SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 7 juin 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Bon après-midi, tout le monde.
Je souhaite à tous la bienvenue à la 114e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Nous accueillons aujourd'hui, du Congrès ukrainien canadien, Ihor Michalchyshyn et Orest Zakydalsky. Messieurs, je vous remercie de votre présence.
Les relations chaleureuses qui existent entre le Canada et l'Ukraine sont, je le sais, d'une grande importance pour tous les députés présents. Nous attendons pour la semaine prochaine une visite du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Ukraine. De nombreuses activités auront lieu sur la Colline avec la participation de tous les partis pour célébrer les bonnes relations qui lient nos deux pays.
Si vous le souhaitez, vous pouvez prendre 10 à 12 minutes pour faire le point sur quelques-unes des grandes questions qui se posent. Compte tenu de la visite de la semaine prochaine, cela nous sera très utile. Ensuite, bien sûr, les membres du Comité auront comme d'habitude des questions à vous poser.
Messieurs, la parole est à vous.
Merci beaucoup. C'est un honneur pour nous de prendre la parole devant vous. Nous vous sommes très reconnaissants de nous en avoir donné l'occasion.
Nous représentons la communauté ukrainienne-canadienne dans toutes nos sections et nos organisations membres. Nous avons 6 conseils provinciaux, 19 sections locales et 29 organisations nationales membres. Nous parlons de l'Ukraine et des questions qui intéressent la communauté ici, au Canada. D'après le dernier recensement, la communauté compte environ 1,4 million de personnes d'origine ukrainienne.
De plus, nous collaborons étroitement avec nos partenaires du Congrès mondial des Ukrainiens et avec d'autres communautés ethniques du Canada. Nous travaillons avec le gouvernement du Canada au sein du Conseil consultatif des intervenants Canada-Ukraine, où nous parlons des relations entre les deux pays. Nous nous entretenons aussi régulièrement avec des députés, des politiciens, des intervenants et d'autres décideurs.
Vous nous avez invités à vous parler aujourd'hui de la situation des droits de la personne en Ukraine. Comme nous le savons, l'Ukraine est en guerre. Depuis 2014, la Russie a déclenché contre elle une guerre d'agression et a occupé la Crimée et certaines parties des oblasts orientaux de Donetsk et Luhansk.
Cette guerre a déjà fait au-delà de 10 000 morts, 24 000 blessés et plus de 1,5 million de personnes déplacées dans leur propre pays. Le conflit est loin d'être stagnant: c'est une guerre « chaude » qui fait tous les jours des victimes parmi les soldats et les civils ukrainiens.
Dans les régions du territoire souverain de l'Ukraine qui sont actuellement occupées par la Russie, les autorités d'occupation ont institué un régime qui viole systématiquement et délibérément les droits humains reconnus à l'échelle internationale. Ce sont ces mesures qu'à notre avis, la Russie essaie de dissimuler au monde en accueillant la Coupe du Monde de la FIFA à la mi-juin. Notre organisation, le Congrès ukrainien canadien, participera à la campagne d'information mondiale destinée à mettre en lumière la situation déplorable des droits de la personne créée par le régime Poutine. Nous appelons tous les députés à veiller à ce que ce message atteigne le plus grand auditoire possible.
En Crimée, un régime de terreur a été institué pour réprimer la population indigène des Tatars de Crimée, les Ukrainiens ethniques et quiconque s'oppose à l'occupation russe. Il est établi que les autorités d'occupation ont imposé de sévères restrictions et ont violé des droits humains reconnus à l'échelle internationale, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression, le droit à une protection égale de la loi, le droit à un procès équitable, la liberté de réunion et d'association, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à une punition ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant et la protection contre les mesures arbitraires d'arrestation, de détention ou d'exil.
En avril 2016, les autorités russes ont interdit le Mejlis, assemblée représentative des Tatars de Crimée. Depuis le début de l'occupation russe, il y a une campagne contre les Tatars de Crimée, les Ukrainiens ethniques et d'autres institutions des deux groupes. Ceux-ci ont été systématiquement ciblés dans le cadre d'une tentative de répression de la dissidence dans la péninsule.
Les arrestations et les détentions illégales, les perquisitions et les mesures d'intimidation sont courantes en Crimée. À l'heure actuelle, plus de 70 citoyens ukrainiens sont illégalement emprisonnés en Crimée ou dans la Fédération de Russie sur la base de fausses accusations. Beaucoup d'entre eux ont été condamnés à de longues peines d'emprisonnement tout simplement à cause de leur opposition à l'invasion et à l'occupation russe.
Je parle de gens tels qu'Oleg Sentsov, cinéaste ukrainien de Crimée, qui s'est opposé à l'invasion russe, et Volodymyr Balukh, qui est en prison à cause de ses opinions. Balukh et Sentsov font partie d'un groupe qui fait la grève de la faim et qui comprend d'autres prisonniers ukrainiens qui veulent protester contre leur emprisonnement illégal. Plus tôt cette semaine, le 4 juin, la Russie a condamné le journaliste ukrainien Roman Sushchenko à 12 ans de prison après l'avoir faussement accusé d'espionnage.
La Russie a constamment fait abstraction des appels lancés par la communauté internationale en faveur de la libération des prisonniers politiques ukrainiens. Comptant parmi les alliés internationaux les plus loyaux de l'Ukraine, le Canada aura l'occasion unique de profiter de sa présidence du G7 pour appuyer la paix et la sécurité en Ukraine et pour demander que les prisonniers politiques ukrainiens soient libérés et puissent rentrer chez eux. Dans notre lettre au premier ministre, dans nos déclarations publiques et au cours de nombreuses réunions avec des responsables canadiens, le Congrès ukrainien canadien a invité le gouvernement du Canada à inscrire parmi les priorités du Sommet du G7 l'arrêt de l'agression russe contre l'Ukraine.
