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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux saluer tous mes collègues et les remercier de me permettre de prendre la parole au sujet de cet important projet de loi.
Mon allocution comporte deux grandes parties. La première a pour but de vous informer de ce qui a mené à la naissance de ce projet de loi. Il s'agit en somme de vous dire comment il a germé. Dans la deuxième partie, je vais parler davantage de ses différents articles.
Tout d'abord, la création de ce projet de loi s'est faite en trois grandes étapes et cela, en une année et demie. Il a donc fallu beaucoup de temps pour le faire. Mon objectif de départ était de prendre le pouls des gens sur le terrain. La première étape visait donc à rencontrer les spécialistes sur le terrain qui étaient en contact direct avec des victimes de traite des personnes, de proxénétisme ou en contact avec des trafiquants ou des proxénètes. Il s'agissait donc de groupes qui travaillent auprès des victimes et des policiers.
Le but était de comprendre, par cette collecte de données, les besoins législatifs. Bien évidemment, on sait qu'il y a d'autres besoins, qu'il s'agisse de campagnes de sensibilisation, de ressources pour les enquêtes policières ou de ressources pour les victimes. D'ailleurs, il y a très peu de refuges. En fait, ce besoin est criant au Québec. Cependant, bien sûr, l'aspect législatif m'intéressait. Il est ressorti des points fort intéressants que je vais vous présenter plus tard.
La deuxième étape, après cette collecte de données, était de pouvoir traduire ces besoins en un projet de loi. J'ai travaillé avec nos rédacteurs législatifs ici, à la Chambre, et on a pu présenter une ébauche de projet de loi.
Finalement, je suis retournée revoir tous ces partenaires qui ont été consultés pour leur présenter la première mouture du projet de loi pour voir s'il y avait encore des choses à bonifier, modifier et ainsi de suite. Par la suite, le projet de loi a été présenté à d'autres groupes qui n'ont pas forcément participé à sa création et à son élaboration. Toutefois, on voulait quand même avoir leur opinion pour déterminer s'il y avait des problèmes d'ordre juridique, par exemple. J'ai donc rencontré des membres du Barreau du Québec. Je ne me souviens plus combien il y avait de criminalistes, mais ils étaient plusieurs lors de cette réunion. Si je me souviens bien, je les ai consultés en 2010. Je leur ai présenté le projet de loi qui a été fort bien accueilli.
Finalement, le projet de loi a été déposé le 15 décembre 2010. Il a été lu en deuxième lecture le 24 mars 2011, mais à cause des élections, il est malheureusement mort au Feuilleton.
Après les élections, je l'ai présenté de nouveau après lui avoir apporté des ajustements. Il a été renvoyé aux rédacteurs législatifs parce que, bien sûr, ma collègue Mme Joy Smith, avait déposé son propre projet de loi à ce sujet. Celui-ci contenait certaines dispositions qui étaient aussi dans mon projet de loi. Par exemple, l'extraterritorialité a été enlevée du projet de loi alors que cela était contenu dans le projet de loi initial.
Il a donc été retourné aux rédacteurs législatifs et une nouvelle mouture de ce projet de loi a été produite avec quelques détails modifiés. En fait, approximativement, je vous dirais que 95 % du projet de loi existe toujours. Le projet de loi a été déposé le 16 octobre 2012 et adopté en deuxième lecture au mois de mars dernier. Je pense qu'il est important de mentionner les groupes qui ont travaillé à ce projet de loi parce que c'est leur projet de loi. Je ne suis que le porteur du ballon. Le Conseil du statut de la femme a demandé à comparaître devant le comité et a également présenté une opinion à ce sujet.
J'ai consulté des experts policiers du SPVM. Ils ont travaillé sur ce projet de loi en ce qui a trait à la moralité et au module d'exploitation sexuelle des enfants. J'ai également consulté le Comité d'action contre la traite humaine interne et internationale, l'Association féminine d'éducation et d'action sociale qu'on connaît davantage sous le nom de l'AFEAS, le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, le Regroupement québécois des CALACS, Concertation-Femme, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle qui va aussi, je pense, comparaître devant vous, l'Association québécoise Plaidoyer-victimes, le Collectif de l'Outaouais contre l'exploitation sexuelle, qui est d'ailleurs présent parmi nous aujourd'hui, le diocèse de l'Outaouais de la condition des femmes, la Maison de Marthe et, bien sûr, le YMCA du Québec.
Ces groupes ont demandé à être entendus dans le cadre des travaux du comité. Je tiens vraiment à les remercier pour le travail qu'ils ont accompli pendant plus d'un an et demi. Ils continuent de travailler à la promotion de ce projet de loi. Je dis un grand merci à toutes ces groupes.
Je ne sais pas combien de temps il me reste, monsieur le président. J'ai beaucoup de choses à dire.
L'un des éléments intéressants qui est ressorti lors de mes consultations est que les procureurs, et parfois même les policiers, avaient souvent tendance à croire que la traite des personnes était internationale. Quand des femmes traversaient la frontière pour venir au Canada, on traitait cela comme de la traite, mais lorsque des filles de Montréal se retrouvaient à Québec ou même à Niagara, on considérait cela davantage comme du proxénétisme. Pour la traite, cela dépendait du procureur et du policier.
Pour que tout le monde soit au diapason, j'ai apporté au paragraphe 279.01(1) les précisions suivantes: que ce soit dans un contexte national ou international, à partir du moment où il y a du recrutement, du transport et ainsi de suite, on entre dans le domaine de la traite. À ce sujet, des policiers vont témoigner plus tard. On sait que la traite est très importante à l'intérieur du Canada. À mon avis, elle est beaucoup plus importante que la traite internationale.
Des filles du Québec se retrouvent malheureusement à Niagara, dans des bars de danseuses ou des bordels. Des filles de Montréal se retrouvent à Québec, et vice-versa. Des filles de Chicoutimi se retrouvent à Montréal et des filles de la Colombie-Britannique se retrouvent à Toronto ou ailleurs. La traite des personnes a lieu à l'intérieur du pays et elle nous concerne tous, quelles que soient les provinces. Il n'y a pas de frontières.
