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Bonjour. C'est pour nous un plaisir de comparaître devant vous aujourd'hui afin de vous aider à entamer votre examen des dispositions linguistiques du Code criminel.
Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux au sein de la Section du droit des langues officielles, une section faisant partie du Secteur du droit public au ministère de la Justice.
Je suis accompagnée cet après-midi de Me Michel Francoeur, directeur et avocat général du Bureau de la Francophonie, de la justice en langues officielles et du dualisme juridique, au ministère de la Justice. Me Francoeur fera état des gestes concrets que pose le ministère dans un souci d'appuyer le respect des droits linguistiques prévus au Code criminel.
Je suis également accompagnée de Me Robert Doyle, du Bureau du directeur des poursuites pénales du Canada. Me Doyle agit notamment à titre de secrétaire national du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales. Il pourra vous parler de la mise en oeuvre concrète des dispositions linguistiques du Code criminel et répondre à toute question que vous pourriez avoir à cet égard.
Tout d'abord, je vais vous expliquer mon rôle au sein de la Section du droit des langues officielles, la SDLO. La SDLO est une équipe de juristes spécialisés chargée de fournir des conseils juridiques au gouvernement sur les questions de droits linguistiques qui découlent, entre autres, de la Charte canadienne des droits et libertés, de la Loi sur les langues officielles et du Code criminel. La SDLO est également chargée de l'élaboration et de la coordination de la position du procureur général et du gouvernement du Canada dans les affaires linguistiques qui sont portées devant les tribunaux. Enfin, c'est la SDLO qui est responsable d'élaborer toute proposition de modification législative touchant aux droits linguistiques.
À ce titre, la SDLO a élaboré les propositions législatives qui ont mené à l'adoption de la Loi sur les langues officielles de 1988, laquelle comprenait des modifications aux dispositions linguistiques du Code criminel.
C'est également à ce titre que la SDLO a participé, de concert avec ses collègues de la Section des politiques en matière de droit pénal, à l'élaboration des modifications législatives contenues dans le projet de loi , adopté en 2008.
J'ai eu l'occasion et le privilège d'agir à titre de chargée de projet et d'être impliquée à toutes les étapes, de la conception des orientations aux consultations, en passant par la rédaction du projet de loi et l'étude en comité. J'ai d'ailleurs comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 28 novembre 2007, alors qu'il entamait son examen du projet de loi .
Il me paraît important de porter à votre attention le libellé précis de la clause d'examen insérée à la partie XVII du Code criminel en 2008. À la lecture de cette clause, on voit bien qu'il est question d'un examen à deux volets. Le paragraphe 533.1(1) parle en effet d'un examen approfondi des dispositions et de l'application de la partie XVII, intitulée « Langue de l'accusé ».
Si j'ai cru important de vous expliquer le rôle et le mandat de la section dans laquelle je travaille et d'attirer votre attention sur le libellé de la clause d'examen, c'est pour que vous compreniez d'emblée les limites des mes propos aujourd'hui. Cela me fera plaisir de discuter des dispositions de la partie XVII du Code criminel, de vous fournir le contexte derrière les modifications de 2008 et de répondre à toute question que vous pourriez avoir à cet égard. Toutefois, ma présentation de cet après-midi ne portera pas sur l'application ou la mise en oeuvre des dispositions, puisque notre équipe ne joue aucun rôle à cet égard.
Si le comité le permet, je commencerai par présenter de façon générale le contenu des articles 530 et 530.1. Je crois que vous avez une copie de ces dispositions, où les versions française et anglaise sont côte à côte. J'expliquerai par la suite le contexte derrière les modifications de 2008.
Avant de ce faire, il me paraît important de souligner quatre points.
D'abord, comme l'a dit l'ancien juge Bastarache, tel qu'il était alors, de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Beaulac au nom de la majorité, les articles 530 et 530.1 du Code criminel illustrent parfaitement la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le paragraphe 16(3) de la Charte. En effet, le Parlement fédéral, dans l'exercice de son pouvoir sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle, a adopté un bon nombre de mesures législatives visant à étendre les droits linguistiques des accusés devant les tribunaux, dont les articles 530 et 530.1.