Depuis l'adoption de la loi de Magnitski en octobre 2017, le gouvernement du Canada dispose des moyens nécessaires pour prendre des sanctions contre les responsables russes qui se sont rendus coupables de ces violations des droits humains reconnus à l'échelle internationale. Jusqu'ici, le gouvernement n'a pris aucune mesure contre les juges, les procureurs, les enquêteurs, les fonctionnaires des services de sécurité et les politiciens russes responsables de ces violations. Par conséquent, le Congrès ukrainien canadien recommande que le gouvernement se serve immédiatement des moyens prévus dans la loi de Magnitski pour adopter des sanctions contre les officiels russes responsables de la violation des droits humains internationalement reconnus des citoyens ukrainiens.
Je cède maintenant la parole à mon collègue Orest Zakydalsky.
La même situation des droits de la personne sévit dans les régions occupées des oblasts de Donetsk et Luhansk. Elle est d'autant plus grave et urgente que la Russie continue à mener une guerre « chaude » qui menace directement les civils. Il est courant que les forces russes et leurs agents bombardent des cibles civiles.
Le 28 mai, un obus tiré par les forces russes et leurs agents a tué une jeune fille de 15 ans, Daria Kazemirova, à Zalizne. Plusieurs rapports de groupes de défense des droits de la personne contiennent des preuves irréfutables de torture et de mauvais traitements infligés à des soldats et des civils ukrainiens détenus dans les territoires occupés. Les rapports mentionnent des cas documentés de prisonniers tués ou soumis à de fausses exécutions, ainsi que des cas d'agression sexuelle et de recrutement de mineurs dans des formations armées illégales par les autorités russes et leurs agents dans les territoires occupés.
Récemment, l'équipe conjointe d'enquête sur l'écrasement du vol MH17, dont les 298 passagers ont tous été tués, a confirmé ce que le monde savait déjà depuis longtemps: le vol MH17 de Malaysia Airlines a été abattu par un missile russe de type Buk. Cette arme hautement perfectionnée ne se trouvait pas accidentellement en territoire ukrainien occupé. Quelqu'un dans la chaîne de commandement russe avait donné ordre de la déployer. Un responsable russe haut placé a autorisé cet ordre.
Le missile Buk qui a abattu le vol MH17 venait de la 53e brigade de missiles antiaériens, unité de l'armée russe stationnée à Kursk. La destruction du vol MH17 constitue un acte de terrorisme contre lequel la communauté internationale doit réagir avec détermination. Le Congrès ukrainien canadien appelle le gouvernement canadien à travailler de concert avec les nations alliées pour désigner la Fédération de Russie comme État qui appuie le terrorisme et pour déclarer les prétendues Républiques populaires de Donetsk et Luhansk comme organisations terroristes.
Les graves violations des droits de la personne perpétrées par les autorités d'occupation russes en Crimée et dans les oblasts de Donetsk et Luhansk sont une conséquence directe de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. Ces violations ne prendront fin que lorsque cesseront la guerre menée par la Russie et l'occupation de la Crimée et des oblasts de Donetsk et Luhansk.
Pour garantir le retour de la paix en Europe, la communauté internationale doit exercer considérablement plus de pression sur les autorités et l'économie de la Russie. Le calme reviendra en Ukraine si la guerre coûte plus cher au Kremlin que la paix.
En avril 2018, le Trésor américain a imposé des sanctions à 7 oligarques russes, à 12 sociétés qu'ils possédaient ou contrôlaient, à 17 hauts fonctionnaires russes, à une société d'État russe qui fait le commerce des armes et à une succursale d'une banque russe. Les États-Unis ont imposé ces sanctions par suite du maintien des activités internationales malveillantes de la Russie, y compris son invasion de l'Ukraine et son soutien du régime meurtrier d'Assad en Syrie.
Le gouvernement du Canada n'a imposé aucune sanction aux responsables, aux sociétés ou à l'économie de la Russie depuis le 28 novembre 2016. Le Congrès ukrainien canadien recommande au gouvernement du Canada de mettre en oeuvre, le plus tôt possible, des sanctions semblables à celles adoptées par le Trésor américain le 6 avril et de rendre plus sévères les sanctions sectorielles, économiques et individuelles imposées à la Russie et à des responsables russes, y compris l'exclusion de la Russie du système international de paiement SWIFT.
De concert avec l'Union européenne, le G7 et d'autres pays d'optique commune, le Canada devrait renforcer les sanctions économiques contre la Russie afin de l'amener à mettre fin à son occupation de la Crimée et à son invasion de l'Ukraine orientale.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. Nous sommes évidemment à votre disposition pour répondre à toute question que vous auriez.
Merci beaucoup.
Nous allons commencer.
Je crois que les députés Sweet et Anderson vont se partager le temps de parole.
Merci beaucoup de votre témoignage.
Pouvez-vous informer le Comité de la nature de vos entretiens avec le gouvernement du Canada au sujet des sanctions contre les membres du régime Poutine qui devraient être ciblés? À votre connaissance, le gouvernement a-t-il établi une liste des personnes qui se sont rendues coupables des pires violations des droits des Tatars de Crimée et des Ukrainiens ethniques? Lui avez-vous communiqué des noms et des preuves relativement à ces personnes?
Je vous remercie de votre question. Je dirai que nous avons depuis 2014 des contacts suivis avec le gouvernement du Canada au sujet des sanctions.