Un autre point fort important qui a été beaucoup soulevé lors des discussions que j'ai tenues avec ces personnes est, bien sûr, la définition de l'exploitation. Il est question d'exploitation à l'article 279.04 du Code criminel. Il y a des dispositions sur le trafic d'organes et le travail forcé, mais la traite à des fins d'exploitation sexuelle n'est pas clairement définie. J'ai donc introduit une disposition spécifique sur l'exploitation sexuelle. Il s'agit du paragraphe (1.1), qui suit le paragraphe (1), où il est question d'offrir ou de fournir son travail, etc.
Cette définition a été travaillée très attentivement pour répondre à toutes les situations qui pourraient survenir. En outre, elle est pratiquement calquée sur le protocole de Palerme, qui vise la traite des personnes et la criminalité transnationale, et que le Canada a ratifié le 13 mai 2002. Je pense qu'avec cet ajout, on clarifie la situation et toutes les dimensions du terme « exploitation ».
La confiscation des fruits de la criminalité est un autre point très important qui a été soulevé. Des gens du milieu policier et des procureurs m'en ont beaucoup parlé. La traite est un crime très payant parce qu'il est extrêmement difficile à prouver dans le cadre du code actuel. En plus, cela implique très peu de risques. Le trafic de la drogue implique qu'il faut acheter celle-ci. Il y a alors un risque de se faire prendre. Or pour ce type de trafic, les gars n'ont qu'à recruter des filles. Pour ce faire, ils peuvent avoir recours à la manipulation ou à la séduction. En effet, ce qu'on appelle le « dressage » ne se fait pas tout de suite. Cela peut être lent ou rapide, selon les trafiquants. Ensuite, ces filles sont violées. Elles subissent un viol collectif. Elles se font torturer et leur famille est menacée. Par la suite, elles prennent leurs rendez-vous toutes seules. Il n'est même pas nécessaire de les obliger à le faire tant elles vivent dans la terreur.
Or, une fille peut rapporter beaucoup d'argent, dépendant de sa beauté et de son âge. Plus elle est jeune, plus elle rapporte. J'ai rencontré, malheureusement, des filles qui avaient commencé à faire cela à l'âge de 12 ans. Une fille peut rapporter environ 280 000 $ par année. Vingt filles rapportent 6 552 000 $ par année et quarante filles 13 100 000 $ par année. Ce sont des données du Service canadien de renseignements criminels.
Ici, je ne vous parle pas seulement de la petite prostitution de rue. Je vous parle d'un ensemble de choses, notamment des bars de danseuses. D'ailleurs, la SQ estime que 80 % des bars de danseuses qui relèvent de sa juridiction appartiennent au crime organisé, sous des prête-nom. On parle aussi des salons de massage, qui poussent comme des champignons un peu partout. Je ne sais pas si c'est le cas partout au Canada, mais je peux vous dire que ce l'est à Montréal. Dans mon comté, ils poussent déjà comme des champignons.
Il y a aussi les agences d'escortes et les bordels qu'on ne peut même pas dénombrer.
Paradoxalement, la confiscation des fruits de la criminalité se fait par l'intermédiaire des infractions liées aux drogues et de toute infraction liée aux organisations criminelles. Si on le fait pour des drogues, il est plus que temps qu'on le fasse pour l'être humain, parce que c'est encore pire. L'esclavage est pire que le trafic de drogues. En fait, tout cela est décrit. On reconnaîtra que le fait de vendre de la drogue est aussi mauvais, mais de vendre des humains et de les traiter comme des marchandises est immonde. Il est plus que temps que ce crime ne soit plus payant pour les proxénètes parce que, actuellement, c'est payant. Si on ramasse leurs grosses baraques et leurs grosses bagnoles, ils vont y penser.
Vous m'avez indiqué qu'il me restait deux minutes, je pourrai donc en dire plus lors des questions plus tard.
L'autre point est la présomption. La présomption est un aspect fondamental. Ce projet de loi contient deux points très importants: la présomption ou ce qu'on appelle le « renversement de la preuve » et « les peines consécutives ». C'est fondamental pour les victimes. En fait, c'était l'un des points les plus importants pour les groupes de victimes et les policiers. On en parlait beaucoup.
Actuellement, le Code criminel est rédigé de telle façon que tout le fardeau de la preuve repose sur les victimes. En effet, on sait que sans leur témoignage, il est extrêmement difficile de poursuivre quelqu'un devant la cour. Quand il ne s'agit pas de mineurs mais d'adultes, c'est encore pire. Il faut savoir que les victimes de traite ne vont pas témoigner très naturellement. Ces femmes ont vécu l'enfer. Elles vivent un stress post-traumatique important. Le fait de revoir leurs agresseurs, de reparler de tout cela et de raconter leurs histoires d'horreur les inhibe car, très souvent, elles ont peur que ces agresseurs ressortent de prison. Elles se demandent ce qu'ils vont leur faire. Envoyer une personne, quelle qu'elle soit, témoigner alors qu'elle était victime de ces réseaux est extrêmement difficile.
En terminant, je dirai un mot sur le renversement du fardeau de la preuve. Je pourrai parler plus tard, si mes collègues le souhaitent, des peines consécutives. Plusieurs groupes de victimes m'ont demandé que l'on arrête de faire porter ce fardeau aux victimes comme c'est le cas actuellement pour le proxénétisme. En fait, la présomption, dans le cas du proxénétisme, existe dans le Code criminel à l'heure où on se parle. Faisons-le, non seulement pour aider les policiers et leur donner des outils, mais aussi pour soulager les victimes et pour leur rendre justice.
Je vous remercie, monsieur le président. Si vous le souhaitez, je parlerai plus tard des peines consécutives.
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Merci, monsieur le président.
Madame Mourani, je vous remercie de votre présence.
Votre projet de loi touche à plusieurs questions qui nous préoccupent beaucoup. On en a parlé longuement depuis que je suis la porte-parole de mon parti en matière de justice et lors de la présentation du projet de loi de notre collègue, Mme Joy Smith. Bien sûr, n'importe quelles mesures qui pourraient enrayer la traite humaine seraient souhaitables. Il me semble que rien n'est plus dégradant que cela.
Cela étant dit, il faut quand même considérer l'aspect légal. Je sais que vous avez travaillé avec les rédacteurs législatifs. Cette question me préoccupe beaucoup parce que si on adopte des lois qui vont par la suite être déboutées en cour parce qu'elles sont contraires à la Charte, on n'est pas plus avancés et il faut revenir à la case départ.
