SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 15 novembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, tout le monde, et bienvenue au Sous-comité des droits internationaux de la personne.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Romano. M. Romano est un professeur canadien à la Missouri State University qui est spécialiste du Moyen-Orient, et plus particulièrement de l'Irak, de la communauté kurde ainsi que de la violence politique, ce qui comprend l'Islam politisé.
Monsieur Romano, je sais que vous appelez aujourd'hui à partir de l'Irak, alors je tiens à vous remercier de prendre le temps de vous joindre à nous. Je vais vous demander de faire une déclaration liminaire d'environ 10 minutes. Ensuite, nous céderons la parole aux membres du Comité pour vous poser des questions.
On vous écoute, monsieur Romano.
Il me faudra probablement moins de 10 minutes pour vous présenter les remarques que j'ai préparées. Comme j'ignore ce que le Comité sait sur divers sujets, je voulais vous laisser un peu de temps pour les questions.
C'est très bien; ce sera parfait. Après les remarques que vous ferez, nous utiliserons le reste du temps pour les questions.
Bien.
Il y a quatre points que le Comité ignore peut-être.
Le premier est que la campagne actuelle visant à libérer Mossoul de l'emprise de Daech jusqu'à présent semble réussir beaucoup mieux à éviter les pertes civiles que les offensives dans des villes comme Ramadi, Falloujah, Sinjar, notamment. Pour une opération de cette nature, il est remarquable qu'on ait réussi à éviter autant de pertes civiles. Je pense que c'est en partie parce que nous avons refusé l'entrée des milices chiites dans certaines régions. Nous verrons si cela changera avec le temps.
Le deuxième point a trait aux cantons syriens kurdes dirigés par le Parti de l'union démocratique que les kurdes appellent Rojava. Je pense que nous devons avoir une idée de la façon dont ils fonctionnent. Ces cantons fonctionnent très bien avec les diverses ethnies, les groupes religieux et les femmes. Ils sont de loin les plus tolérants et libéraux et ils acceptent tous ces groupes et les protègent, ce qui comprend les Arabes sunnites laïcs qui fuient d'autres régions de la Syrie.
Les sujets pour lesquels ils sont moins tolérants et où ils sont plus répressifs sont ceux qui mettent en cause des partis politiques et des groupes qui s'opposent; ils ont très peu de tolérance à l'égard des autres groupes politiques qui mènent des activités dans les régions qu'ils contrôlent.
Nous avons des rapports sur la situation des droits de la personne dans leurs régions qui remontent à un an et demi et qui ont été rédigés par Human Rights Watch, par exemple, dans lesquels on dénonce la destruction systématique de maisons appartenant à des Arabes sunnites dans des villages et des villes libérés par le groupe État islamique. Ils ont répondu à ces rapports et ont nié vigoureusement ces allégations. Je ne suis pas certain si la vérité se trouve quelque part à mi-chemin, mais je signale que nous avons ces rapports car ils invitent les observateurs chargés de veiller au respect des droits de la personne à se rendre dans les régions qu'ils surveillent, ce qui font de ces régions des endroits meilleurs que d'autres régions de la Syrie, où les observateurs ne peuvent pas se rendre.
Le troisième point porte sur les yézidis. Il y a eu un changement au sein de la communauté yézidie depuis que Daech a attaqué ses villes et ses villages, ce qui a forcé un grand nombre de ses membres à devenir des personnes déplacées et des réfugiés. La communauté ostracisait les femmes qui avaient été violées. Elles étaient chassées de leur communauté yézidie. La situation a changé à cet égard. L'État islamique a fait tant de victimes que les pirs yézidis — les aînés — et d'autres membres de la communauté ont changé leur approche au problème, et ils n'ostracisent plus les femmes.
Le quatrième et dernier point a trait à la crise financière dans la région du Kurdistan de l'Irak. La combinaison de la chute des cours du pétrole, des réductions budgétaires de Bagdad, de la guerre contre Daech et de l'influx de personnes déplacées et de réfugiés a vraiment rendu la situation difficile.
