SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 29 mai 2018
[Énregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la 111e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude de la situation des droits de la personne en République démocratique du Congo. Nous accueillons aujourd'hui deux éminents témoins. Nous recevons l'honorable général Roméo Dallaire ainsi que Rachel Pulfer, directrice exécutive de l'organisme Journalists for Human Rights.
Le général Dallaire a servi dans les Forces canadiennes de 1963 à 2000. De 1993 à 1994, il a dirigé la mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda. Il a été nommé au Sénat du Canada en 2005, où il a siégé jusqu'en 2015. Il milite vigoureusement en faveur de la doctrine de la responsabilité de protéger, de la prévention des génocides et de la cause des anciens combattants, particulièrement ceux touchés par le syndrome de stress post-traumatique.
Madame Pulfer, vous pouvez commencer avec votre exposé de 10 minutes, et ensuite, le général Dallaire pourra faire sa déclaration liminaire. Par après, nous passerons aux questions des membres du Comité.
Alors, madame Pulfer, si vous êtes prête, allez-y.
Premièrement, je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de m'adresser à vous. Je suis ravie d'être ici, et c'est un honneur pour moi d'être aux côtés de Roméo Dallaire.
[Français]
Je m'appelle Rachel Pulfer. Je suis la directrice exécutive de l'organisme Journalistes pour les droits humains.
[Traduction]
L'organisme Journalists for Human Rights est un organisme de bienfaisance indépendant et non partisan qui s'emploie à renforcer le secteur des médias dans les zones de conflit, les pays en développement, les sociétés en transition et partout où ce secteur est affaibli.
[Français]
J'aimerais vous faire part de notre compréhension de la situation urgente des droits de la personne en République démocratique du Congo, ou RDC.
Cette présentation s'appuie sur l'expérience de nos partenaires en RDC et de nos réseaux de journalistes partout au pays ainsi que sur la conversation que nous avons tenue récemment avec monseigneur Marcel Utembi, président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, ou CENCO, à l'occasion de sa venue au Canada.
Je veux vous proposer quelques recommandations qui vous permettraient d'agir ainsi que vous donner une compréhension de la situation du droit de la liberté d'expression et de ce que le développement des médias peut offrir au gouvernement du Canada pour améliorer cette situation.
[Traduction]
J'aimerais vous renseigner au sujet de la situation en RDC et formuler certaines recommandations fondées sur cette situation. J'aimerais aussi formuler des recommandations qui démontrent comment le développement des médias pourrait contribuer aux efforts que déploie le Canada pour améliorer la situation des droits de la personne en RDC, et ce, à un coût minimal, mais avec un effet maximal.
La situation des droits de la personne en RDC demeure précaire, comme vous le savez très bien j'en suis sûre. Le nombre de réfugiés déplacés à l'intérieur et à l'extérieur du pays, en raison de la violence incessante en RDC, a récemment dépassé le nombre de réfugiés syriens, d'après le Conseil norvégien pour les réfugiés. Il est urgent d'agir pour empêcher un désastre.
En avril 2018, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l'homme a répertorié 493 cas de violation des droits de la personne dans le pays. C'est un chiffre considérablement plus élevé que les 406 cas de violation répertoriés au mois de mars. Dans les provinces touchées par des conflits armés, notamment le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l'Ituri, 66 personnes ont été tuées par des groupes armés en avril.
Au Kasai, le soulèvement armé de Kamwina Nsapu contre les forces gouvernementales a entraîné la mort et le déplacement de milliers de personnes. Des sources affirment qu'au mois de mai les forces nationales armées et la milice Bana Mura ont tué environ 250 personnes, dont 62 enfants, en riposte à un soulèvement de Kamwina Nsapu.
Depuis 2016, la RDC a enregistré un nombre croissant de violations des droits de la personne et des libertés fondamentales. En outre, un nombre alarmant de manifestations pacifiques ont été violemment réprimées. On observe un accroissement des tensions. En janvier 2018, des manifestations organisées par l'église, en particulier, ont été violemment réprimées. Un rapport publié récemment, en mars 2018, par la mission des Nations unies en RDC et le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l'homme révèle qu'entre janvier 2017 et 2018, 47 personnes, y compris des femmes et des enfants, ont été tuées par les services de sécurité et les forces de défense durant des manifestations. Des citoyens ont été attaqués et arrêtés par des agents du renseignement appuyés par l'État, et des personnalités de l'opposition, comme Moise Katumbi, l'ancien gouverneur de la province de Katanga, ont été forcées de s'exiler. L'exemple le plus récent est celui du député Léon Mulumba, qui a été emprisonné pour avoir offensé le chef de l'État. Mulumba était malade et il a reçu sa sentence dans sa chambre d'hôpital.
Les répercussions de cette situation sur la liberté de la presse sont considérables. La population de la RDC est constamment privée de son droit à l'information, et, à de nombreuses reprises, l'accès à Internet a été coupé. L'objectif est de réprimer la dissidence et d'empêcher l'organisation de manifestations pacifiques par l'intermédiaire des médias sociaux. De nombreux organes de presse proches de l'opposition ont été fermés, malgré les mesures visant à atténuer les tensions qui ont été incluses dans l'accord de décembre 2016. Des journalistes ont fait l'objet d'intimidation, d'arrestations et de harcèlement. Cette année uniquement, l'organisation Journaliste en danger, qui a son siège à Kinshasa, a enregistré 44 cas de violation de la liberté de la presse. Au Kasaï-Central, depuis avril dernier, une douzaine de journalistes ont été attaqués et intimidés par des représentants du gouvernement. Le 19 mai, à Kinshasa, une journaliste du nom de Christine Tshibuyi a été enlevée, après avoir assuré la couverture des funérailles d'un jeune militant.
Dans un tel contexte, des journalistes s'auto-censurent par crainte de représailles. À l'approche de la période électorale, nous craignons que la situation des droits de la personne en RDC ne devienne critique.
Dans une telle situation, que peut offrir le Canada, en particulier sur le plan du développement des médias? Cela fait 10 ans que l'organisme Journalists for Human Rights travaille en RDC.
Nous envoyons des formateurs en journalisme pour travailler aux côtés de journalistes locaux sur une forme de journalisme percutant qui vise à mettre l'accent sur les problèmes en matière de respect des droits de la personne et à catalyser des solutions locales et durables à des problèmes locaux. C'est particulièrement utile et approprié dans des endroits où la situation est fragile, où la capacité des autorités d'agir au nom des citoyens est compromise et où la liberté de la presse existe mais est menacée, comme en RDC.
Comment cela peut-il aider d'une manière constructive? Je vais vous donner un exemple. Notre organisme travaille en RDC depuis plusieurs années, et en 2016, nous avons organisé le premier forum national des médias en RDC. L'objectif était de réunir des journalistes dans le cadre d'une cause commune afin qu'ils puissent se protéger les uns les autres contre des menaces communes.