Notre organisation travaille évidemment au Canada, mais nous avons aussi des partenaires en Ukraine. Il y a là de nombreuses organisations de la société civile qui suivent les cas de ce genre dans le système judiciaire russe et beaucoup de partenaires qui le font aussi, comme Amnistie internationale et d'autres. Dans beaucoup de cas, il s'agit de citoyens ukrainiens qui ont été arrêtés en Crimée et dans l'Ukraine orientale et qui sont jugés par les tribunaux intérieurs russes. Voilà le coeur du problème.
Nous avons fourni la liste que nous avons reçue d'organisations telles que Let My People Go. Nous avons ici des copies de quelques-unes de ces listes que nous pouvons distribuer aux membres du Comité. Il s'agit de cas particuliers avec une description de la procédure suivie depuis l'arrestation jusqu'à la mise en jugement. Les listes précisent le nom des juges, des procureurs, des responsables des services de police et, en bout de ligne, des autorités carcérales. Il y a maintenant de plus en plus de preuves liées aux personnes qui participent au mécanisme de détention des prisonniers politiques ukrainiens. Nous serions heureux de communiquer ces listes au Comité aujourd'hui.
Nous avons appuyé la mise en place d'un service des sanctions au ministère des Affaires mondiales parce que nous savons que c'est une question qui évolue sans cesse. Nous espérons que le gouvernement envisage d'autres mesures, mais, encore une fois, pour toutes sortes de raisons, nous ne sommes pas au courant du travail accompli, notamment en ce qui concerne l'identité des personnes ciblées. Je crois que c'est le genre de questions que les députés devraient poser au ministère. Nous espérons en apprendre davantage sur ce que les responsables peuvent faire.
Le président: Allez-y, monsieur Anderson.
Je vous remercie.
Je vous souhaite la bienvenue à tous deux. J'étais en Ukraine la semaine dernière. J'ai eu le plaisir de participer à une activité multipartite où étaient représentés différents ministères. Plusieurs dirigeants ont assisté à ce petit-déjeuner de prière. Comme je l'ai déjà dit, l'atmosphère était tendue, mais, dans l'ensemble, elle était quand même bonne.
L'une des choses les plus émouvantes dont j'ai été témoin, c'était un jeune homme qui travaillait avec nous et qui se présentait comme un réfugié dans son propre pays. Il était originaire de l'Ukraine orientale. J'ai trouvé que c'était une façon intéressante de voir les choses. Il ne pouvait pas rentrer chez lui, alors qu'il avait de la famille des deux côtés de la ligne de démarcation. Il nous a parlé un peu de sa situation.
J'aimerais en savoir davantage sur l'intensification des tensions dans la région de l'Est. Je crois que Poutine a dit dans les deux derniers jours qu'il y aurait « de graves conséquences pour l'État ukrainien » s'il essayait de libérer le Donbass. Croyez-vous que ce ne sont que des paroles, ou bien l'agression devient-elle vraiment plus grave depuis les élections?
Les attaques se sont intensifiées, aussi bien contre les positions militaires ukrainiennes sur la ligne de front que dans les zones civiles. Depuis mars 2018, les tirs d'artillerie et de mortier ont augmenté. Ces deux ou trois derniers mois, la situation s'est beaucoup aggravée par rapport aux six mois précédents. On peut spéculer sur les raisons de ces attaques et sur les objectifs que les forces d'occupation russes poursuivent en faisant monter la pression. On peut donner toutes sortes d'interprétations aux événements. Je ne sais pas vraiment. À mon avis, on n'a pas exercé suffisamment de pression sur la Russie pour qu'elle arrête et retire ses troupes de l'Ukraine orientale.
L'ambassadeur Volker, représentant spécial des États-Unis, a des entretiens avec son homologue russe, Vladislav Surkov, qui est le représentant spécial de Poutine, depuis juillet 2017, c'est-à-dire depuis près d'un an. Malheureusement, nous ne sommes pas plus avancés que l'année dernière.
Je vais probablement manquer de temps. Je voudrais donc vous demander de nous parler un peu du nouveau pont du détroit de Kertch qui vient d'être construit. Quelles incidences a-t-il? La Crimée est l'un des premiers endroits où l'agression russe s'est manifestée. Quels sont les effets du pont sur la présence russe en Crimée?
Eh bien, je crois que, parallèlement à d'autres mesures prises par les Russes, le pont du détroit de Kertch vise à rendre l'occupation permanente. Le pont établit un lien permettant de livrer des marchandises et d'autres articles. Comme les autres mesures prises, c'est un geste destiné à cimenter l'occupation.
Lorsqu'ils font des choses de ce genre, il incombe au reste du monde de les soumettre à de plus fortes pressions. En ce qui concerne le pont, nous avons vu que tout le monde l'a condamné, mais personne n'a pris de sanctions supplémentaires contre les Russes. Je crois que c'est là que réside le problème: il n'y a pas de réaction aux mesures prises.
Les sanctions prises jusqu'ici ont-elles été efficaces? Vous voulez qu'il y en ait davantage. Vous demandez au Canada d'agir en ce sens. Trouvez-vous que les sanctions prises dans le passé ont eu des résultats concrets?
Je dirais que les sanctions canadiennes, alliées aux mesures américaines et européennes, sont efficaces. Nous croyons qu'une action plus coordonnée est nécessaire. Par exemple, la loi canadienne de Magnitski a été adoptée par les parlements de nombreux pays alliés comme le Royaume-Uni, les États-Unis et plusieurs pays d'Europe. Nous croyons que ce sera non l'action d'un seul pays, mais celle d'une alliance coordonnée de pays déterminés à affronter l'agression russe, et que cela constituera le point décisif du conflit.
