mme Boivin parvenait à remplacer dans la version française « Personne en situation d'autorité » par
[Français]
« personnes en situation d'autorité » à « exploitation d'une personne handicapée à des fins sexuelles »,
[Traduction]
le projet de loi deviendrait en fait plus conforme à ce qui figure déjà dans le Code criminel, et un tel changement ne serait pas seulement permis, mais même souhaitable.
Monsieur le président, parlons franchement. Je doute que même si Mme Boivin avait présenté son amendement il aurait été adopté, vu la façon dont nous procédons avec les votes, mais le gouvernement pourrait envisager cela lorsque nous approcherons de la fin de notre étude.
J'ai réfléchi à cela hier soir. J'ai examiné et le texte anglais et le texte français, et je me suis demandé pourquoi il existe un tel écart entre les versions anglaise et française des notes marginales de l'article 153.1. Je vous soumets la thèse, monsieur le président et membres du comité, que la raison en est que la version anglaise se place dans la perspective de la victime et la version française dans la perspective de l'accusé. Ce n'est pas nécessairement problématique en soi.
Si je pense que, de manière générale, le ministère de la Justice devrait réformer et uniformiser le Code criminel de façon à éliminer de telles divergences, nous devons nous demander aujourd'hui si nous ne pourrions pas décider d'une manière d'éliminer cette incohérence entre, d'une part, les deux références anglaises et, d'autre part, les deux références françaises dans notre projet de loi, et bien sûr éliminer la divergence entre la version anglaise et la version française.
En conclusion, monsieur le président, je ne pense pas que cela doive nécessairement constituer un sujet de désaccord. Lors de notre pause pour le dîner, ce soir, par exemple, je me ferai un plaisir d'en discuter officieusement. Je sais qu'il est difficile de suivre tout ce que je viens de dire si l'on ne possède pas quelques connaissances techniques et du fait que nous parlons là de renvois successifs.
Je ferais simplement valoir qu'il serait logique d'aligner les deux renvois à l'article 153 de la version anglaise, qui emploie la formule « sexual exploitation of person with disability », avec la formule française:
[Français]
« exploitation d'une personne handicapée à des fins sexuelles »,
[Traduction]
qui correspond au libellé que l'on trouve à au moins trois endroits différents ailleurs dans le Code criminel. Ce n'est pas comme si la formulation utilisée actuellement dans l'article 153.1 était immuable dans le Code criminel lui-même et ne pourrait pas être modifiée, car les autres références à l'article dans le Code criminel modifient le libellé d'une manière qui nous autorise à appliquer les deux de manière uniforme dans notre projet de loi.
Je dirais qu'il est de notre pouvoir d'apporter ce changement, et j'aimerais avoir à tout le moins une uniformité entre les deux renvois au même article dans les versions française et anglaise, et veux faire savoir au comité que nous avons le pouvoir de choisir ce libellé de façon à avoir une concordance entre le texte anglais et le texte français lorsque nous ferons rapport de ce projet de loi, monsieur le président.
:
Merci, monsieur le président.
Nous traitons maintenant de l'article 207, qui parle lui aussi de la question des instructions, alors je vais en discuter de manière plus large. Comme je l'ai indiqué, nous y voyons un grand nombre de problèmes. Les instructions, quant à ce qui va se passer ici et le régime qui sera établi du fait de ces instructions... font qu'il est très difficile pour la population générale d'examiner ce régime et de comprendre ce qui se passe.
L'Association du Barreau canadien a déclaré avoir écrit au ministère pour obtenir un exemple des instructions proposées, ou du genre de critères qui seraient utilisés pour guider les agents. Elle n'a reçu aucun exemple en réponse, ce dont elle s'est dite très préoccupée.
Encore une fois, elle a dit ce que j'ai dit tout à l'heure. L'idée devrait être de veiller à ce que les conditions de travail pour les nouveaux arrivants au Canada soient appropriées, sécuritaires et non exploiteuses, et à ce que l'on applique rigoureusement les lois pénales à ceux qui exploitent les personnes vulnérables.
Nous parlons ici de l'exploitation de femmes, ce qui recoupe peut-être d'autres préoccupations quant à l'exploitation de femmes à des fins sexuelles. Mais, encore une fois, il y a eu des témoins experts, des gens qui ont comparu lors de séances antérieures. Par exemple, lors de la réunion du 30 janvier 2008 du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, la professeure Leslie Ann Jeffrey, de l'Université du Nouveau-Brunswick, a déclaré ce qui suit:
Il est très problématique que le Canada décide de s'attaquer à l'exploitation des travailleurs migrants en cherchant à freiner leur migration légale au lieu d'améliorer leurs conditions de travail. La traite vise surtout les emplois précaires qui ne sont pas protégés par la législation du travail, une surveillance gouvernementale et des organisations syndicales.
C'est le fait que ces personnes travaillent dans des secteurs vulnérables qui soulève ici le problème, et la réponse... Au lieu de priver ces travailleurs migrants de la possibilité de travailler au Canada — ils se retrouvent peut-être dans des secteurs vulnérables, mais il existe en même temps des secteurs dans lesquels il est très difficile de recruter des travailleurs canadiens. C'est pourquoi on leur donne au départ des permis de travail, car ces travailleurs sont nécessaires pour l'économie ou pour l'entremise désireuse de les recruter, et ils ne seraient pas admissibles s'il était possible de trouver des travailleurs canadiens pour ces emplois. C'est une occasion pour des travailleurs migrants de venir au Canada pour y occuper un emploi — et nous parlons ici de migration légale. Si l'on veut corriger les problèmes, il importerait de corriger la législation du travail elle-même.
Il y a encore une autre préoccupation, celle-ci soulevée par Mme Janet Dench, qui était directrice exécutive du Conseil canadien pour les réfugiés, et qui a elle aussi comparu dans le cadre de l'étude de la version antérieure de ce projet de loi, le projet de loi . Elle a déclaré ceci à l'occasion de la même réunion du Comité permanent de la citoyenneté et de l'Immigration, le 30 janvier 2008:
Non seulement il [le projet de loi C-17] ne protège pas les droits des victimes de la traite des personnes qui sont déjà au Canada, mais son approche est condescendante et moraliste. Il donne aux agents des visas le pouvoir de décider quelles sont les femmes qui doivent être tenues à l'écart de notre pays dans leur propre intérêt.
Une fois encore, cette préoccupation a été soulevée par le Conseil canadien pour les réfugiés qui, s'exprimant par l'intermédiaire d'un autre témoin le même jour, a déclaré que le principal objectif de la loi contre la traite des personnes doit être de protéger les droits des victimes de la traite, et que le projet de loi ne le fait pas.
Il y a toute une série d'éléments du projet de loi que nous nous efforçons d'améliorer grâce à des amendements, dont certains ont malheureusement été déclarés irrecevables. Mais l'important ici est que nous ne pensons pas que le projet de loi traite comme il se doit de ces préoccupations.
Il ne prévoit pas de mécanisme de vigie parlementaire des instructions permettant de déterminer par le biais d'un débat au Parlement — ou par un comité ou autre — quel pourrait être l'effet de ces instructions, et, franchement, il ne veille pas à ce que l'application de cette disposition particulière vise véritablement les objectifs énoncés, et ne serve pas quelque autre motif, ce qu'a dit craindre l'Association du Barreau canadien — soit toute instruction couchée en des termes vagues et généraux que pourrait choisir de donner le ministre en vertu d'une politique publique.
Voilà les commentaires que je souhaitais faire, monsieur le président.
:
Si cet amendement-là est adopté, nous serons heureux.
L'amendement NDP-7 était une solution de rechange. Nous modifierions le texte par substitution, à la ligne 18, de ce qui suit: « a, au cours des deux dernières ». Voilà qui nous mène à la fin de nos sept premiers — ces sept amendements.
L'amendement suivant serait l'amendement L-16, que je ne vais pas lire, mais nous avons également des modifications à proposer advenant l'échec d'un de nos amendements antérieurs. Les modifications qui concernent la proximité d'une école sont, croyons-nous, beaucoup trop vastes et vagues, et nous aimerions les resserrer. Mais je pense que nous allons attendre de débattre de l'amendement L-6 de M. Cotler avant de traiter du nôtre. Nous allons donc laisser ceux-là de côté pour l'instant.
J'aimerais parler des raisons pour lesquelles nous avons apporté ces changements, ainsi que des peines minimales obligatoires de manière générale, car la première disposition ici traite de peines minimales obligatoires d'un an, et de deux ans dans le cas de certaines infractions, et de cinq ans moins un jour dans le cas d'autres infractions. Le principe de l'imposition de peines minimales obligatoires peut ainsi être débattu dans le contexte de cet article en particulier, mais dans celui d'autres articles également.
Je pense que l'un des objets du compromis que nous avons négocié jeudi dernier était de n'imposer aucune limite au débat sur les peines minimales obligatoires, et ces articles du projet de loi en renferment plusieurs. Nous sommes très préoccupés par cette orientation adoptée par le gouvernement. Nous n'en comprenons pas le fondement, et les motifs mis de l'avant ne sont appuyés par aucune preuve que nous ayons pu voir. De fait, le gros de ce que nous avons entendu de la bouche de témoins au sujet des peines minimales obligatoires s'y opposait.
Nous avons entendu en la matière l'Association du Barreau canadien. Elle n'a disposé que de cinq courtes minutes pour faire sa déclaration, et elle n'a pas traité exclusivement de cette question. Mais j'aimerais me concentrer sur cet aspect, car je considère que les commentaires de l'Association du Barreau canadien méritent un examen sérieux par le comité. L'Association du Barreau canadien a donc comparu devant nous, et je pense qu'il importe de souligner, aux fins du compte rendu, que l'Association du Barreau canadien réunit les avocats de partout au pays — j'imagine, de tout le Canada, exception faite du Québec, qui est doté d'une organisation distincte appelée le Barreau du Québec, qui a lui aussi comparu devant le comité et déposé un mémoire. Je vais en dire quelques mots également.
Je sais que ma collègue, Mme Boivin, qui connaît très bien le Barreau et ses préoccupations et opinions, ainsi que le fonctionnement du système judiciaire québécois et le Barreau du Québec, voudra sans nul doute en traiter également.
Mais, si vous me permettez, j'aimerais, pour commencer, me concentrer sur l'Association du Barreau canadien qui, lorsqu'elle vient témoigner devant des comités de la Chambre, ne vient pas en qualité de représentante d'une section du Barreau ou d'une autre. En d'autres termes, elle ne réunit pas que des avocats de la défense ou des procureurs; elle représente toutes les catégories. L'association comporte une section du droit pénal, et cette section du droit pénal regroupe les avocats ayant exercé au pénal. Elle représente les procureurs, elle représente les avocats de la défense, et elle travaille avec application pour présenter une vision équilibrée du droit à des comités comme le nôtre.
Selon mon expérience en tant que membre — ancien membre, j'imagine, maintenant, ou sans doute à ce stade-ci membre inactif de l'Association du Barreau canadien, mais ancien membre pendant de nombreuses années — de l'Association du Barreau canadien, et ayant vu ses mémoires et ayant assisté à certains de ses congrès, je sais que l'association tient à mettre de l'avant une vision très équilibrée du droit, notamment dans le cas du droit pénal, car elle représente les deux côtés de la rue, si vous voulez, agissant dans l'intérêt tant de la règle du droit que de la justice. Ainsi donc, lorsqu'elle prend la parole, elle s'exprime d'une voix qu'il importe selon moi d'écouter.
Elle a fait des commentaires pour étayer ses préoccupations. Dans le cas qui nous occupe, elle a réitéré ses préoccupations quant aux modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui sont contenues dans le projet de loi . Elle a dit que les préoccupations en matière de sécurité publique seraient mieux servies par les outils législatifs existants, et que la loi actuelle suffit face aux soucis en matière de sécurité du public. Elle ne pense pas que le projet de loi, s'il est adopté, sera efficace. Elle estime qu'il sera coûteux, alourdira le fardeau de l'administration de la justice, pourrait mener à des peines injustes et disproportionnées, et qu'il ne permettra pas d'atteindre le but visé, soit accroître la sécurité publique.
Voilà une déclaration plutôt générale qui amène à se demander pourquoi nous irions de l'avant avec ce projet de loi si le principal groupe qui est au courant des lois au Canada — celui-là même qui réunit ceux et celles qui se présentent tous les jours devant les tribunaux, représentant la Couronne et les accusés — dit que les outils sont déjà là; que ces changements seraient inefficaces, coûteux et imposeraient des contraintes à l'administration de la justice, et se solderaient par des peines injustes. Il s'agit là d'une condamnation plutôt solide du projet de loi dont nous sommes saisis.
J'ai parlé aujourd'hui des milliers de personnes qui sont préoccupées par le projet de loi. J'ai reçu plus de 15 000 lettres de Canadiens de partout au pays qui sont préoccupés par le projet de loi , et nombre de leurs inquiétudes concernent le taux accru d'incarcération qui résulterait des peines minimales obligatoires, dont bon nombre figurent dans les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. L'Association du Barreau canadien nous a dit que ces peines minimales ne serviront pas l'objectif de la dissuasion, particulièrement dans le cas d'infractions en matière de drogue.
D'aucuns pensent qu'en augmentant les peines l'on va véritablement dissuader les criminels de commettre des infractions. L'ABC s'oppose au recours à des peines minimales obligatoires dans ce contexte, convaincue qu'elle est que ces peines n'avancent en rien l'objectif de la dissuasion. Elle estime que la recherche internationale en sciences sociales en la matière le fait clairement ressortir.
Elle cite le rapport de 1990 du ministère de la Justice intitulé Vers une réforme, qui dit « les preuves démontrent que des longs séjours en prison augmentent la probabilité que le criminel récidive... En fin de compte, cela compromet davantage la sécurité publique, plutôt que la renforcer si « on jette la clé » ».
Il s'agit là d'une publication du ministère de la Justice. Je conviens que l'ouvrage date un peu, mais ce même message nous est livré depuis, au fil des ans, par les preuves et la recherche.
Le deuxième problème est que les peines obligatoires ne visent pas les contrevenants les plus notoires ou les plus dangereux qui, du fait de leur nature même, seront déjà assujettis à des peines sévères du fait d'avoir commis des crimes graves. Souvent, ce sont les délinquants moins coupables qui font l'objet de peines minimales et qui sont assujettis à des peines d'emprisonnement d'une très longue durée.
Cela vaut tout particulièrement dans le cas des infractions en matière de drogue, ou des délinquants primaires sont arrêtés pour trafic de drogue. Ils sont le menu fretin. Ce sont eux qui se voient frappés des peines minimales obligatoires. Ce ne sont pas eux les requins. C'est ainsi qu'on remplit les prisons, qu'on pousse à la hausse le prix des drogues sur le marché et qu'on permet aux gros joueurs — au crime organisé, aux gangs criminels — de prendre le contrôle de la situation. L'on remplit en bout de ligne les prisons avec ces autres intervenants.
Une autre position de l'ABC est que les peines minimales:
ont une incidence disproportionnée sur les groupes minoritaires qui souffrent déjà de pauvreté et de privation. Au Canada, ce sont les collectivités autochtones, qui sont déjà beaucoup trop représentées dans les centres de détention, qui seront le plus durement touchées.
Les Autochtones comptaient déjà pour plus d'une admission sur cinq au Service correctionnel, à compter de 2004-2005, et cela va avoir une incidence disproportionnée sur eux d'après l'Association du Barreau canadien.
L'autre objection importante que l'association a exprimée est que les modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances:
vont à l'encontre d'importants aspects du régime d'imposition des peines au Canada, y compris les principes de proportionnalité et d'individualisation ainsi que la capacité des juges de déterminer une peine équitable après avoir entendu tous les faits.
Ce qui est alors instauré, selon l'Association du Barreau canadien, est un « régime compliqué prévoyant différentes peines minimales obligatoires progressives », selon toute une série de facteurs complexes. L'association estime que, de ce fait, la complexité des principes de détermination de la peine établis aurait pour effet « de prolonger les audiences de détermination de la peine » et qu'il est probable que « moins d'accusés plaideraient coupable », du fait qu'il n'y aurait aucun incitatif pour ce faire.
Bien sûr, les plaidoyers de culpabilité sont souvent le fait de négociations quant au traitement accordé au contrevenant. Si un plaidoyer de culpabilité n'offre aucun avantage, comme par exemple la réduction possible d'une peine par le juge chargé de déterminer la peine, du fait que cela soit considéré comme étant un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine... Si vous plaidez coupable, le juge en tient compte. Vous avez déjà fait économiser du temps à la cour en reconnaissant votre culpabilité, avec tout ce qui s'ensuit. C'est là un incitatif pour plaider coupable.
