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Merci de m'avoir invitée.
Je vais présenter mon exposé en français.
[Français]
Le Conseil du statut de la femme du Québec est un organisme de consultation et d'étude qui veille depuis 1973 à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises.
C'est à ce titre que nous avons acquis une expertise sur la prostitution et la traite. En juin dernier, nous avons publié une recherche fouillée à laquelle j'ai participé. Je l'ai avec moi. Si vous la voulez, elle est disponible. Il s'agit d'un avis qui presse les autorités d'agir pour aider les victimes de la traite et les personnes prostituées à sortir du milieu malsain où elles sont exploitées.
Sur le plan juridique, nous soutenons que le Code criminel doit s'appliquer aux proxénètes et aux clients, car la demande pour les services de nature sexuelle encourage la traite et la prostitution. Par contre, nous croyons qu'il est temps de ne plus criminaliser les personnes prostituées, victimes ou non de la traite, car dans la grande majorité des cas, elles vendent leur corps après avoir vécu une enfance d'abus de toutes sortes. Nous y reviendrons.
Étant donné notre parti pris pour les femmes, et particulièrement pour les femmes exploitées et vulnérables, le conseil a appuyé publiquement, dès octobre, le projet de loi de Mme Maria Mourani. Nous estimons que la société doit disposer d'outils dissuasifs puissants pour tenter d'enrayer la traite des personnes, car selon nous, il s'agit d'un crime grave qui touche une grande partie de la planète et également des jeunes filles canadiennes, qui peuvent être nos voisines ou même des membres de notre famille.
Les modifications proposées par le projet de loi outillent mieux les policiers. D'autres témoins, comme le sergent-enquêteur Monchamp, vous ont fait valoir ces arguments. Sur le plan des principes, le projet de loi transmet aussi un message clair à ceux qui seraient tentés par cette façon en apparence facile de faire de l'argent au détriment de proies naïves et renouvelables, car il s'agit d'une ressource renouvelable du point de vue des proxénètes. Le message est que les crimes d'exploitation et de traite seront combattus et punis au Canada avec la plus grande sévérité légale possible. Comme ces crimes portent gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne, les modifications proposées par le projet de loi démontreraient, à la face du monde entier, que le système criminel canadien est exemplaire en matière de lutte contre la traite.
Parmi les changements proposés, des peines consécutives sont prévues pour les infractions de proxénétisme et de traite. Le conseil appuie cette sévérité accrue, car plusieurs crimes violents sont souvent commis en même temps dans les cas de traite. Je vous donne un exemple parmi d'autres survenus à Montréal. Marie — c'est un nom fictif — a été danseuse dans les bars pendant six ans. Elle m'a raconté qu'elle était sous l'emprise d'un proxénète violent. Non seulement elle était confinée dans son logement, battue et violée par son souteneur, qui lui prenait tous ses gains provenant de la danse contact, mais pour passer sa rage, ce même souteneur lui a écrasé son mégot de cigare sur la main et a étranglé son chat sous ses yeux. Ce chat était le seul réconfort qu'il lui restait. On est à un niveau de cruauté mentale et de contrôle difficile à imaginer dans un pays libre, mais oui, cela existe. Cette jeune femme fragile s'est fait embobiner à 17 ans par un homme violent qui lui promettait de s'occuper d'elle. Elle n'osait pas le dénoncer, de peur que sa famille écope, car il menaçait de s'en prendre à sa mère ou à sa soeur si la victime ne lui obéissait pas. Elle a seulement collaboré avec les policiers une fois que son proxénète a été arrêté.
Le projet de loi représente un changement important de notre façon de faire les choses, mais nous ne croyons pas que cet article, celui sur les peines consécutives, place les juges dans un carcan et les empêche d'évaluer au cas par cas les causes devant eux. Le projet de loi donne de nouvelles balises, mais rien n'empêche un juge, selon les circonstances, d'exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'appliquer le principe de la proportionnalité et de déterminer les peines qui lui apparaissent justes pour la personne accusée.
Une autre modification notable apportée par le projet de loi est le renversement du fardeau de la preuve. Vous en avez discuté ici. L'accusé devra prouver qu'il ne vit pas de l'exploitation d'autrui lorsqu'on est en présence d'une victime de traite. Cette mesure constitue un autre moyen de faciliter le travail des procureurs, étant donné que les victimes traumatisées ont souvent peur de témoigner contre leur agresseur ou sont aux prises carrément avec le syndrome de Stockholm.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons parlé à plusieurs intervenants, policiers et avocats qui nous ont expliqué que souvent les procureurs se contentaient d'utiliser l'article contre le proxénétisme, et non celui contre la traite, car la preuve était plus difficile à faire dans les cas de traite. Pourtant, dans la plupart des cas, c'est de la traite. En renversant le fardeau de la preuve, on remet une partie du fardeau à l'accusé. Étant donné les longues filatures que comportent les opérations policières qui mènent à des arrestations, il nous semble approprié d'obliger l'accusé à prouver, par ses transactions financières ou autrement, qu'il a des sources de revenus propres. N'oublions pas que, par définition, les revenus de la prostitution ne sont pas déclarés et sont faits de billets sonnants. Cela complique donc passablement le travail des autorités.
Finalement, le projet de loi prévoit que l'on puisse confisquer les fruits de la criminalité dans le cas d'infractions de proxénétisme et de traite. Bravo! Nous considérons qu'il n'est que justice que les personnes reconnues coupables ne puissent plus jouir des fruits de leurs crimes.