Quelles démarches avez-vous entreprises, en plus de celles que vous avez faites auprès du Barreau du Québec, pour vérifier la conformité de votre projet de loi avec la Charte, spécialement, comme vous l'avez dit, en ce qui a trait aux questions du renversement du fardeau de la preuve, de la présomption et des peines consécutives? Comme vous, je n'ai pas de difficulté à comprendre que les peines consécutives que l'on trouve déjà dans le Code criminel existent certainement pour des choses comme un crime très grave. On pourrait dire que dans le contexte de la traite humaine et du proxénétisme, c'est peut-être la même chose.
Avez-vous mené des consultations à cet égard? Quelles réponses avez-vous obtenues des spécialistes en la matière?
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Tout à fait. Je suis désolée. C'est mon côté juridique qui a pris le dessus. Je vais donc revêtir mon chapeau de criminologue.
Je vais vous parler de ce que je connais le mieux pour les avoir vus quotidiennement et les avoir rencontrés, à savoir les gangs de rue. Ils ont été pendant longtemps des recruteurs de jeunes filles. Actuellement, les gangs de rue ne sont plus seulement des recruteurs, mais aussi des proxénètes de haut niveau, c'est-à-dire qu'ils déplacent les jeunes filles d'un endroit à l'autre. Par exemple, on retrouve des groupes à Niagara. Je vous parle particulièrement de cet endroit parce qu'ils sont bien liés avec les groupes de Montréal.
La technique de recrutement est d'abord la séduction. Au début, les hommes vont séduire les jeunes filles. Il faut faire attention. Il ne faut pas croire que ce sont des jeunes filles forcément démunies. Il y a des jeunes filles démunies, mais il y a aussi des jeunes filles de la classe moyenne qui se font embarquer par ces gars-là.
Au départ, une jeune fille pense qu'elle aime cet homme et qu'il est son petit ami. Donc, il y a de la tromperie et de la manipulation. Il lui fait vivre toutes sortes de choses. Il lui paie des sorties et lui offre des cadeaux. Toutefois, à un moment donné, il commence à lui dire qu'il faut qu'elle paie les dettes.
Il y a beaucoup de désinhibition qui se fait. On envoie les jeunes filles dans des partys et on essaie de les attirer pour — excusez-moi, mais je vais employer des termes un peu crus — qu'elles couchent avec tout le monde et qu'il y ait des partouzes. Les hommes vont commencer à faire ce genre de choses et quand la fille commencera à dire non, c'est à ce moment-là qu'ils vont la prendre et la mettre dans un appartement. Elle ne saura même pas où elle est et des hommes vont la violer en série. C'est ce qu'ils appellent un gangbang. Parfois, il y a 15 gars qui vont la violer.
Dernièrement, nous avions le témoignage d'une victime et elle disait que 40 gars l'avait violée au cours de la même soirée. Elle ne se rappelait plus quand cela avait commencé et quand cela s'était terminé. Ce cas est présentement devant la cour.
Par la suite, les jeunes filles seront complètement isolées. Des gens vont menacer la famille, le petit frère et la petite soeur. Ils vont leur dire que ce n'est pas elles qui vont écoper, mais plutôt leur petit frère ou leur petite soeur. Ils vont mettre ces jeunes filles dans un état de terreur complet. Ils vont leur enlever tous leurs papiers d'identité. Tout ce qu'elles pourront faire sera de se maquiller. Ils vont même leur donner des vêtements et, à ce moment-là, elles devront avoir 10, 20 ou 30 clients par jour.
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Merci beaucoup de la question.
Vous avez tout à fait raison de dire que le recrutement est très important. Ces groupes se nourrissent du recrutement des jeunes filles. Dans les années 1980 et 1990, les gangs de rue avaient beaucoup moins d'envergure, mais ils sont devenus des recruteurs de haut niveau et se spécialisent maintenant dans la prostitution juvénile. C'est leur spécialité.
Ils recrutent malheureusement les filles vulnérables qui se trouvent, par exemple, dans les centres jeunesse. Pour ma part, j'ai travaillé dans ces centres. Je me rappelle qu'on devait même faire très attention à nos filles parce que les pavillons se touchaient parfois. Ils vont dans les zones où les filles sont plus fragiles. C'est connu. Des filles font parfois du recrutement pour eux. Ce n'est pas souvent le cas, mais il y en a de plus en plus. Ce sont des filles qui ont elles-mêmes été des victimes et qui vivent dans la terreur. Elles disent elles-mêmes être obligées de recruter d'autres filles pour ne pas être celles qui seront battues et torturées.
Même si on est députés, on ne peut pas vraiment renier ce que l'on est. Ces filles viennent donc encore me voir, même si je suis députée. Je me rappellerai toute ma vie cette fille âgée d'environ 19 ans que j'ai rencontrée il n'y a pas très longtemps. Elle m'a dit que ce qui lui avait fait le plus mal s'était passé quand elle était âgée de 15 ans. C'était à l'arrière de la voiture qui la transportait de Montréal à Québec, avec d'autres filles, pour être exploitée sexuellement dans un duplex. Il y avait une petite fille de douze ans et elle pleurait.
C'est un problème de taille. Les gangs de rue recrutent et recrutent. Des policiers que je connais me disent qu'aussitôt sortis, ces gars-là saisissent leur cellulaire et recommencent. Je vous parle des gars de gangs, mais n'oublions pas la mafia russe, la mafia asiatique ou les triades, dans des endroits comme Vancouver. N'oublions pas les organisations criminelles. On parle beaucoup des gangs de rue, mais les organisations criminelles transnationales sont très impliquées dans la traite, qu'elle soit internationale ou interne.
Nos enfants sont recrutés très jeunes. Nos jeunes filles sont exposées à des images. On leur dit constamment que pour être quelqu'un, elles doivent exhibées leur corps à demi-nu et être belles. Des messages de ce genre circulent constamment, que ce soit dans les publicités ou à l'école, et ils contribuent à fragiliser nos filles. Elles se retrouvent avec des gars très sympa, très beaux, qui les abordent et leur disent qu'ils vont leur donner tout l'amour qu'elles n'ont pas reçu. Ils les embarquent dans des systèmes de ce genre. On n'arrive même pas à déterminer combien de jeunes filles mineures font présentement partie de ces réseaux de prostitution.