Je vis dans une communauté de maisons normales qui compte majoritairement des réfugiés de Mossoul et de Bagdad et qui est située un peu à l'extérieur d'Erbil. Ce n'est pas un camp; ce sont toutes des personnes déplacées. En me rendant à Erbil tous les jours, je passe près de camps de personnes déplacées tels que celui de Baharka. Ils sont remplis à craquer. Près de 40 % de la population dans la région du Kurdistan d'Irak sont des personnes déplacées ou des réfugiés, ce qui fait de la région celle qui compte la population la plus élevée de réfugiés et de personnes déplacées par habitant dans le monde, et elle n'a pas l'argent qu'il faut pour répondre adéquatement à leurs besoins.
Je vais m'arrêter ici.
[Français]
Si vous voulez me poser vos questions en français, je vous invite à le faire et je vais y répondre si j'estime être en mesure de formuler mes réponses dans cette langue.
[Traduction]
Je vous demanderais de préciser la période, le lieu en Irak — la région du Kurdistan irakien ou la région de l'Irak que contrôle Bagdad —, le lieu en Syrie — la région que contrôle l'EIIS ou l'Armée syrienne libre ou la région du Kurdistan syrien —, et le groupe auxquels vous faites référence dans vos questions pour m'assurer de bien vous comprendre.
Merci beaucoup, monsieur Romano.
Nous avons eu quelques problèmes techniques avec la ligne, mais je crois que nous avons pleinement compris l'essence de votre exposé.
Passons maintenant aux séries de questions.
Le premier intervenant est M. Anderson.
Merci, monsieur, de témoigner devant le Comité aujourd'hui.
J'ai plusieurs questions. Nous suivons certainement avec intérêt ce sujet au Sous-comité depuis un bon moment.
Vers la fin de votre exposé, vous avez parlé des communautés déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Pouvez-vous nous dire si des communautés ont été en mesure de rentrer au bercail? En particulier, les yézidis et les chrétiens syriens pourront-ils le faire un jour?
Certains yézidis et chrétiens ont commencé à rentrer chez eux. Cela a même débuté avant l'offensive sur Mossoul, lorsque certains secteurs ont été libérés autour de Sinjar.
Le problème, c'est que bon nombre de régions dans lesquelles ils retournent ont vraiment été dévastées par le conflit. Ce sera un défi de longue haleine de rebâtir ces communautés en vue de leur permettre de fonctionner sur le plan économique, ce qui permettra à d'autres personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays de rentrer à la maison. Le problème quant à leur retour à long terme dans ces régions est qu'il faut notamment déterminer à quel point la menace d'une insurrection de l'EIIS est probable après la libération du territoire que ces communautés contrôlent traditionnellement.
Savez-vous comment cela bouleversera les données démographiques, en particulier dans ce secteur? Je crois comprendre que les yézidis se trouvent dans deux principales régions, mais il y en avait aussi dans la région où se trouvaient les chrétiens syriens avant le conflit.
Je crois encore une fois que cela dépend du nombre de personnes qui retourneront dans ces régions. Leur [difficultés techniques] n'a pas encore déterminé si la plaine de Ninive sera une région autonome. C'est majoritairement la région d'où proviennent les chrétiens irakiens et où le pouvoir yézidi sera. Les groupes kurdes affiliés au PKK mettent tout en oeuvre pour avoir une présence dans la communauté yézidie et ont formé leurs propres milices.
Il y a encore beaucoup d'importantes questions politiques en suspens, et cela peut influer sur la décision des gens d'y retourner ou pas et avoir des conséquences sur les données démographiques dans deux ans.
Nous avons discuté avec certains yézidis à divers moments au cours du conflit, et il semble y avoir un certain manque de confiance qui persiste, parce que les Kurdes n'ont pas réussi à les protéger lors des premières attaques, pour ainsi dire. Certains en sont encore mécontents. Ils ont parlé d'établir une zone sécuritaire dans la région pour les yézidis dans la plaine de Ninive.
Avez-vous des commentaires à ce sujet? Ils parlent notamment de supervision internationale. Qu'en pensez-vous?
Même avant 2014 et avant l'arrivée de Daech ou de l'EIIS, la communauté yézidie était un peu divisée. Certains segments de la communauté étaient plus proches de Bagdad et ont même reçu des fonds du gouvernement de Nouri al-Maliki. Il y avait aussi des segments de la communauté yézidie qui étaient proche du gouvernement régional du Kurdistan et qui ont reçu des fonds d'Erbil. Lorsque l'EIIS a attaqué la région, bon nombre de yézidis, comme vous l'avez mentionné, ont échafaudé une sorte de théorie du complot, à savoir que les peshmergas les avaient intentionnellement abandonnés à leur sort pour attirer la sympathie et le soutien de la communauté internationale dans la lutte contre l'EIIS ou pour d'autres raisons.