Voici quelques chiffres. En 2012, 56 cas de traite étaient devant les tribunaux. On parle de 85 accusés et de 136 victimes. Bien sûr, cela semble peu, mais ce n'est que la pointe de l'iceberg, car il est difficile de mesurer l'étendue d'une activité illicite. Ma collègue Mme Dionne vous en parlera un peu plus tard.
On pense souvent que la traite concerne seulement les femmes des pays moins riches que l'on trouve dans nos bars de danseuses. C'est une erreur. La traite interne, c'est-à-dire qui se fait entre des lieux et des provinces au Canada, représente 90 % de tous les cas judiciarisés. Les intervenantes m'ont parlé de victimes de traite interne au Centre jeunesse de la Montérégie à Longueuil. La façon de faire est connue et répandue. Des gangs de rue constitués de jeunes hommes traînent dans les stations de métro à Longueuil et même autour des écoles. Des jeunes filles se font séduire par les membres de gangs, qui, au début, leur jurent amour et sécurité et les couvrent d'attentions. Puis, le climat change. Les gars ont besoin d'argent, demandent à la jeune fille de les aider, les désensibilisent avec ce qu'on appelle des gangbangs, c'est-à-dire des viols collectifs, avant de les faire danser et se prostituer.
On parle de traite puisque ces filles sont trimbalées d'appartement en appartement et perdent les moyens de s'enfuir, car elles peuvent être battues et droguées. Certaines Québécoises se retrouvent en Ontario. Je suis sûre que vous avez entendu parler de ce problème dans les bars près de la frontière, notamment à Windsor. Oui, souvent ces jeunes filles sont fugueuses ou viennent de foyers dysfonctionnels, mais des proxénètes profitent d'elles. D'ailleurs, ce ne sont pas toujours des fugueuses, car la séduction est une arme qui peut marcher chez les adolescentes quelles qu'elles soient qui cherchent simplement à s'affranchir.
Je veux profiter brièvement de cette tribune pour vous faire part d'une de mes préoccupations. Il est important que l'enjeu de la traite n'évacue pas celui de la prostitution. Les deux questions sont intimement liées, car, sur le plan international, selon la Fondation Scelles, la majorité des prostituées seraient aux mains de réseaux de traite humaine. Je suis vraiment consciente qu'il est plus facile d'obtenir un consensus social autour d'un enjeu comme la traite, car le thème lui-même renvoie à l'esclavage et à l'absence de consentement. Toutefois, au pays, il y a également de la prostitution sans traite, phénomène plus complexe, moins noir et blanc, et sans doute un phénomène plus répandu en ce qui a trait au nombre de victimes. Il ne faut donc pas reléguer ce phénomène aux oubliettes. La prostitution, elle, n'est pas toujours liée à la traite, alors que la traite humaine à des fins d'exploitation sexuelle aboutit toujours à la prostitution.
Je m'explique. Des femmes prostituées qui n'ont pas de proxénète vendent de plus en plus souvent leurs services par Internet. Elles racontent leur histoire dans les médias, parlent avec aplomb de leur choix de vie. Bref, ce ne sont pas des cas de traite. Mais est-ce à dire que ces voix qui affirment le choix des femmes à se prostituer représentent la majorité des femmes qui vendent leur corps pour survivre? Non, mille fois non. Il est peut-être rassurant de penser ainsi, mais il est faux de croire que ce libre choix est la norme. Même selon les avocats représentant celles qui se nomment travailleuses du sexe et qui se sont adressées aux tribunaux ontariens, seulement de 5 à 20 % des prostituées peuvent tirer profit de ce commerce lucratif et font, en effet, un choix « éclairé ».
Les autres, c'est-à-dire la vaste majorité silencieuse, se trouvent dans des situations d'exploitation et de violence qu'elles n'ont pas choisies et dont elles peuvent difficilement se libérer sans aide extérieure. Ce sont des femmes vulnérables qui, dans de 70 à 84 % des cas, ont vécu des abus au cours de leur jeunesse et ont glissé vers la prostitution et souvent dans la drogue comme moyen d'endurer cette forme d'exploitation. J'ai rencontré certaines de ces femmes.
C'est pour cela que nous refusons la décriminalisation des clients prônée par le lobby des travailleuses du sexe. En effet, cela ne ferait que banaliser encore plus et augmenter ce commerce qui réduit les femmes à des objets. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans des endroits comme les Pays-Bas.
Au-delà de l'enjeu qui vous préoccupe aujourd'hui, je tiens donc à vous faire valoir notre point de vue plus large sur la question, vous qui êtes en position de demander des changements au Code criminel. Un modèle, et un seul modèle, a fait ses preuves dans le monde en protégeant les femmes contre cette atteinte fondamentale à leur droit à l'égalité. En Suède, seuls les clients et les proxénètes sont criminalisés. Les peines et les conséquences sont sévères. Les prostituées, elles, ne sont pas poursuivies. On leur offre des services sociaux importants pour qu'elles puissent sortir de ce milieu et trouver une occupation. Le modèle suédois a fonctionné.
Je vous invite, mesdames et messieurs, à réfléchir à ces questions. Au-delà de ce projet de loi sur la traite, qui est important, il y a toute la question de ces femmes aux prises avec la prostitution.
Merci.
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Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité. Je m'appelle Michael Maidment. Je suis agent de liaison du gouvernement fédéral pour l'Armée du Salut au Canada.
Je tiens premièrement à vous remercier de me donner l'occasion, cet après-midi, de vous présenter un exposé sur la question de la traite de personnes, et, plus précisément, sur le projet de loi .
