SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 22 novembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Bienvenue à la 33e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des yézidis, des chrétiens et d'autres minorités religieuses et ethniques en Syrie et en Irak.
Nous accueillons M. Bill Wiley, avocat canadien et ancien officier des Forces canadiennes qui se spécialise dans le droit international. Il a fondé la Commission internationale pour la justice et la responsabilité, la CIJA. Il a travaillé à des enquêtes sur des crimes de guerre avec le ministère de la Justice et le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale. Il recueille en ce moment des preuves de violations des droits de la personne perpétrées par le régime syrien.
Monsieur Wiley, nous sommes tout à fait emballés de vous avoir comme témoin aujourd'hui, et nous vous savons gré de prendre le temps de vous joindre à nous. Veuillez prendre 10 minutes environ pour votre exposé. Les membres du Comité vous poseront ensuite des questions.
Merci beaucoup. La parole est à vous.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Si vous me le permettez, je vais commencer par remercier le Sous-comité du maintien de son engagement relatif aux conflits qui ont cours en Syrie et en Irak, et en particulier aux atrocités de masse qui sont perpétrées par les forces gouvernementales et des acteurs non étatiques comme Daech. Je suis honoré de témoigner devant vous au sujet de nos efforts organisés pour lutter contre les violations du droit pénal et humanitaire international, ou DPHI, par l'établissement de la responsabilité criminelle individuelle.
Je vais commencer par vous rappeler que mon nom est Bill Wiley. Je suis le directeur exécutif de la CIJA. Je vais vous présenter la CIJA et vous donner un aperçu de nos enquêtes pénales internationales et du travail connexe que nous accomplissons en Syrie et en Irak — un travail énormément facilité par le solide leadership du Canada.
Depuis des années, des organisations gouvernementales et non gouvernementales sonnent l'alarme en réponse au mépris répandu et systématique des préceptes du DPHI sur les territoires de la Syrie et de l'Irak. Mon rôle en ce moment n'est pas d'en dire davantage sur ces faits déjà bien connus. Je vous propose plutôt de vous parler de l'établissement de la responsabilité criminelle individuelle de ces crimes odieux, ainsi que du rôle que le Canada joue en ce moment pour veiller à ce que ceux qui ont la plus grande responsabilité des crimes internationaux qui sont perpétrés soient tenus responsables de leurs gestes devant un tribunal.
De plus, j'estime que mon rôle est de corriger les déclarations que font souvent les groupes de défense en particulier selon lesquels rien n'est fait pour enquêter sur ces crimes odieux. À cette fin, je vais consacrer une partie de mon exposé à souligner les mesures concrètes qui sont prises par les braves hommes et femmes employés par la CIJA en Syrie depuis 2011 et en Irak depuis 2014 afin d'obtenir justice pour les victimes des crimes perpétrés dans leurs propres pays.
Enfin, je vais parler d'autres initiatives qui pourraient être entreprises, surtout avec l'aide du Canada, afin de mettre en place un vaste éventail d'options pour nous assurer que les criminels sont tenus responsables de leurs gestes.
Qu'est-ce que la CIJA? En bref, c'est une organisation non gouvernementale qui a reçu de ses donateurs le mandat d'entreprendre des enquêtes criminelles internationales en pleins conflits. Les enquêtes de la CIJA sont conformes aux règles de preuve qui s'appliquent à toute compétence internationale et nationale des pays de l'Ouest en matière de droit criminel. Notre mode de fonctionnement est le reflet de la vaste expérience acquise par la haute direction de la CIJA au service de tribunaux internationaux et hybrides, ainsi que de groupes nationaux chargés des crimes de guerre comme celui que nous avons dans notre propre pays au sein du ministère de la Justice.
Les 150 employés de la CIJA recueillent des preuves conformes aux normes juridiques les plus élevées et les analysent dans le but de préparer, comme nous le faisons, des dossiers inculpant des hauts placés aux fins de poursuites pénales actuelles ou futures devant des cours nationales ou internationales. Comme telle, la CIJA se rapproche beaucoup plus de la division d'enquête du bureau d'un procureur international que d'une organisation axée sur les droits de la personne. Comme vous pouvez l'imaginer, la CIJA est véritablement unique parce qu'elle entreprend des enquêtes criminelles en sa capacité de fondation sans but lucratif en non en tant qu'institution publique.
En ce qui concerne la collecte d'éléments de preuve, l'intérêt de la CIJA sur le plan analytique dépasse la simple documentation prima facie des crimes. L'Organisation des Nations unies et diverses ONG fond déjà ce genre de travail à des fins d'information et de défense. La CIJA va plutôt recueillir, corroborer et conserver ce que nous appelons, dans notre domaine du droit, la preuve permettant d'établir des liens entre les acteurs des très hautes sphères de la politique, des forces armées et des services du renseignement et les crimes commis par des personnes de niveaux inférieurs.
La preuve permettant d'établir des liens est essentielle à l'établissement de la preuve pour les cas de poursuites en DPHI. L'établissement des liens pour les dossiers que nous préparons en vue de poursuites actuelles et futures absorbe environ 90 % des ressources humaines et matérielles consacrées par la CIJA à n'importe quelle enquête. C'est là que la CIJA sert de complément des plus efficace au travail en cours et futur des autorités nationales et internationales chargées des poursuites. C'est également sur ce plan qu'il ne faut pas confondre la CIJA avec les organisations de défense des droits de la personne, lesquelles se concentrent sur les questions de victimisation plutôt que sur l'établissement de la responsabilité à cet égard.