Je ne crois pas que c'est vrai, mais c'est la perception qui compte parmi les yézidis. Il y a un manque de confiance, et les yézidis préféraient que la communauté internationale leur promette de les protéger contre tout groupe qui les menace à l'avenir. Lors de l'insurrection d'Al-Qaïda en Irak de 2004 à 2008, les yézidis, ainsi que les chrétiens, ont été pris pour cible de toutes parts. Cette communauté ne se sent pas en sécurité depuis un bon moment déjà.
Lorsque l'EIIS aura été repoussé en dehors de la région, quelle forme, selon vous, la structure de gouvernement est-elle la plus susceptible de prendre? Le PKK détiendra-t-il le pouvoir principal? À quoi vous attendez-vous?
Ce sera un problème si le PKK ne retire pas au moins ses combattants armés. Le PDK de Massoud Barzani et le PKK sont à couteaux tirés sur le plan politique.
À court terme, je crois que les parties concernées n'ont pas de plan. J'ai moi-même demandé à des ministres irakiens il y a quelques semaines de tout simplement accorder un peu plus de pouvoirs aux communautés, comme dans le cas de la constitution de 2005 et de la loi sur les provinces de 2008. Ces mesures permettent de les laisser administrer leurs propres affaires jusqu'à ce que les intervenants concluent des ententes à long terme concernant une possible autonomie, la création d'autres régions, etc. Actuellement, il semble y avoir un remarquable manque d'organisation et de réflexion relativement à la forme que prendront les nouveaux régimes politiques. Cela m'inquiète énormément.
Comment les structures de gouvernement local qui seront mises en place influeront-elles sur le conflit entre la Turquie et les Kurdes?
La Turquie parle beaucoup de l'envoi de troupes jusqu'à Mossoul et à Sinjar. Ce sont des fanfaronnades pures et simples, mais nous ne pouvons pas en dire autant en Syrie. La Turquie s'en emparera peut-être, et ses forces alliées de l'Armée syrienne libre s'empareront peut-être bientôt d'al-Bab. C'est moins complexe. Je ne m'attends pas à ce que les incursions turques en Irak soient de grande envergure. Je m'inquiète davantage de la Turquie en Syrie.
Vous avez parlé de la surveillance des droits de la personne. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Il ne me reste plus beaucoup de temps. Quelle est la situation? La communauté internationale peut-elle en faire davantage pour s'assurer de consigner ou d'empêcher les violations des droits de la personne?
Je crois qu'il y a déjà bon nombre de forces internationales qui collaborent avec les peshmergas kurdes pour avoir une plus grande présence, former les combattants, observer ce qui se passe et obtenir l'accord du gouvernement régional du Kurdistan. Il y a toujours Bagdad, soit un endroit où ils sont présents.
L'armée américaine a des équipes dans son centre d'opérations civilo-militaires. J'ai oublié l'équivalent canadien, mais ce sont des unités militaires qui veillent aux relations entre les civils et les militaires. Si nous intégrons les forces spéciales et le reste, je présume que nous pouvons aussi intégrer certains membres de ces équipes pour tout simplement surveiller la situation et peut-être intervenir avant même que surviennent des violations.
Merci, monsieur Romano, de vos commentaires. Merci de contribuer à nos travaux.
Nous examinons l'instabilité en Syrie et en Irak et certaines violations commises contre divers groupes minoritaires. Comment pouvons-nous nous assurer d'avoir un gouvernement stable qui protège ces droits après la fin d'un conflit? Comment pouvons-nous nous assurer d'avoir un État pluraliste d'après-guerre ou un gouvernement inclusif qui regroupe différentes populations et différentes opinions politiques non violentes? J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Oh, c'est une question difficile. C'est la grande question.
En ce moment, nous courons le risque que les communautés qui rentrent au bercail et qui ont été expulsées par Daech cherchent à se venger et à régler leur compte en particulier avec les communautés arabes sunnites qui ont collaboré avec Daech. Je ne suis pas certain que nous pouvons tout bonnement prôner la réconciliation pour empêcher cela, parce que les grandes communautés réclament que justice soit rendue et que les personnes qui ont commis des crimes contre elles soient punies. Nous devons rassurer la communauté arabe sunnite que la primauté du droit sera respectée et que le processus ne reposera pas seulement sur la vengeance. C'est difficile de trouver un juste équilibre.
