JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 1er mars 2012
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Bienvenue à la 23e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, conformément à l'ordre de renvoi adopté le jeudi 15 décembre 2011 concernant le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes).
Aujourd'hui, nous accueillons trois témoins.
Le greffier vous a probablement dit que vous aviez droit à un exposé de 10 minutes. Je vous ferai signe lorsqu'il vous restera une minute. Je n'ai rien contre vous, mais je vais vous interrompre après 10 minutes.
Madame MacDonnell, vous pouvez commencer.
Je m'appelle Vanessa MacDonnell. Je suis professeure de droit à la faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick. J'enseigne et j'effectue des recherches dans le domaine du droit criminel et du droit constitutionnel. L'été dernier, j'ai rédigé un article avec M. Russomanno sur les changements proposés au pouvoir d'arrestation par des citoyens dans ce qui était à l'époque le projet de loi C-60, et qui est maintenant le projet de loi C-26.
J'aimerais aborder quatre points. Je répondrai ensuite avec plaisir à vos questions concernant ces points ou n'importe quel autre aspect du projet de loi.
Tout d'abord, j'aimerais parler de ce que j'appelle les préoccupations temporelles concernant les changements proposés au pouvoir d'arrestation par des citoyens.
La loi actuelle permet à un citoyen d'arrêter toute personne qu'il trouve en train de commettre une infraction. Le citoyen procède immédiatement à l'arrestation, et dans la plupart des cas, il est assez clair que l'infraction a été commise et que la bonne personne a été appréhendée.
Toutefois, lorsqu'on s'éloigne de ce paradigme, certaines préoccupations surgissent: par exemple, la possibilité d'une arrestation illégale est plus élevée, le citoyen peut avoir arrêté la mauvaise personne, et cette personne peut n'avoir aucune idée de la raison pour laquelle elle a été arrêtée et s'opposer à l'arrestation, que ce soit par des moyens légaux ou autrement.
Dans mon mémoire, il est précisé qu'il s'agit de circonstances dans lesquelles nous préférions que la police, plutôt que les citoyens ordinaires, s'en occupe. Il s'agit en fait d'un cas pour la police; ce n'est pas le type de cas dans lequel un voleur est surpris sur le fait, par exemple; il faut peut-être recueillir des preuves ou mener une enquête. À mon avis, ces cas dépassent les compétences des citoyens. C'est pourquoi ce que propose le projet de loi C-26 — c'est-à-dire l'élargissement des pouvoirs d'arrestation par des citoyens — est préoccupant.
Deuxièmement, à mon avis, il est important de souligner que les dispositions relatives à la défense des biens qui sont proposées dans le projet de loi sont aussi pertinentes dans notre discussion sur les arrestations par des citoyens. Ces dispositions, comme celles concernant la défense des biens qu'on retrouve dans le Code criminel, permettent de protéger les personnes lorsqu'elles défendent leurs biens. Il s'ensuit que les dispositions sur la défense des biens et, plus généralement, celles concernant la légitime défense, protègent jusqu'à un certain point le citoyen qui a recours à la force en procédant à une arrestation.
On retrouve aussi, dans cet éventail de protections, des dispositions qui protègent les personnes qui ont recours à la force pour empêcher un individu de commettre une infraction et celles qui prennent des mesures pour prévenir une violation de la paix. Des renseignements sur ces dispositions se trouvent dans le résumé législatif du projet de loi préparé par la Bibliothèque du Parlement.
Ce qu'il est important de retenir, c'est qu'un large éventail de dispositions protègent déjà les citoyens qui procèdent à des arrestations. Encore une fois, je ferai valoir que les situations qui ne sont pas prévues par ces protections exigeront sûrement l'expertise professionnelle de la police.
Troisièmement, ceux qui profiteront le plus de l'élargissement des pouvoirs proposé dans le projet de loi ne sont pas les propriétaires de petits magasins comme M. Chen, mais plutôt les services de sécurité privés. Je suis certaine que M. Rigakos va en parler davantage dans son exposé.
La société utilise de plus en plus les services de sécurité privés comme première ligne de défense contre plusieurs menaces à la sécurité. Ces services sont souvent très élaborés; ils disposent de nombreuses ressources. Ils maintiennent l'ordre dans un grand nombre d'endroits et d'environnements.
Les recherches théoriques et empiriques laissent croire que les groupes marginalisés qui sont surveillés par les services de sécurité privés, surtout dans les secteurs de logements à faible revenu, présentent un potentiel de harcèlement, et les pouvoirs proposés par le projet de loi C-26 pourraient envenimer la situation. Je pense que nous devrions nous préoccuper sérieusement des questions liées à la liberté et à l'égalité qui sont soulevées lorsque nous élargissons les pouvoirs des services de sécurité privés, surtout si nous le faisons de façon non intentionnelle.
Le projet de loi visait vraiment à répondre à des situations comme celle de David Chen et non à élargir les pouvoirs des services de sécurité privés. J'aimerais simplement souligner que, contrairement aux policiers, les services de sécurité privés ne font pas l'objet d'une réglementation importante.
Les pouvoirs des policiers font évidemment l'objet de restrictions. Ils ont seulement les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi ou ceux qui leur sont reconnus en common law. Ils doivent aussi respecter les limites imposées par la Charte lorsqu'ils sont en service.
Cela m'amène à mon quatrième point, c'est-à-dire la question de savoir si la Charte s'applique aux gestes posés par un citoyen qui procède à une arrestation. Sur ce point, j'aimerais dire que la jurisprudence, jusqu'ici, ne précise pas si la Charte s'applique dans ce cas. La Cour suprême du Canada doit encore se prononcer à ce sujet. On ne peut donc pas garantir que la Charte pourra être invoquée lorsqu'un citoyen procède à une arrestation.
Je vais m'arrêter ici.
Merci.
Bonjour. J'aimerais commencer par remercier les membres du comité de m'avoir invité.
Je reconnais quelques personnes qui étaient présentes lorsque j'ai comparu au nom de la Criminal Lawyers' Association. Aujourd'hui, je comparais à titre personnel, car en ma qualité d'avocat spécialisé en droit criminel, la question des arrestations par des citoyens et la proposition d'en accroître la portée m'intéressent.
Je travaille pour Webber Schroeder Goldstein Abergel, un cabinet d'avocats spécialisé en droit criminel, à Ottawa. Je suis un avocat spécialisé en droit criminel depuis presque quatre ans. J'ai de l'expérience dans les tribunaux d'Ottawa, et j'ai comparu à tous les niveaux de l'appareil judiciaire. Je m'occupe régulièrement d'affaires concernant les services de sécurité privés et de leurs rapports avec la population.
En général, dans la grande majorité des cas, on utilise de façon appropriée la discrétion accordée à la police et au ministère public. Je suppose que certaines questions sur l'affaire concernant M. Chen sont liées à ce sujet.
Essentiellement, je crois que les changements proposés en ce qui concerne l'arrestation par des citoyens ne sont pas nécessaires. Je suis d'accord avec les commentaires de Mme MacDonnell et avec ceux de Kim Pate, qui a comparu antérieurement au nom de la Société Elizabeth Fry, et avec ceux formulés par l'Association du Barreau canadien. En termes simples, il s'agit d'une solution qui se cherche un problème.
Le cas de M. Chen soulève plusieurs préoccupations, mais à mon avis, les solutions proposées par l'élargissement des pouvoirs d'arrestation par des citoyens ne correspondent pas tout à fait aux sujets d'inquiétude soulevés dans l'affaire de M. Chen.
Ce qui a piqué mon intérêt, c'est qu'à la suite de cette affaire, tous les partis politiques nationaux ont semblé appuyer la proposition d'élargir les pouvoirs d'arrestation par des citoyens. Les nouvelles et les comptes rendus de témoignages que j'ai lus semblaient s'entendre sur l'injustice qui caractérisait cette affaire. En effet, M. Chen a dû subir cette épreuve simplement parce qu'il tentait de protéger ses biens. Je pense que nous pouvons facilement comprendre cela, car il s'agit d'une question de liberté, d'un bon travailleur qui tente seulement de protéger ses biens, mais qui se retrouve pris dans l'engrenage du système de justice pénale.
Tous les partis politiques ont convenu que M. Chen était pris dans l'engrenage du système, et que c'était préoccupant. Il a été forcé de se payer un avocat et de passer une nuit en prison. Il a craint une condamnation au criminel. La discrétion accordée au ministère public n'a pas été utilisée à bon escient lorsqu'on a accusé M. Chen.
Toutefois, au bout du compte, M. Chen a été déclaré non coupable. Je comprends encore moins pourquoi on propose d'élargir les pouvoirs d'arrestation par des citoyens, puisque le système semble arriver à la bonne décision — du moins dans le cas de M. Chen.
Puisque je travaille dans le système de justice pénale, je peux vous affirmer qu'il arrive très souvent que des gens soient pris dans l'engrenage du système et qu'ils doivent se payer des avocats et passer une nuit en prison avant d'être reconnus non coupables. Ce n'est peut-être pas avantageux, mais je pense qu'il s'agit d'un coût nécessaire du système.
Ce qui me surprend, c'est la réaction des députés quant au fait qu'une personne qu'on a déclarée non coupable a été forcée d'endurer tout cela. Je comprends certainement leurs préoccupations. Toutefois, en ma qualité d'avocat de la défense spécialisé en droit criminel, je me demande pourquoi on ne s'est pas inquiété à ce point pour mes propres clients, qui sont souvent acquittés après avoir passé une nuit en prison et qui doivent se payer des services juridiques.
L'affaire de M. Chen a provoqué ces changements législatifs. Toutefois, comme l'a dit Mme MacDonnell — et je pense que M. Rigakos dira la même chose —, ceux qui en profitent le plus, ce sont les services de sécurité privés.
Ce qui m'inquiète, c'est qu'il y a des répercussions négatives qui dépassent, et de loin, les avantages qui découlent de l'élargissement des pouvoirs d'arrestation par des citoyens. Certaines de ces préoccupations ont déjà été soulevées par Mme MacDonnell. Toutefois, ce qui m'inquiète vraiment, c'est que rien n'oblige les services de sécurité privés à rendre des comptes.
J'aborde ce problème armé de mon expérience pratique dans les tribunaux. Je peux vous dire que je ne verrai probablement pas un grand nombre de cas comme celui de M. Chen, mais je vois constamment des arrestations effectuées par des services de sécurité privés, et je pense que les mêmes préoccupations devraient s'appliquer dans ces cas.
Les députés devraient être préoccupés par le droit à la liberté des personnes qui ont affaire à des employés des services de sécurité privés qui n'ont pas l'obligation de rendre des comptes. C'est le même type de préoccupations qui sont soulevées dans le cas de M. Chen.
Je me suis occupé de plusieurs cas de citoyens qui ont été arrêtés illégalement par des employés des services de sécurité privés, qui ont été bousculés, et qui ont vécu avec la perspective de faire l'objet d'une accusation au criminel pendant plus d'un an, jusqu'à la date de leur procès, pour finalement être acquittés, ce qui constitue plus ou moins une victoire à la Pyrrhus. Ils ont dû dépenser de l'argent et passer une journée — voire quelques semaines — en prison, pour finalement être libérés sous caution. Ils ont vécu une expérience humiliante avec les services de sécurité privés, qui n'ont pas à rendre des comptes. Et au bout du compte, on les a déclarés non coupables. C'est très bien du point de vue du système juridique, mais pas nécessairement de celui de ces citoyens.
Vous devriez vous inquiéter davantage au sujet des effets sur les services de sécurité privés, car l'élargissement des pouvoirs d'arrestation par des citoyens augmente beaucoup leurs pouvoirs. Vous verrez régulièrement ce type de cas devant les tribunaux, beaucoup plus souvent que des cas comme celui de M. Chen. Cela concerne donc vraiment les services de sécurité privés.
J'aimerais aussi souligner qu'il y a la question de la Loi sur l'entrée sans autorisation — c'est du moins son titre en Ontario. Des services de sécurité privés et des gens comme David Chen se fondent sur des lois provinciales concernant l'entrée sans autorisation pour procéder à une arrestation. J'aurais aimé qu'on discute davantage de l'interaction entre les lois provinciales, par exemple, la Loi sur l'entrée sans autorisation, et les dispositions du Code criminel relatives aux arrestations par des citoyens.
Je vais m'arrêter ici. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Mesdames et messieurs, merci de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui au sujet des amendements proposés au Code criminel. Je sais que le temps qui m'est imparti est limité, alors mes commentaires seront aussi brefs et directs que possible. Ce sera difficile, puisque je viens du milieu universitaire, mais je ferai de mon mieux.