Des mères de famille me font parvenir des courriels ou m'appellent pour me dire que leur fille est à Niagara, par exemple, et me supplient de les aider à la sortir de là. Ces jeunes filles croient que ces gars-là sont leur chum. Je demandais à quelqu'un quel âge a sa fille et elle m'a répondu qu'elle a 17 ans. Quand je lui demandais à quel âge cela a commencé, elle me dit que sa fille avait à ce moment-là 14 ans.
Je peux vous dire une chose: on n'a pas besoin d'aller en Thaïlande pour voir des situations de ce genre impliquant des enfants. On pourra se battre et colmater tant et plus les brèches du Code criminel, tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas de vraie loi sur la prostitution, nous n'en finirons jamais de colmater les brèches.
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Je vous dirais que puisque ce projet de loi touche la traite des personnes, ça touche les travailleurs domestiques. Il est question de travail forcé, quel qu'il soit. Ça peut être le travail domestique ou autre chose. À partir du moment où une personne est exploitée pour son travail, c'est touché par ça.
Par ailleurs, les femmes autochtones représentent un sujet tellement pertinent. D'ailleurs, je sais qu'un groupe de femmes autochtones a récemment pris position en faveur de l'abolition de la prostitution. Ça m'embête un peu, mais j'ai oublié le nom exact de l'organisation. C'est dommage. Je ne sais pas si ça dit quelque chose à mes collègues.
Vous savez, la prostitution est basée non seulement sur des rapports inégalitaires, mais aussi sur des rapports racistes. J'écoutais dernièrement une femme autochtone raconter qu'elle avait été violée par deux hommes blancs. Excusez-moi de le dire comme ça, mais c'est comme ça que ça a été rapporté. Pendant qu'elle se faisait violer, ces deux gars lui disaient qu'ils la violaient parce qu'elle était Autochtone. La prostitution est basée non seulement sur des rapports inégalitaires, mais aussi sur le racisme, de même que sur des rapports de dénigrement envers les autres.
Il faut dire que les clients de la prostitution sont majoritairement des hommes, que je nommerais les prostitueurs. D'ailleurs, je tiens à préciser que c'est une minorité d'hommes, et non pas tous les hommes, qui vont voir les prostituées. Malheureusement, souvent ces hommes vont rechercher aussi des rapports de domination et des rapports basés sur le racisme. Alors, ce sont des femmes asiatiques, russes ou latino-américaines. Récemment, j'ai rencontré des filles du Bangladesh tout nouvellement arrivées au Québec et qui ne connaissaient même pas la langue. Elles parlaient à peine le français. Justement, elles se faisaient aborder pour être recrutées dans ces milieux. En effet, les femmes exotiques — excusez-moi, mais c'est ainsi qu'on les appelle dans le milieu — sont très recherchées.
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Selon moi, c'est un crime grave. Je pense que pour nous tous, autour de cette table, c'est un crime grave qui mérite des sentences sévères. Après avoir parlé aux procureurs et même aux policiers, j'ai voulu suivre le principe suivant, à savoir que le juge peut prononcer sa sentence à sa convenance, qu'il s'agisse de travail forcé ou d'exploitation sexuelle, mais que nous faisons savoir, en tant que législateurs, que c'est un crime très grave pour lequel nous voulons que des peines consécutives soient appliquées.
Concernant la peine consécutive, au-delà du fait que la sentence sera assez importante selon les délits commis, il y a le phénomène suivant, qui est très important. Lorsque la victime voit que le gars qui l'a agressée pendant des semaines, des mois, voire des années, est accusé et reconnu coupable de traite, de proxénétisme et de voies de fait graves, mais n'écope que d'une peine de trois ans parce que seule la sentence pour la traite est retenue, elle ne comprend pas. Ce gars l'a violée, l'a torturée et elle a l'impression de n'être plus rien. Elle essaie de reconstruire son humanité et, pourtant, on condamne cet homme à une peine de trois ans d'emprisonnement. Il y a plusieurs cas de ce genre.
À ma connaissance, la sentence la plus élevée à avoir été appliquée était de sept ans. Il s'agissait de crimes atroces impliquant plusieurs victimes. Les victimes ne comprennent pas pourquoi ces gars, alors qu'ils sont accusés de délits, ne purgent pas une peine en conséquence. Dans leur processus de guérison, elles ont l'impression de subir encore une injustice de la part de la société.
Il est très important de ne pas oublier que ce projet de loi vise à offrir des outils aux policiers et aux procureurs, mais aussi à rendre justice concrètement aux victimes. On leur dit que ce n'est pas à elles de porter le fardeau de la preuve. Ces gars ont commis des crimes atroces et ils vont en payer le prix. De plus, s'ils sont reconnus coupables, on va leur confisquer le fruit de leur criminalité. Que ça se soit passé au Canada, entre Montréal et Québec, entre Niagara Falls et Toronto, ou en provenance de la Russie, c'est pareil.
On vient de me donner le nom du
[Traduction]
Aboriginal Women's Action Network.
[Français]
Je vous remercie beaucoup. Les personnes qui forment ce groupe ont officiellement établi qu'elles voulaient l'abolition de la prostitution, de façon à protéger les filles et les femmes adultes de leurs communautés.
Oui, vous avez raison: il faut appliquer des sentences exemplaires et confisquer les fruits de la criminalité. Les victimes ne doivent plus être victimisées de nouveau.
Je pense que l'actuel Code criminel va nous permettre de faire de grandes choses. J'ai bon espoir que, lors de la troisième lecture, tous mes collègues voteront en faveur de ce projet de loi, comme ils l'ont fait en deuxième lecture.
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Bonjour. C'est un honneur d'être ici aujourd'hui pour représenter le Service de police de Winnipeg, et je suis ravi de m'adresser à vous sur un sujet si important.
Comme d'autres centres urbains au Canada, Winnipeg fait face à des crimes tels que l'exploitation, le proxénétisme, le leurre, la prostitution et des comportements criminels connexes. L'exploitation ne se limite pas aux villes ou à un groupe de la population. C'est un problème pour toutes les collectivités canadiennes. Une grande partie de ces crimes tirent leurs origines dans la traite de personnes, ou ils y sont reliés. Je félicite le gouvernement d'ajouter des dispositions au Code criminel pour s'attaquer à ces actes terribles et donner aux policiers des capacités et des méthodes réelles pour améliorer la vie des victimes et créer de la stabilité dans la vie des personnes à risque. Un projet de loi comme celui-ci apporte des changements significatifs à nos collectivités et nous aide à créer une culture de sécurité.