Les employés de la CIJA déployés en Syrie et en Irak, qui représentent environ 50 % de l'effectif, prennent des risques physiques qui sont gérés, mais quand même considérables, pour garantir que les liens soient établis pendant que les conflits en question font rage, contrairement à ce qui s'est produit lors de conflits antérieurs. Nous faisons cela pour nous assurer que les personnes qui sont essentiellement responsables des crimes de droit international ne restent pas impunies — à savoir que les responsables ne sont pas laissés dans des postes d'autorité plus longtemps qu'il est nécessaire en raison de facteurs d'ordre politique, diplomatique et, parfois, militaire.
Même si le travail de la CIJA se révélera essentiel aux procès criminels internationaux à venir, je trouve tout aussi important pour le Sous-comité de comprendre qu'il existe déjà d'autres options en matière de justice pénale. La preuve recueillie par la CIJA est essentielle au succès des efforts de justice pénale en cours dans des États où les auteurs de crimes ont été appréhendés, en particulier dans l'espace Schengen européen. En ce moment, la CIJA aide pas moins de 12 pays occidentaux à poursuivre à l'échelle nationale des responsables du régime syrien, des combattants de l'État islamique qui reviennent et d'autres membres de groupes extrémistes.
Au cours de l'année actuelle, la CIJA a répondu à plus de 30 demandes nationales d'aide touchant près de 400 cibles individuelles faisant l'objet d'enquêtes menées par des autorités nationales. Ces administrations nationales de l'hémisphère ouest demeurent la seule avenue pour tenir les criminels responsables de leurs gestes, au moins en ce qui concerne la Syrie. Il reste encore beaucoup à faire, mais il n'en demeure pas moins que les institutions publiques en font déjà beaucoup, comme d'ailleurs, si vous me permettez de le répéter, la CIJA.
En Syrie et en Irak, la CIJA a plusieurs dizaines d'enquêteurs sur place qui mènent de multiples opérations partout dans ces pays. D'autres employés s'acquittent de rôles de soutien dans les États voisins. La plupart des enquêteurs de la CIJA sont des ressortissants syriens et irakiens dont les capacités ont été développées sur plusieurs années par la CIJA, non sans l'aide financière du Canada. Sous la supervision de travailleurs internationaux ayant acquis une vaste expérience à La Haye et ailleurs, ces enquêteurs ont comme mission première de recueillir des quantités impressionnantes d'information sur le fonctionnement du régime syrien et sur l'État islamique afin que les analystes de la CIJA s'en servent comme preuves de nature politique, militaire et juridique.
À ce jour, notre personnel a placé en lieu sûr, à l'ouest, plus de 700 000 pages originales de documents du régime syrien; il a mené des centaines d'entrevues auprès de victimes et, surtout, de témoins de l'intérieur; et il a recueilli d'autres formes de preuves matérielles et électroniques. De plus, la CIJA continue de constituer une base de données de noms de responsables politiques et militaires et de responsables du renseignement de sécurité du régime syrien. Ce système contient en ce moment 1,2 million de noms. Une base de données distincte pour les combattants terroristes étrangers comporte plusieurs milliers de noms.
Globalement, l'information et les preuves que la CIJA détient, ainsi que sa capacité de mener des enquêtes en Syrie et en Irak constituent une riche source d'information pour les fonctionnaires de pays comme le Canada. En effet, nous fournissons l'information relative à un vaste éventail d'efforts visant à tenir les criminels responsables de leurs crimes, à sélectionner les demandeurs d'asile et à imposer des sanctions ciblées. Les systèmes de la CIJA seront à l'avenir utilisés dans le cadre de processus parallèles de renforcement des États et de filtrage. Ce que j'aimerais souligner, c'est que la CIJA ne cherche pas à supplanter des institutions publiques, et qu'elle n'est pas un organisme de défense. La CIJA est plutôt conçue pour servir d'outil que les fonctionnaires sont libres d'utiliser au besoin.
En Syrie, la CIJA est essentiellement autonome. En Irak, les enquêtes de la CIJA sont entreprises en application d'un protocole d'entente avec le gouvernement régional du Kurdistan. Selon ce protocole d'entente, la CIJA est en mesure d'obtenir un soutien logistique et sécuritaire essentiel en Irak, et ce, sans frais. À partir de différents endroits dans le nord, la CIJA examine, entre autres, les atrocités commises par l'État islamique envers les yézidis, les chrétiens et d'autres groupes minoritaires qui préoccupent en particulier le Sous-comité.
Dans son premier dossier de poursuite axé sur l'Irak, complété il y a plusieurs mois, la CIJA a identifié deux douzaines de suspects impliqués dans l'organisation d'activités d'esclavage de l'État islamique, ce qui comme vous le savez, a donné lieu à des histoires consternantes de violence et d'esclavage sexuels. En somme, les sept dossiers pouvant mener à des poursuites que la CIJA a complétés à ce jour, au cours des trois dernières années ou plus, identifient plusieurs dizaines de criminels particuliers provenant des plus hautes sphères du régime syrien et de l'État islamique.