Nous croyons aussi qu'il faudrait fournir des armes défensives à l'Ukraine. Du point de vue militaire, nous avons affaire à un acte militaire d'agression. Nous sommes donc heureux de voir que nos alliés américains et d'autres… Bien sûr, le Canada, grâce à l'opération Unifier, entraîne des troupes. Les Américains ont récemment fourni des armes défensives particulières aux forces armées ukrainiennes.
C'est un autre élément, mais l'aspect politique plus général du conflit demeure. Je crois que c'est à cet égard que l'alliance internationale doit se montrer forte et unifiée dans son approche de la question des sanctions.
Merci, monsieur le président.
Avant de poser des questions aux témoins, je voudrais déposer un document à joindre au compte rendu de la réunion. Il contient deux listes. La première nomme 74 Ukrainiens illégalement détenus par la Russie. Pour la plupart, ces gens avaient été illégalement arrêtés, puis emmenés de force en Russie où ils ont été ou seront soumis à un simulacre de procès. La seconde liste donne le nom des geôliers, des responsables de la torture et, dans bien des cas, des procureurs et des juges qui ont présidé aux simulacres de procès ayant déjà eu lieu.
Je voudrais déposer ce document en anglais et en français aux fins du compte rendu.
Je ne m'oppose pas à cela, mais nous n'en avons pas entendu parler et n'avons rien vu avant maintenant. Si Borys veut rendre visite à notre comité, il serait bon que nous puissions voir les documents d'avance.
Oui. Il est d'usage au Comité de distribuer les documents d'avance avant leur distribution. Dans ce cas, si personne ne s'y oppose, nous allons le permettre. Autrement, nous garderons les documents, puis les distribuerons aux membres.
Je veux bien garder les listes jusqu'à la fin de la réunion. J'ai cependant un certain nombre d'exemplaires supplémentaires que je serai heureux de distribuer, si personne ne s'y oppose.
Non, c'est bien. C'était un rappel au Règlement justifié, compte tenu de la façon de procéder que nous respectons ici.
Cela dit, vous êtes libre de distribuer les exemplaires que vous avez. Merci encore.
Merci à vous. Je vous suis reconnaissant de votre coopération.
À nos témoins, j'aimerais poser des questions d'abord sur la situation en Crimée, puis sur la situation dans le Donbass occupé.
Les Tatars de Crimée ont une histoire tragique depuis que la Russie impériale a envahi pour la première fois la Crimée, il y a deux siècles, et a procédé à des purifications ethniques et à une tentative de génocide en 1944, sous Staline. La fermeture des écoles de langue tatare de Crimée est particulièrement troublante, de même que la fermeture des mosquées. Des agents du Service fédéral de sécurité russe surveillent constamment les mosquées. Tous les dirigeants des Tatars de Crimée ont été limogés et leurs organisations bannies. Beaucoup de chefs importants ont disparu. Certains n'ont jamais été retrouvés, et d'autres avaient des signes évidents de torture lorsqu'ils ont réapparu. Les sites historiques des Tatars de Crimée ont récemment été fermés pour des rénovations. Des gens ont pu constater que de très importants sites culturels avaient été démantelés et que des objets exposés avaient disparu.
Croyez-vous que ces événements constituent le début d'une tentative d'ethnocide contre la population tatare de Crimée?
Je crois que vous avez présenté dans les grandes lignes beaucoup des mesures délibérées qui ont été prises. Rien de ce qui s'est produit n'était accidentel. Il s'agit d'une action méthodique et planifiée soutenue par les autorités locales.
Je crois que deux groupes sont ciblés en Crimée. Il y a tout d'abord, comme vous l'avez dit, les Tatars de Crimée, avec leurs caractéristiques territoriales, historiques, culturelles, linguistiques et religieuses particulières qui sont liées à leur territoire géographique. Il y a deux semaines, nous avons célébré à Toronto une cérémonie au cours de laquelle des dirigeants et des prisonniers tatars récemment libérés sont venus hisser le drapeau des Tatars de Crimée et parler aux Canadiens du fait qu'ils estiment faire partie intégrante d'un État ukrainien multiethnique. Ils ont lancé un appel en faveur d'un soutien international. Je crois que leur cause est fortement appuyée en Ukraine.
Le second groupe ciblé par les Russes comprend des citoyens ukrainiens que nous avons rencontrés et qui ne sont pas des Tatars de Crimée. Pour des raisons religieuses, leurs églises, la langue d'instruction qu'ils utilisent dans leurs écoles ainsi que leur accès aux services sont soumis à de rigoureuses restrictions parce qu'on veut les forcer à devenir citoyens russes.
Comme nous l'avons dit, nous sommes en présence d'une vaste tentative d'intimidation et de profanation. Je pense qu'elle est dirigée particulièrement contre la population tatare de Crimée, mais aussi contre tous les Ukrainiens qui y résident.
Je reviens à ma question: considérez-vous que ce qui se passe est assimilable au début d'un ethnocide? Je vais essayer de mieux situer le contexte.
Vous avez parlé de la persécution des minorités ethniques et de la fermeture des lieux de culte. Je voudrais également noter que la communauté juive de Crimée n'existe plus. Ses synagogues ont été parmi les premiers lieux de culte à être fermés.
Pour revenir aux Tatars de Crimée, il y a un siècle, ils formaient encore la majorité de la population, en dépit du vaste nettoyage ethnique qui s'est produit durant l'occupation tsariste. Leur nombre a maintenant baissé à environ 200 000. Il y a eu un exode. Leur langue est en voie de disparition, leurs sites culturels historiques sont en train d'être détruits et près d'un million de citoyens russes sont venus s'établir en Crimée.
Est-ce une tentative d'extinction du seul peuple indigène de Crimée?