Le projet de loi comprend des dispositions sur la présomption de preuve pour les personnes exploitées, des références au contexte domestique dans les cas de traite, des dispositions sur la confiscation et des peines consécutives — voilà autant de mesures concrètes dont ont besoin les policiers et les procureurs. Combattre l'exploitation exige que l'on s'engage sur de nombreux fronts, et toutes les pratiques que les policiers et nos partenaires emploient se conjuguent lorsque les lois sont complètes.
Comme pour un casse-tête, lorsque l'on assemble les morceaux, on peut voir toute l'image, ce qui nous donne de la force. Pour cette raison, je veux vous parler de certains de nos programmes, stratégies et méthodes, de leurs liens directs avec les lois actuelles et des modifications proposées dans le projet de loi .
Les initiatives, stratégies et méthodes de travail du Service de police de Winnipeg ont évolué sur une longue période, toujours dans l'objectif de maximiser nos ressources, nos compétences, nos connaissances et nos capacités de nous occuper des processus concernant les victimes, la collectivité ou les délinquants. Par exemple, depuis 1990, des agents de notre unité des crimes sexuels font partie d'un conseil qui comprend des membres du personnel médical, des représentants d'un programme de sensibilisation communautaire appelé Klinic, des travailleurs de services aux victimes et la GRC. L'objectif de ce groupe est de s'assurer que les pratiques et les processus en place lors des examens, des entrevues et de la collecte de preuves concernant les agressions sexuelles servent les intérêts de la justice et le bien-être, les soins et la dignité des victimes.
De nombreuses victimes dont s'occupent ces équipes proviennent de populations exploitées; nous leur offrons des programmes et des soins à plus longue durée, et nous les aidons à faire des choix différents dans leur vie.
Dans notre service, nous offrons une formation annuelle approfondie sur l'exploitation, les protocoles pour les victimes d'agression sexuelle, les cycles de violence et la façon d'offrir de l'aide. Cette formation est obligatoire pour les recrues et fait partie de la formation spécialisée pour tous les détectives.
En 2012, l'unité de lutte contre la violence envers les enfants a créé un partenariat pour créer le centre d'appui aux enfants de Winnipeg. Il s'agit d'un centre pour les enfants victimes, dirigé par un conseil qui comprend des représentants des services de police, de la justice, de la santé, des organismes de services sociaux et de services aux victimes. La mission de ce centre autonome est de promouvoir une collaboration entre les différents systèmes et les pratiques exemplaires dans le cadre des enquêtes sur l'exploitation des enfants. De plus, le centre s'assure que les victimes reçoivent un appui adapté et immédiat dans un environnement qui place leurs besoins au premier plan. Cela réduit le stress imposé par le système aux enfants qui sont victimes de violence sexuelle ou physique grave.
Le Service de police de Winnipeg est aussi un participant actif au Système d'analyse des liens entre les crimes de violence. Il y a plus de deux ans, nous avons changé nos méthodes de travail à l'interne et nous avons enregistré un taux de conformité de près de 100 % pour les demandes et les analyses. Cela a profité aux enquêtes locales et a permis de trouver des pistes concernant des dossiers non résolus. Le nombre de ces nouvelles pistes a décuplé à cause des changements apportés aux méthodes de travail et à la communication.
Depuis 2005, notre unité intégrée des délinquants à risque élevé fonctionne en partenariat avec la GRC, les services correctionnels et les groupes communautaires. Cette unité surveille activement les délinquants pour déceler les bris d'ordonnance de libération conditionnelle et effectue des opérations de surveillance des personnes désignées comme étant des récidivistes à risque élevé. Elle s'occupe également de l'application des ordonnances en vertu de l'article 810 du Code criminel et des avis d'information publics.
Notre unité des personnes disparues a connu une restructuration en 2009. À l'heure actuelle, l'unité gère environ 6 600 cas de personnes disparues par année, dont une bonne partie sont des enfants fugueurs chroniques qui ont besoin de notre aide. Nous avons élaboré une stratégie de protocole pour les victimes à risque élevé, qui vise à empêcher l'exploitation des jeunes et à créer de la stabilité dans leur vie. Nous y arrivons en jumelant un agent de police à un travailleur social; les deux travaillent côte à côte pour faire la planification, la gestion et l'évaluation des risques et aider chaque enfant. Le programme donne de bons résultats. Il apporte un mode de vie stable à de nombreux enfants et offre un mécanisme concret pour que les policiers identifient ceux qui s'en prennent aux enfants dans nos centres commerciaux, nos parcs et nos rues.
Trouver les enfants disparus n'est que le premier pas. Nous examinons maintenant de façon plus approfondie ces dossiers, et si nous pouvons déposer des accusations de leurre ou d'enlèvement d'un enfant de moins de 14 ans parce qu'on l'a hébergé ou qu'on a essayé de cacher son emplacement, nous le faisons. Notre unité de la moralité utilise aussi différentes tactiques qui se concentrent sur l'exploitation, la prévention et la communication.
Les rapports DISC pour dissuader et identifier les consommateurs du commerce sexuel font partie de notre système de gestion des dossiers depuis 2002. Ces rapports commencent souvent au niveau des agents de police de première ligne qui font des contrôles routiers. L'information est transmise automatiquement à l'unité de la moralité pour analyse, et les renseignements ou commentaires sur les comportements, les risques pour la collectivité ou les pratiques suspectes sont notés et comparés avec les dossiers en cours.
Lorsque les enfants courent des risques éventuels, cette information est partagée avec les services à l'enfance qui ont la possibilité, en vertu de la loi provinciale, de prendre des mesures proactives contre les contrevenants éventuels ou réels. L'escouade de la moralité surveille quotidiennement des sites Web connus faisant le commerce du sexe ainsi que des publicités sur Internet. Les opérations d'infiltration se déroulent en fonction de cette information ou de ces publicités et on accorde une attention particulière à l'exploitation, à la traite des personnes et à la prostitution infantile dans ces publicités. Ces efforts ont commencé il y a environ cinq ans.