Je comparais aujourd'hui à titre de chercheur indépendant et en ma qualité d'universitaire qui étudie les services de maintien de l'ordre publics et privés depuis presque deux décennies. Étant donné le peu de temps dont je dispose, je vais me concentrer sur les changements proposés au Code criminel en ce qui concerne les pouvoirs d'arrestation par des citoyens, et plus précisément l'alinéa 494(2)b), qui permet à un citoyen de procéder à une arrestation dans un délai raisonnable après l'infraction, s'il a des motifs raisonnables de croire que dans les circonstances, il est impossible qu'un policier s'en charge.
À mon avis, les changements proposés dans le projet de loi C-26, qui concernent une série d'articles au libellé maladroit sur la défense des biens et la légitime défense, sont logiques et clarifient les dispositions du Code criminel, alors je n'ai rien à ajouter à ce sujet.
Aujourd'hui, je veux vous parler de deux hypothèses qui, à mon avis, posent problème, car elles semblent sous-tendre les changements proposés à l'article 494. Ensuite, j'utiliserai trois scénarios pour illustrer mes réserves au sujet de ces modifications. Je terminerai par une recommandation.
J'aimerais énoncer directement ces deux hypothèses qui posent problème en ce qui concerne les changements proposés. La première, c'est que le projet de loi C-26 vise à venir en aide aux propriétaires de petits magasins comme David Chen. La deuxième, c'est que l'industrie des services de sécurité privés a besoin de dispositions plus claires et plus vastes sur les arrestations pour faire un travail efficace, et que les changements proposés ne font que légaliser une pratique déjà courante dans un environnement de moins en moins sécuritaire. Permettez-moi d'explorer chacune de ces hypothèses.
À mon avis, le projet de loi C-26 viendra rarement en aide aux propriétaires de petits magasins comme David Chen. Il va plutôt avantager presque exclusivement les services de sécurité privés. Je veux que les choses soient bien claires: non seulement les services de sécurité privés vont profiter grandement des changements proposés, mais ils seront aussi probablement les seuls à en profiter. C'est bien simple, les personnes qui ne travaillent pas dans le domaine de la sécurité n'effectuent pratiquement jamais d'arrestation; ils n'ont pas les connaissances et l'assurance nécessaires.
Malheureusement, il n'existe pas de statistiques qui nous permettraient de savoir qui, parmi les simples citoyens, effectue des arrestations. Toutefois, d'après mon expérience, je serais très surpris si 1 p. 100 de toutes les arrestations effectuées annuellement au Canada l'était par des personnes qui ne travaillent pas dans le domaine de la sécurité. En fait, afin de satisfaire ma propre curiosité — car je donne toujours un cours sur les différences entre les pouvoirs d'arrestation publics et privés —, j'ai demandé à mes étudiants, au fil des années, combien d'entre eux avaient déjà procédé à une arrestation. Ils étudient tous pour devenir policiers, alors vous seriez portés à croire qu'ils ont un parti pris et qu'ils sont plus susceptibles de l'avoir déjà fait. Ces 10 dernières années, sur plus de 500 étudiants, un seul avait procédé à une arrestation qui n'était pas liée à son emploi. Un grand nombre d'entre eux avaient procédé à des arrestations, mais en tant qu'agents au service d'un propriétaire.
En plus de croire que le projet de loi aiderait les propriétaires de petits magasins, d'entreprises et autres, on entretient aussi l'idée que la police porte souvent des accusations contre les citoyens qui n'auraient pas effectué une arrestation « en règle », qu'ils feront l'objet d'une surveillance judiciaire étroite et qu'on les tiendra responsables d'une arrestation mal exécutée. Toutefois, dans la grande majorité des cas, la jurisprudence — y compris l'affaire David Chen — indique en fait le contraire. Le système judiciaire s'est donné du mal pour faciliter les arrestations par des citoyens, et sauf dans les cas extrêmes, on a fait tout ce qu'on pouvait pour valider des arrestations qui étaient probablement inconstitutionnelles.
De plus, il est très probable que les juges accueilleront des preuves qui ont été recueillies après les événements, de crainte que ne pas le faire déconsidère l'administration de la justice. Ainsi, il est important de se rappeler, à toutes fins utiles, qu'on ne devrait pas interpréter les changements proposés tenant compte des pouvoirs d'arrestation accordés aux citoyens, mais plutôt des pouvoirs d'arrestation accordés aux services de sécurité privés. C'est mon premier point.
Mon deuxième point, c'est que l'industrie des services de sécurité privés n'a pas besoin d'accroître ses pouvoirs d'arrestation. Comme vous l'avez sûrement déjà entendu, au Canada, les employés des services de sécurité privés sont plus nombreux que les policiers, c'est-à-dire qu'il y en a deux fois plus, et selon la façon dont on calcule, il pourrait y en avoir trois fois plus. Depuis le milieu des années 1980, les recherches criminologiques ont mis en évidence la croissance importante du marché de l'emploi dans le domaine des services de sécurité privés partout dans le monde. Au Canada, l'équilibre a basculé entre 1968 et 1971, lorsque le nombre d'emplois dans le secteur privé équivalait à celui dans la police, puis il a commencé à le dépasser.
Depuis ce temps, non seulement les relations entre le public et les services de sécurité privés se sont transformées sur le plan quantitatif en raison de la demande toujours grandissante en personnel, mais je pense qu'elles se sont aussi transformées sur le plan qualitatif, en raison de la nature des cas dont s'occupent ces services et à quel point les services de sécurité privés sont davantage associés aux services de maintien de l'ordre publics comparativement aux années 1960. Cette augmentation et ce chevauchement croissant dans les fonctions se sont produits sans qu'on modifie de façon importante le Code criminel. Ainsi, je pense que le meilleur argument contre le besoin perçu d'accroître la portée des dispositions concernant l'arrestation dans le Code criminel est précisément le fait que les services de sécurité privés ont très bien réussi sans ces changements.
Le deuxième argument contre le besoin perçu d'accroître les pouvoirs accordés par le Code criminel aux citoyens qui procèdent à des arrestations concerne l'augmentation des rapports fonctionnels non contrôlés entre le secteur public et le secteur privé. Lorsque j'ai entamé mes recherches sur le maintien de l'ordre par des services publics et privés au début des années 1990, il était difficile de trouver un seul dirigeant d'un service policier qui aurait admis publiquement entretenir des liens étroits avec des services de sécurité privés. Il semblait que de tels rapports auraient laissé croire que la police avait un parti pris ou nuiraient à son image d'arbitre neutre de la loi. Aujourd'hui, non seulement on reconnaît entretenir de tels liens, mais ils ont été institutionnalisés dans des domaines aussi divers que la patrouille pédestre publique, l'expertise comptable judiciaire et les enquêtes de fraudes, et même dans la coordination et la planification d'événements d'envergure comme le récent sommet du G-20, à Toronto.
La population canadienne doit prendre la mesure de ces changements importants dans les dispositions concernant la sécurité privée avant que le Code criminel ne soit modifié en vue de légaliser un accroissement important des pouvoirs d'arrestation accordés aux agents des services de sécurité privés.
Permettez-moi maintenant de vous exposer quelques scénarios qui illustrent mes préoccupations sur la signification possible de ces modifications.
Le libellé du projet de loi actuel entraînera très probablement un grand nombre d'exemples dans lesquels différents types d'employés de services de sécurité privés, y compris les videurs de boîtes de nuit, vont retarder l'arrestation d'un individu qu'ils surprennent en train de commettre une infraction criminelle en lien avec la propriété qu'ils ont été embauchés pour surveiller. Les raisons de ce délai peuvent varier, mais elles seront probablement liées aux ressources disponibles et à la capacité d'intervention de la police. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne précise pas les motifs acceptables pour retarder l'arrestation; on dit seulement que l'agent employé par un service de sécurité privé peut procéder à l'arrestation dans un délai raisonnable.
Examinons le premier scénario. Une personne est recherchée par la police, car elle fait l'objet d'un mandat d'arrestation. La personne recherchée vole ensuite un article à un petit vendeur. Un agent de sécurité de centre commercial, qui a été témoin de l'incident et qui a diffusé l'image du suspect sur système TVCF, décide de remettre son arrestation à un moment plus approprié. Dans ce scénario, en raison du pouvoir discrétionnaire accordé aux agents de services de sécurité privés, on a peut-être empêché la police de se lancer à la poursuite du suspect.
Dans le deuxième scénario, un videur de boîte de nuit est témoin d'une infraction criminelle, mais n'est pas en mesure de procéder à l'arrestation, car le client — qui était saoul — a fui les lieux. En passant, cela arrive souvent, surtout à Halifax. Parfois, un videur de boîte de nuit qui a expulsé un client la nuit précédente le croise au centre commercial le lendemain. Dans tous les cas, le propriétaire de la boîte de nuit préfère que ses employés s'abstiennent de procéder à une arrestation, car il craint d'avoir à se débrouiller sans eux pendant qu'ils traitent avec la police. Le matin suivant, vraisemblablement une demi-journée seulement après l'incident, le même videur de boîte de nuit voit le client, sobre cette fois-ci, monter dans sa voiture dans un garage souterrain, où il n'y a pas de réception pour les téléphones cellulaires. Selon le libellé du projet de loi, s'il est impossible qu'un policier procède à l'arrestation, le videur de boîte de nuit, même s'il n'est pas en service — et qu'il craint que l'homme se sauve —, a le droit de procéder à une arrestation très loin du site de l'incident, pour une possible infraction mineure punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
Dans le troisième scénario, une entreprise de sécurité, qu'on a mise au courant d'une série de vols récents perpétrés dans les entrepôts d'un client, organise une opération de surveillance en utilisant des caméras, des marchandises étiquetées, des enregistreurs et même la présence d'agents de sécurité qui observent les vols en direct. On n'arrête aucun des employés de l'entreprise filmés en train de voler des produits au moment de l'incident. Quelques semaines plus tard, après avoir assemblé toutes les preuves vidéo et avoir recueilli des déclarations signées des agents qui ont été témoins de l'incident, le client convie tous les travailleurs à une réunion et procède à une arrestation de masse. Il alerte ensuite la police, lui remet toutes les preuves et une multitude de suspects à qui l'on a passé les menottes.
L'argument que j'essaie de faire valoir, c'est que dans tous ces scénarios, les gestes posés seraient parfaitement légaux et probables, étant donné les innovations apportées dans le domaine de la sécurité privée et de l'entrepreneuriat, et en raison du libellé des changements proposés à l'article 494 du Code criminel. Mais remarquez ce qui est arrivé ici: non seulement les services de sécurité privés se comportaient précisément comme un service de police public, c'est-à-dire en se servant de leur pouvoir de discrétion, en menant des enquêtes et en remettant ensuite des preuves à un agent de la paix sur un plateau d'argent, mais, en vertu de leur capacité de remettre l'arrestation à un moment plus convenable, les agents des services de sécurité privés sont toujours en service. Ils sont, en somme, des agents de la paix. Lorsqu'ils croient avoir été témoins d'une infraction criminelle pendant qu'ils surveillent une propriété privée, leur autorité est équivalente à celle d'un agent de la paix.
Ainsi, le projet de loi créera des policiers privés de fait, pas de façon officielle, mais par leurs fonctions, car ils vont utiliser leur pouvoir de discrétion, ils vont mener des enquêtes et constituer un dossier, le tout fondé sur leur nouveau pouvoir de remettre l'arrestation à plus tard. Je suis certain que ce n'est pas ce que vous souhaitez.
Je recommande donc au comité que les articles proposés du projet de loi qui concernent la défense des biens soient adoptés tels qu'ils sont libellés, mais que les changements proposés à l'article 494 soient abandonnés, et que pour le moment, le libellé de cet article soit conservé.
Merci.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Monsieur Harris, vous avez cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci de vos exposés, qui étaient très intéressants.
J'aimerais commencer par vous, madame MacDonnell. Vous avez mentionné que les propriétaires de magasin étaient déjà suffisamment protégés par l'article concernant la protection des biens. Cela n'est pas vraiment apparent, à mon avis, dans le nouvel article proposé dans le code. Je ne vois pas comment il aiderait quelqu'un dans la situation de David Chen. J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet.
La préoccupation que vous avez tous exprimée au sujet des effets possibles sur les agents des services de sécurité privés a soulevé mon intérêt. À mon avis, cela serait une conséquence involontaire des propositions de nos députés qui visaient précisément à éviter la situation engendrée par quelqu'un qui... Dans le cas de David Chen, c'était essentiellement une heure plus tard.