Oui, absolument. Comme vous l'avez dit, les Tatars de Crimée sont systématiquement ciblés, et toutes les composantes de leur identité et de leur histoire subissent des attaques visant à modifier le caractère démographique, l'histoire et l'environnement politique de la péninsule.
Nous sommes au courant des aspects les plus intéressants de la situation grâce aux rapports publiés en ligne et à la surveillance exercée par les organismes internationaux de défense des droits de la personne. Comme vous l'avez dit, il est très clair tous les jours que la liste s'allonge. Il y a actuellement plus de 70 détenus, dont nous vous avons fourni les noms et les photos dans une note d'information adressée au Comité. À cause du nombre des prisonniers politiques, nous voulons notamment nous assurer que leurs noms et leurs visages sont connus. Certains ont été arrêtés parce qu'ils avaient brandi des drapeaux ou pris des photos. Ce sont des…
Non, Borys, il faut s'arrêter. Le temps de parole est maintenant dépassé.
C'est au tour de la députée Hardcastle.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs, de votre témoignage aujourd'hui.
Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre la réaction du Canada et ce que vous souhaitez que le gouvernement fasse?
À votre avis, les sanctions déjà mises en place nous ont-elles rapprochés d'une façon quelconque d'une solution?
Les sanctions imposées par le Canada, les États-Unis et l'Union européenne, qui s'étaient concertés lorsque la guerre avait commencé, ont eu pour effet d'empêcher l'agression russe de devenir plus grave qu'elle ne l'est actuellement. Elles signifiaient qu'ayant fait certaines choses, la Russie se voyait imposer des sanctions destinées à lui faire comprendre que le monde est attentif, qu'il trouve son action inacceptable et qu'il compte prendre des mesures pour la contrecarrer.
Malheureusement, les sanctions n'ont pas réussi à amener les Russes à modifier leur politique. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous croyons qu'il faudrait les renforcer. Elles ont quand même servi à les empêcher d'aller peut-être aussi loin qu'ils auraient voulu le faire en l'absence de réactions.
Je crois que le Canada et sûrement le reste de la communauté internationale souhaitent que l'armée russe quitte la Crimée et les oblasts de Donetsk et Luhansk. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que le gouvernement russe soit soumis à des pressions beaucoup plus intenses.
Nous croyons que le Canada devrait continuer à coordonner son action avec celle de nos alliés européens et américains afin de cerner toute possibilité de discussion diplomatique, qu'il s'agisse de la situation des prisonniers politiques ou…
Nous croyons que les sanctions s'inscrivent dans le vaste mouvement de cause à effet dont il faut convaincre les responsables russes pour qu'ils comprennent qu'il n'y aura plus d'impunité en ce qui concerne les voyages et les affaires. Ce modèle s'applique non seulement aux responsables eux-mêmes, mais aussi aux membres de leur famille et à leurs enfants. Ils doivent comprendre que s'ils continuent à agir comme ils le font, ils n'auront ni la possibilité d'envoyer leurs enfants à l'étranger ni celle d'aller prendre des vacances dans un autre pays. Ils ne seront plus les bienvenus parce qu'ils auront violé les normes internationales.
Je crois que le Canada a un grand rôle à jouer de concert avec nos alliés occidentaux et du G7. Je pense que le Canada fait déjà beaucoup dans le cadre de l'opération Unifier en accordant de l'aide militaire et en faisant de l'entraînement. Il continuera, je pense, à parler aux militaires ukrainiens et à d'autres alliés des autres formes d'aide dont l'Ukraine a besoin dans ce dur conflit qui ne sera pas réglé par des moyens diplomatiques.
Il y a une ligne de contact, et les bombardements se poursuivent. L'Ukraine et d'autres partenaires sont là sur le terrain, engagés dans un conflit militaire. Nous parlons beaucoup de sanctions, mais, comme l'ont mentionné d'autres députés, il y a aussi l'objectif militaire consistant à contenir le conflit pour qu'il ne s'étende pas plus loin encore en Ukraine.
Vous ne croyez vraiment pas qu'il est utile de faire des efforts diplomatiques en ce moment? Faut-il maintenant se concentrer sur les sanctions individuelles?
Y a-t-il des groupes ou des organisations qui puissent faire quelque chose? Vous devez bien connaître le domaine des relations. À un moment donné, pour en arriver à un règlement, il faudra bien se livrer à une forme quelconque d'exercice de consolidation de la paix, même si ce n'est qu'à long terme. J'aimerais juste avoir une idée plus claire de la situation. Croyez-vous qu'il existe actuellement un groupe ou deux qui puissent essayer d'engager une forme de dialogue diplomatique, ou bien êtes-vous d'avis qu'il n'y a vraiment rien à faire à cet égard en ce moment?
Des contacts diplomatiques ont eu lieu pendant quatre ans, mais n'ont mené nulle part. L'OSCE a ce qu'on appelle le Groupe de contact trilatéral, regroupant la Russie, l'Ukraine et l'OSCE. Il y a aussi ce qu'on a appelé les entretiens de Normandie auxquels ont participé l'Allemagne, la France, l'Ukraine et la Russie.
Le processus de l'OSCE a produit les accords de Minsk, dont le premier point était un cessez-le-feu. Cet accord a été signé il y a trois ans, mais je ne pense pas que nous ayons eu en trois ans plus d'une douzaine de jours sans combats.
Ces efforts diplomatiques ont commencé à un moment où l'Ouest était en position de force. La façon d'en arriver là est d'intensifier les pressions sur les Russes pour les forcer à accepter une entente. Il est tout à fait évident qu'à l'heure actuelle, ils ne ressentent pas une pression suffisante pour négocier puisque les combats se poursuivent depuis quatre ans. Une diplomatie qui ne s'appuie pas sur une force crédible est inefficace, comme nous l'ont montré les quatre dernières années.
Croyez-vous qu'il soit utile d'aborder le problème en en séparant les différents éléments, comme la Crimée, les minorités ou les prisonniers politiques tatars, ou bien croyez-vous qu'il vaut mieux adopter une approche globale parce que le conflit évolue et que les différents éléments sont en train de se scinder? Comment voyez-vous la situation à l'heure actuelle?
Comme vous l'avez noté, le conflit comporte beaucoup d'éléments plus ou moins importants, mais il y a aussi le grand conflit. Il y a quatre ans, il n'y avait peut-être pas 70 prisonniers politiques parce que la situation était différente. Il y a quatre ans, l'Ukraine devait affronter les conséquences immédiates de l'invasion et de l'annexion, de sorte qu'il n'y avait pas de surveillance à long terme du respect des droits de la personne et que la situation militaire était très différente.
Grâce à l'opération Unifier et au leadership assumé en Ukraine, le Canada a toutes les occasions possibles de jouer un rôle de premier plan, surtout dans cette année de présidence du G7. Nous croyons que le Canada a une excellente possibilité de rallier d'autres partenaires, comme nous l'avons dit, pour mettre en évidence les conséquences et les risques croissants qu'implique le comportement des Russes. Si le Canada est le seul à renforcer ses sanctions, sans la participation de ses alliés, son action ne sera pas très efficace. De même, si nos alliés agissent sans le Canada, les effets ne seront pas très sensibles. Nous avons besoin d'une grande cohérence dans les réactions aux mesures prises par la Russie.
Je vais devoir vous interrompre pour donner la parole aux autres membres du Comité.
À vous, députée Khalid.
Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins pour leurs propos très convaincants.
Monsieur le président, je partagerai mon temps de parole avec M. Wrzesnewskyj.
J'ai une question très précise à poser. Nous parlons beaucoup de sanctions ici parce qu'elles ont des effets sur le terrain. À un moment où des centaines de milliers de personnes connaissent l'insécurité alimentaire dans les zones de conflit, quelles sont les incidences des sanctions sur les gens? Les effets sont-ils positifs ou négatifs?
Deuxièmement, les femmes et les enfants — et surtout les femmes — sont souvent les premières victimes du conflit, comme nous l'avons vu au Sous-comité. Quelles ont été les conséquences pour les femmes sur le terrain? Quel rôle le Canada peut-il jouer compte tenu de sa politique très féministe de développement international? Nous parlons de solutions politiques à long terme, mais qu'est-ce que le Canada peut faire en particulier à court terme pour aider les centaines de milliers de personnes qui ont besoin d'aide humanitaire?
Je peux vous dire que le Canada joue en Ukraine un rôle de premier plan dans le domaine des services essentiels — nourriture, abri — dont les personnes déplacées dans leur propre pays ont immédiatement besoin. Nous sommes très heureux de le constater. Malheureusement, ces personnes ne savent pas pendant combien de temps elles resteront déplacées. C'est ce qui a donné lieu à des besoins croissants de services touchant l'emploi, l'éducation et la réinstallation. Les gens espèrent très fort que le conflit finira par se régler et qu'ils pourront retrouver leur foyer et leur vie.
Les sanctions dont nous parlons et que nous recommandons toucheraient ceux qui torturent et emprisonnent les militants et qui dirigent les processus judiciaires illégaux sanctionnés par l'État russe.
Comme vous l'avez noté, les familles des 70 personnes détenues courent des risques. L'État russe les considère comme des problèmes et des menaces à la sécurité. Elles doivent fuir parce qu'elles sont incapables de continuer à vivre comme d'habitude. Nous ressentons les conséquences de l'imposition de sanctions plus sévères contre les responsables russes et leurs familles, qui ne peuvent plus profiter de l'impunité: eux-mêmes et leurs enfants ne peuvent ni voyager librement ni maintenir le train de vie auquel ils sont habitués.
Nous avons l'impression que le Canada et nos alliés mettent fortement l'accent sur la façon dont l'ordre international fondé sur des règles devrait s'appliquer. Nous avons été très heureux de constater qu'au niveau intérieur, l'Ukraine a passé beaucoup de temps, avec l'appui du Canada et de ses alliés occidentaux, à s'occuper des personnes déplacées dans leur propre pays, qui comptent surtout des femmes et des enfants. Les autorités se débattent pour trouver des moyens de dispenser des services, mais, grâce à notre appui, elles sont en mesure d'améliorer la situation. Comme cela dure depuis quatre ou cinq ans, les choses commencent à s'institutionnaliser. C'est un problème parce qu'on ne voit pas de lumière au bout du tunnel. Par conséquent, nous croyons que le maintien de la situation actuelle n'est pas la meilleure option en ce moment.
Merci, Iqra.
Nous avons abordé la question du vol MH17. Nous savons tous qu'en grande majorité, les victimes étaient des civils néerlandais et australiens, mais je voudrais signaler qu'il y avait aussi un Canadien. J'aimerais une réponse par oui ou par non. Les Pays-Bas et l'Australie ont intenté des poursuites judiciaires internationales. Compte tenu du fait qu'il y a aussi une victime canadienne, croyez-vous que le Canada devrait s'associer à ces poursuites?
Je vous remercie.
Le pont du détroit de Kertch a également été mentionné comme moyen d'établir un lien terrestre entre le territoire russe et la péninsule de Crimée. Nous devons envisager différentes sortes de sanctions. Il y a les sanctions découlant de la loi de Magnitski, et aussi les sanctions visant des entreprises, comme celles qui ont participé à la conception et à la construction du pont, et dont beaucoup ont des liens étroits avec Poutine lui-même. C'est peut-être une chose à envisager.
Il y a aussi un autre aspect. L'attention des gens est concentrée sur le pont, mais ne croyez-vous pas que la Russie, en le construisant, a aussi étendu son territoire? Il a été construit non pas sur terre, mais dans la mer d'Azov. Pendant qu'ils finissaient de construire le pont, les Russes ont envoyé cinq de leurs plus grands navires de guerre de la mer Caspienne dans la mer d'Azov par les écluses du canal Don-Volga. Ils ont un littoral limité dans la mer d'Azov, mais ils ont pris le contrôle territorial de cette mer. C'est encore une fois une expansion territoriale de la Russie.
Êtes-vous d'accord?
Je dirais que c'est absolument vrai. J'ajouterai que la construction du pont a assuré à la Russie un avantage secondaire, celui de pouvoir agir sur le commerce ukrainien. Le pont est haut d'une trentaine de mètres, ce qui empêche les marchandises ukrainiennes d'atteindre Mariupol, qui est un grand port. Il est impossible à un grand navire de passer sous le pont. Cela non plus n'était pas accidentel.
Merci, monsieur le président.
J'ai deux petites questions à poser, après quoi mon collègue utilisera le temps qui reste.
Parlons net. Le pont a pour objet de consolider les voies d'approvisionnement des forces russes. Il n'y a aucune circulation de piétons, le pont étant strictement réservé aux militaires.
Au départ, je vous ai posé une question sur le ciblage des sanctions, particulièrement dans le cadre de la loi de Magnitski, qui nous permet de prendre les mesures de base nécessaires. J'aimerais m'assurer de ce que vous avez dit. Même si vous nous avez fourni des renseignements et avez eu des entretiens, vous n'avez pas eu de réactions de la part du Cabinet du premier ministre ou du ministère des Affaires mondiales. Vous ne savez donc pas jusqu'ici s'ils sont disposés à agir d'une façon quelconque. Est-ce exact?
Je dirais qu'ils sont bien conscients de nos préoccupations. La façon dont ils font leurs recherches et préparent les sanctions à prendre ne leur permet pas nécessairement de nous communiquer des renseignements. Toutefois, depuis la date que nous avons mentionnée, aucune nouvelle sanction n'a été imposée. Nous avons certainement fait tout notre possible pour communiquer l'information dont nous disposions, comme nos alliés l'ont fait. Nous sommes donc un peu déçus de constater que le Canada n'est pas au diapason de nos alliés à cet égard.
Vous avez parlé de partenaires mondiaux relativement aux sanctions. Quels partenaires particuliers devrions-nous avoir pour que le prochain train de sanctions entraîne vraiment un changement de comportement?
Les Américains sont les principaux intervenants. Ils sont suivis de l'Union européenne. Chacun a pu se rendre compte des effets sensibles des sanctions adoptées en avril, qui sont strictement américaines, n'est-ce pas? L'Europe non plus n'a pas suivi à cet égard. L'Union européenne a aussi un certain impact si elle agit seule, mais elle compte 28 pays, de sorte qu'il lui est beaucoup plus difficile que pour les États-Unis de réaliser un consensus. Le Japon est évidemment un autre intervenant important, mais ce sont les Américains et les Européens qui jouent le plus grand rôle.
Je crois savoir que les entités religieuses ont soit été exploitées soit ont elles-mêmes exploité la situation à leur avantage. Pouvez-vous nous en parler? En février 2018, une loi a été adoptée à Luhansk pour interdire l'établissement de toute nouvelle entité religieuse qui ne serait pas liée aux entités existantes. L'Église russe orthodoxe a été l'une des parties dans tout ce conflit.
Pouvez-vous nous donner des explications à ce propos ainsi qu'au sujet de la situation de groupes tels que les Témoins de Jéhovah et les Tatars de Crimée?
Je suis heureux de vous parler de l'aspect religieux du conflit. Il y a deux mois, nous avons reçu à Ottawa des représentants de l'Église grecque catholique d'Ukraine. Les organisations religieuses de Crimée ont été forcées à changer de nom et à s'inscrire à nouveau auprès des autorités. Elles n'ont pas été autorisées à conserver le même nom et ne pouvaient pas se servir des termes associés à leur religion dans d'autres pays. Je fais très attention à ce que je dis parce que ces gens sont dans une situation très précaire du point de vue de leur sécurité.
Non, mais chaque entité a dû se réinscrire à titre de nouvelle organisation. On m'a dit que des caméras de surveillance audio et vidéo sont installées dans… les mosquées, les églises catholiques romaines, les églises catholiques ukrainiennes et toutes sortes d'autres organisations religieuses de Crimée. Les autorités russes veulent savoir qui dirige les offices et ce qui est dit. Nous croyons que cela favorise la prédominance de l'Église russe orthodoxe tandis que les autorités serrent la vis en imposant par exemple des visas de travail et des exigences de citoyenneté de la part de ceux qui en demandent. Il est devenu pratiquement impossible aux autres groupes religieux de subsister légalement. Ils sont soumis à une structure bureaucratique telle qu'ils ne peuvent plus exister.
Je crois que je vais manquer de temps, mais j'aimerais vous demander de nous parler un peu de la vie au voisinage de la ligne de démarcation. Nous n'avons pas affaire ici à une guerre traditionnelle et à un front ordinaire. La ligne semble se déplacer constamment, avec les civils qui vivent de part et d'autre.
Du côté ukrainien de la ligne, les civils ne savent jamais quand un obus leur tombera sur la tête. Les Russes et leurs agents placent des pièces d'artillerie et d'autres armes lourdes dans les villes. L'Ukraine ne tire pas sur les zones civiles, mais les Russes le font. La situation est vraiment terrible pour les civils. Beaucoup sont partis. D'autres ne peuvent pas le faire parce qu'ils ont des parents âgés ou d'autres circonstances qui les empêchent de fuir. Du côté ukrainien, il y a des victimes civiles, peut-être pas tous les jours, mais certainement deux fois par semaine.