En tant qu'avocat en droit pénal, je sais, comme c'est le cas de quiconque y a travaillé, qu'un plaidoyer de culpabilité règle souvent l'affaire sans nécessité d'un procès, comme cela est arrivé il y a quelques semaines dans la cause du Parti conservateur du Canada relativement à la Loi électorale. Le plaidoyer de culpabilité a, en l'espèce, permis d'éviter un procès.
Ce phénomène est loin d'être rare. De fait, le fonctionnement de nos tribunaux et l'administration de la justice à l'échelle du pays dépendent de la détermination par le poursuivant et par l'avocat de la Couronne de ce que serait une peine appropriée. La peine en question doit être soumise à la cour pour approbation, mais cela sert d'incitatif pour recourir aux tribunaux. Si chaque affaire portée devant un tribunal devait faire l'objet d'un procès, le coût de l'administration de la justice crèverait le plafond.
L'Association du Barreau canadien dit, bien sûr:
Moins d'accusés plaideraient coupables, ce qui aurait pour effet d'alourdir le fardeau des ressources judiciaires.
L'association estime par ailleurs:
que le projet de loi serait souvent incompatible avec les principes de détermination de la peine existants qui sont prévus par la common law et par la loi, de sorte que les peines imposées pourraient être démesurées, sévères et injustes dans certains cas.
Je pense qu'il s'agit là d'une préoccupation légitime et sérieuse et d'une raison d'éviter, dans toute la mesure du possible, ce genre de peines. Il n'y a aucune indication qu'elles serviraient la dissuasion, dans ce cas particulier, ou la réduction de la criminalité.
Nombre des facteurs énumérés à l'article 39, ainsi que dans d'autres articles, et devant exiger ou mener à une peine minimale obligatoire sont déjà des facteurs aggravants dont il serait tenu compte lors de la détermination de la peine. Il y a également une exigence que la cour en tienne compte en vertu de l'article 718 du Code criminel, qui traite des principes de détermination de la peine. Il existe déjà une exigence que l'on en tienne compte, pour ce qui est de la détermination de chaque peine et du rôle du juge.
Nombre de ces dispositions se chevauchent. L'Association du Barreau canadien a dit que, dans certains cas, l'application combinée de ces dispositions mènerait à une peine qui est inappropriée ou qui n'est pas conforme à l'article 12 de la Charte, et le juge qui impose la peine n'aurait pas le pouvoir discrétionnaire de remédier à un tel problème, du fait des exigences en matière de peines minimales.
Le projet de loi, s'il est adopté, exigerait l'imposition de peines minimales obligatoires même si les circonstances des infractions et les degrés de responsabilité varient considérablement. Les articles 39, 40 et 41 renferment des facteurs arbitraires qui ne tiennent pas du tout compte du degré de responsabilité, ni des circonstances des infractions, et qui n'établissent pas non plus de distinction valable entre les divers niveaux de culpabilité.
Clairement, si nous parlons de la notion générale voulant que la punition corresponde au crime, je pense que tous les Canadiens, exception faite de ceux qui ont une vision perverse de la justice, diraient que, oui, la punition doit correspondre au crime. Alors, comment faire pour réaliser cela? Eh bien, nous le réalisons pour la plupart dans notre système judiciaire en recrutant et en nommant des juges compétents qui utiliseront leur savoir, leurs compétences et leur expérience pour évaluer les circonstances de l'infraction et les circonstances du contrevenant, pour tenir compte des facteurs pouvant être considérés comme aggravants en vertu du Code criminel, et pour soupeser les circonstances atténuantes concernant l'intéressé, ce pour en arriver à une peine appropriée.
L'Association du Barreau canadien fait ici état de ce qu'elle appelle des facteurs arbitraires. Par exemple, si nous parlons de la production de marijuana, les peines minimales obligatoires sont fonction du nombre de plantes produites. Si le nombre de plantes en cause est inférieur à 201, et si elles ont été produites à des fins de trafic, la peine minimale obligatoire serait de six mois, mais si le nombre de plantes est inférieur à 201 et qu'elles ont été produites à des fins de trafic dans l'une ou l'autre des circonstances aggravantes, alors la peine serait de neuf mois. Si le nombre de plantes en cause est supérieur à 200, mais inférieur à 500, la peine minimale obligatoire serait d'un an. Dans le même cas, si l'infraction est commise dans l'une ou l'autre des circonstances aggravantes, la peine minimale obligatoire serait de 18 mois.
Il y a donc ici quantité d'anomalies qui font que c'est le nombre de plantes qui compte. S'il est supérieur à 500, la peine serait de deux ans, et s'il y a des circonstances aggravantes, alors elle passerait à trois ans. L'ABC conclut ainsi:
À notre avis, il est contraire au bon sens d'imposer une peine minimale obligatoire de six mois au responsable d'une installation de culture de 200 plantes et une peine deux fois plus longue au responsable d'une culture de 201 plantes.
Voilà la nature arbitraire de ce qui est proposé.
Comment ces peines minimales obligatoires que nous fixons ici comme étant quelque code complexe peuvent-elles véritablement être justes? La personne qui possède 201 plantes est-elle plus coupable ou plus condamnable que celle qui en possède 200? En quoi ce seuil devrait-il être déterminant? Il ne peut qu'être jugé arbitraire. Les facteurs ayant véritablement à voir avec la culpabilité et avec ce qui est aggravant ou non seraient certainement de nature... D'autres facteurs dont il y aurait lieu de tenir compte, soit si l'intéressé est engagé dans une activité commerciale dans le but de réaliser un profit, s'il ou elle cultive de la marijuana à des fins médicales bien que ne possédant pas un permis, la situation particulière de la personne, la question de savoir s'il s'agit d'une activité commerciale qui dure depuis des années... tous ces facteurs pourraient faire que l'infraction serait plus ou moins grave.
Ce qui nous préoccupe est la suppression du pouvoir discrétionnaire des juges dans la détermination d'une peine appropriée. Nous discuterons peut-être davantage plus tard du pouvoir discrétionnaire des juges, mais je tiens à préciser ce qu'a dit l'Association du Barreau canadien. Ce sont des avocats qui pratiquent en droit criminel depuis de nombreuses années, et ils disent que le projet de loi aurait pour effet d'enlever au juge qui impose la peine le pouvoir discrétionnaire de déterminer efficacement la peine permettant d'obtenir le meilleur équilibre entre tous les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine.
La détermination de la peine répond à plusieurs objectifs — pas un seul, et pas seulement la dissuasion. Il y a la dissuasion individuelle, la dissuasion générale, la protection de la société, la réadaptation. On doit aussi tenir compte des circonstances aggravantes, comme la récidive. Toutes ces choses doivent être prises en considération par le juge.
Empêcher le juge d'avoir la moindre marge de manoeuvre pour fixer une peine adéquate serait contraire à l'esprit et à la lettre d'une jurisprudence qui a déjà bien établi le rôle très particulier des juges pour évaluer et déterminer la peine la mieux adaptée à chaque cas.
Cela est important car ça montre que ce projet de loi s'écarte de toute la jurisprudence établie par notre système de justice pénale, c'est-à-dire de l'expérience acquise, des principes fondamentaux et des précédents. S'il y a des circonstances aggravantes dans un cas particulier, le procureur de la Couronne est là pour en informer le juge et s'assurer que ce dernier est au courant de tous les facteurs qui pourraient l'amener à infliger une peine plus lourde au vu des circonstances.
Le rôle de l'avocat de la défense est de veiller à ce que le juge soit pleinement informé de toutes les circonstances atténuantes dont il devrait tenir compte. Selon le Barreau du Canada, il y a une excellente raison pour lesquelles on accorde au juge le pouvoir de déterminer la peine convenant au cas particulier. Ayant pris connaissance de toutes les circonstances de l'infraction et du délinquant, il est le mieux à même de fixer une peine répondant à tous les objectifs envisagés. Si la preuve démontre que le délinquant devrait être incarcéré pendant plus longtemps, la Couronne aura porté ce fait à l'attention du juge.
Le juge est aussi la personne la mieux placée pour tenir compte des besoins et des circonstances de la collectivité où le crime a été commis. Si le crime a été commis dans une collectivité où la criminalité est rampante et où des peines sévères sont justifiées pour la réprimer, le juge pourra imposer une lourde peine en indiquant dans son jugement que c'est pour protéger la collectivité et le public, et parce que la dissuasion est alors plus importante comme résultat que n'importe quel autre objectif puisqu'il est nécessaire d'envoyer à tous les autres criminels éventuels le message que la société n'accepte pas leur comportement.
Voilà le rôle que joue le juge pour la collectivité lorsqu'il peut adapter la peine à l'individu et à la collectivité.
Selon le Barreau du Canada, les récidivistes et les gros trafiquants de drogues reçoivent déjà des peines sensiblement plus lourdes, et même supérieures aux peines minimales obligatoires proposées. Ce projet de loi enlèvera au juge chargé de prononcer la peine la marge de manoeuvre nécessaire pour être équitable, pour dissuader les autres criminels et pour favoriser la réadaptation du délinquant si celle-ci est envisageable.
Un autre aspect de cette problématique est que notre appareil judiciaire comporte un système de poids et contrepoids avec le processus d'appel. Si la peine infligée est à l'évidence inadéquate ou qu'une erreur de droit a été commise, un juge d'appel pourra l'ajuster en tenant compte des principes de détermination de la peine.
Avec ce projet de loi, on ne limitera pas seulement le pouvoir du juge de fixer une peine adéquate, on limitera aussi la marge de manoeuvre du juge d'appel en cas de peine inadéquate. Le Barreau du Canada a déclaré que l'approche automatique du projet de loi C-15 débouchera sur des décisions tout à fait injustes dans certaines circonstances et empêchera les juges de jouer pleinement leur rôle eu égard aux circonstances.
C'est là un argument très convaincant en ce qui concerne le rôle des juges et des peines minimales, et en ce qui concerne une transformation fondamentale de notre vision de la justice pénale au Canada.
Le Code criminel est un document important dans ce contexte. Ce n'est pas simplement… Le Code criminel du Canada ne fait pas que définir des infractions et des sanctions, il énonce aussi des principes de droit pénal ainsi que des principes de détermination de la peine, ce qui exige un juge. Pour déterminer la peine, un juge doit se pencher sur tous les facteurs pertinents. Il ne pourra évidemment plus le faire à l'avenir car sa marge de manoeuvre aura été limitée par les dispositions de ce projet de loi.
Notre système de justice pénale est fondé sur une approche équilibrée et pondérée de la détermination de la peine et, comme l'a dit l'ABC, sur le bon sens. À son avis, la primauté accordée à la dissuasion par rapport à tous les autres principes sentenciels est déplacée. Selon une étude récente du Conseil canadien de la sécurité, de 2005, réalisée par les professeurs David Paciocco et Julian Roberts, et citée par l'ABC :
Peu de gens contesteraient l'effet généralement dissuasif du droit pénal, mais des études récentes confirment ce que pense depuis longtemps la plupart des criminologues, à savoir qu'il y a peu de corrélation démontrable entre la sévérité des peines et le nombre d'infractions. L'effet le plus marqué sur les tendances criminogènes résulte de la communication au public des taux d'appréhension ou de l'augmentation du risque d'arrestation.
C'est assez intéressant car cela concorde avec beaucoup des choses que dit le NPD sur le fait que l'application des lois au Canada doit plus reposer sur l'assistance policière aux collectivités. Si vous voulez dissuader les criminels, ce qui est plus efficace qu'alourdir les peines de prison et accroître les coûts correspondants, c'est de faire savoir aux délinquants que leur risque d'appréhension est élevé. Autrement dit, qu'ils ont de grandes chances de se faire prendre. Ce sera un facteur de dissuasion beaucoup plus efficace et c'est ce qui aura le plus d'incidence sur les tendances criminogènes.
L'article du code auquel je fais référence, l'article 718, exige aussi qu'on tienne compte à l'étape de la sentence de la situation particulière des délinquants autochtones. Si une sanction moins restrictive pouvait protéger adéquatement la société ou si les circonstances spéciales des délinquants autochtones étaient prises en compte, l'alourdissement des peines et l'établissement de peines minimales obligatoires iraient à l'encontre de ce principe. La Cour suprême du Canada a également déclaré que l'incarcération ne devrait généralement être utilisée qu'en dernier ressort et qu'elle pourrait être moins adéquate ou moins utile dans le cas des délinquants autochtones.
Ce principe est tout simplement jeté par-dessus bord en ce qui concerne les délinquants autochtones et, comme l'affirme l'Association du Barreau canadien dans son mémoire, les peines minimales obligatoires auront un effet disproportionné sur les délinquants autochtones.
Un autre facteur mentionné dans ce mémoire est que, dans le cas des délinquants autochtones, les peines d'incarcération sont généralement purgées loin de la collectivité et de la famille, ce qui va également à l'encontre des efforts de réinsertion sociale ou de réadaptation des délinquants. Or, ce sont des principes sentenciels importants. L'association ajoute que le juge n'aurait aucune autre option, dans le cas d'un délinquant du Nunavut, par exemple, que de le condamner à une peine minimum obligatoire en Ontario, province où sont régulièrement envoyés les délinquants de ce territoire.
Nous constatons l'effet disproportionné de ces minimums obligatoires dans le cas des Autochtones. Cela est contraire aux principes sentenciels, contraire à l'équité, contraire à ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada, et contraire aux principes de réadaptation et de réinsertion sociale des délinquants autochtones.
Un délinquant du Nunavut pourrait être incarcéré en Ontario, loin de sa famille, loin des personnes susceptibles de lui rendre visite pour le garder en contact avec sa collectivité et avec sa famille et pour favoriser sa réadaptation, ce qui est un aspect important de la sanction pénale. Voilà des raisons importantes pour lesquelles les minimums obligatoires du paragraphe 39(1) sur le trafic de drogue sont inacceptables.
La cloche a-t-elle recommencé à sonner?
:
Merci, monsieur le président.
Je continue mon intervention.
Je tiens à dire à tout le monde que le but de mon long discours n'est pas de faire preuve d'obstruction, comme on pourrait le croire, mais plutôt d'exposer le plus complètement possible nos arguments au sujet des peines minimales obligatoires.
Nous avons plusieurs amendements à proposer sur cet aspect particulier des choses. Pour ma part, je me limiterai essentiellement à l'explication de nos amendements et à leur justification avant la tenue du vote. Il ne s'agit pas de prolonger le débat mais plutôt de présenter de manière efficiente tous les arguments que nous souhaitons avancer, de manière holistique.
J'ai fait référence au mémoire de l'Association du Barreau canadien. Nous avons recueilli beaucoup d'autres témoignages sur les préoccupations que suscitent les peines minimales obligatoires mais il y a dans ce mémoire une analyse très complète de cette problématique, et elle émane à l'évidence d'un groupe d'avocats de très grande réputation. Ce sont des avocats de la défense et de la Couronne de tout le pays qui font partie de la section de justice pénale de l'Association du Barreau canadien.
Comme ils représentent les deux côtés de la barrière, on ne saurait les accuser d'être tendancieux. La règle de droit est leur premier souci. Ce qui les intéresse, c'est la manière dont fonctionne notre appareil judiciaire, ainsi que les principes qui fondent nos lois sentencielles, et aussi l'importance des précédents, des juges, et de l'individualisation des peines, facteur extrêmement important. Voici une autre de leurs constatations :
Le Code criminel contient une reconnaissance légale du principe de modération, en affirmant que le but de la peine est de ne séparer le délinquant de la société que lorsque cela est nécessaire.
Et aussi, que le Code criminel établit que :
...la proportionnalité est le principe fondamental de la peine, celle-ci devant être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du coupable. La proportionnalité reflète l'équilibre délicat qu'il faut atteindre pour concevoir une peine juste.
C'est une chose dont nous reparlerons un peu plus tard dans le cas des affaires de drogues. L'association affirme aussi que « dans le cas des infractions relatives aux drogues, le public est souvent mieux protégé par des stratégies de réduction du tort qui favorisent la réadaptation ».
Elle déclare que la participation aux tribunaux de traitement de la toxicomanie ne devrait pas être aussi restreinte qu'elle l'est dans les propositions d'amendement actuelles. À son avis, « elle devrait être accessible à tous les délinquants dont les perspectives de réadaptation sont adéquates ».