Deuxièmement, il faut rappeler l'objet de l'article 530. Toujours selon l'ancien juge Bastarache, tel qu'il était alors, l'article 530 vise d'abord et avant tout à donner un accès égal aux tribunaux de juridiction criminelle aux accusés qui parlent l'une des deux langues officielles du Canada afin d'aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle.
Troisièmement, il faut noter que le droit de tout accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix n'est pas nouveau. En effet, ce droit a d'abord été reconnu dans la Loi sur les langues officielles de 1969. En 1978 et encore en 1988, le Parlement a jugé utile d'élargir la portée des droits linguistiques d'un accusé et de préciser les modalités précises découlant d'un procès criminel dans la langue minoritaire.
Le 1er janvier 1990, les dispositions dont on parle, donc les articles 530 et 530.1 que vous avez devant vous, sont entrées en vigueur partout au pays. Toute personne accusée en matière criminelle peut donc, depuis cette date, choisir de subir son procès dans la langue officielle de son choix, où qu'elle se trouve au pays.
Concrètement, cela veut donc dire que les différentes juridictions au pays doivent être en mesure de répondre à des demandes de procès en langue minoritaire et d'avoir l'infrastructure institutionnelle adéquate afin de fournir des services dans les deux langues officielles de façon égale.
Quatrièmement, les modifications adoptées en 2008 n'avaient pas pour objet de modifier les articles 530 et 530.1 de façon substantielle. Le but premier des modifications de 2008 — et j'y reviendrai un peu plus loin — était de clarifier certaines dispositions, de codifier l'état actuel de la jurisprudence et de combler certaines lacunes qui avaient été notées par la jurisprudence et les études portant sur ces dispositions.
Passons maintenant au contenu précis des articles 530 et 530.1. Quels sont les droits et obligations corollaires prévus à ces dispositions?
Commençons par l'article 530. Il contient six paragraphes.
Le premier paragraphe de l'article 530 prévoit qu'à la demande d'un accusé dont la langue est l'une des langues officielles du Canada, le juge doit rendre une ordonnance voulant que l'accusé subisse son procès devant un juge ou un juge et jury qui parlent la langue officielle qui est celle de l'accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues. Les délais dans lesquels l'accusé peut faire une telle demande sont énoncés dans ce premier paragraphe, et ces délais varient selon la nature de la procédure utilisée pour la poursuite de l'infraction.
Le deuxième paragraphe de l'article 530 vise la situation où la langue de l'accusé n'est pas l'une des langues officielles du Canada. Dans ce cas, le juge peut rendre une ordonnance voulant que l'accusé subisse son procès devant un juge ou un juge et jury qui, de l'avis du juge, permettront à l'accusé de témoigner le plus facilement ou, encore une fois, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles.
Le troisième paragraphe, tel qu'il a été modifié en 2008, impose au juge devant qui l'accusé comparaît pour la première fois l'obligation de veiller à ce que l'accusé soit avisé de son droit de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Avant l'adoption du projet de loi , seul un accusé qui n'était pas représenté par procureur avait le droit d'être avisé de ce droit. La modification de 2008 est donc venue imposer au juge l'obligation de veiller à ce que tous les accusés, qu'ils soient représentés ou non, soient avisés de leur droit de demander un procès dans la langue officielle de leur choix.
Le quatrième paragraphe de l'article 530 vise la situation d'un accusé qui n'aurait pas présenté sa demande pour un procès dans sa lange dans les délais prescrits.
Le cinquième paragraphe vient permettre qu'une ordonnance prévoyant que l'accusé doit subir son procès devant une cour qui parle une des langues officielles puisse être modifiée pour que ce dernier soit jugé par un tribunal qui parle les deux langues officielles, et vice versa. Donc, un changement de l'ordonnance initiale est possible.