En plus des options relatives à la justice pénale qui sont mises en oeuvre en Amérique du Nord et en Europe en ce moment, il existe une avenue menant à une justice à grande échelle, en Irak, pour les victimes des crimes de Daech. En effet, tout laisse prévoir que les criminels de l'État islamique seront traduits en justice devant une cour spécialement désignée du nord de l'Irak qui fonctionne selon les normes occidentales du droit à une procédure régulière, pour des crimes comme les infractions d'ordre sexuel perpétrées à l'endroit de femmes et de filles yézidies.
Depuis un certain temps, la CIJA mène les efforts déployés pour établir une telle chambre spécialisée dans les crimes de guerre au sein d'une cour irakienne existante. Notre proposition a déjà obtenu l'appui des autorités régionales compétentes du Kurdistan, et nous avons bon espoir que le gouvernement d'Irak va bientôt accepter cette idée.
Il suffit de dire, pour présenter ce concept de procès justes en Irak pour les membres de Daech ayant commis des crimes de droit international, que la plupart des éléments sont déjà en place pour que s'amorcent les poursuites contre les membres de l'État islamique déjà en détention sur le territoire irakien.
Pour terminer, j'aimerais souligner que le Canada est l'un des très rares États à contribuer concrètement aux efforts qui rendent possible la justice pénale pour les crimes de droit international. Qui plus est, le Canada continue de contribuer généreusement à une entreprise qui facilite la poursuite en ce moment de membres du régime syrien et de l'État islamique ayant commis des crimes et qui, en parallèle, a établi une grande partie de la base sur laquelle s'appuieront les futures poursuites pénales internationales contre les dirigeants les plus hauts du régime syrien et de l'État islamique.
Je suis impatient de répondre à vos questions. Je vous remercie encore de l'intérêt que vous continuez de manifester pour les guerres en Syrie et en Irak, notamment dans les efforts pour faire porter aux criminels la responsabilité de leurs gestes.
Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Wiley.
Nous allons passer directement aux questions, à commencer par le député Sweet.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur Wiley, mais également pour le travail extraordinaire que vous accomplissez.
Vous dites que vous êtes autonomes. Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont vous êtes financés? Est-ce par diverses nations qui participent à votre organisation?
En effet, monsieur. Pour être clair, je dirai que l'autonomie, en Syrie, signifie simplement que nous n'avons pas de lien avec le gouvernement, manifestement, et que nous devons nous-mêmes nous occuper de la logistique et de nos mesures de sécurité.
Le budget de la CIJA pour l'année civile actuelle est d'environ 7 millions d'euros. C'est à peu près 10,5 millions de dollars canadiens. Ces fonds viennent en ce moment du Canada, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de l'Union européenne. Nous espérons que le Danemark et la Norvège vont aussi bientôt nous consentir des dons. Ils se sont montrés très généreux dans le passé.
C'est excellent.
Vous avez mentionné un volume extraordinaire de preuves que vous avez recueillies. Encore là, je tiens à vous manifester — et je sais que mes collègues sont d'accord — notre très grande gratitude pour le travail que vous accomplissez dans des conditions périlleuses.
Des témoins nous ont parlé de fosses communes qui ont été laissées sans protection et sans surveillance, d'après eux, ainsi que du risque très élevé que les preuves soient altérées. Est-ce le cas en bien des endroits où Daech est passé?
C'est en effet le cas. Nous sommes allés voir certaines des fosses communes de Ninive, maintenant sous le contrôle du gouvernement régional du Kurdistan. Elles ne sont pas en bon état. Cependant un organisme partenaire que nous tenons en haute estime, la Commission internationale pour les personnes disparues, ou CIPD, qui est maintenant une organisation intergouvernementale, ou OIG, a comme tâche première de sécuriser les emplacements quand il est possible de le faire en toute sécurité. Je ne peux pas parler en leur nom, mais nous avons travaillé ensemble en Irak, et leur travail comporte des aspects complexes, dans le sens que la responsabilité des fosses communes relève du gouvernement central à Bagdad, et non du gouvernement régional du Kurdistan.
Il y a d'innombrables fosses communes; il n'y a aucun doute à ce sujet. Je pourrais simplement répondre en disant que si les corps sont sous la terre et que personne ne touche à ces cimetières, ça va. Le problème, c'est quand les familles reviennent dans le secteur et essaient de trouver leurs proches qui manquent.
C'est compréhensible.
Vous avez mentionné autre chose qui m'intéresse vivement, monsieur Wiley. Dans le nord de l'Irak, vous établissez une chambre pour les crimes de guerre contre l'humanité, selon des normes occidentales. Vous avez mentionné que le Kurdistan a déjà approuvé cela et que vous attendez le gouvernement irakien. Est-ce bien le cas? Je soupçonne que vous avez du soutien international, avec les pays qui vous financent. Est-ce quelque chose qu'ils appuieraient?
Oui. Plusieurs pays, en particulier l'Union européenne — qui n'est bien sûr pas un pays — et le Canada se sont montrés plutôt d'accord. Le lien manquant, en ce moment, est d'obtenir l'accord du gouvernement central à Bagdad, parce que la cour en soi, pour des raisons de sécurité et de logistique, doit être située dans le nord — à Erbil, en réalité. Nous espérons venir à bout de cela. Il ne nous reste plus beaucoup de temps pour y arriver, cette année, mais je vais me rendre à Bagdad en janvier, je pense, pour me mettre à frapper aux portes afin d'avoir le soutien nécessaire ou, du moins, une bienveillante indifférence, ce qui ferait aussi l'affaire.
Ma dernière question est plutôt large. Nous nous concentrons manifestement sur les yézidis et d'autres minorités religieuses et sur la tendance de l'EI/Daech à les cibler. Avec toutes les preuves que vous avez recueillies, avez-vous constaté que ces minorités sont à l'excès — plus que le reste de la population — la cible de gestes humiliants, de persécution, de meurtre, de torture et d'esclavage sexuel?
Les organisations de défense des droits de la personne ont manifestement rendu un énorme service en portant à l'attention du reste du monde les souffrances des yézidis en particulier. Cela inclut les décideurs comme vous, bien sûr, au Sous-comité. Je ne veux pas comparer les souffrances, mais il est important de ne pas oublier que la très grande majorité des victimes de l'État islamique sont des Arabes sunnites, qui sont victimisés en Irak et, surtout, en Syrie, où l'État islamique va rarement mettre la main sur les minorités — les chiites, les chrétiens et ainsi de suite. Il n'y a pour ainsi dire pas de yézidis en Syrie.
J'aimerais me concentrer un peu plus sur la collecte de preuves. Manifestement, avec les fosses communes, une fois qu'il est démontré que les actes ont été commis, ce qu'il faut, c'est établir le lien entre ces actes et ceux qui les ont commis. Je n'ai lu qu'un bref énoncé de ce que vous avez fait. Cela semble représenter une tâche énorme dans une situation très difficile.
Pourriez-vous nous parler un peu de la façon de lier les crimes à ceux qui les ont commis?
Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, 90 % du travail effectué dans un dossier consiste à établir ce lien, dans la mesure où nous nous intéressons à des auteurs de haut niveau. Dans le cas des structures militaires et politiques et des services de renseignements du régime syrien, il est relativement simple d'établir des liens entre les instances supérieures de ce régime et les acteurs physiques, si l'on peut dire, des actes sous-jacents. C'est pourquoi nous mettons tout en oeuvre pour nous procurer les documents du régime et les transmettre à l'Occident.
L'affaire est bien plus complexe dans le cas de l'État islamique, et je choisis soigneusement mes mots ici, car nous ne sommes pas à huis clos. En ce qui concerne l'État islamique, nous nous procurons certains documents, mais nous dépendons beaucoup plus d'autres formes de renseignements plus difficiles à faire admettre en preuve. Je fais ici référence à des sources de nature délicate au sein des structures de l'État islamique. Nous avons obtenu et continuons d'obtenir énormément de données en recourant à des processus de cyberexploitation et en mettant la main sur des ordinateurs, des téléphones, des disques durs et d'autres sources d'information. D'autres formes de renseignements de source ouverte viennent de l'État islamique lui-même dans le contexte de la révolution des médias sociaux. Je suis trop vieux pour les utiliser, mais il s'agit de YouTube, d'Instagram, de Telegram, de Facebook et d'autres sources semblables.
Ce n'est pas d'établir ce lien qui sera difficile dans le cas de l'État islamique, mais bien d'en faire une preuve admissible au cours du procès. Un de nos partenaires nationaux possède une vaste expérience des poursuites de longue haleine contre des terroristes, et il nous a conseillé à propos des défis que posent ces problèmes et des solutions qui s'offrent à cet égard.
Un autre témoin a fait remarquer qu'un grand nombre de crimes, peu importe leur forme, sont perpétrés par des auteurs de bas niveau, comme des voisins, des amis ou des acteurs locaux dans les villages. Comment agissez-vous en pareil cas, d'abord pour réunir des renseignements à ce sujet, de toute évidence — et je présume que c'est très difficile —, puis pour envisager la gouvernance postétatique, un processus de réconciliation qui ne comprendrait pas nécessairement des poursuites complètes, que vous puissiez en intenter ou non? J'aimerais connaître votre avis sur une forme de réconciliation excluant peut-être une application stricte de la loi.
Soyons réaliste: les crimes perpétrés en Syrie et en Irak sont d'une ampleur telle que ce n'est qu'une infime fraction des auteurs qui seront traduits en justice pénale. Au bout du compte, il faudra instaurer le genre de mécanismes de justice alternative que vous évoquez, comme des commissions de vérité ou des processus visant à trouver et à révéler la vérité. Nous sommes spécialisés en droit pénal, comme vous l'avez souligné, mais nous avons recueilli nos preuves et les avons organisées de manière à pouvoir les utiliser dans de tels mécanismes de justice transitionnelle.
J'ai une dernière question sur votre budget de fonctionnement. Le gouvernement fédéral a fourni une somme supplémentaire de 1,5 million de dollars. Est-ce suffisant, dans l'ensemble? Pouvez-vous me dire franchement quelle serait la contribution idéale que vous attendriez des États membres et des particuliers? Si ce montant est insuffisant, j'aimerais savoir combien vous aimeriez recevoir.
En fait, le Canada nous a accordé 3,3 millions de dollars sur 18 mois, soit pour le présent exercice et six mois supplémentaires. Cette somme est divisée entre la Syrie et l'Irak, et vient de diverses sources de financement, même si nous tendons à considérer ces conflits comme une seule guerre. C'est simplement ainsi que les choses sont organisées à Affaires mondiales.