Trois semaines après la tenue du forum, c'est exactement ce que nous avons dû faire. Le président de la section du Kikwit, Badylon Kawanda, enquêtait sur une disparition au bureau provincial de l'Agence nationale de renseignement, qui est l'équivalent en RDC de la CIA. Il a été battu si sauvagement qu'il a dû être hospitalisé. L'ensemble du réseau a diffusé cet incident et j'ai rédigé une lettre d'opinion dans le Globe and Mail à propos de cet événement. Deux semaines plus tard, le chef de sécurité du bureau local a présenté ses excuses pour le comportement déplorable de ses subordonnés sur les ondes de la station de radio où travaille Kawanda. Il a juré qu'une telle chose ne se reproduirait plus, et Kawanda poursuit depuis son excellent travail librement. Le chef de sécurité a invoqué la pression des médias, à l'échelon local et international, comme étant la principale raison qui l'a incité à agir.
En ce qui a trait au changement transformationnel, des journalistes formés par notre organisme en RDC mettent de l'avant les enjeux locaux et catalysent le changement positif. Je vais vous donner un autre exemple. Nous avons formé des journalistes locaux qui ont mis en lumière la situation que vivent les malentendants à Matadi, dans la province du Bas-Congo, en faisant valoir que les malentendants ne peuvent pas participer au dialogue public parce que la télévision d'État n'offre aucun service d'interprétation en langage gestuel. Après la diffusion des reportages par un réseau local, le gouverneur de la province du Bas-Congo a annoncé la mise sur pied d'une école pour malentendants. C'est ce qu'il a fait, et il a ordonné que l'interprétation en langage gestuel soit offerte pour tous les reportages diffusés à la télévision d'État, dans cet État en déroute, où les élections provoquent des violences.
En outre, et cela est pertinent compte tenu de l'éclosion récente d'Ebola, des journalistes formés par notre organisme ont joué un rôle très important en veillant à la diffusion de l'information et en luttant contre la désinformation durant l'épidémie d'Ebola en Sierra Leone et au Liberia. Un journaliste de notre organisme, Kolubah Akoi, a reçu un prix humanitaire de la part de l'Union africaine pour avoir veillé à ce que les Libériens du comté de Lofa, l'épicentre de l'épidémie au Liberia, sachent où obtenir des soins médicaux, ce qu'ils devaient éviter de faire et de quelle manière ils devaient procéder pour inhumer les morts de façon sécuritaire.
Ces résultats sont obtenus d'une façon particulièrement peu coûteuse et efficace. En général, un formateur de notre organisme travaille avec au moins 20 journalistes durant son séjour dans le pays, et ces journalistes ont en moyenne un auditoire d'environ 20 000 personnes ou plus. Chaque dollar investi dans le développement des médias a une incidence beaucoup plus grande que le nombre de personnes directement formées. C'est un phénomène qu'on appelle dans le domaine du développement des médias l'effet multiplicateur. Cet effet s'ajoute à celui que peuvent avoir des formateurs canadiens qui font voir la nécessité pour le Canada d'agir à l'échelle internationale pour faire respecter les droits de la personne en RDC par l'entremise de reportages sur ces histoires diffusés auprès d'un vaste public au Canada.
C'est particulièrement important à l'heure actuelle, alors que la situation des droits de la personne en RDC s'aggrave chaque jour. Les autorités et les institutions locales sont compromises et les acteurs bilatéraux et multilatéraux craignent d'agir vu les situations extraordinairement complexes et dangereuses.
Dans le contexte actuel, travailler avec les médias locaux et internationaux constitue la seule façon sûre pour les acteurs externes d'exercer des pressions à l'intérieur du pays et d'aider les collectivités et la société civile locales à susciter des changements positifs. Soyons honnêtes; aucun d'entre nous n'a réagi de façon significative à la crise en Syrie jusqu'à ce que nous voyions cette photo d'Alan Kurdi sur une plage de la Méditerranée. Les journalistes étrangers peuvent mettre à l'avant-plan une crise et les journalistes locaux peuvent attirer l'attention à l'échelon local sur les enjeux liés aux droits de la personne et proposer des solutions locales, pour une fraction du coût d'autres formes d'intervention dans un milieu où les institutions ne sont vraiment pas en mesure de recevoir l'aide bilatérale, et encore moins de la transmettre. Travailler avec les journalistes permettra de créer les boucles de rétroaction interne nécessaires pour amener des changements positifs et aider les Congolais à s'aider.
J'ai certaines recommandations à formuler. Afin d'améliorer la situation des droits de la personne en RDC, nous recommandons que le Canada se fasse entendre et use de son influence de la façon suivante: que le Canada continue de favoriser la tenue d'élections crédibles et transparentes; qu'il exerce des pressions pour que des élections aient lieu en décembre 2018, conformément à la recommandation qui figure dans l'accord signé sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo, la CENCO; qu'il exerce des pressions pour que l'actuel chef d'État ne participe pas à ces élections, conformément à ce que prévoit la constitution de la RDC; que le Canada préconise la tenue d'élections justes, libres et crédibles au Conseil de sécurité de l'ONU; et que, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité, que le Canada promeuve le rôle des femmes en tant qu'agentes de consolidation de la paix dans le cadre du processus.
Nous recommandons en outre qu'en l'absence d'institutions publiques fonctionnelles et qu'en présence d'une société civile affaiblie, le gouvernement du Canada accorde la priorité au soutien des organismes de développement des médias oeuvrant en République démocratique du Congo. Nous recommandons enfin que le Canada demande aux divers acteurs politiques, qu'ils fassent partie de l'opposition ou de la majorité, de ne pas encourager les discours haineux.
Fort d'une réputation d'honnête conciliateur parce qu'il a amené une coalition de partenaires à la table, le Canada assume une position de leadership international pour les médias en République démocratique du Congo. Journalistes pour les Droits Humains voudrait miser sur cette réputation afin d'exploiter pleinement le potentiel du Canada à titre de chef de file mondial du développement des médias.
Nous vous remercions de nous avoir offert l'occasion de vous parler aujourd'hui. Je répondrai à vos questions avec grand plaisir.
[Français]
Mesdames et messieurs, c'est un plaisir de venir ici pour m'adresser à un comité de la Chambre. Étant donné le bon processus de gouvernance de notre pays, je fais énormément confiance au travail des comités et aux recommandations de ces derniers visant à influer sur l'orientation du gouvernement et à lui donner la capacité de voir, souvent dans une perspective beaucoup plus élargie, les problèmes auxquels il doit faire face.
[Traduction]
Je témoigne devant vous à titre d'ancien commandant d'une force des Nations unies qui, en 1994, était en poste à la frontière du Congo. J'étais là en 1996 quand le Canada s'est rendu au Congo pour déterminer comment nous gérions près de deux millions de personnes qui s'étaient réfugiées dans l'Est du Congo dans la foulée de la crise rwandaise et composions avec les mesures d'envergure prises par les génocidaires extrémistes qui avaient réussi à fuir le Rwanda, tout en dirigeant les activités à l'intérieur du pays.
En 1998, j'ai surveillé l'invasion en Ouganda, au Rwanda et dans d'autres pays, ainsi que le changement de gouvernement qui s'est opéré à l'époque. Puis, en 2011, tout un groupe d'étude m'a accompagné lorsque nous nous sommes intéressés à l'utilisation des enfants dans le cadre de ce conflit dans le Kivu, dans les provinces de l'Est, et dans l'Ituri, juste au nord de l'Est. Nous nous sommes rendus en Ouganda, où Joseph Kony étendait son influence à l'extérieur de ses frontières jusqu'au Congo, mais nous avons également été en République démocratique du Congo et dans le Soudan du Sud. Toute la région était touchée et utilisait des réfugiés, mais aussi des enfants, dans le cadre des conflits.