Enfin, le sixième paragraphe de l'article 530, qui a été ajouté en 2008, prévoit que lorsque des coaccusés qui ne parlent pas la même langue officielle exercent chacun leurs droits respectifs d'être jugés par un juge qui parle leur langue officielle, mais qu'autrement ces coaccusés seraient jugés conjointement, ces circonstances peuvent justifier d'ordonner que le procès se déroule devant un juge qui parle les deux langues officielles.
Avant de passer à l'article 530.1, permettez-moi de mentionner l'ajout, en 2008, du paragraphe 530.01(1).
Cette nouvelle disposition prévoit que le poursuivant est tenu de faire traduire les portions spécifiques des dénonciations ou des actes d'accusation dans la langue officielle de l'accusé et de les lui remettre dans les meilleurs délais si l'accusé en fait la demande.
Avant l'adoption du nouveau paragraphe 530.01(1), seules les parties préimprimées des formules figurant à la partie XXVIII du Code criminel étaient remises aux accusés dans les deux langues officielles. Les sections que remplit le dénonciateur étaient rédigées et fournies à l'accusé dans la langue de la personne ayant rempli la formule en question. Certains tribunaux avaient jugé inconcevable qu'un accusé ne jouisse pas du droit d'en obtenir la traduction, étant donné l'importance de ces documents. Ils avaient donc exigé qu'ils soient traduits sur demande. Certaines administrations avaient adopté des pratiques conformes à ces décisions. L'ajout d'une disposition à cet effet, au moyen du projet de loi , a donc permis d'uniformiser ces pratiques et de mieux refléter l'état de la jurisprudence.
Passons maintenant à l'article 530.1.
L'article 530.1 énumère les droits spécifiques qui peuvent être exercés lorsqu'une ordonnance est prononcée en vertu de l'article 530. Voici ce qu'il prescrit.
Premièrement, il prescrit que l'accusé, son avocat et les témoins ont le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle au cours de l'enquête préliminaire et du procès.
Deuxièmement, il prescrit que l'accusé et son avocat peuvent utiliser l'une ou l'autre langue officielle dans les actes de procédure de l'enquête préliminaire et du procès.
Troisièmement, il prescrit que les témoins ont le droit de témoigner dans l'une ou l'autre langue officielle au cours de l'enquête préliminaire ou du procès.
Quatrièmement, il prescrit que l'accusé a droit à ce que le juge parle la même langue officielle que lui ou les deux langues officielles.
Cinquièmement, il prescrit que l'accusé a droit à ce que le poursuivant, quand il ne s'agit pas d'un poursuivant privé, parle la même langue officielle que lui ou les deux langues officielles.
Sixièmement, il prescrit que le tribunal est tenu d'offrir des services d'interprétation à l'accusé, à son avocat et aux témoins.
Septièmement, il prescrit que le dossier de l'enquête préliminaire et celui du procès doivent comporter la totalité des débats dans la langue officielle originale et la transcription de l'interprétation, ainsi que toute la preuve documentaire dans la langue officielle de sa présentation à l'audience.
Enfin, huitièmement, il prescrit que le tribunal est tenu d'assurer la disponibilité du jugement dans la langue officielle de l'accusé.
[Traduction]
Si vous me permettez je vais expliquer brièvement le contexte lié aux modifications de 2008.
L'application des dispositions sur les droits linguistiques dans le Code criminel avait, de temps à autre, créé certains problèmes juridiques et pratiques, comme l'a démontré la jurisprudence qui s'est établie au fil des ans. Un certain nombre de rapports et d'études réalisés par divers intervenants avaient également confirmé la nécessité d'améliorer et d'éclaircir le libellé de certaines dispositions du code s'appliquant au procès.
Plus particulièrement, en novembre 1995, le commissaire aux langues officielles a publié une étude intitulée « L'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux du Canada ». Cette étude formulait 13 recommandations pour renforcer et faire valoir les droits linguistiques devant les tribunaux et plus particulièrement devant les tribunaux criminels.
La réponse du ministère à cette étude a été la préparation d'un document de travail et, en novembre 1996, un document préparé par la section du droit des langues officielles intitulé Vers une consolidation des droits linguistiques dans l'administration de la justice au Canada a été publié et largement diffusé. Ce document répondait aux recommandations du commissaire grâce à un nombre de propositions servant de point de départ pour des consultations publiques. Il a donc servi comme base à des consultations publiques qui ont eu lieu de novembre 1996 à avril 1998.