En passant, je n'ai pas entendu la police s'excuser d'avoir arrêté David Chen et d'avoir porté des accusations contre lui. Les policiers ont dit qu'ils avaient agi conformément à la loi et que si c'était à refaire, ils agiraient probablement de la même façon.
Je compatis avec ce qu'a dit M. Russomanno au sujet des gens qui sont reconnus non coupables. J'ai déjà pratiqué le droit criminel, et un grand nombre de gens sont acquittés sans obtenir réparation.
Comment pouvons-nous protéger les gens dans la situation de David Chen, c'est-à-dire du fait qu'on accorde un délai? Par exemple, un individu commet un vol à l'étalage et revient une demi-heure plus tard; je n'ai pas pu l'appréhender la première fois, mais je peux le faire maintenant. J'essaie donc de l'attraper, mais il s'échappe. Il revient le jour suivant: pourquoi ne pourrais-je pas l'appréhender à ce moment-là? Il me semble que c'est la question à l'étude; nous ne voulons pas donner plus de pouvoir aux agents des services de sécurité privés.
Je trouve très surprenant que cela leur donnerait le pouvoir d'agir de cette façon, c'est-à-dire de retarder l'arrestation, afin de recueillir des preuves au lieu d'arrêter un individu qu'ils surprennent en plein délit. Je vous demande donc si, à votre avis, les scénarios que nous venons tout juste d'entendre sont réalistes en tenant compte de la façon dont le projet de loi est libellé. S'ils le sont, comment faisons-nous pour empêcher que les services de sécurité privés obtiennent les pouvoirs qui ont été évoqués? Je vous le demande, car vous êtes chercheur et professeurs de droit.
Merci beaucoup.
Je vais commencer par répondre à votre première question, qui cherchait à savoir à quel point les dispositions concernant les arrestations par des citoyens interféraient avec d'autres dispositions du Code criminel qui pourraient offrir une certaine protection à la personne qui procède à une arrestation. Je dirais que le projet de loi, dans sa forme actuelle, élargit les pouvoirs d'arrestation par des citoyens et apporte certains changements à la défense des biens. Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que lorsque nous examinons les dispositions actuelles qui concernent précisément l'arrestation par des citoyens et les changements proposés, il est important de ne pas examiner la disposition concernant l'arrestation par des citoyens en vase clos. Il est important de comprendre comment la loi actuelle accorde un degré de protection plus élevé à une personne qui procède à une arrestation que ce que pourrait laisser croire l'examen en vase clos des dispositions concernant l'arrestation par des citoyens.
Ma suggestion est en fait assez similaire à celle de M. Rigakos. Je ne m'oppose aucunement aux changements proposés à la défense des biens. En tenant compte de cette défense et des changements apportés à la légitime défense, et en tenant compte des dispositions du Code criminel qui protègent les personnes qui agissent pour empêcher la perpétration d'un crime, par exemple...
Puis-je vous interrompre? Je comprends ce que vous dites en général, mais lorsque j'examine les dispositions, il se trouve que celle concernant la légitime défense précise que vous pouvez expulser les intrus de votre propriété ou que vous pouvez tenter de reprendre votre bien. On ne dit rien au sujet de l'arrestation ou de la récupération du bien. Ce n'est pas ce dont nous parlons. Nous parlons de détenir une personne afin de la confier à la police.
D'accord. Ces préoccupations s'appliquent seulement si un citoyen a dépassé les limites de son pouvoir pendant qu'il procédait à une arrestation, et qu'il est ensuite accusé d'agression, par exemple. Dans ce cas, les dispositions concernant la défense des biens et la légitime défense, de façon plus générale, sont invoquées et offrent une certaine protection. Elles n'offrent peut-être pas le même degré de protection qui a été suggérée dans les changements proposés à la disposition concernant les arrestations par des citoyens, mais ce que j'essaie de faire valoir, c'est simplement qu'il existe une plus grande protection que ce qu'offre la disposition concernant l'arrestation par des citoyens. Lorsque nous commençons à nous éloigner du paradigme du voleur qu'on surprend la main dans le sac, et que nous parlons d'arrestations qui sont effectuées un certain temps après les événements, alors nous atteignons un point où nous devrions vraiment nous en remettre à la police et non aux David Chen et aux agents des services de sécurité privés de ce monde.
J'essayais seulement de faire valoir que nous devrions examiner, dans son ensemble, la protection déjà offerte par le Code criminel aux personnes qui procèdent à ce type d'arrestation, et je pense que nous découvririons que cette protection est déjà assez efficace. Ce qui est intéressant au sujet de...
Merci à tous les témoins d'être ici. Votre témoignage et votre avis sur ce qui pourrait être une loi assez complexe nous sont très utiles.
J'aimerais revenir à ce que disait Mme McDonnell; dans un monde idéal, la police procéderait évidemment à toutes les arrestations, et il est toujours possible qu'une arrestation soit illégale. Tout d'abord, selon la loi, on comprend qu'un citoyen peut seulement procéder à l'arrestation si les circonstances font en sorte que la police ne peut pas raisonnablement le faire, afin qu'elle demeure la première ligne de défense contre le crime.
D'après ce que révèlent les témoignages des propriétaires de magasins, de certaines autorités policières et même des services de sécurité privés, il n'est pas aisé, pour la police, d'intervenir dans des cas de vol à l'étalage ou d'intoxication. Cela n'arrive pas seulement dans le Grand Nord, mais aussi dans des centres urbains, car la police ne peut pas toujours intervenir rapidement dans des situations de vols à l'étalage. Une grande partie de la loi est libellée, essentiellement, en fonction de détails pratiques.
On nous a aussi dit qu'un grand nombre des règles fondamentales, surtout celles concernant la défense des biens, étaient extrêmement complexes. Il arrive que les policiers ou les citoyens ne connaissent pas avec certitude les règles fondamentales qui s'appliquent, alors on laisse au tribunal le soin de décider, et les cas s'empilent.
Je me demande — et je vous pose la question à tous, même si vous avez certaines réserves — si, à votre avis, le libellé de la loi constitue une tentative de clarifier les règles fondamentales, afin que les parties chargées de décider s'il faut procéder à l'arrestation ou engager des poursuites puissent se faire une idée de ce qui est raisonnable et de ce qui ne l'est pas. Y a-t-il des éléments de clarté? Nous savons que les directives au jury peuvent être tellement compliquées et difficiles à comprendre que la cause peut être portée en appel.
Aimeriez-vous commenter là-dessus?
Je dirais très brièvement, seulement en ce qui concerne les pouvoirs accordés aux citoyens qui procèdent à une arrestation, qu'à mon avis, la difficulté avec les changements proposés, c'est que le citoyen pourrait ne pas être conscient de l'étendue de son pouvoir de procéder à ce type d'arrestation. En effet, on présume que le citoyen connaît la loi, mais en réalité, les statistiques indiquent qu'ils ne comprennent pas toujours les nuances dans les limites du pouvoir qui leur est accordé. Je soupçonne que la même question pourrait être soulevée en ce qui concerne les changements proposés. Encore une fois, on tente de définir les limites, et je pense que la préoccupation existe, et j'aimerais ajouter qu'à mon avis, vous avez raison lorsque vous laissez entendre que ce qui est proposé ici représente une tentative de trouver une solution pratique.
En effet, il est important de se rendre compte des considérations pratiques associées à l'octroi de pouvoirs aux employés des services de sécurité privés. À mon avis, nous savons que dans le cas de M. Chen, le système a bien fonctionné. En effet, M. Chen a été déclaré non coupable, même s'il a agi de façon assez agressive et violente en procédant à l'arrestation d'un suspect et en le détenant. Nous savons donc que le système a fonctionné dans ce cas précis. Nous examinons les répercussions de ces changements et je pense que, somme toute, il est peut-être plus sage de laisser les choses comme elles sont.
Peut-être pourrais-je simplement intervenir ici.
Parlant des dispositions sur la légitime défense dans le contexte de la défense des biens, je pense qu'il s'agit certainement d'un objectif louable que de vouloir simplifier les articles. C'est quelque chose que les tribunaux et les experts réclament depuis longtemps et je pense que cela permettra de simplifier grandement les instructions du juge au jury et le droit sur la légitime défense en général.
J'ai certaines préoccupations au sujet de ce qui était auparavant le paragraphe 34(2) du Code criminel en ce qui a trait à l'utilisation d'une force mortelle. Dans la version antérieure de la défense, la force mortelle peut être utilisée si une personne a la perception qu'elle est exposée à des lésions corporelles graves et à la mort et qu'elle estime qu'il n'y a pas d'autre façon raisonnable de s'en sortir. Le paragraphe qui a été ajouté dans la nouvelle loi laisse planer la possibilité d'une exigence de proportionnalité dans de tels cas. Cela ne semble pas très clair, mais il y a une préoccupation ici, parce que je pense qu'à titre de proposition générale, dans l'état de la loi telle qu'elle existait auparavant, si vous faites face à la menace de lésions corporelles graves ou de mort et que vous n'avez pas d'autre moyen de l'éviter, vous pouvez utiliser la force mortelle. J'ignore si c'était l'intention des rédacteurs d'affaiblir ainsi cette défense. C'est ma seule observation à ce sujet.
Je me ferais l'écho des observations de Mme MacDonnell en ce qui concerne l'affaire David Chen et le fonctionnement du système. Je pense que c'est cohérent avec ce qu'a dit également M. Rigakos, au sujet du fait que, d'une certaine façon, les tribunaux sont assez flexibles avec l'application de l'arrestation par les citoyens pour justifier l'utilisation du pouvoir d'arrestation.
En ce qui concerne l'exigence relative au délai raisonnable, je pense qu'il faudra un certain temps aux tribunaux pour déterminer ce que cela signifie exactement. Que signifie « dans un délai raisonnable après... »? Si vous aviez le scénario où l'arrestation a lieu un jour plus tard, je ne sais pas si un policier qui arriverait dans cette situation dirait: « Très bien, il s'agit d'un délai raisonnable après l'infraction, alors je vais arrêter cette personne pour séquestration et voies de fait. »
Je pense que vous allez quand même finir avec le scénario où des personnes seront traduites en justice et, en fin de compte, ces dernières pourraient être acquittées; la cour pourrait finir par dire: « Très bien, il s'agissait d'un délai raisonnable, dans les circonstances ». Je pense que cela valait la peine de le mentionner.
Je veux vous poser une question, monsieur Russomanno, en ce qui concerne votre déclaration liminaire, mais je pense qu'il y avait une allusion à cette question dans tous les exposés.
Je veux également dire que je pense que nous avons eu droit à des exposés très réfléchis et je vous en suis très reconnaissant.
Vous avez dit, en ce qui concerne ce projet de loi, qu'il s'agissait, en un sens, d'une solution en quête d'un problème, qu'il est vraiment le résultat de l'affaire David Chen. Vous avez demandé pourquoi nous cherchons à étendre l'arrestation par des citoyens, parce que la situation de Chen n'était pas atypique.
J'ai une question qui va au-delà de cette problématique, mais elle est issue de vos observations, et peut-être de celles de certains des autres témoins. Croyez-vous que nous, à titre de parlementaires, peu importe le parti, peu importe le gouvernement, avons élaboré une approche par laquelle nous sommes en train de légiférer une réponse à une situation particulière? Nous avons la Loi de Sébastien, par exemple; je peux continuer et nommer toute une série de lois qui sont le résultat d'une situation particulière — par exemple, David Chen.
Pensez-vous que nous soyons, en fait, en train de surcharger le Code criminel par le biais de ce projet de loi, qui est une réponse à une situation particulière qui est survenue, mais qui pourrait, en fait, être une solution, comme vous l'avez dit, en quête d'un problème?
Oui. Je suis tout à fait d'accord. Et je pense que vous l'avez beaucoup mieux exprimé que moi.
En fait, en répondant à l'affaire David Chen, lorsque vous regardez le libellé de la modification proposée, le projet de loi essaie, fort louablement, de restreindre la question de manière à prévenir les inquiétudes relatives au phénomène du justicier et à l'idée que les gens se regroupent en petite troupe pour aller appliquer la loi de leur propre chef.
Je suis parfaitement d'accord. Je pense que cela va engorger les tribunaux. Ce projet de loi a des conséquences imprévues, surtout en ce qui a trait aux agences de sécurité privées. Mais dans le cas de David Chen, c'était clairement une réponse du Parlement à cette question particulière, à mon avis.
Très bien.