L'escouade de la moralité établit des relations régulièrement avec l'Armée du Salut, New Directions for Children, Youth, Adults & Families; Rossbrook House; Sage House; et le Native Women's Transition Centre Inc. Ces relations ont permis d'identifier des personnes qui s'en prennent aux vulnérables pour les forcer à faire le commerce du sexe. Les enquêtes sur la prostitution, la traite des personnes, les cycles d'exploitation et la toxicomanie, ainsi que les techniques pour aider les travailleuses du sexe sont enseignées depuis le niveau d'entrée jusqu'au poste d'enquêteur principal.
En 2011, le Service de police de Winnipeg a contribué à la révision du programme provincial du cours de formation sur les compétences de base pour comprendre et travailler auprès des jeunes exploités sexuellement. Cette formation sur l'exploitation est le seul programme en Amérique du Nord et il est suivi par des travailleurs des services sociaux, des policiers, des parents d'accueil, des professionnels de la santé, des enseignants et des agents correctionnels.
Nous offrons des programmes pour venir en aide aussi bien aux victimes qu'aux contrevenants. Notre programme sur le racolage pour les clients a vu le jour en 2002 et se poursuit. Environ 50 à 70 contrevenants participent à ce programme chaque année. Dans le même ordre d'idées, notre programme de diversion de la prostitution pour les travailleuses du sexe a commencé à 2003 et se poursuit également. Chaque année, environ 35 à 50 femmes suivent le programme sur plusieurs jours, avec nuitée. Les agents de police participent à tous les aspects du programme, en collaboration avec des travailleurs des services sociaux, des partenaires de la justice et des spécialistes communautaires. Nous voulons ainsi tisser des liens, bâtir la confiance, éduquer et oeuvrer pour le changement.
Notre campagne publique, qui se concentre sur l'exploitation et qui vise à dresser un juste portrait du commerce du sexe, s'est servie de publicités publiques pour sensibiliser les gens. À ce jour, nous avons distribué plus de 9 000 affiches.
Un autre événement trimestriel est le Project Return. Ce protocole inclut des travailleurs sociaux, aussi bien du gouvernement que du secteur privé, qui travaillent avec la police lors d'opérations d'infiltration pour venir en aide dans les cas de prostitution juvénile, de plans de traitement et de placement dans des milieux sûrs et protecteurs.
Nous avons parrainé des événements de formation sur la traite des personnes à Winnipeg à l'intention des policiers, des procureurs de la Couronne et de nos partenaires pour les sensibiliser et les aider à passer à l'action. Les services de police de Winnipeg se sont alliés à l'Université de Winnipeg et à l'Université de la Saskatchewan en aidant les étudiants en doctorat qui ont étudié la dynamique de la traite des personnes et de l'exploitation.
Toutes nos pratiques sont examinées de manière holistique et de manière très détaillée depuis deux ans, et nous avons récemment réuni notre brigade des personnes disparues et notre escouade de la moralité dans une seule et même unité. Toutes les unités dont je viens de parler se retrouvent maintenant dans cette même division. Cette nouvelle division a été renommée la Division des enquêtes spécialisées. Cela illustre notre engagement à offrir des services axés sur les victimes, ainsi qu'à mener des enquêtes solides qui feront en sorte que la justice demande des comptes aux personnes responsables d'exploitation.
En fait, les enquêteurs de la police de Winnipeg ont été saisis d'un dossier l'an passé où les accusations pour traite de personnes n'ont pas tenu la route pour toutes sortes de facteurs, dont la plupart ne relevaient pas de nous. Heureusement, les enquêteurs ont été capables de reprendre les choses en main, de poursuivre l'enquête sur ce membre de gang et de porter des accusations qui ont mené à une condamnation et à une peine de prison appropriée. Ce cas contenait des éléments de proxénétisme, et il aurait été aussi bien prudent qu'avantageux de poursuivre l'enquête du point de vue de la confiscation.
Le projet de loi apportera des améliorations et permettra de demander davantage de comptes aux contrevenants. Je peux dire avec confiance que la police s'y connaît très bien dans les enquêtes sur les confiscations ainsi que sur les processus de présomption et de preuve, étant donné les parallèles semblables et les expériences en matière de droit pénal. Les modifications proposées dans le projet de loi C-452 vont améliorer notre capacité de saisir les profits tirés de l'exploitation. D'après ma propre expérience en tant qu'enquêteur sur le crime organisé, je sais que les saisies et les peines consécutives fonctionnent. Si l'on a un effet dissuasif et que l'on brise le cycle de la rentabilité, cela peut changer les comportements et empêcher d'autres personnes d'entrer dans ce cycle de comportements délinquants, de cupidité et de manque de respect pour autrui.
Je n'ai pas de recommandation directe aujourd'hui, mais j'aimerais indiquer que j'espère que la ténacité des législateurs ne va pas diminuer pour ce qui est de la traite des personnes et de l'exploitation en vue d'améliorer la vie de tous les habitants au Canada.
Mesdames et messieurs, merci beaucoup.
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Bonjour. J'aimerais vous remercier de m'avoir invité aujourd'hui.
Je travaille comme policier au Service de police de la Ville de Montréal depuis 19 ans, dont presque 15 ans aux enquêtes sur l'exploitation sexuelle. Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler du « portrait terrain », de vous décrire grosso modo comment s'articule la traite des personnes et quels outils le projet de loi pourrait nous offrir.
Il faut comprendre qu'une victime de traite des personnes ne frappe pas à la porte d'un service de police. Ce qui est intéressant, dans ce type de situation, c'est que nous devons faire des enquêtes proactives pour découvrir une victime de traite des personnes. Cela doit être au coeur de nos préoccupations. L'article sur la traite des personnes ou le projet de loi C-452 ne limitent pas les libertés de ces victimes. Au contraire, ils donnent aux policiers des outils qui leur permettent de prendre les devants et de secourir ces victimes. Ces personnes sont victimes de crimes graves, qui s'apparentent souvent à de la torture.
Il est bien évident qu'une personne qui a été violée, séquestrée, enlevée et brûlée craint pour sa sécurité, pour sa vie. Les victimes sont unanimes: lorsqu'elles acceptent finalement de venir nous voir, elles ont peur de mourir. Ce qui est au coeur de leurs préoccupations, ce n'est pas que l'individu soit arrêté: elles veulent avoir l'assurance que si elles parlent, elles vont être protégées. Le premier réflexe d'une personne qui a vécu de telles atrocités pendant aussi longtemps n'est pas de s'adresser à la police, mais plutôt de tenter de s'enfuir, d'essayer n'importe quoi, mais pas de parler.