En mai 1999, la Cour suprême du Canada a publié sa décision dans l'affaire Regina c. Beaulac, qui portait expressément sur les dispositions du Code criminel liées à la langue du procès. Dans l'arrêt Beaulac, la Cour suprême a confirmé qu'il y avait en fait des difficultés propres à l'application et à l'interprétation de ces dispositions. À la suite de la décision de la cour, les recommandations ont été réexaminées et considérablement modifiées pour refléter le nouvel état de la loi. Encore une fois, des consultations ont été menées sur le contenu des changements proposés et progressivement les mesures législatives se sont retrouvées dans un projet de loi, accompagnées d'autres modifications liées à la loi. Les modifications aux dispositions liées à la langue du procès de 2008, ont été par conséquent le fruit d'un long processus où sont intervenus bon nombre d'acteurs différents. Leur principal objectif constituait à proposer des solutions viables et équilibrées à un certain nombre de problèmes qui avaient été recensés et à faire en sorte d'appliquer efficacement les dispositions sur les droits linguistiques du Code criminel.
[Français]
Je terminerai mon allocution en vous invitant à communiquer avec les provinces et territoires, les chefs de l'administration des tribunaux judiciaires, les chefs des poursuites pénales dans les provinces et toute autre entité impliquée directement dans la mise en oeuvre de ces dispositions. Ils vous fourniront sans doute des renseignements importants et utiles pour l'examen que vous êtes en train d'effectuer.
Je cède maintenant la parole à Me Robert Doyle.
[Français]
Ma présence aujourd'hui sert à vous décrire comment s'est déroulée, sur le terrain, la mise en oeuvre des dispositions sous étude.
Je suis présentement chef du Secrétariat de la haute direction au Bureau du directeur des poursuite pénales. Ce poste comprend notamment les attributions de procureur fédéral et de secrétaire national du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales.
Avant décembre 2006, c'est-à-dire jusqu'au moment où notre service a été séparé du ministère de la Justice et érigé en organisme indépendant, j'étais conseillé spécial et j'occupais des fonctions à peu près équivalentes. Pendant les 10 années précédentes, soit de 1987 à 1998, j'étais avocat de la défense en Ontario, où j'avais une clientèle presque exclusivement constituée de clients francophones. Cela signifie que durant ces 10 années, j'étais à la cour presque tous les jours, avant et après l'entrée en vigueur des dispositions du Code criminel qui sont à l'étude aujourd'hui. J'ai oeuvré dans presque toutes les régions de la province, et ce, presque toujours en français, donc dans la langue minoritaire de cette province.
Après avoir été procureur de la Couronne, je suis devenu secrétaire national du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales. Ce comité regroupe les chefs des services de poursuites au Canada. Il faut préciser que les poursuites criminelles sont une juridiction partagée. Les infractions au Code criminel, telles que le meurtre, les infractions commises avec les facultés affaiblies, le vol, le viol et les agressions sexuelles, sont poursuivies par les provinces, tandis que les autres infractions fédérales sont poursuivies par le Service des poursuites pénales du Canada.
Il s'agit d'un comité qui regroupe 12 personnes: le chef des poursuites de chaque province, le directeur des poursuites pénales du Canada et le directeur des poursuites militaires. Le comité se réunit deux fois par année pendant deux ou trois jours. Durant ces réunions, les dispositions ont fait l'objet d'études, à la lumière de problèmes qui surgissaient dans la pratique. Évidemment, certaines des observations du comité ont été reflétées dans les modifications de 2008.
Voici donc quelques observations que cette expérience me permet d'offrir.
Je vais commencer par parler de l'hésitation que les gens ressentent lorsqu'ils sont accusés.
[Traduction]
Une personne accusée d'un acte criminel est naturellement très anxieuse. Cette personne veut obtenir les résultats les plus favorables, ce qui représente pour elle un acquittement ou du moins un retrait de l'accusation ou l'abandon des procédures. Cette personne veut obtenir des résultats rapides et elle souhaite retenir les services des meilleurs avocats pour se tirer d'affaire.