Ce sont là des facteurs importants, et j'ajoute que j'ai deux autres éléments à ce sujet. Le premier est le témoignage devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale en mars de cette année de M. Asa Hutchinson, ex-représentant au Congrès des États-Unis. Je vous lis un extrait du compte rendu des débats du comité du 3 mars 2011. M. Hutchinson a été présenté comme ex-représentant au Congrès de l'État de l'Arkansas, mais il a aussi précisé, durant sa comparution, qu'il avait occupé le poste de directeur de la U.S. Drug Enforcement Administration, la DEA, pour le président George W. Bush. Il était alors sous-secrétaire au Department of Homeland Security. C'est donc quelqu'un qui a eu une longue carrière dans l'application des lois, à la tête de :
...grandes agences importantes, en plus d'avoir été procureur des États-Unis dans les années 1980 dans l'administration de Ronald Reagan, qui avait réellement été le début de notre politique de répression sévère du crime et des drogues aux États-Unis.
Il a comparu devant le comité de la sécurité publique pour expliquer comment il avait adhéré à ce qu'on appelait alors aux États-Unis une politique visant à avoir « raison du crime », menée par un groupe de conservateurs favorables à une réévaluation des politiques d'incarcération. Il a donc déclaré qu'il comparaissait uniquement pour « parler un peu de l'expérience américaine », vue de l'intérieur.
Il a dit que deux principes l'avaient amené à adhérer à cette politique de « raison du crime » : l'équité, ainsi qu'un principe cher depuis longtemps aux conservateurs, le coût pour le contribuable.
Ce sont les deux facteurs qui l'ont amené à intervenir dans ce domaine.
Il a alors parlé du taux d'incarcération aux États-Unis, pays qui abrite 5 p. 100 de la population mondiale mais 23 p. 100 des prisonniers connus dans le monde, avec des coûts d'incarcération effarants. Les chefs de file conservateurs appuyaient la réadaptation au niveau fédéral et des États, et ils proposèrent de réformer les peines minimales obligatoires pour les délits de drogue. Ils entreprirent des réformes qui étaient censées leur faire épargner environ 2 milliards de dollars de dépenses carcérales sur cinq ans, la majeure partie devant être consacrée au traitement communautaire des déficients mentaux et des toxicomanes légers. La criminalité avait baissé de 10 p. 100 entre 2004, l'année précédant les réformes, et 2009.
Nous avons donc longuement parlé de cette question. Il nous a exposé l'expérience américaine. Nous entendons parler du Texas, ainsi que d'autres actions américaines qui sont importantes.
L'autre élément que je veux porter à votre attention est celui du coût, mais il est aussi relié aux droits humains et au coût des prisons et à la vie en prison. Il y avait hier sur CBC un reportage sur la double occupation de cellules et l'isolement de détenus en Colombie-Britannique et au Manitoba, pratiques qu'on était censé avoir abandonnées. On a montré que dans deux prisons au moins, une au Manitoba et une en Colombie Britannique, et dans un certain nombre de prisons de l'Ontario, les évaluations obligatoires qu'on est censé faire avant d'imposer la double occupation de cellules ne sont pas faites. Je cite le Bureau de l'enquêteur correctionnel, M. Sapers, qui a déclaré devant nous que « la double occupation est une violation de la politique gouvernementale, de la Charte des droits et des normes internationales de droits humains ».
Nous voyons ainsi que ces espaces restreints, qui ne sont pas conçus pour accueillir plus d'un détenu, nous amènent à friser la détention inhumaine. Il a cité en outre des statistiques pour la date du 11 septembre afin de donner une idée de la double occupation parmi la population générale des 58 prisons du Canada. Au niveau national, 13,5 p. 100 des détenus sont en double occupation. La moitié n'a pas du tout de double occupation mais, pour les autres, elle touche une proportion élevée des détenus, par exemple 72 p. 100 à l'établissement Frontenac de Kingston, 65 p. 100 à Millhaven en Ontario, 50 p. 100 à Bowden en Alberta, 58 p. 100 à Grande Cache, 24,9 p. 100 à Mission en Colombie-Britannique.
Autrement dit, nos prisons sont déjà tellement surpeuplées qu'on doit avoir recours à la double occupation. Nous savons, et beaucoup d'experts nous l'ont dit, ce qui est d'ailleurs une question de bon sens, que cela va… Ces mesures, comme les dispositions sur la drogue et d'autres dispositions de ce projet de loi, qui déboucheront sur des peines plus lourdes et plus longues, ont entraîné une hausse importante de la double occupation de cellules, de la détention inhumaine, d'infractions éventuelles aux es obligations de droits humains et, si l'on décide un jour d'améliorer cette situation, des coûts élevés pour le gouvernement, pour les contribuables. Qu'il s'agisse des contribuables provinciaux ou fédéraux, quelqu'un devra payer.
Quand on prend tout cela en considération, en plus des raisons pour lesquelles cela ne devrait pas se faire — comme je l'ai indiqué en paraphrasant et, dans certains cas, en citant l'Association du Barreau canadien —, on va se retrouver dans une situation très grave. Ces raisons sont celles que des milliers et des milliers de personnes m'ont communiquées et ont communiquées à d'autres membres de ce comité, peut-être même au président et au ministre de la Justice, ces dernières semaines, en opposition massive à ce projet de loi. Ces dispositions particulières sont celles auxquelles nous nous opposons. Certaines des principales raisons pour lesquelles nous nous y opposons sont les conséquences de la prolifération des minimums obligatoires qui va pousser plus de gens dans les prisons pendant plus longtemps, causer plus de récidive, plus de criminalité, sans accroître la sécurité de la société, ce qui est apparemment l'objectif de ce projet de loi.
Monsieur le président, le prochain intervenant pourrait peut-être…
:
Je continue ma lecture du document du Barreau:
En d’autres mots, il est plutôt à craindre que cette loi n’atteindra pas l’objectif qui lui est attribué, alors que le risque de créer l’effet contraire est réel.
Considérant l’impact de cette proposition législative, il aurait été souhaitable qu’un débat public important ait lieu, permettant ainsi à tous ceux qui sont impliqués dans le processus judiciaire et l’intervention sociale, à quelque niveau que ce soit, d’être consultés. Une telle consultation servirait à dégager un large consensus qui porterait sur les meilleurs moyens connus pour : (1) diminuer l’incidence de la criminalité [...]
J'insiste là-dessus parce que c'est notre objectif à tous ici dans cette salle. Je continue:
[...] (2) réagir adéquatement à l’endroit de ceux qui ont commis des délits criminels, [...]
En effet, nous voulons tous être justes, et pour ma part, je ne veux pas qu'une personne ayant commis un crime affreux s'en tire avec une petite tape sur les mains, comme je ne veux pas non plus qu'une personne ayant commis une infraction punissable par voie de déclaration sommaire se fasse emprisonner pour deux ans et que ça ait simplement comme effet de l'ancrer plus profondément dans la criminalité. Je poursuis ma lecture:
[...] tout en ciblant les moyens les plus efficaces pour favoriser la dénonciation, la dissuasion et la réhabilitation des délinquants, et (3) identifier les faiblesses en matière de réinsertion sociale et les corriger.
Ça devrait toujours être nos trois objectifs lorsque nous considérons des lois comme celles visées par le projet de loi . On dit ensuite ce qui suit:
Le projet de loi C-10 survient alors que les données fournies par Statistique Canada démontrent que la criminalité est en baisse au pays; en 2011, le taux de crimes au pays était à son niveau le plus faible depuis 1973. Les crimes violents sont également en baisse, année après année, dans une moindre mesure.
Et que cela n'en déplaise à mes collègues conservateurs qui ne prennent pas au sérieux ces statistiques ou selon qui les chiffres ne sont pas exacts. Je poursuis ma lecture:
Force est de constater que, si le taux de criminalité national affiche une baisse constante depuis 20 ans, et se trouve aujourd'hui à son point le plus faible depuis 1973, c’est notamment grâce au système actuel d’imposition de la peine, qui recherche un équilibre entre la dénonciation, la dissuasion et la réhabilitation des délinquants. La proportionnalité et l’individualisation de la peine en sont des valeurs fondamentales.
En effet, une telle baisse ne se fait pas toute seule. Il est évident qu'elle est causée par quelque chose. Quand je faisais mon droit, la dénonciation, la dissuasion et la réhabilitation étaient toujours les trois concepts qu'on nous servait. Pour tout crime commis, il y a une dénonciation, une dissuasion et une réhabilitation des délinquants. La proportionnalité et l'individualisation de la peine sont en effet des valeurs fondamentales. Je pense que sur l'ensemble du mémoire du Barreau, ces phrases sont parmi les plus importantes à retenir. Parfois, j'ai l'impression que l'on a oublié ces concepts extrêmement importants. On dit aussi que « de nombreuses études démontrent que l’emprisonnement ne réduit pas l’incidence du crime ».
Ça ne veut pas dire qu'il ne devrait pas y avoir d'emprisonnement. Je ne veux pas qu'on me cite en me faisant dire que je suis contre l'emprisonnement. Je pense simplement que l'emprisonnement doit être justifié. J'ai fait ma carrière en droit du travail, et quand on congédiait quelqu'un, je disais toujours aux employeurs que ça équivalait à la peine de mort. Il fallait donc que le geste reproché à la personne soit puni par une sanction qui soit à la mesure de ce geste, qu'on tienne compte des antécédents de l'individu, de son dossier.
Il en va de même en droit criminel. Les mêmes concepts s'appliquent: un individu qui commet une faute, un crime, doit être puni en fonction de ce crime. Doit-on recourir à des effets dissuasifs pour essayer d'empêcher que ça se reproduise? Est-ce qu'on peut réhabiliter la personne? Je me rappelle un cas qui remonte au début de ma carrière, alors que je faisais un peu de droit criminel. Il s'agissait d'un jeune. Tant les représentants de la Couronne que moi-même étions d'accord pour dire que si on appliquait tel quel le Code criminel, on envoyait ce jeune directement sur la voie de la criminalité. Le juge, les représentants de la Couronne et moi-même avons donc pris les moyens pour adapter la situation à l'individu dont le sort était entre nos mains. En ce qui concerne les peines minimales, le problème est qu'on traite tout le monde de la même façon, sans tenir compte de ce qui pourrait être un élément tout aussi bien favorable que défavorable. En effet, ça va dans les deux sens. Si deux personnes qui ont commis le même acte comparaissent devant le juge, mais que l'une des deux l'a commis six fois et l'autre une seule fois, un genre de logique doit s'appliquer.
Dans le mémoire du Barreau du Québec on dit aussi ceci:
De nombreuses études démontrent que l'emprisonnement ne réduit pas l'incidence du crime. Sécurité publique Canada a remis les résultats d'une étude portant sur l'incidence de l'emprisonnement sur la récidive des délinquants purgeant leur peine en prison. Les conclusions sont les suivantes:
1. Dans la plupart des cas, l'emprisonnement ne réduit pas la récidive. L'affirmation voulant qu'un recours accru à cette mesure permette de dissuader les criminels de retomber dans le crime est sans fondement empirique. On pourrait donc réserver l'emprisonnement aux seules fins de châtiment et de neutralisation sélective de ceux qui présentent les plus grands risques pour la société.
2. Les coûts de l'emprisonnement doivent être évalués en regard des moyens plus rentables pour réduire la récidive et d'une utilisation judicieuse des fonds publics. Par exemple, une augmentation, même modeste, du recours à l'incarcération peut drainer des ressources d'autres secteurs publics importants, comme la santé et l'éducation.
3. Il ressort d'autres sources qu'il existe des moyens plus efficaces de réduire la récidive. Les programmes de traitement se sont révélés plus efficaces que l'imposition d'un châtiment plus rigoureux.
Or, l'augmentation et la prolifération de peines minimales constituent la figure de proue du projet de loi C-10. Le Barreau tient à souligner la disparité flagrante entre les besoins réels en matière de pénalisation des délinquants, de prévention du crime et de la récidive et les solutions proposées par le gouvernement à cet effet.
De surcroît, et compte tenu des frais inévitables et exorbitants que générera la mise en place de ces mesures plus coercitives, les victimes d'actes criminels sont de nouveau laissées pour compte.
Voilà quelque chose qui m'a réellement troublée tout au long de l'analyse du projet de loi , que ce soit en deuxième lecture ou maintenant ici, en comité. Mes collègues conservateurs parlent beaucoup, et avec raison, des victimes. Cependant, je ne vois rien d'autre dans ce projet de loi que la possibilité d'avoir un peu plus d'incidence et de visibilité quand vient le temps de traiter de la sentence du criminel. C'est tout ce que je vois.
Ce projet de loi va-t-il régler les problèmes pour les victimes? J'ai eu l'occasion de parler avec quelques-unes des victimes qui ont témoigné devant le comité.
Quand je pratiquais, des gens qui avaient été congédiés venaient à mon bureau. Quand ils exprimaient le désir d'obtenir des montants très élevés, je leur disais toujours que jamais un montant ne les satisferait ni ne compenserait ce qu'ils avaient vécu. C'est vrai en ce qui concerne les victimes, et elles en conviennent avec moi. Jamais il n'y aura une sentence qui satisfera une personne, surtout dans les cas qu'on a entendus, où des crimes effroyables ont été commis.
Veut-on imposer une peine pour donner une satisfaction personnelle à un tiers? Veut-on le faire pour que la société dise que le coupable est un écoeurant? Voudra-t-on que la société lui tape sur la tête en se foutant des conséquences, du moment qu'elle se sente mieux? Je pense qu'il faut dépasser cette façon de voir les choses.
C'est bien d'avoir l'air dur. C'est bien d'avoir l'air de s'occuper de la société civile et de lui dire que les choses seront plus sécuritaire parce que l'on sera dur avec les criminels. Par contre, si ce qu'on fait avec nos criminels ne règle pas la problématique du crime, la société ne ressortira pas grandie de cette situation.
Je vous encourage à relire le mémoire du Barreau du Québec. Dans la section « Les principes de la justice en cause », on lit, à propos des peines minimales et de la discrétion judiciaire:
L'article 718.1 du Code criminel l'énonce spécifiquement, à titre de principe fondamental, que la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
Il s'agit de la prémisse de base en matière de détermination de la peine. Cela ne pourrait être plus clair.
Le Barreau du Québec dit aussi dans son mémoire:
À cet effet, seule la discrétion judiciaire permet de respecter et de donner plein effet au principe de proportionnalité et d'individualisation de la peine, et en fin de compte, à la justice pénale en général. Bien qu’il soit indispensable que les délinquants assument la responsabilité de leurs actes, seule la discrétion judiciaire permet de pondérer les différents principes pertinents en matière de détermination de la peine et, ainsi, d’imposer une sanction juste qui tiendra compte de l’ensemble des circonstances et de la réelle responsabilité du délinquant.
J'ai eu l'occasion, à un moment donné dans le cadre d'une émission, d'être en débat avec le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu. La réponse qu'il avait donnée à une question qui lui avait été posée rendait clair que tout ça reposait sur le fait qu'il y a un manque de confiance du gouvernement en la magistrature. Pourtant, même les gens de la Cour suprême le disaient, il est important de permettre au juge, qui ne prend parti ni pour l'un ni pour l'autre, et qui entend les faits de la cause, qui entend et la défense et la Couronne, de conserver cette position privilégiée de juge de première instance qui a le pouvoir d'utiliser tous les éléments à sa disposition.
Je pourrais en parler longuement. Je veux simplement rappeler à ce comité qu'il me semble que ç'aurait été notre rôle de législateurs de porter attention aux textes fournis par le gouvernement, et d'entendre tous ces discours et de voir toutes ces lumières rouges nous avertissant que les buts recherchés ne seront atteints d'aucune façon avec ce qui est mis sur la table par le gouvernement conservateur. Avec les coûts qui y seront rattachés, on est en train de créer le même système avec lequel les Américains tentent de rompre alors qu'ils ne sont même plus capables de se l'offrir et qu'ils s'endettent jusqu'au cou. Arrêtons-nous, par exemple, à la population carcérale des femmes. Ces femmes qui sont en centre de détention n'ont déjà pas beaucoup de place. Va-t-on passer tout notre temps à construire des prisons, sachant fort bien que cela ne réglera pas les problèmes? Cela me pose problème quelque peu.
J'ai horreur de penser qu'on pourrait dire un jour qu'on le leur avait bien dit. Malheureusement, j'ai l'impression que c'est effectivement ce qui va se produire relativement à ce projet de loi.