Il n'y a pas eu d'importants mouvements ou changements du front depuis près de quatre ans. La ligne de démarcation est lourdement fortifiée. Il y a des tranchées et toutes sortes d'autres installations caractéristiques d'une guerre terrestre du XXe siècle. La situation est vraiment terrible pour les civils des territoires occupés parce que vous avez…
Monsieur Zakydalsky, je suis obligé de vous interrompre. Le temps passe, et je veux donner à tous les membres la possibilité de prendre la parole.
À vous, monsieur Fragiskatos.
Je partagerai mon temps de parole avec M. Whalen.
Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Votre témoignage est toujours très apprécié, tant à notre comité qu'à celui des affaires étrangères.
Je voudrais vous demander de nous parler de la démocratie et de la société civile pour que nous puissions mieux comprendre la nature des démarches de la société civile ukrainienne.
Le soutien de la démocratie est un élément très important des relations bilatérales Canada-Ukraine. Sur quoi les organisations de la société civile centrent-elles leur action en Ukraine? Où se situe la question russe? Quelle importance a-t-elle? Les organisations de la société civile ont-elles solidairement fait de cette question leur principal sujet de préoccupation, ou bien sont-elles fragmentées et dispersent leurs efforts?
Les députés ukrainiens que vous rencontrerez la semaine prochaine représentent un vaste groupe de la société civile du pays, mais ils se sont ralliés, surtout ces derniers mois, lorsque la situation des prisonniers politiques s'est aggravée et que les grèves de la faim se sont multipliées. Nous constatons que tout le monde est inquiet et que chacun agit et utilise ses compétences dans le monde des médias sociaux pour réclamer la libération de ces gens et faire connaître leur sort.
Comme vous le savez, une société civile très vaste s'occupe de tous les domaines, depuis l'environnement jusqu'à la consolidation de la démocratie, mais je crois que le conflit avec la Russie ainsi que l'agression, les tortures, les détentions et les violations des droits de la personne prédominent et continueront d'être au centre de l'activité de ces groupes.
Vous avez mentionné les groupes environnementaux à titre d'exemple. On est presque tenté de croire qu'ils commencent à s'intéresser plus particulièrement à la Russie.
Je crois qu'il est très difficile d'être militant en Ukraine sans reconnaître l'existence des menaces immédiates qui pèsent sur le pays. Il est très difficile d'entreprendre d'autres réformes et d'autres activités sans s'occuper d'abord de ce qui se passe d'une manière très évidente.
Au chapitre du respect des droits de la personne dans la région, je me demande si vous pouvez nous parler de l'accès des Ukrainiens aux services médicaux et à l'éducation dans les régions occupées du Donbass ainsi que de l'accès des russophones de naissance aux mêmes services du côté ukrainien de la ligne de Minsk.
Je ne crois pas qu'il reste en Crimée des écoles qui enseignent en ukrainien. Il y en a peut-être encore une ou deux. Dans les territoires occupés de l'Est, il y a aussi une politique qui impose l'utilisation du russe. Du côté ukrainien, la population est essentiellement russophone, mais cela ne veut pas dire que personne n'y parle l'ukrainien. Je dirais qu'il peut être dangereux de parler ukrainien dans les territoires occupés.
Ce n'est pas vrai dans les régions ukrainiennes contrôlées par le gouvernement. Une douzaine de députés devraient être ici la semaine prochaine. Je suis sûr que certains d'entre eux ont le russe comme première langue. Si vous regardez les actualités montrant des soldats ukrainiens, vous constaterez que beaucoup d'entre eux parlent le russe.
Il y a d'un côté le gouvernement ukrainien qui considère d'un point de vue civique la citoyenneté, les droits linguistiques et tout le reste. De l'autre, nous avons affaire à une politique ciblée d'imposition de la langue et de la culture russes.
Je vous remercie.
Récapitulons, messieurs. Si la communauté internationale, incluant le Canada, doit réagir d'une manière cohérente, que pensez-vous que le Canada doit faire pour que cette question demeure à l'ordre du jour sur la scène internationale?
C'est tout ce que j'avais à dire. Vous avez bien fait cela.
Je vais essayer de répondre très rapidement. Nous croyons que la présidence du G7, que le Canada assume cette année, constitue de toute évidence la meilleure occasion. Nous savons que le Canada a toujours eu une excellente réputation, tant en Ukraine qu'à l'échelle internationale. Il a de nombreux alliés à l'OTAN et dans d'autres organisations stratégiques telles que les Nations unies, etc.
Nous croyons plus que jamais que ce genre de leadership est nécessaire. Nous sommes convaincus que nos alliés sont déterminés à travailler ensemble. Nous pensons malheureusement que la situation se détériore sur le plan des droits de la personne, tant parmi les prisonniers politiques que dans les zones de conflit. C'est maintenant qu'il faut agir. Nous croyons que le Canada a la volonté et les ressources qu'il faut pour assumer ce genre de leadership. Nous espérons que toutes les parties exprimeront leur appui afin d'encourager le gouvernement canadien à prendre les mesures nécessaires.
Merci beaucoup.
Je voudrais vous remercier tous les deux de votre présence. Nous avons eu un échange de vues complet et actif avec vous. Je tiens encore une fois à mentionner la visite que nous attendons la semaine prochaine du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Ukraine.
Comme il est 14 heures, nous allons mettre fin à cette réunion. Bon week-end, tout le monde.
La séance est levée.
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