Deuxièmement, un thème commun, qui n'est pas sans lien avec le premier, c'est que le projet de loi, comme vous et d'autres l'ont dit, a véritablement des répercussions en ce qui a trait au secteur des entreprises de sécurité privées, qu'en fait, il pourrait étendre par inadvertance les pouvoirs de ce secteur, bien qu'il ait été lié à David Chen. Alors, le modèle que nous utilisons pour ce projet de loi est lié à Chen, mais ses répercussions seront d'étendre les pouvoirs des entreprises de sécurité privées.
Y a-t-il quelque chose que nous devons faire concernant la reddition de comptes par les entreprises de sécurité privées, puisque nous sommes en train de légiférer à l'égard de David Chen, mais que nous pourrions passer à côté des répercussions de la question sur laquelle nous devons légiférer?
La question s'adresse à chacun d'entre vous.
Je vais répondre très rapidement, parce que je pense que les deux autres témoins ont une plus grande expertise que moi dans ce domaine. Oui, je pense qu'il doit y avoir reddition de comptes. Je pense que c'est un problème qui existait avant cette modification. Même dans l'état actuel de la loi, les agents de sécurité privés n'ont déjà pas à rendre de comptes en ce qui concerne leurs pouvoirs, et c'est une préoccupation, du moins, d'après mon expérience devant les tribunaux.
Le secteur des entreprises de sécurité privées est réglementé et rendu redevable par le biais des lois provinciales. Les entreprises de sécurité privées vous diront qu'elles ont beaucoup plus de comptes à rendre que les services de police publics. Elles disent cela parce qu'elles doivent respecter la logique des marchés. Si elles sont poursuivies, elles doivent acheter plus d'assurance. Typiquement, les gardiens de sécurité ne sont pas syndiqués. Mes propres études ont révélé que du point de vue de la probabilité d'être réprimandés en raison de leur conduite au travail, il n'y a vraiment pas de comparaison entre les gardiens de sécurité privés et les agents de police publics. Les agents des services de sécurité privés sont beaucoup plus susceptibles de subir des conséquences.
Le point que j'essaie de faire comprendre, toutefois, c'est que c'est tellement vague, et bien que l'intention puisse être que cela doive se faire dans un délai de quelques heures, et que cette mesure est prévue véritablement pour les propriétaires de magasins, j'ai posé la question à mes collègues dans le secteur des entreprises de sécurité privées directement en ligne. Je leur ai demandé ce que cela signifiait pour eux, à quoi cela ressemblait pour eux, et les réponses obtenues sont variées. Un cadre supérieur d'une grande firme de prévention des pertes m'a répondu que 30 jours lui semblaient raisonnables. Par la suite, j'ai reçu une nouvelle réponse qui disait: « Non, je ne pense pas que c'était là l'intention. Il s'agira probablement de quelques heures ».
En fin de compte, ils estimaient qu'il faudrait quelques causes types dans ce cas-ci, et lorsque vous commencez à parler ainsi, je me demande si nous ne sommes pas en train de créer plus de problèmes en termes de prise de décision judiciaire et de clarté dans ce domaine que nous en réglons. Nous sommes en train d'ouvrir une véritable boîte de Pandore.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos témoins.
Je suis d'accord avec d'autres membres du comité qui ont dit qu'il s'agissait d'une conversation réfléchie, et j'aime cela. De plus, j'aime toujours lorsque des gens viennent témoigner en leur propre nom plutôt qu'au nom d'un groupe quelconque, parce que j'aime beaucoup l'engagement citoyen.
Je me retrouve toutefois dans une situation de conflit. Je vais commencer en disant, madame MacDonnell, que vous avez réussi aussi bien que n'importe qui d'autre à bien articuler les préoccupations autour de la question du temps concernant le pouvoir modifié d'arrestation par des citoyens, à savoir la possibilité plus grande d'arrestations illégales, la possibilité d'une résistance de la part de la personne arrêtée parce qu'elle ignore les raisons de l'arrestation, et la possibilité d'entraver une enquête ou la saisie des moyens de preuve. Je veux que vous sachiez que je comprends cela.
Je dirai à tous les témoins, en commençant par Mme MacDonnell, que je vois toutes ces possibilités comme la mise en application imparfaite d'une loi. Toute loi peut être mise en application de manière imparfaite. Toute loi, en fait, est sujette à un usage abusif, à un usage erroné, à une sous-utilisation ou à une mise en application imparfaite. Alors, j'aimerais commencer par cette question. Comme question de principe, oubliez l'idée de regarder à travers une boule de cristal pour voir comment la loi sera mise en application, mais comme question de principe, voyez-vous quoi que ce soit de mal, en principe, dans la notion que si vous m'assommez, volez ma montre et ma bague et vous vous enfuyez, et que je vous revois le jour suivant sans qu'il me soit possible d'obtenir l'aide d'un policier, que je puisse légalement vous arrêter?
Je commence par Mme MacDonnell.
Il m'est difficile de séparer cette question des réalités de ce que nous savons, même dans le contexte du travail policier, de certaines des faiblesses liées à ce processus.
Compris. C'est pourquoi j'ai fait la distinction. Je sais que vous êtes préoccupée par l'application de la loi, mais je veux commencer par savoir si, oui ou non, vous me dites qu'il y a un vice quelconque dans le principe voulant que je puisse arrêter quelqu'un un jour après que cette personne m'a volé, alors que je ne peux obtenir l'aide d'un policier? Y a-t-il quelque chose de mal dans ce principe? Je comprends toute la question de la boule de cristal et des cas où cela pourrait être mal utilisé, mais y a-t-il un problème en principe avec cette loi?
Encore une fois, je vois où vous voulez en venir. Mon problème c'est… Permettez-moi d'utiliser un exemple. Il y a une préoccupation réelle au sein du système de justice pénale au sujet de la valeur de l'identification par témoin oculaire. Il y a ce phénomène par lequel le témoin honnête se trompe en identifiant quelqu'un, qui le croit honnêtement et qui est un citoyen inquiet. Les cours ont dit clairement que dans de nombreux cas, l'identification par témoin oculaire ne mérite aucun poids parce qu'elle pose un énorme problème.
Il est difficile de séparer cette situation paradigmatique de ce que nous savons au sujet de la façon dont ces choses fonctionnent. Si vous êtes dans une situation où votre préoccupation, c'est que 85 p. 100 du temps les choses pourraient mal tourner soit pour la personne arrêtée soit pour la personne qui fait l'arrestation, et que vous savez que les dispositions actuelles couvriront de nombreuses situations où ces préoccupations sont atténuées, je pense que la conclusion logique pour quelqu'un comme moi est de dire qu'il vaut mieux laisser les choses telles qu'elles sont.
Compris.
Malheureusement, à cause des limites de temps, je dois passer à M. Russomanno et à M. Rigakos. J'aimerais poursuivre cette discussion avec vous pendant un instant encore.
En principe, je suis assez confiant que le système judiciaire puisse, en fait, corriger une mise en application imparfaite de bonnes lois. Je suis prêt à laisser les tribunaux le faire. À mes yeux, la question de savoir s'il s'agit d'une bonne loi dépend de la priorité également. Qui est-ce que j'essaie de servir? Qui est-ce que j'essaie de protéger?
Si quelqu'un m'assomme et vole ma montre et que je vois cette personne le lendemain et que je dois lui envoyer la main et la regarder s'éloigner alors qu'il n'y a pas de policier dans les environs, à mes yeux, la protection d'une telle personne est justifiée en principe. Je donne la priorité à la protection des victimes, plutôt qu'à l'idée de prévenir la possibilité de l'application abusive d'une bonne loi. Alors…
Malheureusement, monsieur Woodworth, votre temps est écoulé. La montre dit que les cinq minutes sont terminées.
Madame Boivin.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins. C'est très intéressant.
Je remercie M. Woodworth de l'exemple qu'il nous a donné. En effet, ça fait réfléchir. Toutefois, c'est un autre exemple qui démontre peut-être qu'on est en train d'ouvrir une boîte de vers, comme on dit chez nous.
Cependant, je voulais être bien certaine de vous avoir bien compris. Dois-je comprendre de vos interventions qu'il vaudrait mieux laisser le Code criminel tel qu'il est actuellement et que la jurisprudence suffit? Il est sûr que des cas comme celui de M. Chen se produisent. Toutefois, en tentant de régler un cas en particulier, on risque de se compliquer un peu la vie. Ai-je bien compris? Est-ce l'essentiel de votre témoignage?
[Traduction]
Je vais répondre en anglais. Je comprends le français, mais mon français parlé n'est pas très bon.
Oui, je suis d'accord pour dire que la loi devrait rester telle qu'elle est en ce qui concerne l'arrestation par des citoyens.
Je n'ai pas beaucoup de problèmes en ce qui concerne la défense des biens et la légitime défense, mis à part les observations que j'ai faites plus tôt. Je pense que ces dernières, comme l'a suggéré Mme MacDonnell, permettraient dans une certaine mesure d'atténuer les inquiétudes soulevées par le désir d'étendre l'arrestation par des citoyens.
Monsieur Rigakos, ai-je bien compris qu'essentiellement, votre témoignage devant le comité concernant l'arrestation par des citoyens était de laisser le Code criminel tel qu'il est?
Très bien, c'est clair.
[Français]
Vous avez dit quelque chose d'important. Depuis le début, j'ai une inquiétude relativement à l'arrestation par un citoyen, et c'est lié à la sécurité de la personne. Je ne recommanderais à aucun simple citoyen de procéder à une arrestation. On n'a pas la formation ni la compétence nécessaires pour le faire. Ça peut être dangereux. Toutefois, si, malgré tout, une personne se sent réellement appelée à agir ainsi, il faut le faire adéquatement pour ne pas avoir d'ennuis. Il faut avoir l'assurance qu'on arrête la bonne personne. Il y a tout cet aspect.
Je comprends votre position: vous souhaitez qu'on laisse le Code criminel tel quel. Cependant, puisque nous sommes minoritaires au Parlement, j'ai peu d'espoir qu'on réussira à obtenir un tel résultat. Je pense que le gouvernement tient à amender le Code criminel.
Vous m'inquiétez un peu avec la notion de délai raisonnable. Cela rejoint les inquiétudes que j'avais. On me dit que dans certains cas, on pourrait parler de plusieurs jours. Le Code criminel doit préciser ce qu'est un délai raisonnable si on procède à une arrestation après la perpétration d'une infraction. Selon moi, il est clair que cela veut dire quelques heures après. Toutefois, on sous-entend que ça pourrait être le jour subséquent. J'avais presque réussi à me réconcilier avec l'idée que ça pouvait être dans les heures suivantes, si la personne est assez idiote pour revenir au même magasin, si c'est la même personne. L'exemple de M. Woodworth m'a fait encore plus peur et je le remercie, car j'étais presque prête à appuyer l'article tel quel. Les témoignages entendus sont parfois utiles. J'apprends que ça pourrait être le lendemain ou le surlendemain, alors que la mémoire peut être encore plus défaillante.
Comment fera-t-on pour réconcilier tout cela et réussir à donner à cet article une cohésion qui ne sera pas plus inquiétante que la situation qu'a vécue M. Chen?
[Traduction]
En résumé, si vous avez ce genre d'exigence de raisonnabilité, vous laissez à la common law le soin de déterminer ce qu'elle est, et les tribunaux devront le faire. Ce n'est pas la première fois qu'un tel libellé est utilisé et que la common law est obligée de trancher. Il y a une incertitude en partant. La plupart d'entre nous faisons confiance à la common law pour trouver la bonne réponse dans certaines circonstances, et la beauté de la common law, c'est qu'elle le fait, au cas par cas.
Je trouve difficile de résister à l'envie de répondre à la question hypothétique précédente. Je pense que la réponse est liée à ceci. Certainement, en principe, c'est raisonnable. Toutefois, je pense que les problèmes hypothétiques avec les erreurs d'identification et l'absence de reddition de comptes sont inséparables de cette question, avec laquelle, en principe, je suis tout à fait d'accord. Il devrait y avoir un droit correspondant. Le problème, c'est l'absence de reddition de comptes qui découle de cela, l'incertitude du libellé et la possibilité qu'une arrestation par des citoyens donne lieu à une résistance violente, dans un cas où la personne qui fait l'arrestation n'a pas la formation appropriée pour le faire.