Ce n'est pas être laxiste. C'est comprendre comment le système fonctionne et entrevoir, comme le disaient les gens du Barreau, la possibilité que les gens plaident coupables à des infractions alors qu'ils ne le devraient pas. Personne n'a pensé à ça. Il y aura des dossiers pour lesquels il devrait y avoir un procès, mais les gens vont préférer plaider coupables à une infraction moindre plutôt que de se retrouver avec certaines des accusations qui seront portées contre eux et qui impliqueront des peines minimales. Je ne peux pas dire que c'est un système où chaque personne a droit à un procès, à la présomption d'innocence. Ce n'est pas un système juste où on entend tous les considérants avant de rendre un verdict et d'imposer une peine.
Je sais que mes collègues ont aussi des choses à dire sur le sujet. Je n'en dirai donc pas plus pour l'instant.
:
Monsieur le président, c'est un plaisir pour moi de participer à ce débat sur le projet de loi , notamment sur les dispositions que nous examinons concernant les peines minimales obligatoires.
J'ai écouté avec attention mes amis M. Harris et Mme Boivin. Je ne partage évidemment pas leur analyse des peines minimales obligatoires, notamment leur suggestion — je dirais même, leur accusation — qu'elles vont entraîner de l'arbitraire ainsi que des conclusions et des peines injustes. J'estime pour ma part, comme les Canadiens qui suivent encore ce débat, que ce sera tout à fait le contraire.
Permettez-moi de citer un arrêt de la cour supérieure de l'Alberta. Comme le savent les membres de ce comité, je suis aussi avocat et j'ai exercé le droit en Alberta, peut-être pas aussi longtemps que M. Harris devant les tribunaux des Maritimes, mais pendant longtemps quand même.
Quoi qu'il en soit, la juge en chef de l'Alberta, dans un arrêt de 2010, Regina v. Mr. Arcand, a évoqué les principes sentenciels dans un très long jugement. Je ne mentionne que très sommairement les circonstances de l'affaire pour donner un peu de contexte aux membres du comité. Il s'agissait d'une personne condamnée pour agression sexuelle, et pas pour une agression sexuelle mineure. C'était ce qu'on aurait qualifié de viol dans l'ancien Code criminel. Dans ce cas, la victime était cousine au deuxième degré de l'accusé. Elle s'était évanouie après avoir abusé d'alcool et son cousin l'avait alors agressée sexuellement. Le juge de première instance avait condamné M. Arcand à trois mois d'incarcération devant être purgés par intermittence les fins de semaine.
Cela étant, si le comité veut bien me prêter attention, je vais lire trois ou quatre paragraphes de cet arrêt en appel qui expose très bien, à mon avis, ce que pensent les juristes des barèmes sentenciels, des points de départ et des principes sentenciels. Je crois que cela réfutera la préoccupation de M. Harris sur l'arbitraire et les préoccupations de Mme Boivin sur les résultats injustes.
C'est un jugement très bien rédigé et j'encourage les membres du comité à le lire s'ils en ont le temps. Je n'en lirai que quelques pages.
Il faut faire face à cinq vérités sentencielles. Premièrement, il est notoire chez les juges, qui sont au nombre de 2 100 environ dans ce pays aux trois paliers de justice, que l'un des sujets les plus controversés, autant en théorie qu'en pratique, est la détermination de la peine. Cela nous amène à la deuxième vérité. L'idée que les juges, s'ils connaissaient les faits entourant une affaire donnée, parviendraient tous à la même décision, ou à une décision sensiblement identique, est tout simplement fausse. Troisième vérité, les juges ne sont pas les seuls à connaître les vérités un et deux, ce qui fait qu'essayer de choisir son juge est une pratique bien vivante au Canada, et qui lutte vigoureusement pour subsister. Tout cela amène inévitablement à la quatrième vérité, qui est que, sans uniformité d'approche raisonnable de détermination de la peine parmi les juges de première instance et d'appel, bon nombre des objectifs et principes sentenciels prescrits dans le Code sont tout simplement inatteignables. Il s'ensuit que la recherche de sanctions justes est au mieux une loterie, au pire un mythe. Prétendre le contraire obscurcit la nécessité pour les tribunaux canadiens de faire ce que le législateur a demandé : minimiser la disparité injustifiée des peines tout en préservant la souplesse. Dernière vérité : si les tribunaux n'agissent pas pour concrétiser les promesses de la loi, et que la confiance du public s'amenuise, le législateur le fera.
C'est là que nous en sommes. La confiance du public envers l'appareil de justice pénale s'est amenuisée, et a même peut-être été ébranlée, très sérieusement à mon avis. Il y a une disparité considérable entre les peines infligées d'une juridiction à une autre, et même, à l'intérieur d'une même province comme l'Alberta, d'une région à une autre. Cette déficience, avec la disparité des peines et la perte de confiance du public, nous amène à la nécessité de guider les tribunaux au sujet des peines adéquates.
Voici encore quelques phrases de la juge en chef de l'Alberta, l'honorable Catherine A. Fraser :
De telles disparités minent la confiance du public envers le fait que l'appareil de justice pénale, l'exercice du pouvoir d'État qu'il implique, traitera les gens de manière équitable et égale. Elles engendrent aussi le mépris de la loi.
S'agissant de toute la question des peines minimales obligatoires et des points de départ, la cour d'appel a déclaré, en citant le juge en chef Lane de deux cours d'appel d'Angleterre et du pays de Galles, que « nous ne visons pas l'uniformité des peines, ce qui serait impossible. Nous visons l'uniformité d'approche ». Et : « Cette cour a le devoir de guider les tribunaux au moyen d'une déclaration sur les affaires typiques et les points de départ ».
Dans un arrêt récent, la juge Fraser comvient qu'il est nécessaire de fixer des points de départ ou des peines minimales obligatoires pour éviter précisément les choses dont parlait M. Harris, l'arbitraire et l'aléatoire. Il faut qu'il y ait une certaine uniformité des peines si l'on veut que le public fasse confiance à l'appareil de justice pénale. La juge Fraser nous dit ainsi que :
Le point de départ sentenciel n'abolit pas la marge de manoeuvre judiciaire mais assure que son exercice repose sur des facteurs adéquats...
En résumé, le point de départ sentenciel est conforme au principe de proportionnalité. Il est hostile à la rigidité et embrasse activement l'objectif de peine proportionnelle à l'infraction et au délinquant. L'argument voulant qu'il limite déraisonnablement la « marge de manoeuvre judiciaire » ne tient pas. Chaque processus de raisonnement doit partir de quelque chose et a besoin de points de référence normalisés acceptables en cours de route. Le point de départ sentenciel n'est pas seulement conforme à la volonté du législateur — et au principe fondamental de proportionnalité qu'il a exigé —, il est aussi antinomique à l'aléatoire et à l'arbitraire, contraires absolus de la prise de décision judiciaire.
En ce qui concerne cette question de peines minimales obligatoires, j'affirme que, lorsque l'appareil de justice pénale permet des sentences tellement disparates qu'elles en deviennent erratiques et quasiment aléatoires, le législateur a le devoir d'agir, de fixer des lignes directrices pour les juges de première instance et d'appel sur ce qu'est le point de départ approprié. Cela préserve la souplesse, monsieur Harris, car une peine minimale obligatoire est bien différente d'une peine obligatoire.
Il existe des peines obligatoires dans le Code criminel, la plus évidente étant celle prévue pour le meurtre au premier degré. Il y a à ce sujet une peine et une seule : la prison à vie sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant 25 ans. Mais c'est une rareté.
Les modifications proposées à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances créeront un point de départ. Les juges auront la souplesse de monter à partir du point de départ, mais le point de départ créera une norme que le législateur aura jugée adéquate pour une infraction de cette gravité.
J'espère que mes amis d'en face admettont que, même s'ils ont des arguments cohérents en faveur de leur position, il en existe d'autres tout aussi cohérents pour la position contraire. Nous constatons une énorme disparité sentencielle de région à région dans ce pays, laquelle débouche sur les résultats mêmes auxquels ils s'opposent : l'arbitraire et l'injustice. Nous voyons des cas où des juges, pour diverses raisons, ont infligé des peines appelant à l'évidence des lignes directrices, un point de départ, tout en préservant la souplesse.
Merci.
:
Merci, monsieur le président. Comme mon collègue, je suis heureux de pouvoir finalement participer à cet examen article par article.
Je vais me concentrer cet après-midi, ou plutôt ce soir, sur le quatrième amendement du NPD qui, comme l'a dit M. Harris, vise à retirer l'annexe II de cet article. J'établis d'abord le contexte car je ne pense pas que les gens qui nous regardent ou nous écoutent comprennent nécessairement de quoi il s'agit
L'article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances porte sur le trafic de drogue. Le paragraphe 5(1) dispose d'abord qu'il « est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV ». Donc, pour modifier ce paragraphe, ils veulent retirer l'annexe II qui porte sur la marijuana et les dérivés de la marijuana.
Ce que propose le NDP, c'est qu'il n'y ait pas de peines minimales obligatoires pour les gens qui font du trafic de marijuana. Je pense que tout le monde doit bien comprendre cela car c'est à mon avis une position extrême.
Permettez-moi d'expliquer pourquoi j'estime que c'est une position extrême et inacceptable.
Je commence avec une citation du surintendant en chef Fraser MaRae, du Centre de renseignements opérationnels de la GRC à Surrey, qui a déclaré que « ce qui est incontestable, c'est que le cannabis est une monnaie pour le crime organisé ».
Donc, le crime organisé fait du trafic de marijuana, et le NPD soutient qu'il faut la retirer de l'annexe pour qu'il n'y ait plus de peine minimale obligatoire.
J'ai appris aujourd'hui aux nouvelles qu'on vient de faire une grosse saisie de drogue au Québec, chez les Hells Angels et, bien sûr, qu'il s'agissait de marijuana. Permettez-moi de répéter : le trafic de marijuana est ce qui fait vivre le crime organisé. Donc, quand nous l'incluons dans ce projet de loi, c'est pour réprimer des choses comme celle-là, le trafic de marijuana.
Nous savons aussi que l'argument avancé par l'opposition est que ce projet de loi serait d'une certaine manière trop dur. Que va-t-il arriver à la pauvre personne qui ne cultive que six, sept ou huit plantes dans son sous-sol? Elle risque d'être touchée par cette législation.
Dans mes discussions avec des agents de police, et grâce a quelques recherches que j'ai faites, j'ai appris qu'une plante de marijuana peut produire entre 500 et 1 000 joints, dépendant de sa taille.Donc, une personne qui cultive six plantes de marijuana est une personne qui pourrait produire 6 000 joints. On ne parle plus ici d'un pauvre petit gars qui s'est fourvoyé en voulant de la marijuana pour son usage personnel.On parle de quelqu'un qui cultive de la marijuana pour en faire le trafic, et c'est exactement pour cela que cette disposition doit rester dans le projet de loi.
Revenons maintenant à certaines des remarques que je viens juste d'entendre de Mme Boivin, qui affirme que cette législation ne fait rien pour aider les victimes, ce que je trouve étrange car, en participant aux audiences de ce comité, j'ai vu comparaître maints groupes de victimes réclamant avec force l'adoption de ce projet de loi. « Nous voulons cette loi », nous ont-ils tous dit, leur raison étant que, comme l'a souligné mon collègue, ce projet de loi modifie tellement de dispositions du Code criminel pour fixer des peines concordant avec les crimes, ce qui rétablit la confiance envers l'appareil judiciaire.
J'ai parlé à beaucoup de gens qui sont passés dans le système judiciaire et qui ont constamment affirmé qu'ils avaient été victimisés non seulement par l'auteur du crime, mais aussi par l'appareil judiciaire lui-même quand ils ont constaté que la peine infligée au criminel n'était absolument pas proportionnelle au crime qu'il avait commis. Voilà le genre de personnes que nous voulons défendre, et voilà pourquoi nous avons proposé ce projet de loi. Les victimes l'approuvent. Cela ressort clairement des témoignages recueillis par ce comité.
Qu'en est-il de la dissuasion? Nous avons entendu des chefs de police. Ils sont venus témoigner devant le comité. Ils ont dit que cette législation va mettre fin à ce qu'ils appellent les « tournants », ces gens qui entrent et sortent à répétition du système, sans subir apparemment de conséquences pour leurs actes. À leurs yeux, la loi actuelle n'est aucunement un obstacle à leur criminalité et ils se sentent donc parfaitement libres de continuer à sévir.
Cette loi donnera à nos agents de police les outils dont ils ont besoin pour retirer ces gens de la circulation et les garder en dehors de nos rues pendant plus longtemps, ce qui les empêchera de continuer à vendre des drogues à nos familles et à nos enfants.
J'ai ici une citation de Darryl Plecas, chaire de recherche de la Gendarmerie royale du Canada et directeur du Centre for Criminal Justice Research de la School of Criminology and Criminal Justice de la University of the Fraser Valley :
Nous devons absolument retirer ces gens de nos rues. La question n'est pas d'infliger des peines plus sévères mais d'être plus efficace. Nous voulons changer les choses. Nous savons que nous le pouvons. Nous l'avons déjà vu. Faisons plus.
Je félicite absolument le gouvernement de ses initiatives pour obtenir des peines obligatoires.
Voilà donc le genre de personnes qui appuient notre projet de loi.
Don Spicer, surintendant de la Halifax Regional Police, a déclaré que :
Nous pensons que le projet de loi S-10 aura un effet salutaire en aidant la police régionale de Halifax à réduire les actes relatifs au trafic de drogues et les actes correspondants de violence dans notre collectivité. De ce fait, nous pensons que le projet de loi S-10 est un pas important dans la bonne voie.
Donc, de ce côté-ci, du côté gouvernemental, nous avons entendu des agents d'application des lois, nous avons entendu des victimes, et ce sont des gens qui approuvent ce projet de loi, des gens dont nous sommes heureux de voir qu'ils l'appuient.
Nous avons entendu aujourd'hui des gens de l'opposition dire que nous mettons toutes sortes de choses dans le même sac et que nous précipitons l'adoption du projet de loi. Ce n'est absolument pas vrai. Je tiens simplement à rappeler quelques faits pour qu'ils figurent au procès-verbal.
Jusqu'à aujourd'hui, pour ce texte de loi précis, il y a eu quatre jours de débats à la Chambre des communes, avec 16 heures de débats et 53 discours, neuf jours en comité avec 16 heures de séances, 68 témoins, et deux comparutions ministérielles.
Si l'on remonte au prédécesseur de ce projet de loi déposé en Chambre et faisant partie intégrante du texte actuel, nous avons des chiffres encore plus impressionnants pour ce qui est des débats. Il y a eu 33 jours de débats en Chambre, avec 81 heures de débats et 225 discours, puis 45 jours en comité, avec 78 heures de séances, 252 témoins et six comparutions ministérielles.
Et cela a continué au Sénat : 20 jours de débats, avec 14 heures de séances et 36 discours, puis 22 jours en comité, avec 61 heures de séances, 111 témoins et trois comparutions ministériels.
Je n'ai pas besoin de faire le total. Les gens peuvent le faire eux-mêmes, mais quiconque veut nous faire croire que ce projet de loi n'a pas été adéquatement disséqué ou étudié nous raconte des histoires.
J'espère que mes amis d'en face, lorsqu'ils examineront ce texte de loi, comprendront qu'il est nécessaire, qu'il est approuvé par les agents de police, par les chefs de police et par les groupes de victimes, et que tous réclament son adoption.
Merci.
:
Malgré tout le respect que je dois à mes deux collègues, je ne suis pas d'accord avec eux. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je suis davantage d'accord avec M. Harris et Mme Boivin.
Laissons le pouvoir discrétionnaire au juge. Ne perdons pas l'expérience sur le terrain, car elle est précieuse. Bien sûr, si la partie concernée n'est pas satisfaite, elle peut toujours se présenter devant le tribunal d'appel concerné. C'est la première chose que j'ai à dire.
Dans un rapport indépendant du ministère de la Justice, on peut lire ce qui suit:
Au point de vue utilitaire, l'emprisonnement de délinquants d'occasion et non violents sur de longues durées constitue un énorme gaspillage des ressources du système judiciaire.
Les peines obligatoires sanctionnant les infractions liées à la drogue.
Les PMO sévères et l'approche de la « guerre offensive » en général n'ont guère d'effet sur les infractions liées à la drogue.
Les PMO ne semblent influer sur la consommation de drogue ou la criminalité liée à la drogue en aucune façon mesurable.
Les PMO sont des instruments peu précis qui ne font pas la différence entre les délinquants selon leur niveau dans la hiérarchie du trafic ni selon le caractère permanent ou intermittent de leur participation à cette activité.
Du point de vue utilitaire, il semble que le système fédéral se trompe de cible : il emprisonne des personnes qui sont facilement remplacées sur le marché des drogues illicites.