À titre de fondateur de la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, nous avons récemment reçu un projet des opérations de paix des Nations unies afin d'aller en Somalie, où j'ai déjà des gens en poste, et au Congo, où nous allons retourner, afin d'aider les forces gouvernementales à modifier la nature de leur éthos en ce qui concerne l'utilisation des enfants en tant qu'armes de guerre. Ce faisant, nous voulons les aider à coucher leur doctrine sur papier et fournir une formation professionnelle pouvant les aider à comprendre que les enfants ne sont pas des armes de guerre et qu'ils ne remporteront jamais une guerre. Ils y participeront, mais ne la gagneront pas.
Vous savez, bien entendu, que la maladie à virus Ebola refait surface actuellement; nous avons été confrontés à cette maladie lorsque nous étions en Sierra Leone dans le cadre de l'initiative Dallaire, et nous avons dû cesser nos activités pendant environ huit mois. Nous avons toutefois découvert de quelle manière la formation adéquate des forces de police, des militaires et des forces de sécurité a permis de sauver un grand nombre d'enfants, qui auraient été abandonnés si les responsables n'avaient pas été sensibilisés à leur vulnérabilité.
Sachez enfin que les cadres culturels ne rendent pas plus acceptables l'utilisation et la maltraitance des enfants particulièrement sur le plan des droits de la personne, que ce soit en raison du travail, de la prostitution ou de la traite d'enfants. Comme dans ces sociétés, les jeunes sont considérés comme ayant un statut d'adulte, même s'ils n'ont que 13 ans, il nous est difficile d'imposer à ces sociétés des changements de culture en ce qui concerne directement les droits des enfants. Pourtant, selon la définition des Nations unies, toute personne de moins de 18 ans est un enfant. Ainsi, une jeune fille de 13 ans enceinte n'est pas l'épouse de quelqu'un; elle est une jeune fille de 13 ans enceinte. De même, un jeune de 14 ans qui transporte une arme et qui est utilisé comme soldat est un jeune de 14 ans et non un soldat adulte.
Comme c'est dans ce contexte que nous travaillons, il nous est peut-être plus difficile de savoir comment nous réussirons à protéger les droits de la personne et à modifier la manière dont les gens pensent, en ce qui concerne, par exemple, l'utilisation des enfants et la violation de leurs droits de la personne dans une population souvent constituée à 50 % de jeunes de moins de 18 ans, un pourcentage astronomique au regard de l'étalement de la population et de la disponibilité d'enfants.
Si vous le voulez bien, je vous laisserai mon texte pour que vous l'examiniez à loisir, et je parlerai de certains documents.
J'ai aussi apporté des documents. Voici un livre d'histoires issu des recherches que nous avons menées au Congo sur les enfants congolais, qui explique ce que ces enfants ont vécu lorsqu'ils ont été utilisés comme armes de guerre. Nous nous servons de ce livre pour éduquer et former les enfants et les forces. Nous travaillons aussi déjà au Rwanda pour mettre fin à l'utilisation des enfants soldats.
Oui, je suis un ancien soldat, un ancien commandant des forces, un ancien sénateur et un ancien collègue; peut-être suis-je aussi un agent humanitaire, mais je suis aussi grand-père. Ainsi, je ne pense pas que la maltraitance à grande échelle des enfants en zones de conflit soit une activité secondaire. Il s'agit d'une préoccupation de premier plan dans le cadre des conflits qui font rage dans le monde. Il n'y a pas un seul conflit dans le monde dans le cadre duquel des enfants de moins de 18 ans ne sont pas utilisés en grand nombre dans des rôles centraux et à toutes les fins afin d'alimenter les conflits.
Le Congo constitue un exemple idéal de cette maltraitance à grande échelle menée par les forces gouvernementales, lesquelles n'ont maintenant plus de comptes à rendre en comparaissant à titre de témoins devant la communauté internationale, car elles ont officiellement cessé de recruter des enfants soldats. Un certain nombre d'enfants sont toutefois recrutés pour accomplir diverses tâches, et pas seulement lors d'affrontements armés; en effet, les forces utilisent aussi des porteurs et des filles. Jusqu'à 40 % des filles servent d'esclaves sexuelles et d'épouses de la brousse, et les acteurs non étatiques s'en servent encore beaucoup.
Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai rencontré des organisations non gouvernementales qui travaillent à Goma, au coeur de la zone de conflit située dans l'Est du Congo où la mission des Nations unies a installé son poste de commandement, directement à la frontière rwandaise. Le gouvernement a répété que les gens utilisent moins souvent les enfants, mais c'est quand ils n'en ont pas besoin, c'est-à-dire quand il n'y a pas de menace dans la région. Dès qu'une menace ou qu'un conflit émerge, le recrutement d'enfants est immédiatement déclenché, car on peut facilement et rapidement les mobiliser. On peut efficacement les recruter et les convaincre de réaliser des opérations que des adultes ne mèneraient pas, parce que leur cerveau n'est souvent pas assez développé pour faire la différence entre un risque extrême et l'empathie envers d'autres êtres humains.
Nous nous intéressons vivement à la violation à grande échelle des droits de la personne des enfants depuis maintenant 12 ans, mais nous effectuons des recherches depuis longtemps, voire depuis 2005, sur la manière dont les forces recrutent des enfants, sur les raisons pour lesquelles elles le font et sur les moyens dont nous disposons pour mettre fin à ces pratiques. L'initiative relative aux enfants soldats a renforcé ses capacités et peut maintenant se rendre à l'intérieur du pays pour recommencer à former et à éduquer les forces militaires et policières pour qu'elles n'utilisent pas les enfants.
Sans formation efficace, les soldats de maintien de la paix, les soldats et les policiers qui affronteront des enfants soldats ne réagiront pas assez, réagiront trop ou ne réagiront pas du tout, ce qui pourrait être catastrophique pour toutes les personnes concernées, qu'il s'agisse des soldats de maintien de la paix ou de l'enfant. Par exemple, en République centrafricaine, des soldats sud-africains ont été surpris par des enfants soldats et, avant d'avoir pu réagir, 13 d'entre eux — des soldats, pas des enfants — avaient été tués.
À défaut de conférer de toutes nouvelles compétences, de nouvelles doctrines et de nouvelles tactiques — car il s'agit d'une nouvelle manière de faire la guerre — afin de renforcer la capacité opérationnelle des forces pour qu'elles puissent affronter les enfants soldats sans nécessairement employer une force mortelle, on continuera d'essuyer des pertes parmi les enfants parce qu'on fait un usage important d'une force cinétique au lieu de recourir aux nouvelles utilisations des capacités. L'adoption de nouvelles tactiques pourrait réduire le risque que les choses s'enveniment au point où on recourt à la force cinétique, mais aussi permettre de mener des opérations qui ne visent pas directement à tuer des enfants en laissant ces derniers s'échapper. En fait, dans certaines situations, ils pourraient profiter de la confusion provoquée par le combat pour s'échapper.