Je prends toujours plaisir aux discussions théoriques, mais j'aimerais ramener cela à une dimension plus pratique. J'aimerais parler du caractère pratique. J'ai grandi à Fort McMurray, qui, à l'époque où je suis déménagé là-bas, comptait 1 400 habitants. Aujourd'hui, la ville compte environ 100 000 habitants. J'ai pratiqué le droit criminel. Mes parents avaient un magasin sur la rue principale et j'ai procédé à une dizaine d'arrestations par des citoyens. Dans un cas, j'ai été agressé par quelques types que je pourchassais, alors, je sais ce que c'est que de participer à ce genre de choses. J'ai eu des milliers de comparutions devant les tribunaux à titre d'avocat dans des centaines de procès criminels. C'est un endroit très occupé.
Je vais commencer par vous, madame MacDonnell. Êtes-vous de l'Est du Canada?
Beaucoup de gens portent ce nom à Fort McMurray.
Dans combien de procès criminels avez-vous été l'avocate principale?
Combien d'entre vous ont été avocat principal dans des procès où vous avez invoqué la légitime défense?
J'ai vu ce que l'on pourrait appeler un système imparfait d'universitaires lorsque je faisais mon baccalauréat en droit et mon M.B.A. À peine ma maîtrise en droit terminée, j'ai pratiqué le droit criminel. À ce titre, j'ai vu une chose qui favorisait les universitaires — les juges. Dans presque toutes les affaires, ils sont en mesure d'interpréter le caractère de ce qui est raisonnable ou le critère d'une demande raisonnable.
Il y a une chose dont on n'a pas parlé dans ce débat — et je vous vois acquiescer, madame MacDonnell —, c'est le recours au droit pénal pour les forces de sécurité et le recours au droit pénal en cas d'arrestation illégale. J'ai eu l'occasion de pratiquer dans ces deux domaines et je peux vous assurer que quiconque fait une arrestation illégale en ressent les conséquences sur ses finances. Voilà pourquoi les dirigeants de services de sécurité forment aussi bien leurs employés.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet, madame MacDonnell?
Oui, je suis ravie de répondre à vos questions. J'ai une très grande confiance dans les juges. Ce qui m'inquiète, je crois, ce sont tous les cas dont les tribunaux ne sont pas saisis et toutes les situations dans lesquelles il n'y a, ni accusation au pénal, ni poursuite civile parce que l'on a affaire à une personne marginalisée qui n'a pas suffisamment d'argent pour poursuivre une compagnie de sécurité privée.
Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est pourquoi nous avons des conventions pour dépenses imprévues, auxquelles j'ai moi-même recours. J'ai pu poursuivre des gens en fonction d'un pourcentage que je recevrais si je gagnais ma cause, et j'ai fait cela souvent.
Mais ce que je veux dire — et vous avez entièrement raison —, c'est que peu de gens ont la possibilité que M. Chen a eue. Beaucoup de gens sont — ou ont été — arrêtés en pareilles circonstances. J'ai vu beaucoup de M. Chen qui n'ont pas pu obtenir réparation ou profiter de la publicité que celui-ci a eue, et qui sont arrêtés puis enfermés du jour au lendemain.
Comme l'indiquait M. Russomanno, ses clients qui ont été jetés en prison n'ont eu aucune réparation ni publicité. Le fait d'avoir été arrêtés illégalement alors qu'ils défendaient leurs biens ou leur personne n'a suscité aucune sympathie. C'est ce que je voulais faire valoir.
Là encore, ce qui est intéressant au sujet de l'affaire Chen, qui a d'ailleurs motivé la réforme de la loi, est qu'il a été acquitté. Cela va en fait dans le sens de ce que le député a dit…
Mais il a passé une nuit en prison, ce qui n'est pas de tout confort. Il a été arrêté et malmené. Honnêtement, je connais bien des clients qui ont vécu cela et, comme le disait M. Russomanno, ce n'est pas une partie de plaisir. Ce n'est pas le Holiday Inn.
Si vous le permettez, j'aimerais poser quelques autres questions.
Je pense que la loi doit refléter les besoins de la société. Êtes-vous d'accord? La loi change. Voilà pourquoi nous avons la common law, qui est si efficace. Elle est là pour refléter les besoins de la société. Êtes-vous d'accord?
D'accord. En fait, cela fait au moins 50 ans que l'on dit que l'article sur la légitime défense doit changer. Vous acquiescez, madame MacDonnell. Le microphone ne l'entend pas, mais vous êtes d'accord avec moi.
Je crois louable, de la part du Parlement, de se pencher sur ce qui est aujourd'hui une série assez technique de dispositions touchant particulièrement la légitime défense.
Exactement. J'aimerais que la loi aille encore plus loin et je suis sûr que M. Russomanno est d'accord. Qu'on le veuille ou non, les lésions corporelles graves sont depuis bien des années un point important par rapport aux criminalistes.
Je tiens simplement à dire, je pense que la loi a…
[Français]
Ma question s'adresse au premier témoin, Mme MacDonnell.
Vous avez mentionné, comme les autres témoins, que l'industrie de la sécurité privée remplace de plus en plus les policiers pour faire des arrestations lors de vols à l'étalage ou autres infractions. J'aimerais savoir si les agents de sécurité privés devraient être assujettis, selon vous, aux exigences de la Charte les obligeant à informer les personnes de leurs droits, notamment le droit de consulter un avocat, au moment de leur arrestation.
Merci.
[Traduction]
Sur la question de savoir si la Charte doit s'appliquer aux agents de sécurité privée ou s'il y a une raison de confier à ces derniers la responsabilité, par exemple, de proposer le droit à un avocat et de suivre certaines règles semblables aux diktats de la Charte, je dirais ceci. Le meilleur moyen d'aborder la question est, à mon avis — et comme je l'ai dit, il n'est pas sûr que la Charte s'applique à ces circonstances — ou l'un des moyens d'apaiser les inquiétudes que suscite l'industrie de la sécurité privée serait de renforcer la réglementation actuelle ou de s'en inspirer. Cela impliquerait probablement une collaboration avec vos homologues provinciaux.
L'Ontario, par exemple, a une loi réglementant l'industrie de la sécurité privée. À l'heure actuelle, la loi comporte un code de déontologie qui oblige, par exemple, les agents de sécurité privée à ne pas employer de force excessive. Je ne vois pas de raison de ne pas imposer des exigences semblables à celles de la Charte à l'industrie de la sécurité privée — en l'obligeant, par exemple, à proposer le droit à un avocat, à ne pas procéder à des détentions arbitraires. Ces mesures seraient probablement prises au niveau provincial, et je ne vois pas de raison pour nous de ne pas en faire autant.
Comme je l'ai dit, l'industrie de la sécurité privée est très perfectionnée et elle possède d'abondantes ressources. Puisque son effectif agit de plus en plus comme la police, il n'y a vraiment aucune raison de ne pas lui demander d'assumer les mêmes obligations. Ces entreprises ont d'ailleurs, je crois, les infrastructures nécessaires pour effectuer ce genre de formation.
Que nous parlions ou non de ce projet de loi et des changements à apporter au pouvoir d'arrestation par des citoyens, nous avons là une industrie qui est largement non réglementée, mais qui devrait probablement l'être, puisqu'elle est de plus en plus amenée à opérer, comme le professeur Rigakos l'a dit, comme une force policière ordinaire.
[Français]
Merci beaucoup.
Merci.
Autrement dit, on n'est pas sûr que la Charte s'applique à ces situations. Toutefois, il serait souhaitable que ce soit le cas. Un code de conduite réglementaire serait nécessaire et une formation de 40 heures serait plus que nécessaire.
Ma deuxième question s'adresse à M. Russomanno.
Vous avez dit que les compagnies de sécurité privées risquaient de faire davantage de victimes et qu'il y avait un manque de transparence, un manque de reddition de comptes. Pourriez-vous en dire davantage à ce sujet?
[Traduction]
Oui, certainement.
D'après mon expérience et celle de collègues de mon cabinet d'avocats et d'autres avocats auxquels j'ai parlé, les agents de sécurité privée sont moins formés et ont moins d'expérience que les agents de police lorsqu'il s'agit de recourir à la force. Pour exercer leur métier, les agents de police doivent suivre un processus beaucoup plus rigoureux que les agents de sécurité. Dans bien des affaires que j'ai traitées où étaient concernés des agents de sécurité, j'ai constaté une tendance au recours à la force, alors que ce n'était peut-être pas nécessaire.
Je vais vous donner l'exemple très poignant d'une étudiante universitaire de 23 ans, que j'ai défendue il y a un an. Alors qu'elle se trouvait au Centre Rideau, une bataille a éclaté entre femmes. Elle a donc essayé de les séparer avant l'arrivée des agents de sécurité. À leur arrivée, elle essayait encore de séparer les belligérantes. Quatre agents se sont approchés d'elle, l'ont empoignée et lui ont mis les mains derrière le dos pour lui passer les menottes. Lorsqu'elle a essayé de leur expliquer qu'elle ne faisait pas partie du groupe et qu'elle résistait à l'arrestation, ils l'ont plaquée au sol, se sont assis sur elle et l'ont finalement immobilisée contre un mur. Elle a fini par se retrouver menottée plusieurs heures dans le bureau des agents avant d'être libérée.
Pendant environ un an où elle a été en liberté sous caution, sa scolarité — elle faisait partie d'un programme professionnel — a été totalement menacée. Si elle avait été inculpée de voies de fait — elle était en fait accusée, rien de moins, de voies de fait à l'endroit d'un agent de la paix —, sa carrière aurait été complètement fichue. Voilà un exemple qui est loin d'être rare selon mon expérience et celle de mes collègues du cabinet. Je trouve cela vraiment inquiétant. Lorsque j'ai contre-interrogé ces agents de sécurité, ils ne semblaient pas connaître les limites de leurs fonctions.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins de leur présence et de leur contribution.
Plutôt que par une question, je vais commencer par un commentaire que vous pourriez à votre tour commenter.
Il me semble, monsieur le président, que l'on pense que le projet de loi C-26 est inspiré de la situation que M. David Chen a vécue à Toronto il y a quelques années. Si c'est le cas, on a tort.
Il y a eu dans les régions rurales de l'Alberta quelques cas très en vue au cours desquels la GRC n'a pas toujours pu intervenir. Il y a eu aussi un cas très médiatisé au Nouveau-Brunswick. Je n'en connais pas tous les détails, mais je sais qu'une arme à feu avait été utilisée. De la même façon, dans l'une des affaires survenues en Alberta et qui a abouti à une inculpation, un quad — un véhicule récréatif à quatre roues motrices — a été volé. Une poursuite s'en est suivie et des coups de feu ont été tirés. Finalement, quelqu'un a été inculpé et jeté en prison — et dans ces circonstances, je dois dire qu'il le méritait.
Ce que je veux dire, c'est que je ne suis pas sûr que le projet de loi C-26 découle exclusivement du cas de M. Chen. À la lumière de ces situations encore plus extraordinaires où des gens ont essayé de défendre leur propriété — et, dans les régions rurales de l'Alberta, de se défendre en dehors de leur propriété, et quelquefois bien loin — je pose au groupe la question suivante. N'incombe-t-il pas au Parlement d'éclairer le public sur ses droits par rapport aux arrestations et à la défense de ses biens?
Je commencerai par vous, madame MacDonnell. Vous connaissez probablement le cas survenu au Nouveau-Brunswick.
Je commencerai, puis céderai la parole, peut-être à M. Rigakos.
À supposer qu'il soit utile pour le Parlement d'éclaircir la portée des pouvoirs d'arrestation de la part des citoyens — et j'en conviens avec vous, ce serait important — il est tout aussi important, si vous avez l'intention de leur accorder ce pouvoir, d'en préciser autant que faire se peut la portée.
Ce que je trouve problématique dans les amendements proposés, c'est que l'exigence de « caractère raisonnable » n'atteint probablement pas son but. Il est à craindre, je pense, qu'on n'ait pas précisé la nature de ces pouvoirs. À tout le moins, nous créons une situation où le citoyen pourrait être encore moins sûr du bien-fondé d'exercer le pouvoir d'arrestation dans une circonstance donnée.
Je serais certainement d'accord en principe pour éclaircir la situation pour le compte des citoyens effectuant ces arrestations.
Je serais par contre plutôt d'accord avec Mme MacDonnell à propos de l'incertitude suscitée par l'exigence de « caractère raisonnable » et ce qui est faisable dans les circonstances. Vous avez donné l'exemple des collectivités rurales par rapport aux collectivités urbaines, et cela pourrait être différent.
Avant de donner la parole à M. Rigakos, vous conviendrez qu'il est impossible pour le Parlement de décrire un scénario ou une situation type. Il y en a tellement. Nous avons le cas de M. Chen dans un dépanneur au centre-ville de Toronto et celui des agriculteurs de la campagne albertaine où l'agent de police se trouve à deux heures de l'événement. Ces situations sont très différentes l'une de l'autre. Ce qui est raisonnable pourrait être très différent dans l'un et l'autre cas. D'où le libellé du projet de loi.
Je vais laisser M. Rigakos donner son avis.
Est-ce que les tribunaux n'ont pas déjà commencé à élargir la définition de ce qu'on entend par: « il trouve en train de commettre » à la suite de l'affaire David Chen et des affaires précédentes, et ne vont-ils pas continuer dans le même sens? Est-ce que ce n'est pas déjà le cas lorsque l'expression, appliquée aux agents de la paix, a été élargie — et finalement consacrée — en vertu de la common law, au sens de « apparemment en train de commettre » — sans autre précision?
Les juges le font depuis longtemps et je me demande quel est l'intérêt de cet ajout. Ce que je crains, dans l'intervalle, d'ici à ce qu'on ait établi…
Et je comprends comment le secteur de la sécurité privée fonctionne, ayant fait pendant 20 ans de la recherche dans ce domaine. Il y a toute une gamme d'intervenants dans ce secteur et je me méfie beaucoup de certains d'entre eux; d'autres ont travaillé dans le secteur policier public qu'ils ont quitté après avoir fait bien des choses. Il y a tellement de différences chez ces intervenants que, pendant un certain temps, d'ici à ce que les tribunaux tranchent certaines affaires, on va se retrouver dans une culture du Far West. C'est pratiquement garanti.
Je me demande donc quel mal surviendra dans l'intervalle.
Je crois que nous n'avons plus de temps, mais les affaires dont j'ai parlé, les deux en Alberta et la troisième au Nouveau-Brunswick, ne concernaient pas la sécurité privée, mais des propriétaires.
Est-ce que mon temps est écoulé?
[Français]
Ma première question s'adresse à Mme MacDonnell ou à M. Russomanno.
La question de la Charte est un peu floue; c'est du moins ce que vous avez répondu à mon collègue M. Jacob. Toutefois, je sais que certains cas en Alberta ont prouvé que les agents de sécurité et les citoyens appelés à faire des arrestations sont assujettis à la Charte. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous hésitez à vous prononcer? Peut-être voudriez-vous nous parler d'un ou de plusieurs cas spécifiques.
[Traduction]
Certainement.
Dans l'affaire Lerke jugée en 1986, la Cour d'appel de l'Alberta a déterminé que la Charte s'appliquait en fait à l'arrestation par des citoyens. Elle en était arrivée à cette conclusion après une analyse historique du pouvoir d'arrestation par les citoyens qui date d'avant le pouvoir accordé à la police. À une époque où les forces de police n'existaient pas, on demandait à des citoyens d'effectuer des arrestations et ce pouvoir qui leur était accordé découlait directement de celui du souverain. Ce pouvoir accordé par le souverain était donc, de ce fait même, assujetti à la Charte.
On a tendance à croire que le pouvoir d'arrestation de la part de citoyens est venu après celui de la police. Mais ce n'est pas le cas. Très tôt, la Cour d'appel de l'Alberta a jugé que l'arrestation par des citoyens était assujettie à la Charte. D'autres tribunaux, dont ceux de l'Ontario, de la Nouvelle-Écosse — je crois — et de la Colombie-Britannique, ont rendu à ce sujet des jugements différents.
La Cour suprême n'a pas rendu de jugement à cet égard.
J'ajouterais simplement que la Cour suprême n'a effectivement pas rendu de jugement à cet égard, mais ce qui complique les choses est que dans l'affaire Buhay, la cour a semblé insister sur le fait que, aux fins de la Charte, elle allait considérer les agents de sécurité comme des agents privés, sauf dans un nombre extrêmement limité de cas. Puis, dans une affaire survenue peu après, l'affaire Asante-Mensah, la Cour suprême a retenu l'analyse historique faite dans l'affaire Lerke à propos des origines du pouvoir d'arrestation de la part de citoyens et indiqué que la question de l'applicabilité de la Charte n'avait pas été réglée.
Par rapport à la loi en vigueur, on ne sait pas quel jugement rendrait la Cour suprême à cet égard. Si l'on s'en tient au citoyen typique, on voit bien les difficultés considérables de mise en oeuvre que représenterait le fait d'obliger un particulier à proposer le droit à un avocat et à respecter toutes les obligations de la Charte.
Il ne s'agit pas d'un argument juridique permettant de conclure que la Charte ne s'applique pas, mais cela pourrait vouloir dire qu'en l'absence d'un jugement de la Cour suprême ou tant que celle-ci ne réglera pas définitivement la question, il serait peut-être plus utile d'envisager des moyens de réglementer les intervenants plus avertis, en l'occurrence les entreprises de sécurité privée. Comme elles sont déjà réglementées, nous pouvons plus facilement renforcer la réglementation qui les concerne de façon à les distinguer du citoyen ordinaire.
La cour pourrait finalement conclure que la Charte s'applique à tous les intervenants et il ne reste donc plus qu'à attendre sa décision.
[Français]
Merci.
Madame MacDonnell, vous avez dit que les agents de sécurité ont plus tendance à faire de la discrimination. Si on permet, par exemple, à un citoyen d'arrêter quelqu'un une semaine après qu'un crime a été perpétré, et que ce citoyen voie alors quelqu'un qui a l'air d'un criminel, qui ressemble à la personne ou qui a l'air d'appartenir à un gang de rue, croyez-vous qu'on ouvre alors la porte à des généralisations et à des cas potentiels de profilage?
Merci beaucoup.
[Traduction]
Oui, la documentation semble indiquer que lorsqu'il s'agit d'agents de police, les groupes marginalisés, comme les minorités visibles et les personnes dont le statut socio-économique est faible, font souvent l'objet d'une surveillance policière excessive. C'est ainsi que nous l'appelons.
Je pense que les mêmes problèmes peuvent très bien exister en ce qui concerne les forces de sécurité privée. Nous savons que l'on a maintenant recours aux gardes de sécurité privée dans les complexes d'habitation pour personnes à faible revenu. Je crois qu'il existe un risque réel que les personnes déjà susceptibles de faire l'objet d'un nombre disproportionné d'interventions policières vont maintenant devenir également de façon disproportionnée... je ne dirais pas nécessairement ciblées, mais elles feront l'objet d'un nombre disproportionné d'interventions de gardes de sécurité privée. Il y a donc toutes sortes de raisons pour lesquelles nous devrions examiner les répercussions de ces changements sur les groupes marginalisés.
J'aimerais revenir sur ce qu'on a dit tout à l'heure au sujet de la protection des victimes. Je suis très favorable à la protection des victimes. Mais il est parfois difficile de savoir qui est la victime, n'est-ce pas? Si une personne fait l'objet d'une surveillance accrue parce qu'elle fait partie d'un groupe marginalisé, cette personne est elle aussi une victime, n'est-ce pas?
Le problème que posent ces cas, c'est qu'à moins qu'une affaire aille devant les tribunaux, dans toutes les situations où les gens sont la cible de stéréotypes ou font l'objet d'une surveillance exagérée, ils n'ont pas d'autre choix que de l'accepter, n'est-ce pas? Ils n'ont aucun recours, car ces cas sont rarement portés devant un tribunal.
Je pense qu'il existe des préoccupations réelles quant aux groupes marginalisés.
Merci, monsieur le président.
En tant que membre retraité de la GRC, j'ai toujours grand plaisir à me trouver parmi un si grand nombre d'avocats.
Du point de vue policier, comme l'a dit mon collègue M. Rathgeber, je constate notamment qu'il existe une nette différence entre la police rurale et la police urbaine; tout le monde ici le reconnaîtra. La plupart du temps — et je suis persuadé que c'est ce qui est arrivé dans le cas de M. Chen —, la police urbaine établit un ordre de priorité pour ce dont elle va s'occuper ou non, car elle n'a pas le temps de poursuivre tous les voleurs à l'étalage. C'est impossible.
D'un autre côté, comme l'a dit mon collègue, dans les régions rurales — là où j'ai presque toujours vécu —, il faut souvent deux ou trois heures de voiture aux policiers uniquement pour se rendre à un endroit. Par exemple, quand j'étais affecté à New Aiyansh, en Colombie-Britannique, il me fallait six heures pour me rendre à Greenville. De plus, à un moment donné, si une infraction est commise dans une région rurale, vous mettrez un citoyen dans une situation dans laquelle il ne veut peut-être pas se trouver, mais c'est nécessaire pour empêcher qu'un crime ne se reproduise.
Je crois donc que la présentation de ce projet de loi est une bonne chose du point de vue de la clarté — à tout le moins, pour la clarté —, et c'est sous cet angle que je l'évalue. La police sait jusqu'où elle peut aller. Parfois, elle abuse de ses pouvoirs; je suis le premier à le reconnaître. Quant aux entreprises de sécurité privée, ce qu'elles ne savent pas, si j'ose dire, les place parfois dans des situations beaucoup plus dangereuses.
Ma question s'adresse à vous tous, en commençant par M. Rigakos. Elle porte sur le délai raisonnable pour une arrestation par un citoyen. Nous pouvons tous convenir qu'à un moment donné, une personne s'adressera à la police pour faire une plainte. Mais si elle était forcée de prendre une décision relativement à une arrestation, quel serait le délai raisonnable? Les tribunaux se sont déjà prononcés pour Chen, car il a été acquitté; ce serait environ une heure ou deux. Je crois que c'est ce qui a été décidé pour lui. Nous parlons donc déjà de deux heures. J'aimerais que vous me disiez tous les trois quel est le délai raisonnable, selon vous.
J'ajouterais qu'il ne s'agit pas seulement du temps, mais aussi de l'endroit.
Je crains que si vous voulez éliminer les situations qui, à mon avis, sont très probables, compte tenu du caractère entrepreneurial de l'industrie de la sécurité privée et de la façon dont les entreprises veulent se différencier de leurs compétiteurs en étant notamment plus combatives et à l'avant-garde, vous vous retrouviez dans une position délicate ou du moins vous pensiez au fait que l'arrestation ultérieure devra avoir lieu sur la propriété ou autour de la propriété où la personne a été attrapée initialement.
Ensuite, selon mon expérience, si cela commence à dépasser une journée, vous conviendrez que c'est parce que les gens de la sécurité privée retardent les choses afin de faire enquête.
Je dirais donc une journée, et je le répète, cela doit se faire aux environs de la propriété.
Je doute que cela satisfasse votre collègue, mais en tant que citoyen, cela me rassure un peu de savoir qu'il y a des contraintes à ce chapitre.
C'est difficile à dire. J'ai du mal à ne pas être d'accord avec M. Rigakos au sujet de la limite d'une journée. Je deviendrais sûrement plus prudent à mesure que la période s'allongerait.
Je tiens à souligner que David Chen a été acquitté en fonction de la mesure législative initiale; la période d'une heure ou deux n'a pas eu d'impact pour ce qui est du délai raisonnable par la suite. Le tribunal a conclu qu'il s'agissait d'une infraction continue. M. Chen a donc respecté les limites existantes de l'arrestation par des citoyens: puisque ce voleur est revenu pour commettre un autre vol, il s'agissait donc d'un seul vol continu.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos de mes deux collègues, mais j'aimerais parler un peu de certaines réalités liées aux services policiers en milieu rural. Je crois que c'est une question très importante pour les habitants des régions rurales qui ont le désir bien compréhensible de vivre en sécurité.
Je crains qu'en élargissant les pouvoirs des citoyens de procéder à une arrestation et en comptant sur ces pouvoirs pour permettre aux personnes de se protéger elles-mêmes, nous nous éloignons à certains égards de la véritable question, qui est celle de savoir si nous devrions avoir davantage de policiers. Est-ce raisonnable, si l'on est...?
Permettez-moi de vous interrompre. Il faudrait en discuter une autre fois, car c'est à la ville, à la municipalité ou au pays de déterminer combien de policiers on peut embaucher, sans parler de tout le reste.
Ma question porte sur le délai.
D'après les témoignages, les gens semblent assez satisfaits de l'issue de l'affaire Chen. Êtes-vous satisfaits de la décision rendue? Est-ce bien ce que vous dites?
Je dirais qu'en ce qui me concerne, l'affaire Chen représente peut-être une situation plus extrême que ce que l'on s'attendrait à rencontrer lors d'une arrestation typique faite par un citoyen, en ce sens que la personne arrêtée a été ligotée et placée dans une fourgonnette. Nous avons là un exercice assez robuste de ce pouvoir.
Je crois que M. Rigakos a indiqué que les tribunaux ont fait l'impossible pour acquitter les personnes dans ces circonstances. Cela veut probablement dire que les dispositions existantes offrent aux gens suffisamment de protection dans ces situations.