Je peux seulement vous donner une réponse générale. Il faut regrouper des membres raisonnables de chaque communauté touchée, les laisser s'exprimer sur les manières de répondre à chacune de leurs préoccupations et nous en servir pour élaborer un processus qui fera la promotion de la justice, de la réconciliation et de la primauté du droit dans les territoires libérés. C'est un défi de taille.
Merci de votre réponse.
Dans la même veine, un modèle axé sur le partage des pouvoirs, comme en Belgique et en Suisse, serait-il utile? Cela causerait-il plus de divisions, comme dans le système politique libanais?
Je crois qu'un modèle axé sur le partage des pouvoirs est la seule solution pour aller de l'avant. Bien entendu, dans les exemples que vous avez mentionnés, cela paralyse parfois le gouvernement, comme à Chypre, ou des guerres civiles éclatent, comme au Liban. Le gros problème ici est l'absence de partage des pouvoirs et un manque de confiance entre les communautés, et le groupe qui détient le gouvernement central ne fait pas confiance aux autres et cherche à accumuler et à consolider tous les pouvoirs entre ses mains.
Si nous réussissons, sur les plans administratif et financier, à faire adopter une forte décentralisation et un grand partage des pouvoirs, je crois que cela contribuerait grandement à prévenir de futurs conflits. Je crois que les accords de Dayton concernant la Bosnie sont une belle réussite méconnue. Ce n'est pas parfait. Il reste encore beaucoup de problèmes à régler. Je me suis rendu depuis en Bosnie à quelques reprises. Ce que j'entends, c'est que personne n'en est très satisfait, mais que tout le monde en est suffisamment satisfait pour arrêter de se tirer les uns sur les autres.
Votre modèle axé sur le partage des pouvoirs fonctionnera peut-être à court terme, comme vous l'avez mentionné dans vos exemples. Cependant, croyez-vous que ce type de gouvernement pourrait être durable à long terme?
Chaque système gouvernemental doit offrir divers moyens pour apporter des modifications en fonction des préférences des personnes au pouvoir. À plus long terme, si les diverses communautés se font de nouveau confiance, elles pourraient tout à fait vouloir modifier le modèle de gouvernement, et l'Irak pourrait bien fonctionner à long terme. En toute honnêteté, les gens avec lesquels je parle ici sont souvent pessimistes en la matière. Les Kurdes souhaitent honnêtement se séparer de l'Irak; leur idée est faite. Ils sont seulement en désaccord sur le bon moment pour le faire. Le système qui sera adopté devra peut-être inclure des mécanismes pour y apporter des changements par des moyens pacifiques.
Je vous pose des questions concernant le modèle axé sur le partage des pouvoirs, parce que je m'inquiète qu'il y ait des clivages tribaux ou religieux. Cette situation donnera peut-être naissance à un système dans lequel, si c'est une réelle démocratie avec le droit de vote, les citoyens voteront tout simplement en fonction de leur religion ou de leur tribu, mais ils ne chercheront pas nécessairement à voter en fonction d'une grande idéologie et du parti qui proposera un programme pour améliorer le pays.
C'est ce qui se passe sur la scène nationale, et cela pose un risque énorme dans une région ou un gouvernorat si des pouvoirs sont délégués et partagés. Des tribus concurrentes dans le gouvernement de Ninive, par exemple, pourraient ne pas respecter le principe du partage des pouvoirs au sein de ce gouvernorat, et les mêmes problèmes se reproduisent à un niveau plus bas. C'est un risque réel.
Si de bons dirigeants se présentent et convainquent les personnes de fonder leur vote sur autre chose que des intérêts sectaires étroits, je crois que c'est ainsi que nous avons souvent réussi par le passé à écarter ce risque. Toutefois, rien ne garantit que cela se produise.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup, monsieur Romano, de vos commentaires. J'aimerais mettre l'accent sur des solutions diplomatiques et humanitaires à la situation qui prévaut plutôt que des solutions militaires.
Nous avons entendu des témoins de certains organismes. Nous avons entendu le témoignage d'un membre des Casques blancs. Nous avons également entendu la Coalition nationale de l'opposition syrienne. J'aimerais vous entendre au sujet de ce que vous voyez. À quel point serait-il utile pour nous d'être plus sévères dans la mise en place de solutions? Y a-t-il des solutions? Qu'en est-il de l'établissement de corridors humanitaires? Nous avons entendu parler des zones d'exclusion aérienne et de la mise en place de certains moyens pratiques. Cela nous dépasse-t-il? Devrions-nous plutôt vraiment nous faire entendre davantage à ce sujet?