Au bout du compte, nous nous efforçons de convaincre les gens d'empêcher le recrutement des enfants, et ce, en aidant les forces à être bien plus conscientes de ce qu'elles peuvent faire. Nous ne faisons pas cavalier seul dans ce domaine, puisque ces démarches ont pris une envergure nationale dans le cadre des activités de développement international et des affaires étrangères de notre pays. Ayant entrepris de défendre les droits des enfants, ce ne sont pas les droits de la personne ou les droits des femmes, mais les droits des enfants que nous défendons avant tout.
Si on peut réduire le recours aux enfants et convaincre les gens qu'il ne convient pas d'utiliser les enfants dans un conflit, on réunira les gens autour d'un sujet sûr: les enfants. Quand on cherche à convaincre les gens de discuter du fait qu'il faut cesser de les recruter avant l'âge de 13 ans, car ils recrutent des enfants d'à peine huit ans, et qu'on veut qu'ils réduisent leur bassin de mobilisation, on les fait parler. On permet aux belligérants de discuter et on cherchera d'autres occasions de faire preuve de bonne volonté. Si, au final, on réussit à porter l'âge de recrutement à 18 ans, tant mieux.
Tout d'abord, il faut faire valoir les droits des enfants d'entrée de jeu pour prévenir leur recrutement et, ce faisant, former les gens pour tenir compte des enfants dans leurs politiques. À peine 10 des 180 mandats que les Nations unies ont élaborés au cours des 10 dernières années comprenaient le mot « enfant », et c'est sans parler de leur protection.
C'est le premier élément. J'ai un texte qui contient une définition des droits des enfants, que je vous laisserai. Quand on parle de la maltraitance des enfants, toutefois, on fait directement référence à la maltraitance des femmes et des enfants en général, car les enfants sont utilisés non seulement lors d'affrontements armés, mais aussi au cours de violences commises contre la population afin de susciter la peur en provoquant l'horreur grâce à des moyens terribles comme le viol. Les enfants soldats peuvent ainsi être poussés aux extrêmes jusqu'au point où on pourrait faire valoir, comme nous l'avons fait dans certaines recherches, qu'ils sont un signe, un avertissement ou un indicateur précoce du risque qu'il se produise des atrocités de masse qui prendront de l'ampleur au pays pour finir par dégénérer en génocide.
Dans chaque conflit où nous avons constaté que des enfants soldats avaient été recrutés, la situation a dégénéré pour donner lieu à des atrocités de masse et à des violences visant tant les femmes que les enfants, que ce soit sous la forme de viols ou d'autres méfaits.
Il faut aussi comprendre que les guerres ont évolué. Nous faisons face à des guerres civiles, à des conflits ethniques, à des situations où des nations implosent et des États s'effondrent. Nos références normales, nos références morales n'ont plus cours, et c'est en pareille situation que l'utilisation des enfants soldats par certaines factions semble logique, alors que ces pratiques vont totalement à l'encontre des règles édictées par la Cour pénale internationale, lesquelles stipulent que le recrutement d'enfants soldats à quelque fin que ce soit par n'importe quelle faction, qu'ils soient esclaves sexuels ou simples porteurs d'eau, constitue un crime contre l'humanité et un crime de guerre.
Il faut convaincre les groupes de l'admettre, de signaler les incidents et d'intervenir à ce chapitre, et faire en sorte que la communauté internationale reconnaisse que les guerres comme celle qui secoue le Congo ont été alimentées par le fait qu'on recrute des enfants. Dès que la situation change, les forces procèdent au recrutement de masse des enfants et, ce faisant, modifient la nature du conflit en l'espace de quelques jours.
J'ajouterais que le Canada déploie à cet égard des efforts dans deux arènes qui peuvent avoir une incidence directe au Congo, car nous y intervenons avec cet objectif en tête, forts de l'appui de l'Union africaine.
Nous agissons conformément aux principes de Vancouver, qui régissent la manière de prévenir le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats. Nous mettons aussi en oeuvre le projet Elsie dans le but d'instaurer des multiplicateurs de force au sein des forces déployées afin de les encourager à recruter des femmes et à les affecter aux premières lignes. Les enfants participant aux conflits réagissent différemment envers les femmes quand ils les voient. La différence est notable, même si elles portent l'uniforme. Qui plus est, les femmes apportent une autre dimension en communiquant avec des communautés et des factions dont les hommes ne peuvent même pas s'approcher.
Ce multiplicateur de force constitue un facteur important, selon nous, car il réduit la valeur des enfants soldats en les neutralisant. Je n'emploie pas ce terme au sens militaire, soit celui de « détruire », mais dans le sens de « rendre inefficace le recours aux enfants ». Plus nous pouvons agir efficacement avec nos forces de sécurité et en l'application de principes voulant que la sécurité des enfants passe en premier, moins les enfants seront utiles pour ceux qui veulent les recruter. Les enfants finiront par devenir un boulet, car ceux qui les recrutent seront envoyés en prison par la Cour pénale internationale.
Nous adoptons une approche indirecte au lieu d'attaquer de front. Nous formons de meilleurs forces de sécurité, corps de police et forces nationales afin de modifier la manière dont ils considèrent les enfants.
Les enfants de moins de 18 ans ne sont pas des armes de guerre. Il ne faut pas violer leurs droits d'être des enfants. Des six violations graves des droits des enfants énoncées par les Nations unies, la plus grave, plus grave encore que la traite des enfants et leur exploitation dans les mines, est l'utilisation des enfants comme armes de guerre. Rien n'est aussi grave que l'utilisation des enfants comme armes de guerre.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup, général.
Nous entamerons maintenant les périodes de questions, en commençant par M. Anderson.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos invités de témoigner aujourd'hui.
Je voudrais que vous me donniez tous les deux votre avis sur l'état de préparation aux élections et la probabilité que ces élections aient lieu. Vous avez été au Congo. Lors des échanges que nous avons eus ici sur la capacité du pays d'aller de l'avant, il semble qu'on s'interroge principalement sur le fait qu'il puisse tenir les élections.
Vous vous intéressez à la préparation aux élections et à ce genre de choses. Pourriez-vous traiter brièvement de la question? Les élections sont-elles susceptibles d'avoir lieu? Assisterons-nous à une réussite ou à un autre report et à un autre échec?
C'est une excellente question qui tombe à propos.
Le forum dont j'ai parlé dans mon exposé s'est tenu en février 2016. À l'époque, nous pensions que les élections auraient lieu en novembre de cette même année. Nous sommes maintenant en mai 2018 et on nous annonce que les élections devraient avoir lieu en décembre.
Nos réseaux de journalistes et l'archevêque Utembi pensent que ces élections seront une comédie et que Kabila fonctionnera essentiellement grâce à une présence de principe. Voilà pourquoi je voulais insister sur le fait que le Canada devrait appuyer une position voulant que le chef d'État actuel ne s'implique pas, comme l'exige la constitution de la République démocratique du Congo.
Selon nous, si des élections ont lieu, c'est un sbire de Kabila qui sera élu. La communauté internationale devrait donc surveiller la situation pour éviter que cela ne se produise.
Pensez-vous que le processus électoral lui-même puisse être équitable, ou est-ce improbable qu'il le soit? Kabila peut mettre en poste un pantin et contrôler les leviers du pouvoir, mais est-ce que les élections peuvent se dérouler dans les règles de l'art ou non?