Je dois dire que j'ai été préoccupé lorsque j'ai lu la décision rendue par le juge Khawly dans l'affaire R. c. Chen.
D'une part, je pense que la raison pour laquelle tous les partis politiques semblent s'être emparés de cette affaire et avoir compati avec M. Chen... je suis tout à fait d'accord là-dessus, car l'histoire d'un propriétaire qui essaie de protéger son commerce, cela touche les gens. On soulève ici une question d'injustice: lorsque vous tentez de protéger votre propriété, que la police arrive et qu'elle finit par vous inculper d'infractions beaucoup plus graves que celles dont le voleur est inculpé.
D'autre part, je comprends les inquiétudes de Mme MacDonnell. Nous avons quelqu'un qui a exercé ces pouvoirs d'arrestation de façon très robuste. Bien qu'il soit important, selon moi, que les gens puissent protéger leur propriété, nous devons garder à l'esprit qu'il s'agit d'un vol à l'étalage.
Le président de l'Association canadienne des policiers, lors de son témoignage du 9 février dernier, je crois, a proposé quelque chose de semblable: nous ne devons pas perdre de vue que nous parlons d'infractions contre les biens. Lorsqu'on accroît les pouvoirs des citoyens de procéder à des arrestations, on doit garder cela à l'esprit. Le président de l'Association canadienne des policiers poursuit en disant qu'il faut faire preuve de prudence, qu'il ne s'agit pas nécessairement de simples voleurs à l'étalage, mais peut-être de membres de gangs beaucoup plus dangereux que l'on pense. Mais je crois que l'idée sous-jacente est bonne.
J'aurais préféré que Chen et son collègue ne ligotent pas le voleur et ne le jettent pas dans la fourgonnette. En même temps, lorsqu'on lit la décision — je suppose que je peux dire cela, car je ne suis pas membre du Barreau —, on voit que l'on visait un objectif. Dire que l'infraction était continue... Honnêtement, l'objectif était d'innocenter M. Chen. La plupart d'entre nous ici comprenons pourquoi.
Toutefois, nous ne sommes pas tout à fait persuadés que ce projet de loi peut offrir davantage à M. Chen que ne tentent déjà d'offrir les tribunaux. Les conséquences possibles sur ce qui se passe dans l'industrie de la sécurité privée dépassent à mon sens les avantages de tenir compte des rares cas où une situation semblable à celle de M. Chen peut se produire.
Vous êtes tombé sur un sujet intéressant quelque peu obscur. Généralement, il y a un cycle jurisprudentiel. Nous sommes heureux de laisser la légitime défense telle quelle, mais on tire des principes de l'affaire de M. Chen. Comme l'a dit M. Rathgeber, ces principes ne sont pas uniquement tirés de l'affaire Chen. Dans le cycle, nous tirons les principes de la common law et nous les codifions. Par la codification, nous tentons de fournir davantage de lignes directrices aux tribunaux. Nous avons réformé des lois qui remontent aux années 1890.
Sur le plan pratique, puisque vous nous avez dit croire que les juges sont en mesure de bien interpréter les lois, ne s'agit-il pas d'un pas dans la bonne direction pour connaître la position des gens dans ce domaine du droit?
L'enjeu est celui que M. Rigakos vient de souligner, soit la manière de traiter non pas les situations comme celle de David Chen, mais le renforcement des pouvoirs d'une industrie motivée par le profit et susceptible d'être offensive, du moins jusqu'à ce que l'on ait établit les limites de ces pouvoirs. On peut très bien voir ces entreprises privilégier les pratiques offensives.
Oui, si c'est porté devant les tribunaux. C'est ici que nous revenons aux difficultés dans le contexte du contentieux civil. Les poursuites civiles sont tout à fait hors de question pour la grande majorité des Canadiens. C'est trop coûteux; ce n'est pas une option. Les personnes qui vivent dans des logements sociaux n'intenteront pas une action au civil, même s'il peut y avoir une entente prévoyant le versement d'honoraires conditionnels par l'agent de sécurité privée qui les a rudoyées à une ou deux occasions, ou à de multiples reprises.
C'est une réelle préoccupation. Pour nous tous qui nous préoccupons de la liberté et de l'égalité, ce sont des choses simples que le Parlement tente de bonne foi d'obtenir pour M. Chen: le droit de se protéger contre l'invasion de sa propriété. Mais il y a des intérêts opposés quant au droit à la liberté, et nous devons être conscients de la façon dont ces changements seront mis en oeuvre. C'est là où la notion de sécurité privée entre en jeu, et nous ne pouvons vraiment pas passer à côté.
Merci.
La présidence aimerait vous poser une question un peu différente.
Il y a une chose que l'on oublie dans tout cela. Nous parlons toujours de M. Chen et des tribunaux, mais ne croyez-vous pas que le projet de loi donne des précisions aux policiers? Ce sont eux qui ont inculpé M. Chen, avec la Couronne. Il n'y a pas beaucoup de précisions dans la loi, et les policiers doivent souvent laisser décider les tribunaux. Ne pensez-vous pas que cela rendra les choses plus claires pour les avocats de la Couronne et les policiers à l'avenir?
Non, je ne crois pas.
Comme je l'ai dit plus tôt au sujet du délai raisonnable, les policiers, avec raison, préfèrent porter des accusations lorsqu'ils sont incertains, afin de protéger le public en général. Dans ce cas-ci — et je ne critique aucunement l'utilisation du mot « raisonnable » —, il ne devrait pas nécessairement y avoir de délai ferme dans le projet de loi. Je ne suis pas sûr qu'il clarifie les choses pour la police, car un policier qui fait face à ce genre de situation, dans laquelle une arrestation a lieu, mais cinq heures, douze heures ou une journée après, dira sans doute: « La loi dit dans un délai raisonnable. Je ne suis pas sûr de ce que cela veut dire. Inculpons la personne et laissons le tribunal déterminer cela. »
Merci, monsieur le président.
Manifestement, le fait que le comité est composé d’anciens agents de police et d’anciens avocats rend les choses intéressantes. Je pense que les observations de M. Wilk à propos des milieux ruraux sont vraiment importantes. Nous sommes tous inquiets à l’idée de donner à un groupe, par exemple, le pouvoir de pourchasser quelqu’un qu’on sait coupable d’un crime, mais qu’on ne peut localiser. Cette préoccupation à propos des restrictions temporelles doit être examinée sérieusement.
Dans l’affaire Chen, il est difficile de concilier les faits, de même que le résultat, parce que tout le problème résidait dans le délai d’arrestation. On a fait abstraction de celui-ci en concluant à une infraction continue. Mais le problème du délai existe toujours. Personnellement, je suis sensible à cette question. J’aime l’idée d’appliquer une limite temporelle raisonnable. J’aime également l’idée d’appliquer une limite géographique.
La question des groupes m’inquiète, tout comme les scénarios que vous avez exposés dans lesquels des détectives privés entreprenants décident de prendre des photos, de mener leur enquête et d’attendre trois à quatre semaines pour arrêter les suspects. Cette période de temps pourrait ne pas être raisonnable. Mais il se peut que ce genre d’enquêtes aient lieu et qu’ils procèdent à l’arrestation à un moment opportun, au lieu de le faire immédiatement. Je pense qu’on estime que le délai s’était produit uniquement parce que la personne n’était pas là. À mon avis, les gens doivent toujours intervenir promptement.
Vous n’aimez pas le projet de loi, alors vous n’allez peut-être pas vouloir nous aider, mais y a-t-il une façon de modifier la mesure législative proposée qui contribue à régler ces problèmes — géographiques, temporels — tout en exigeant que l’arrestation soit effectuée rapidement? Si un citoyen a l’intention de procéder à une arrestation, elle doit avoir lieu le jour suivant lorsque le type qui a volé sa montre se présente. Un citoyen ne peut pas dire ce qui suit: « D’accord, je l’ai attrapé. Je vais prendre sa photo aujourd’hui et, la semaine prochaine, lorsque mes copains baraqués seront là je l’arrêterai. » On ne peut pas tolérer cela.
Y a-t-il un moyen de modifier le projet de loi pour régler ce problème, ou est-ce impossible?
Je préférerais que vous laissiez la loi comme elle est et que vous permettiez au système judiciaire de se livrer encore aux acrobaties juridiques nécessaires pour disculper des gens comme David Chen, lorsque le cas se produit. Laissez-les demeurer des personnes qu’on « trouve en train de commettre » une infraction, plutôt que ce qui est prescrit dans le projet de loi.
Si l’adoption du projet de loi est inévitable, j’estime que les deux critères ayant trait à l’espace et au facteur temps doivent être pris en considération. Je ne peux pas vous citer des exemples de texte de loi, mais je peux vous dire que cette question est vraiment importante. Elle revêtira également une grande importance pour les agences privées de sécurité. Celles-ci utilisent déjà leur réseau d’information pour échanger des renseignements sur des personnes recherchées. Bon nombre d’entre elles ont des bureaux multiples. Dans le centre-ville de Toronto, il y a une entreprise de sécurité qui dessert une zone plus vaste que le service de police, en particulier en ce qui concerne les logements sociaux. En fait, vous avez invité le président de cette entreprise à comparaître devant vous.
Ils échangent couramment des renseignements, d’un client à l’autre et d’un agent de sécurité à l’autre. Il n’y a aucune raison d’imaginer que les criminels se limiteront à une seule propriété, et ces gens pourraient facilement les arrêter. Ce n’est peut-être pas ce que vous souhaitez. Je suis ici aujourd’hui pour vous indiquer que cela se produira sans nul doute. L’industrie de la sécurité prendra ce genre de mesures, et vous devez décider si vous voulez restreindre ces activités. En tant que citoyen, j’espère que c’est le cas. Si la loi ne reste pas comme elle est en ce moment, je vous saurais gré de restreindre ces pouvoirs sur le plan temporel et géographique.
La seule chose que j’ajouterais à cela est qu’il est important, dans ce contexte, de penser aux régimes de réglementation provinciaux. La plupart des lois provinciales ayant trait aux intrusions comportent des conditions et des limites géographiques. L’une des raisons pour lesquelles l’arrestation effectuée par David Chen n’était pas autorisée par la Loi sur l’entrée sans autorisation était que le suspect n’était pas sur sa propriété. Il a donc été forcé d’utiliser les dispositions du Code criminel relatives à l’arrestation par des citoyens, plutôt que la Loi sur l’entrée sans autorisation, pour justifier son arrestation.
Vous devriez peut-être examiner les lois provinciales analogues afin de voir comment les restrictions géographiques sont structurées. Les dispositions du Code criminel comportent également certaines limites géographiques.
Merci, monsieur le président.
Si vous me le permettez, j’aimerais m’adresser à M. Russomanno pendant un moment. Nous avons eu de nombreuses discussions au sujet de l’affaire de M. Chen. Je me souviens, monsieur Russomanno, que vous avez dit plus tôt que, dans le cas de David Chen, le système avait bien fonctionné. J’aimerais vous demander si je peux soutenir que vous vouliez dire, en fait, que, dans le cas de David Chen, le système était arrivé au bon résultat.
Eh bien, je pense que c’est le cas. Comme je l’ai dit plus tôt en réponse à la question d’un autre député, j’étais très déchiré par la décision. Toutefois, enfin de compte, je pense que la cour est arrivée à la bonne décision.
La distinction que je fais ici est qu’à mon avis, en votre qualité d’avocat de la défense, vous n’aimeriez pas vous entendre dire que, lorsqu’un homme innocent est arrêté, jeté en prison, forcé de dépenser des milliers de dollars en frais juridiques, exposé aux caprices de juges qui font des acrobaties juridiques ou qui dissimulent des problèmes et, finalement, acquitté… Je ne pense pas qu’en votre qualité de bon avocat de la défense, vous souhaitez dire que c’est la façon dont nous voulons vraiment que le système fonctionne, n’est-ce pas?
Je suis désolé, mais je parle en ce moment à M. Russomanno. J’aimerais pouvoir poursuivre notre conversation, mais mon temps est compté.
L’argument que je fais valoir est que c’est tout à fait exact. Le système n’a pas fonctionné dans le cas de M. Chen, même s’il est arrivé au bon résultat. Si le système avait fonctionné, il n’aurait jamais été inculpé, arrêté, jeté en prison ou exposé à cette situation éprouvante, n’est-ce pas?
Dans ce cas, je veux vous demander quels changements vous proposeriez d’apporter à la loi actuelle afin que le système fonctionne pour quelqu’un qui est dans la même situation que M. Chen.
