SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 21 septembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Merci à nos témoins d'être des nôtres aujourd'hui pour faire le point avec nous sur la situation de crise que vivent les Rohingyas au Myanmar.
Nous allons débuter sans plus tarder. Je prierais nos témoins de bien vouloir s'en tenir au temps imparti de telle sorte que chaque membre du Comité ait droit à cinq minutes pour poser ses questions.
Nous accueillons ici même M. Ahmed Ramadan, coordonnateur des relations avec les collectivités pour Burma Task Force Canada; et M. Anwar Arkani, président de l'Association des Rohingyas du Canada
Si tout se passe bien, nous devrions aussi pouvoir entendre M. Matthew Smith, cofondateur de l'organisation Fortify Rights.
Nous allons d'abord céder la parole à M. Arkani. Je crois que notre greffière vous a déjà indiqué que vous avez droit à un maximum de sept minutes chacun. Nous allons voir à faire respecter cette limite afin que les députés puissent vous poser leurs questions.
Nous vous écoutons.
Merci beaucoup de nous avoir invités aujourd'hui.
Merci au sous-comité et à tous ceux qui ont organisé cette rencontre. C'est pour nous l'occasion de faire le point avec vous sur la crise actuelle.
Avant de vous parler de ce qui se passe maintenant, j'aimerais faire un bref retour en arrière pour vous faire comprendre que les événements que nous vivons n'ont rien de soudain ni d'accidentel. Tout cela est bien planifié et réfléchi.
Les déplacements de masse ont débuté en 1978. Ils croyaient que c'était une bonne idée d'expulser tous les Rohingyas de l'État de Rakhine, et ce, par tous les moyens possibles.
Mon père a alors été arrêté et est mort en prison sans même que nous le sachions. Je me suis enfui au Bangladesh à titre de réfugié, mais je ne veux pas trop m'attarder sur ce point. Ils croyaient avoir un plan à toute épreuve, mais ils faisaient fausse route, car ils ont dû permettre à toutes ces personnes de rentrer au pays.
En 1982, ils ont lancé une nouvelle phase de leur initiative bien planifiée de nettoyage ethnique ou d'éradication du peuple Rohingya en adoptant la Loi sur la citoyenneté. Tous les membres du groupe minoritaire des Rohingyas sont ainsi devenus apatrides du jour au lendemain. Ils ont agi par la suite en s'appuyant sur cette loi — mais on devrait plutôt dire qu'aucune loi ne les arrêtait. Ils agissaient à leur guise et se sont ainsi efforcés de parvenir à leurs fins pendant bien des années.
D'autres campagnes ont été menées en 1991 et 1992, et aussi dans une moindre mesure en 1994. Comme nous étions encore trop nombreux à leur goût, ils n'étaient pas satisfaits.
Lors de son accession au pouvoir en 2012, le président Thein Sein, ce militaire travesti en civil, a déclaré que l'on ne pouvait plus attendre et qu'il fallait trouver un moyen de se débarrasser des Rohingyas le plus rapidement possible.
C'était bien planifié. Ils ont toujours des prétextes à invoquer. Ils ont amorcé des actions... des pillages, en laissant en quelque sorte des fiers-à-bras et des moines s'en prendre aux musulmans au Myanmar, et notamment dans l'État d'Arakan.
Peu de temps après, le président Thein Sein a lui-même proposé que tous les Rohingyas soient envoyés dans un camp de réfugiés. Il voulait en faire des réfugiés pour que les tiers pays désireux de le faire puissent les accueillir. M. António Guterres, actuel secrétaire général des Nations unies qui dirigeait à l'époque le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a rapidement rejeté cette proposition.
Les exactions ont ensuite commencé sous divers prétextes en 2012. Dans chaque région, on invoquait des motifs différents pour les justifier. Simplement pour gagner du temps, ils ont mis sur pied pas moins de cinq commissions différentes, l'une à la suite de l'autre. La plus récente était celle présidée par Kofi Annan. Je ne veux pas trop m'attarder non plus sur cet aspect.
La situation a vraiment dégénéré. À la fin de son mandat, le président s'est assuré, de concert avec Suu Kyi qui allait lui succéder, qu'aucun Rohingya ne serait autorisé à se présenter comme candidat ni même à voter lors des élections. C'était la toute première fois de l'histoire du Myanmar que le Parlement ne comptait aucun Rohingya et que ceux-ci n'étaient même pas autorisés à voter. Les coupables ont eu les coudées franches parce que l'on se disait un peu partout dans le monde qu'Aung San Suu Kyi avait été démocratiquement élue à la tête du gouvernement et qu'elle a été récompensée partout sur la planète pour son travail de défense des droits de la personne. Je veux bien le croire, mais la transition au pouvoir ne s'est pas faite sans certains accrocs.
C'est ainsi qu'elle a pu s'en tirer facilement. Elle s'est ensuite rendue dans différents pays pour faire lever toutes les sanctions, y compris les sanctions individuelles à l'égard de généraux coupables de trafic de stupéfiants. Sa démarche a été couronnée de succès. Grâce à elle, tous ces généraux peuvent poursuivre leurs activités criminelles en toute impunité.
Tous ces gens qui se trouvaient dans des camps pour personnes déplacées, ce n'était sans doute pas assez pour eux; il fallait qu'ils trouvent un prétexte pour en faire plus. Le 9 octobre, ils ont commencé leurs assauts. Ils ont soutenu que leurs avant-postes de sécurité avaient été attaqués avec des lance-pierres, des bâtons et des couteaux de cuisine ou de ferme tout rouillés. C'était vraiment ridicule. Un grand nombre de personnes ont été tuées. Le gouvernement n'a pas cherché à le cacher en présentant lui-même certaines de ces armes. On en vient à se demander ce que pouvaient bien faire tous ces soldats bien armés et bien entraînés dans ces 30 avant-postes. Étaient-ils là pour méditer et faire leurs dévotions? C'est la question qui vient vraiment à l'esprit.
C'est une initiative bien planifiée et tout ce qu'il y a de plus systématique. Ils ont tous les prétextes nécessaires. Ils accusent les victimes de tous les maux pour pouvoir s'en débarrasser. Même après toutes ces années, ils s'en tiennent à ce discours.
Je ne suis pas en train de vous parler des gens qui ont déjà quitté le pays. J'ai une soeur qui est encore vivante, et j'ai des neveux et des nièces que j'appelle tous les soirs. Je leur ai encore parlé hier à 22 heures, heure du Canada. Ils m'ont dit que si ce n'était pas l'armée qui les tuait dans une de ses attaques, c'est la faim qui aurait raison d'eux. Ce sont les dernières nouvelles que j'ai eues. Ils habitent dans un grand village à la limite des cantons de Buthidaung et de Rathedaung.