Le Canada est le donateur le plus généreux à l'heure actuelle, ou peut-être existe-t-il un lien avec l'Union européenne; tout dépend du taux de change. Le problème, ce n'est pas que le Canada devrait donner davantage; c'est que des États, y compris certains qui exploitent massivement nos ressources, ne donnent rien. C'est là notre problème fondamental. La CIJA, à titre d'organisme d'enquête criminelle accomplissant un mandat qui serait normalement exécuté par une autorité publique, ne correspond pas bien aux critères des sources de financement normales d'un quelconque pays ou de l'Union européenne. Pour dire les choses crûment, nous ne faisons pas ce que ferait normalement une ONG.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Wiley. Comme ma voix me cause des ennuis aujourd'hui, je vais présenter toutes mes questions d'un coup. Je vous poserai quelques brèves questions, puis je vous céderai la parole pour que vous puissiez nous donner votre avis.
Je veux d'abord vous demander de nous parler brièvement de ce que vous qualifiez d'organisation unique. Nous savons que certains, au sein de la communauté internationale, ont critiqué la privatisation des enquêtes criminelles internationales. Considérez-vous cette approche constitue la voie de l'avenir? Cette structure unique pose-t-elle des difficultés particulières sur le plan de la collaboration entre les autorités? D'après votre expérience, les nouveaux défis découlent-ils du caractère unique de cette entité? En quoi consistent certains de ces défis et comment peut-on les surmonter si cette approche est celle de l'avenir? Je sais que vous avez parlé un peu de notre tribunal et de la chambre, et précisé que vous vous concentrez sur le droit pénal. J'aimerais connaître vos réflexions à ce sujet.
Je répéterais certainement, madame, que la CIJA est unique parce que c'est la première fois qu'un organisme privé, quoique sans but lucratif, entreprend des enquêtes criminelles internationales.
Je suis enquêteur criminel international professionnel depuis maintenant 20 ans. J'ai lancé la fondation parce que je considérais que les enquêtes criminelles internationales n'avaient pas d'avenir réel si on ne révolutionnait pas le système dans une certaine mesure. Le problème, c'est que les enquêtes sont devenues très lentes et fort onéreuses. Dans les pays qui paient de tels organismes, comme le tribunal en Yougoslavie, le tribunal au Rwanda ou la Cour pénale internationale, nous observons une lassitude considérable chez les donateurs. Les budgets sont pharaoniques.
À certains égards, la CIJA ne s'intéresse pas seulement à la Syrie et à l'Irak. En fait, nous nous occupons, bien que modestement pour l'instant, d'un certain nombre d'autres conflits armés. La CIJA souhaite favoriser l'évolution des enquêtes de droit pénal et humanitaire international dans le but de rendre ces dernières plus rapides et moins chères, et d'améliorer la situation du point de vue de la preuve.
Nous trouvons que ce modèle fonctionne fort bien, principalement pour trois raisons.
C'est notamment une question de leadership. Nous sommes tous des enquêteurs, des analystes et des conseillers issus du système international; nous savons donc comment monter un dossier criminel international ou, en fait, national.
De plus, nous avons une très haute tolérance au risque, une tolérance qu'aucun organisme public, outre les forces armées, ne pourrait supporter de manière réaliste, et c'est là le principal avantage que nous avons sur les organismes internationaux et nationaux, même si nous ne leur faisons pas concurrence, puisque nous sommes là pour les appuyer. Je tiens à souligner qu'il existe une différence notable entre une haute tolérance au risque et un goût du risque élevé. Si nous n'avons aucun goût pour le risque, nous le tolérons toutefois très bien.
Il faut aussi disposer de fonds suffisants, bien entendu. Nous sommes beaucoup moins chers d'un organisme menant des enquêtes criminelles internationales, si je peux m'exprimer crûment. Notre financement était suffisant ces dernières années, mais pour dire les choses franchement, la collecte de fonds est un véritable fardeau, puisqu'on nous assimile, si l'on peut dire, à la communauté des droits de la personne. Si nous agissions, de façon générale, comme une organisation des droits de la personne, notre budget serait énorme ou serait considéré comme tel.
En bref, et pour répondre à votre première question, je sais que la prétendue privatisation des enquêtes criminelles internationales soulève des critiques, que j'entends lorsque je vais à divers endroits pour prendre la parole. Il n'y en a pas beaucoup pour l'instant, et celles que nous entendons viennent normalement d'ONG. Le concept plaît beaucoup à nos collègues, à nos anciens collègues des institutions publiques, particulièrement aux conseillers juridiques. Je reçois un nombre surprenant de demandes de collègues toujours en poste dans ces institutions qui souhaitent venir travailler avec nous.
Au bout du compte, nous voulons qu'un plus grand nombre de nos dossiers débouchent sur des procès à l'échelle nationale et, bien entendu, internationale. La survie de notre enquête se joue au cours du procès. C'est à cette étape que tout se joue.
En ce qui concerne enfin les difficultés que pose la collaboration avec les autorités publiques, lorsque nous vendons ce concept, si l'on peut dire, nous ne demandons pas à ces autorités de nous payer pour l'aide que nous leur apportons. Si nous disposons des ressources et des fonds nécessaires, nous leur prêterons main-forte. En fait, nous sommes parfois proactifs et nous transmettons discrètement des dossiers aux autorités nationales lorsque nous détectons des suspects de haut niveau dans leur territoire grâce à notre propre réseau.
Les autorités nationales apprivoisent très rapidement le modèle de la CIJA. C'est ainsi que nous appelons notre modèle, et j'espère qu'au fil du temps, nous assisterons, aussi tôt que possible, à la naissance d'autres CIJA, peu importe le nom qu'on leur donnera. Je pense que c'est essentiel à l'amélioration des enquêtes internationales et nationales.
Oui, les autorités nationales apprivoisent très rapidement ce modèle. Chaque pays a toutefois ses propres lois en matière de protection des données, ce qui peut poser un problème. Dans certains d'entre eux, particulièrement si nous les aidons à lutter contre l'État islamique, la communication de renseignements est très unidirectionnelle, et c'est la CIJA qui transmet de l'information à l'autorité nationale. Si nous soutenons les autorités nationales responsables de l'immigration, nous ne faisons souvent que vérifier des noms, et les autorités nous demandront ensuite des éclaircissements sur les noms qui posent problème, mais il n'y a pas beaucoup d'échange d'information à cet égard.
Les échanges sont toutefois substantiels avec les autorités nationales chargées des poursuites et des enquêtes. Il y a beaucoup de collaboration. Certains pays sont restreints par leurs lois en matière de protection des données et par notre statut d'organisation non gouvernementale. Dans la plupart des pays, y compris le Canada, les lois ne sont cependant pas si problématiques. Certains ignorent tout bonnement leurs lois relatives à la protection des données pour parvenir à leurs fins.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur, de comparaître aujourd'hui. Votre témoignage est vraiment excellent.
J'ai deux questions, dont l'une fait suite aux propos de Mme Hardcastle et à ce que vous avez répondu à ses questions. Un témoin nous a parlé de la responsabilisation et de l'instauration de systèmes de responsabilisation dans les régions touchées dont nous traitons aujourd'hui. La CIJA a-t-elle un rôle à jouer dans l'établissement de tels systèmes ou, essentiellement, d'un système de justice une fois que Daesh aura été vaincu?
La réponse brève est: oui. C'est ce que nous tentons de faire dans le Nord de l'Irak à l'heure actuelle.
J'ajouterais aussi que nous n'appuyons pas les autorités chargées des poursuites en Irak pour l'instant, et ce, pour deux raisons.
C'est notamment parce que les poursuites intentées actuellement, que ce soit par le gouvernement central ou l'autorité régionale du Kurdistan, sont entreprises en vertu d'une loi en matière de terrorisme qui est profondément lacunaire et qui, selon nous, n'offre pas des garanties procédurales suffisantes à l'accusé.
À cela s'ajoute bien entendu le fait que l'Irak impose la peine capitale. Notre donateur — tout comme moi — ne soutiendra pas de procès capitaux en Irak ou ailleurs. En établissant un tribunal dans le Nord de l'Irak, nous devrons instaurer des lois par l'entremise du parlement régional du Kurdistan, ce qui nous donnera l'occasion de veiller à ce que cette chambre spécialisée n'applique pas la peine capitale.
Je retournerai en Irak au cours de la nouvelle année pour examiner la possibilité d'assurer la responsabilisation dans le domaine de la justice pénale dans une des régions de la Syrie où la ligne d'affrontement est relativement stable. Je n'entretiens pas trop d'espoir à ce sujet, car je pense que c'est prématuré pour l'instant. De toute évidence, nous ne pouvons pas affecter de conseillers internationaux en Syrie, car c'est tout simplement trop dangereux pour le conseiller ou l'analyste moyen. De plus, les tribunaux spéciaux appliquent la peine capitale, ce qui pose un autre problème.
Je considère donc que c'est simplement prématuré. De façon réaliste, je ne vois pas comment on pourrait actuellement appliquer la justice pénale en territoire syrien en respectant les normes nécessaires.
J'ajouterais une dernière remarque. La justice pénale internationale est hautement symbolique en ce qui concerne les grands crimes internationaux. Il est crucial que ces procès soient équitables et soient considérés ainsi, sinon nous perdons l'avantage symbolique de l'exercice.
Outre le financement, le Canada a-t-il un rôle à jouer pour vous aider dans votre mission et pour renforcer la responsabilisation dans cette région?
Certainement. Un de nos meilleurs partenaires... s'appelle-t-il Affaires mondiales Canada maintenant? Je vous demande de m'excuser, car je vis à l'étranger depuis de nombreuses années et je ne suis pas toujours au fait des derniers changements de nom. Affaires mondiales Canada est un de nos meilleurs partenaires. En fait, il est aussi bon que les autres, à égalité avec le Royaume-Uni et l'Union européenne en particulier, car il nous aide sur les plans politiques et diplomatiques dans des endroits comme Bagdad et il nous met en rapport avec d'autres États intéressés afin de recueillir des fonds, etc.
Nous pouvons compter sur ce soutien. De façon plus générale, pour revenir au thème abordé par votre collègue, il est très difficile pour une organisation privée de réunir des États. Nous pouvons y parvenir jusqu'à un certain point de manière non officielle, mais compte tenu des clivages qui existent entre certains d'entre eux à cause de leurs structures différentes ou pour d'autres raisons, vous pouvez imaginer à quel point il peut être ardu de tenter de les réunir. Mais quand nous réussissons à le faire ou quand ils se réunissent — et Affaires mondiales Canada est d'une aide précieuse à cet égard —, les choses se passent vraiment très rapidement.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier notre invité de témoigner aujourd'hui.
Monsieur, vous avez indiqué que vous avez recueilli des preuves pour effectuer des vérifications dans le cadre de demandes d'asile. Je m'interroge sur l'ampleur de ces vérifications. Savez-vous si le Canada a recouru à ces vérifications aux fins prévues?
Nous avons commencé à mettre pied la base de noms du régime syrien il y a environ deux ans. Cette initiative a toujours été financée par l'Allemagne et elle est gérée à l'extérieur de notre administration centrale. Elle était gérée initialement à Sofia, en Bulgarie. Pour des raisons de sécurité, je ne vous révélerai pas où elle est actuellement, mais elle demeure en Europe continentale. Ce sont des réfugiés syriens qui s'en occupent. Concrètement, nous extrayons des noms des documents numérisés du régime et nous les intégrons dans une base de données indépendante en y joignant un hyperlien vers les documents sources. C'est une plateforme simple et très peu coûteuse, utilisée par bien des autorités responsables de l'immigration.
Je m'excuse profondément, mais dans un forum public comme celui-ci, il ne conviendrait pas que je nomme les pays qui s'en servent, mais disons qu'elle est à la disposition de tout État démocratique libéral qui en a besoin.
D'accord.
M. Miller a effleuré la question suivante un peu plus tôt. Certains témoins ont indiqué qu'au lieu de poursuivre les auteurs de bas niveau, il faut les traduire en justice dans leur propre région. D'après votre expérience, pensez-vous qu'il soit réaliste de s'attendre à pouvoir établir dans ces régions des systèmes de justice et des tribunaux fonctionnels qui permettront de tenir les gens responsables de leurs actes une fois le conflit terminé? Des témoins ont indiqué qu'ils considéraient que c'était la bonne manière d'apporter un certain sentiment de paix dans ces régions et de résoudre les différends entre anciens voisins. Est-il réaliste de s'attendre à ce que nous puissions le faire dans l'avenir?
Pour être honnête, ce ne sera pas facile. J'ai travaillé à titre de conseiller juridique pendant plusieurs années à Bagdad au cours du procès de Saddam et d'autres hauts dirigeants baasistes. En termes simples, toute cette affaire s'est avérée un gâchis monumental du point de vue de l'application régulière de la loi, et ce, pour une panoplie de raisons.
Nous pensons, pour plusieurs raisons, que grâce à cette initiative dans le Nord de l'Irak, nous pourrons tenir des procès conformes aux normes occidentales en matière d'application régulière de la loi. En Syrie, même une fois la guerre terminée, si le régime adopte une forme démocratique libérale, cela prendra du temps. Il y aura notamment beaucoup de violence résiduelle. À mon avis, le processus de justice pénale concernant la Syrie devra probablement se dérouler à l'extérieur de ce pays pour qu'il satisfasse au moins aux normes nécessaires en matière d'application régulière de la loi. Cependant, l'expérience montre que ces mécanismes de justice transitionnelle visant à divulguer et à chercher la vérité peuvent être instaurés en territoire syrien.
J'ai juste une question, dans ce cas. Certains témoins ont suggéré de créer une zone de sécurité dans la région des monts Sinjar ou de la plaine de Nineveh afin de protéger certaines minorités ethniques. À votre avis, cela vous aiderait-il à mettre en place les structures dont vous avez besoin pour obtenir certains des résultats que vous visez? Est-ce une bonne idée, selon vous? Est-ce que cela changerait quelque chose?
Pour nous, cela ne changerait rien. Nous menons déjà des enquêtes criminelles dans cette région, avec l'aide des forces régionales kurdes. C'est une région assez sécuritaire comparativement à la Syrie ou à Mossoul, qui est plus au sud. C'est comme la Colline du Parlement.
Je ne sais pas exactement combien de temps il me reste, mais j'aimerais prendre deux ou trois minutes pour parler des risques auxquels vos enquêteurs et vos collaborateurs s'exposent pour mener leurs enquêtes. Ils accomplissent du travail héroïque. Quels dangers affrontent-ils au cours de leur travail?
De façon générale, nous n'avons pas beaucoup de problèmes en Irak parce que nous travaillons toujours au nord ou à l'ouest de la ligne de confrontation.
La situation est très différente en Syrie. Actuellement, les enquêteurs sur le terrain courent trois risques principaux. Le premier est un risque général: les tirs indirects et les attaques aériennes. Un de nos enquêteurs a été blessé, pas trop grièvement, à Hama il y a six semaines, durant une attaque aérienne qui n'avait rien à voir avec son travail en tant que tel.
La deuxième menace vient des groupes qui s'opposent à notre travail. Initialement, c'était le régime. Il y a environ quatre ans, une équipe entière qui travaillait dans la région de Damas a été enlevée. Nous n'avons pas renforcé cet échec; nous n'avons plus de présence continue dans la région. Aujourd'hui, le régime ne représente plus un danger. Depuis les trois dernières années, le risque vient des djihadistes radicaux: Jabhat al-Nosra et, depuis le début de 2014, l'État islamique. Le Front al-Nosra et l'État islamique ont arrêté certains de nos enquêteurs. Ils ont fini par être libérés parce que nous avons de très bons protocoles de sécurité pour les protéger contre cette éventualité — le chiffrement de leur matériel, bien sûr, et des prétextes, en quelque sorte. Or, ils courent toujours le risque d'être dénoncés et ils doivent faire attention.
Le troisième domaine est l'extraction de documents dans le Nord; il a toujours été le plus dangereux à cause de la très grande fluidité des lignes de confrontation et à cause du fait que le régime et les djihadistes radicaux sont tous deux hostiles à notre travail pour des raisons diverses. C'est en déplaçant des documents vers les frontières internationales et en passant les frontières pour aller vers l'ouest que la plupart de nos collaborateurs ont été blessés — l'un d'entre eux a même été tué — parce qu'ils se retrouvent hors de leur secteur habituel d'activité.
Depuis environ deux ou trois ans, personne n'a été blessé de cette manière, principalement parce que ces opérations ne sont plus organisées sur le terrain, mais plutôt par le bureau central. Nous avons constaté que nos collègues syriens avaient une attitude plus fataliste que moi par rapport à leur avenir, disons. Ils s'en remettaient à Dieu, en quelque sorte. Maintenant, notamment, nous leur faisons préparer des plans de mouvement adéquats. Je touche du bois, mais cette méthode a réglé le problème.
Merci beaucoup.
Le député Tabbara posera une brève question, après laquelle nous conclurons la séance.
Merci, monsieur le président. Ma question sera très brève.
Lorsque des atrocités sont commises ou des tragédies se produisent dans le monde, il arrive que les médias leur apposent rapidement l'étiquette d'actes de terrorisme alors qu'il s'agit parfois en réalité d'actes criminels. Selon un article de la BBC publié en août 2016, vous auriez déclaré que vous aimeriez mieux que les combattants de Daesh soient jugés par les tribunaux nationaux à titre de criminels plutôt que de terroristes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Comme je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas un organisme de défense, mais, bien sûr, nous sommes heureux de défendre parfois des positions en privé avec des partenaires. Nous encourageons les poursuivants à accepter toute l'aide que nous pouvons leur offrir pour qu'ils entreprennent de poursuivre certains combattants de Daesh en vertu du droit criminel ordinaire, si vous voulez, plutôt qu'en invoquant des lois en matière de terrorisme. Par exemple, à ma connaissance, tous les combattants de Daesh renvoyés en Europe sont poursuivis en vertu de lois sur le terrorisme.
À notre avis, cette façon de procéder va à l'encontre des efforts visant à inverser le message. Pensez au stéréotype du jeune homme mécontent — pas toujours d'origine musulmane, mais dans la majorité des cas — qui est à la merci de la propagande de recrutement en ligne de l'État islamique. Selon nous, apposer l'étiquette de « terroristes » aux combattants de l'État islamique qui sont poursuivis est contre-productif, car les jeunes hommes diront que George Bush est un terroriste, ou encore Tony Blair. Vous voyez ce que je veux dire.
Si nous pouvons avoir recours au système de justice pénale pour poursuivre certains, mais pas tous... car c'est très facile d'intenter une poursuite en invoquant les lois sur le terrorisme. Si nous pouvons, à l'occasion, poursuivre certains de ces hommes en vertu du droit criminel ordinaire — pour meurtre, pour vol, pour viol et pour d'autres infractions criminelles ordinaires, si l'on peut dire, ou pour des infractions autres que des actes de terrorisme —, nous pouvons envoyer le message aux adhérents potentiels qu'ils songent à se joindre à une association de criminels: ils ne deviendront pas des soldats du califat, des combattants pour le prophète et ainsi de suite. L'objectif est vraiment d'inverser le message et de contrecarrer l'extrémisme violent.
Merci beaucoup, monsieur Wiley. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir témoigné devant le Comité aujourd'hui. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est un dossier que non seulement les membres du Comité, mais aussi tous les parlementaires canadiens considèrent comme extrêmement important. Je le répète, nous prenons des mesures sur de nombreux fronts à l'égard de la situation critique précisément des yézidis, mais aussi d'autres minorités religieuses en Syrie et en Irak.
Je vous remercie encore une fois de vous être joint à nous aujourd'hui.
Cela m'a fait plaisir. Je vous remercie des efforts continus que vous déployez dans ce domaine; ils sont très importants pour les gens sur le terrain, surtout les Syriens et les Irakiens.
Merci.
Avant de lever la séance, j'aimerais obtenir le consensus du Comité sur une question soulevée par des membres du sous-comité. Au cours des derniers mois, depuis que le Comité a été mis sur pied, nous avons étudié deux zones de conflits en particulier, et la situation s'est intensifiée récemment dans ces deux zones. Nous pourrions en parler à la prochaine séance. Je sais que nous avons une autre séance demain. Il s'agit précisément des Rohingyas et d'Alep.
Nous avons étudié la situation des Rohingyas durant la dernière session, mais depuis le 9 octobre, la violence a repris de plus belle au Myanmar, et les Rohingyas sont particulièrement ciblés. On a proposé d'émettre une déclaration commune brève sur la nature de l'intensification et sur ce que nous ressentons à cet égard. Si cette idée nous intéresse et si nous voulons être entendus là-dessus, nous pourrons certainement en parler durant la prochaine séance.
En ce qui concerne Alep, nous avons émis une déclaration commune après notre séance d'urgence il y a probablement trois semaines, mais je pense qu'il est clair que la situation s'intensifie et se détériore depuis le week-end dernier, et que des mesures catastrophiques sont prises. Nous pourrions demander des renseignements à ce sujet aux analystes durant la prochaine séance, mais si nous pensons que ce serait une bonne voie à suivre, nous pourrons en parler.
Sur ce, je lève la séance.
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