Je pense que c'est possible, mais il faudra que la communauté internationale mette bien plus l'accent sur ce processus qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent.
Si nous craignons un tant soit peu d'abandonner certains processus, malgré les échecs — je parle du processus démocratique —, nous n'atteindrons même pas le premier but dans aucun de ces pays. Nous continuerons d'assister à leur dégénérescence.
Devant le défi que représente la tenue de cette élection, comme nous l'avons vu ailleurs, plus la communauté internationale interviendra directement, dénoncera la situation, jouera un rôle actif, notamment par des visites, et fera preuve de détermination pour la tenue d'une élection, plus cela risque de se concrétiser. La présence de tous ces témoins a une incidence sur la violence. Miser sur les témoins, mettre les efforts nécessaires, par des actions délibérées et non simplement par des mots, sera beaucoup plus efficace que de dire: « Eh bien, vous savez, puisque cela ne fonctionnera pas, autant laisser faire. »
C'est exactement ce que veut l'opposition. J'ai vécu au Rwanda. Tout le monde gardait ses distances et la situation a dégénéré partout au pays parce que personne n'est venu et que personne ne s'en souciait vraiment.
Merci.
J'aimerais parler brièvement de la structure des médias congolais. Ce matin, je lisais dans un article qu'il y a aux États-Unis une certaine frustration, étant donné que le gouvernement américain n'a pas consacré plus de fonds à l'établissement de protocoles qui permettraient vraiment de les protéger et de créer des mécanismes pour contourner les restrictions imposées aux médias électroniques par les gouvernements. Pourriez-vous nous parler de la situation à cet égard au Congo?
Vous avez indiqué que le gouvernement a coupé l'accès à Internet, notamment. Devons-nous en faire plus pour contrer les restrictions autoritaires visant les communications? Si oui, que pouvons-nous faire?
Nous sommes dans une situation intéressante, car nos activités en RDC sont financées par le National Endowment for Democracy, dont le gestionnaire de projet est interdit de territoire au Congo. Toutes ses demandes de visa sont refusées. Lors de mon dernier séjour en RDC, j'ai décidé de visiter le musée national. C'était ma dernière journée au pays. Je pensais pouvoir visiter tranquillement les lieux, mais j'ai été prise à partie verbalement par des membres de la garde présidentielle qui m'accusaient d'être une agente de la CIA.
Voilà le contexte dont il est question. Lorsque nous tentions d'organiser le premier forum, nous ne savions pas s'il aurait lieu ou si on nous forcerait à l'annuler. Le moment décisif s'est produit lorsque notre ambassadrice de l'époque, Mme Ginette Martin, s'est présentée au forum et a clairement indiqué, du haut de ses quatre pieds, que la communauté internationale — pour revenir au point soulevé par le général Dallaire — suivait la situation de près et considérait le sort réservé aux journalistes comme un indicateur révélateur de l'état de la démocratie dans ce pays.
Quant aux enjeux que vous soulevez, je dirais qu'il faut intervenir davantage et non moins, qu'il faut accroître la surveillance et mettre en place un mécanisme de suivi solide pour ces problèmes afin de démontrer comment le gouvernement manipule l'accès à Internet pour atteindre ses objectifs.
Des exactions flagrantes ont été commises contre des journalistes. Certains ont été assassinés, d'autres sont disparus, et la communauté internationale n'accorde pas à ces enjeux autant d'attention qu'elle le devrait.
Puis-je vous poser une question? Nous allons bientôt manquer de temps.
Au Canada, la population délaisse les anciens modes de communication et adopte les nouvelles méthodes. Que constatez-vous dans ces pays? Quel est le mode de communication privilégié?
Selon nos informations, on compte beaucoup de stations de radio et de télévision, mais beaucoup d'entre elles sont très pauvres et manquent de ressources. Quelles sont les sources d'information des gens? Vaut-il la peine, pour le gouvernement, de fermer les médias électroniques?
Beaucoup de gens se renseignent par l'intermédiaire des réseaux sociaux, auxquels ils ont accès par diverses méthodes. Beaucoup de faussetés circulent sur ces plateformes, et c'est l'une des choses que nous cherchons à contrer par l'intermédiaire de nos programmes. Dans les régions rurales du Congo, la radio demeure la principale source d'information. Toutefois, à titre d'exemple, lorsque les rebelles du M23 ont envahi la ville de Goma en 2012, toutes les stations de radio faisaient jouer de la musique. C'est ainsi qu'on les contrôlait.
Nous avions un partenariat avec le National Post et ScribbleLive. À l'époque, nous avions donné à nos journalistes une formation sur l'utilisation de ScribbleLive pour qu'ils puissent informer la communauté internationale sur la situation à Goma. Ces informations revenaient ensuite en RDC. Il est essentiel que la population comprenne comment le gouvernement manipule ces leviers pour faciliter cette campagne continue de désinformation et pour maintenir son règne de terreur. Je ne saurais trop insister assez sur l'urgence de cette situation.
Merci, monsieur le président. Je vous remercie tous les deux d'être ici.
Général Dallaire, merci beaucoup de votre service à l'ONU et au Canada. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Ma question porte sur un article que j'ai ici, intitulé « Les enfants rejoignent “volontairement“ les groupes armés en RDC ». Dans un passage, on indique ce qui suit:
Le recrutement des enfants, même s'il n'est pas contraint, semble toutefois naître moins d'un désir que d'un choix fait au sein d'un ensemble limité d'options socio-économiques.
Puis on ajoute:
Parmi les « facteurs d'incitation », le rapport cite la pauvreté, le chômage, la faim [...] les mauvais traitements [...]
L'article traite d'une étude qui a été menée à ce sujet.
Comme vous le savez, le Congo est le principal producteur africain de cuivre, de cobalt et d'autres minéraux comme le coltan, etc., mais la population ne retire aucun avantage de ces minéraux et ressources. On constate qu'on a recours à des enfants soldats dans ce conflit, le plus important conflit depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela va-t-il finir un jour?
Parviendra-t-on un jour à faire profiter la population civile de ces vastes ressources, ce qui contribuerait à réduire le nombre d'enfants soldats ou même à éliminer le recours aux enfants soldats dans une région si riche en ressources?
Vos analystes font un travail remarquable. Évidemment, nous surveillons comme vous la situation, par l'intermédiaire de nos activités de recherche et de nos interventions sur le terrain.
Premièrement, comme les aspects auxquels vous avez fait allusion et comme on l'explique dans l'article, un enfant soldat volontaire, cela n'existe pas. Ici, les gens s'enrôlent volontairement dans les Forces canadiennes, car il s'agit d'un organe du gouvernement qui est au service du gouvernement. Dans les pays en conflit, les enfants sont attirés vers cela parce qu'ils n'ont aucune autre possibilité. Leur famille a été détruite, il n'y a pas de travail et les facteurs socio-économiques... On les incite à rejoindre les forces; c'est le seul endroit où ils estiment pouvoir avoir une certaine protection.
Une bonne partie du travail de prévention auquel nous participons revient à conscientiser les enfants afin qu'ils ne se laissent pas berner par les promesses d'un accès à l'éducation et à une vie meilleure pour ensuite devenir des enfants soldats pour le compte d'acteurs non étatiques, comme vous l'avez vu dans le cas de l'EIIL. Cette participation volontaire n'est pas vraiment volontaire; elle découle plutôt de contraintes. Par conséquent, il convient d'utiliser ce terme avec très grande prudence.
Toutefois, leur adhésion à ces organisations est liée au point que vous avez soulevé. Qu'en est-il de la distribution de la richesse et des emplois? Que peut-on faire à cet égard? Notre rôle est de sortir les enfants de l'asservissement ou d'empêcher qu'on les utilise. Lorsque nous parvenons à sortir de là et à les confier aux gens de l'Unicef, par exemple, à des fins de réadaptation et de réintégration sociale — c'est l'essentiel de mes activités —, notre préoccupation devient alors la possibilité que ces enfants soient recrutés de nouveau.
Après avoir passé trois mois en réadaptation et suivi une formation de cordonnier, dans un pays où personne ne porte de souliers, ils se rendent soudainement compte qu'ils n'ont aucune possibilité d'avenir. Et bien, que font-ils? Ils deviennent des proies faciles susceptibles d'être de nouveau recrutées, puis le cycle recommence. La question connexe n'est pas le manque d'argent pour la réadaptation et la réintégration, mais plutôt le manque de stabilité de la structure sociale, de sorte qu'ils n'ont d'autre choix après leur démobilisation.
L'aspect capital, c'est de les rendre inefficaces, s'ils se font recruter, car s'ils ne sont d'aucune utilité, ils ne feront que consommer les ressources alimentaires. En outre, on ne pourra faire appel à eux. Nous avons en effet trouvé des techniques et des stratégies pour les rendre inefficaces, pour maintenir leurs capacités opérationnelles à des niveaux très faibles, sans qu'on ait la possibilité de les amener à un niveau supérieur afin d'en retirer un avantage quelconque. Si nous poursuivons nos efforts en ce sens, nous réussirons à les rendre inefficaces. À ce moment-là, les acteurs non étatiques ou les partisans de la ligne dure ne chercheront pas à les recruter, parce que ces enfants seront inefficaces et d'aucune utilité, en plus d'être un fardeau.
La suite des choses relève des ONG. Je tiens à préciser que depuis l'importante étude réalisée en 1996 par Graça Machel, la veuve de Nelson Mandela, nous avons dépensé pendant toutes ces années des milliards de dollars pour la réadaptation et la réintégration, sans pour autant réussir à réduire le nombre d'enfants soldats. Pendant cette période, beaucoup d'enfants ont été tués alors qu'on les utilisait. Nous réussirons à réduire le nombre seulement si nous nous attaquons aux aspects sous-jacents, comme nous le faisons, en modifiant le caractère intrinsèque des enfants soldats et la nature de leurs affrontements avec les forces de sécurité, afin de les rendre inefficaces. Grâce à notre travail, nous avons déjà réussi à réduire le nombre d'enfants au sein d'al Shabaab, en Somalie, car les enfants considèrent que c'est une voie sans issue.
Oui, il faut s'attaquer aux aspects socio-économiques. Oui, il faut interpeller l'industrie de l'extraction. Il faut peut-être même interpeller le gouvernement chinois, qui construit uniquement des routes menant aux sites d'extraction, mais pas là où la population en a besoin. Je n'ai rien contre l'idée qu'on s'attaque à toutes ces choses, mais on ne peut ignorer qu'il sera impossible de mettre fin à la guerre si on ne parvient pas à enrayer le cycle de l'utilisation des enfants en tant qu'instruments de guerre.
Nous appelons cela une guerre générationnelle. Au Congo, des filles ont été recrutées alors qu'elles étaient très jeunes; elles ont eu des enfants, qui sont maintenant des enfants soldats. L'utilisation des enfants crée des guerres générationnelles.
Donc, il convient d'intervenir pour tous ces autres aspects, mais d'accorder les ressources nécessaires pour changer la nature du conflit lui-même en modifiant les stratégies et en luttant contre le recours aux enfants.
Je pourrais vous écouter toute la journée. Je déteste les interruptions pour les questions.
Je vais soulever deux ou trois points et vous laisser tous les deux utiliser le reste de mon temps de parole. J'aimerais avoir vos commentaires sur le rôle des femmes, y compris plus de statistiques sur l'état actuel des choses du côté de la Cour pénale internationale.
J'aimerais aussi avoir d'autres commentaires sur les enfants soldats et sur la question des enfants en général. Comment pouvons-nous prendre position à l'échelle internationale pour faire de l'enjeu des enfants soldats une plus grande source d'embarras? Nous semblons avoir une bonne occasion de le faire, mais que pouvons-nous faire pour que cela attire l'attention plus rapidement?
Je vous invite à utiliser mon temps de parole pour traiter de ces enjeux. Merci.
Je vais parler du rôle des femmes, puisque c'est un enjeu qui me tient à coeur.
Il convient notamment de souligner que le Canada devrait envisager sérieusement l'adoption d'une approche sexospécifique en matière de promotion des droits de la personne en RDC, étant donné que les femmes et les filles sont souvent disproportionnellement désavantagées dans ces sociétés. Le général Dallaire a parlé de la situation des femmes qui ont des enfants qui, plus tard, s'enrôlent dans ces groupes armés.
Un des principes centraux du travail de JDH est d'accorder la priorité à la formation des femmes pour qu'elles occupent des postes de direction dans les salles de presse, des postes de chef d'antenne dans les bulletins de nouvelles, de façon à normaliser la présence des femmes à l'avant-scène des débats publics sur des enjeux donnés.
Cela a été particulièrement utile en situation de conflit, comme nous l'avons vu au Soudan du Sud. Plus récemment, nous avons travaillé avec Mme Anna Nimiriano, maintenant rédactrice en chef du Juba Monitor, le journal le plus influent du pays. C'est elle qui oriente maintenant la teneur du débat public sur ces enjeux dans toutes les stations de radio du pays. C'est un aspect essentiel, car elle accorde la priorité aux enjeux plutôt qu'aux acteurs. Elle veille à ce que les discussions sur le conflit demeurent axées sur la résolution des problèmes, notamment celui des enfants soldats. L'idée est de trouver des façons de s'attaquer aux problèmes et de les résoudre, plutôt que de procéder à la pièce, à la Paul Malong, en pointant les uns et les autres du doigt, comme on l'a vu à ce jour dans ce conflit.
C'est ce que l'on observe lorsque les femmes occupent de tels postes. Elles accordent la priorité aux droits des enfants, aux problèmes des enfants soldats, aux problèmes d'accès des filles à l'éducation, et même à la collecte des ordures, tous des besoins de développement fondamentaux négligés en situation de conflit et en période de fragilité.
En 2005, le premier ministre Martin m'a envoyé au Darfour, et j'étais accompagné de la sénatrice Jaffer. Il y a eu ce qu'on appelle un accord de paix global entre le Soudan et le Darfour pour essayer de régler le problème. Ce que nous avons constaté, c'est que dans l'accord il n'était question ni des femmes, ni des enfants — ni des femmes, ni des enfants —, et non seulement cela, ils n'étaient même pas inclus dans le processus.
De nos jours, il y a encore des cas importants où l'on ne tient même pas compte des enfants et des femmes. Quand je parle des droits de l'enfant d'abord, il faut déterminer quelles sont les priorités pour essayer de ramener la paix dans un pays. Comment gérer ce processus qui consiste à passer du conflit à la paix?
Les choses se passent toujours entre hommes, entre les grandes armées, etc., et il y a la sécurité, les diplomates et ainsi de suite. Pourtant, concernant la nature des conflits, on parle de guerres civiles, de nations en train d'imploser, d'États en déroute, de graves atteintes aux droits de la personne des femmes et des enfants, etc., et c'est à ces niveaux que les conflits se déroulent et ils ne font même pas partie du mandat, sans parler des concepts de solution ou d'opération. De cette façon, on n'obtient pas de résultat. Il y a beaucoup de travail administratif et un blocage au niveau supérieur.
Nous croyons qu'on peut affaiblir l'intensité de ces conflits en axant les efforts sur, par exemple, les droits de l'enfant, un programme sur les femmes, la paix et la sécurité, les droits de l'enfant dès le départ. En fait, on élabore le concept d'opération pour les forces de sécurité, comme les forces militaires, à cet égard. Qu'est-ce qui rend les enfants vulnérables? Comment former à nouveau les forces pour pouvoir retirer les enfants et intervenir sans les tuer? Et j'en passe.
Plus on est capable d'axer les efforts à ce niveau, plus le bassin de mobilisation pour les gens qui veulent que l'affrontement se poursuive est réduit. C'est vraiment désolant que les gens qui sont les victimes, et les gens qui sont utilisés comme criminels, ne sont, en fait, jamais — ou presque jamais — mentionnés dans les mandats et les concepts d'opération; pourtant, c'est ce qui fait en sorte que les conflits se poursuivent.
Je crois que la question des enfants soldats... À la demande de la procureure en chef de la Cour pénale internationale, nous avons écrit un principe sur la façon de poursuivre les gens qui recrutent des enfants soldats. Nous l'avons rédigé et présenté aux 100 et quelques pays participants. C'est maintenant utilisé, et des gens sont maintenant poursuivis.
L'un des nouveaux angles qui sont également intégrés concerne la façon de protéger les enfants qui sont interrogés et la façon de les protéger contre les avocats de la défense, bien sûr. Nous voyons des cas où on ne peut pas s'en prendre aux malfaiteurs, parce qu'il n'est pas possible d'obtenir assez d'information concernant l'agression sexuelle pour qu'il y ait des poursuites. Il y a du travail à faire à la Cour pénale internationale pour qu'on dispose des outils qu'il faut pour protéger les enfants et obtenir l'information.
L'une des raisons pour lesquelles les principes de Vancouver ont été élaborés, c'était pour que les forces de sécurité sachent quoi chercher. Les soldats et les policiers ne font pas nécessairement rapport sur les enfants dans une zone de conflit. S'ils ne font pas rapport sur les enfants et la maltraitance qu'ils subissent — c'est seulement quelque chose qui se produit —, on ne peut pas avoir les données qu'il faut pour poursuivre les gens qui commettent ces actes.
Former les forces de sécurité pour qu'elles sachent exactement sur quoi porter leur attention et comment en faire rapport et faire en sorte que ce soit utilisé dans le cadre d'une poursuite fait partie des principes de Vancouver auxquels nous travaillons, et avec des mécanismes d'application importants.
J'aimerais terminer en parlant des femmes. Des femmes ont été capables de communiquer dans les collectivités et de convaincre les hommes de cesser de recruter des enfants. Des femmes ont été en mesure de parler à d'autres femmes et à prendre le thé et discuter avec elles — alors que les hommes ne sont même pas près de pouvoir le faire —, puis elles exercent une influence sur les hommes de la collectivité pour qu'ils cessent d'utiliser des enfants comme soldats.
Je vous donne un exemple. J'étais au Soudan du Sud, et le gouverneur a dit « je suis très fier parce que je suis en train d'empêcher Joseph Kony de venir ici et de voler nos enfants, car nous avons créé des forces de défense locales ». Le Congo l'a fait également. Il a établi des forces de défense de la collectivité. Il a dit « nous protégerons nos enfants », etc.
Lorsque nous avons vérifié la composition des forces de défense, nous avons constaté que plus de la moitié de ses membres étaient des enfants. Nous avons dit « vous êtes disposés à faire cesser l'utilisation des enfants, mais vous le faites ». On nous a répondu « eh bien, c'étaient les seules personnes disponibles, vous savez », etc.
Lorsque les femmes disent aux hommes « imbéciles, ce sont des enfants; n'utilisez pas nos enfants pour cela », etc., cela peut être un facteur important. Voilà pourquoi le rôle des femmes est essentiel. Dans les collectivités, elles ont une influence que les hommes n'ont pas.
Quand des gens me disent que peu importe si l'observateur militaire pour l'ONU est un homme ou une femme, c'est du pareil au même... Lorsqu'on pose la question aux hommes, c'est la réponse qu'ils donnent, mais lorsqu'on la pose aux femmes, on peut constater qu'il y a un ensemble de nouvelles capacités qu'elles peuvent utiliser dans ces types de conflits, soit des guerres civiles, des nations qui implosent et des situations où les droits de la personne sont violés. Ce sont des opérations qui ont une dimension humaine.
Je crois qu'en tant qu'une des principales puissances moyennes, le Canada — et je reviendrai sur le point qui a été soulevé plus tôt, vous savez, au sujet des États-Unis — ne veut pas nécessairement que ce soient les États-Unis qui prennent les devants. Il devrait s'agir du Canada, et de l'Allemagne, et de la Suède. Nous devrions intervenir, non pas avec de gros sabots, des capacités massives, mais en fait, avec la souplesse et la capacité d'adaptation qu'ont des pays comme le Canada.
Le fait que le Canada n'a pas de siège et qu'il n'est pas aux premières lignes des opérations de maintien de la paix l'empêche de jouer un rôle de chef de file extrêmement important quant aux solutions de maintien de la paix novatrices.
Merci
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup pour ce témoignage qui ne laisse personne indifférent.
J'ai une brève question, et j'espère que le député Fragiskatos aura le temps de poser une question également.
À la fin de mars dernier, on a appris que le gouvernement de la République démocratique du Congo refusait d'accepter de l'argent de l'étranger pour l'organisation des élections. Nous savons que les élections ont déjà été repoussées. Ce que je me demande vraiment, c'est si vous pensez qu'il y aura d'autres retards. Si le gouvernement ne permet aucune intervention internationale, comment le Canada peut-il fournir cette aide pour que la transition de gouvernement se fasse en douceur?
Je répondrais brièvement que je ne crois vraiment pas que nous prenons ces conflits et ces frictions assez au sérieux. Ce sont des êtres humains comme nous, et la vie de centaines de milliers, de millions d'entre eux, est détruite. Nous le constatons. Ils sont comme nous. Si une nation est en train d'imploser et que nous avons la capacité d'influencer... Nous avons la responsabilité de protéger la doctrine que nous avons présentée à l'ONU en 2005 selon laquelle si le gouvernement d'un pays commet de graves violations des droits de la personne, ou si le gouvernement ne peut y mettre fin, nous avons la responsabilité d'intervenir et de protéger les civils — non pas de changer le régime, mais de protéger les civils.