Je crois que le régime syrien a décidé que ce n'est pas dans son intérêt de permettre des corridors humanitaires, parce que sa stratégie est d'affamer son opposition et de l'assiéger. Si cela demeure le cas, je crois qu'il sera impossible de mettre en place et de maintenir de tels corridors. Le problème avec la zone d'exclusion aérienne, c'est que cela reviendrait à déclarer ouvertement la guerre au régime Assad, parce que nous devrions éliminer les systèmes de défense antimissile sol-air de la Syrie pour la faire respecter et qu'il faudrait donc attaquer des positions militaires syriennes. Les forces syriennes répliqueraient. Il faudrait que l'ensemble des forces de la coalition attaque le régime qui est soutenu par la Russie et l'Iran, et cela entraînerait une situation très dangereuse. Je ne sais pas vraiment si l'une ou l'autre des options est bonne.
En vue de calmer le jeu, je crois que le Canada pourrait faire la promotion de la décentralisation en Syrie comme solution à court et à moyen terme pour faire cesser les hostilités dans divers cantons, dont le canton kurde, et d'autres régions qui gèrent leur communauté respective jusqu'à ce que les choses se calment un peu.
Merci.
C'est très intéressant. Comment cela fonctionnerait-il? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous voyez et entrevoyez? Comment cela fonctionnerait-il pour les régions assiégées?
Nous pourrions prendre l'exemple de la guerre civile en Bosnie. Lors de la rédaction des accords de Dayton, les groupes ont pu passablement conserver le territoire qu'ils contrôlaient. Cette décision a excessivement récompensé les forces bosniennes, qui avaient conquis un grand territoire, mais personne ne voyait une autre manière de se sortir de ce marasme.
En Syrie, nous avons un marasme semblable. Si nous pouvons convaincre la Russie de conserver la situation qui prévaut durant un certain temps, de laisser les diverses communautés gouverner les territoires qu'elles contrôlent, de permettre l'approvisionnement par le régime syrien des régions assiégées et d'avoir des organismes pour s'assurer que c'est bien fait, nous pourrions souffler un peu et en profiter pour faire avancer la situation.
Selon vous, quelle est la clé de la nouvelle approche nécessaire en vue d'une solution diplomatique?
Je suppose que chaque groupe qui contrôle le territoire syrien doit être invité à la table des négociations, sans aucune condition préalable, ce qui n'est pas une mince affaire; par exemple, la Turquie ne laissera pas les groupes kurdes assister à une réunion, même si ces derniers sont les deuxièmes en importance sur le plan du contrôle du territoire syrien. Or, tant que nous n'aurons pas instauré un climat d'entente qui permet à tous les groupes de se réunir sans la moindre réserve et de trouver une solution pour mettre fin aux combats à l'échelle du pays et laisser les gens diriger leurs propres régions pendant un certain temps afin que tout le monde puisse se remettre de ces conflits, nous ne pourrons pas nous débarrasser du régime Assad. En même temps, le régime Assad a peut-être besoin de se sentir menacé — je ne sais pas — parce que la victoire lui paraît désormais imminente.
J'aurais aimé pouvoir vous donner une meilleure réponse.
David, comme vous étudiez l'islam politique dans la région, je suis curieux de savoir ce que vous pensez de la religion en général et du rôle qu'elle joue dans ce conflit. Je suppose que c'est plutôt large comme question. Quand on examine l'histoire de l'Irak et de la Syrie, particulièrement sous le règne des partis baasistes dans les deux pays, par rapport au reste de la région, on a généralement l'impression qu'il s'agit d'une société laïque, mais d'après la tendance actuelle, les groupes ethniques sont divisés, de façon claire et nette, en fonction de l'appartenance religieuse, ce qui, vous l'admettrez, n'est peut-être pas le cas.
Espérons que nous en arriverons à un modèle de gouvernance après le conflit, mais en général, si l'on envisage la situation dans ces deux régions au cours des prochaines années, j'aimerais connaître votre point de vue sur la façon dont les choses sont parfois divisées en catégories religieuses nettement définies, au lieu de miser simplement sur les coups de force, de privilégier d'autres intérêts ou d'entretenir des divisions ethnoculturelles.
Dans le cas des yézidis, Daech s'est certainement servi du discours religieux dans sa tentative de les exterminer, et nous avons entendu plusieurs témoins dire que les différences religieuses ou ethnoculturelles s'amplifieront à cause de la vacance du pouvoir.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
L'islam est un domaine contesté aux multiples facettes, au même titre que le christianisme, le judaïsme et d'autres religions. Les baasistes étaient laïques, mais en même temps, ils ont intégré l'islam dans la légitimation du régime. C'est un peu paradoxal que le régime Assad, qui est alaouite, incorpore l'islam sunnite dans le régime, mais c'est effectivement ce qu'il a fait. L'islam sunnite a été reconnu officiellement comme la religion principale du pays. Bien entendu, Saddam, dans ses dernières années, a fait ajouter au drapeau irakien la mention Allahu akbar, inscrite de sa main, et il s'est servi de plus en plus du discours islamique pour justifier son règne. Cette tendance ne s'est qu'accentuée auprès de nombreux groupes depuis 2003 et, bien sûr, depuis le début de la guerre civile en Syrie, certaines communautés comme les yézidis, les chrétiens et les groupes kurdes laïques ne veulent rien savoir de cela. Il y a également des groupes islamistes kurdes, mais ils sont minoritaires.
Dans un système de partage ou de décentralisation des pouvoirs, lorsque Bagdad adopte, disons, une loi interdisant la consommation d'alcool ou interdisant aux femmes de porter des jupes ou des pantalons, cela ne s'applique pas aux autres régions qui ne veulent pas y adhérer, selon le consensus local. Pour désamorcer certaines de ces divisions et contestations sur la nature de l'islam et la question de savoir s'il faut en appliquer les préceptes, une des solutions consiste à accroître la décentralisation. Cela dit, il existe un courant salafiste violent qui s'acharne à faire respecter son interprétation et à l'imposer à tout le monde.
Pour ce qui est de savoir si les gens s'identifient principalement à un discours religieux, à un groupe ethnique ou à une tribu, la réponse variera, mais nous savons que plus les gens éprouvent de l'insécurité, plus ils sont susceptibles de s'en remettre à l'une de ces catégories d'identité à titre de première appartenance, plutôt qu'à l'identité régionale ou nationale civique qui demande une plus grande confiance de la part des membres d'un groupe extérieur.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Je voulais seulement savoir ce que vous en pensiez, parce que je doute qu'on puisse vraiment répondre à ce genre de question. Je suis simplement curieux d'entendre votre opinion générale là-dessus, étant donné que vous êtes sur le terrain et que vous avez pour champ d'intérêt l'Islam politique.
Selon moi, l'influence de Daech s'affaiblit considérablement lorsqu'on se met à reprendre le territoire sous son emprise, à déterrer les fosses communes et à faire rentrer les communautés déplacées. Je crois qu'en l'occurrence, l'armée n'est pas complètement dissociée de l'idéologie. L'arrivée de Daech n'est pas nécessairement attribuable au fait que la communauté arabe sunnite en Irak ou en Syrie était surtout salafiste; les membres de Daech ne cherchaient qu'un exutoire idéologique pour se libérer politiquement de l'emprise de gouvernements centraux qu'ils jugeaient oppressifs. Une fois que leur projet se révélera chimérique et voué à l'échec, je suppose qu'ils seront alors ouverts à d'autres solutions qui ne sont pas d'inspiration salafiste.
Finalement, estimez-vous que certaines de ces différences, qu'elles soient de nature ethnoculturelle ou religieuse, s'accentueront en cas de vacance du pouvoir, ou voyez-vous les choses différemment?
Elles risquent de s'accentuer si l'on ne parvient pas à trouver des méthodes de bonne gouvernance pour les régions libérées du joug du groupe État islamique en Syrie et en Irak. Ces différences peuvent toutefois s'atténuer si le gouvernement s'avère satisfaisant, si l'emprise de Bagdad sur les régions sunnites n'est pas trop oppressive, si la région du Kurdistan n'est pas annexée aux régions récemment conquises et si on ne prend pas de mesures trop agressives. Si le gouvernement commence à assurer les services nécessaires et à accorder un certain pouvoir local aux communautés dans cette région, je crois qu'il y a lieu de voir un revirement spectaculaire de la situation, car, au bout du compte, les gens là-bas ne sont pas si différents des Canadiens. Ils veulent tout simplement un moyen de sortir de l'impasse et la promesse d'un avenir meilleur que celui auquel ils pouvaient aspirer dans le passé. Ils veulent vivre le mieux et le plus librement possible.