Pour toutes ces raisons, je pense que les peines minimales obligatoires feront en sorte, selon plusieurs experts qui ont témoigné devant le comité, qu'il y aura une augmentation au chapitre des incarcérations, et que la prison n'est pas une panacée. Les super prisons ne sont pas la solution à la criminalité pour les victimes non plus, car le taux de criminalité à long terme va augmenter. Elles ne sont pas davantage la solution pour les détenus, car il y aura un alourdissement des dossiers, une surpopulation et une promiscuité qui vont créer des tensions. Il va y avoir une diminution de l'accessibilité aux programmes de réhabilitation et de réinsertion sociale. Il va y avoir une absence de pardon, ce concept disparaissant. Pour le personnel des prisons, la sécurité ne sera pas assurée.
Je passe aux budgets des provinces concernées. Comment va-t-on gérer tout ce système, qui va devenir de plus en plus lourd?
Laissons donc le pouvoir discrétionnaire au juge. Je pense que le système fonctionne assez bien.
J'aimerais revenir en particulier sur la LSJPA.
Une logique unique et mathématique de mesures proportionnées à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité ne permet pas la mise en place de stratégies d’interventions individualisées en fonction des aspects délictuels [...] mais aussi des caractéristiques propres à chaque [contrevenant]. À ce chapitre, le modèle québécois se caractérise par une intervention différentielle visant la bonne mesure au bon moment et qui repose sur les postulats suivants :
L'adolescent est une personne en développement [...] qui a des besoins différents [...] l'intervention doit être appropriée à cet état.
Il faut « offrir le bon service au bon moment ». Il faut donc engager « une équipe d'intervenants qui possède les compétences requises. »
Il faut également que l'intervention soit faite avec célérité, une « notion qui a une signification différente pour l'adolescent », car à cette étape du développement, ça va très rapidement.
La participation des parents est « recherchée, valorisée et soutenue tout au long de l'intervention ».
Il faut se préoccuper également des victimes et tenir compte des impacts qu’elles ont subis à la suite du délit; [le contrevenant sera] conscientisé face aux torts et aux dommages qu’il leur a causés et, lorsqu’approprié, un processus de réparation [sera] proposé.
Ce sont toutes des recommandations que j'entérine.
Ce sont toutes des recommandations que j'entérine. Elles ont été faites par l'Association des centres jeunesse du Québec et elles concernent le projet de loi .
La première recommandation est de conserver « au premier rang les objectifs de réadaptation et de réinsertion sociale des [contrevenants] de manière à assurer la protection durable du public. »
Deuxièmement, l'association recommande de « maintenir l’exclusion des principes de dénonciation et de dissuasion du [principe] de détermination de la peine, tel que statué par la Cour Suprême du Canada en 2006. »
Troisièmement, elle recommande d’« assurer l’interdiction de publication de l’identité [du jeune contrevenant] qui fait l’objet de mesures prises en vertu de la LSJPA. »
Quatrièmement, elle recommande de « maintenir le régime actuel d’assujettissement, tel que défini par la Cour Suprême du Canada, qui impose au poursuivant le fardeau de démontrer la nécessité et la pertinence d’imposer [au contrevenant] une peine pour adultes... »
J'adhère également à la conclusion: « La perte de la protection de l’identité des adolescents, les peines exemplaires basées sur la dénonciation et la dissuasion, et avant tout proportionnelles au délit, sont à l’opposé de ce que nous avons construit comme modèle d’intervention en délinquance... » En effet, c'est ce que nous avons construit au Québec. Cela fonctionne et cela amène une importante diminution de la criminalité. Selon les statistiques, nous avons un taux de criminalité parmi les plus bas des 10 provinces.
Pour toutes ces raisons, je réitère également que l'Association des centres jeunesse du Québec et les directeurs provinciaux ont toujours prôné l'équilibre. Nous aussi prônons l'équilibre entre la protection du public et la réadaptation des jeunes. Je crois que c'est le seul moyen de s'en sortir. Nous croyons que l'investissement dans les services sociaux, dans des mesures concrètes pour diminuer la pauvreté, dans la mise en place de programmes pour intégrer les jeunes à l'emploi et favoriser l'accès au logement social aurait davantage d'impact à long terme sur les jeunes de notre société que la poursuite d'une approche de répression en durcissant les lois.
:
On a jugé que ce n'était pas constitutionnel. Merci beaucoup, monsieur Harris.
Comme on a jugé que ce n'était pas constitutionnel, les gens qui adorent faire le commerce de la marijuana et de la cocaïne ont eu d'un seul coup cette extraordinaire possibilité de faire des allers-retours entre les deux pays, les États-Unis et le Canada. D'un seul coup, nous avons eu un problème prolifique.
Quand on me dit que les peines minimales ne fonctionneront pas, je ne serai jamais convaincu, jamais. J'ai vu assez de cultivateurs de marijuana se faire arrêter puis être rapidement libérés. Parmi tous les cas que j'ai connus, et ils sont innombrables, j'en ai rarement vu aller en prison, et même jamais. Ils reçoivent une amende, une période de probation, et on leur dit bon retour à la maison.
Je peux vous donner l'exemple d'une saisie de 1 000 plantes. Le responsable a plaidé coupable, il a été condamné et il a eu une amende de 10 000 $. Il est sorti du tribunal, s'en est allé au greffe, a payé son amende de 10 000 $, puis est rentré chez lui. C'est un commerce tellement lucratif que la seule manière d'intervenir auprès des trafiquants est de le priver de la seule chose à laquelle ils ne peuvent renoncer, la liberté. Ils ont de l'argent, ils peuvent payer les amendes. Il n'y a pas un seul trafiquant qui ne le peut pas.
J'ai entendu certaines personnes dire que nous nous attaquons aux petits utilisateurs. La dernière fois que j'ai vérifié, « Mom » Boucher ne faisait pas de trafic de drogue. Certes, il est actuellement en prison, mais il n'a jamais fait de trafic de drogue. Pourquoi? Parce qu'on trouve toujours plus petit que soi pour faire le trafic. Pourquoi? Parce que les trafiquants potentiels sont innombrables et qu'is sont remplaçables.
C'est ça qui est regrettable dans cette affaire, mais la plupart des gens font ce commerce en connaissance de cause. Ils comprennent les conséquences, ou leur absence, s'ils se font prendre. Ils savent que, s'ils se font prendre et que c'est la première fois, ils n'auront fort probablement qu'une période de probation et c'est tout. Et peut-être même pas ça.
Nous devons envoyer un message, et ce message doit être que ce ne sera pas toléré. Je pense qu'il est grand temps de fixer des peines minimales. Je crois que la plupart des agents de police du Canada vous diront qu'il est grand temps d'imposer des peines minimales. Pourquoi? Parce que, comme je peux probablement vous le dire d'après toutes les conversations que j'ai eues, la première chose que les victimes vous diront, c'est ceci : « Pourquoi irai-je témoigner? Il ne va rien lui arriver de toute façon. » Et ensuite, l'accusé vous dira : « Ça n'a aucune importance, on va seulement me mettre en probation ». Il est temps d'être plus sévère.
J'appuie sans réserve le projet de loi C-10. J'appuie sans réserve les peines minimales. Et j'appuie sans réserve le fait que des gens iront en prison et auront alors la vie difficile. Toutefois, s'ils y vont une fois et n'aiment pas ça, ils ne voudront probablement pas y retourner. C'est peut-être ce que nous avons de plus dissuasif. Si une personne entre dans le système correctionnel, voit ce que ça représente et ne veut plus y retourner, elle aura changé.
On peut bien créer des programmes pour apprendre aux gens à ne pas faire de trafic mais, soyons réalistes, s'ils ont un problème, ils sont les seuls à pouvoir l'admettre. Personne ne peut le faire pour eux. Ne nous écartons pas de l'objectif. Comprenons que des peines minimales sont nécessaires parce qu'il y a des membres de la société qu'il faut mettre à l'écart. Privons-les de leur liberté. Ça ne sert à rien de leur prendre de l'argent parce qu'ils en ont énormément.
Je crois aussi que bien des gens ne réalisent pas que la plupart des grandes opérations de culture de marijuana sont exploitées par le crime organisé, d'une manière ou d'une autre. Historiquement, par les Hells Angels. Ces gens-là ne suivent pas les mêmes règles que nous. Ils ont tendance à s'arranger pour que, si vous voulez entrer sur leur territoire, ca soit extrêmement difficile.
On ne cesse de le constater. On a vu des guerres de gangs au Québec. On a vu des guerres de gangs en Colombie-Britannique. Et on en verra encore. La seule manière d'y mettre fin est d'envoyer ces gens-là en prison. Fixer des peines minimales est un bon point de départ.
Merci beaucoup, monsieur le président.
:
Merci, monsieur le président.
Il y a plusieurs choses que je souhaite aborder mais je m'adresse d'abord à mon ami M. Harris. Il parlait de l'Association du Barreau canadien, une association que je connais bien puisque j'ai été présidente de sa section constitutionnelle nationale. J'ai fait partie de ses conseils provincial et national pendant plus de 20 ans. J'ai été élue présidente de l'Association du Barreau canadien pour la Colombie-Britannique.
Je peux vous dire que, malgré tout le respect que je dois à cette organisation pour laquelle j'ai travaillé pendant de nombreuses années, je ne partage manifestement pas son avis sur ce projet de loi. J'aimerais préciser que la participation à cette organisation est volontaire. Tous les avocats du Canada n'en font pas nécessairement partie. J'en suis moi-même encore membre, et vous avez dit que vous ne pensez pas qu'elle est encore active au Québec, ce que la section du Québec sera très déçue d'apprendre.
L'Association du Barreau canadien est bien vivante au Québec. Le Barreau du Québec y est également très actif, mais l'association canadienne aussi.
Je vous dirai qu'elle est semblable à n'importe quelle grande organisation. Quand elle examine un projet de loi, elle ne le soumet pas à tous ses membres. Elle le soumet à un comité particulier, cette fois-ci à la section du droit pénal, je crois, qui exprime son avis, tout comme je le faisais lorsque j'étais invitée à donner un avis sur les questions constitutionnelles après en avoir parlé à mes collègues.
Je dis cela pour souligner que, malgré mon respect envers son travail, je ne partage pas son opinion sur ce texte. Cette opinion ne reflète pas nécessairement celle de tous les avocats qu'elle représente. Loin de là. Bon nombre de mes collègues m'ont écrit pour me dire qu'ils appuient la position du gouvernement, même s'ils continuent d'être membres de cette association.
Je reviens maintenant sur les remarques de M. Jacob au sujet de la marge de manoeuvre des juges. J'ai beaucoup de sympathie à l'égard de M. Jacob mais, selon moi, ce projet de loi n'entame aucunement la marge de manoeuvre des juges, personnes que nous respectons et à qui nous accordons notre confiance, autant aux juges provinciaux nommés par les gouvernements provinciaux qu'aux juges des cours supérieures nommés par notre gouvernement fédéral. Il n'en reste pas moins que c'est le législateur qui est chargé d'adopter les lois, le rôle des magistrats étant de les prendre telles qu'elles ont été adoptées et de les appliquer.
Il est intéressant que personne ne semble formuler de critique ou de réserve lorsque le gouvernement fédéral fixe des peines maximales, mais que tout le monde s'excite et s'agite quand on parle de peines minimales. En fait, certaines des peines minimales prévues dans ce projet de loi sont en réalité très modestes. Si vous examinez les affaires traitées par l'appareil judiciaire, bon nombre des peines sont plus lourdes que nos minimums.
Nous essayons d'assurer une certaine uniformité dans le pays. À l'heure actuelle, il y a beaucoup de différences d'une province à l'autre, d'une région à l'autre, du point de vue des peines infligées pour divers types d'actes criminels, notamment dans les affaires de drogues.
Je crois que cette uniformité aidera les services policiers, aidera le public, aidera quiconque entre dans le monde de l'action criminelle à mieux comprendre les conséquences, et qu'il y aura certaines attentes minimales dans notre système si quelqu'un est trouvé coupable d'un tel crime.
Ce que nous entendons bien peu de l'opposition, je tiens à le répéter, c'est que l'idée sous-jacente à ces peines minimales obligatoires est aussi de les associer à ce que nous appelons les circonstances aggravantes. Autrement dit, elles sont reliées à la nature de l'acte criminel. Il faudra avoir prouvé que la personne a fait du trafic de drogues dans le but d'aider le crime organisé. Il faudra avoir prouvé, en cas de trafic de drogues, que la personne a fait preuve de violence ou de menace de violence. Il faudra avoir prouvé que la personne a ciblé des enfants. Si ces circonstances aggravantes sont présentes, les peines minimales s'appliqueront.
Comme vous le savez bien, puisque nous avons tous déjà beaucoup étudié cette question, il y a aussi une exemption très importante dans le cas d'un accusé qui est trouvé coupable et condamné, et qui est toxicomane et prêt à obtenir de l'aide pour se débarrasser de sa toxicomanie. Dans ce cas, on pourra ne pas lui infliger la peine minimale, ce qui me semble tout à fait légitime et représente le genre d'équilibre que nous visons ici.
La production et le trafic de drogues illicites sont la source d'argent la plus importante des gangs et du crime organisé, et causent un tort considérable aux collectivités, aux particuliers et aux enfants.
J'aimerais aussi ajouter un mot sur la culture de marijuana. Des maisons de ville ou de banlieue peuvent être totalement détruites par des opérations de culture et des laboratoires de métamphétamine en cristaux. Je ne sais pas si certains d'entre vous avez déjà été confrontés à ce genre de situation, à part les anciens agents de police, comme M. Wilks. Je viens de la Colombie-Britannique, de la région de Vancouver, et je connais des gens dont la maison a été détruite par les locataires. On a vu de l'activité criminelle dans des quartiers jusqu'alors pacifiques, à cause d'opérations de culture de marijuana. C'est catastrophique.
Je songe en particulier à un couple de personnes âgées qui n'arrivaient pas à vendre leur maison. Comme elles devaient aller dans un établissement de soins, elles ont loué leur maison à ce qu'elles croyaient être une jeune mère célibataire et son enfant. En fait, c'était un paravent pour un gang qui voulait y cultiver de la marijuana. Bien sûr, comme les propriétaires étaient des personnes âgées dont la mobilité était limitée, elles ne surveillaient pas régulièrement leur maison. Quand elles ont commencé à ne plus recevoir leur loyer, elles sont allées sur place et ont constaté que leur maison avait été complètement détruite par des dégâts des eaux, par des dégâts de produits chimiques et par tous les signes de ce genre d'opération. Elles étaient catastrophées. Elles avaient mis toutes leurs économies dans cette maison qui devait leur assurer leur retraite. Je vous parle ici d'un cas réel, et de gens que je connais personnellement.
Quiconque est au courant des guerres de trafiquants de drogues dans des villes comme Vancouver pourra le confirmer. Des quartiers pacifiques sont littéralement devenus des champs de bataille comme on n'en voit qu'au cinéma. Des gangs ont échangé des coups de feu en plein milieu de quartiers résidentiels et de cours d'écoles. Nous avons eu des exécutions sommaires de personnes reliées au crime organisé et aux drogues. Hélas, c'est devenu un phénomène très courant en Colombie-Britannique.
J'ai la conviction que nos mesures sont proportionnées et équilibrées. Il s'agit d'une réponse mesurée. Quel est son objectif? Perturber l'activité criminelle. Comme l'a dit M. Wilks, perturber le flux d'argent qui permet au crime organisé de sévir. Bien souvent, cet argent vient de la culture de marijuana, et pas seulement de ce qu'on appelle couramment des drogues dures. Voilà ce qui fait peur aux Canadiens. C'est que leurs quartiers sont traités de manière si cavalière et deviennent des lieux d'activité criminelle.
Je reviens aussi sur ce que disait Mme Borg. Si j'ai bien compris, elle disait plus ou moins que le problème de la prison est que c'est un lieu où l'on entre en contact avec le crime organisé et où l'on apprend à devenir un criminel endurci.
Cela me rappelle le témoignage de Pierre Mallette, le 3 novembre, devant ce comité. Nous parlions de réadaptation grâce aux programmes mis en oeuvre dans les prisons pour assurer la réadaptation et la réinsertion sociale des détenus, ce qui est tout à fait louable. Or, cette approche se retrouve aussi dans ce projet de loi, parallèlement au souci d'envoyer un message très clair sur les conséquences des actes criminels. Voici ce qu'il a dit à cette occasion :
Depuis 10 ans, on essaie d'instaurer des programmes parce que la sécurité du public passe aussi par la sécurité des détenus. Nous croyons sincèrement qu'un grand nombre de détenus ont une chance de se réhabiliter, une chance de réintégrer la société. Mais en même temps, il y a certains détenus qui ne sont pas prêts à faire de la réhabilitation immédiatement. Je parle ici des gangs criminels, des gens qui n'aident pas les autres détenus à se réhabiliter, qui leur mettent une pression, des gens qui prennent le contrôle de l'établissement.
Il a ensuite parlé du fait que les programmes ne sont utiles que si le détenu y participe. Il a dit que les membres du crime organisé et les gangs sont exactement le genre de détenus qui ne participent pas aux programmes. Ça les intéresse pas. Ils ne veulent absolument pas participer à un vrai processus de réadaptation.
Au sujet de la marijuana... et je me limite à ce sujet parce que vous proposez dans votre amendement de retirer les dispositions pertinentes de l'annexe II qui, comme l'a précisé M. Seeback, concernent essentiellement la marijuana et ses dérivés. M. Harris disait que c'est une drogue moins dangereuse. Permettez-moi de citer Len Garis, chef des pompiers de Surrey. Il s'est exprimé à ce sujet le 30 avril 2009. Il a dit qu'en « 2003, 2004 et 2005, dans notre collectivité » — pour ceux qui ne connaissent pas cette partie du monde, Surrey est une banlieue de Vancouver —
...nos pompiers ont combattu 1,3 incendie par mois causé par des installations de culture de marijuana. Cela en fait 15 ou 16 par année. Les pompiers étaient craintifs et se sont mis à traiter chaque bâtiment en feu comme une installation de culture. Ils craignaient d'entrer dans ces maisons enfumées. Ils craignaient d'être électrocutés ou de recevoir un choc, ce qui leur était déjà arrivé, mais sans conséquence mortelle. Ils craignaient de se retrouver dans un environnement de ce genre. Ils redoutaient d'arriver en pleine nuit et de trouver deux ou trois maisons en feu, ou d'être entravés par un incendie, parce qu'une maison aurait pris feu à cause d'une installation de culture sans que personne n'y soit pour signaler l'incendie. Ils craignaient d'avoir à évacuer des maisons dans lesquelles des gens dormaient; de devoir essayer de les faire sortir.
Nous avons effectué une étude qui a montré qu'une maison ayant une installation de culture de marijuana est 24 fois plus susceptible de prendre feu qu'une maison qui n'en a pas. Comme certains membres de ma famille sont pompiers, je peux vous dire que c'est très dangereux quand nos premiers intervenants, nos pompiers, nos agents de police, nos auxiliaires médicaux arrivent dans ce genre de situation que personne ne contrôle, et qu'ils doivent mettre leur vie en danger pour essayer d'intervenir.
J'ai ici une déclaration du chef de la police d'Ottawa, Vernon White, de la même époque.
Dans notre service de police, nous trouvons que cette loi est importante dans certains domaines...
— et je précise en passant qu'il parlait du projet précédent, qui était similaire à celui-ci —
...tout particulièrement en ce qui a trait aux organisations criminelles qui font de la distribution de drogues. Elle est également importante dans tous les cas liés aux écoles ou lorsque cela permet aux services de police de défendre les personnes les plus vulnérables, c'est-à-dire les jeunes dans les cours d'école. Il s'agit là d'une occasion de lutter contre les organisations criminelles ou les trafiquants de drogues qui leur distribuent de la drogue.
Je suis mère de quatre enfants. Je viens juste d'avoir une nouvelle petite-nièce, née il y a quatre heures. Je viens de l'apprendre par mon BlackBerry. Les enfants sont importants pour moi, et je sais que nos enfants sont importants pour nous tous au Canada. Je sais que les députés de l'opposition ont appuyé la partie de ce projet de loi qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants et les personnes qui essayent d'attirer des enfants pour commettre des agressions sexuelles.
Les enfants sont également touchés par les drogues. Ils sont touchés par les trafiquants de drogues. Ils sont ciblés par les trafiquants de drogues. Le crime organisé utilise délibérément des enfants pour vendre de la drogue à d'autres enfants parce qu'il sait que les sanctions ne seront pas aussi sévères s'il se font prendre. S'il utilise de jeunes enfants pour les faire goûter à la drogue — et j'ai appris avec surprise que ce sont même parfois des enfants qui n'ont que huit ou neuf ans —, il sait qu'il pourra peut-être en faire des utilisateurs pendant de nombreuses années. Donc, le fait que le crime organisé recrute des jeunes enfants est très grave. Que se passe-t-il quand un enfant est ainsi recruté par ces gangs?
Je faisais récemment partie de la délégation parlementaire Canada-Mexique. Certains d'entre vous y étiez peut-être aussi. J'ai eu le privilège de discuter avec certains de nos collègues du Mexique. Évidemment, il suffit de suivre les nouvelles pour savoir que le trafic de drogue au Mexique est devenu extrêmement violent. Il est extrêmement violent parce qu'il est extrêmement organisé et parce que les sommes en jeu sont tellement attrayantes que de plus en plus de gens veulent en profiter. Certes, nous ne pensons pas avoir au Canada le même niveau de criminalité reliée aux drogues que dans certains autres pays, mais, quand c'est violent, c'est tout aussi violent. Quand des gens sont exécutés, ils ne sont plus là. Quand on assiste à des échanges de coups de feu dans des cours d'école et dans les rues de la Colombie-Britannique, comme je ne cesse de le lire dans la presse, on ne peut pas ne pas réagir.
C'est un problème très grave. C'est un problème transnational. Nous ne sommes pas le seul pays à y faire face, bien sûr, mais c'est un problème grave au Canada. Avec ce projet de loi, nous essayons d'y faire face de manière ciblée en envoyant au moins le message très fort que, si vous ciblez nos enfants, si vous faites partie du crime organisé et voulez utiliser des enfants pour faire du trafic de drogue, ou pour leur vendre de la drogue, vous serez traités de la même manière n'importe où au Canada. Ce sont là des messages très important à nos yeux. Ces gens-là ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils savent qu'ils ne doit pas faire le trafinc eux-mêmes mais plutôt le faire faire par d'autres tout en en récoltant les profits.
Je veux mentionner aussi une autre remarque, de Chuck Doucette. C'est quelqu'un que j'ai connu en Colombie-Britannique où il s'occupait d'action communautaire. À l'époque, en mai 2009, il était vice-président du Drug Prevention Network of Canada. Voici ce qu'il a déclaré :
Les choses ont changé depuis mes débuts dans le domaine de l'application de la loi sur les drogues, en 1977. Au cours de ces 30 années, j'ai vu les peines visant les infractions touchant les drogues s'affaiblir progressivement.
Et voici un point très important :
En même temps, j'ai vu les problèmes liés à l'abus de drogues s'aggraver. J'ai également vu le commerce de la drogue prendre de l'ampleur au centre-ville de Vancouver, en même temps que les efforts d'application de la loi dans ce quartier diminuaient. D'après mon expérience, je ne vois pas comment on peut prendre les 30 dernières années et soutenir que des peines moins sévères mènent à des conséquences sociales moins dommageables. D'après mon expérience, plus nous devenons cléments et plus nous avons des problèmes. Je pense également que d'autres pays ont connu la même expérience, et j'aimerais établir une comparaison.
L'une des raisons pour lesquelles les gangs sont si nombreux à s'adonner à la culture du cannabis dans la région de Vancouver, c'est que les sentences imposées pour le trafic sont plus légères ici qu'ailleurs, de même que pour le trafic de cocaïne et d'héroïne. Le rapport risques-richesse est beaucoup plus avantageux.
Il faut bien comprendre que c'est un commerce. Pour le crime organisé, c'est un commerce. Les petites amendes qui sont infligées sont simplement considérées comme une partie des frais généraux, tout comme dans l'exemple que donnait M. Wilks.
Avec ce projet de loi, nous essayons — et nous y arrivons, à mon avis — d'adopter une démarche équilibrée. Nous savons qu'il est important de continuer à financer la prévention de la criminalité chez les jeunes, ce que nous faisons. Nous savons qu'il est important d'être moins sévère avec un toxicomane qui est prêt à essayer d'en sortir. Nous savons qu'il est important de continuer avec les programmes de réadaptation et de réintégration.
Toutefois, cette démarche équilibrée suppose également qu'on dise, notamment à ceux qui sont violents et qui font partie du crime organisé, que le Canada n'est pas un pays pour eux. Nous voulons qu'ils comprennent que s'ils ciblent les enfants, s'ils sont violents ou s'ils font partie du crime organisé, ils devront en subir des conséquences qui seront les mêmes partout au pays.
Merci.
:
Cela dit, je ne pense pas qu'il faille faire grand cas de tout cela.
Ce qui compte, c'est que, lorsqu'il s'agit de trafic… Le trafic, ça peut être n'importe quoi. Ça peut être les choses dont nous parlons ici, avec de grosses opérations, mais ça peut être aussi la mafia, le Mexique, les cartels, et tous ces trucs-là, ou ça pourrait être… Malheureusement, la définition du trafic est très modeste. Un groupe de jeunes de 20 ans qui partagent une once pour se rouler des joints et les partager, c'est du trafic.
Le problème est que nous ne parlons pas de… Et le trafic entraîne une peine d'emprisonnement à vie. Il n'y a malheureusement aucune distinction, ici. Voilà pourquoi nous pensons que cette démarche est erronée. Nous comprenons que les agents de police, certains services de police, comme vous-même, monsieur, qui êtes un agent de police chevronné, aient une position très ferme, mais nous pensons que l'expérience des autres pays est très claire. Je vais vous donner deux citations. Je sais qu'il y en a beaucoup.
Dans le Toronto Star, par exemple… Vous n'aimez peut-être pas le Toronto Star, mais un article du Toronto Star de décembre 2007 portait sur les peines obligatoires, pas nécessairement pour le trafic de drogue. On y disait que même si « les tribunaux américains infligent des peines qui sont le double des tribunaux britanniques et le triple des tribunaux canadiens, le taux de criminalité violente aux États-Unis est plus élevé » que dans ces deux pays.
L'argument présenté ici est que des peines plus lourdes et plus longues ne donnent pas nécessairement une société plus sûre. Voilà la question importante. L'exemple américain est celui dont je parlais un peu plus tôt et dont des témoins nous ont déjà parlé aussi.
Dans le Calgary Herald — un peu plus proche de la pensée de M. Rathberger — du 15 mai 2010, il y avait un éditorial intitulé « Les joints en folie », avec comme sous-titre « Prison d'office pour six plantes de mari, c'est trop ! ». Voici ce qu'on y disait :…
Malgré 25 années de minimums obligatoires sévères, un nombre disproportionné de pauvres, de jeunes, de membres des minorités et de toxicomanes est jeté dans les prisons américaines sans la moindre incidence sur le commerce des drogues lui-même, qui est florissant.
Cela souligne bien les préoccupations que nous avons si nous allons dans cette voie. Nous allons avoir des gens... Nous comprenons bien les complexités du commerce de drogues. Il y a ceux tout en haut de la pyramide qui l'organisent, et ce sont eux qui en bénéficient. Il y a ceux tout en bas, et ce sont eux qui sont le plus susceptibles de se voir infliger ces minimums obligatoires. Ce sont eux qui iront en prison. Je ne dis pas qu'ils ne devraient pas y aller pour ce qu'ils ont fait, je dis simplement que ce sont ceux qui seront les plus faciles à attraper, si vous voulez, alors que les caïds en sortiront indemnes.
Notre objectif n'est aucunement d'appuyer ou de promouvoir le commerce des drogues. Les situations évoquées par Mme Findlay, la destruction de maisons par des opérations de culture de marijuana comme en Colombie-Britannique… Je sympathise totalement avec toute personne dont la maison ou la propriété a été victime de cela, ou qui a brûlé… Ce sont des choses horribles.
Ce qui compte, c'est que, quand ces affaires passent en justice, les coupables ne se voient pas infliger des peines de 500 $ avec le droit de rentrer chez eux. Je suis d'accord pour qu'on leur inflige des peines reflétant la gravité de leurs actes.
Oui, il faut qu'il y ait une certaine uniformité des peines, et c'est exactement ce qu'a fait la cour de l'Alberta dans l'affaire dont parlait M. Brent Rathgeber.
Nous avons des opinions divergentes. J'en conviens tout à fait, mais je ne voudrais donner à personne l'impression que nous traitons la marijuana de manière différente.
Il y a ici toute une série d'amendements. Nous nous opposons à tous les minimums obligatoires envisagés ici, à cause de l'expérience acquise dans d'autres pays, à cause des experts que nous avons… Nous proposons une série d'amendements — et nous espérons y arriver bientôt — sur une base individuelle, bien que je sache que M. Cotler veut parler de généralités, qui remplaceront les minimums obligatoires par les peines d'emprisonnement à vie qui sont là, et nous espérons que les tribunaux répondront aux cours d'appel, pour appliquer les peines qui s'imposent.
Ce que nous voulons éviter, c'est une situation arbitraire dans laquelle un jeune de 19 ans qui a commis une infraction très mineure serait traité de la même manière qu'un criminel dangereux, en vertu de lois et de règlements conçus pour quelqu'un d'autre.
Voilà donc l'objet des amendements que nous proposons. Nous essaierons de supprimer toutes les peines minimales obligatoires, même dans le cas des autres infractions et pas seulement dans le cas de la marihuana.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, la question ici est de savoir si, oui ou non, vous êtes satisfaits de ce que l'augmentation du trafic des drogues illégales a fait à nos jeunes et à notre pays. Autrement dit, voulez-vous pratiquer la politique de l'autruche et ne rien faire ou bien voulez-vous, comme Hamlet, « prendre les armes contre une mer de trouble » et essayer au moins de trouver une solution?
Il est triste d'avoir un débat de ce genre, mais c'est là que nous en sommes. Je dois vous dire que l'une des plus grandes surprises que j'ai eues en siégeant à ce comité de la justice pendant les trois dernières années a été d'entendre des universitaires respectés venir nous recommander de décriminaliser toutes les drogues illégales — oui, toutes les drogues illégales — de la marihuana à la cocaïne et de l'héroïne au Rohypnol. Ce n'était qu'une opinion d'universitaires. Je ne vous ennuierais pas en vous exposant leurs raisons, mais ils en avaient. Je vous dirai simplement que ces gens avaient perdu le sens des réalités de notre pays. Je sais qu'un membre du comité a fait une citation tout à l'heure, mais j'aimerais vous demander de faire la comparaison entre l'avis des universitaires et le point de vue de quelqu'un qui sait ce qui se passe dans la rue.
M. Chuck Doucette, vice-président du Drug Prevention Network of Canada, a dit ceci. Je vais vous lire cet extrait parce que je pense qu'il s'oppose très nettement au point de vue universitaire que je viens de mentionner.
Les choses ont changé depuis mes débuts dans le domaine de l'application de la loi sur les drogues, en 1977. Au cours de ces 30 années, j'ai vu les peines visant les infractions touchant les drogues s'affaiblir progressivement. En même temps, j'ai vu les problèmes liés à l'abus de drogues s'aggraver. J'ai également vu le commerce de la drogue prendre de l'ampleur au centre-ville de Vancouver, en même temps que les efforts d'application de la loi dans ce quartier diminuaient. D'après mon expérience, je ne vois pas comment on peut prendre les 30 dernières années et soutenir que des peines moins sévères mènent à des conséquences sociales moins dommageables. D'après mon expérience, plus nous devenons cléments et plus nous avons des problèmes.
Cela vous touche-t-il? Ces paroles ne correspondent-elles pas à ce que nous savons et à ce qui se passe vraiment en ce qui concerne les peines prononcées dans les cas d'infractions liées aux drogues? N'est-ce pas là une évaluation plus réaliste de la situation que le point de vue universitaire préconisant une simple légalisation de toutes les drogues?
Je voudrais aborder brièvement la question de la dissuasion. Une fois de plus, nous avons écouté ici des universitaires qui nous ont dit plus ou moins — je n'essaie pas de paraphraser — que les peines dissuasives ne servent à rien. Cela me surprend. Cela fait seulement trois, quatre ou cinq ans que j'ai quitté la pratique du droit. Je peux donc vous affirmer que ceux qui disent que les peines dissuasives n'ont aucune valeur ont simplement perdu tout sens des réalités de notre pays.