Je crois que je vais m'arrêter là pour l'instant. Je pourrai peut-être vous en dire plus long en répondant à vos questions...
Nous vous offrons également nos plus sincères condoléances pour ce qui est arrivé à votre famille.
Monsieur Smith, pouvez-vous m'entendre? Nous ne vous entendons malheureusement pas.
Oui, je vous entends.
Si M. Ramadan n'y voit pas d'objection, je crois que nous devrions profiter de la bonne connexion que nous avons actuellement — car nous savons que ce n'est pas toujours le cas — pour vous permettre de faire votre exposé dès maintenant. Je vous demanderais de vous en tenir à sept minutes. Lorsqu'il vous restera seulement deux minutes, je vous l'indiquerai pour vous permettre de conclure à temps, car je veux m'assurer que mes collègues auront le temps de vous poser leurs questions.
Excellent. Merci, monsieur le président.
Distingués membres du comité, je vous remercie sincèrement de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous et de prendre le temps de vous intéresser à la crise sévère qui secoue l'État de Rakhine.
Je travaille pour Fortify Rights, un organisme qui se consacre à la défense des droits de la personne. Je suis en poste depuis 2005 en Asie du Sud-Est où j'ai oeuvré au Myanmar, y compris dans l'État de Rakhine. Notre organisation non gouvernementale sans but lucratif est enregistrée aux États-Unis et à Genève. Nous travaillons exclusivement en Asie du Sud-Est. J'aimerais vous transmettre aujourd'hui une partie des informations que nous avons recueillies au sujet des violations graves des droits de la personne qui ont cours dans l'État de Rakhine.
Je ne vous apprends certes rien en vous disant que des centaines de milliers de personnes ont été déplacées depuis le 25 août. Dès que les attaques ont été déclenchées ce jour-là, je me suis dirigé vers le Bangladesh où j'ai pu passer une dizaine de jours à la frontière. Nous avons mené une enquête approfondie pour tirer au clair les allégations relatives aux exactions perpétrées.
Je vais tenter de vous résumer brièvement ce que nous avons pu apprendre et confirmer depuis le 25 août, et même avant cette date. C'est bien sûr le 25 août que des militants ont attaqué 30 postes de la police et un poste de l'armée. Ces militants étaient armés de bâtons et de couteaux. Ils ont tué 12 membres des forces de sécurité de l'État, ce qui a entraîné une réplique féroce de la part de l'armée du Myanmar, des forces policières du pays et de bandes de civils brandissant des épées et d'autres armes.
Nous avons entendu les récits détaillés de témoins oculaires et de survivants de 31 villages différents dans trois cantons du Nord de l'État de Rakhine, soit Maungdaw, Buthidaung et Rathedaung. Nous avons pu parler à des hommes et des femmes rohingyas, à des travailleurs humanitaires, à des gens actuellement coincés dans des villages ainsi qu'à quelques-uns des combattants de l'Armée du Salut des Rohingyas de l'Arakan, aussi appelée al-Yaqin. Nous avons pu ainsi recueillir des informations sur différentes tueries. Les soldats de l'armée du Myanmar ont abattu et tué des hommes, des femmes et des enfants de tout âge, infligé des blessures mortelles à coups de poignard et brûlé des victimes vives.
Pour vous donner une idée de la situation, j'aimerais vous relater brièvement trois massacres qui ont eu lieu depuis le 25 août, un dans chacun des cantons du Nord de l'État de Rakhine.
Le 27 août, aux environs de 10 heures du matin, des soldats de l'armée du Myanmar ont fait irruption dans le village de Maung Nu dans le canton de Buthidaung. Certains résidants ont pu s'enfuir immédiatement, mais un grand nombre d'entre eux se sont regroupés dans la plus grande maison du village, une résidence de deux étages appartenant à une famille rohingya bien en vue. Ils se sont peut-être dit qu'ils y seraient en sécurité. Chacune des pièces de cette assez grande maison était remplie à craquer de gens du village. Selon les survivants, les femmes et les filles étaient au rez-de-chaussée alors que les hommes et les garçons se trouvaient à l'étage.
Les soldats ont encerclé la maison, y sont entrés et ont confiné les femmes et les filles dans la maison voisine. Un témoin oculaire a vu les soldats traîner de force à l'extérieur de la maison les hommes et les garçons, dont certains avaient à peine 12 ans. Certains soldats leur ont attaché les mains derrière le dos, ont arraché le voile des femmes pour l'utiliser afin de bander les yeux des hommes et des garçons, et les ont soumis à un violent interrogatoire.
Des soldats ont commencé à rouer de coups les hommes et les garçons, à leur hurler après et à les menacer. Après un certain temps, les détenus ont été forcés de se coucher face contre terre et les soldats ont commencé à les exécuter. Des soldats ont tiré sur eux pendant que d'autres utilisaient un poignard pour leur infliger des blessures mortelles au cou. Une femme avec laquelle nous avons passé du temps a vu des soldats tuer par balle son beau-père, qui était un mollah local, son beau-frère et les deux fils de celui-ci qui étaient âgés de 16 et 18 ans.
Le massacre perpétré dans ce village ce jour-là a duré environ deux heures. Les victimes étaient âgées de 12 à 90 ans. Dans certains cas, les soldats de l'armée du Myanmar ont enveloppé les corps dans des bâches et les ont déposés dans un véhicule militaire qui s'est dirigé vers le bataillon local connu dans la région sous le nom de bataillon de Pale Taung. C'est le bataillon 564 de l'armée du Myanmar.
Dans d'autres villages du nord de l'État de Rakhine — et je vous rappelle que ce sont seulement des exemples pour vous donner un aperçu de la situation — les soldats n'ont pas pris la peine d'envelopper les corps et de les transporter ailleurs. Ils les ont simplement brûlés.
D'accord.
Le 30 août, dans le village de Min Gyi, les soldats ont laissé entendre aux résidants qu'ils étaient en sécurité. Les gens ont été nombreux à se regrouper sur la rive du Purma, et les soldats n'ont pas tardé à ouvrir le feu. Nous recueillons de l'information sur des tueries semblables depuis le 25 août.
Avant de manquer de temps, je veux absolument vous dire que ce ne sont malheureusement pas les seules exactions à avoir été commises. Le 9 octobre dernier, les premières attaques des militants rohingya ont également donné lieu à une très brutale manifestation de force de la part de l'armée du Myanmar et des autres forces de sécurité de l'État. D'octobre à décembre, nous avons ainsi recensé une flambée d'agressions et de viols collectifs de femmes et de filles. Nous avons pu parler à de nombreux témoins oculaires ainsi qu'à des femmes qui ont bien voulu partager leur expérience après avoir survécu à ces agressions. Ces crimes ont été perpétrés en toute impunité.
Je vais vous soumettre quelques-unes de nos recommandations, mais j'aimerais bien avoir l'occasion de vous en dire davantage. Nous exhortons vivement le gouvernement du Canada à faire tout en son pouvoir pour veiller à ce que des mesures soient prises de toute urgence. Nous recommandons en outre que le Conseil de sécurité des Nations unies convoque sans tarder une séance publique pour discuter de la crise dans l'État de Rakhine. Nous demandons au Conseil de sécurité d'imposer un embargo mondial sur les armes destinées à l'armée du Myanmar. Nous estimons en outre que le moment est venu d'amorcer des discussions quant aux moyens à prendre pour que les coupables aient à répondre de leurs actes devant le système de justice international.
Le gouvernement du Myanmar, avec Aung San Suu Kyi à sa tête, et les forces militaires ont nié catégoriquement les allégations voulant que des violations des droits de la personne aient eu cours depuis le 25 août. Il s'agit bien sûr de l'un des aspects les plus troublants des derniers événements dans ce pays.
Monsieur Smith, je dois vraiment vous interrompre. Je vous remercie.
Puis-je vous demander de nous transmettre toutes les informations que vous avez pu recueillir? Vous nous avez parlé de quelques cas particuliers, mais nous serions très heureux de pouvoir prendre connaissance de toutes les preuves dont vous disposez pour confirmer que ces atrocités ont bel et bien eu lieu.
Merci.
Nous passons à M. Ramadan qui dispose lui aussi de sept minutes.
Merci de votre invitation. Je vais commencer sans plus tarder, car j'ai beaucoup de choses à vous dire et peu de temps à ma disposition.
Même si M. Smith vient de vous donner un bon aperçu de la gravité des atrocités perpétrées, j'aimerais vous faire prendre connaissance d'un témoignage présenté au Tribunal permanent des peuples, qui se penche actuellement en Malaisie sur la situation au Myanmar.
Voici donc l'un des témoignages recueillis. Il est très explicite, mais je tiens à vous montrer à quel point la situation est grave et horrible. Je vous le lis: « Ma soeur venait d'accoucher chez elle quand des soldats du Myanmar sont arrivés au village. Nous nous sommes tous enfuis, mais ma soeur n'a pas pu le faire. Quand je suis retourné au village, j'ai trouvé les cadavres de ma soeur et de son bébé. Ils avaient déshabillé ma soeur, et ils lui avaient fait des entailles au vagin. Ils lui avaient coupé les seins, et ils avaient mis le cadavre de son bébé sur sa poitrine. Le bébé avait été piétiné à mort. Son estomac avait éclaté, et ses intestins étaient sortis de son corps. Les soldats avaient placés les deux seins de ma soeur l'un à côté de l'autre sur l'oreiller près d'elle. Elle était couchée dans son lit. Une carabine lui avait été enfoncée dans le vagin. »
J'aimerais maintenant réagir à la déclaration faite il y a quelques jours par Aung San Suu Kyi.
Je travaille pour Burma Task Force Canada, un organisme sans but lucratif enregistré au Canada à l'initiative du Task Force for Peace and Justice. Nous sommes une coalition d'organisations qui est accréditée aux États-Unis par les Nations unies.
Notre groupe s'inscrit en faux contre les commentaires de la conseillère d'état du Myanmar, Aung San Suu Kyi, au sujet des attaques militaires lancées contre les Rohingyas. Son discours, prononcé en anglais, s'adressait de toute évidence à des auditoires étrangers afin de calmer l'indignation croissante à l'échelle internationale au moment où l'on condamne de plus en plus les crimes contre l'humanité commis au Myanmar en ciblant les musulmans rohingyas.
Dans son allocution, Suu Kyi a plaidé l'ignorance à l'égard des crimes pourtant bien documentés perpétrés contre les Rohingyas en soutenant que des preuves concrètes étaient nécessaires pour que des mesures puissent être prises. Plus de 400 000 Rohingyas ont été obligés de s'enfuir au Bangladesh. Il existe des images satellites montrant 214 villages qui ont été incendiés. Ce sont donc environ 50 % des villages appartenant aux Rohingyas, si ce n'est davantage, qui ont été ainsi réduits en cendres. On pourrait lui demander quelles preuves de plus il lui faut.
Des organisations de défense des droits de la personne et des Nations unies ont recueilli et soumis au gouvernement de Suu Kyi différents éléments de preuve concernant les exactions dont les militaires du Myanmar se sont rendus coupables. Ainsi, pas moins de 52 % des réfugiées interrogées par les Nations unies au Bangladesh ont indiqué avoir été agressées sexuellement par des militaires du Myanmar.
Par ailleurs, comme Suu Kyi a admis que 50 % des villages des musulmans rohingyas étaient toujours intacts, elle devrait aussi reconnaître que 50 % ont été détruits par l'armée de son pays.
Elle soutient également qu'aucun conflit n'a fait rage depuis le 5 septembre, mais de nombreuses organisations ont fait la preuve du contraire. Ces informations sont disponibles, et je ne demanderais pas mieux que de les transmettre au comité après la séance. Il s'agit de documents démontrant que de tels agissements ont toujours cours.
Elle a enfin laissé entendre que les Rohingyas qui souhaitent rentrer au pays seront les bienvenus, mais devront se soumettre à un processus de vérification. À nos yeux, c'est une façon détournée d'empêcher le retour des Rohingyas, car tout le monde sait bien qu'ils ne sont plus reconnus comme des citoyens du pays et qu'ils n'ont pas les papiers nécessaires. C'est ce qu'on déjà indiqué également les porte-parole d'Aung San Suu Kyi.
Elle a ajouté que trois camps avaient été fermés. Des gens qui ont visité ces camps prétendument fermés nous ont toutefois indiqué que des personnes déplacées s'y trouvaient encore mercredi matin.
Une grande partie de ses dires, si ce n'est la totalité, peuvent être considérés comme une déformation totale de la réalité, voire de fieffés mensonges.
Comme je l'ai indiqué, près de la moitié de la population rohingya a été déplacée en moins de trois semaines. Au cours de la même période, plus de 200 villages ont été incendiés. Au moment où l'on se parle, l'armée du Myanmar mobilise des troupes au centre-ville de Maungdaw en prévision de nouvelles attaques.
Comme on vous a déjà parlé des tueries, des raids effectués et des bébés qui ont été assassinés, je ne vais pas vous en dire davantage à ce sujet.
Par ailleurs, l'armée du Myanmar est en train de poser des mines terrestres le long de la frontière pour empêcher les gens de la franchir pour se rendre au Bangladesh.
C'est là où je veux en venir. Hier, le président de la France a déclaré que la situation actuelle ressemblait à un « génocide ». Sept lauréats du Prix Nobel de la paix ont rendu publique une déclaration commune disant qu'il s'agit d'un « exemple classique de génocide ». L'Université Yale a publié un rapport. L'Organisme Fortify Rights a également déposé un rapport qualifiant la situation de génocide. Le premier ministre de la Malaisie, le président du Nigeria, le président de la Turquie et le ministre des Affaires étrangères du Bangladesh ont tous déclaré que ce qui se passe actuellement au Myanmar relève du génocide.
Par conséquent, je recommande vivement au Comité de cesser d'utiliser du terme « nettoyage ethnique », qui est le terme utilisé par Slobodan Milosevic pour couvrir ses crimes en Bosnie. Nous devrions plutôt utiliser le terme « génocide », qui incite et force la communauté internationale à intervenir directement. Nous demandons également au Canada d'envisager la possibilité de déployer des Casques bleus et de créer une zone sûre pour les villages restants et les Rohingyas jusqu'à ce que l'on trouve une solution à long terme à la crise.
Je vais m'en tenir à cela pour l'instant, mais je vous en dirai davantage au cours de la période de questions.
Merci beaucoup, monsieur Ramadan.
Merci à tous les témoins. Je sais que ce type de témoignage peut être très difficile, lorsqu'on pense à toutes les conséquences que subissent les Rohingyas.
Chers collègues, je vais essayer d'accorder cinq minutes à chacun, et c'est M. Anderson qui ouvre le bal.
Je tiens à remercier nos témoins d'avoir accepté de comparaître devant le Comité à court préavis. Le Comité s'est senti interpellé par ce dossier, et il a cru nécessaire de tenir cette audience le plus rapidement possible.
J'ai eu l'occasion de me rendre au Myanmar l'été dernier, en compagnie d'un groupe multiconfessionnel, pour observer la situation et tenter d'y remédier. Après avoir rencontré les gens là-bas, nous savions que la situation était désastreuse, mais nous ne pensions pas qu'elle pouvait s'aggraver. Malheureusement, la situation a empiré considérablement depuis.
J'aimerais revenir à ce que vous avez dit au début, monsieur Arkani. Est-ce qu'on tente ici de régler un problème de longue date? Le gouvernement est-il résolu à aller jusqu'au bout? Qu'en est-il exactement? S'agit-il d'un conflit qui a pris de l'ampleur et dont certaines personnes ont décidé de tirer avantage, ou a-t-on décidé en coulisses de régler la situation une fois pour toutes?
Qu'en pensez-vous?
Selon moi, ce n'est pas un problème, parce qu'une seule partie est en cause. Il n'y a rien à régler. Dès que le gouvernement cessera d'exploiter et de tuer ces gens, le problème sera réglé. Il n'y a absolument rien à négocier, bien que le gouvernement... ou la communauté bouddhiste voit cela comme... Nous avons entendu des choses récemment — des insurgés, des terroristes, ou peu importe le terme qu'ils utilisent. Selon moi, tout cela est une invention du gouvernement. Le gouvernement dispose de beaucoup de ressources. J'ai la preuve qu'il enseigne notre langue aux prisonniers. J'imagine qu'il a une bonne raison de le faire. Quelle est-elle?
De plus, le gouvernement a demandé aux Rakhines bouddhistes du Bangladesh de s'établir sur le territoire des Rohingyas. Ces gens parlent notre langue, plus ou moins. Je ne sais pas ce qu'ils font de toutes ces ressources. Si le gouvernement le voulait, il pourrait y mettre fin tout de suite.
D'accord. Je n'ai pas voulu insinuer que je croyais qu'il s'agissait d'un problème. Je parlais plutôt de la perspective du gouvernement.
Est-ce que les autres témoins auraient quelque chose à ajouter?
J'aimerais également savoir quel est le niveau de soutien au sein du Myanmar. Sans ce soutien local, la situation ne pourra s'améliorer. Nous savons ce qui a été imposé au moine bouddhiste qui avait tenu des discours extrémistes. Cela avait suscité de vives réactions.
Pouvez-vous nous dire ce qui se passe au Myanmar?
Absolument. Nous considérons qu'il s'agit d'une campagne de propagande menée par le gouvernement. Le gouvernement a radicalisé une grande partie de la population, bien qu'il y ait quelques sympathisants, dont certains ont même essayé de venir en aide aux Rohingyas persécutés par la majorité radicalisée.
La majorité de la population croit la propagande orchestrée par le gouvernement et l'armée. La plus importante propagande est apparue en 1988 et, malheureusement, elle s'est beaucoup répandue jusqu'à devenir omniprésente. Le gouvernement tente de mettre en oeuvre un plan précis visant à faire fuir les Rohingyas ou à simplement les anéantir. Ce ne sont pas les bouddhistes qui se sont insurgés soudainement et qui ont imposé cela au gouvernement. C'est plutôt l'inverse; c'est le plan du gouvernement.
C'est une excellente question. Selon nos observations, il est clair qu'à ce stade-ci, les forces de sécurité au Myanmar et, dans une certaine mesure, le gouvernement civil, se servent du contexte de la lutte contre les insurrections, comme mon collègue l'a dit, pour expulser les Rohingyas de l'État de Rakhine ou détruire certains segments de la population. Les autorités en ont profité pour s'en prendre brutalement aux militants rohingyas.
Pour ce qui est du niveau de soutien au sein du Myanmar, il va sans dire que l'environnement est extrêmement hostile en ce moment dans l'État de Rakhine, et on a même rapporté que des civils commettaient des actes de violence. Les forces de sécurité de l'État ont armé des civils dans l'État de Rakhine — des citoyens bouddhistes et non musulmans — qui ont à leur tour tué des tonnes de personnes.
Dans un contexte plus large, sachez qu'il y a une lueur d'espoir. Certains segments de la société civile du Myanmar se sont exprimés, dans une certaine mesure, mais il reste que la discrimination est profondément enracinée dans ce pays. Il faut savoir que la plupart des gens qui s'opposent vivement aux Rohingyas au Myanmar ne les ont jamais rencontrés ou n'ont jamais passé de temps avec eux.
Merci, monsieur Smith. Je suis désolé, mais le temps est écoulé.
Monsieur Tabbara, vous disposez de cinq minutes.
Merci, monsieur le président, et merci à vous tous d'avoir accepté de vous joindre à nous, à la dernière minute.
J'aimerais aborder deux questions précises. La première concerne l'aide humanitaire, et peut-être que M. Smith pourrait y répondre. J'ai lu un article sur le site Web d'Al Jazeera selon lequel des travailleurs humanitaires avaient été bloqués par une foule dans l'État de Rakhine, et qu'un camion de la Croix-Rouge avait fait une collision, ce qui a fait en sorte que l'aide humanitaire n'est jamais parvenue aux réfugiés rohingyas.
Pouvez-vous nous parler des difficultés qui se posent en ce moment au chapitre de l'aide humanitaire, que ce soit dans l'État de Rakhine ou pour les réfugiés qui ont fui les violences? Je sais que M. Arkani a indiqué que sans nourriture, ces gens pourraient mourir. Pourriez-vous nous parler de l'urgence de la situation?
L'aide humanitaire constitue actuellement un problème très grave, et ce, depuis quelque temps déjà. Je ne sais pas si on en a parlé, mais au Myanmar, sachez qu'il y a plus de 120 000 Rohingyas qui sont confinés dans des camps d'internement par le gouvernement. Cela rappelle la situation qui a donné lieu aux massacres commis contre les Rohingyas, en 2012.
L'acheminement de l'aide humanitaire dans ces camps s'est avéré très difficile au cours des dernières années. Actuellement, les aliments ne se rendent pas jusqu'à ces camps. Dans le Nord de l'État de Rakhine, là où les actes de violence récents ont eu lieu, le gouvernement a pratiquement chassé tous les grands groupes humanitaires qui étaient sur le terrain pour fournir une aide vitale. Les intervenants du Programme alimentaire mondial ne sont pas autorisés à fournir des aliments dans le Nord de l'État de Rakhine. Des dizaines de milliers d'enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère. Sans une intervention humanitaire, ils mourront. C'est une région que le gouvernement du Myanmar a complètement fermée à tout groupe humanitaire, à l'exception du Comité international de la Croix-Rouge. Dans cette région, il semble que le gouvernement laisse tout simplement les civils de la région faire obstacle à l'aide offerte par le CICR.
Au Bangladesh, les besoins sont immenses. Énormément de gens y affluent — plus de 500 000 personnes depuis le 25 août — et les besoins sont criants. Les besoins en nourriture et en soins sont urgents.
Que proposeriez-vous pour améliorer la situation? Comment pouvons-nous collaborer avec nos partenaires internationaux afin que l'aide soit acheminée rapidement là-bas? Quelles recommandations formuleriez-vous au Comité?
Il y a des organisations sur place qui travaillent aux côtés des autorités bangladaises pour fournir de l'aide. Par le passé, le gouvernement du Bangladesh a, selon nous, fait la vie dure aux travailleurs humanitaires oeuvrant auprès des Rohingyas. La situation a légèrement changé, mais je pense qu'il y aurait une possibilité pour le Canada d'appuyer les travailleurs humanitaires du côté du Bangladesh.
En ce qui concerne le Myanmar, le gouvernement même crée des conditions de vie qui se veulent destructrices. On empêche systématiquement les Rohingyas d'avoir accès à de l'aide humanitaire. Il est donc urgent d'intervenir et d'accentuer les pressions auprès du gouvernement du Myanmar. Chose certaine, tout ce que le gouvernement du Canada peut faire, de concert avec la communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies et d'autres, pour encourager une action rapide sera un pas énorme.
Merci.
Notre ministre vient tout juste d'annoncer que le gouvernement versera 2,2 millions de dollars supplémentaires. C'est bien beau, mais encore faut-il que cette somme soit réellement acheminée aux gens sur le terrain qui en ont besoin, aux gens dans l'État de Rakhine.
Monsieur Ramadan, vous avez parlé des sympathisants au Myanmar. Y a-t-il des groupes de mobilisation parmi les citoyens du Myanmar qui dénoncent le gouvernement? Trouve-t-on une certaine mobilisation sur place? Nous savons qu'il y en a dans les pays voisins, mais qu'en est-il du Myanmar?
Je serai très bref.
En ce qui concerne la mobilisation, je pense que ce serait dangereux pour eux de le faire. Cependant, je sais qu'il y a une lettre qui a été rendue publique avant le début de ce massacre, et cette lettre avait été signée par de nombreux groupes à l'appui des Rohingyas. N'empêche que les gens ne sont pas portés à vouloir se mettre en avant, avec raison.
Je vais enchaîner rapidement avec mes questions, parce que j'ai beaucoup de mal à contenir mes émotions en ce moment. Je veux que cette réunion soit significative et qu'on arrive à formuler des recommandations concrètes et fermes, car il est évident que ce que nous avons fait jusqu'à maintenant n'est pas suffisant.
Tout d'abord, j'aimerais que vous m'expliquiez quel a été le rôle du Tribunal permanent des peuples au chapitre de la collecte et de la documentation de preuves au Myanmar. A-t-il été utile à cet égard ou non? Y aurait-il moyen que notre gouvernement contribue à rassembler les preuves dont le Conseil de sécurité des Nations unies a besoin? J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Voilà pour ma première question.
Ensuite, j'aimerais que vous me disiez de quelle autre force diplomatique pourrions-nous faire partie ou devrions-nous instaurer pour ce qui est du soutien aux camps d'internement et à l'acheminement de la nourriture? Avons-nous besoin de Casques bleus? Est-ce ce que vous dites, monsieur Smith?
Je vais vous céder le reste de mon temps pour que vous puissiez nous en dire davantage sur le sujet. Je ne sais pas qui d'entre vous veut se lancer en premier.
Je vous remercie pour ces questions. Ce sont deux questions très importantes. En fait, en me rendant ici, j'ai discuté au téléphone avec le président de la Burma Task Force. Il se trouve lui-même à la frontière du Bangladesh en ce moment pour brosser un portrait de la situation actuelle.
Il m'a d'ailleurs prié de demander au Comité s'il pouvait contribuer à documenter ce qui se passe là-bas. Il y a des gens qui n'ont plus de foyer, car leurs villages ont été ravagés, et on a besoin de plus de gens pour documenter la situation. Chose certaine, nous pouvons non seulement aider à recueillir des preuves, mais aussi permettre à ces gens d'obtenir justice pour ce qu'ils ont vécu.
La Burma Task Force prône la présence d'une force de maintien de la paix et la création d'une zone sûre. Pour l'instant, je ne vois pas d'autre solution.
Oui. Malheureusement, je n'ai pas pu assister aux séances du Tribunal permanent des peuples, mais je considère que ces initiatives sont très utiles. Nous, à Fortify Rights, documentons les violations des droits de la personne, et un autre aspect de notre travail consiste à offrir du soutien technique aux communautés qui sont persécutées ou aux organisations locales de la société civile. Nous veillons à ce que ces communautés fassent partie de la solution, particulièrement en ce qui concerne la documentation. À l'heure actuelle, nous tentons d'accentuer nos efforts, de sorte que les membres de la communauté rohingya eux-mêmes puissent consigner de façon crédible les violations des droits de la personne d'une manière qui sera utile pour la mission d'enquête mandatée par l'ONU au Myanmar, par exemple, et d'autres efforts qui pourraient survenir à l'avenir au chapitre de la justice et de la reddition de comptes.
Nous croyons fortement en l'importance de la documentation. C'est le moment ou jamais puisque des crimes sont encore perpétrés. En ce moment même, par exemple, nous essayons de repérer les charniers et d'autres endroits où on pourrait recueillir des preuves.
Bref, la société civile est essentielle, et au Myanmar, il y a des organismes et des membres de la société civile. La communauté rohingya n'a pas su bâtir une société civile comme celle d'autres groupes ethniques au pays, en partie à cause de la répression à laquelle elle a dû faire face au fil des années, mais nous sommes très heureux de pouvoir collaborer avec des partenaires du Canada et d'ailleurs qui se consacrent à la documentation sur les droits de la personne dans ce contexte. Pour ce qui est des Casques bleus...
Je pense que ces deux messieurs ont tout dit au sujet de la collecte de preuves.
J'aimerais ajouter que si le Canada appuie les organisations qui se consacrent à la documentation sur le terrain, près de la frontière du Bangladesh, en leur offrant un soutien financier, je pense qu'elles pourront faire appel à davantage de bénévoles ou d'employés rémunérés rohingyas pour recueillir les preuves voulues.
En ce qui concerne la création d'une force de maintien de la paix, je le réclame depuis longtemps. Certains membres de ma famille sont morts. Ils ne sont pas morts de façon naturelle. Ils ont été brûlés vifs. Deux de mes beaux-frères ont été abattus sous les yeux de leurs jeunes enfants. C'est pire qu'un film d'horreur. La situation est absolument désastreuse. Il faut intervenir immédiatement.
Deux de mes nièces se trouvent dans un village et un de mes neveux dans un autre village. Ma plus jeune soeur est encore vivante. Elle a six enfants. L'aîné a d'ailleurs une femme et deux enfants également. La région est encerclée par l'armée, appuyée par des bouddhistes brandissant des machettes. Ces gens n'auront pas besoin d'être tués car ils vont mourir de faim. Il n'y a plus rien à manger à cet endroit. Ils ont déjà mangé tous les bananiers, feuilles de mangue et autres feuilles qui s'y trouvaient. Par conséquent, sans intervention immédiate, ils mourront assurément.
Il faut donc créer une zone sûre et envoyer une force de maintien de la paix. Ce sont les deux mesures à prendre immédiatement. Ensuite, nous disposerons d'un peu plus de temps pour réfléchir et en arriver à un plan à long terme.
Voilà donc pour mes demandes.
J'aimerais vous interroger au sujet d'Aung San Suu Kyi. Beaucoup de gens dans le monde se seraient attendus à plus d'une personne de cette stature, d'une récipiendaire du Prix Nobel et défenseure de la démocratie en Birmanie pendant toute sa vie. Cependant, les espoirs sont déçus.
Ma questions s'adresse à M. Smith et à M. Ramadan.
Qu'est-ce qui explique ce lourd silence? Maintenant qu'elle en a finalement parlé, ses mots n'ont pas aidé du tout. Elle permet la violence en dépit de sa position particulière sur la question. Pourquoi? Est-ce pour des raisons politiques? Y a-t-il un sentiment généralisé de nationalisme bouddhiste dans le pays qu'elle craint de heurter, ce qui aurait des conséquences politiques pour elle et la Ligue nationale pour la démocratie?
Certains témoignent d'une crainte généralisée — irrationnelle — de l'Islam dans la société birmane; elle en est consciente et ne voudrait rien faire qui puisse donner l'impression qu'elle prend le parti de ceux que les Birmans craignent, les musulmans, parce que les gens en ont peur. C'est irrationnel, mais ce sentiment est bien réel. Quelles explications avez-vous à nous proposer?
C'est une excellente question sur un enjeu important.
Avant les attaques du 9 octobre, Aung San Suu Kyi était assez équivoque, mais depuis, nous la voyons perpétuer cette campagne de propagande avec son cabinet. C'est une campagne de propagande très mortelle. Elle monte les citoyens du pays contre les Rohingyas, ce qui générera fort probablement encore plus de violence et de morts. C'est un problème.
Je pense qu'il y a diverses théories possibles. On ne peut pas savoir ce qui se passe dans la tête d'Aung San Suu Kyi, mais de notre point de vue, elle évolue dans un contexte politique difficile. Elle n'a pas le contrôle de l'armée. Quoi qu'il en soit, le fait qu'elle prenne activement parti et qu'elle emboîte le pas à l'armée dans cette campagne brutale pose problème. Nous avons des échos de gens qui l'ont rencontrée en privé. Ce que nous entendons de la façon dont Aung San Suu Kyi parle de la situation dans l'État de Rakhine est très troublant.
Il faut souligner que les membres de diverses nationalités ethniques du Myanmar — et il y a des guerres civiles qui font rage ailleurs au pays — se sont toujours beaucoup méfiés d'Aung San Suu Kyi. Cela a toujours été difficile à comprendre pour moi comme bien d'autres membres de la communauté internationale, mais malheureusement, aujourd'hui, leur raisonnement semble un peu plus fondé. Nous ne savons pas avec certitude ce qui se passe dans la tête d'Aung San Suu Kyi, mais nous savons que les résultats en sont franchement désastreux.
C'est une très bonne question. J'espérais qu'on en parle.
La Burma Task Force a publié un communiqué sur ce qui s'est passé au cours de ses 100 premiers jours au pouvoir. Elle n'est pas silencieuse depuis le début. Elle s'est déjà fait entendre haut et fort. Elle niait la situation, et bien des gens prétendaient que c'était parce qu'elle venait à peine d'arriver au pouvoir et qu'elle essayait encore d'y voir clair.
Le fait est qu'elle a réussi à accomplir ce que l'armée n'a jamais réussi avant elle, c'est-à-dire qu'il n'y ait aucun musulman au parlement, que les musulmans ne votent pas. Elle a aussi demandé à la communauté internationale de ne pas utiliser le mot « Rohingya », et la liste est encore longue. De plus, comme je l'ai déjà dit, l'armée a besoin d'elle. Elle a réussi à ouvrir le pays comme l'armée n'avait jamais réussi à le faire, tout en réprimant et en détruisant le peuple rohingya, avec son appui.
Selon le Tribunal permanent des peuples, que la Burma Task Force a parrainé, elle ne se distingue pas de l'armée par une plus grande inclusion des ethnicités, ni par des efforts pour être plus inclusive ou marginaliser des groupes. Elle se distingue surtout de l'armée par sa façon de déployer les mécanismes gouvernementaux: par son rythme plus rapide ou plus lent, par ses décisions sur ce qu'il faut faire et comment. Mais pour ce qui est du traitement à accorder aux minorités et plus particulièrement aux Rohingyas, elle est au diapason avec l'armée. Il n'y a pas de différence entre Aung San Suu Kyi et l'armée elle-même.
C'est tout le temps que vous aviez, monsieur Fragiskatos.
Monsieur Smith, je vous ai vu hocher la tête pendant que M. Ramadan parlait. Seriez-vous d'accord avec la dernière partie de sa réponse?
Tout à fait. La situation, depuis le moment où Aung San Suu Kyi a repris le pouvoir, est clairement problématique. Je me trouvais dans les camps d'internement de l'État de Rakhine pendant la tenue des élections nationales. La perspective qu'Aung San Suu Kyi forme le gouvernement suscitait beaucoup d'espoir, même si les Rohingyas étaient privés du droit de vote, mais bien sûr, cet espoir ne s'est absolument pas réalisé, d'aucune façon.
Merci. J'ai une autre question à vous poser, après quoi je laisserai le reste de mon temps à mon collègue, s'il en reste.
Monsieur Smith, M. Ramadan a mentionné que nous devrions utiliser le mot « génocide ». J'ai sous les yeux le site Web des Nations unies. La définition comporte deux parties. Il doit d'abord y avoir « intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
La deuxième partie est physique:
a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Votre organisation utiliserait-elle elle aussi ce terme dans ce cas-ci, pour décrire la situation au Myanmar? Parlerait-elle de génocide à l'encontre des Rohingyas?
Merci, monsieur. En 2015, nous avons remis à un groupe de chercheurs de la faculté de droit de Yale de la documentation recueillie depuis plusieurs années et lui avons demandé d'évaluer si le crime de génocide pourrait avoir été perpétré dans l'État de Rakhine. C'était avant la vague actuelle de violence. Les chercheurs ont conclu que les éléments constitutifs du génocide semblaient en place dans l'État de Rakhine et qu'il pourrait très bien y avoir génocide dans l'État de Rakhine. Nous croyons qu'il devrait y avoir une enquête indépendante internationale crédible qui aboutirait idéalement à une forme de responsabilisation. Si un tribunal menait ce genre d'enquête, il pourrait et devrait nous aider à comprendre quels crimes internationaux ont été perpétrés et par qui.
Personnellement, j'observe sur le terrain des preuves d'un crime de génocide. Vous avez mentionné notamment les actes prohibés. Essentiellement, nous savons que les Rohingyas sont un groupe protégé en vertu de la convention pour la prévention du crime de génocide, c'est le premier élément. Le deuxième élément, c'est que certains des actes interdits doivent avoir eu lieu, ce qui est bien sûr le cas. Le troisième élément est évidemment l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe ethnique. À certains endroits, à la lumière de tout le contexte actuel, il est très difficile de ne pas conclure que les auteurs de ces actes n'ont pas l'intention de détruire au moins en partie le peuple rohingya.
J'aimerais féliciter Peter de sa question, que j'estime essentielle. Je souhaitais moi-même l'aborder, mais je suis content que nous ayons pu en parler un peu plus en profondeur.
Il y a un aspect dont nous avons peu parlé, et c'est celui de la radicalisation, du financement extérieur des forces de résistance armée des Rohingyas, et je m'interroge. Monsieur Smith, vous êtes probablement la personne la plus près de ces forces sur le terrain, ou peut-être est-ce M. Ramadan. Nous avons lu des articles sur le sujet. Je ne sais pas à quel point ils sont exacts. Pourriez-vous nous parler un peu de ces trois ou quatre groupes? Qui sont-ils? Quels sont les liens entre eux? Quelle est leur force? Nous sommes conscients qu'il y a une campagne internationale de relations publiques à ce sujet par ici, mais qui sont ces groupes? Qui sont-ils? Ont-ils une quelconque puissance? Parlez-nous en un peu.
D'après ce que nous savons de ce groupe, ses membres sont principalement armés de bâtons et de couteaux. Il semble bien loin de constituer une organisation terroriste bien armée. Nous avons recueilli des informations sur plusieurs cellules dans des villages un peu partout dans le Nord de l'État de Rakhine. Leur recrutement s'est grandement accéléré après les premières opérations de nettoyage menées en octobre et en novembre. Ceux qui ont survécu se sont joints au groupe.
Nous avons remarqué que cette organisation menaçait et intimidait les Rohingyas locaux afin qu'ils joignent ses rangs. Elle menaçait les hommes et les garçons de décapitation en cas de refus. Nous savons aussi que cette organisation a tué des hommes rohingyas qu'elle soupçonnait d'être des informateurs du gouvernement du Myanmar. C'est attesté. Nous avons documenté plusieurs cas. Il y a aussi des gens qui sont disparus, et nous présumons qu'ils ont été tués eux aussi.
Ce groupe utilise les médias sociaux pour communiquer. Certains articles laissent croire qu'ils ne communiquent que par messagers. C'est faux. Ils utilisent aussi des radios bidirectionnelles et des téléphones cellulaires.
Je dois admettre que nous sommes surpris que ce genre de milice ne soit pas apparu plus tôt chez les Rohingyas, un peuple ayant subi tellement de violations des droits de la personne. Je pense qu'on n'a pas encore déterminé si oui ou non...
Je remercie nos témoins de leurs témoignages d'aujourd'hui.
J'ai une question à poser, et j'aimerais que M. Smith comme M. Ramadan y répondent. Un peu plus tôt cette année, quand Aung San Suu Kyi est venue au Canada, j'ai eu l'occasion de la rencontrer avec le président de notre comité, M. Levitt, ainsi que notre ministre des Affaires étrangères, et je lui ai demandé directement ce qui se passait dans l'État de Rakhine et ce qu'elle était prête à faire pour régler la crise des Rohingyas. De par sa réponse, elle s'est montrée favorable au comité consultatif créé et présidé par Kofi Annan et à ses recommandations.
Pouvez-vous tous deux nous parler des recommandations émanant de ce comité et nous dire si elles seraient judicieuses pour échafauder une solution sinon à court terme, peut-être à long terme à la crise?
De même, au sujet de la loi de 1982 sur la citoyenneté, dont M. Arkani a parlé, pouvez-vous nous dire quels changements concrets pourraient être apportés à cette loi afin de permettre aux Rohingyas de revenir s'installer dans l'État de Rakhine?
J'aimerais entendre d'abord M. Smith. Merci.
Merci.
Nous avions beaucoup d'espoir quand M. Annan a rendu publiques les recommandations finales de la commission qu'il dirigeait. Il s'agit de recommandations exhaustives, qui touchent tous les enjeux, de la liberté de mouvement aux enquêtes sur les allégations de graves atteintes aux droits de l'homme. M. Annan a qualifié la situation de crise des droits de l'homme avant la dernière série d'attaques, donc nous trouvons ces recommandations pertinentes.
Il faut cependant rappeler que le gouvernement du Myanmar, et plus particulièrement le porte-parole d'Aung San Suu Kyi, a avoué publiquement utiliser la commission Annan comme bouclier — c'est le terme qu'il a utilisé, « bouclier » — et que chaque fois que le gouvernement subit des pressions relativement à l'État de Rakhine, il peut invoquer la commission Annan pour faire réduire les pressions. Autrement dit, nous en déduisons que le gouvernement l'utilise à son avantage, mais qu'il n'a nullement l'intention d'agir. Nous espérons nous tromper.
Ces recommandations sont solides. Je pense que la communauté internationale a une base rigoureuse pour commencer son travail et avancer. La loi de 1982 sur la citoyenneté pose problème. La commission Annan recommande sa révision par le gouvernement. Nous irions encore bien plus loin en recommandant vivement que le gouvernement du Myanmar modifie sa loi sur la citoyenneté. Il y a diverses raisons pour lesquelles cette loi est problématique, et je ne les exposerai pas ici maintenant, mais disons seulement qu'elles se trouvent à priver les Rohingyas de la citoyenneté. Collectivement, ce peuple est privé de citoyenneté, ce qui constitue un problème fondamental.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que M. Smith vient de dire, mais je confirme qu'ils l'utilisent comme bouclier. Je pense que l'un des problèmes, en raison de ce qui s'est passé en octobre, c'est qu'il n'y a pas eu de reddition de comptes. Il faut dire, au sujet du rapport de Kofi Annan, qu'il n'a pas vraiment reçu le mandat de se pencher sur le concept de la responsabilisation en particulier. Il faut remédier à cela, faute de quoi ce drame ne fera que se perpétuer.
Il se trouve que dans les mois qui ont suivi les attaques d'octobre, la communauté internationale n'a pas exigé de reddition de comptes. La situation a continué comme si de rien n'était. Le gouvernement a rejeté la mission d'information de l'ONU, rien ne lui est arrivé pour autant, et il s'est enhardi. Tous les présidents de ces pays ont beau faire de grandes déclarations, ils savent bien que rien n'arrivera, qu'ils ne subiront aucunes représailles concrètes. À ce que je vois, le gouvernement du Myanmar affirme que personne ne lui demandera de rendre des comptes, de sorte qu'il peut bien continuer de faire ce qu'il veut. C'est ce qui semble se passer. La situation a même empiré, à certains égards, et s'est détériorée...
C'est vraiment singulier; nous savons que le gouvernement et l'armée exercent un plein pouvoir sur les territoires rohingyas. Le peuple rohingya lui-même, ses dirigeants, les membres de la communauté, même M. Arkani ici et ceux qu'il représente, rejettent totalement toute forme de violence, encore maintenant, puis ce groupe tue des Rohingyas pour les recruter. Il est très louche de qu'il faille déployer autant de force pour convaincre les Rohingyas de se joindre à un groupe. Il semble apparaître au moment même où se présente sa meilleure chance de succès, quand la commission de Kofi Annan fait connaître ses recommandations. C'est là où il a choisi d'attaquer. C'est très étrange. La répression a totalement miné les efforts déployés, particulièrement ceux de la commission de Kofi Annan. Elle a essentiellement tout fait dérailler. C'est très louche, on peut se demander quel est le but de ce groupe. Évidemment, nous ne pouvons rien affirmer avec certitude, mais ce sont des questions que nous devons poser. Nous ne pouvons pas tout simplement nous fier aux apparences.
J'ai une question qui n'a pas encore été posée à vous soumettre rapidement.
Comment le gouvernement du Bangladesh réagit-il à la situation?
Le gouvernement du Bangladesh s'améliore. Quand les attaques ont commencé, il empêchait essentiellement les Rohingyas d'entrer sur son territoire. Nous avons des preuves que des décès auraient pu être évités sinon. Il y a des personnes qui sont mortes essentiellement parce qu'elles attendaient et qu'elles ont été privées de nourriture pendant plusieurs jours. De jeunes enfants sont morts.
Le Bangladesh laisse désormais les gens entrer. J'ai vu, sur le terrain, des gardes frontières du Bangladesh aider des Rohingyas à se rendre à des endroits sûrs. J'ai également vu des Bangladais ordinaires aider des Rohingyas qui arrivaient et avaient besoin d'aide. Je m'attends toutefois à ce que de nouveaux problèmes émergent. Le gouvernement du Bangladesh et l'armée ont annoncé leur intention de construire un camp de réfugiés où les Rohingyas seraient privés de leur liberté de mouvement. Ce serait essentiellement un camp d'internement. Il me semble inconcevable que les autorités bangladaises envisagent d'interner les Rohingyas après les massacres et les atrocités auxquels ils ont survécu. Je pense qu'il faudra faire pression sur les autorités bangladaises afin qu'elles reconnaissent les droits des réfugiés, qu'elles reconnaissent que les réfugiés ont des droits.
La frontière bangladaise était totalement fermée avant le 25 août, alors que l'armée du Myanmar grossissait les rangs de ses troupes dans la région. Je tiens à le souligner, parce qu'il semble que tant le gouvernement du Bangladesh que celui du Myanmar savaient que quelque chose s'en venait et se préparaient en conséquence. Nous avons alors fait parvenir des lettres au gouvernement canadien et à d'autres gouvernements aussi.
Je sais qu'ils ont ouvert les frontières depuis, mais ils étaient préparés. Ils n'ont pas simplement réagi à une série d'attaques coordonnées, comme ils le prétendent.
Monsieur Arkani, monsieur Ramadan et monsieur Smith, je vous remercie infiniment de vos témoignages. Nous vous en sommes grandement reconnaissants.
Chers collègues, veuillez me pardonner. Nous avons débordé d'environ deux minutes.
Je vous souhaite une bonne période des questions.
La séance est levée.
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