Monsieur Romano, tout d'abord, je tiens à vous remercier de mettre à profit vos connaissances relatives à ce dossier avec une telle profondeur intellectuelle. En fait, je crois que la réponse que vous venez de donner à mon collègue, M. Miller, résume bien la confusion qui règne dans l'esprit de la plupart des Occidentaux à propos de l'Islam et de l'Orient. C'est ce genre de message qui nous permettrait de mieux comprendre de quoi il retourne, et non pas certains des stéréotypes qui circulent dans les médias de masse au sujet de l'Islam.
Je voudrais préciser que nous parlons maintenant de minorités religieuses. Je n'étais pas ici durant la déclaration préliminaire, mais je crois comprendre que le ministère des Affaires mondiales a indiqué très clairement que, dans l'ensemble, un grand nombre de musulmans chiites et sunnites ont été tués dans ce conflit, peut-être plus que les minorités. La situation est différente dans le cas des membres de minorités religieuses en ce sens qu'ils n'ont généralement nulle part où aller. Je voulais simplement vous demander si mon raisonnement est juste à cet égard.
J'ai récemment visité un camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, et je me suis entretenu avec quelques représentants sur place. Ils affirment très clairement que certains membres de ces minorités religieuses n'envisagent même pas de se rendre dans un camp, car ils ne s'y sentent pas du tout en sécurité. Est-ce une évaluation raisonnable?
Les conditions de vie dans les camps sont très précaires. Ces gens veulent travailler. Ils veulent gagner de l'argent pour subvenir aux besoins de leur famille et envoyer leurs enfants à l'école.
Absolument, mais les membres des minorités religieuses ne craindraient-ils pas d'être persécutés dans les camps, d'où leur tentative de les éviter et de trouver de l'aide à leur façon?
Cela dépend de l'endroit. Je ne connais pas trop la situation en Jordanie. Je sais que les membres de certaines minorités se sentiraient fort probablement menacés dans certains des camps situés dans le sud de la Syrie, en Jordanie et au Liban.
En ce qui a trait à la région du Kurdistan en Irak, ainsi qu'au Rojava, on ne m'a signalé aucun cas de membres de minorités craignant pour leur sécurité dans les camps. Les autorités ont su les protéger admirablement bien. Certains camps sont mixtes, tandis que d'autres accueillent presque exclusivement des yézidis ou des chrétiens. Bref, sur le plan de la sécurité physique, cela se passe bien ici.
Merci pour cette réponse. En fait, les représentants de l'ONU nous ont dit qu'ils utilisent différents modèles pour les camps. L'option idéale pour eux serait de faire l'acquisition d'une propriété dans un pays d'accueil et d'assurer la gestion et l'entretien du camp, mais de nombreux pays insistent pour participer à la gestion. C'est là que la situation se complique.
J'aimerais que vous reveniez sur un point, parce que vous en avez parlé très brièvement. Vous avez dit qu'il y a un remarquable manque de réflexion quant à la situation politique future après l'élimination de Daech. Je trouve cela très inquiétant. Je suis sûr que vous partagez ce sentiment.
Je crois que les parties concernées y ont déjà réfléchi. En fait, je devrais reformuler ma phrase. Les parties concernées ne peuvent s'entendre sur rien; alors, c'est presque comme si elles n'y avaient pas réfléchi, vu l'absence d'un plan concret sur la façon de gouverner les régions libérées de Daech.
Même dans la communauté sunnite, j'ai entendu l'ex-gouverneur de Ninive, Athil al-Noujaïfi, dire qu'il faudrait former une région. L'actuel gouverneur de Ninive n'a même pas assisté à la conférence; il s'oppose farouchement à ce genre de proposition, et on l'accuse d'être financé par Bagdad. Ensuite, il y a ceux qui affirment qu'il faut trouver une autre solution.
Nous n'avons pu obtenir aucun résultat concret, ne serait-ce qu'un consensus suffisant pour aller de l'avant.
En parlant des camps, vous avez dit ne pas être au courant de la situation en Jordanie, mais puis-je quand même vous posez une question sur ce pays? La Jordanie a absorbé jusqu'à deux millions de réfugiés syriens. Les autorités ont du mal à fournir un chiffre précis, mais cela varie entre 1,6 et 2 millions de personnes, et c'est sans compter les nombreux autres réfugiés qui se sont assimilés à la population.
Craignez-vous que ce conflit, s'il perdure, risque de déstabiliser d'autres endroits dans la région?
Absolument. Les trois régions les plus envahies par les réfugiés et les personnes déplacées sont la région du Kurdistan, la Jordanie et le Liban.
Dans le cas du Liban, la seule chose qui a empêché le pays de replonger dans la guerre civile, c'est probablement le fait que les Libanais gardent encore de nombreux souvenirs de la dernière guerre civile, et ils en ont tout simplement assez.
En Jordanie, ce conflit risque de déstabiliser la monarchie, surtout s'il n'y a aucune issue et si on ne parvient pas à instaurer un gouvernement adéquat dans les régions libérées de l'emprise du groupe État islamique. Les gens ne retourneront pas chez eux; ils ne voient aucune possibilité de retour et ils finissent par croupir dans des camps. Ils jouent un rôle semblable à celui des Palestiniens au sud du Liban dans les années 1970. À l'époque, les réfugiés palestiniens vivaient dans des camps, sans aucun avenir réel, et ils ont fini par s'insérer dans la vie politique libanaise. C'est ce qui a provoqué l'effondrement du système.
Alors, oui, il y a bel et bien des risques.
Nous avons identifié les Turkmènes, les chrétiens et les yézidis. Je sais qu'il y a aussi de petites communautés baha'ies et zoroastriennes.
Y a-t-il d'autres minorités religieuses que nous ne devrions pas perdre de vue dans le cadre de notre étude?
Oui. On trouve, en Irak, un groupe qui s'appelle Ahl-e-Haqq ou Kaka'i. Je ne sais pas si vous l'avez inclus.
Nous observons une résurgence du zoroastrisme. Je n'ai aucune idée de l'ampleur du phénomène, mais c'est une réalité.
Bien entendu, même au sein des communautés chrétiennes, certains se considèrent comme étant d'origine assyrienne, chaldéenne, etc. Il faut donc également tenir compte de ces groupes.
Merci, monsieur Romano. Notre séance tire à sa fin.
Je voudrais revenir brièvement sur un point. Un des sujets de préoccupation soulevés, c'est le traitement des femmes yézidies enceintes qui retournent aux villages et aux camps après avoir été violées par des militants de Daech. Le traitement qu'elles subissent lorsqu'elles réintègrent la communauté yézidie est une source de préoccupation.
Avez-vous constaté ce genre de situation, ou en avez-vous entendu parler?
Oui, je me suis déjà penché sur la question. J'étais d'ailleurs un des évaluateurs d'une thèse de doctorat qui portait précisément sur ce sujet, la question étant de savoir si l'aide humanitaire apportée aux yézidis dans le Kurdistan irakien était culturellement adaptée à leurs circonstances et contextes particuliers. La recherche et les travaux sur le terrain ont été réalisés l'année dernière. La thèse a révélé qu'au début, ces femmes étaient très mal traitées, ce qui était le modus operandi standard de la communauté yézidie. Il s'agit d'une communauté très insulaire et xénophobe. On n'a pas le droit de se convertir au yézidisme ni d'y renoncer, et ces femmes étaient considérées comme des non-êtres après de tels incidents.
Toutefois, il y a eu tellement de femmes qui ont connu ce sort que la communauté, par souci de survie, a fait des efforts délibérés pour changer ses normes. De nombreux pairs et aînés yézidis sont intervenus pour dire: « Écoutez, il faut que cela change. Ce sont nos filles, les femmes de notre communauté. Nous devons les accueillir de nouveau dans notre communauté. » Ils travaillent vraiment fort pour surmonter ce problème.
Je crois que la situation s'est beaucoup améliorée, mais je ne dirais pas nécessairement que la question a été réglée.
Merci beaucoup, monsieur Romano. Au nom de tous les membres du Comité, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de fournir votre témoignage au Sous-comité et, bien entendu, de nous avoir appelés à partir de l'Irak. Votre contribution a été des plus précieuses, et je sais que nous avons tous été ravis de vous entendre aujourd'hui.
Merci infiniment.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication