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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 100 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 mars 2018

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Mesdames et messieurs, bienvenue à la 100e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne, qui se penche aujourd'hui sur la situation des droits de la personne au Cambodge.
    Nous avons le bonheur de recevoir trois témoins, dont Kingsley Abbott, conseiller juridique international principal du Bureau de l'Asie et du Pacifique de la Commission internationale de juristes, qui témoigne par vidéoconférence depuis Rangoon, en Birmanie.
    Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de témoigner, monsieur Abbott. Je sais que vous avez dû modifier votre horaire, et nous sommes enchantés que vous ayez pu le concilier avec le nôtre.
    Nous entendrons également Mu Sochua, ancienne députée et ministre de la Femme et des Anciens combattants, et vice-présidente du Parti du sauvetage national du Cambodge, qui comparaît en personne.
    Elle est venue depuis la Nouvelle-Zélande pour nous informer de la situation. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps de venir d'aussi loin pour nous faire part de vos réflexions et pour témoigner devant le Sous-comité.
    Nous recevons enfin King Sophea, également ancien député du Parti du sauvetage national du Cambodge, à qui on a interdit de participer à la vie politique de ce pays et qui a été victime de violence politique.
    Merci beaucoup de vous joindre à nous, monsieur.
    Nous entendrons d'abord M. Abbott, puis Mme Mu. Les membres du Sous-comité poseront ensuite des questions.
    Monsieur Abbott, si vous êtes prêt, vous pouvez commencer votre exposé.
     Monsieur le président, distingués membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vous salue chaleureusement depuis Rangoon, en Birmanie.
    Je m'appelle Kingsley Abbott et je suis conseiller juridique international principal au Bureau de l'Asie et du Pacifique de la Commission internationale de juristes, aussi appelée CIJ.
    La CIJ, établie en 1952, est une organisation internationale des droits de la personne apolitique composée de 60 juges et juristes éminents venant des quatre coins du monde, comme l'ancien juge de la Cour suprême Ian Binnie et la juge Michèle Rivet.
    La CIJ cherche à promouvoir et à protéger les droits de la personne et la primauté du droit en utilisant son expertise juridique sans pareille pour instaurer et renforcer des systèmes de justice nationaux et internationaux.
    Je vis et travaille moi-même en Asie du Sud-Est depuis près de 10 ans; j'ai notamment vécu au Cambodge et je suis actuellement en poste à Bangkok, en Thaïlande, où je travaille au bureau de la CIJ en Asie et où, devrais-je ajouter, se trouve l'ambassadrice du Canada au Cambodge, laquelle est remarquablement accessible, à l'instar de son prédécesseur.
    Je voudrais traiter de deux questions, la première étant celle de l'utilisation abusive de la loi au Cambodge en invoquant la primauté du droit, et la seconde, celle de l'absence d'instances judiciaires indépendantes et impartiales. Avant de commencer, toutefois, je voudrais vous expliquer brièvement la situation. Je suis certain que les autres témoins cambodgiens parleront également du contexte.
    Le Cambodge est aux prises avec une crise sur le plan des droits de la personne et de la primauté du droit depuis la signature des accords de paix à Paris, en 1991.
    Depuis les dernières élections nationales, le gouvernement du Cambodge a accentué la fermeture systématique de l'espace civique et la répression des libertés fondamentales en prévision des prochaines élections prévues en juillet prochain.
    La principale tactique du gouvernement dans cette entreprise consiste à employer la loi comme arme.
    Il utilise notamment la loi et le système juridique pour harceler légalement l'opposition politique, les médias indépendants, la société civile, les défenseurs des droits de la personne, les activistes et les citoyens, qui ne font bien souvent qu'exercer leurs libertés fondamentales.
    Il importe de souligner que lorsqu'il est critiqué à l'échelle nationale ou internationale, il justifie ses mesures de répression en affirmant qu'il applique simplement la primauté du droit, comme le montrent d'ailleurs les faits récents, à mon avis.
    L'an dernier, il s'est servi d'une loi récente sur les associations et les organisations non gouvernementales adoptée en 2015, qui impose de lourdes exigences aux ONG et exige qu'elles fassent preuve de neutralité politique, pour fermer l'Institut démocratique national financé par les États-Unis et suspendre temporairement Equitable Cambodia, une ONG s'intéressant aux droits de la terre. Ce ne sont là que deux exemples d'utilisation abusive de cette loi.
    Les autorités locales de toutes les régions du pays invoquent aussi fréquemment la loi, exigeant que les associations et les ONG reçoivent une permission des autorités avant de commencer leurs travaux.
    En août dernier, le Cambodia Daily, un journal anglophone indépendant, s'est fait réclamer des millions de dollars en impôt prétendument impayés, ce qui l'a forcé à mettre la clé sous la porte.
    En septembre 2017, le chef du Parti du sauvetage national, Kem Sokha, a été arrêté et détenu à la suite d'une décente policière effectuée au petit matin dans sa résidence. Il a été ultérieurement accusé de trahison dans ce qui a toutes les apparences d'une affaire à mobile politique. Il est toujours en détention.
    En novembre 2017, lors d'un coup d'éclat, la Cour suprême du Cambodge a dissous le Parti du sauvetage national du Cambodge et a interdit à ses 118 politiciens de s'adonner à toute activité politique pendant cinq ans dans le cadre d'une affaire hautement politisée. Le président de la Cour, qui présidait les audiences, est lui-même un membre éminent du parti au pouvoir et fait partie de ses comités permanents.
    La loi sur les partis politiques a été modifiée peu avant ces procédures juridiques, ce qui a permis à la Cour suprême de dissoudre des partis politiques.
     Cette décision fait une parodie du système de justice et des prochaines élections; l'Union européenne ne soutient donc plus le processus électoral, disant ne pas croire qu'il puisse être crédible.
    Il y a quelques semaines à peine, le gouvernement a adopté des modifications à la Constitution du Cambodge, lesquelles exigeraient que tous les citoyens cambodgiens défendent avant tout l'intérêt national et ne s'adonnent pas à des activités ayant une incidence directe ou indirecte sur les intérêts du Royaume du Cambodge. Il n'a toutefois pas défini ces vagues notions ou les actions pour lesquelles les gens s'exposeraient à un risque de nature juridique.
    Le gouvernement n'a cessé de justifier ces mesures en invoquant la primauté du droit, que soit au pays ou à l'étranger, notamment devant le Conseil des droits de l'homme à Genève.
(1305)
    Quelques heures après que la Cour suprême eût dissous le principal parti de l'opposition, le premier ministre Hun Sen a déclaré à la télévision que cette décision s'appuyait sur le principe de primauté du droit. Le mois dernier, le gouvernement a publié un livre blanc intitulé Strengthening the Rule of Law and Liberal Democratic Process , où il justifie ses mesures de répression. Il y a quatre jours, réagissant à l'annonce où les États-Unis indiquaient qu'ils suspendaient leur financement et réclamaient la libération des prisonniers politiques et le rétablissement du Parti du sauvetage national du Cambodge, un porte-parole du gouvernement aurait affirmé que les États-Unis n'étaient pas le patron du gouvernement cambodgien et que ce dernier protégerait fermement ce qu'il appelle la primauté du droit.
    Ce n'est évidemment pas ce qu'on entend par primauté du droit. Depuis les années 1950, la CIJ s'emploie à définir en quoi consiste la primauté du droit et à établir le lien entre ce principe et la protection des droits de la personne. Les mesures dont j'ai parlé sont tout à fait contraires à la primauté du droit, dont l'égalité, la responsabilité et la prévisibilité constituent les principes fondamentaux. La primauté du droit ne se limite pas à l'adoption et à l'aplication de lois, mais consiste également à agir en conformité aux lois et aux normes internationales en matière de droits de la personne.
    L'utilisation abusive de la loi est particulièrement préoccupante au Cambodge en l'absence de juges indépendants et impartiaux qui feraient contrepoids aux pouvoirs exécutifs et législatifs. Dans une étude de base qu'elle a publiée sur le Cambodge en octobre dernier, la CIJ indique que cette absence constitue le principal problème auquel le système de justice cambodgien est confronté. Le problème est double, car nous sommes en présence d'un système endémique d'ingérence politique dans des affaires à grand retentissement et à un régime de corruption tout aussi profondément ancré.
    Notre étude nous a également permis de constater que le système de justice est touché par de nombreux autres problèmes, notamment des enquêtes, des procès et des appels judiciaires inadéquats et inéquitables; des confessions forcées et l'absence de reddition de comptes et de recours en pareil cas; et le fait que le gouvernement cible les avocats dont les clients ont des visées politiques.
    En conclusion, je voudrais vous présenter quatre recommandations clés.
    D'abord, le Canada devrait envoyer des députés pour visiter le Cambodge avant les élections de juillet. De plus, il devrait continuer de réclamer instamment le rétablissement du Parti de sauvetage national du Cambodge, principal parti de l'opposition, et la libération immédiate de Kem Sokha et de tous les autres prisonniers politiques. En outre, il devrait soutenir davantage la société civile du Cambodge, particulièrement en ce moment. Enfin, il devrait demander au Cambodge d'abroger les lois allant à l'encontre de ses obligations internationales en matière de droits de la personne.
    Merci.
(1310)
    Merci beaucoup de cet exposé, monsieur Abbott.
    Nous entendrons maintenant Mme Sochua.
     Monsieur le président, distingués membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, c'est un honneur que d'avoir l'occasion de témoigner ici en compagnie de mon collègue, M. Kong Sophea, et d'éminents membres de la communauté bouddhiste et cambodgienne du Canada. Je suis également accompagnée de M. Tuon Yuda, un député exilé, et de M. Sor Chandeth, sénateur de l'opposition également en exil.
    Monsieur le président, distingués membres du Comité, M. Kong Sophea est député, comme nous. C'est un survivant, car à la fin d'octobre 2015, lui et d'autres députés de l'opposition ont été brutalement attaqués par des membres de l'unité de gardes du corps du premier ministre Hun Sen alors qu'ils quittaient l'édifice du Parlement.
    M. Kong Sophea et M. Nhay Chamroeun continuent d'avoir besoin de soins médicaux pour soigner leurs blessures. M. Kong Sophea a perdu l'ouïe de son oreille gauche, et ce n'est là que la pointe de l'iceberg de la situation des droits de la personne au Cambodge, dont j'ai l'honneur de vous parler aujourd'hui.
    Partout au Cambodge, les gens vivent dans la peur. Que craignent-ils? Ils craignent le pouvoir de M. Hun Sen, premier ministre du Cambodge, qui est à la tête du pays depuis plus de 34 ans. Hier encore, il a indiqué à la cour de ne pas autoriser la libération sous caution de M. Kem Sokha, qui est le chef de l'opposition et notre dirigeant. M. Kem Sokha est détenu en attendant son procès dans une prison éloignée de la ville, où il ne peut voir que ses avocats et sa conjointe. Personne n'autre ne peut le rencontrer.
     Ce n'est que le début des nombreuses mesures prises contre l'opposition que je vous expliquerai en détail plus loin. Nous nous préoccupons surtout de la sécurité des membres de l'opposition ou de quiconque ose critiquer M. Hun Sen et son régime.
    Au Cambodge, plus de trois millions de personnes se sont prononcées en faveur d'un changement en 2013 et lors des élections locales de 2017. Nous ne sommes pas seulement l'opposition; nous représentons plus de 44 % des électeurs du Cambodge et la volonté du peuple. Nous sommes l'espoir du peuple cambodgien.
    Quand je parle du peuple cambodgien, je fais référence aux agriculteurs victimes d'évictions forcées et de la coupe d'arbres illégale à grande échelle. Seul le tiers des forêts du Cambodge sont encore debout; le reste a été coupé illégalement par des entreprises ayant des accointances avec le premier ministre. Cette industrie coûte des milliards de dollars au Cambodge.
    Plus que l'opposition, nous sommes un pilier du changement démocratique, la fondation de la démocratie. À nos côtés se tient une société civile des plus dynamiques. Jusqu'à il y a six mois, nous formions une force puissante favorable à la démocratie. Aujourd'hui, nous restons silencieux, car sinon, nous irions en prison ou en exil.
    Comme M. Abbott l'a expliqué il y a quelques instants, M. Hun Sen se sert des tribunaux comme instrument politique pour réduire ses opposants au silence et détruire tout espoir de démocratie.
(1315)
    Monsieur le président, distingués membres du Sous-comité, voilà donc ce qui s'est produit en six mois à peine. En septembre 2017, M. Kem Sokha a été arrêté chez lui sans mandat. Il est député et chef de l'opposition. La Cour d'appel a refusé encore une fois aujourd'hui de lui accorder une libération sous caution. Les partisans de M. Kem Sokha étaient réunis à l'extérieur du bâtiment pour attendre la décision et ont été à nouveau victimes de violence. Ça s'est passé aujourd'hui même.
    Dans les campagnes, les gens perdent leurs terres. Le 8 mars dernier, on a tiré sauvagement sur des femmes qui défendaient leurs terres. L'une d'elles était si désespérée qu'elle s'est pendue.
    En septembre et en octobre, de nouvelles accusations ont été portées contre Sam Rainsy, l'ancien chef de l'opposition qui demeure en exil. Comme nous tous, s'il devait rentrer au Cambodge, il serait arrêté sur-le-champ.
    En octobre, des modifications ont été apportées à la loi sur les partis politiques pour permettre au ministère de l'Intérieur d'intenter des poursuites devant la Cour suprême contre n'importe quel parti. Dans un mépris total de la procédure établie, ces partis ont été dissous, comme ce fut le cas pour le nôtre.
    En novembre 2017, la Cour suprême a ainsi dissous les partis de l'opposition. En raison de ces modifications à la loi, les 55 sièges que nous détenions au Parlement ont depuis été répartis entre des partis politiques qui n'en avaient aucun par ailleurs. En outre, pas moins de 5 007 élus locaux ont également perdu leur siège. Ils demeurent au Cambodge où ils sont réduits au silence et vivent dans la peur.
    Les Cambodgiens espèrent encore aujourd'hui que l'opposition reviendra. Notre espoir est nourri par le fait que les 45 membres de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, dont le Canada fait partie, ont indiqué la semaine dernière être vivement préoccupés par la situation des droits de l'homme au Cambodge et ont demandé au gouvernement cambodgien de revenir sur la voie de la démocratie. La Commission réclamait expressément de M. Hun Sen qu'il permette la tenue des prochaines élections dans un environnement exempt de crainte et d'intimidation.
    Voici maintenant les demandes que nous vous adressons aujourd'hui, monsieur le président et distingués membres du Sous-comité. Nous réclamons la libération immédiate de M. Kem Sokha de telle sorte qu'il puisse reprendre sa vie politique et que nous puissions tous rentrer au Cambodge pour préparer l'élection de juillet. Nous demandons que toutes les accusations portées contre M. Sam Rainsy soient abandonnées et que tous les prisonniers politiques soient libérés. On devrait libérer également les environnementalistes et les défenseurs des droits de la personne qui sont aussi incarcérés.
    Nous voulons que le CNRP, le parti de l'opposition, soit immédiatement rétabli dans ses droits. Nous demandons que les citoyens cambodgiens soient, comme il se doit, mieux informés de leurs droits civiques et électoraux. Nous demandons que les instances de la société civile qui ont travaillé d'arrache-pied à l'application des principes de respect des droits de la personne au Cambodge soient de nouveau autorisées à s'acquitter de leur tâche. Nous réclamons que les médias indépendants puissent fonctionner de nouveau au moment où nous nous préparons à la tenue des élections.
(1320)
    Nous vous demandons plus particulièrement de dépêcher dès que possible au Cambodge une délégation de députés canadiens de telle sorte que vous puissiez juger par vous-mêmes de la situation des droits de la personne dans notre pays.
    Nous souhaiterions également que le gouvernement du Canada, l'un des signataires de l'Accord de paix de Paris, ne se contente pas de faire des déclarations, mais passe concrètement à l'action comme l'ont fait vos alliés, les États-Unis notamment. Ces actions prennent la forme de sanctions ciblées, en commençant par celles touchant les visas des hauts dirigeants du régime cambodgien. Nous demandons que votre Chambre des communes adopte une loi de type Magnitsky pour geler les actifs des dirigeants cambodgiens qui ont investi l'argent issu de la corruption au Canada ou ailleurs. Le Canada pourrait également appuyer les mesures prises par les États-Unis à ce titre. Nous réclamons, car cela est absolument nécessaire, que des sanctions économiques temporaires soient imposées. C'est seulement en exerçant des pressions de la sorte que la communauté internationale pourra se faire entendre de M. Hun Sen.
    Je suis persuadée que le Sous-comité prêtera une oreille attentive à ces faits que je lui expose aujourd'hui. Ces faits sont d'ailleurs déjà tous consignés dans des rapports des Nations unies, d'Amnistie internationale, de commissions des droits de la personne et de Global Witness.
    Nous vous demandons aussi d'agir rapidement. Nous continuons d'avoir bon espoir que le Canada, qui est à la fois signataire de l'Accord de paix de Paris et de la déclaration de la Commission des droits de l'homme des Nations unies de la semaine dernière, fera bon accueil à nos requêtes, comme il a toujours su bien accueillir nos réfugiés qui sont devenus des membres dynamiques de la société canadienne.
    Nous voulons pouvoir rentrer dans notre pays.
    Le Cambodge n'a pas perdu toutes ses chances. La démocratie peut encore revivre dans notre pays et les Cambodgiens méritent de vivre dans un environnement où les principes de paix et de démocratie sont vraiment respectés. Ils ont exprimé leur volonté en prenant le plus grand engagement qui soit au péril de leur propre vie. Ils n'ont presque rien à eux, mais veulent pouvoir demeurer sur leurs terres sans qu'on les force à les quitter. Ils veulent demeurer dans la forêt sans que celle-ci soit abattue. Ils veulent pouvoir s'exprimer sans qu'on les traite de rebelles ou de révolutionnaires. Nous ne sommes pas des traîtres. Nous n'avons commis aucun crime; nous défendons simplement le droit des Cambodgiens à vivre dans un pays démocratique.
    Je vous remercie de votre attention.
    Merci beaucoup, madame Sochua, pour cette déclaration très passionnée. Je tiens à nouveau à vous exprimer notre extrême gratitude pour avoir fait tout ce chemin depuis la Nouvelle-Zélande pour venir témoigner devant nous aujourd'hui. Nous vous en sommes vivement reconnaissants.
    Nous allons maintenant amorcer un premier tour de questions. Je crois que nous allons commencer avec M. Anderson.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui. Je suis ravi de pouvoir vous rencontrer et je vous suis reconnaissant pour le courage dont vous faites montre en venant discuter avec nous de ces questions.
    Vous nous avez adressé des requêtes assez précises. Quels sont nos alliés les plus actifs dans ce dossier? Si le Canada décide d'en faire une priorité, vers quelles nations déjà engagées devrions-nous nous tourner pour déterminer la façon dont nous pourrions appuyer les actions entreprises?
(1325)
    Nous avons noué d'excellentes relations avec des membres du Congrès américain lors des travaux de la Commission Tom Lantos des droits de la personne. En outre, les membres du Congrès viennent d'adopter une loi pour le gel des actifs. Nous avons également le soutien de différents pays de l'Union européenne, dont principalement la Suède, la France et l'Allemagne. C'est aussi le cas pour le Royaume-Uni. Nous espérons en outre que l'Indonésie, l'un des cofondateurs de la conférence pour la paix au Cambodge, ira au front au nom des pays de l'ANASE. Par ailleurs, le Japon a déjà exprimé son intention de jouer un rôle de négociateur pour favoriser le dialogue entre les parties au conflit.
    Croyez-vous que l'initiative du Japon sera couronnée de succès?
    Oui. Nous pensons que le Japon peut jouer un grand rôle et qu'il souhaite vraiment établir le contact avec le gouvernement cambodgien. Nous sommes d'avis que le Japon jouit d'un grand respect au Cambodge et dans toute la région à titre de représentant asiatique. Nous estimons qu'avec le Japon, les alliés en Europe et aux États-Unis, de même que le Canada et l'Australie, nous pourrons compter sur une voix forte et coordonnée de telle sorte que M. Hun Sen n'aura d'autre choix que d'entendre ce qu'il ne veut pas entendre, et de prendre bien conscience du fait qu'un gouvernement né d'élections qui ne sont pas libres et équitables ne sera pas considéré comme légitime et ne sera donc pas reconnu par un pays comme le Canada.
    Vous avez réclamé des sanctions ciblées pouvant toucher autant les visas que les actifs économiques. Je ne sais pas si vous pouvez nous confirmer que les dirigeants cambodgiens détiennent bel et bien des actifs ailleurs dans le monde. Est-ce que de telles sanctions pourraient être efficaces? Est-ce que ces dirigeants ont placé leurs actifs dans des endroits où une loi canadienne de type Magnitsky pourrait s'appliquer?
    Oui. Tant et aussi longtemps qu'on ne leur enverra pas un message très fort sous forme de sanctions touchant leurs visas ou encore leurs actifs, lesquels ont été acquis grâce à la corruption, ces hauts dirigeants vont continuer à faire fi de la loi. Si de telles mesures ne sont pas prises, ces gens-là vont continuer de détruire notre culture et de faire comme si les lois cambodgiennes ne s'appliquaient pas à eux, et ce, en toute impunité. De tels agissements rendent toute démocratie impossible au Cambodge.
    Nous avons jugé important de nous pencher sur la situation dans votre pays. Voilà maintenant que vous nous demandez qu'une délégation canadienne se rende au Cambodge. À quoi cela pourrait-il servir exactement? Pensez-vous qu'une délégation de représentants canadiens de haut niveau pourrait faire oeuvre utile, ou ne sommes-nous pas plus efficaces en discutant ici avec vous de ces questions?
    Disons d'abord et avant tout que des parlementaires canadiens pourraient ainsi converser directement avec leurs homologues cambodgiens et exercer des pressions sur eux.
    Vous pourriez alors leur poser vous-mêmes ces questions. Pourquoi occupent-ils des sièges qui ne leur appartiennent pas? Ils ne représentent pas le peuple cambodgien. Que font les députés au pouvoir pour régler les préoccupations des citoyens? Pourquoi tire-t-on sur des agriculteurs avant de leur confisquer leurs terres? Pourquoi des travailleurs qui réclament seulement un salaire équitable deviennent-ils la cible de tireurs? Pourquoi ne permet-on pas aux intervenants de la société civile de tenir des rencontres communautaires et d'offrir de la formation aux gens? Ce sont autant de questions qui doivent être posées directement.
    Votre délégation serait également source d'espoir pour la population du Cambodge qui verrait ainsi que le Canada se préoccupe de son sort.
(1330)
    Je vais bientôt manquer de temps, mais je veux revenir à votre commentaire suivant lequel on ne sévit pas seulement contre les chefs de l'opposition à l'échelon national, mais aussi contre des élus locaux. Je crois que la crise actuelle est en grande partie attribuable aux grands succès que vous avez remportés lors des élections municipales et au fait que le gouvernement s'est ainsi senti menacé.
    Pouvez-vous nous parler un peu de vos appuis? Qui soutient votre cause? Est-ce qu'il y a des jeunes qui sont très actifs au sein de votre mouvement? Qui sont ceux qui appuient l'opposition au Cambodge?
    Comme je l'ai indiqué, le parti de l'opposition a obtenu 44 % des votes, ce qui représente l'appui de plus de trois millions d'électeurs sur un total de quelque six millions en 2013 et en 2017.
    Les médias sociaux ont fait le suivi en direct de l'attaque à l'endroit de M. Kong Sophea et de son collègue député. Qui utilise les médias sociaux? Ce sont les jeunes. Il y a eu des reportages en direct. Toute la population a pu voir ce qui se passait et en a été horrifiée.
    Nous savons très bien que ces jeunes — dont bon nombre vivent dans la pauvreté en milieu rural — aussi bien que des intellectuels, des fonctionnaires, des gens d'affaires et un large éventail de citoyens cambodgiens veulent du changement. Nous croyons que plus de 34 années de pouvoir pour M. Hun Sen à titre de premier ministre, c'est bien suffisant, d'autant plus que le Cambodge est en train de perdre pendant ce temps ses terres et ses forêts.
    Comme je le soulignais tout à l'heure, il y a un climat d'impunité généralisée. Les tribunaux deviennent des outils politiques pour le parti au pouvoir. Les Cambodgiens veulent du changement. L'opposition voudrait bien reprendre sa place, mais... Nous représentons l'espoir. Depuis près de 30 ans, nous avons montré quelles valeurs nous sommes prêts à défendre. Pendant toutes ces années, nous n'avons eu d'autre choix que de nous battre pour la démocratie dans notre pays.
    J'ai une dernière question, monsieur le président.
    Je veux l'adresser à M. Abbott. Je constate que le jugement de la Cour suprême a été rendu sous la direction d'un juge qui fait partie du comité central du parti au pouvoir. Pourriez-vous nous parler brièvement des réformes qui s'imposent de telle sorte que le système judiciaire puisse fonctionner un peu mieux qu'actuellement?
    C'est une question très importante, car des sommes énormes ont été investies dans le développement du système judiciaire et du service des poursuites pénales depuis plusieurs décennies, en tout cas assurément depuis le début des années 1990.
    Bien que le système judiciaire soit encore affecté par des problèmes importants, il dispose certes de bien meilleures capacités qu'il y a 10, 15 ou 20 ans. Lors de mon séjour au Cambodge, j'ai eu le plaisir de rencontrer des juges de différents tribunaux. Bon nombre d'entre eux, surtout parmi les jeunes, sont déterminés à accomplir un excellent travail et comprennent bien ce que cet objectif exige de leur part en termes d'indépendance et d'impartialité.
    La situation est difficile du fait que le parti au pouvoir peut exercer une influence sur les causes faisant intervenir des considérations politiques. D'après ce que l'on indique, lorsqu'une affaire porte sur certains aspects politiques ou touche les intérêts des membres du parti au pouvoir, on n'hésite pas à entrer en contact avec les juges pour exercer sur eux des pressions afin que leur décision aille dans le sens voulu. En conséquence, des réformes systématiques s'imposent.
    Parmi les changements concrets qui pourraient être recommandés au gouvernement, il y a eu une réforme qui fait suite à des mesures prises il y a quelques années déjà. Je crois que c'est en 2014 que le gouvernement cambodgien a adopté trois lois aux fins d'une réforme qui a officiellement fait passer le système judiciaire et le service des poursuites pénales sous la responsabilité du ministère de la Justice, lequel fait partie de l'exécutif. Il n'y a donc plus séparation des pouvoirs au Cambodge, et ce, même dans la loi. Il convient donc d'abord et avant tout d'abroger ces trois lois de réforme judiciaire.
    Par ailleurs, il faut continuer à investir dans le système judiciaire et le service des poursuites pénales, surtout aux fins du développement de la nouvelle génération de juges et de procureurs de telle sorte que l'on en vienne, lentement mais sûrement, à une forme de leadership exercé de l'intérieur qui verra ces professionnels s'acquitter de leurs fonctions dans le respect des lois et des normes internationales régissant les droits de la personne.
(1335)
    Merci beaucoup, monsieur Abbott.
    Nous passons maintenant à M. Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup d'avoir bien voulu comparaître devant nous aujourd'hui.
    J'aimerais vous parler au départ d'un article publié il y a quelques mois à peine par la BBC. On y indique que la croissance économique rapide de la dernière décennie a transformé la capitale, mais laissé pour compte le reste du pays tout en enrichissant de manière tout à fait outrageante Hun Sen et ses proches collaborateurs.
    La corruption fait partie des caractéristiques de tout État autoritaire, mais j'aimerais comprendre exactement comment elle se manifeste au Cambodge et la mesure dans laquelle elle contribue à l'emprise que semble exercer Hun Sen sur ce pays depuis 1985.
    Le rapport de Global Witness révèle tous les noms des entreprises appartenant aux enfants et à l'épouse de M. Hun Sen. Il indique également que les activités illégales de coupe de bois coûtent des milliards de dollars par année au Cambodge. C'est de la corruption pure et simple aux plus hauts échelons.
    Aux niveaux inférieurs, les membres du parti au pouvoir, des instances provinciales jusqu'aux autorités locales, peuvent compter sur la protection du parti pour se livrer à la corruption en toute impunité. C'est vraiment généralisé.
    Cet argent pris dans les coffres de l'État appartient à la population cambodgienne. Quand ces fonds ne se retrouvent pas dans le budget national, qui en souffre? Le système de santé est l'une des victimes. Nos enfants ne dépassent pas la sixième année. La moitié d'entre eux ont décroché avant cela. Les enseignants sont mal payés en raison des restrictions imposées dans le système d'éducation, surtout pour les Autochtones et les collectivités pauvres en milieu rural.
    Il est bien connu que les services de santé sont limités, au point d'en être à un stade quasi primitif dans certaines régions. Jour après jour, des femmes meurent en accouchant parce qu'elles ne sont même pas capables de payer le droit de 5 $. Les sommes nécessaires qui devraient être prévues dans le budget national se retrouvent ailleurs. Elles sont dans les poches des riches, des hauts dirigeants de M. Hun Sen.
    Madame Sochua, vous avez abordé différents éléments très importants, mais je ne sais pas si vous pourriez nous en dire plus long au sujet des institutions chargées de faire respecter l'ordre public. J'aimerais également savoir ce qu'en pense notre représentant de la Commission internationale de juristes.
    Vous nous avez brossé un tableau général de la situation au Cambodge qui montre que Hun Sen arrive à se maintenir au pouvoir en récompensant ses acolytes politiques, comme n'hésite pas à le faire n'importe quel autre dictateur, peu importe la région du monde.
    Dans le cas des services de police, des forces militaires et de l'appareil judiciaire, je crois que vous essayez de nous faire comprendre que les gens en place risquent d'encaisser de lourdes pertes le jour où Hun Sen ne sera plus au pouvoir, car ils sont nombreux à être très avantagés par sa présence aux commandes de l'État.
    Je vois que vous hochez la tête en signe d'assentiment, mais pourriez-vous nous donner de plus amples détails sur la façon dont tout cela se manifeste au sein des institutions chargées de faire régner l'ordre public — les forces militaires, la police et les tribunaux?
    Je poserai ensuite la même question au représentant de la Commission internationale de juristes.
(1340)
    On utilise tous les paliers du système judiciaire, des tribunaux de première instance jusqu'à la Cour suprême en passant par les cours d'appel. Les juges de ces tribunaux sont membres du parti au pouvoir. Je n'ai pas besoin d'en dire davantage pour que vous compreniez quel genre de système judiciaire nous avons. Ce n'est pas autorisé dans un pays démocratique, et cela ne permet pas à nos citoyens d'obtenir justice.
    Nous sommes ici aujourd'hui en raison du jugement rendu par la Cour suprême. J'ai été incarcérée parce que je défendais la liberté d'expression.
    Les Cambodgiens sont désormais très nombreux à craindre les tribunaux et les juges parce qu'ils savent qu'ils n'ont pas les moyens de payer. Si vous n'avez pas d'argent, vous ne pouvez pas obtenir justice. Même ceux qui ont de l'argent sont lésés s'ils ne jouissent pas de la protection du parti au pouvoir, et ce, même s'ils n'ont commis aucun crime. Si un fonctionnaire veut une promotion, il doit être prêt à payer ce qu'il faut. S'il se retrouve devant le tribunal, il n'aura pas non plus gain de cause.
    Je n'ai plus beaucoup de temps. Je demande donc à M. Abbott de formuler des observations sur les institutions d'ordre public et la place de la corruption dans ce secteur. Comme vous êtes juriste de formation, n'hésitez pas à creuser.
    Je pense que cela a présenté un défi énorme à tous ceux qui ont été en rapport avec ces institutions judiciaires cambodgiennes, où se trouvent les points d'entrée. Je pense qu'il est juste de dire que c'est aussi simple que vous l'avez décrit. On le voit ailleurs, où la loyauté va d'abord au parti, puis à l'institution.
    Il faut s'attaquer là au problème, pour provoquer des changements réels, mais comme je l'ai dit, nous y percevons parfois la nécessité de nouer des liens étroits avec le personnel de ces institutions pour l'encourager à concrétiser ces changements grâce à ses propres qualités de leadership. J'ai distingué différents acteurs du système judiciaire cambodgien, par exemple, ainsi que des enquêteurs désireux de faire leur travail conformément à leur éthique professionnelle, mais il faudra de la patience.
    Ensuite, je pense qu'il faut aussi une forte présence dans tous les tribunaux, par exemple. Il faut qu'on voie que justice est faite aussi, et je pense que, dans de nombreux pays où des procès ont lieu à huis clos, ils peuvent parfois avoir tendance à être injustes. De temps à autre, des diplomates et la société civile observent les procès qui ont lieu au Cambodge, et c'est important. Il faut que ça continue et que des rapports soient rédigés pour faire connaître les lacunes du système judiciaire, pour que le public les connaisse et qu'on les comble.
    C'est un défi à long terme, et, tant qu'on ne s'attaquera pas à des problèmes plus endémiques comme la corruption et l'ingérence politique dans le système judiciaire, il sera difficile de provoquer des changements dignes de ce nom chez les acteurs du système judiciaire, mais il ne faut pas que ce projet s'étale sur 10 à 50 ans.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup. La parole est maintenant à M. Masse.
    Merci, monsieur le président. Je l'apprécie.
    Merci d'être ici et merci à vous, également, monsieur Abbott.
    Un aspect intéressant de la situation, comme ailleurs dans le monde, est la relève dans la famille régnante. C'est essentiellement le cas ici. Comme vous, beaucoup de témoins ont évoqué les coupes forestières, mais je me demande si la famille y trempe. La contrebande d'héroïne pourrait faire partie des activités commerciales. Ajoutons l'accaparement de terres. A-t-on le sentiment que la famille prépare la relève pour placer à la tête de l'État un membre de la classe dirigeante, après le renvoi de Hun Sen?
    À notre connaissance, M. Hun Sen n'a pas préparé de relève. Il veut rester au pouvoir encore 10 ans. Mais les Cambodgiens ne lui accorderont pas d'autre mandat, s'ils ont la liberté de choisir leur dirigeant. Nous en sommes certains.
(1345)
    Vous avez dit qu'ils trempent dans l'exploitation forestière illégale. Je suppose que la question est particulièrement importante, non seulement à cause de l'immense richesse dont on prive la population, mais aussi en raison des modifications topographiques survenant après une exploitation forestière bâclée. Cela pourrait compromettre considérablement l'avenir du Cambodge. Beaucoup de pays souffrent actuellement des pratiques d'exploitation forestière du passé qui ont fini par dégrader leur écologie et leur agriculture et laissé un héritage encombrant.
    Quelle est l'importance actuelle de l'exploitation des forêts? Continue-t-elle de s'aggraver ou poursuit-elle ses ravages au même rythme? Vous en reste-t-il le tiers? Avez-vous un échéancier pour revenir à la moitié?
    Elle se poursuit tous les jours, sous les yeux des agents de la force publique censés protéger nos forêts. Malgré l'excellence de certains de ces agents et des écologistes et des organisations internationales actuellement présentes au Cambodge, aucun d'entre eux ne peut s'opposer ou faire son travail quand le ministère de la Défense en est lui-même l'instigateur. La famille du premier ministre et ces gros affairistes sont les instigateurs de cette exploitation forestière illégale et massive et des barrages qu'on construit aujourd'hui au Cambodge, au nom de la mise en valeur entreprise pour les Cambodgiens, mais, en fait, c'est eux qui pratiquent les coupes illégales. Les grandes plantations les pratiquent à la faveur des politiques de l'État, qui sont des concessions économiques de terres. Des millions d'hectares sont touchés, et 85 % de notre population est rurale et pauvre. Nos agriculteurs ont perdu leurs terres. Plus de deux millions de travailleurs migrants cambodgiens ont été chassés de leurs terres. Ils sont tellement endettés qu'ils doivent s'expatrier en Thaïlande et dans d'autres pays de la région, comme manoeuvres. Ils sont deux millions.
    Vous avez évoqué comme moyen potentiel de pression les actions d'autres pays, notamment du Congrès américain. Je suis l'un des vice-présidents de l'Association interparlementaire Canada-États-Unis, et je sais que l'action du Congrès est parfois plutôt autoritaire, ce qui favorise certains changements.
    Ici, la situation est un peu différente. Vous proposez de faire cesser les visites de diplomates. Dans le passé, notre pays a notamment établi des liens d'affaires entre nos sociétés de la Couronne et les organismes de l'État. Peut-être que ce pourrait être une façon de nous désengager. Je sais que, plus récemment encore, le Canada a été critiqué pour avoir prêté de l'argent d'Exportation et développement Canada (EDC) aux frères Gupta, pour qu'ils se procurent un jet privé de luxe. En ce moment même, je remarque que le Service des délégués commerciaux du Canada promeut activement la « découverte des surprises du Cambodge » et qu'il réserve un bon accueil aux investissements passant par des relations canadiennes.
    Par exemple, supposons que nous puissions faire reculer un bureau de la commission commerciale canadienne ouvert au début de 2015, qui fait actuellement l'objet d'une promotion active ou que, au moins, nous évoquions la possibilité de le fermer ou de le mettre en état de suspension temporaire. Est-ce que cela aiderait à concilier les messages du gouvernement canadien et de nos sociétés d'État dans le domaine politique préoccupant et la conduite, sur le terrain, de nos ministères?
    Exactement. Voilà pourquoi nous demandons un effort coordonné pour envoyer un message bien senti à M. Hun Sen. Ces sanctions, ces pressions découlent de sanctions diplomatiques et économiques et, particulièrement des témoignages d'éventuels inventeurs étrangers et investisseurs canadiens qui, après avoir visité le Cambodge, diront très explicitement que votre argent n'y est pas en sécurité. Vous contribuez à une catastrophe, à la mort du Cambodge sur le plan démocratique. Il n'est pas éthique de brasser des affaires dans un pays où les droits de la personne... où les travailleurs qui fabriquent vos vêtements vivent dans une grande misère, sous un régime de lois abusives qui interdisent la liberté syndicale. Si vous faites partie de cette industrie, sortez du pays.
(1350)
    C'est intéressant, parce que l'annonce affichée par le Service des délégués commerciaux du Canada, sur le site du gouvernement du Canada, présente une image très différente sur les investissements au Cambodge. C'est peut-être l'une des premières choses qu'on pourra examiner.
    Ai-je le temps, monsieur le président, de poser une petite question?
    Petite.
    Monsieur Abbott, d'après vous, le Japon joue-t-il, dans ce processus, le rôle déterminant ou susceptible de l'être de négociateur? Le considéreriez-vous comme viable?
    Oui, je pense que le Japon est déjà perçu comme un joueur régional très important et au Cambodge aussi. On a notamment omis de mentionner, mais elle fait partie d'une dynamique importante, l'autorité croissante de la Chine dans l'Asie du Sud-Est, actuellement, particulièrement au Cambodge et au Vietnam. Plus simplement, des analystes disent que cette dynamique est importante pour le Japon, qui la surveille de près.
    Cependant, le Japon, à mon avis, ne s'est pas encore montré à la hauteur de la situation, en n'adoptant pas une position forte de principe sur la situation au Cambodge. Par exemple, quand l'Union européenne et les États-Unis ont retiré leur appui aux élections à venir, il ne les a pas imitées. À la dernière séance du Conseil des droits de l'homme, il y a quelques jours, le Japon a parrainé une résolution avec beaucoup d'autres États, mais peut-être sans y mettre toute la force qu'il aurait pu.
    Voilà en partie pourquoi est survenu ce à quoi Mme Mu Sochua a fait allusion, une déclaration commune publiée à ce Conseil, il y a à peine quelques jours, par 45 États dirigés, cette fois, par la Nouvelle-Zélande. La déclaration n'égale pas la résolution, mais, émanant de 45 États, elle est en fait beaucoup plus forte. Il est digne de mention que le Japon et aucun des autres États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, l'ANASE, n'en soient des signataires. Je pense qu'il faut aussi exercer plus de pression à la tête, non seulement du Japon, mais aussi de l'ANASE, où on peut aussi vouloir faire contrepoids à une Chine qui s'affime davantage, comme nous le voyons, en partie à cause de l'influence déclinante, sous certains rapports, de l'Europe, des États-Unis et d'autres puissances de l'Asie du Sud-Est.
    Pour répondre à la question antérieure, si vous cherchiez d'éventuels alliés pour un tel projet d'initiative, voyez seulement la liste des 45 signataires, eux tous, de cette déclaration faite il y a quelques jours au Conseil des droits de l'homme.
    Merci beaucoup, monsieur Abbott.
    Soyez le bienvenu à notre sous-comité, monsieur Masse. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous.
    La parole est maintenant à Mme Khalid. Ensuite, ce sera M. Tabbara puis M. Sweet, le dernier.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être ici et d'avoir témoigné sur cette question importante.
    Madame Sochua, vous avez effleuré les moyens que le Canada peut employer pour aider à dénouer la situation. Vous avez mentionné l'éventuel envoi d'une délégation au Cambodge, mais quelles autres mesures croyez-vous que le Canada peut prendre pour vraiment aider la démocratie à prospérer au Cambodge?
    Le Canada peut faire comme d'autres pays qui ont déjà appliqué des sanctions ciblées, par exemple aux visas des dirigeants du gouvernement du Cambodge. Ces personnes visitent le Canada. Nous en sommes absolument certains. C'est symbolique. Cela lance à M. Hun Sen le message bien senti, encore une fois, qu'il n'a pas la voie libre, à moins de prouver son intention de soutenir, comme le fait le Canada, le principe de démocratie. Voilà un premier moyen.
    Le deuxième, encore une fois, s'il faut y recourir, sont les sanctions économiques. Nous n'y tenons pas particulièrement, mais s'il le faut, eh bien soit! M. Hun Sen ne sera sensible qu'à l'adoption, par le Canada, de mesures très rigoureuses, strictes et immédiates, parce que nous ne disposons que de quatre mois pour agir. En fait, les joueurs qui veulent contester les prochaines élections doivent s'adresser d'ici la fin avril, au comité national des élections. En fait, ce n'est pas quatre mois, mais quatre semaines.
    Cela ne veut pourtant pas dire qu'il est trop tard. S'il existe une volonté politique, une solution politique, nous pouvons la trouver. Les élections peuvent être différées. En fin de compte, les Cambodgiens ont besoin de la liberté de voter le jour des élections pour le parti de leur choix. Cela signifie des élections libres et honnêtes, et, tout à fait comme tout autre gouvernement, le Canada ne peut pas seulement se montrer ambigu: d'une part condamner ce qui se passe au Cambodge; d'autre part; brasser des affaires avec le Cambodge. On donne ainsi à M. Hun Sen le droit de profiter sans mal de la situation. Cela doit cesser.
(1355)
    Merci.
    Je cède le reste de mon temps à M. Tabbara.
    Merci. Je serai bref, parce que je dispose de peu de temps.
    L'opposition a préconisé de prolonger la durée des élections, pour peut-être les repousser à l'automne, peut-être à la fin septembre ou en octobre. M. Sen a refusé.
    Au Cambodge, a-t-on exercé des pressions pour prolonger ces élections?
    En ce moment, M. Hun Sen est déterminé à les fixer au 29 juillet 2018. Il l'a répété avant-hier et aujourd'hui, parce qu'il négocie, en fait, avec la communauté internationale. C'est sa tactique. C'est un excellent négociateur.
    Cependant, la communauté internationale, ce qui comprend le Canada, doit dire à M. Hun Sen qu'elle forme un groupe de 45 pays; que, malgré peut-être la Chine aux côtés de M. Hun Sen, elle accompagne les Cambodgiens vers la démocratie. S'il tient à disputer les élections le 29 juillet 2018, il le fera, mais les 45 pays et d'autres devraient le prévenir, dès maintenant, qu'ils ne reconnaîtront pas le prochain gouvernement qu'il dirigera, s'il remporte ce genre d'élections à cause de la non-participation du Parti du sauvetage national du Cambodge, le PSNC, de l'opposition.
    Nous ne voulons pas d'un gouvernement illégitime. Nous le voulons légitime. Nous voulons la démocratie et nous voulons recommencer, pour remettre le Cambodge sur les rails. Nous n'avons pas de temps à perdre.
    Si M. Hun Sen continue de pousser le Cambodge sur la pente d'une dégradation plus grande des droits de la personne, le perdant, en fin de compte, sera le peuple du Cambodge. Il a assez souffert et nous voulons du changement. Voilà ce que la communauté internationale doit dire à M. Hun Sen. Lui enjoindre d'accompagner les Cambodgiens qui tiennent au changement, mais à la faveur d'élections libres et honnêtes, sans violence.
(1400)
    Merci.
    Nous avons le temps pour une petite question de M. Sweet, avant de conclure.
    Merci monsieur le président. Je serai aussi bref que possible.
    Nous avons parlé du système judiciaire et de l'application des lois, de la machine politique présente là-bas. Je suppose que les médias non plus ne sont pas libres, et qu'on les a soumis aussi à des pressions.
    L'une des questions qui me vient sans cesse à l'esprit est que le Cambodge a traversé tellement d'épreuves, par exemple le génocide cambodgien. Les procès se sont terminés il y a quelques années seulement. Tous ont le souvenir frais des Khmers rouges reconnus coupables de crimes contre l'humanité.
    Le peuple marche-t-il dans les rues contre Hun Sen? Un soulèvement visible a-t-il lieu dans la société civile cambodgienne, pour que l'administration en poste sache à quoi s'en tenir?
    Les droits et libertés civils au Cambodge sont absolument morts. Toute protestation sera écrasée par ce que M. Hun Sen appelle sa « troisième main », c'est-à-dire la milice, c'est-à-dire encore des mercenaires embauchés pour assurer sa sécurité. Nous avons subi tellement d'épreuves.
    Si on peut s'en prendre à un député, devant le Parlement, on est capable de tout. Je dois ajouter que les gardes du corps de Hun Sen ont écopé d'une peine de prison très courte, après quoi on les a promus dans les forces de sécurité.
    Notre peuple veut protester, mais il attend le signal de l'opposition, du PSNC. Nous ne voulons pas protester seulement pour le plaisir de le faire. Nous voulons des résolutions pacifiques. Finalement, il se peut que nous ne puissions pas demander au peuple d'attendre. Le peuple descendra dans la rue. Ce sera le chaos, un chaos que le Cambodge ne peut pas s'offrir.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier Mme Mu Sochua et MM. Abbott et Kong Sophea d'être venus témoigner ainsi que tous les autres membres de la communauté qui sont venus nous entendre à Toronto, à Montréal et ailleurs.
    Une voix: À London.
    Le président: Et à London, comme mon collègue le fait remarquer.
    Nous avons été très touchés par ce témoignage très important. Je tiens à vous remercier tous, particulièrement vous, madame Sochua, qui avez pris l'avion en Nouvelle-Zélande pour l'occasion. Nous en sommes particulièrement reconnaissants, et les membres du Comité n'y seront certainement pas indifférents dans la suite des choses.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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