C'est ce qui explique que pour 80 % des dossiers que nous traitons, nous allons rencontrer les victimes, mais elles refusent de nous parler et de faire une déposition. Cette déposition n'a jamais lieu parce qu'elles sont terrorisées ou, dans une autre perspective, parce qu'elles ne se considèrent pas comme des victimes, selon le cycle. Il s'agit d'un long cycle. On a parlé plus tôt de la manipulation, de la désensibilisation, de la séduction, jusqu'à ce que la personne bascule vers les aspects plus violents de la traite des personnes.
Il est extrêmement intéressant qu'un aspect de la loi prévoie une présomption. Je veux vous rassurer: la présomption existe dans les enquêtes sur le proxénétisme. On y a déjà recours, mais ce n'est pas une carte blanche pour la police. Cela ne nous libère pas de notre obligation d'aller au-delà du doute raisonnable.
Voici un exemple de ce que permet concrètement la présomption. Si un trafiquant contrôle six filles en même temps, mais que l'une d'entre elles réussit à s'échapper et, par chance, accepte de porter plainte, les cinq autres seront terrorisées ou ne se considéreront pas comme des victimes et ne voudront pas porter plainte. Or cette présomption, accompagnée du témoignage de cette première victime et appuyée par d'autres techniques d'enquête, feront en sorte que nous pourrons déposer des accusations concernant les cinq autres victimes. C'est un outil que nous offre la présomption.
Dans d'autres cas, nous savons qu'un trafiquant contrôle une jeune femme. Je pourrais vous entretenir tout l'après-midi de ce genre de cas. Pour avoir refusé de travailler, une jeune femme a été enfermée dans un coffre de voiture pendant une journée complète ou est restée à genoux dans un salon sur une poche de riz éventrée pendant un après-midi. Nous disposons de ces informations; nous savons que cette femme va aller se prostituer jour après jour et ramener de l'argent, mais nous ne pouvons pas créer de dossier si elle ne nous parle pas. Or cette présomption et l'usage de plusieurs techniques d'enquête vont nous permettre de porter des accusations.
La traite des personne est un crime qui se perpètre sur une longue période, jour après jour, et qui est souvent associé à d'autres crimes graves, comme l'enlèvement, la séquestration, l'agression sexuelle, les voies de fait et les menaces de mort.
Lorsqu'on porte des accusations de traite des personnes, les accusations dont je viens de parler sont présentes dans 80 % des cas. Sans nier la gravité de quelque crime que ce soit, il ne s'agit pas d'un vol de banque. Il s'agit de prédateurs qui planifient l'exploitation de personnes pour les traiter comme de la marchandise jour après jour et de prendre tous les moyens pour maximiser les profits qu'ils feront avec ces personnes.
En effet, des peines consécutives pour des crimes aussi graves et qui ont duré aussi longtemps sont nettement dissuasives. Si vous retenez la première partie de mon allocution, alors que j'ai mentionné que 80 % des victimes ne viendront jamais nous voir, et que vous pensez à des sentences de 5 ou 6 ans et au fait que les victimes veulent être protégées, vous comprendrez que ce sera extrêmement utile. Je dois vous mentionner aussi que presque 100 % d'entre celles qui accepteront finalement de nous parler voudront retirer leur témoignage en cours de route. Encore une fois, c'est pour les mêmes raisons, pour des raisons de crainte, de peur, etc.
Dans un des derniers cas où un individu a été trouvé coupable de traite des personnes, la victime a dû revenir en cour 15 fois pour être contre-interrogée par la défense d'une façon indescriptible.
Je m'excuse, je suis un peu ému, mais c'est un peu ce que je voulais vous mentionner. Pour le reste, je pourrai répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie à tous les deux d'être présents.
C'est toujours émouvant, mais c'est aussi plus pratique pour moi d'entendre ceux qui travaillent au quotidien à ces dossiers.
Un événement est arrivé dans ma région il n'y a pas si longtemps. Le 24 avril dernier, le journal Le Droit a fait paraître un article dont le titre était: « Proxénétisme: une jeune fille de 17 ans piégée ». On parle beaucoup présentement de proxénétisme, de traite des personnes, de prostitution, etc., mais les gens sont de plus en plus jeunes. Dans ce cas, on parle du procès de trois adolescentes accusées de proxénétisme. Il faut le faire!
Dans les réseaux de criminalité, on ne parle plus seulement d'adultes et de crime organisé, mais aussi de gangs de rue. Ce n'est plus seulement le portrait-robot du mâle blanc de tel ou tel âge. On parle de jeunes qui, par l'entremise d'un réseau social, ont attiré cette jeune fille de 17 ans pour lui faire subir ce que vous racontiez, monsieur Monchamp. Elle était tellement craintive.
Certaines personnes pourraient se dire qu'elle n'avait qu'à mettre son pied à terre, aller voir ses parents et que cela aurait réglé le problème. Ils l'ont mis dans des situations compromettantes, ont pris des photos et jouaient sur sa peur. Cela va suivre son cours normal sur le plan juridique, j'en n'ai pas de doute. Si on peut vous donner des outils, ce sera plus pratique.
Par contre, en ce qui a trait à la présomption, je ne suis pas certaine que cela s'appliquera dans le cas d'une infraction de traite des personnes mineures. Je me demande si on n'est pas en train de laisser de côté quelque chose relativement à cela, mais vous n'êtes peut-être pas les mieux placés pour répondre à ces questions. Nous recevrons des gens provenant du domaine juridique qui pourront répondre à ces questions.
Vous êtes sur le terrain et cela fait partie de votre quotidien. J'ai posé la question à Mme Mourani. Parfois, quand je lis le projet de loi et les articles 212 et 279 du Code criminel, j'ai un peu de difficulté. C'est au sujet du proxénétisme et de la traite des personnes à l'interne. C'est peut-être parce que je ne suis pas une spécialiste en droit criminel. En effet, j'ai fait du droit du travail toute ma vie, mais il me semble que cela se ressemble beaucoup. Je me demande s'il devrait y avoir une fusion de tout cela. Vous pouvez peut-être me guider en ce qui a trait à ces questions.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Puisque je n'ai pas pu poser de question au premier tour, je tiens tout d'abord à dire que je trouve ce projet de loi très intéressant. C'est important d'en parler, parce que trop peu de gens au Canada savent réellement ce qu'est la traite des personnes. Il faut en parler parce que cela se passe chez nous. Je trouve toutefois un peu dommage qu'on aborde seulement la question de l'exploitation sexuelle parce que la traite des personnes est un sujet beaucoup plus large.