Tous les jours, dans chacune des grandes villes du Canada, dans chaque tribunal, il y a des juges qui prononcent des peines dissuasives. Ont-ils tous tort? Est-ce que tous les policiers qui demandent des peines dissuasives se trompent? Les parents qui demandent souvent aux tribunaux d'infliger des peines dissuasives à leurs enfants ont-ils tous tort? Les victimes qui se présentent au comité pour demander des peines dissuasives sont-elles toutes dans l'erreur?
Je dois vous dire que je n'ai pas toujours été du même avis à ce sujet. J'ai été avocat de la défense et procureur pendant des années. La plupart de mes collègues avocats de la défense reconnaissent que des peines dissuasives sont souvent nécessaires pour décourager les récidivistes. Je ne suis pas un grand partisan de l'emprisonnement, surtout dans le cas des jeunes. Je suis heureux de constater que ce projet de loi, de même que la Loi précédente sur le système de justice pénale pour les adolescents, indique aux juges que l'emprisonnement ne devrait être qu'un dernier recours dans le cas des jeunes.
Il y a environ deux ans, nous avons entendu un témoin dans la vingtaine qui nous a dit qu'il avait écopé d'une multitude de petites peines qui ne l'avaient pas du tout intimidé. Finalement, il a été condamné à trois ans de prison et a alors eu l'occasion de participer à des programmes de traitement destinés à apporter une certaine stabilité dans sa vie. C'était un homme différent à sa sortie de prison. Il était reconnaissant. L'emprisonnement n'a pas toujours les terribles conséquences dont nous parlent les députés du NPD.
Je voudrais vous parler d'une magistrate de ma collectivité, Mme le juge Hardman du tribunal de la jeunesse. Chaque fois que se présentait devant elle un individu accusé d'agression, elle tenait à lui dire que si l'agression s'était produite dans une école où des enfants étaient tenus d'être présents et s'y trouvaient donc captifs et sans défense, il n'échapperait pas à une peine de prison. Pourquoi disait-elle cela, à votre avis? Elle le disait parce qu'elle espérait dissuader d'autres jeunes de s'attaquer à des gens à l'école. Son procédé semblait marcher. Elle pensait — et moi aussi — qu'il était efficace. Vous pouvez bien penser que ces cas tiennent de l'anecdote, mais vous pouvez aussi penser que c'est du simple bon sens basé sur des années et des années de pratique du droit. Ce n'est peut-être pas ce qu'on trouve dans les manuels, mais ça marche.
J'ai une dernière chose à dire au sujet de la dissuasion. Le projet de loi que nous examinons cible essentiellement les infractions liées aux drogues commises par le crime organisé. Il y a un an ou deux, le comité de la justice a réalisé une étude. Certains des membres actuels n'étaient pas là à l'époque. Savez-vous ce que nous avons découvert? Chose étrange, nous avons constaté que le crime organisé est dirigé par des criminels organisés qui — vous l'aurez peut-être deviné — agissent en fonction de leur portefeuille. Plus c'est coûteux, plus ils doivent payer cher, moins ils sont susceptibles de commettre un acte et plus le facteur dissuasif est efficace.
Je voudrais aussi aborder brièvement la question des pouvoirs discrétionnaires des juges. Le NPD a toujours appuyé ces pouvoirs discrétionnaires quand ils permettent aux juges de se montrer plus cléments. Ces derniers jours, cependant, nous avons essayé de faire adopter une loi qui permet aux juges d'exercer leurs pouvoirs discrétionnaires à l'appui de peines dissuasives, pour permettre le maintien sous garde ou d'autres réparations. Mais où sont maintenant les principes néo-démocrates favorables aux pouvoirs discrétionnaires des juges? Ils ont disparu comme neige au soleil. Il y a des cas où ces pouvoirs sont opportuns et des cas où ils ne le sont pas. Toutefois, si vous insistez sur l'utilité des pouvoirs discrétionnaires, il n'y a absolument aucune raison de les enlever aux juges quand il s'agit d'appliquer des peines plus sévères plutôt que moins sévères. Soit dit en passant, j'ai remarqué la même incohérence chaque fois que des représentants de l'Association du Barreau canadien se sont présentés devant le comité.
Je voudrais aussi dire quelques mots des comparaisons plutôt trompeuses que font les députés du NPD entre les mesures prises par notre gouvernement et ce qui se passe aux États-Unis. Les médias ont beaucoup parlé récemment du fait que le Texas adopte une approche plus clémente en matière de peines et met en garde le Canada contre l'adoption de peines plus sévères. Eh bien, mes amis, je dois vous dire que même les règles texanes les plus clémentes aboutissent encore à un taux d'incarcération cinq fois plus élevé que le pire taux canadien.
Rien de ce que notre gouvernement a proposé n'est comparable, ni de près ni de loin, aux peines minimales obligatoires de 10 ans d'emprisonnement qui sont imposées dans certains États américains. Rien de ce que notre gouvernement a proposé ne se compare à l'infâme règle des trois fautes qui permet d'envoyer des gens en prison pour des peccadilles. Notre gouvernement n'a jamais pensé à des choses de ce genre et n'y pensera jamais. La comparaison est parfaitement déplacée. Nous proposons plutôt des peines soigneusement ciblées pour les pires infractions ou les pires délinquants. En fait, si on parcourt le projet de loi, on peut être vraiment surpris par ce qu'on y trouve.
Par exemple, si un individu est condamné pour trafic de marihuana sans circonstances aggravantes — il ne l'a pas produite, il n'a pas fait participer à son infraction des personnes de moins de 18 ans, il n'a pas agi à proximité d'une école, il s'est simplement livré au trafic de la marihuana… Savez-vous sur quelle quantité de marihuana le trafic peut porter sans que l'individu en cause ne soit passible d'une peine minimale obligatoire? Vous trouverez la réponse à cette question au nouvel alinéa 5(3)a.1) du Code criminel: trois kilogrammes. Malheureusement, j'en suis encore resté personnellement aux livres et aux onces, mais j'ai quand même l'impression que trois kilogrammes font une assez grande quantité. En vertu de ce projet de loi, on peut faire le trafic de trois kilogrammes de marihuana. Ainsi, si l'individu en cause se limite au trafic, sans produire le cannabis et sans tomber sous le coup d'aucune des circonstances aggravantes, il n'est pas passible d'une peine minimale obligatoire. Voilà qui prouve bien que le projet de loi est loin d'être draconien.
Je voudrais mentionner une ou deux autres dispositions du projet de loi qui sont intéressantes à cet égard, monsieur le président. Je les rattache simplement aux observations concernant l'article 39, mais j'aimerais aller un peu plus loin. Le projet de loi propose d'ajouter un nouvel article 9 à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Voici ce qu'il prescrit:
9.(1) Dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur du présent article, un examen détaillé de la présente loi et des conséquences de son application, assorti d'une analyse coût-avantage des peines minimales obligatoires, doit être fait par le comité du Sénat, de la Chambre des communes ou des deux chambres du Parlement désigné ou établi à cette fin.
Autrement dit, mesdames et messieurs, le projet de loi prévoit un examen quinquennal qui nous permettra de déterminer le rapport coût-avantage des peines minimales obligatoires. Dans ces conditions, pourquoi ne pas donner une chance à ces dispositions ciblées dont je parlerai dans quelques instants?
Il y a une autre disposition intéressante qui montre à quel point le projet de loi est modéré et équilibré. Les nouveaux paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances — cela n'a pas été mentionné par mes amis l'opposition, mais peut-être l'ont-ils fait un peu plus tôt à un moment où je n'écoutais pas — prévoient que les peines minimales obligatoires dont nous parlons ne seront pas imposées à un délinquant qui termine avec succès un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie.
Par conséquent, lorsqu'on entend le NPD parler des toxicomanes qui seront jetés en prison parce qu'ils interviennent à un niveau très bas au trafic de la drogue et sont pris en possession d'une arme ou après avoir commis une agression, il faut bien se rendre compte qu'en vertu du projet de loi, ces gens ne se verront pas infliger une peine minimale obligatoire s'ils terminent avec succès un programme de traitement de la toxicomanie.
Je recommande vraiment à tous les intéressés de lire le projet de loi parce qu'ils constateront alors qu'il est très ciblé.
Je demande donc ceci à mes collègues néo-démocrates: Si vous découvrez que l'individu fait le trafic de la drogue au profit d'un groupe du crime organisé, pensez-vous qu'il devrait aller en prison afin d'affaiblir le groupe en cause? C'est l'une des circonstances aggravantes qui imposent d'infliger une peine minimale obligatoire.
Est-il vraiment répréhensible que le gouvernement veuille affaiblir le crime organisé? Je ne le crois pas, et je pense que la plupart des Canadiens seront de mon avis. Le NPD et les autres qui soutiennent que nous ne devrions pas essayer d'affaiblir le crime organisé de cette manière ont perdu le sens des réalités en ce qui concerne les besoins de la société canadienne d'aujourd'hui.
S'il ne suffit pas qu'un trafiquant de drogue travaille pour le crime organisé, trouveriez-vous suffisant qu'il use de violence en commettant son infraction? Cela serait-il suffisant pour justifier une peine d'emprisonnement?
Je vois M. Harris qui hoche la tête. Il se trouve que c'est la deuxième circonstance aggravante prévue dans le projet de loi qui imposerait d'infliger une peine minimale d'un an d'emprisonnement.
Si le recours à la violence n'est pas suffisant, trouveriez-vous suffisant que quelqu'un se serve d'une arme dans son trafic de la drogue? Nous nous inquiétons beaucoup des armes à feu au Canada. Il me semble bien que si quelqu'un utilise une arme dans son trafic, cela devrait justifier une peine minimale obligatoire. C'est en effet une autre des circonstances aggravantes qui impose d'infliger une peine minimale obligatoire d'un an d'emprisonnement.
Je ne cite pas souvent le Toronto Star, mais je veux mentionner un article sur une étude assez approfondie d'un tribunal pour jeunes contrevenants. L'article a paru les 29, 30 et 31 octobre dernier. Du moins dans le cas des armes — je reviendrai plus tard sur ce point — et du recours du crime organisé à des jeunes pour commettre des infractions liées à la drogue, le Toronto Star a dit ce qui suit: « Tant de personnes sont arrêtées, accusées et condamnées pour avoir porté ou pointé une arme a feu, ou encore pour avoir tiré à l'aide d'une arme à feu, que les procureurs parlent d'un véritable fléau. » Ils ont raison. Les jeunes ne devraient pas se servir d'armes, ils ne devraient pas utiliser des pistolets, les pointer ou s'en servir pour menacer quelqu'un. Un juge de paix de Toronto a dit que les jeunes portant des armes à feu sont devenus une vraie plaie dans la ville. Il est donc bien possible qu'une peine minimale obligatoire destinée à dissuader les gens d'utiliser des armes et des pistolets n'est pas une si mauvaise idée après tout.
Si cela ne suffit toujours pas pour justifier une peine d'emprisonnement, est-ce que vous trouveriez suffisant le fait qu'un trafiquant se tienne aux alentours de l'école de votre fille ou de votre fils, de la patinoire où les jeunes ont l'habitude de se retrouver ou d'un autre endroit fréquenté par des adolescents pour les inciter à consommer des drogues? Je demande à mes amis d'en face si cela suffirait pour justifier une peine minimale obligatoire à but dissuasif? Voilà encore une autre des circonstances aggravantes prévues dans le projet de loi.
Je vais juste en mentionner une de plus. S'il ne suffit pas pour vous que le trafiquant se tienne aux endroits fréquentés par des enfants pour les inciter à acheter des drogues, est-ce que vous trouveriez suffisant que le trafiquant engage un jeune de moins de 18 ans afin de vendre de la drogue pour lui? Est-ce que cela suffirait pour justifier une peine d'emprisonnement?
Avant de vous laisser répondre à ces questions, je voudrais citer encore un article du Toronto Star. Je ne nommerai personne, mais l'article donnait des exemples concernant trois jeunes. Le premier a été condamné pour possession de marihuana après qu'une voiture dans laquelle il se trouvait a été interceptée par la police et qu'on y a trouvé plusieurs centaines de dollars en espèces, une demi-once de crack et un étui de pistolet fabriqué au moyen d'un cintre. Ce jeune était impliqué dans le trafic de la drogue.
Un autre a été condamné pour tentative d'effraction et possession de marihuana en avril, puis arrêté de nouveau en juin parce que la police aurait trouvé dans sa chambre deux pistolets de départ et plus d'un gramme de narcotiques qu'il avait inséré dans son rectum. Le troisième, un jeune de 16 ans, est l'un des nombreux adolescents revendeurs de crack qui sont passés devant le tribunal des jeunes contrevenants en 2011.
Il n'y a pas de doute que des criminels organisés recrutent des jeunes pour vendre de la drogue parce que les tribunaux les traitent différemment sur le plan des peines. Ils ne sont pas punis aussi sévèrement que les adultes. Par conséquent, si nous savons qu'un criminel organisé a recruté un jeune, est-ce une raison suffisante pour l'emprisonner? Cela, mes amis, constitue une autre circonstance aggravante qui impose au juge de prononcer une peine minimale obligatoire en vertu du projet de loi.
Je pourrais poursuivre longtemps, mais je pense, mesdames et messieurs, que vous avez saisi mon point de vue: le projet de loi cible particulièrement les délinquants qui commettent des infractions dans des circonstances aggravantes afin de combattre un véritable fléau de notre société. Cela signifie que notre gouvernement est au diapason de la police, des parents, des tribunaux et des procureurs qui souhaitent réagir au problème d'une manière que, malheureusement, le NPD n'envisagera jamais pour des raisons idéologiques ou autres.
J'aurais peut-être l'occasion de parler plus tard d'autres dispositions du projet de loi, mais je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir permis de m'exprimer maintenant. Merci.
:
Merci, monsieur le président.
J'ai écouté assez patiemment les délibérations de ce soir. Je dois dire que j'ai trouvé la discussion très bonne. J'espère que ceux qui n'auront pas eu l'occasion de nous voir auront la possibilité de lire le compte rendu parce qu'il y a des considérations contradictoires et que ce serait un bon moyen de les évaluer.
Je vais commencer par présenter mon amendement, puis je ferai comme mes collègues en parlant d'une façon générale de la question des peines minimales obligatoires. Comme j'ai écouté attentivement mes collègues, j'essaierai de ne pas répéter ce qui a déjà été dit.
Au sujet de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le paragraphe 39(1) du projet de loi modifiant la disposition 5(3)a)(ii)(A) de la loi autorise une peine minimale de deux ans « si la personne […] a commis l'infraction à l'intérieur d'une école, sur le terrain d'une école ou près de ce terrain ou dans tout autre lieu public normalement fréquenté par des personnes de moins de dix-huit ans ou près d'un tel lieu ». Mon amendement ajouterait à ce libellé ce qui suit: « si, au moment de la perpétration de l'infraction, des personnes de moins de dix-huit ans étaient présentes ou se trouvaient à proximité ».
L'objet de cet amendement, monsieur le président, est de veiller — je comprends bien cela — à ce que la circonstance aggravante consistant à commettre une infraction près d'un lieu public normalement fréquenté par des personnes de moins de dix-huit ans n'existe que si les jeunes sont présents ou se trouvent à proximité au moment où l'infraction est commise. Autrement, cette circonstance pourrait s'appliquer à presque n'importe quel endroit d'une ville. Je ne crois pas que ce soit là l'intention de cette disposition particulière. En effet, cette disposition risque d'être jugée inconstitutionnelle à cause de sa trop grande portée, même si elle n'est pas intentionnelle. Je ne voudrais pas que cela se produise car je crois qu'elle est importante. Je ne crois pas non plus que mes collègues d'en face veuillent que cela se produise.
Monsieur le président, si vous le permettez, je profiterai de cette occasion pour examiner tout ce que les députés des deux côtés ont fait jusqu'ici au sujet de la question des minimums obligatoires, qui est à la base de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je parlerai en particulier de l'article 39. Ce sera la seule fois que je l'aurai fait ce soir. Cette question pourrait être soulevée dans le contexte d'autres amendements, mais je ne l'aborderai qu'une seule fois, et je le ferai tout de suite.
Je voudrais commencer par répondre à quelques-unes des observations de M. Woodworth qui méritent, je le crois, de faire l'objet d'un examen et d'une réponse.
Il a demandé si nous sommes, oui ou non, satisfaits des effets du trafic de la drogue. De toute évidence, je ne suis pas satisfait. Il a aussi demandé si nous étions d'avis que toutes les drogues doivent être légalisées ou que toute drogue consommée doit être décriminalisée. Je ne suis pas de cet avis. Il se trouve, monsieur le président, que je suis entre autres un universitaire, mais je ne défends pas ce point de vue, et je ne crois pas que tous les universitaires le défendent.