Notre crainte de mener des opérations et de nous engager dans des missions humanitaires — qu'il s'agisse de la crainte de subir des pertes ou de celle de commettre des erreurs — empêche ces pays d'avancer. Ils veulent aller de l'avant, mais il est impossible pour eux de le faire seuls, à moins que des pays comme le nôtre — des puissances moyennes — puissent jouer un rôle de premier plan, et un vrai rôle de premier plan, et non s'y rendre avec deux ou trois diplomates. Il s'agit d'y envoyer de gros canons.
Je ne parle pas ici de vrais canons, mais bien de ministres. Eh bien, je dois faire attention. Je suis un ancien soldat.
Merci.
Pour poursuivre sur le même sujet, je dirais que l'une des choses que nous avons vues au Soudan du Sud dont j'ai discuté, avant notre intervention là-bas, avec Nicholas Coghlan, notre ambassadeur — un homme remarquable —, c'est le développement des médias. C'est l'un des moyens qui nous permettent de créer des boucles de pressions internes sur ces autorités et des boucles de rétroaction interne pour nous assurer que certaines des personnes en situation d'autorité au Congo agissent dans ces différents dossiers.
Ce que nous avons vu à notre arrivée au Soudan du Sud, c'est une situation désespérée. On aurait dit que chaque ONG allait se voir imposer une taxe de 10 000 $ seulement pour exercer ses activités dans le pays. Nous y sommes allés, et le président aurait appelé à ce qu'on abatte les journalistes qui faisaient des reportages contre l'État. Un jour plus tard, un journaliste s'est fait tirer dans le dos.
Trois ans plus tard, lors d'un forum organisé par le gouvernement canadien et Journalists for Human Rights, l'autorité en matière de médias s'est engagée à faire observer les lois sur les médias et à s'assurer que les médias et les journalistes peuvent exercer leur métier en toute sécurité. C'est là une mesure prise par le Canada et cela montre son leadership au Soudan du Sud.
En République démocratique du Congo, lorsque nous avons organisé ce forum, ce sont des chefs de file du Canada qui ont dirigé le développement des médias au Congo. La semaine suivante, j'ai rencontré le dirigeant du volet, l'attaché français qui coordonne des millions de dollars pour le développement des médias en RDC.
Il a dit « je ne comprends pas, car vous avez organisé ce forum et il y a une couverture partout au pays, de même qu'à l'étranger; il y a maintenant un engagement national chez les journalistes de se soutenir les uns les autres dans des situations menaçantes, et nous n'avons même pas participé ». J'ai répondu qu'il étaient invités. Il a dit que cela plaçait le Canada dans une position de leadership unique, car dans cet environnement, nous ne sommes pas perçus comme une présence impérialiste. Le Canada est considéré comme une puissance moyenne, un intermédiaire honnête qui peut former ce type de coalitions et faire bouger les choses.
Quand les gouvernements disent qu'ils n'accepteront pas d'aide pour faciliter la tenue des élections, c'est du bluff. Il nous appartient d'appeler cela du bluff.
Nous sommes bien loin d'atteindre les limites de notre potentiel ou de les dépasser. Nous faisons bien moins que ce que nous pourrions faire et que ce à quoi les pays en développement s'attendent de nous, surtout en Afrique.
Général Dallaire, il reste peu de temps et j'aimerais vous poser une question concernant — et je reviens sur ce que vous avez dit plus tôt — les voies menant vers la paix et la meilleure façon de procéder, que ce soit au Congo ou dans d'autres zones de conflit.
Concernant le Congo, les programmes canadiens incluent un volet axé sur la promotion de la démocratie, en particulier dans les écoles auprès des jeunes. Lorsque nous pensons à des situations comme celles qui sévit au Congo, où il y a eu six millions de morts au cours des 20 dernières années environ, une situation qui semble s'aggraver plutôt que s'améliorer, je me demande s'il n'y aurait pas une tendance, une crainte au Canada, au sein de la collectivité internationale, en fait, pour ce qui est de reléguer la démocratie au second rang, de la mettre en veilleuse, si l'on veut.
À la place, si nous voulons promouvoir la paix dans de telles zones, nous nous concentrons sur la sécurité économique, sur de bonnes forces de sécurité et la loi et l'ordre, mais je pense que bien des problèmes que nous retrouvons au Congo et ailleurs résultent de l'absence de démocratie.
Convenez-vous, comme d'autres témoins qui ont comparu devant ce comité l'ont souligné, concernant non pas la situation au Congo, mais d'autres situations comme celle-là, que la démocratie doit être à l'avant-plan et que sa promotion doit être au coeur de la politique étrangère canadienne?
Lorsque des nations en train d'imploser essaient de se sortir d'un conflit et de se reconstituer, je ne suis pas de ceux qui croient que la première chose à faire, c'est de tenir des élections démocratiques. Cela déchire tout le monde. Il n'y a pas de consensus. Tout le monde essaie de prendre le pouvoir. Qu'il s'agisse du Rwanda ou, comme je l'ai constaté, d'autres pays, ce n'est pas nécessairement la priorité démocratique immédiate; il s'agit plutôt d'éduquer les gens sur la démocratie.
Quand j'étais au Rwanda, la majorité extrémiste ne pouvait pas comprendre que Jean Chrétien avait battu Brian Mulroney, car Jean Chrétien provenait d'une minorité et avait été élu par une majorité. C'était tout simplement impossible.
Avec cette compréhension, les fondements mêmes de la démocratie ne sont pas là, et la création de partis artificiels — en raison du pouvoir, des amis, etc. — divise. Il est nécessaire de revoir si c'est la priorité. Je peux vous dire que lorsque mon mandat indiquait que je devais intégrer des élections démocratiques en deux ans dans un pays qui avait connu 100 ans de colonialisme, 25 ans de dictature, trois ans de guerre civile et qui n'avait même pas de système multipartite, c'était impossible. Cela n'a fait que créer plus de stress.
Ce que vous dites, c'est qu'il est important de promouvoir la démocratie, mais que cela devrait se faire dans un cadre éducatif?
Les gens ordinaires la bâtissent. Ils en construisent la nature.
Pour le journalisme, c'est la même chose. Certaines personnes disaient que nous devrions cesser d'aider les journalistes dans certains pays, car nous savons que nous leur enseignons la bonne façon, mais ils se font arrêter, assassiner, etc. Il y aura des martyrs. La dernière chose qu'on devrait faire, c'est ne pas leur enseigner la bonne façon. Comment pense-t-on changer la nature des choses si on ne prend aucune mesure?
Ils se portent volontaires pour devenir journalistes. Ils veulent dire la bonne chose, mais ils font également face à des risques à cause de cela. Il nous appartient d'atténuer les risques, mais ils existent. La pire chose à faire, c'est reculer et se dire « eh bien, nous les préparons à se faire tuer ». Non, ce n'est pas cela. On les prépare à faire une campagne en faveur de la liberté d'expression et de la démocratie. C'est de cette façon qu'il faut voir les choses. On ne vise pas le court terme: deux ou trois ans. On agit pour qu'il y ait des effets à long terme, 10 ou 15 ans plus tard. En cours de route, il y aura des pertes, oui.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication