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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 088 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 30 novembre 2017

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à la 88e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne, qui est un sous-comité du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous étudions aujourd'hui le travail des enfants et l'esclavage moderne.
    Nous accueillons deux témoins par téléconférence, à savoir Jo Becker, qui représente Human Rights Watch et qui est directrice de plaidoyer, ainsi que Aidan McQuade, qui est conseiller spécial au sein de l'organisme Anti-Slavery International.
    Je crois savoir que M. McQuade se joindra à nous sous peu.
    Monsieur McQuade, allez-y, s'il vous plaît.
    On comprend la difficulté de mettre fin au travail des enfants et au travail forcé quand on sait que 5,5 millions d'enfants sont touchés par ces pratiques. En 2005, on estimait que 5,5 millions d'enfants étaient victimes d'esclavage. En 2012, ce chiffre s'élevait également à 5,5 millions. En 2017, il est passé à environ 10 millions, car le mariage forcé des enfants a finalement été reconnu comme étant une forme d'esclavage des enfants.
    Je mentionne ce chiffre parce que, durant cette période, nous avons observé une diminution considérable du travail des enfants dans le monde, y compris les pires formes de cette pratique, mais il n'y a eu aucun changement en ce qui a trait à l'esclavage des enfants, ce qui donne à penser que le nombre de personnes victimes d'esclavage est resté le même.
    Malgré les belles paroles et les beaux gestes en ce qui concerne le travail des enfants en général, nous n'observons aucun progrès au chapitre de l'esclavage. Cela indique que nous devons repenser en profondeur nos façons de faire dans certains grands domaines, à commencer par le commerce international, en passant par l'aide humanitaire et au développement, et en particulier l'éducation.
    Je crois que je vais m'arrêter là. Nous pourrons discuter du sujet au cours de la séance.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur McQuade.
    La parole est maintenant à Jo Becker, de Human Rights Watch.
    Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet du travail des enfants et du travail forcé au sein des chaînes d'approvisionnement mondiales. Nous sommes très heureux que le gouvernement du Canada souhaite prendre des mesures pour mettre fin à ces pratiques abusives.
    Aujourd'hui, j'ai l'intention de vous donner un bref aperçu des recherches qu'a menées Human Rights Watch sur le travail des enfants et le travail forcé et de notre analyse des normes et de la législation actuelles qui concernent les chaînes d'approvisionnement et les droits de la personne. Je vais aussi formuler quelques recommandations à l'intention du gouvernement canadien étant donné qu'il réfléchit à la voie qu'il doit suivre.
    Premièrement, cela fait plus de deux décennies que Human Rights Watch mène des études sur le travail des enfants et le travail forcé au sein des chaînes d'approvisionnement mondiales. Nous avons mené des entrevues avec des milliers de travailleurs, d'employeurs, de fonctionnaires et d'autres personnes concernées dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, que ce soit dans le milieu de l'agriculture, dans l'industrie du vêtement et de la chaussure, dans le secteur de la pêche, dans l'industrie minière ou dans le secteur de la construction.
    Je vais commencer d'abord par nos travaux sur le travail des enfants. Nous avons documenté des cas de travail dangereux pour les enfants qui concernent des cultures et des produits vendus sur le marché international, dont la canne à sucre au Salvador, les bananes en Équateur, le coton en Égypte et en Ouzbékistan et des fruits et légumes aux États-Unis et en Israël.
    Nous avons vu des enfants qui travaillent de très longues heures avec des outils très tranchants et de la machinerie lourde. Nous avons découvert qu'ils étaient exposés à des pesticides toxiques et à une chaleur extrême. Bien entendu, l'agriculture est l'un des secteurs les plus dangereux pour les enfants, et 70 % des enfants qui sont actuellement victimes du travail des enfants dans le monde sont employés dans ce secteur.
    Dans les dernières années, Human Rights Watch a examiné également les situations de travail dangereuses pour les enfants dans l'industrie du tabac. Nous avons mené des recherches aux États-Unis, en Indonésie et au Zimbabwe, où les enfants font face à des risques accrus d'empoisonnement à la nicotine parce qu'ils sont exposés aux plants de tabac. La majorité des enfants que nous avons rencontrés souffraient de nausées, de vomissements, de maux de tête et d'étourdissements. Ce sont tous des symptômes d'un empoisonnement grave à la nicotine. Le tabac que cultivent et récoltent ces enfants est utilisé par les grands fabricants de cigarettes qui vendent leurs produits partout dans le monde.
    On estime qu'un million d'enfants travaillent également dans l'industrie minière, qui est un autre secteur très dangereux pour eux. Human Rights Watch a documenté des cas de travail des enfants dans de petites mines d'or du Ghana, des Philippines, de la Tanzanie et du Mali.
    Ce qui nous a le plus inquiétés, c'est que les enfants transforment souvent l'or en mercure, une substance hautement toxique qui peut causer des dommages au cerveau et d'autres problèmes de santé permanents. Ils risquent également leurs vies lorsqu'ils descendent dans des cages instables qui peuvent s'effondrer à tout moment. La majorité de l'or qu'ils extraient est utilisée sur le marché international de la bijouterie, qui génère des recettes de 300 milliards de dollars par année.
    En ce qui concerne le travail forcé, depuis 2016, Human Rights Watch a rencontré près de 250 travailleurs qui sont des victimes de cette pratique ou qui l'ont été dans l'industrie de la pêche en Thaïlande. Un grand nombre d'entre eux nous ont décrit des situations de travail forcé. Certains travailleurs ont accepté volontairement leur emploi, mais par la suite, une fois qu'ils étaient sur les bateaux de pêche, ils n'avaient pas la permission de quitter ces bateaux et ils étaient forcés de travailler. Nous avons documenté certains problèmes, notamment les mauvaises conditions d'emploi, la saisie des documents d'identité, l'incapacité à changer d'employeur, les frais de recrutement qui souvent entraînent une servitude pour dettes et des heures de travail excessives qui dépassent souvent les 18 heures par jour et même, dans quelques cas, qui pouvaient aller jusqu'à 23 heures par jour. Nous avons constaté qu'il existe des systèmes illégaux de retenue du salaire qui obligeaient les employés à travailler pendant six mois ou même jusqu'à deux ans avant de pouvoir toucher leur salaire en un montant forfaitaire.
    Nous avons également documenté des cas de travail forcé dans le cadre de projets de construction et d'ingénierie de grande envergure au Moyen-Orient, notamment au Qatar, dans les Émirats arabes unis et dans d'autres États du Golfe. Nous avons constaté qu'un grand nombre de ces travailleurs de la construction sont des migrants qui doivent subir des employeurs qui les maltraitent en raison de la kafala, le système de parrainage. Leurs passeports sont souvent systématiquement confisqués et de nombreux travailleurs doivent payer des frais de recrutement exorbitants, ce qui entraîne une énorme dette qu'ils doivent rembourser.
    Enfin, nous avons aussi documenté des pratiques de travail abusives dans l'industrie du vêtement, particulièrement au Bangladesh et au Cambodge. Nous avons déterminé combien de travailleurs dans cette industrie doivent effectuer des heures supplémentaires obligatoires.
(1310)
     Au Cambodge, nous avons constaté que des travailleurs qui refusaient de faire des heures supplémentaires étaient souvent renvoyés, subissaient des réductions de salaire ou des transferts punitifs. La majorité des femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus dans ces usines travaillaient bien plus que 60 heures par semaine. Au Bangladesh, nous avons rencontré plus de 160 travailleurs dans 44 usines différentes. La plupart d'entre eux travaillaient à la fabrication de vêtements pour des entreprises de vente au détail en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. Des travailleurs nous ont dit être victimes d'agressions physiques et de violence verbale, être obligés de faire des heures supplémentaires et ne pas recevoir le salaire et les primes qui leur sont dus.
    Cela vous donne une idée des recherches que nous effectuons. J'aimerais maintenant parler brièvement de l'analyse que nous avons faite des normes et des lois actuelles qui concernent les chaînes d'approvisionnement et les droits de la personne.
    Des normes internationales comme les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme des Nations unies prévoient que les entreprises devraient faire preuve de la diligence voulue à l'égard des droits de la personne pour s'assurer que leurs activités s'effectuent dans le respect des droits de la personne et ne contribuent pas à des violations de ces droits, mais ces normes internationales ne sont généralement pas juridiquement contraignantes. Par conséquent, nous avons observé que certaines entreprises les prennent au sérieux, mais qu'un grand nombre en font abstraction.
    En travaillant avec des entreprises, qu'il s'agisse d'entreprises de construction, de multinationales du tabac, d'entreprises de vêtements ou de détaillants dans le secteur de la bijouterie, nous avons constaté qu'il existe un certain nombre de problèmes communs, à savoir des politiques défaillantes en matière de respect des droits de la personne, une évaluation et une surveillance insuffisantes des risques au sein des chaînes d'approvisionnement, des efforts insuffisants pour prévenir ou diminuer les violations des droits de la personne, une surveillance insuffisante et une communication inexistante des mesures prises par les entreprises pour mettre fin à ces violations.
    Ces dernières années, dans le cadre de mon travail au sein de Human Rights Watch, je me suis intéressée particulièrement aux chaînes d'approvisionnement des multinationales du tabac et des fabricants de bijoux. Par ailleurs, notre organisme s'est penché sur les initiatives entreprises par les industries pour éliminer le travail des enfants et d'autres violations des droits de la personne. Certaines de ces initiatives sont valables, mais un grand nombre ne le sont pas. Ce matin justement, j'ai rencontré des dirigeants d'une importante multinationale du tabac. Durant notre rencontre, l'un des dirigeants a affirmé qu'il est possible d'obtenir une certification pour n'importe quoi de nos jours. Il peut ainsi se déculpabiliser, mais cela ne sert à rien. Je crois que ce fait témoigne très clairement de la difficulté qu'ont les industries autoréglementées à remédier aux violations des droits de la personne.
    Au bout du compte, il appartient aux gouvernements de veiller au respect des droits de la personne. Lorsque des États imposent aux entreprises de faire preuve de la diligence voulue en matière de droits de la personne, les sociétés deviennent plus transparentes. À titre d'exemple, il y a la loi Dodd-Frank aux États-Unis, la loi britannique sur l'esclavage moderne, la loi française sur la diligence raisonnable et la loi sur la transparence en Californie. Bien sûr, d'autres pays, notamment les Pays-Bas et l'Australie, envisagent également de mettre en place de telles lois.
    Certaines lois en vigueur ne sont toutefois pas exhaustives. Certaines, par exemple, portent sur des pratiques très précises — sur l'esclavage et la traite des personnes uniquement ou seulement sur les minéraux des conflits — et excluent d'autres problèmes importants qui touchent les droits de la personne et le travail. D'autres lois ne prévoient aucune sanction en cas de non-respect. Par exemple, au Royaume-Uni, des ONG ont constaté que seulement environ 14 % des entreprises qui ont présenté des rapports en vertu de la loi sur l'esclavage moderne ont respecté les exigences de base, mais la loi ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect. Par contre, la loi française sur la diligence raisonnable prévoit une injonction lorsque des entreprises ne font pas preuve de diligence raisonnable. Cette loi est donc un exemple à suivre. Enfin, certaines des lois s'appliquent uniquement aux entreprises qui ont un certain chiffre d'affaires. Par exemple, la loi britannique sur l'esclavage moderne s'applique uniquement aux entreprises qui ont un chiffre d'affaires annuel de plus de 36 millions de livres, et le projet de loi australien fixe un seuil encore plus élevé, c'est-à-dire 100 millions de dollars australiens.
    Étant donné la situation, nous sommes certes ravis que le Canada examine attentivement ces enjeux, et nous encourageons le gouvernement canadien à présenter des projets de loi visant à obliger les entreprises qui ont leur siège social au Canada et qui ont des activités au Canada à prendre des mesures pour mettre fin au travail forcé, au travail des enfants et aux autres violations des droits de la personne dans leur chaîne d'approvisionnement.
(1315)
    De notre point de vue, une mesure législative de la sorte pourrait comporter quatre grands volets.
    Premièrement, il faudrait exiger de la transparence, notamment cerner et publier les entités de la chaîne d'approvisionnement.
    Deuxièmement, il faudrait exiger de la diligence, y compris des étapes pour relever, prévenir, atténuer les cas de travail des enfants et de travail forcé et y remédier, et rendre publics ces efforts d'une manière que le public peut comprendre.
    Troisièmement, comme je l'ai mentionné, il faudrait inclure des conséquences juridiques, y compris des sanctions, lorsque des entreprises ne respectent pas les règles.
    Quatrièmement, une mesure législative de la sorte pourrait être assortie d'un budget et d'infrastructures adéquats pour permettre la présentation de rapports publics sur la mise en oeuvre de la loi.
    Enfin, nous encouragerions également le gouvernement canadien à envisager une loi qui interdirait l'importation de marchandises qui sont produites ou fabriquées en ayant recours au travail forcé, à l'esclavage, au travail des enfants et au travail de victimes de la traite de personnes. Aux États-Unis, par exemple, il existe une loi qui est utilisée pour empêcher l'importation de marchandises fabriquées en ayant recours au travail forcé en Chine.
    Dans le cadre de son application, le Canada devrait divulguer publiquement les marchandises qui sont interdites d'entrée au Canada en raison du travail forcé ou du travail des enfants, décrire les problèmes précis dans les pays où les marchandises sont produites et communiquer aux pays et aux entreprises pertinentes les étapes qu'ils doivent prendre pour lutter contre les violations des droits de la personne.
    Encore une fois, merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui. J'ai hâte d'entendre vos questions et de dialoguer avec vous.
(1320)
    Merci beaucoup, madame Becker.
    Nous allons commencer notre période de questions maintenant.
    Je vais vérifier si M. Reid est prêt à débuter la première série de questions.
    Premièrement, combien de temps avons-nous? Ça fait longtemps que je ne suis pas venu ici.
    C'est sept minutes à la première série de questions.
    Monsieur le président, vous n'occupez pas le fauteuil normalement. Vous poseriez habituellement les questions au nom du Parti conservateur. Je sais que vous allez peut-être devoir partir, alors je veux vous demander s'il y a des questions que vous souhaiteriez poser.
    Oui, je peux en poser une, monsieur Reid, puis vous pourrez poursuivre.
    Procédons ainsi.
    Monsieur McQuade, vous avez mentionné des données quelque peu déconcertantes concernant la hausse du travail des enfants et de l'esclavage forcé. Vous avez expliqué que le mariage forcé est inclus dans les données.
    Y a-t-il des modèles, dans des pays, où nous sommes en train de gagner la bataille, ou des modèles, comme Mme Becker l'a mentionné plus tôt, où des entreprises prennent des mesures et font ce qui s'impose pour réduire le travail des enfants et le travail forcé sur le marché?
    Je pense que là où il y a eu le plus de progrès, c'est dans le secteur du chocolat. C'est en grande partie parce qu'un film a été produit en 2003 par le British Channel 4, qui a mis en lumière le problème de la traite de personnes dans le travail forcé des enfants en Côte d'Ivoire plus particulièrement. Ce film a choqué grandement les marques de chocolat dans le monde entier, dont la majorité étaient liées au mouvement Quaker et avaient une très forte conscience sociale dans le cadre de leurs activités. Par la suite, ces entreprises ont créé l'Initiative internationale du cacao, qui est un effort pour lutter contre le travail des enfants dans l'industrie du cacao et qui compte des entreprises et des syndicats à son conseil d'administration. De plus, la majorité des entreprises ont désormais leurs propres initiatives pour tenter de réagir au problème du travail des enfants dans le secteur du cacao.
    Plus récemment, il y a eu des confrontations comparables dans le secteur du vêtement entourant le travail forcé des enfants, comme Jo l'a mentionné dans son témoignage, mais ce n'est qu'un début. Le secteur du vêtement en est qu'aux étapes préliminaires pour régler ces problèmes au sein de sa chaîne d'approvisionnement.
    Cependant, pour revenir à l'industrie du cacao pour un instant, l'un des éléments les plus importants, c'est qu'un grand nombre d'entreprises de fabrication de chocolat ont explicitement et publiquement reconnu que le travail des enfants, et dans une moindre mesure l'esclavage des enfants, est un énorme problème dans leur chaîne d'approvisionnement. Par conséquent, elles ont dit qu'elles allaient essayer d'intervenir. La majorité des autres entreprises sont toujours en déni.
    De plus, pour régler les problèmes entourant le travail forcé des enfants, bon nombre des entreprises de fabrication de chocolat ont établi ce qui est essentiellement l'équivalent d'approches de développement communautaire. Elles travaillent avec les collectivités. Elles adoptent une approche axée sur les enfants pour essayer de sensibiliser les collectivités aux problèmes associés au travail des enfants et d'offrir des solutions aux familles pour empêcher le travail des enfants.
    Une grande partie du travail des enfants se produit dans un contexte familial. C'est l'un des aspects qui diffèrent de l'esclavage des enfants. La Convention des Nations unies relative à l'esclavage définit l'esclavage des enfants comme étant la remise d'un enfant à une tierce partie à des fins d'exploitation. Il faut se rappeler que lorsqu'il y a esclavage d'enfants dans un contexte familial, les familles veulent agir au mieux avec leurs enfants. Elles ont tout simplement peu d'options pour leur offrir ce qu'il y a de mieux. Il est important de travailler avec les familles et avec toutes les collectivités pour réduire les causes du travail des enfants.
    L'un des grands facteurs de causalité du travail des enfants est l'éducation, et le manque d'éducation. Les écoles sont souvent loin. La qualité de l'éducation dans ces écoles est souvent médiocre. Le traitement des enfants dans les écoles est parfois très mauvais. Les familles n'envoient parfois pas leurs enfants à l'école car elles sont terrifiées par les châtiments corporels qu'ils pourraient recevoir. Un grand nombre de filles ne fréquentent pas l'école, plus particulièrement à l'adolescence, car il n'y a pas d'installations sanitaires sécuritaires, propres et privées. Ce sont tous des facteurs qui contribuent au travail des enfants. Les familles décident de garder leurs enfants à la maison plutôt que de les envoyer à l'école car ils ne voient pas l'avantage qu'ils reçoivent une éducation.
    Une grande approche pour lutter contre le travail des enfants doit être liée à l'éducation, et plus particulièrement à l'amélioration de la qualité de l'éducation et de l'accès à l'éducation, ce qui est un volet plus important de la formation professionnelle et de l'enseignement des droits de la personne, particulièrement des droits des filles, dans ces programmes d'enseignement. Il est important de concevoir les lois en conjonction avec la politique et les stratégies en matière d'aide du Canada. J'appuie sans réserve la proposition de Jo d'ajouter dans une loi des éléments qui traitent des chaînes d'approvisionnement, mais il serait important d'y assortir une politique ou une stratégie efficace en matière d'aide qui examine fondamentalement l'éducation et l'autonomie des enfants comme moyens de réduire le travail des enfants dans les familles et les collectivités.
(1325)
    Merci beaucoup, monsieur McQuade.
    Monsieur Reid, je vais ajouter 30 secondes à votre prochaine intervention; autrement, vous n'aurez pas assez de temps pour poser une question en ce moment.
    S'il me reste 30 secondes, je vais poser une question à laquelle les témoins pourront réfléchir et y répondre plus tard.
    Madame Becker, nous tentons d'assurer une surveillance, généralement à l'extérieur des pays en question en imposant des sanctions à ceux qui, par exemple, tentent d'avoir de nouvelles obligations sur un marché boursier mais qui ont permis que leurs activités outre-mer violent la norme relative aux droits de la personne. C'est une bonne idée, mais je pense que le problème, c'est qu'on a tendance à repousser le problème plus loin dans la chaîne d'approvisionnement.
    Je sais que vous n'avez pas le temps de répondre maintenant, mais vous pourriez peut-être le faire dans le cadre de vos réponses à d'autres questions, car j'aimerais savoir comment nous pourrions résoudre ce problème.
    Merci, monsieur Reid.
    Nous allons maintenant entendre M. Tabbara.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins de vos témoignages.
    Ma première question s'adresse à Mme Quade. Elle porte sur la Modern Slavery Act du Royaume-Uni. Je vais lire un passage d'un article que j'ai ici, qui a été rédigé peu de temps après la mise en oeuvre de la Modern Slavery Act en 2015. Une partie du titre est « Va-t-elle fonctionner? ». Je vais vous en lire un bref passage:
Même si la nouvelle disposition fera en sorte que les entreprises accorderont une plus grande priorité à l'esclavage et contribuera à accroître la transparence, on craint qu'elle fera très peu pour forcer les entreprises à enquêter adéquatement sur l'esclavage dans leurs chaînes d'approvisionnement.
    Cela dit, vous avez mentionné que dans le secteur agricole, 70 %... Le travail des enfants est endémique dans ce secteur. À la lumière du passage de l'article que je viens de lire, comment les États peuvent-ils s'attaquer adéquatement au travail des enfants, et plus particulièrement dans les régions rurales?
    Je suis désolé, mais la question s'adresse-t-elle à Jo ou à moi?
    Elle s'adresse à Mme Quade. Je vais demander à Mme Quade d'y répondre.
    Un député: C'est Mme Becker.
    M. Marwan Tabbara: Oh, désolé.
    C'est Mme Becker ou M. McQuade.
    Pardonnez-moi. Je me suis trompé. Désolé.
    Madame Becker, allez-y.
    Devrais-je répondre maintenant, ou avez-vous..
    M. Marwan Tabbara: Oui.
    M. Jo Becker: ... des questions additionnelles à me poser? D'accord. Merci de cette question.
    Je suis d'accord avec les auteurs que la transparence ne suffit pas, qu'il faut motiver les entreprises à mener des enquêtes approfondies dans leurs chaînes d'approvisionnement. Par exemple, dans notre engagement actuel avec l'industrie joaillière, nous tentons de déterminer si les entreprises savent où l'or et les diamants qu'elles utilisent proviennent. Nous sommes choqués de constater que très peu d'entre elles peuvent retracer les mines d'où proviennent l'or et les diamants qu'elles utilisent. Si elles ne le savent pas, elles n'ont aucun moyen de savoir s'ils proviennent d'une source responsable.
    Ce qui arrive souvent dans ces longues chaînes d'approvisionnement complexes, c'est que les entreprises demanderont des garanties à leurs fournisseurs directs. Ce que nous constatons trop souvent, c'est qu'elles acceptent que leurs fournisseurs leur disent, « Bien entendu, les produits que nous vous vendons proviennent de sources responsables; il n'y a pas de travail des enfants ou de travail forcé ». L'entreprise s'en tient à ces garanties et ne demande pas de preuves crédibles de la part de leur fournisseur direct qu'il s'est assuré que ses sous-traitants s'attaquent aux violations des droits de la personne.
    C'est une raison pour laquelle nous nous intéressons à la législation et pas seulement à la transparence. Nous voulons également mettre de l'avant des mesures que les entreprises doivent prendre pour évaluer le risque associé aux droits de la personne à chaque étape de leur chaîne d'approvisionnement et pour contrer les violations, le cas échéant. Ce serait une mesure législative plus robuste.
    Permettez-moi d'ajouter une dernière chose pour s'attaquer au problème du travail des enfants. Je suis tout à fait d'accord avec Aidan que l'éducation est essentielle. L'Organisation internationale du travail surveille les taux mondiaux du travail des enfants depuis plus de 20 ans. Aidan a cité quelques données sur l'esclavage des enfants, mais en ce qui concerne le travail des enfants dans le monde, les statistiques s'améliorent. On évaluait à 245 millions le nombre d'enfants contraints de travailler en 2000, et les plus récentes estimations révèlent qu'il est passé à 152 millions, ce qui représente une baisse de près de 100 millions.
    Dans le cadre de son évaluation, l'OIT relève quatre raisons principales qui expliquent cette baisse, ou des volets importants d'une stratégie efficace pour lutter contre le travail des enfants. L'un de ces volets a été mentionné par Aidan, soit l'accès à une éducation gratuite de qualité. Lorsque les taux d'inscription à l'école augmentent, le travail des enfants diminue.
    Un deuxième programme qui est très efficace est ce que nous appelons le « programme de transfert de fonds », où un gouvernement cible les familles les plus pauvres et leur verse des allocations mensuelles. Ces allocations les aideront à répondre à leurs besoins fondamentaux et réduiront la nécessité d'envoyer les enfants sur le marché du travail. C'est également un incitatif pour maintenir les enfants à l'école. Nous avons constaté des résultats très positifs dans un certain nombre de pays.
    Le troisième critère que l'OIT juge important, c'est d'avoir des lois régissant le travail des enfants robustes, qui sont bien appliquées, et le dernier critère est une bonne réglementation des entreprises dans les pays.
    J'insiste sur l'observation d'Aidan selon laquelle nous ne devrions pas seulement examiner les chaînes d'approvisionnement et les lois régissant les entreprises, mais nous devrions aussi examiner là où le Canada offre son aide à l'étranger, pour s'assurer qu'il investit dans les programmes les plus efficaces.
(1330)
    Vous avez mentionné dans votre déclaration, madame Becker, que ces industries se surveillent elles-mêmes. Comme vous venez de le dire, il faut que les États imposent des lois obligatoires. On obtiendrait des résultats plus positifs, et on peut probablement améliorer l'efficacité dans les industries et les chaînes d'approvisionnement. N'êtes-vous pas d'accord?
    Oui. Lorsqu'on a des initiatives volontaires, des entreprises adoptent des politiques qui paraissent bien sur papier ou mettent sur pied des associations industrielles qui leur permettent de prétendre qu'elles interviennent en quelque sorte. Certaines entreprises veulent sincèrement faire ce qui s'impose et ont pris des mesures très vigoureuses, mais on se retrouve avec des règles du jeu inégales où les entreprises qui ne s'en soucient pas ne font rien, ce qui pénalise presque les entreprises qui veulent faire ce qui s'impose. Si l'on a des attentes obligatoires établies dans une loi, alors les règles du jeu et les attentes sont les mêmes pour tout le monde. On peut s'attendre à une amélioration de la transparence, des comportements, des politiques et des pratiques. Je pense que c'est ce qu'on a pu constater avec les initiatives législatives jusqu'à présent.
    Parfait. Merci.
    Mme Hardcastle est la prochaine intervenante.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur McQuade et madame Becker, de vos exposés bien réfléchis d'aujourd'hui.
    Je veux me concentrer principalement sur ce que nous avons vu jusqu'à présent dans la loi émergente sur cette question et sur ce que nous pouvons apprendre des différents pays et de leurs exemples.
    Madame Becker, vous avez parlé brièvement que l'un des problèmes avec la loi à l'heure actuelle, c'est qu'elle est trop étroite. Par exemple, elle porte peut-être seulement sur les minéraux des conflits.
    D'après vous, comment devrions-nous aborder ce problème? Pensez-vous que lorsque nous examinons une loi de diligence raisonnable sur les enjeux de l'esclavage moderne et du travail forcé, étant donné que l'esclavage des enfants est un enjeu si vaste, nous devrions les regrouper avec les violations des droits de la personne pouvant survenir dans d'autres secteurs? Que nous suggérez-vous de faire avec ce problème?
(1335)
    Nous pourrions opter pour une loi qui a une portée plus vaste, car si elle se limite à l'esclavage et au travail forcé, vous mettez de côté un grand nombre de cas de travail des enfants, par exemple, ou d'autres violations des droits de la personne.
    J'avoue que je ne suis pas une experte des différentes lois nationales, mais la loi de diligence raisonnable française est intrigante car elle adopte une approche plus générale et impose des attentes aux entreprises pour qu'elles fassent preuve de diligence raisonnable dans leurs chaînes d'approvisionnement à l'égard d'un vaste éventail d'enjeux.
    Il y a un instant, j'ai mentionné que nous travaillons avec les fabricants de bijoux. Au fil des ans, les diamants de la guerre et l'or qui alimente les conflits ont beaucoup attiré l'attention. Nous avons découvert qu'un grand nombre de fabricants de bijoux avec qui nous avons discuté sont fermement déterminés à ne pas acheter de l'or ou des diamants du Congo, par exemple, car toute l'attention est portée sur ce pays. Il y a aussi du travail forcé au Zimbabwe. Il y a du travail des enfants dans les mines d'or dans de nombreux autres pays. Je pense qu'adopter une approche plus globale à l'égard des attentes envers les entreprises aura des répercussions beaucoup plus vastes sur le terrain pour corriger ou régler certains de ces problèmes.
    Monsieur McQuade, vouliez-vous ajouter quelque chose?
    Oui. Premièrement, je pense qu'il est extrêmement important que vous discutiez de diligence raisonnable plutôt qu'une simple transparence, parce que cela encouragera et contraindra les entreprises à réfléchir à ces enjeux dans une perspective beaucoup plus large.
    Je suis quelque peu sceptique quant à l'idée que la criminalisation du travail des enfants puisse enrayer ce problème. Je pense que l'approche de la diligence raisonnable est importante, mais la question qui se pose alors est de savoir comment encourager les entreprises à adopter des approches — essentiellement des approches de développement communautaire propres au secteur sans but lucratif — si nous voulons qu'elles s'attaquent aux enjeux liés au travail des enfants. Il s'agit d'un défi plus subtil qui soulève la question de la coordination avec les mesures d'aide.
    L'autre aspect, que Jo a souligné et que j'appuie pleinement, est l'idée d'empêcher la vente de biens issus du travail des enfants ou du travail forcé sur les marchés canadiens, comme les États-Unis l'ont fait. C'est une étape importante, car beaucoup de pays ont acquis, pour leur économie, un avantage concurrentiel grâce au faible coût de la main-d'oeuvre, notamment en recourant au travail des enfants, au travail forcé ou à d'autres formes d'exploitation de la main-d'oeuvre. Ces pays maintiendront ces pratiques tant qu'ils n'auront pas de motifs impérieux pour abandonner ce modèle économique.
    À l'échelle mondiale, beaucoup de problèmes qui sont la cause du recours au travail des enfants, à l'esclavage des enfants et à d'autres formes d'exploitation de la main-d'oeuvre perdurent parce que les gouvernements n'appliquent pas les lois qu'ils ont adoptées. L'Inde a d'excellentes lois anti-esclavage, mais ne les applique pas, tout simplement. En outre, elle ne subit aucune pression de l'extérieur en ce sens sur la scène du commerce international. En effet, l'Inde et d'autres pays de l'Asie du Sud-Est ont accès aux marchés mêmes s'ils maintiennent ces pratiques. Je pense qu'il est important de réfléchir à l'influence que pourrait avoir les lois canadiennes sur le commerce international et sur l'économie politique internationale ainsi qu'à leur incidence sur les entreprises canadiennes.
    Dans ce cas, est-il juste de dire que vous recommandez tous les deux la mise en place de mécanismes de sanction dans toute nouvelle mesure législative?
    Jo pourrait avoir un point de vue légèrement différent à ce sujet. Personnellement, je dirais que le gouvernement canadien devrait créer un organisme ayant le pouvoir d'interdire la vente de biens issus du travail des enfants, du travail forcé ou de l'esclavage sur les marchés canadiens. Je parle ici d'un pouvoir discrétionnaire, parce que certaines entreprises feront des efforts considérables pour résoudre ces problèmes. Il faudrait donc que cela soit pris en compte. Je pense que cela devrait être conçu de façon à indiquer clairement aux pays qui tolèrent ces exactions que l'adoption d'un tel modèle économique a des conséquences.
(1340)
    Il nous reste environ 30 secondes, madame Becker. Souhaitez-vous ajouter quelque chose à cela?
    Oui. Je pense que toute mesure législative liée à un processus de diligence raisonnable en matière de droits de la personne devrait comprendre un volet de conformité prévoyant des sanctions pour les entreprises qui ne se conforment pas. Ce aurait certainement un effet incitatif. Il conviendrait aussi d'avoir des dispositions d'interdiction de l'importation de biens. Cela ne pénaliserait pas nécessairement les entreprises; on indiquerait simplement que les biens issus du travail des enfants ou du travail forcé sont interdits au Canada. Les États-Unis ont un système fondé sur les plaintes dont l'application relève du Service des douanes des États-Unis.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à Mme Khalid.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de leurs témoignages très convaincants.
    Monsieur McQuade, vous avez parlé de la possibilité d'offrir des mesures incitatives aux entreprises pour les encourager à ne pas embaucher des enfants, à ne pas avoir recours au travail des enfants, mais j'aimerais vous amener à réfléchir à l'envers de la médaille. Dans bien des cas, ces enfants sont les seuls soutiens de famille. On parle de familles qui vivent dans des conditions d'extrême pauvreté et qui n'ont d'autre choix que de demander à leurs enfants de travailler. Quel genre de mesures incitatives peut-on offrir aux familles pour enrayer ce cycle? Je suis conscient que nous avons parlé d'éducation et de sensibilisation, ce qui ne permet pas des progrès rapides, mais existe-t-il des mesures incitatives qui pourraient être offertes aux familles?
    Vous pouvez commencer, monsieur McQuade, puis Mme Becker pourra présenter ses observations.
    Très bien.
    Je pense que vous avez mis le doigt sur l'un des aspects les plus complexes du travail des enfants. Très souvent, en effet, les familles qui demandent à leurs enfants de travailler n'ont pas d'autres choix ou du moins considèrent qu'elles n'ont pas le choix. Cela nous ramène au point soulevé par Jo au sujet des programmes de transferts d'espèces qui visent à aider les familles les plus pauvres qui ont été contraintes de demander à leurs enfants de travailler. Les transferts d'espèces constituent un moyen de réduire le recours au travail des enfants.
    Une autre façon d'y arriver est d'offrir des emplois décents aux adultes. C'est une avenue à laquelle les entreprises pourraient aussi réfléchir. Celles qui s'attaquent plus directement aux problèmes du travail des enfants commencent à reconnaître qu'elles ont tout intérêt à agir, dans une certaine mesure, comme des bailleurs de fonds du développement parce qu'il convient d'assurer la pérennité et le développement des communautés, en particulier les communautés culturelles où ils s'approvisionnent, afin de s'assurer d'un approvisionnement durable des marchandises. Elles prennent donc conscience que c'est dans leur intérêt, ce qui les amène ensuite à reconnaître la nécessité de réduire le recours au travail des enfants dans ces collectivités. Il s'agit d'un important pas à franchir, surtout lorsqu'on considère les autres contraintes auxquelles les entreprises sont confrontées.
    Sur le plan éthique, la prise de position la plus courante et la plus déroutante préconisée par les dirigeants d'entreprise est la doctrine énoncée par Milton Friedman, doctrine selon laquelle la seule responsabilité éthique des entreprises est de maximiser les profits des actionnaires dans le respect de la loi, mais si la loi ne permet pas une protection adéquate des droits fondamentaux des travailleurs, les risques d'abus augmentent alors considérablement. Il faut donc que les gens modifient leur perspective à l'égard de leurs responsabilités éthiques.
    En outre, les dirigeants d'entreprise se sentent souvent obligés de générer des profits pour les actionnaires chaque trimestre, chaque année, selon le cadre réglementaire dans lequel ils exercent leurs activités. Il pourrait être pertinent de réfléchir à l'inclusion d'une disposition liée aux investissements ou aux réinvestissements pour certains volets des chaînes d'approvisionnement. L'idée serait d'établir dans les collectivités où ces entreprises s'approvisionnent des modèles de croissance durable et en particulier des modèles pour lutter contre le travail des enfants et l'esclavage des enfants. Pour les entreprises, cela pourrait être une mesure incitative supplémentaire, outre leurs exigences en matière de rapports, pour les encourager à faire preuve d'une plus grande créativité dans leurs investissements.
    Madame Becker, vous avez une minute.
    D'accord.
    J'ai une autre question, madame Becker; si vous pouviez répondre en 30 secondes, ce serait bien.
(1345)
    D'accord.
    Certaines de ces interventions peuvent être très peu coûteuses. Vous avez bien cerné le problème lorsque vous avez dit que la pauvreté est le principal facteur. Par exemple, nous avons constaté qu'offrir des repas à l'école suffit souvent à réduire le taux de travail des enfants, parce que les familles savent que leur enfant aura au moins un bon repas par jour s'il va à l'école.
    Les programmes de transferts d'espèces dont Aidan et moi avons parlé peuvent aussi être peu coûteux. Au Maroc, on a constaté qu'un montant de sept dollars par enfant, par mois, suffisait à réduire considérablement les taux de travail des enfants et à accroître la fréquentation scolaire. Le versement d'une petite allocation aux familles peut faire une grande différence.
    Madame Becker, comment recueillez-vous des données? Vous avez parlé en particulier des transferts d'espèces. Comment repérez-vous ces enfants? Y a-t-il une collaboration quelconque entre les organismes et les gouvernements, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale?
    Vous pourrez inclure cela dans votre réponse à une autre question, ou vous pourriez fournir la réponse par écrit plus tard.
    Allez-y, monsieur Reid.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais simplement revenir sur l'observation de Milton Friedman à laquelle M. McQuade a fait référence. Milton Friedman a dit que la seule responsabilité éthique des membres du conseil d'administration ou des dirigeants d'une entreprise est de maximiser les profits des actionnaires. Ce n'est qu'une citation partielle des propos de M. Friedman; en passant, je souligne que je suis d'accord avec lui sur ce point. Il ajoute que l'entreprise est tenue de le faire dans le respect des lois et des règlements qui la régissent, et qu'il incombe à la société de modifier ces règles pour veiller à ce que les règles éthiques correspondent aux valeurs morales. Cela revient à dire que ce rôle n'est pas tant celui de l'entreprise, mais plutôt le nôtre, car c'est nous qui établissons les politiques.
    Dans ce contexte, je tiens à dire qu'il me semble que dans certains secteurs, notamment le secteur minier, les règles qui ont été adoptées par les bourses canadiennes empêchent toute nouvelle émission d'obligations, par exemple, si certaines exigences ne sont pas respectées. À titre d'exemple, l'exploitant est tenu de replanter un certain nombre d'arbres, soit cinq arbres pour chaque arbre abattu dans le cadre des activités minières. Ils doivent s'assurer que les bassins de décantation ne nuisent pas à l'environnement, même au-delà du cycle de vie de la mine. Des organismes internationaux sont chargés de mener des vérifications périodiques pour faire appliquer ces règles.
    Il est certes plus facile de le faire dans le cas des bassins de décantation et des efforts de reboisement que pour les règles sur le travail des enfants. Cela dit, cela me semble être l'une des méthodes les plus efficaces pour assurer la conformité. Je voulais donc vous demander si vous avez des observations sur la façon dont des mécanismes de surveillance similaires pourraient s'appliquer au travail des enfants et à d'autres formes de travail forcé.
    C'est une question ouverte, mais je ne sais pas trop par qui commencer. Je suppose que je vais commencer par vous, madame Becker. Quoi qu'il en soit, j'aurai peut-être la possibilité de le faire pendant ce tour.
    L'exemple du secteur minier est très pertinent. Nous avons constaté que dans le secteur industriel, dans lequel sont concentrées la plupart des activités minières du Canada, les problèmes liés au travail des enfants ou au travail forcé sont inexistants. Le problème du travail des enfants se pose dans le secteur de l'exploitation minière artisanale et à petite échelle.
    C'est une petite partie. Dans le cas de l'or, par exemple, ce secteur représente 15 à 20 % de la production aurifère mondiale, mais emploie 40 millions de personnes dans le monde. Il s'agit donc d'une importante source de revenus pour beaucoup de gens.
    Nous avons constaté qu'au Ghana, par exemple, beaucoup de mines artisanales ne sont pas réglementées par le gouvernement. Une des recommandations que nous avons faites au gouvernement du Ghana était identique à la vôtre: le gouvernement devrait professionnaliser ce secteur tout en rendant l'octroi de permis aux mineurs conditionnel au respect de certaines normes en matière de droits de la personne, y compris l'obligation de ne pas recourir au travail des enfants ou au travail forcé.
    Alors, dans ce cas, l'idée est qu'il s'agit d'une façon d'essayer d'exercer une surveillance des entreprises qui n'ont aucune présence au Canada. Les règles que j'ai décrites sont des règles canadiennes qui ont été conçues et mises en oeuvre à la Bourse de Toronto, notamment. Vous dites qu'il faut instaurer le même genre de règles dans les politiques du Ghana et que nous devrions inciter les Ghanéens à adopter ce modèle. Est-ce un bon résumé?
    C'était simplement un exemple pour illustrer qu'en général, il est bien que le gouvernement exerce une surveillance accrue et adopte une réglementation plus rigoureuse. Certains joailliers du Canada pourraient importer de l'or de pays comme le Ghana. Ils veulent donc avoir la certitude de s'approvisionner auprès de sources responsables.
    Exactement.
    La facilité du suivi varie d'un produit à l'autre. À titre d'exemple, nous avons créé des mécanismes de suivi pour les diamants pour nous assurer que ce ne sont pas des diamants de la guerre. Une des mesures les plus évidentes, ce sont les incisions qui sont faites au laser sur les diamants canadiens. Cela nous permet de connaître leur provenance. Lorsque j'ai fait ma demande en mariage, ma femme a exigé d'avoir un diamant canadien.
    Le suivi me semble extrêmement difficile pour l'or et tout autre minerai qu'on pourrait considérer comme fongibles, d'une certaine façon, tandis que les textiles sont en quelque sorte dans une catégorie intermédiaire.
    Avez-vous des idées sur la façon dont on pourrait exercer un suivi de choses difficiles à retracer pour nous aider à éliminer le recours au travail des enfants?
(1350)
    Très brièvement, s'il vous plaît.
    En ce qui concerne la traçabilité, un excellent exemple est celui d'une société joaillière suisse, qui a investi pendant trois ans dans diverses mines artisanales d'Amérique latine pour les aider à améliorer leurs normes et à obtenir la certification de commerce équitable. Elle s'approvisionne maintenant auprès de ces mines; elle connaît la provenance exacte de l'or qu'elle achète et les conditions de production précises. Elle a investi pour appuyer ces collectivités minières. Il s'agit d'un excellent exemple des mesures que peuvent prendre les entreprises.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Fragiskatos, aviez-vous des questions?
    Oui, monsieur le président. Merci beaucoup.
    Je remercie les témoins de leurs témoignages.
    Ma question est liée à la portée. Cet enjeu a été soulevé au passage aujourd'hui, mais je pense qu'il est essentiel que nous y portions une plus grande attention.
    À l'échelle internationale, les mesures législatives actuelles du Royaume-Uni, de l'Australie et de la Californie sont axées sur l'esclavage moderne. Les Pays-Bas font figure d'exception, puisque leurs mesures législatives sont axées sur le travail des enfants.
    Je peux vous dire que dans le cadre de notre étude sur cet enjeu, je suis toujours ouvert à toute solution. J'aimerais entendre le point de vue de M. McQuade et de Mme Becker à ce sujet.
    De mon point de vue, n'est-il pas plus logique et ne serait-il pas plus efficace d'axer les mesures législatives sur l'esclavage moderne plutôt que sur le travail des enfants? Je dis cela parce que la notion de « travail des enfants » peut être interprétée de façon très large, tandis que la notion d'esclavage moderne renvoie à des cas précis de travail forcé et de trafic de personnes.
    Vous pourriez faire valoir que la notion de « travail des enfants » est très bien codifiée en droit international et que nous avons une idée précise de sa signification, mais sur le plan de l'analyse opérationnelle d'une éventuelle mesure législative et de la compréhension du public à cet égard, la notion de travail des enfants est très large. Le citoyen canadien moyen pourrait, à juste titre, se demander ce qu'on entend par là. Parle-t-on d'un jeune garçon ou d'une jeune fille qui participe aux activités d'une plantation de riz locale ou encore d'une famille qui travaille dans une exploitation minière pour assurer sa subsistance?
    Encore une fois, lorsqu'on parle d'esclavage moderne, c'est une notion très ciblée. On parle de cas manifestes d'activités liées au travail forcé et à la traite de personnes, d'actes qui vont clairement à l'encontre de la volonté des gens. C'est pourquoi je pense qu'il serait peut-être préférable, pour avoir une mesure législative progressiste, qu'elle soit axée sur l'esclavage moderne.
    Toutefois, comme je l'ai dit d'entrée de jeu, je suis ouvert d'esprit. J'aimerais donc avoir votre point de vue à tous les deux.
    Allez-y, madame Becker. Nous entendrons ensuite M. McQuade.
    Je dirais brièvement que le travail des enfants est habituellement considéré comme étant un travail qui est dangereux pour les enfants de moins de 18 ans ou qui est effectué par des enfants trop jeunes, généralement âgés de moins de 15 ans.
    Vous soulevez une bonne question, et je pense qu'il existe un large consensus au sujet du travail forcé. Par contre, je dirais que les normes à caractère volontaire adoptées à l'échelle internationale, particulièrement les principes directeurs en matière de droits de la personne des Nations unies destinés aux entreprises, englobent en général les droits de la personne. Si on demande à des entreprises de mettre en oeuvre une politique de diligence raisonnable, il me semble assez facile de leur demander d'appliquer les étapes de diligence raisonnable — soit la détection, la prévention et l'atténuation — à un éventail de violations des droits de la personne plutôt qu'au travail forcé uniquement.
    J'aimerais savoir ce qu'Aidan a à dire.
    Monsieur McQuade, vous disposez de 45 secondes environ.
    S'il est question de la diligence raisonnable des entreprises, je conviendrais alors avec Jo qu'on peut facilement appliquer ces mesures au travail des enfants et au travail forcé. Je connais fort bien les propos de Milton Friedman à ce sujet, et je sais que dans bien des régions du monde, mais pas au Canada, le travail des enfants et le travail forcé sont essentiellement légaux parce qu'on les appelle autrement ou simplement parce que la loi n'est pas appliquée.
    À titre de législateurs, vous devriez vous demander quelle incidence une mesure législative extraterritoriale comme celle-ci, laquelle porte sur la diligence raisonnable dans les chaînes d'approvisionnement des entreprises canadiennes, peut avoir sur les lois et les politiques des pays où le travail des enfants et le travail forcé ont cours. Selon moi, c'est là qu'il devient important d'empêcher la vente de biens issus du travail des enfants ou du travail forcé sur les marchés canadiens, car un grand nombre de ces pays ont acquis leur avantage concurrentiel grâce au faible coût de leur main-d'oeuvre, notamment en recourant à l'exploitation.
    Pour s'attaquer de manière fondamentale au travail des enfants, il faut favoriser le développement communautaire et habiliter les familles et les enfants de la manière dont nous avons déjà parlé. Parallèlement à la loi, il importe de penser à ce que la politique de développement accomplit. Je n'ai pas besoin de vous dire que le Canada est également un fournisseur d'aide extrêmement important. Il faut donc se demander aussi comment la politique d'aide en matière de développement et de travail humanitaire est élaborée de manière à résoudre ces problèmes.
(1355)
    Merci beaucoup.
    C'est tout le temps que nous avons pour ce tour.
    Mesdames et messieurs, si quelqu'un brûle de poser une question, il nous reste environ deux minutes. Si ce n'est pas le cas, nous ajournerons nos travaux.
    Pourrais-je revenir en arrière et au fait qu'on repousse le problème dans la chaîne d'approvisionnement?
    Dès le départ, j'ai posé une question sur le danger qu'il y a de simplement repousser le problème toujours plus loin dans la chaîne d'approvisionnement, soulignant qu'il existerait toujours un degré d'opacité. Je pense que nous avons obtenu une réponse partielle quand Mme Becker a proposé d'accorder une sorte de certification de commerce équitable.
    Est-ce qu'en adoptant une version de cette certification, nous pourrions résoudre le problème de la multiplication des étapes et des intermédiaires, qui fait qu'on ne peut plus dire si on recourt ou non au travail forcé?
    C'est une excellente question. Je pense que les entreprises acceptent de plus en plus le fait qu'elles sont responsables de leur chaîne d'approvisionnement et pas seulement de leurs activités ou de leurs fournisseurs directs. Certaines d'entre elles envisagent d'éliminer certains intermédiaires et cherchent des moyens de s'approvisionner directement sans passer par une multitude d'étapes. C'est une chose.
    Dans le secteur du vêtement, on insiste de plus en plus pour que les entreprises publient une liste de tous leurs fournisseurs pour que les intervenants externes puissent remonter jusqu'à la source des vêtements, qu'il s'agisse du Bangladesh ou du Cambodge, sachent quelles usines les fabriquent et puissent ainsi examiner cet aspect de manière indépendante.
    Je dirais qu'on peut intervenir d'un certain nombre de manières en ce qui concerne les chaînes d'approvisionnement longues et complexes.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Madame Becker, monsieur McQuade, le temps ne nous permet pas de prononcer un mot de la fin, mais s'il y a quoi que ce soit que vous voulez être certains que nous avons compris avant de commencer la rédaction d'un rapport sur cette question, n'hésitez pas à transmettre l'information à notre greffière. Elle veillera à l'ajouter aux autres renseignements.
    Je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu.
    Puis-je faire un ajout de 10 secondes à la réponse de Jo?
    La manière essentielle et, à mon avis, la seule façon viable de garantir la transparence des chaînes d'approvisionnement, c'est en y assurant la liberté d'association. Un grand fabricant de vêtements a indiqué récemment que la seule manière éthique de faire des affaires éthiques consiste à assurer la liberté d'association à tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement. Il faudrait donc instaurer des systèmes de surveillance pour les travailleurs eux-mêmes et les chaînes d'approvisionnement. Les ententes-cadres internationales liant les multinationales aux syndicats tiennent de plus en plus compte de cette réalité et reposent sur ce modèle.
    Merci beaucoup.
    Mesdames et messieurs, la séance est levée.
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