M. Woodworth a également demandé si les déclarations des témoins qu'il a cités nous avaient touchés. Je lui réponds que je suis déjà passé par là. Je sais de quoi il parle. Oui, j'ai été touché. Je ne crois pas que n'importe lequel d'entre nous pourrait rester indifférent face aux situations qu'il a décrites.
Selon M. Woodworth, le fait de dire que les peines dissuasives n'ont aucune valeur témoigne d'une perte du sens des réalités. Monsieur le président, je ne dis pas que les peines dissuasives n'ont aucune valeur. Je dis simplement que la dissuasion est un facteur qu'il faut considérer dans le contexte de la preuve présentée.
Finalement, M. Woodworth estime que les infractions mentionnées à l'article 39 sont liées au fléau du crime organisé. Le crime organisé est bien un fléau. Nous devons le prendre au sérieux. Il est important de le combattre et de le réprimer, mais les infractions ne sont pas toutes liées au crime organisé. Il faut aussi tenir compte de ce fait.
Monsieur le président, ayant, je l'espère, répondu aux questions de M. Woodworth, je voudrais maintenant aborder plus particulièrement mon approche globale de la question des minimums obligatoires.
Je voudrais commencer par vous dire… J'espère que vous voudrez bien m'écouter pendant quelques instants parce que j'ai évolué moi aussi au chapitre des peines minimales obligatoires. Si je m'y oppose actuellement par principe, il n'en a pas toujours été ainsi. En fait, il fut un temps où j'estimais anormale toute opposition à ces peines. Instinctivement, je croyais devoir appuyer les minimums obligatoires. C'était mon approche initiale de cette question.
Je crois, comme les députés du gouvernement, que des peines sévères et cohérentes pour tous les délinquants qui commettent le même crime constituent un facteur efficace de dissuasion, une approche efficace du problème et un moyen approprié du droit et de la politique en matière pénale. Je dois dire, monsieur le président, que j'y croyais vraiment et que j'avais de bonnes raisons d'y croire. Mon attitude à ce moment était essentiellement fondée sur l'intuition et l'instinct.
Je dois cependant dire qu'après examen, j'en suis venu à juger suspectes les peines minimales obligatoires du double point de vue du principe et de la politique, sinon pour des considérations constitutionnelles. Elles sont suspectes, qu'on les considère sous l'angle de la prévention du crime, qui constitue clairement l'objectif global, ou du point de vue de la réadaptation du délinquant, de la protection de la victime, de la sécurité publique ou du coût pour l'ensemble de la société.
Ma position a donc évolué car j'étais au départ favorable aux peines minimales obligatoires pour les raisons que j'ai mentionnées. Ma position a évolué après une étude réfléchie, à titre de professeur de droit et non à titre d'universitaire vivant en dehors des réalités de la rue, après un examen de la question dans différentes administrations, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande et à d'autres endroits que j'ai visités et où j'ai rencontré des experts du domaine, des groupes de défenses des victimes, etc., après une étude prolongée faite comme témoin de ce qui se passe dans la rue et pendant la période où j'exerçais les fonctions de ministre de la Justice au sein d'un gouvernement qui croyait intuitivement à la valeur des peines minimales obligatoires, peut-être plus que je ne l'aurais voulu.
J'ai eu l'impression que cette position était partiellement appuyée par les membres du gouvernement dont je faisais partie, non à cause d'une appréciation des facteurs en jeu — quoique je ne veuille vraiment m'attaquer à personne —, mais par suite d'une réaction instinctive qui les amenait à croire qu'en n'appuyant pas des minimums obligatoires, ils seraient jugés laxistes envers les criminels. Il semblait alors politiquement important d'appuyer les peines minimales obligatoires si on ne voulait pas être accusé de laxisme et avoir à en souffrir sur le plan politique. Je sais que certains de mes collègues croyaient que mon opposition aux minimums obligatoires pouvait me nuire. J'en parle sur la base de la situation qui existait alors, mais, encore une fois, je ne veux m'en prendre à personne ni individuellement ni collectivement.
En examinant tous ces critères d'évaluation précis, j'en suis venu à m'opposer aux peines minimales obligatoires. Je voudrais maintenant résumer les motifs de mon opposition. Je n'essaierai pas de répéter ce qui a déjà été dit et, si je le fais, je le mentionnerai. Si j'agis ainsi, c'est parce que des gens raisonnables peuvent raisonnablement ne pas être d'accord sur ce que je compte dire et sur ce que j'ai entendu ce soir.
Comme je l'ai dit, je crois que c'est une bonne discussion engagée. Je suis sensible à ce que les députés d'en face ont dit. J'espère qu'ils se montreront ouverts aux critiques que je formulerai. Je ne prétends pas qu'elles soient concluantes. Je les avance comme éléments de la discussion.
Premièrement, j'estime que les peines minimales obligatoires ne permettent pas d'avancer vers l'objectif visé — la prévention du crime et la dissuasion — comme je pensais qu'elles le feraient. Pour le dire, je me base en partie sur mon examen de la documentation et des recherches internationales en sciences sociales. Je me base aussi sur ma propre expérience comme ministre de la Justice. Je suis tombé sur un document — je crois que M. Harris l'a mentionné — publié en décembre 1990. Il porte le titre Vers une réforme: Détermination de la peine, affaires correctionnelles, mise en liberté sous condition, Justice Canada, 1990. On trouve ceci à la page 9 de ce rapport:
[…] les preuves démontrent que des longs séjours en prison augmentent la probabilité que le criminel récidive [...] En fin de compte, cela compromet davantage la sécurité publique, plutôt que de la renforcer, si « on jette la clé ».
M. Harris a mentionné ce document. Je le mentionne aussi parce que les études produites par le ministère de la Justice ont certes influencé ma réflexion pendant que j'étais ministre, surtout quand elles correspondaient à ce que j'observais moi-même, aussi bien au Canada qu'à l'étranger.
Je parlerai dans quelques instants d'un rapport de la Commission américaine de détermination de la peine, qui vient d'être publié le 12 novembre et qui est lié d'assez près à notre discussion de ce soir. C'est mon premier point.
Mon deuxième point est que les peines minimales obligatoires ne ciblent pas nécessairement les délinquants les plus dangereux qui feraient de toute façon l'objet de sentences très sévères à cause de la gravité de leurs crimes. Malheureusement, monsieur le président, ce sont souvent les délinquants les moins coupables qui sont pris au piège de ces peines obligatoires et qui sont condamnés à des peines d'emprisonnement extrêmement longues.
Permettez-moi de citer à cet égard un extrait du rapport qui, comme je l'ai dit, a été publié dans la deuxième semaine de novembre. C'est un rapport de 645 pages de la Commission américaine de détermination de la peine. J'ai bien pris note de ce qui a été dit au sujet des différences entre le Canada et les États-Unis et je ne prendrai pas aveuglément les déclarations faites au Texas sans tenir compte des distinctions à faire. Je dis simplement que, sur le double plan des principes et de la politique, on a constaté, au sujet des peines minimales obligatoires, certaines choses dont je voudrais vous faire part.
La Commission américaine de détermination de la peine a noté que les minimums obligatoires fédéraux sont souvent « excessivement sévères » et ne sont ni « assez étroitement ciblés pour ne s'appliquer qu'aux délinquants qui méritent une telle punition » ni « appliquées d'une manière cohérente ». Je résume le contenu du rapport pour ne pas passer trop de temps sur cet aspect particulier.
Cela m'amène à ma troisième considération ou critique, à savoir que les minimums obligatoires — nous avons déjà entendu parler de cela — ont des effets disproportionnés sur des groupes minoritaires déjà pauvres et défavorisés. Elle touche en particulier les collectivités autochtones. Encore une fois, c'est une chose dont j'ai pu me rendre compte, non seulement en prenant connaissance de différentes études, mais aussi en exerçant mes fonctions de ministre de la Justice. C'est la raison pour laquelle j'avais alors considéré comme prioritaire la justice pour les Autochtones. J'ai constaté que, dans le système de justice pénale, les Autochtones sont surreprésentés parmi les détenus et sous-représentés parmi les juges, les agents d'exécution de la loi et les autres groupes semblables.
Monsieur le président, cela a une signification particulière en fonction des principes de détermination de la peine et de l'approche globale des conséquences des peines minimales obligatoires pour les Autochtones. Cela explique, monsieur le président, que l'alinéa 718.2e) du Code criminel impose au juge de tenir compte de la situation des délinquants autochtones avant de prononcer la sentence. Si une sanction moins contraignante permet de protéger adéquatement la société ou si la situation particulière du délinquant autochtone doit être reconnue, des sentences plus sévères et des peines minimales obligatoires entreraient en conflit avec ce principe.
Dans l'arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a également reconnu que l'incarcération devrait en général constituer une sanction pénale de dernier recours et qu'elle pourrait bien ne pas convenir ou ne pas être utile dans le cas des délinquants autochtones.
J'ajoute, pour en finir avec ce troisième point, que les minimums obligatoires ont des effets préjudiciables disproportionnés sur les groupes vulnérables, et particulièrement les Autochtones.
J'en viens maintenant à ma quatrième critique: les peines minimales obligatoires pourraient compromettre d'importants aspects du régime canadien de détermination de la peine. La question ayant déjà été mentionnée, je ne vais pas m'appesantir là-dessus, mais je dois dire que ces peines peuvent compromettre des principes tels que la proportionnalité et l'individualisation ainsi que la possibilité correspondante de compter sur les juges pour imposer une sentence juste après avoir pris connaissance de tous les faits d'une affaire particulière.
Cela m'amène à ma cinquième critique. Permettez-moi de revenir au rapport de la Commission américaine de détermination de la peine, que j'ai déjà mentionné, et au fait qu'elle a noté que les peines minimales obligatoires fédérales peuvent être excessivement sévères et avoir des effets différents sur ceux qui ne les méritent pas, et ainsi de suite. Cela est particulièrement vrai, monsieur le président. C'est la conclusion à laquelle je m'intéresse. La commission américaine a constaté… Ses résultats sont d'ailleurs assez semblables à ceux de la commission canadienne de détermination de la peine, surtout dans le cas des infractions liées aux drogues, qui forment quelque 75 p. 100 des infractions visées par des minimums obligatoires. Il y a donc des retombées particulières qui dépendent du genre d'infractions. Comme je l'ai dit, celles-ci ne sont pas toujours liées au crime organisé.
Sixièmement, monsieur le président, les peines minimales obligatoires pourraient ajouter inutilement à la complexité du cadre actuel des principes de détermination de la peine et augmenter le temps consacré par les tribunaux à l'audience de détermination de la peine.
Autrement dit, monsieur le président, nous avons ici une sorte de double paradoxe, presque une dialectique. Il est probable que moins d'accusés voudront plaider coupable, ce qui ajoutera aux pressions qui s'exercent sur les ressources judiciaires. Par ailleurs, les procureurs pourraient profiter de l'existence de minimums obligatoires pour inciter les accusés à plaider coupable. Les accusés seront donc pris entre deux feux justement à cause de l'hypothèse de base sur laquelle reposent les peines minimales obligatoires. Par conséquent, le projet de loi entrerait souvent en conflit avec les principes existants du droit et de la common law en matière de détermination de la peine, de sorte qu'on pourrait finir par avoir — peut-être sans le vouloir — des sentences excessives, sévères et souvent injustes, ce qui pourrait donner lieu à des contestations en vertu de l'article 12 de la Charte. Cela m'amène à ma huitième considération. Je vais essayer de conclure rapidement, monsieur le président.
Pour des raisons qui ont déjà été mentionnées et que je n'ai donc pas à reprendre, les minimums obligatoires pourraient donner lieu à toute une gamme de contestations constitutionnelles qui encombreront encore plus les tribunaux et nous écarteront davantage des principes de justice et d'équité.
J'en viens à ma neuvième critique. Comme l'ont signalé les commissions américaine et canadienne de détermination de la peine, des politiques inéquitables et incohérentes dans ce domaine — qui découlent très souvent des peines minimales obligatoires — peuvent favoriser un manque de respect et de confiance à l'égard du système de justice pénale. C'est une considération que je partage. Cela m'amène à ma dixième critique, monsieur le président.
En fin de compte, comme la preuve l'établit, nous pourrions nous retrouver dans une situation dans laquelle nous jetterions en prison de plus en plus de gens pendant des périodes de plus en plus longues, aggravant ainsi le problème de la surpopulation carcérale que nous avions déjà avant le dépôt du projet de loi et qui pourrait en soi susciter des préoccupations constitutionnelles touchant les peines cruelles et inhabituelles, comme cela a été le cas aux États-Unis dans le récent arrêt de la Cour suprême américaine relatif à la Californie.
La onzième critique a déjà été mentionnée. Je n'en parlerai donc pas. Il s'agit de la question des coûts.
Nous risquons non seulement de voir les coûts augmenter ou grimper vertigineusement, mais aussi de voir se détériorer les relations fédérales-provinciales si les provinces doivent supporter le fardeau des coûts accrus par suite des peines minimales obligatoires, peut-être sans avoir été suffisamment consultées à ce sujet par le gouvernement fédéral.
Enfin, monsieur le président, la Commission américaine de détermination de la peine a confirmé ceci, de même que les indices recueillis au Canada et dans les autres pays que j'ai examinés. Voici ce qu'elle a dit à ce sujet:
La multiplication des peines minimales obligatoires a nui à l'intégrité du système de justice, a réduit le rôle des juges dans la détermination de la peine et a accru le pouvoir des procureurs au-delà de ce que justifie leur propre rôle.
Permettez-moi de poursuivre dans cette voie, monsieur le président, parce que je voudrais citer un éditorial commentant le rapport de la Commission américaine de détermination de la peine. L'éditorial a paru avant la publication du rapport à cause d'une autre étude réalisée à New York sur la question des minimums obligatoires. Je ne veux pas prolonger ce débat, mais je voudrais simplement dire que le New York Times a dit ce qui suit dans un éditorial daté du 28 septembre 2011:
… les procureurs peuvent souvent obliger les suspects à plaider coupable plutôt que de risquer un procès en les menaçant d'accusations plus graves pouvant les rendre passibles de longues peines obligatoires d'emprisonnement. Dans de tels cas, les procureurs déterminent eux-mêmes la peine dans le cadre d'un processus caché et non susceptible de révision, faisant ainsi ce que les juges sont censés faire d'une façon ouverte et susceptible de révision.
Cette dynamique, ajoute l'éditorialiste — je veux juste le mentionner en passant sans nécessairement en tirer des conclusions —, constitue encore une autre raison…
... d'abroger les lois prévoyant des peines obligatoires, qui se sont révélées désastreuses partout dans le pays, parce qu'elles ont contribué à remplir les prisons à un prix ruineux. Ces lois avaient été conçues comme moyen d'infliger des peines sévères et cohérentes à tous les délinquants qui commettent le même crime. Mais elles n'ont fait qu'aggraver considérablement le problème. En effet, elles ont détourné l'attention du système de justice de la décision à prendre concernant la culpabilité ou l'innocence. En donnant plus de pouvoirs aux procureurs, ces lois ont souvent entraîné des peines différentes pour différents délinquants ayant commis des crimes semblables.
L'éditorialiste conclut ainsi: « Ces lois ont contribué à l'encombrement des prisons sans augmenter la sécurité publique. Dans le domaine des crimes liés à la drogue — c'est de cela que nous parlons justement, monsieur le président — une étude RAND a établi que ces peines sont moins efficaces que le traitement de la toxicomanie et les sentences discrétionnaires. »
En conclusion, monsieur le président, si vous examinez la documentation de toutes les organisations de justice pénale qui ont étudié cette question, aussi bien aux États-Unis qu'au Canada, et qui ont concentré leur attention sur la question particulière des peines minimales obligatoires, vous en arriverez à la conclusion générale qu'il faut considérer ces peines avec suspicion, sinon s'y opposer.
Comme je l'ai dit, monsieur le président, ce n'était pas mon point de vue au départ. Initialement, ma position n'était pas très éloignée de celle que les députés du gouvernement nous ont exposée ce soir. Il est bien possible qu'ayant commencé là où ils en sont actuellement, j'en suis venu avec le temps à voir les choses sous un angle différent. Je ne songerais pas un instant à mépriser la manière dont les députés du gouvernement ont exprimé leur point de vue. J'essaie tout simplement de leur faire part, sur la base de mon expérience et de mes recherches, des considérations qui m'ont amené à critiquer les peines minimales obligatoires pour les raisons que j'ai mentionnées.
Merci, monsieur le président.