Je travaille beaucoup avec l'organisme PINAY, de Montréal, qui lutte justement contre la traite des aides familiales. À cet égard, je trouve qu'on oublie un peu de mentionner cet aspect de la traite des personnes.
Monsieur Monchamp, sachant que votre domaine d'expertise est plutôt l'exploitation sexuelle, mes questions porteront sur cet enjeu.
J'ai participé au congrès du CATHII, il y a deux ou trois semaines, et j'ai assisté à votre conférence. Depuis, une image m'est restée en tête. Je vais donc répéter ce que vous avez dit, à savoir qu'à Montréal, on se commande une femme comme on commande de la pizza. On peut choisir son poids, ses mensurations, son âge, la couleur de ses cheveux et la couleur de ses yeux. Cela m'a énormément marquée. De plus, ce qui est très malheureux, c'est que vous avez raison.
À la lecture du projet de loi, je comprends mieux les outils qu'il vous apportera, comme le renversement du fardeau de la preuve ou les peines consécutives. Cela dit, je me demande à quel point cela empêchera le phénomène de la traite des personnes. Assurément, cela dissuadera certaines personnes. Toutefois, comme vous l'avez dit, il y a tellement peu de femmes qui sont prêtes à témoigner. De plus, même celles qui témoignent reviennent parfois sur leur témoignage.
Puisqu'on aborde cet aspect, je vais profiter de l'occasion pour vous questionner à ce sujet.
Y a-t-il d'autres outils qu'on aurait pu mettre à votre disposition pour vous aider à mieux trouver les victimes et à mieux les faire témoigner? Je m'adresse aussi à vous, monsieur Perrier.
D'autres amendements au projet de loi pourraient-ils être faits afin de vous aider dans vos enquêtes?
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Tout d'abord, j'aimerais souligner que le projet de loi est utile parce que, comme je vous l'ai dit, la première préoccupation des victimes est leur sécurité. En effet, dans la grande majorité des cas, lorsque les victimes témoignent cinq, six ou quinze fois devant la cour et que cela se termine par un verdict de cinq ans de pénitencier — ce qui est une peine sévère, soit dit en passant, pour la traite des personnes —, si on leur demande si elles répéteraient l'expérience, leur réponse est non. Elles ne répéteraient pas l'expérience. Cela illustre le fait qu'il faut un appui relativement aux tribunaux. Le premier appui des victimes doit être devant les tribunaux.
Par la suite, je ne sais pas si cette question se traite par une loi, mais pour soutenir ces victimes, il faut de la sensibilisation. À cet égard, on a connu beaucoup de succès. Mon confrère a parlé de ce qu'ils ont mis en place. Ces initiatives font en sorte qu'on peut aller vers les victimes en sensibilisant nos policiers, les intervenants et notre population. Il y a un besoin criant d'un plan national qui pourrait s'apparenter à ce qu'on a vécu, au Québec, en ce qui a trait à la violence conjugale, par exemple.
Il y a 50 ans, quand il y avait de la violence conjugale, les policiers n'intervenaient pas. On ne considérait pas que c'était un crime, mais que c'était un conflit privé et on ne s'immisçait pas dans les conflits privés. Aujourd'hui, une femme est violentée sur la rue et 25 personnes vont composer le 911 parce qu'ils trouvent que c'est inacceptable. Cette évolution n'est pas venue toute seule. Elle est venue à la suite de campagnes parce qu'il y a eu une éducation des policiers et, surtout, de la population en général.
Pour l'alcool au volant, c'est la même chose. Auparavant, quand on se croisait sur la route au volant, on pouvait faire un cheers et c'était parfaitement accepté. Aujourd'hui, je vous mets au défi de faire cela, car des gens vont composer le 911 ou vous vous ferez arrêter par des citoyens.
On a donc besoin de sensibiliser les gens en ce qui a trait à la traite des personnes. Il n'est pas normal que cela se déroule encore à Montréal.
Il faut s'occuper de l'éducation de nos enfants. C'est ce qui va nous permettre de rejoindre ces victimes. C'est ainsi qu'elles vont savoir qu'on est là pour elles et non pour les arrêter. Présentement, elles pensent qu'elles commettent un crime.
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À vrai dire, il s'agit d'une grosse question qui contient bien des éléments.
Je crois qu'un grand nombre des choses dont nous avons parlé au sujet de la sensibilisation s'applique à certains éléments ici. Mais j'aimerais vous raconter une histoire qui combine vraiment tout ce que vous avez mentionné ici.
À Winnipeg, nous avons une communauté des Premières Nations très large et dynamique. Il y a une jeune fille que j'ai connue quand j'étais responsable de notre escouade de la moralité qui était venue à Winnipeg pour échapper à certaines des choses que vous avez mentionnées — la violence au sein de sa famille, l'alcoolisme. Elle était venue à Winnipeg et s'était installée dans un centre de transition. Elle n'était jamais venue en ville, ayant toujours vécu dans une réserve; elle n'avait jamais même pris de vacances pour venir en ville. Elle était adulte, mais était néanmoins très naïve.
Une autre femme, qui avait également été victime et forcée à se prostituer, l'a recrutée directement dans ce centre et lui a dit: « Écoute, moi aussi, je suis Autochtone. Je suis ton amie. Joins-toi à nous. Joins-toi à notre famille ». Elle lui a acheté des choses comme des chaussures — pas de choses extravagantes, mais des vêtements, les nécessités de la vie, de la nourriture. Très rapidement, elle s'est retrouvée dehors, dans une voiture, et cette fille lui a dit: « Cela n'est pas gratuit. Il va falloir que tu ailles faire des passes et avoir des relations sexuelles avec des hommes pour de l'argent ». La fille a décidé de rentrer dans la réserve, car c'était mieux que l'indignité de faire des passes.
Ainsi, la sensibilisation est vraiment très importante; il faut un véritable changement concernant les nécessités de base. C'est ce dont il s'agit vraiment, à savoir la nourriture, un toit sur sa tête et la sécurité.