Voilà le premier obstacle auquel on fait face pour la mise en oeuvre de ces dispositions. Qu'un accusé d'une communauté linguistique en situation minoritaire soit au courant ou non de ses droits linguistiques aux termes de l'article 530, ces droits sont souvent mis de côté en raison de l'urgence d'éviter une condamnation. Si l'exercice de ces droits signifie ne pas obtenir l'aide d'un avocat des plus compétents parce que le meilleur ne parle pas la langue officielle de l'accusé, eh bien ce dernier n'invoquera pas ces droits. Si l'exercice de ces droits signifie qu'il faudra attendre plus longtemps pour la date du procès ou l'audience, il se peut là aussi que l'accusé ne les invoque pas, surtout, et ça se comprend, lorsqu'il s'agit d'être libéré sous caution. De la même manière, si l'accusé perçoit — et il a habituellement tort — que l'invocation de ces droits pourrait d'une façon ou d'une autre importuner ou fâcher le fonctionnaire judiciaire, l'accusé ne poussera pas pour faire valoir ces droits.
Il y a aussi le processus d'arrestation en tant que tel. Lorsqu'on lit les droits au suspect et qu'on lui montre une liste d'avocats, il s'agit d'une situation n'étant pas techniquement visée par ces dispositions. Par conséquent, un accusé pourrait retenir les services d'un avocat unilingue avant même que le paragraphe 530(3) ne soit appliqué et que l'accusé ne soit informé par le tribunal de son droit d'avoir un procès dans sa langue.
[Français]
Le deuxième problème est celui d'informer l'accusé des dispositions.
Le paragraphe 530(3) prévoit que l'accusé doit être avisé de son droit à subir un procès dans sa langue et que c'est le juge de paix ou le juge de la cour provinciale qui doit l'informer de ce droit. Les modifications de 2008 ont cherché à préciser cette obligation, mais des difficultés persistent. L'exemple de l'Ontario sert à illustrer ce propos, car, à la lumière de ce que j'ai entendu à la table des chefs des poursuites et à la lumière des discussions que son sous-comité des langues officielles a menées, on peut conclure que l'Ontario est un microcosme du Canada. Je m'appuierai donc sur l'expérience de l'Ontario pour illustrer davantage la situation.
Certaines régions de l'Ontario, comme d'autres régions du Canada d'ailleurs, sont majoritairement francophones. La cour doit aviser l'accusé qu'il a le droit de subir son procès dans sa langue officielle, or dans les faits, cet avis n'est pas donné. De toute façon, l'accusé se présente en cour et on passe continuellement d'une langue à l'autre. Notamment à Moncton, à L'Orignal, à Hawkesbury et à certains endroits dans le Nord de l'Ontario, les juges et les procureurs sont tous bilingues, de même qu'à peu près tous les avocats de la défense, à des degrés divers. On fixe alors une date de procès et c'est garanti que l'accusé va avoir son procès en anglais ou en français.
D'autres régions sont majoritairement anglophones, mais ont une présence francophone importante. C'est le cas à Ottawa et à Sudbury, par exemple. Les juges de paix sont donc sensibilisés à la réalité locale et fournissent généralement l'avis.
Cependant, d'autres régions sont presque exclusivement anglophones. C'est donc dire que les juges ne voient pas beaucoup de francophones défiler devant le tribunal. Cela peut arriver une ou deux fois par année, ou moins. Dans ces circonstances, les juges peuvent oublier de donner l'avis à un accusé francophone, surtout si ce dernier s'exprime de prime abord en anglais, et ce, avec une relative aisance.
Il est difficile de prévoir, cependant, quelles seront les répercussions du phénomène grandissant des télécomparutions, qui est en train de prendre beaucoup d'ampleur. D'ailleurs, l'Alberta est à déployer un système global selon lequel les premières comparutions vont se faire à l'endroit où se trouve l'accusé, surtout s'il est détenu. Comme ce système sera centralisé, il sera plus facile de mettre en place un système où le juge de paix et le procureur pourront parler la langue du prévenu.
Finalement, le troisième problème est celui d'informer la magistrature et le Barreau.
[Traduction]
Tous les juges connaissent les dispositions liées aux droits linguistiques dans le code. Dans les provinces comme l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, il y a aussi des lois provinciales qui appuient ces droits en renforçant la connaissance des dispositions qui se trouvent dans la Loi sur les infractions provinciales ou dans la Loi sur les tribunaux judiciaires. Néanmoins, lorsque des accusés de communautés linguistiques en situation minoritaire comparaissent à intervalles irréguliers devant les tribunaux, ou lorsqu'ils sont représentés par un avocat ne parlant que la langue de la majorité, ou bien, ce qui se produit de plus en plus, lorsque les accusés n'ont pas d'avocats, mais qu'ils parlent la langue de la majorité avec aisance de sorte que le juge ne se rend pas compte de leur statut minoritaire, le juge peut ne pas se souvenir qu'il doit informer l'accusé de ses droits aux termes du paragraphe 530(3).
Le service des poursuites pénales du Canada dans son guide de la politique, présente des dispositions exigeant de la part des procureurs — et les provinces de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick ont des dispositions semblables — que, si le tribunal l'oublie, les procureurs doivent rappeler au tribunal qu'il faut aviser l'accusé de ses droits d'avoir un procès dans la langue minoritaire.
Le problème consistant à oublier de donner l'avis aux termes du paragraphe 530(3) a été signalé par le Ontario FLS Bench and Bar Advisory Committee dans un rapport de 2012, un rapport exhaustif rédigé par le juge de la Cour d'appel de l'Ontario Paul Rouleau et l'avocat de la défense Paul Le Vay. Ils ont tenu des audiences et fait de la recherche sur le sujet pendant près de deux ans. Ils mentionnent également ce problème. Par conséquent, en dépit des modifications de 2008, il existe toujours des situations où la langue minoritaire est essentiellement absente, à la fois en raison de l'absence de données de recensement et aussi parce qu'il y a moins de personnes de la communauté linguistique en situation minoritaire qui sont accusées de crime. Pour ces raisons, il semble que le paragraphe 530(3) passe entre les mailles du filet et que l'avis ne soit pas donné.
Bien sûr, ce n'est pas entièrement de la faute des tribunaux parce que quelquefois un accusé — comme dans le cas de Mme Soublière ou de moi-même et de M. Francoeur comme vous le constaterez sous peu — ne parle pas l'anglais avec un accent français ou alors un très faible accent français, et par conséquent, il n'est pas évident que nous puissions avoir besoin de subir un procès en français.
[Français]
Finalement, les délais afférents au procès demandé aux termes de la partie XVII dépendent de la réalité locale. Dans les régions à majorité francophone, il n'y a pas de délais quand on demande un procès en français. Dans les régions à majorité anglophone, mais avec une très forte présence francophone, comme à Ottawa et à Sudbury, il n'y a pas de délais additionnels non plus. Dans les régions majoritairement anglophones sans véritable présence francophone, des délais sont possibles, car il s'agit souvent de faire venir d'une région bilingue tous les acteurs, c'est-à-dire le juge, le procureur et le greffier, pour donner suite à la demande de tenir un procès en français. Ce problème peut être exacerbé si l'accusé demande un procès avec jury, parce qu'il y a évidemment certaines régions du Canada où le nombre de résidants francophones pouvant faire partie d'un jury est relativement faible.
D'ailleurs, l'Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique a mené, en 2006, une étude assez exhaustive qui examinait un peu ce qui se passait dans les autres provinces également. Cette étude a révélé l'ampleur des difficultés que peut causer la demande d'un procès avec jury en français dans certaines régions de cette province. Cette situation a été évoquée également par les chefs des poursuites pénales. Il y a deux ans, le sous-procureur général adjoint de la Colombie-Britannique mentionnait justement, à la table des chefs, que des gens commençaient à demander par exprès des procès devant jury en français, sachant que le système ne pourrait peut-être pas y répondre.
L'adoption de la partie XVII a incité les administrations judiciaires à se placer en position de donner suite aux droits des justiciables. Toutes les provinces ont donc, à tous les paliers de tribunal, des juges qui parlent la langue de la minorité. C'est le cas de toutes les provinces sauf une, laquelle a pris des arrangements. Légalement, on est capable d'assurer partout la présence d'un procureur francophone. Toutes les provinces ont cette capacité, sauf l'Île-du-Prince-Édouard, qui a des arrangements avec le Nouveau-Brunswick et notre service pour que des procureurs bilingues lui soient fournis si une telle demande est faite.
Je termine en disant que le Service des poursuites pénales du Canada va continuer d'oeuvrer avec les provinces pour s'assurer, du côté de la poursuite, que ces droits sont respectés dans le plein sens du mot.
Je vous remercie de votre attention.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je m'appelle Michel Francoeur. Je suis directeur et avocat général du Bureau de la Francophonie, de la justice en langues officielles et du dualisme juridique. Je supervise également les avocats du ministère de la Justice responsables de la mise en oeuvre de la Loi sur les contraventions du fédéral.
Avant d'aller plus loin, monsieur le président, je tiens à souligner que deux de mes collègues sont ici: Me Mathieu Langlois et Me Marie-Claude Gervais. Si jamais des questions m'étaient posées auxquelles je n'avais pas la réponse, avec votre permission, je pourrais les consulter. Sinon, nous pourrions vous fournir une réponse par écrit, selon les circonstances.
Cela dit, ma présence aujourd'hui a pour objectif de vous brosser un tableau à grands traits des mesures administratives et financières qui ont été prises par le ministère de la Justice afin d'appuyer la mise en oeuvre des articles 530 et 530.1.
D'entrée de jeu, il convient de souligner qu'en raison du partage des compétences constitutionnelles entre le fédéral et les provinces, l'action du fédéral dans la mise en oeuvre des dispositions linguistiques du Code criminel est limitée. Bien que le fédéral ait une compétence exclusive à l'égard des modifications apportées au Code criminel et à la procédure en cette matière, ce sont principalement les provinces qui ont compétence pour les poursuites sous le régime du Code criminel. De plus, les provinces sont responsables de la constitution et de l'organisation des tribunaux de juridiction criminelle.
Cela signifie que dans le cas des dispositions faisant l'objet de votre étude, les provinces doivent s'assurer qu'elles ont les ressources institutionnelles et humaines nécessaires au sein de leur système de justice afin de permettre à l'accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
Cela dit, dans le respect de ses compétences et dans les limites de ses moyens, le ministère de la Justice travaille avec ses partenaires provinciaux et territoriaux afin de les épauler dans leur mise en oeuvre des obligations linguistiques du Code criminel.
Le ministère de la Justice appuie les provinces et territoires par l'entremise de deux initiatives: premièrement, l'Initiative d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, et deuxièmement, le Fonds pour l'application de la Loi sur les contraventions. Dans le cas de l'Initiative d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, celle-ci se décline en deux composantes: d'abord une composante financière, soit le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, et une composante non financière, c'est-à-dire les activités de collaboration et de consultation avec certains partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux.
Je dirai quelques mots sur le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles.
Les objectifs qui ont mené à la création de ce fonds sont d'abord et avant tout l'amélioration de l'accès aux services de justice dans la langue minoritaire ainsi que la connaissance et la compréhension des droits linguistiques par les citoyens canadiens et la communauté juridique. C'est à cette fin que le ministère de la Justice a élaboré une composante de formation afin d'appuyer les intervenants du système de justice dans la prestation des services aux Canadiens dans la langue officielle de leur choix, plus particulièrement dans le domaine du droit criminel.
[Traduction]
Le volet formation du fonds est là pour aider les gens qui travaillent déjà dans le système de justice à développer et améliorer leurs compétences linguistiques. À ce jour, le fonds de soutien a financé le perfectionnement professionnel de divers intervenants du système juridique, comme les procureurs de la Couronne provinciaux, les greffiers des tribunaux provinciaux, les agents de probation et les membres de la magistrature, entre autres.