Pour commencer, j'aimerais saluer le travail de Mme Mourani dans le cadre de cet important projet de loi et la remercier de son engagement à présenter des solutions complexes au problème de la traite de personnes au Canada. J'ai le privilège aujourd'hui d'être accompagné par Naomi Krueger. Naomi est gestionnaire d'un des premiers refuges au Canada qui vient en aide exclusivement aux victimes de traite de personnes. Le refuge Deborah's Gate, qui a ouvert ses portes en 2009, vise à mettre en place des réseaux de soutien communautaire confidentiels, professionnels et adaptés sur le plan culturel à l'intention des survivantes de ce terrible crime.
Dans le refuge Deborah's Gate, l'équipe de gestion des cas coordonne des rendez-vous avec des responsables de l'application de la loi, des représentants de l'Immigration, des avocats, des conseillers spécialistes de traumatismes et d'autres fournisseurs de services. D'autres programmes sont offerts pour permettre aux résidentes du refuge d'avoir accès à des paiements d'assistance ou à un revenu durable. Il y a aussi des programmes de traitement des dépendances, des soins de santé et dentaires et des programmes d'intégration communautaires.
Je veux commencer mon exposé cet après-midi en rappelant que l'Armée du Salut comparaît devant vous aujourd'hui en tant que plus important fournisseur de services sociaux au Canada. L'Armée offre des services depuis 130 années, y compris, bien sûr, des programmes comme le refuge Deborah's Gate. J'espère être en mesure de vous communiquer le point de vue de notre organisation sur le projet de loi, en tant que plus important fournisseur de services sociaux.
Dans un premier temps, je tiens à souligner que l'Armée du Salut appuie totalement le projet de loi, qui renforce la capacité du système de justice pénale de réagir à la traite de personnes. Comme c'était le cas pour les projets de loi et , nous appuyons le projet de loi . Nous croyons qu'il fournira aux représentants de l'application de la loi plus d'outils pour poursuivre en justice ceux qui ont commis ce crime haineux, ce qui est essentiel pour prévenir la victimisation à l'avenir.
En ce qui concerne les modifications précises proposées dans le projet de loi, nous croyons que la possibilité d'imposer des peines consécutives aura deux conséquences positives. Premièrement, une longue peine est importante pour les victimes de la traite des personnes, parce qu'elles sont en sécurité pendant ce temps-là, et elles n'ont pas à penser à la libération prochaine de leur bourreau. La victime a vraiment besoin de cette période pour avoir accès à des ressources de rétablissement et entreprendre un long processus de guérison.
Les conséquences de la violence et de l'exploitation sur la victime ne disparaissent pas au moment de l'arrestation du trafiquant. Au contraire, la peur, l'anxiété et l'impuissance augmentent souvent, du moins jusqu'à ce que la victime sache pendant combien de temps son agresseur restera en prison.
Deuxièmement, nous croyons que cet amendement aura un effet dissuasif supplémentaire sur les auteurs de la traite de personnes, qui estiment actuellement que les profits financiers de l'exploitation l'emportent sur les courtes peines d'incarcération auxquels ils s'exposent. Une victime et résidente de notre refuge estime que son exploitation sexuelle a rapporté environ 620 000 $ à son trafiquant sur une période de deux ans.
J'aimerais mentionner quelque chose au sujet de cet amendement, et c'est qu'il y a de plus en plus de situations où les victimes de la traite de personnes deviennent complices des trafiquants. Elles leur trouvent d'autres victimes et en préparent. C'est en général une stratégie que les victimes de la traite de personnes utilisent pour améliorer leur sort et éviter l'exploitation dont elles ont été victimes. Le fait d'accorder une certaine marge de manoeuvre aux tribunaux relativement à l'application de la disposition sur les peines consécutives empêchera peut-être des victimes de la traite de personnes d'être punies par le système de justice pénale pour avoir tenté de mettre fin à leur exploitation.
En ce qui a trait au fait d'ajouter le terme « interne » à l'accusation de traite de personnes dans le Code criminel, l'Armée du Salut estime que cet amendement proposé apporte une importante précision dans le Code. La traite de personnes est aussi un problème au pays même. D'autres l'ont dit cet après-midi. Cependant, le mythe selon lequel la traite est uniquement un problème ailleurs persiste chez bon nombre de Canadiens. Le fait de bien décrire la traite de personnes comme un problème interne aidera à dissiper ce mythe durable.
Le refuge Deborah's Gate a ouvert ses portes en 2009. Plus de la moitié de ses résidentes ont été victimes de la traite de personnes au pays: des résidentes canadiennes victimes de traite de personnes dans des villes canadiennes, et le plus souvent pour être exploitées sexuellement par des hommes canadiens. De plus, notre organisation a constaté que les femmes dans nos refuges ont été ciblées durant l'enfance alors qu'elles avaient aussi peu que 12 ans — bon nombre vivaient dans des réserves du Nord de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et du Manitoba —, à la fois par des trafiquants membres d'un gang et par des particuliers travaillant pour leur compte.
Le changement provoqué par le projet de loi — le renversement du fardeau de la preuve dans les cas de traite de personnes — est une importante façon de reconnaître l'impact dévastateur de l'exploitation sexuelle sur les victimes. Ce renversement non seulement facilitera la poursuite en justice des trafiquants, mais il permettra aussi de protéger les victimes qui vivent avec les conséquences de l'exploitation.
En ce qui concerne le fait d'élargir les accusations de traite de personnes à ceux qui hébergent une personne exploitée, l'Armée du Salut est heureuse de constater que le projet de loi tient compte du fait que beaucoup de personnes peuvent jouer un rôle criminel dans la traite de personnes sans être visées par les conditions établies dans la définition juridique.
Même si, souvent, beaucoup de personnes sont responsables de la captivité d'une victime, il est rare qu'elles soient toutes poursuivies en justice. D'après notre expérience, les trafiquants bénéficient de l'aide de nombreux partenaires, qui jouent chacun un rôle pour faciliter l'exploitation. Même si ces partenaires ne profitent pas directement de l'exploitation des victimes, ils supervisent les services sexuels qu'elles offrent, les agressent lorsqu'elles ne respectent pas les ordres de leurs trafiquants et coordonnent leurs déplacements d'un client à un autre.
Grâce à l'amendement proposé, les agents de la paix seront mieux outillés pour intervenir, compte tenu de la gravité et de la complexité des activités de traite, et tenir toutes les personnes impliquées responsables du crime commis.
Cependant, il convient de signaler que même si, de façon générale, cet amendement permet une application efficace de la loi dans le cas de l'infraction, le libellé pourrait avoir des conséquences inattendues, et pourrait faciliter le recours à des preuves contraires.
En particulier, les renseignements communiqués par les victimes à la police, aux professionnels de la santé et à d'autres fournisseurs de services de première ligne qui sont motivés par la peur ou l'instinct de survie, peuvent par la suite être utilisés comme preuve contraire pour nier l'exploitation ou la facilitation de l'exploitation. Les victimes ont souvent dit qu'on leur enseignait parfois comment répondre aux questions posées par les figures d'autorité.
Très souvent, cet encadrement a mené à la collecte de déclarations contradictoires qui pouvaient être utilisées comme des preuves contraires, au besoin. Une disposition visant à prévenir l'utilisation des déclarations formulées par les victimes lorsqu'elles sont traumatisées ou victimes de coercition pourrait aider à éviter cette conséquence imprévue.
En conclusion, même s'il est important de renforcer les outils disponibles pour poursuivre ceux qui s'adonnent à la traite de personnes, il est tout aussi important, sinon plus, d'envisager de renforcer notre capacité de prévenir la traite de personnes dès le départ.
Je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de témoigner cet après-midi et de votre engagement à l'égard de l'élimination de la traite de personnes au Canada.
Je vais faire la première partie de la présentation pour vous expliquer ce qu'est le CATHII, puis Mme Dionne fera la deuxième partie.
Je tiens à remercier les membres du comité de nous permettre de témoigner.
Le Comité d'action contre la traite humaine interne et internationale, ou le CATHII, travaille depuis 2004 à contrer la traite des personnes, que ce soit à des fins d'exploitation sexuelle ou à des fins de travail forcé. Depuis sa création par des communautés religieuses du Québec, le CATHII a su devenir un acteur incontournable dans la lutte contre cette exploitation et cette atteinte aux droits fondamentaux.
L'action des membres du CATHII comporte trois volets: la recherche sur la réalité de la traite et sur les lois canadiennes et internationales en lien avec la traite, des formations offertes en vue de l'action et, enfin, une priorité accordée à la création de ressources d'hébergement et d'accompagnement pour les victimes de la traite humaine.
Le CATHII a aussi été soucieux de contribuer à la compréhension du phénomène. Parmi ses actions, il y a eu la publication, en juin 2009, d'une recherche réalisée en partenariat avec l'anthropologue Aurélie Lebrun afin de mieux comprendre la pratique prostitutionnelle du point de vue des clients prostitueurs. Il a aussi publié, en 2010, un document de réflexion intitulé « Agir contre la traite humaine ».
En 2006, le CATHII a organisé une journée d'étude. Cette rencontre regroupait les principaux acteurs des milieux communautaire, gouvernemental, policier et universitaire pour définir les besoins des victimes. Plusieurs organismes ont fait le constat qu'il manquait de services pour les victimes de la traite, constat réitéré lors de la rencontre consultative avec les membres du Sous-comité interministériel sur la traite des femmes migrantes du Québec que nous avons organisée en 2007. Une autre rencontre organisée en avril dernier a confirmé la nécessité d'agir ensemble, en s'assurant de mettre les victimes au coeur des préoccupations et des initiatives.
Récemment, le CATHII a mis en oeuvre une coalition québécoise contre la traite des personnes regroupant plus de 25 organismes intervenant auprès des victimes de la traite des personnes.
La traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, est une atteinte aux droits fondamentaux des personnes. Il s'agit d'un phénomène en croissance au Canada comme partout dans le monde. Le Canada est à la fois un pays source, un pays de transit et un pays de destination.
En 2005, le Canada modifiait le Code criminel pour y inclure la traite des personnes. Depuis, il y a introduit des peines minimales pour les trafiquants de mineurs, puis a ajouté la traite des personnes aux infractions commises à l'étranger pour lesquelles les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent être poursuivis au Canada. Le Code criminel est ainsi modifié afin de préciser certains facteurs dont le tribunal peut tenir compte lorsqu'il détermine ce qui constitue de l'exploitation.
Le projet de loi s'inscrit dans cet ensemble de mesures visant à outiller les intervenants juridiques et judiciaires qui luttent contre la traite des personnes.
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Nous croyons que le projet de loi , déposé par Mme Maria Mourani, permettra de contrer le proxénétisme et la traite humaine au Canada. Ce projet de loi propose des solutions aux limites du système judiciaire tout en répondant à quelques-unes de nos préoccupations concernant les besoins des victimes. En autres, il permettra d'assurer une part des mesures sociales et économiques nécessaires pour soutenir les personnes exploitées.
Nous sommes d'avis que la traite à des fins d'exploitation sexuelle et de travail forcé est un phénomène inquiétant qui touche le Canada tant sur le plan international que sur le plan national. En ce sens, nous appuyons l'ajout de la dimension interne du phénomène, qui est d'ailleurs souvent omise. Le Canada est certes un pays de destination et de transit de personnes victimes de la traite en provenance d'autres pays, mais il existe aussi des phénomènes de traite des personnes entre les différentes provinces du Canada et entre régions et centres urbains. Cela est particulièrement vrai pour la traite des femmes autochtones.
Néanmoins, nous voulons émettre quelques préoccupations. Le projet de loi veut ajouter un caractère dissuasif au crime de traite des personnes. Nous accueillons favorablement l'idée de vouloir dissuader les trafiquants. Nous craignons toutefois que cela puisse se faire au détriment de certaines victimes, car cette mesure risque de ne pas tenir compte du degré de responsabilité du criminel. La traite des personnes est un phénomène complexe et le parcours des victimes l'est tout autant. Il arrive que les victimes deviennent des trafiquantes pour éviter ou faire cesser l'exploitation. Il y a un risque réel de pénaliser des victimes en voulant mettre en place une telle mesure dissuasive. Comment s'assurer que cela ne visera pas des victimes?
Nous sommes favorables au principe de culpabilité des personnes qui hébergent les victimes de la traite ou qui se trouvent avec elles. Cette présomption de culpabilité facilitera sans aucun doute le travail des policiers et des procureurs. Toutefois, il nous semble que l'application de cet article devra se faire avec circonspection. Nous pensons, en effet, que cela ne doit pas se faire au détriment des droits des personnes en situation de vulnérabilité qui pourraient vivre avec les personnes exploitées. L'accès à la justice est inégal dans notre société. Malheureusement, souvent les personnes les plus vulnérables, dont des victimes de traite, sont les plus concernées. Ces personnes pourraient ne pas être en mesure de faire la preuve de leur innocence, faute de moyens.
Le projet de loi propose une définition de l'exploitation sexuelle qui s'inspire en grande partie de l'article 3 du Protocole de Palerme. Cette définition permet de dissocier deux phénomènes distincts de la traite des êtres humains, soit le travail forcé et l'exploitation sexuelle. La traite à des fins de prostitution est la plus répandue au Canada, et cet article permettra de statuer clairement les services sexuels dans un contexte de traite à des fins d'exploitation sexuelle. Cet ajout ne doit pas nous faire oublier l'importance de lutter contre le travail forcé, d'autant plus qu'une victime d'exploitation sexuelle peut également être victime de travail forcé. Les derniers rapports internationaux font état d'une augmentation importante de cette réalité négligée de la traite des personnes.
L'inclusion du proxénétisme et de la traite des personnes dans la liste des crimes susceptibles de mener à la confiscation des biens constitue un moyen de soutenir les personnes exploitées. Cela correspond d'ailleurs aux recommandations de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime concernant l'utilisation de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, comme le mentionne le premier paragraphe de l'article 12 de la convention.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le deuxième paragraphe de l'article 14 de la même convention, qui propose d'« envisager à titre prioritaire de restituer le produit du crime ou les biens confisqués à l’État Partie requérant, afin que ce dernier puisse indemniser les victimes de l’infraction ».
Finalement, nous avons une autre préoccupation. Elle porte encore une fois sur le souci de tenir compte du parcours de l'accusée — ce sont généralement des femmes — et des circonstances qui l'ont amenée à devenir trafiquante.
En 2012, le gouvernement fédéral a fait connaître le Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes, lequel regroupe l'ensemble des initiatives canadiennes en matière de lutte contre la traite humaine. Parmi les points forts, il y a la mesure visant à consolider et regrouper l'action gouvernementale sous un même ministère, soit Sécurité publique Canada. On a aussi le mérite de s'adresser aux principales cibles des trafiquants, soit les femmes et les enfants. Les personnes touchées par la traite humaine sont généralement les plus vulnérables: les travailleuses et travailleurs migrants, les personne migrantes en situation irrégulière, les jeunes en situation de détresse ainsi que les femmes et les filles autochtones.
Bien que la poursuite des criminels soit un aspect important de la lutte contre la traite des personnes, le Canada a fait peu de choses à la suite de son engagement international en matière de protection des victimes. Parmi les mesures efficaces établies afin d'assurer la protection des victimes, il y a celle de privilégier une approche globale et coordonnée, en agissant sur plusieurs fronts: la prévention, la collecte d'information fiable, la coordination intersectorielle, l'identification des victimes et le soutien des initiatives issues des communautés.
Dans une perspective de protection et de défense des droits des victimes, nous recommandons que le Canada soit plus proactif quant aux causes de la traite des personnes, soit la pauvreté, la discrimination, le racisme et la demande. Parmi les pistes de solution pour contrer la traite à des fins d'exploitation sexuelle, l'approche suédoise est souvent présentée comme un modèle à suivre, car elle s'attaque à la demande en pénalisant l'achat de services sexuels. La pénalisation des clients est accompagnée des mesures suivantes: des campagnes publiques d'affichage ciblant les hommes; des programmes de sensibilisation visant les jeunes et les personnes généralement ciblées par les criminels, et des programmes qui viennent en aide aux femmes désirant sortir de la prostitution.
Une partie des mesures devraient aider les femmes à sortir de situations violentes, notamment la prostitution, et fournir à celles-ci l'accès à différents services: refuges, conseils juridiques et sociaux, éducation et formation professionnelle.
Mentionnons aussi qu'un pan important de la traite des personnes est souvent absent des préoccupations liées à la traite, soit celui du travail forcé. Pour ce qui est des enjeux liés à ce dernier, rappelons que le Canada devrait ratifier les conventions internationales en matière de migration du travail et revoir les programmes de travailleurs étrangers temporaires, plus particulièrement ceux visant les travailleurs dits peu qualifiés.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les six témoins de comparaître devant le comité aujourd'hui.
Mes questions vont s'adresser à vous, madame Miville-Dechêne.
Je veux d'abord vous féliciter pour votre document « La prostitution: il est temps d'agir ». Quiconque s'intéresse à la question aurait avantage à le lire. On n'a pas le choix, en quelque sorte; que ce soit par l'entremise du projet de loi de Mme Mourani ou de l'arrêt dans la cause Bedford, qui nous arrive en plein visage, il va falloir qu'on se branche à un moment donné.
J'aimerais bien que le projet de loi change les choses, mais je ne suis pas certaine que ce sera le cas, en pratique. Je ne pense pas que les victimes vont cesser d'avoir peur de se manifester et que les procureurs de la Couronne et les procureurs de la défense vont arrêter de conclure des marchés. Même si on prévoit certaines peines plus sévères, il n'est pas dit que les choses vont se passer de cette façon.
Je ne suis pas une spécialiste dans ce domaine. Après tout le travail que vous avez fait à ce sujet, vous l'êtes probablement davantage que moi. Quand je lis les articles 212 et 279 du Code criminel, où l'on parle respectivement de proxénétisme et de traite des personnes, j'ai un peu de difficulté à voir ce qui les distingue. Quelqu'un parmi vous pourrait peut-être me l'expliquer. Je trouve que ça se ressemble passablement.
Dans la cause Bedford, la Cour d'appel s'est prononcée. Or la Cour suprême va rendre sa décision cet été, je crois, bien que ça puisse prendre encore six ou sept mois, si ce n'est pas plus. Ces belles dispositions pourraient alors prendre le chemin du recyclage, et on reviendrait par le fait même à la case départ.
Qu'en pensez-vous?
Je tiens à remercier tous les témoins qui sont là aujourd'hui. Bien sûr, beaucoup de témoins sont venus nous parler du projet de loi, et nous avons entendu beaucoup de témoignages à ce sujet, mais j'ai trouvé que les trois groupes d'aujourd'hui avaient des choses très importantes à nous dire, alors je tiens à vous remercier de votre présence.
Monsieur le président, il me semble que beaucoup de personnes appuient ce projet de loi, parce qu'il renforce la loi et dit clairement que les auteurs de ces crimes contre... Comme on l'a déjà dit, à la lumière des cas dont on nous a parlé, il s'agit principalement d'hommes... Mais j'aimerais aussi parler d'autres mesures que le gouvernement a déjà mises en place ou qu'il mettra en place au cours des prochaines années.
Par exemple, en juin dernier, le gouvernement conservateur a mis sur pied un plan d'action national pour lutter contre la traite de personnes, renforcer notre capacité de prévenir ces crimes, mieux soutenir les victimes et s'assurer que les trafiquants sont tenus responsables. Le gouvernement l'a demandé, et il prévoit dépenser plus de 25 millions de dollars sur quatre ans pour le mettre en oeuvre.
De plus, le Fonds d'aide aux victimes a permis de soutenir des projets contre la traite de personnes, y compris grâce à des partenariats dans le cadre du Programme de contribution pour la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la traite des personnes de Sécurité publique Canada, et divers ateliers communautaires pour sensibiliser les gens à la traite de personnes.
Pour commencer, j'aimerais demander aux trois groupes s'ils appuient ces initiatives. En outre, pourquoi croyez-vous qu'il est important non seulement d'appuyer le projet de loi en y apportant certains amendements, mais aussi de continuer à travailler sur cette question?
(Article 1)
Le président: Pour l'article 1, il y a des amendements du Parti libéral et des amendements du Parti conservateur.
Les greffiers m'informent que, en fait, les quatre amendements des libéraux sont irrecevables, mais je vais laisser le Parti libéral en parler. Ensuite, je vais lire pourquoi, selon l'information du greffier, ils sont irrecevables, puis nous pourrons poursuivre à partir de là.
Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, alors vous devez contester la présidence, puis il faudra présenter une motion pour appuyer la présidence, et ainsi de suite.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Mais nous n'allons pas nous inquiéter de cette éventualité avant qu'elle s'avère.
Quoi qu'il en soit, pour l'article 1, le premier amendement provient du Parti libéral.
Monsieur Casey, je vais vous donner la parole, si vous aimeriez proposer votre amendement.
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Merci, monsieur Casey. Je vais trancher en ce qui concerne cet amendement.
Le projet de loi modifie le Code criminel afin d'y introduire des peines consécutives pour les infractions liées au proxénétisme et à la traite de personnes. Avec cet amendement, on propose d'ajouter une disposition qui permet de purger ces peines de façon concurrente.
Comme le prévoit la Procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, à la page 766, « Un amendement à un projet de loi renvoyé à un comité après la deuxième lecture est irrecevable s'il en dépasse la portée et le principe. »
Le président est d'avis que l'ajout d'une disposition qui permettrait que les peines découlant de ces infractions soient purgées simultanément serait contraire à l'essence même du projet de loi et, par conséquent, est irrecevable. Comme l'amendement LIB-4 est corrélatif à celui-ci et contient la même disposition, il est également irrecevable.
Je déclare qu'il est irrecevable. Y a-t-il des questions ou des commentaires à cet égard?
Je n'en vois aucun, alors nous allons poursuivre. L'article 1 est-il adopté?
(L'article 1 est adopté.)
(Article 2)
Le président: Il y a des amendements pour l'article 2.
Pour parler de l'amendement du gouvernement G-1, nous avons M. Goguen.
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J'ai quelques observations à ce chapitre. La réponse à la question me satisfait, mais j'ai des préoccupations quant à l'amendement; permettez-moi de les exposer, monsieur le président. Mes observations reposent sur quelques données hypothétiques, alors elles sont un peu longues et ont été préparées à l'avance.
L'amendement remplace la disposition clé contenant la présomption selon laquelle quiconque vit avec une personne victime d'exploitation est réputé avoir exploité la personne ou avoir facilité son exploitation aux fins de la traite de personnes.
Le comité sait que nous avons également soumis un amendement à cette disposition, qui sera peut-être présenté ou débattu. Il prévoit particulièrement « vivre des produits », ce qui, à notre avis, est un élément important qui devrait être intégré. Mes préoccupations par rapport à l'amendement G-2 proposé se rattacheront nécessairement au fait que, à notre avis, « vivre des produits » devrait figurer dans la disposition.
La première préoccupation générale découle du fait que la présomption en question s'applique non pas à une personne qui n'est pas victime d'exploitation, mais à quiconque « vit avec une personne exploitée ou se trouve habituellement en sa compagnie ». Cela soulève la question des mineurs dont les parents seraient des trafiquants ou qui ne sont pas au fait de ce qui se produit. La présomption s'appliquerait aussi, par exemple, aux enseignants, qui ignorent peut-être qu'un enfant dans leur classe est victime d'exploitation, car on pourrait faire valoir qu'un enseignant est « habituellement en sa compagnie ».
Bien entendu, nous voulons faciliter la poursuite des trafiquants, mais pas au risque de créer une définition trop générale. Ainsi, j'espère que, si l'amendement G-2 est adopté, on examinera en profondeur l'amendement LIB-3, pour protéger les mineurs contre l'application de cette disposition. Si le libellé n'est pas acceptable pour le gouvernement, j'espère qu'il proposera un sous-amendement à l'amendement G-2, pour régler le problème.
Ma deuxième préoccupation se rattache aux détails de la présomption en question. Dans le projet de loi , on propose de présumer que quiconque vit avec une personne exploitée ou se trouve habituellement en sa compagnie exploite cette personne ou en facilite l'exploitation. Selon l'amendement G-2, toute donnée démontrant qu'une personne est dans cette situation constitue la preuve qu'elle exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de la personne exploitée. Je crois que cette présomption est problématique et va à l'encontre de notre but partagé qui consiste à renforcer la poursuite des trafiquants.
Selon la présomption du projet de loi , ce qui est discutable, c'est la question de savoir si une personne en a exploité une autre ou a facilité son exploitation. Il s'agit d'une différente présomption à réfuter, qui va au cœur de la question, c'est-à-dire l'exploitation. Le libellé de l'amendement donne à penser que nous nous attachons à l'identité de la personne qui exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de la victime ou des victimes d'exploitation.
Imaginons une situation où deux frères vivant ensemble exploitent un réseau de trafiquants à partir de leur domicile. Le frère qui interagit avec les personnes exploitées serait assurément visé par cette présomption, mais celui qui ne s'occupe que des finances et n'a aucune interaction réelle avec les victimes d'exploitation pourrait faire valoir que ses actes ne donnent pas lieu au contrôle ou à l'influence des mouvements des personnes. Il ne tombera peut-être pas sous le coup de cette présomption, tandis que le simple fait qu'il partage sa résidence suffirait à présumer qu'il est impliqué dans l'infraction, aux termes du projet de loi sans modification et aux termes du projet de loi contenant l'amendement libéral.
Cet exemple illustre les limites de la présomption après l'amendement G-2, mais, dans certains cas, la présomption pourrait être trop générale. Par exemple, des femmes qui se côtoient en tant que travailleuses du sexe ignorent peut-être la mesure dans laquelle une d'entre elles est sous le contrôle de son proxénète, sur le plan financier ou autrement. Mais, en interprétant cette présomption de façon trop générale, toutes les travailleuses du sexe habituellement en sa compagnie seraient coupables d'avoir facilité son exploitation. Je ne crois pas que telle soit notre intention.
Nous savons tous qu'une présomption semblable, se rattachant à des cas de prostitution, fait l'objet d'un examen par la Cour suprême dans l'affaire Bedford. Je n'ai aucune intention de nuire à son analyse, mais je crois que cette présomption pourrait avoir un effet profondément indésirable, voire inconstitutionnel.
Merci de votre patience, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais tout d'abord remercier mon collègue de cet amendement. Je trouve que cela a amené un peu plus de mordant. Par contre, sur le plan du français, je voudrais, si possible, ajouter le mot « et » après « exploitée », pour qu'on lise « qui n'est pas exploitée et vit ». Cela se lit mieux que « qui n'est pas exploitée vit avec une personne », formulation qui me semble un peu bizarre.
Au-delà de cela, j'aimerais poser à Mme Levman une question à propos du fait d'ajouter ce qui suit: « [...] la preuve qu'elle exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de cette personne en vue de l'exploiter ou de faciliter son exploitation. » Cela ne va-t-il pas compliquer la tâche aux policiers qui devront faire la preuve, bien qu'il y ait un renversement? L'article initial stipule qu'à partir du moment où un individu vit avec une personne exploitée et qu'il n'est pas lui-même exploité, il est réputé exploiter celle-ci, à moins qu'il ne prouve le contraire. C'est tellement large que c'est beaucoup plus facile pour les policiers, avec d'autres méthodes d'enquête, d'en faire la démonstration hors de tout doute.
Cependant, l'ajout des mots « contrôle », « direction » et « influence » ne met-il pas un peu plus de bâtons dans les roues aux policiers qui devront faire la preuve? Dans ce cas, ne vont-ils pas devoir d'abord prouver qu'il y a un contrôle, une influence, une direction avant d'appliquer le renversement de la preuve?
Monsieur le président, vous avez le projet de loi devant vous. Je l'ai mentionné dans mon intervention relative à l'amendement G-2. Essentiellement, l'amendement ajoute aux dispositions relatives au fait de vivre des produits de la traite ou de l'exploitation d'une personne, alors il se rapporte à l'exemple que j'ai donné pour l'amendement G-2, l'exemple des deux frères, dont un pourrait se soustraire à la présomption. L'un d'eux serait obligé de réfuter la présomption, mais pas celui qui s'occupe des finances. Il ne serait pas visé.
Je partage toutefois les préoccupations de la marraine du projet de loi et des témoins découlant des faibles taux de poursuite de trafiquants et conviens du fait que les dispositions de présomption peuvent être avantageuses. De telles dispositions existent dans le Code criminel, mais le nombre en est limité, à juste titre, compte tenu de la présomption d'innocence. Le comité a entendu des témoignages selon lesquels ce renversement aiderait à condamner des délinquants dont la victime d'exploitation a trop peur pour témoigner. Il s'agit d'un objectif légitime, et je ne cherche pas à éliminer le renversement du fardeau de la preuve.
Je cherche toutefois à m'assurer que cette mesure extraordinaire n'entraînera pas accidentellement la condamnation de personnes non coupables. Selon le libellé actuel du projet de loi, la disposition s'applique à quiconque se trouve habituellement en compagnie d'une personne exploitée, ce qui est trop vaste. Avec l'amendement, il faudrait démontrer qu'une personne vit du produit de l'exploitation pour qu'il y ait renversement du fardeau de la preuve.
Compte tenu de l'importance de ces dispositions de renversement du fardeau au détriment de la présomption d'innocence, je crois qu'il est extrêmement important de ne pas faire d'erreur. On a dit que l'exemple était peut-être tiré par les cheveux, mais je ne crois pas que c'est le cas de l'exemple des deux frères. J'ai entendu M. Calkins parler de la possibilité d'invoquer les dispositions en matière de complicité dans le Code criminel, qui pourraient aider sur le plan de l'infraction en tant que telle, mais, en ce qui concerne la présomption réfutable que nous intégrons, ce n'est pas le cas.
Je demanderais de prendre cela en considération. Merci.
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Je comprends. C'est bon.
Par contre, j'aimerais soulever un autre point concernant l'amendement.
[Traduction]
Une voix: Le gouvernement est là pour aider.
Des voix: Oh, oh!
[Français]
Mme Maria Mourani: L'autre élément de l'amendement vise à supprimer le paragraphe (1.1), lequel avait été ajouté pour parler précisément d'exploitation sexuelle. Si cela avait été ajouté, c'est qu'à l'heure actuelle, dans le Code criminel, le travail est défini comme suit: « Pour l’application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir son travail ou ses services [...] » Toutefois, la prostitution et l'exploitation sexuelle ne sont pas des services. Il faut faire attention.
Tous les groupes de femmes que j'ai pu consulter demandent que le Code criminel arrête de considérer la prostitution comme un service ou comme un travail. Ce n'est pas un service ni un travail. On parle d'exploitation sexuelle.
En fait, on ne change rien au paragraphe 279.04(1). On ne fait qu'ajouter le paragraphe (1.1), qui définit le plus clairement possible toutes les façons par lesquelles les proxénètes peuvent attraper leurs victimes et les exploiter. On ajoute ce paragraphe au sujet de l'exploitation sexuelle pour essayer de couvrir tous les événements, qu'il s'agisse de fournir ou d'offrir de fournir des services sexuels par la menace, l'usage de la fraude, la tromperie, la manipulation, l'obtention du consentement, etc. On a essayé de tout couvrir, car on m'avait même raconté que, dans certains cas, des proxénètes pouvaient se défendre en disant qu'ils n'avaient jamais remis l'argent aux victimes. On a donc ajouté la notion de promesse, même s'il n'y avait pas d'acceptation de paiement. C'est tellement détaillé que cela couvre le plus possible tous les cas qu'on m'a relatés.
J'invite donc mes collègues du gouvernement à repenser cet amendement. Je pense qu'il est fondamental de faire la différence entre l'exploitation sexuelle, le service et tous les détails qui viennent avec cela.
Mettons l'amendement G-3 aux voix.
Tous ceux en faveur de l'amendement G-3?
(L'amendement est adopté.)
Une voix: Notre temps s'écoule, monsieur le président.
Le président: Je vais aborder cette question dès que nous aurons terminé ici.
Il est question de l'article 3 modifié.
Tous ceux qui sont pour?
(L'article 3 modifié est adopté.)
Le président: Nous avons dépassé de sept ou huit minutes l'heure prévue pour la fin de la séance. Selon les règles, nous pouvons prolonger la séance si la majorité est consentante.
Je peux vous dire, seulement pour que vous compreniez où nous en sommes, qu'il nous reste l'article 4 sans amendement, l'article 5 avec un amendement et l'article 6 avec un amendement. Nous sommes rendus au moins à la moitié sinon plus loin. Si vous voulez continuer, j'en serais ravi, et je peux reposer la question à 18 heures, si nous n'avons pas encore terminé à ce moment-là.