C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Je ne crois pas pouvoir y répondre parce que cela a à voir… Ce qui a mal tourné dans le cas de David Chen, c’est l’utilisation par la police et la Couronne de leur pouvoir discrétionnaire respectif. Il y a d’excellentes raisons pour lesquelles la police et les avocats de la Couronne bénéficient d’une grande marge de manoeuvre dans leur décision de porter ou non des accusations.
Cela vous aidera peut-être à comprendre la raison pour laquelle, dans le cas de la mesure législative dont nous sommes saisis, je crois que nous donnons à la police la directive législative de ne pas porter des accusations simplement parce qu’un délai raisonnable s’est écoulé entre le moment où la personne a été aperçue en train de commettre une infraction et le moment où elle a été arrêtée. Comprenez-vous au moins comment je peux considérer que cette directive législative destinée à la police pourrait être utile?
Oui, je le comprends, et je considère effectivement que le libellé de la mesure législative est… Contrairement aux observations qui ont été formulées précédemment, je comprends qu’il y a d’autres cas, mais le projet de loi semble avoir été directement conçu pour le cas de M. Chen.
Non. Comme mes collègues l’ont signalé, il y a d’autres personnes au Canada qui se retrouvent dans des situations semblables. Nous nous efforçons de faire en sorte que le système fonctionne mieux pour ces victimes.
Je dois dire que si c’était mes biens qui avaient été volés, si j’étais la victime d’un vol, je n’aurais aucun mal à déterminer qui est la victime, malgré les observations qui ont été formulées plus tôt.
Toutefois, pour le compte rendu, je tenais simplement à m’assurer que personne dans la salle ne souhaitait dire que, dans le cas de M. Chen, le système avait bien fonctionné, parce que, selon moi du moins, ce n’est pas le cas.
Cela mis à part, en ce qui concerne la question de l’applicabilité de la Charte aux arrestations par des citoyens, je veux m’assurer de bien comprendre le problème. Madame MacDonnell, cette question ne s’applique pas uniquement aux amendements que nous proposons; elle s’applique à toutes les lois actuelles qui portent sur les arrestations par des citoyens. Est-ce exact?
Nous disons simplement que ce problème existe déjà et que, quel qu’il soit, il va s’appliquer également à vos amendements, n’est-ce pas?
Ce qui s’ajoute ici, c’est qu’en élargissant les pouvoirs des services privés de sécurité, vous augmentez la possibilité que des abus de pouvoir soient commis. Donc, la préoccupation concernant l’insuffisance possible de la réglementation de cette industrie, dans le contexte des lois actuelles, est renforcée par les amendements proposés. Mais cela ne veut pas dire que le niveau actuel de réglementation des services privés de sécurité n’est pas également préoccupant.
Je saisis vraiment que nous tentons en ce moment de lire l’avenir dans une boule de cristal et de prédire comment ces amendements seront mis en oeuvre. Mais je suis content de constater que personne n’a déclaré que la loi était condamnable en principe.
J’ai été un peu étonné lorsqu’une députée d’en face a mentionné qu’après avoir été volée, cela ne l’ennuierait pas de saluer de la main le criminel, si elle le rencontrait un jour plus tard. Mais, en ce qui me concerne du moins, je suis content que ce projet de loi apporte aux victimes ce petit supplément…
Je vais reprendre les propos de M. Woodworth là où ils les avaient interrompus, c’est-à-dire à la question de la Charte canadienne des droits et libertés. Puisque la jurisprudence semble elle-même partagée quant à la pertinence d’appliquer la Charte aux arrestations par des citoyens, quelle est votre opinion à cet égard?
Il m’est vraiment difficile de répondre à cette question. En principe, je dirais qu’il devrait y avoir des obligations à respecter, qu’elles proviennent de la Charte, d’une loi provinciale parallèle d’une sorte ou d’une autre ou d’ailleurs. Je pense qu’il faut vraiment qu’il y ait une sorte d’obligation de rendre des comptes semblable à celle qu’on retrouve dans la Charte.
Toutefois, comme Mme MacDonnell l’a signalé, le problème qui se pose, en particulier dans des cas comme celui de David Chen et non dans ceux mettant en cause du personnel de sécurité expérimenté, c’est qu’en pratique, il peut être difficile de satisfaire aux obligations, telles que le droit à un avocat ou le droit au silence. Je crois que la common law soutient assez clairement que les citoyens qui procèdent à des arrestations ont l’obligation de communiquer les motifs d’arrestation, et cela ressemble énormément à ce que dit l’alinéa 10(a) de la Charte canadienne des droits et libertés. Mais, il est difficile de déterminer si toute la gamme des droits protégés par la Charte s’applique lorsqu’on a affaire à une personne inexpérimentée dans le domaine des arrestations. Toutefois, je conviens qu’en principe, il devrait y avoir une obligation de rendre compte semblable à celle qui figure dans la Charte.
Cela m’amène précisément à la question de savoir si, en vertu de la Charte ou de toute autre mesure législative semblable, les agents de sécurité privés devraient être tenus d’informer les citoyens de leurs droits, avant de les arrêter.
J’utiliserai le temps qu’il me reste pour vous poser la question suivante: en tenant compte du thème de l’industrie privée de la sécurité qui a été abordé fréquemment, un sujet qui m’a inquiété dès les débuts de cette mesure législative, et en faisant maintenant abstraction de vos points de vue sur le projet de loi C-26, auriez-vous des recommandations à nous faire à son sujet et au sujet de son application à l’industrie privée de la sécurité, en ce sens qu’il comporte peut-être maintenant une lacune qui l’empêche de cerner cette question? En partant de l’hypothèse que le projet de loi C-26 sera adopté, avez-vous des recommandations précises à formuler? La question qui se pose est la suivante: sera-t-il adopté avec des modifications portant précisément sur les agents de sécurité privés? Je vous demande si vous avez des recommandations précises à nous faire concernant les agents de sécurité privés, que nous pourrions intégrer dans le projet de loi C-26.
Si le projet de loi C-26 est adopté, je ne sais pas exactement quelles sortes de restrictions on pourrait imposer aux agences de sécurité privées, parce qu’on les perçoit comme de simples citoyens. Il faut donc déterminer le type d’agences de sécurité privées dont on parle, et à quel titre elles agiraient. Parle-t-on d’agences d’expertise comptable? D’enquêteurs? S’agit-il de… et dans quelles circonstances? Les choses se compliquent beaucoup.
Le problème, à mon avis, c’est que nous avons hérité d’un système fondé sur une sorte de caution « bourgeoise » et mutuelle, où chacun est responsable du maintien de l’ordre, sur l’idée que les services de police constituent un bien public et que le simple citoyen est le premier rempart de défense contre la criminalité et l’inconduite. C’est une notion datant du XIXe siècle, du XIVe siècle en fait, si on recule suffisamment loin dans le temps, et qui se retrouve jusque dans la common law.
Toutefois, la loi ne fait aucune distinction entre un simple citoyen et le secteur d’activité immense que sont les agences de sécurité privées. Tant que ce problème n’aura pas été réglé, tant que la loi ne fera pas cette distinction importante entre David Chen et Intelligarde International ou tout autre fournisseur de services parapoliciers combatif, ces questions vont revenir sur le tapis.
Soit la distinction sera entérinée dans la loi, soit elle sera faite par les tribunaux à un moment ultérieur. Jusqu’à maintenant, j’estime que les tribunaux n’ont pas clairement établi de distinction.
Je ne pense pas que les tribunaux feront cette distinction avant que le législateur leur donne une orientation à cet égard. C’est mon impression. Je ne suis pas certain qu’ils pensent en de tels termes. J’ai l’impression que l’affaire Chen est le scénario qui sous-tend la loi en quelque sorte. Je tâche encore de comprendre si, puisque l’affaire Chen forme le contexte narratif de la loi, on pourrait faire quelque chose avec la loi, quelle que soit l’influence de l’affaire Chen sur elle, pour commencer, d’une façon ou d’une autre, à légiférer sur le secteur de la sécurité et sur son champ d'intervention ou si nous devons faire voter une loi distincte à ce sujet.
Soit dit en passant, si vous voulez que David Chen ait le pouvoir de faire une arrestation à titre de propriétaire, mais que vous êtes prêt à exclure une personne qui agirait en son nom, vous avez du même coup exclu tout le secteur de la sécurité privée.
Donc, si vous voulez autoriser le propriétaire d’un commerce à le faire, mais pas une agence de sécurité privée, vous devez l’énoncer explicitement dans le projet de loi.
Oui. Je dirais que la société et notre système judiciaire ont bien fonctionné dans cette affaire en particulier. Je tiens à le dire, parce que la première chose qui est arrivée, c’est clairement que le juge a envoyé un message à la police dans l’affaire Chen. Le Parlement a modifié la loi à la suite de cela. En fait, nous avons entendu de la part de M. Chen — je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’entendre son témoignage — que les vols quotidiens avaient cessé, le résultat étant que les criminels savent qu’il va leur mettre la main au collet et les arrêter. Cela ne vous plaira peut-être pas, mais moi, qui ai exercé longtemps dans le domaine du droit criminel, ça me plaît, et en tant que propriétaire d’un commerce, ça me plaît.
L’une des choses à faire consiste à empêcher les gens de voler et à leur envoyer un message clair pour leur dire que ce n’est pas acceptable. Je pense que c’est l’un des effets que cela a produits.
J’aimerais avoir vos observations à ce sujet, puisque vous vous êtes exprimée de la façon la plus tranchante, madame MacDonnell. Que pensez-vous de ce qu’a dit M. Chen, à savoir qu’à présent, il ne se fait plus rien voler?
En fait, je ne pense pas avoir de réponse à cette question. Désolée de ne pouvoir vous être plus utile.
Je ne tiens pas à assister à une multiplication des vols. Je veux aussi mettre les lois en application et empêcher le vol.
Je ne suis pas certain qu’on puisse nécessairement établir un lien entre la réduction du nombre de vols et le message qui a été envoyé par le tribunal, ni qu’on puisse déduire que la police a reçu le message.
Je dirais que la plupart des criminels se moquent du système de justice pénale en ce qui concerne le vol à l’étalage. Je dis cela tout de go, car j'en sais quelque chose, non seulement parce que j'ai pratiqué le droit pénal, mais aussi parce que mes parents ont tenu un commerce de détail pendant 40 ans. Les criminels se moquent du système de justice. Je trouve qu’à présent, ils le prennent beaucoup plus au sérieux.
En ce qui concerne les agences de sécurité privées, je pense que la responsabilité civile, tout comme l’évolution élimine les imbéciles, va éliminer les idiots qui n'offrent pas une formation suffisante. Elle éliminera les agences qui ne forment pas adéquatement leurs employés. Viendra le moment où elles ne pourront plus s’assurer et où elles ne pourront plus exercer leurs activités. Franchement, ce sont des avocats comme vous et moi qui les poursuivent en justice pour les dépouiller, et nous recevons des paiements d’assurance. Par conséquent, les compagnies d’assurance ne voudront plus les assurer.
Je pense qu’effectivement, il faut une jurisprudence. Cela prendra un certain temps, mais tôt ou tard, ces agences devront offrir une formation appropriée. C’est ce que j’ai appris quand je m’occupais d’un litige relativement à un bar que j’avais poursuivi en justice. Je n’arrivais pas à croire l’ampleur de la formation que les employés devaient suivre.
Permettez-moi seulement de citer un exemple pour justifier mon désaccord. La Charte a été promulguée en 1982. Les tribunaux, y compris la Cour suprême, ont fait savoir quelles étaient les limites des obligations et des pouvoirs de la police. Je dirais que dans bien des cas, la police n’a pas encore saisi ce message.
Je ne suis pas en désaccord avec vous. Peut-être les criminels sont-ils plus futés qu’avant, mais je ne suis pas en désaccord avec vous.
Nous n’avons plus de temps.
J’aimerais remercier le groupe d’experts de sa présence. J’estime que vous nous avez donné énormément d’information. Merci beaucoup.
Je voudrais annoncer au comité que des représentants du ministère seront là mardi. Si le comité le veut bien, nous serons en mesure de procéder à l'étude article par article.
Quelque chose de peut-être plus important à mentionner — c'était la dernière participation de Julia à nos réunions, car elle va quitter le comité pendant quelque temps. Elle nous manquera.
Nous avons vraiment apprécié votre présence parmi nous, Julia, et nous vous offrons, ainsi qu’à votre famille, nos meilleurs vœux.
Des voix: Bravo!
Le président: La séance est levée.
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