[Français]
Permettez-moi d'illustrer mon propos par un exemple précis. La mise sur pied, en 2010, du Centre canadien de français juridique situé à Winnipeg découle directement du financement du Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles dans le domaine de la formation. La création de cet organisme a permis de consolider la capacité institutionnelle d'offrir un éventail plus large d'activités de formation aux divers intervenants des systèmes judiciaires.
C'est ainsi que chaque province et chaque territoire peut trouver au sein de son appareil judiciaire des intervenants francophones ou francophiles prêts à entreprendre la formation linguistique spécialisée en terminologie juridique. Il s'agit de professionnels qui ont déjà une connaissance du français. Ainsi, par l'entremise du Centre canadien de français juridique, ces derniers acquièrent et maintiennent leurs connaissances et habiletés, et bâtissent la confiance nécessaire pour remplir leurs fonctions dans la langue officielle de l'accusé lorsque ce dernier fait une demande en vertu de l'article 530 et des suivants du Code criminel.
De plus, il n'est pas exclu que le même genre d'activités de formation peut être offert aux intervenants anglophones et anglophiles du système judiciaire du Québec.
J'aimerais glisser un mot sur le deuxième volet de l'Initiative d’appui à l’accès à la justice dans les deux langues officielles. L'initiative comporte aussi des activités de collaboration et de consultation qui permettent au ministère de travailler en étroite collaboration avec ses partenaires. Au sein de son Groupe de travail fédéral-provincial-territorial et de son Comité consultatif sur l'accès à la justice dans les deux langues officielles, le ministère offre des espaces d'échange et de collaboration afin de soulever, le cas échéant, les questions, les bonnes pratiques ou les enjeux et les défis touchant l'accès à la justice dans les deux langues officielles, y compris ceux portant sur les dispositions linguistiques du Code criminel.
Je glisserai maintenant un mot au sujet du Fonds pour l'application de la Loi sur les contraventions. C'est aussi dans le contexte de cet objectif d'accès à la justice dans les deux langues officielles que s'inscrit en outre la mise en oeuvre du régime fédéral des contraventions dans les limites duquel le ministère doit également veiller au respect des dispositions linguistiques du Code criminel.
Le régime des contraventions constitue une solution de rechange à la procédure sommaire prévue à la partie XXVII du Code criminel pour la poursuite des infractions fédérales dites réglementaires. Le régime fédéral des contraventions est mis en oeuvre par l'entremise des régimes pénaux provinciaux, lesquels sont incorporés par renvoi au sein du droit fédéral, ainsi qu'au moyen d'accords signés avec les provinces ou certaines municipalités.
[Traduction]
Bien que le gouvernement fédéral a recours à divers régimes d'infraction provinciaux existants pour poursuivre des contraventions fédérales, il doit s'assurer que toutes les activités ou services juridiques et extrajuridiques ayant trait aux infractions fédérales respectent les droits linguistiques des Canadiens figurant à l'article 20 de la Charte, et dans les articles 530 et 530.1 du Code criminel ainsi que dans la partie 4 de la Loi sur les langues officielles.
Le fonds de la Loi sur les contraventions, qui est un paiement de transfert, a été conçu précisément pour offrir du financement aux provinces ayant signé des accords avec le ministère de la Justice afin de s'assurer de la prise de mesures nécessaires pour garantir ces droits linguistiques aux personnes faisant l'objet de poursuites pour contravention aux textes législatifs fédéraux. Le fonds appuie toute une série de mesures qui habituellement comprennent l'embauche de personnel de tribunal judiciaire et extrajudiciaire bilingue, de la formation linguistique, des affiches et de la documentation bilingues ainsi que les coûts engagés par les provinces pour gérer ces mesures et en faire rapport au ministère de la Justice.
[Français]
Mesdames et messieurs, cela met fin à mon propos.
Je vous remercie, monsieur le président. Ce sera pour moi un plaisir de répondre aux questions des membres de votre comité, sous réserve des limites exposées par Me Soublière au regard de nos mandats respectifs.
Merci.