SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 11 avril 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, chers collègues.
Je prie le témoin d'excuser mon retard. La démocratie est parfois compliquée. Nous avons dû nous occuper d'un vote à la Chambre.
Chers collègues, nous poursuivons notre étude sur la situation des droits de la personne au Soudan. Nous accueillons Kenneth Scott, commissaire des Nations unies pour les droits de la personne au Soudan du Sud.
Monsieur Scott, vous disposerez d'une dizaine de minutes pour votre allocution d'ouverture, puis nous passerons aux questions. Encore une fois, excusez-nous pour notre retard; je vous invite à prendre la parole.
Monsieur le président, je comprends les difficultés de la démocratie et du respect des horaires, alors je vous remercie beaucoup.
Monsieur le président, membres du Sous-comité, mesdames et messieurs, je salue d'abord sincèrement les efforts et le temps que vous consacrez à la tragédie du Soudan du Sud qui mérite à coup sûr une attention soutenue et très sérieuse de la communauté mondiale. Merci de tous vos efforts et de vos travaux sur cette question.
Deuxièmement, je vous remercie de m'inviter à témoigner devant le Sous-comité. Je le fais avec un grand respect pour le comité et j'espère bien vous être utile.
Pour replacer les choses dans leur contexte, je commencerai par un bref survol de la situation au Soudan du Sud.
Comme vous le savez, le Soudan du Sud est le plus jeune pays du monde, puisque c'est en 2011 seulement qu'il a obtenu sa pleine indépendance du Soudan. Malheureusement, quelque temps après, en décembre 2013, il a sombré dans une terrible guerre civile, qui se poursuit encore suivant un clivage ethnique de plus en plus prononcé.
Environ 3,5 millions de Sud-Soudanais, soit entre le tiers et le quart de la population du pays, sont déplacés à l'intérieur des frontières où à l'extérieur, en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya et au Soudan. Le Soudan du Sud est le théâtre de la pire crise de réfugiés en Afrique, la troisième au monde après celles de la Syrie et de l'Afghanistan. La plupart des personnes déplacées sont des femmes et des enfants et 70 % des réfugiés ont moins de 18 ans. La plupart des camps peinent à répondre aux besoins et n'offrent souvent que des rations minimales ou très réduites.
Le Soudan du Sud souffre d'une insécurité alimentaire extrême: deux États du Nord du pays sont aux prises avec la première famine officiellement déclarée dans le monde depuis 2011; près de la moitié de la population du pays est menacée d'une grave pénurie alimentaire cette année, soit 5,5 millions de personnes. C'est plus de la moitié en fait, si l'on tient compte de tous les gens qui ont déjà quitté le pays. Plus de la moitié des Sud-Soudanais risquent d'avoir très faim cette année, dont plus de la moitié sont des enfants, 100 000 sont acculés à la famine totale, tandis qu'un autre million est sont près de les rejoindre.
Selon deux sources différentes, le Forum économique mondial et Business Insider, la Somalie serait le pays le plus fragile du monde, suivie du Soudan du Sud. Et malheureusement, Transparency International classe le Soudan du Sud au deuxième rang des pays les plus corrompus, derrière la Somalie encore une fois.
Étonnamment, malgré tout ce que je viens de dire, le Soudan du Sud n'occupe pas le bas du classement des pays les plus pauvres. Deux sources différentes, Global Finance et encore une fois Business Insider, le classent au 16e rang à ce chapitre. Il est fort possible que le pays ait dégringolé encore, puisque l'inflation ces derniers mois a explosé pour atteindre les 900 %.
La situation est tragique, monsieur le président. Elle le serait en toutes circonstances, mais ce qui la rend tragique entre toutes est qu'elle est presque entièrement attribuable à des causes humaines. Les conditions climatiques peuvent jouer un peu dans certaines régions du Nord, mais dans la grande majorité des cas, toute cette souffrance est causée par l'homme et pourrait être évitée.
En dépit de ce sombre portrait, le gouvernement du Soudan du Sud a déclaré récemment devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève qu'il avait proclamé 2017 une « année de paix et de prospérité ». Étant donné ce que je viens de dire et ce que je m'apprête à dire, cette affirmation est pour le moins surréelle et déplacée.
D'ailleurs, le 24 mars dernier, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a accusé le gouvernement de fermer les yeux sur les nombreuses crises qui affligent le pays et de manquer à son devoir d'intervenir.
Comme vous le savez, le Soudan du Sud est aux prises avec une des guerres les plus brutales de l'Afrique. Au cours des 10 derniers mois, on a été témoin d'une augmentation massive des violations flagrantes des droits de la personne et d'une escalade des combats dans le pays. Selon des rapports dont j'ai eu connaissance ces derniers jours et pas plus tard qu'hier, la situation se dégrade rapidement une fois de plus, avec des tueries de grande envergure encore non confirmées dans le Sud-Est du pays et autour de Pajok, et des violences aux environs de la ville de Wau dans le Bahr el Ghazal occidental, où pas moins de 16 civils ont été tués hier. Loin de s'améliorer, la situation empire encore.
Au cours des trois dernières années et demie, des civils sud-soudanais ont été systématiquement et délibérément pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique. Des forces gouvernementales et des milices affiliées les ont assassinés, enlevés, détenus arbitrairement, privés de liberté, etc. Sur le terrain, cela se traduit par des cadavres ligotés jetés au bord de la route, par la famine là où régnait l'abondance, par des milliers d'enfants arrachés à leurs mères, certains forcés de porter des armes et de tuer.
Sur le plan du droit international, le principe de distinction entre combattants et non-combattants est essentiellement bafoué. Des civils sont traités comme des combattants selon l'allégeance politique qu'on leur prête, le plus souvent en raison de leur appartenance ethnique. Des forces d'opposition aussi se sont rendues coupables de violations des droits de la personne, bien qu'à une moindre échelle que le gouvernement.
L'un des aspects les plus atroces du conflit est le degré extrême de violence sexuelle. Même si on abuse parfois du terme, la violence fondée sur le sexe au Soudan du Sud ne saurait être décrite autrement que par l'emploi de l'épithète « massive ». Des enquêtes récentes de l'ONU révèlent que 70 % des femmes et des filles sud-soudanaises dans les camps de réfugiés ont subi une forme ou une autre d'agression ou de violence sexuelle grave. Par exemple, les femmes qui sortent des camps pour aller chercher de la nourriture ou du bois de feu risquent constamment d'être agressées et violées, souvent par des soldats en uniforme.
Les autorités se retranchent en général dans le déni, allant jusqu'à dire que ce ne peut pas être vrai parce que le viol est contraire à leur culture. Allez dire cela, monsieur le président, aux milliers de femmes et de jeunes filles qui ont été violées ces trois dernières années et demie.
La question s'est posée de savoir s'il y a eu ou s'il y a un génocide en cours au Soudan du Sud. À ma connaissance, personne n'est arrivé encore à cette conclusion, mais un certain nombre d'observateurs experts, dont le conseiller spécial des Nations unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, et notre propre commission ont signalé un risque élevé de génocide, une menace sérieuse qu'on aurait tort de passer sous silence et qui pourrait éclater à très brève échéance.
Par ailleurs, notre commission a fait état d'une tendance lourde aux assassinats, aux sévices et aux déplacements fondés sur la race, une tendance croissante qu'on ne saurait décrire autrement que comme de l'épuration ethnique et la manifestation du désir gouvernemental de voir le pays dominé par les Dinkas. Lorsque nous avons visité en novembre la localité de Malakal, au nord, nous avons vu comment le redécoupage territorial avait contribué à dépeupler la ville de ses éléments shilluks et nuers. Nous avons appris par la suite qu'après avoir expulsé ces non-Dinkas, le gouvernement avait installé des Dinkas dans ces secteurs. On crée une population de toutes pièces, en remplaçant un groupe ethnique par un autre.
J'ai été procureur au tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, et je peux dire que nous retrouvons la même situation qu'en Bosnie au milieu des années 1990, où Serbes et Croates chassaient les musulmans pour installer à leur place des Serbes et des Croates. C'est un cas classique d'ingénierie ethnique.
Pour les observateurs ou les membres du public qui se demandent s'il y a eu ou s'il y a nettoyage ethnique, j'invite respectueusement le Sous-comité à considérer les protestations de hauts fonctionnaires du gouvernement et de militaires de haut rang qui ont démissionné de leurs postes. On en compte au moins sept ces derniers mois. La plupart ont dénoncé dans leur lettre de démission les préjugés ethniques du gouvernement, la campagne d'épuration qu'il mène, et ont mis en doute son désir de paix.
Monsieur le président, vous et les autres membres du Sous-comité vous rappelez peut-être les jeunes déplacés, souvent orphelins, qu'on appelait les garçons perdus du Soudan à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et dont beaucoup sont venus en Amérique du Nord. Malheureusement, nous risquons fort de perdre une autre génération de la jeunesse sud-soudanaise.
Comme je l'ai dit tantôt, le Soudan du Sud est aux prises avec une crise humanitaire qui frôle la catastrophe, et que le gouvernement ne fait qu'aggraver et exploiter. Bien qu'il prétende le contraire, le gouvernement bloque à répétition et manipule l'aide humanitaire et il fait obstacle aux reportages sur les droits de la personne. Le danger guette toujours les travailleurs humanitaires, dont six ont été assassinés il y a quelques semaines à peine.
Ces dernières semaines encore, l'ONU a signalé une hausse alarmante des attaques perpétrées contre des civils par les forces du gouvernement et de l'opposition. D'après des rapports non confirmés, des forces gouvernementales ont massacré des civils la semaine dernière en Équatoria-Oriental, à Pajok et aux alentours. Pas moins de 135 personnes auraient été tuées, leurs corps brûlés dans leurs maisons ou jetés dans des fosses peu profondes. Jusqu'à 6 000 civils auraient fui dans le Nord de l'Ouganda, nombre d'entre eux signalant avoir vu de leurs yeux des proches se faire exécuter à bout portant par des soldats. L'ONU a bien essayé de pénétrer dans la zone, mais le gouvernement lui a refusé l'accès par deux fois.
J'en viens maintenant aux mesures qu'il faut prendre et aux autres enjeux de ce terrible conflit. Une des causes profondes est une culture d'impunité bien ancrée, en vertu de laquelle aucun dirigeant politique ou militaire n'a été tenu responsable de la violence de masse perpétrée vague après vague, année après année, au Soudan du Sud depuis plus de 40 ans.
Au bout de 40 ans d'impunité, qui pourrait imaginer qu'on puisse maintenant leur en imputer la responsabilité? Voilà où en sont les mentalités. Le conflit violent qui déchire le Soudan du Sud ne s'arrêtera pas et il n'y aura pas de paix durable dans ce pays tant qu'on n'y établira pas la règle de droit et une imputabilité digne de ce nom.
À ce jour, ni l'appareil d'État, ni aucun organisme régional, ni même la communauté internationale n'ont mis en cause une instance plus élevée que celle des soldats du rang, ou pris la moindre mesure sérieuse et solide pour rendre quiconque responsable des atrocités commises. La violence de masse se déchaîne chaque jour en toute impunité.
L'accord de paix signé par le gouvernement et d'autres parties en août 2015 prévoit en apparence trois éléments importants de justice transitionnelle pour aider le Soudan du Sud à s'attaquer sérieusement aux griefs nationaux, à la réconciliation nationale et aux questions d'imputabilité: une commission de vérité et de réconciliation, un tribunal pénal mixte composé d'éléments sud-soudanais et internationaux et un organisme de réparation. Malheureusement, on n'a guère progressé, sinon pas du tout, dans la mise en place de ces institutions depuis un an et demi.
Il y a bien eu des travaux techniques parrainés par la communauté internationale qui ont jeté les bases préliminaires d'une commission de vérité, mais celle-ci semble au point mort pour l'instant et risque même d'être supplantée par le « dialogue national » que le gouvernement a annoncé en décembre, mais qui n'est pas encore engagé. J'y reviendrai dans un moment. Quant à l'organisme de réparation, il n'existe tout simplement pas et personne n'a l'air de s'en plaindre.
Au bout d'un an, l'Union africaine a commencé à travailler sur le tribunal mixte. Des rumeurs évoquent un statut provisoire et des instruments connexes, mais l'Union africaine a refusé jusqu'ici de nous communiquer ces documents, bien que nous en ayons fait la demande, et il semble bien que le gouvernement sud-soudanais, qui ne rate pourtant pas une occasion d'affirmer son désir de collaborer avec l'Union africaine, trouve le moyen d'éviter pratiquement toutes les réunions ou les communications avec les représentants de celle-ci.
En réalité, il est facile de rédiger un statut. La vraie question est de savoir s'il existe la volonté politique et la détermination nécessaires pour constituer un vrai tribunal.
Je sais que le temps passe, monsieur le président, aussi je m'empresse de conclure.
Comme je l'ai dit tantôt, le gouvernement sud-soudanais veut se retirer du processus prévu par l'accord de paix afin d'établir ce qu'on appelle un « dialogue national », même si ses objectifs étaient et sont encore censés être ceux de la commission de vérité.
Il est difficile en principe d'être contre le « dialogue », nous convenons tous qu'il s'agit probablement d'une bonne chose. Mais dans le cas présent, il faut redouter un processus non inclusif, dominé par le gouvernement, qui après quelques réunions et au bout de quelques mois servira à annoncer qu'on n'a plus besoin d'une commission de vérité, d'un tribunal mixte ou d'un organisme de réparation.
Pendant ce temps, des preuves essentielles disparaissent chaque jour. Procureur de longue date, je sais pertinemment qu'on ne se présente pas au tribunal, fût-il international, mixte, national ou autre, sans avoir des preuves. Or, des preuves sont perdues et détruites chaque jour; des témoins meurent ou disparaissent; déplacés de force, ils deviennent des réfugiés à jamais introuvables; des documents disparaissent ou sont détruits; des charniers sont dissimulés, etc.
C'est ainsi qu'il sera impossible d'amener certaines personnes à répondre de leurs actes, ce qui fait sûrement l'affaire de certaines personnes. On ne peut pas se dire à la fois en faveur de l'imputabilité et non en faveur de recueillir et de préserver des preuves. Si vous n'êtes pas en faveur de recueillir et de préserver des preuves, quoi que vous disiez d'autre, vous n'êtes pas vraiment partisan de l'imputabilité.
Je conclurai en rappelant que chaque crise actuelle au Soudan du Sud est causée surtout par des élites politiques engagées dans une lutte pour le pouvoir politique, où l'appartenance ethnique est instrumentalisée, c'est-à-dire armée pour se battre, et dont les coûts se calculent en pertes humaines, matérielles et économiques absolument tragiques. Une petite clique de dirigeants politiques a fait preuve d'un total mépris non seulement des normes internationales, mais aussi du bien-être de son propre peuple. Elle a gaspillé la bonne volonté et l'aide internationales qui se sont déversées sur le Soudan du Sud de 2005 à 2013 et elle a pillé et détruit les richesses pétrolières du pays.
Si le conflit actuel prend fin, si tant est qu'il prenne fin un jour, sans que personne n'en porte la responsabilité, le gouvernement sud-soudanais, l'Union africaine et la communauté internationale auront lamentablement échoué. C'est bien triste à dire, mais nous ne pourrons plus rien attendre d'autre que la prochaine flambée de violence massive, qui arrivera sans doute plus tôt qu'on ne pense.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Scott.
Chers collègues, étant donné la gravité de son témoignage, j'ai pensé que devions accorder plus de temps à M. Scott. Nous devrons donc être très disciplinés et nous en tenir à quatre minutes et demie chacun. Nous dépasserons notre horaire de cinq minutes, mais nous aurons encore le temps de nous rendre à la période des questions.
Madame Wagantall.
Merci, monsieur le président.
Merci de votre témoignage, monsieur Scott. C'est ma première présence au Comité et je trouve que cela donne à réfléchir. Merci.
Voici ma première question: est-ce qu'il existe à votre avis des disparités en matière de sécurité alimentaire, de santé et d'éducation chez les différents groupes ethnique ou religieux?
Oui. Cela s'inscrit dans un scénario général où on distingue entre services et sécurité et on distribue l'aide humanitaire en fonction de l'appartenance ethnique. Le meilleur exemple est celui que j'ai décrit brièvement tantôt, où une population de Dinkas est déménagée dans une zone qui bénéficie de l'aide humanitaire, tandis que les non-Dinkas qui en sont chassés se retrouvent sans assistance.
Je ne dis pas que c'est partout pareil, mais on en trouve certainement de nombreux exemples dans tout le pays.
Merci.
Selon Human Rights Watch, l’utilisation par l’Armée populaire de libération du Soudan d’écoles, souvent comme abris, a eu pour effet d’interrompre l’instruction de nombreux enfants et jeunes du Soudan du Sud.
Pouvez-vous décrire l’état de l’éducation au Soudan du Sud?
Comme vous pouvez l'imaginer, l'éducation est actuellement inexistante en certains endroits, à cause de l'insécurité. Rappelez-vous qu'une grande partie de la population est complètement déplacée. Ce qui se produit alors, c'est qu'à l'approche de la violence, les gens prennent le maquis ou se réinstallent hors du pays, et bien sûr à ce moment-là, il n'est plus question d'aller à l'école.
Sans aucun doute, le conflit est lourd de conséquences pour l'éducation, soit qu'elle disparaît ou qu'elle est grandement limitée, soit que si les écoles fonctionnent, les élèves ont trop peur pour y aller.
Diriez-vous qu'il existe des variations ou des distinctions régionales dans la qualité ou la disponibilité de l’éducation selon le groupe ethnique auquel on appartient?
Selon vous, le manque de possibilités d’éducation offertes aux enfants et aux jeunes contribue-t-il à la crise à court terme et à long terme?
Oui. Je ne sais pas le chiffre exact par coeur, mais le taux d'alphabétisation au Soudan du Sud est extrêmement faible. Je ne dis pas cela de façon péjorative, mais la population est très peu instruite. Malheureusement, c'est ce qui fait qu'on peut la manipuler, qu'on peut aisément l'influencer, l'orienter par le discours haineux... l'amener à détester tel ou tel groupe ethnique. Malheureusement, parfois, les gens non éduqués se prêtent davantage à ce genre de manipulation.
Vous avez parlé de la disparition des éléments de preuve et du temps nécessaire à leur destruction. Que peut-on faire pour améliorer la qualité de la documentation et la préservation des éléments de preuve sur les crimes qui sont commis?
La plus importante chose à faire, même si cela va encore prendre du temps, serait d’instituer un système judiciaire hybride et des services d’enquêtes connexes. Voilà ce qu’il faudrait faire et ce qui aurait dû être fait depuis longtemps à mon avis.
À défaut de ce système judiciaire, nous devons accroître les ressources pour mener des enquêtes sur le terrain. Je suis heureux que le Conseil des droits de l’homme ait pris la décision, il y a quelques semaines, de prolonger le mandat de notre commission d’un an. Le mandat qui nous a été attribué sera davantage axé sur le travail d’enquête et nous espérons obtenir les ressources additionnelles qui nous permettront de mener ces enquêtes.
Cela dit, j’ai passé une bonne partie de ma carrière comme procureur au pays et à l’étranger, et même avec les ressources que nous espérons obtenir, la tâche ne sera pas facile. Il nous faut le plus de ressources possible sur le terrain et l’accès à tout le pays dans ses moindres recoins le plus tôt possible.
Merci monsieur Scott de votre présence ici aujourd’hui. Votre témoignage est très éclairé et très touchant.
Comme vous l’avez mentionné à deux reprises dans vos remarques, et comme l’a clairement établi le rapport de la Commission au début mars, l’avenir est plutôt sombre, et il est sombre parce que c'est un problème d’origine humaine. Tous les problèmes que vous avez décrits sont causés par des êtres humains, notamment par les élites politiques.
Pourriez-vous nous dire un mot sur la place qu’aura la démocratie à l’avenir dans le Soudan du Sud? Je sais qu’une discussion sur la démocratie peut sembler plutôt déplacée dans tout cela, vu la gravité de la situation actuelle au Soudan du Sud. Des économistes comme Amartya Sen qui observent la situation depuis longtemps pensent qu’il y a un lien évident entre la famine, par exemple, et la démocratie. Selon eux, la famine ne sévit pas dans une démocratie vigoureuse et bien établie, parce que les élites politiques ont des comptes à rendre à la population qui vote et qui demande que le pays soit bien géré. En outre, une situation de famine est presque toujours le résultat d’un mauvais choix politique, d’une mauvaise gestion et de l’absence de reddition de compte de la part des élites politiques.
Pourriez-vous nous parler de l'état actuel de la démocratie et de son importance dans le règlement de certains problèmes liés à l’impunité et à la corruption? Je pense que le Soudan du Sud pourra assurer un avenir viable si la démocratie en fait partie, mais comment passer à la démocratie dans un tel contexte? La famine d’une part et l’impunité d’autre part, ainsi que vous l'avez mentionné, sont généralisées et le pays en souffre. Le seul moyen qui permettra au pays d’en sortir passe par la démocratie, mais comment y arriver? Comment un pays comme le Canada peut-il venir en aide?
C’est une excellente question. Les points que vous avez soulevés sont importants et je suis tout à fait d’accord avec vous.
Il va de soi qu’il existe une relation directe entre le respect des droits de la personne, la résolution de la crise humanitaire et la bonne gouvernance. Ce que nous constatons encore et encore — et cela nous ramène à votre question concernant la démocratie — c’est le manque d’inclusion dans tous les processus mis en place.
Personnellement, je pense que la véritable faiblesse du processus de paix — qui a mené à l’entente du mois d’août 2015 — c’est le manque d’inclusion. Le cessez-le-feu a été conclu essentiellement entre les élites politiques. Le processus n’a pas inclus toutes les parties qui auraient dû être présentes à la table des négociations.
Cette réponse est en lien direct avec votre question. Comme je l’ai mentionné à maintes reprises dans le passé, et à nouveau il y a un moment, le gouvernement ne cesse d'adopter des processus — le soi-disant « dialogue national » — qui ne sont pas inclusifs. Ces processus essentiellement gouvernementaux et axés sur une approche pyramidale vont directement à l’encontre de la démocratie.
Or, il est certain que le développement de la démocratie est une solution à long terme. Nous avons entendu la même chose il y a quelques jours à propos de la lutte contre l’État islamique qu'il faudra mener pendant des générations. Malheureusement, il en ira de même pour l’instauration de la démocratie au Soudan du Sud. La population y est très peu scolarisée — encore une fois, cette remarque ne se veut aucunement insultante — et l’autonomie gouvernementale ne s’inscrit ni dans son histoire ni dans sa culture.
C’est l’un des problèmes que nous constatons en général. Tous les membres du gouvernement ont des antécédents militaires. Ils se battent par intermittence depuis une cinquantaine d’années, et même le président actuel fut pendant un certain temps un seigneur de guerre.
La culture ou l’histoire de l’autonomie gouvernementale n’y sont pas profondément ancrées. Vous avez tout à fait raison: c’est un problème de taille et nous devons nous y attaquer, mais je ne pense pas avoir de solution facile à vous proposer.
Merci, monsieur Scott. Comme notre temps est limité, je ne ferai pas d’autres commentaires, mais j’aimerais que vous nous parliez de deux choses pendant la période qui m’est allouée.
La première concerne l’efficacité des embargos sur les armes et la deuxième porte sur notre rôle à cet égard. Vous êtes probablement au courant du vote contre cette résolution récemment. Est-ce une chose à laquelle le Canada devrait penser?
Quant aux décisions unilatérales qui ont été imposées, comme l’application de sanctions, il se trouve que le Canada a imposé des sanctions limitées à deux dirigeants. Vous êtes probablement au courant de ces décisions également. Que pensez-vous des sanctions ciblées et quelles pourraient être les prochaines étapes? J’aimerais avoir votre point de vue sur la manière dont nous pourrions contribuer à la mise en œuvre de ce système judiciaire hybride.
Je dois dire que l’embargo sur les armes est une discipline en soi et pour lequel je n’ai aucune expertise particulière.
Je me pose personnellement des questions à ce propos. Je pense que, lorsqu’un embargo sur les armes n’est pas appliqué également à l’ensemble des parties à un conflit, certaines parties sont désavantagées par rapport à d’autres, alors je ne pense pas que ce soit toujours une bonne solution. Cela peut même parfois contribuer à envenimer la situation.
Cela dit, je pense qu’au Soudan du Sud nous en sommes au point où il nous faut tout en oeuvre pour trouver une solution. Quiconque ayant une plus grande expertise que moi sur les embargos pense qu’une telle démarche pourrait être constructive, je pense qu’il faudrait l’essayer. Voilà comment je répondrais à cette question.
Je suis néanmoins plus favorable à l’imposition de sanctions. Ce n’est pas que je suis contre les embargos sur les armes, mais je pense que des sanctions ciblées contre les bonnes personnes peuvent faire une différence. L’un des problèmes que posent les sanctions imposées non seulement par le Canada, mais également par les Nations Unies, l’Union européenne ou les États-Unis, est qu’elles sont très limitées. Elles ont parfois été imposées à des gens qui n’étaient pas nécessairement vulnérables à ces sanctions ou qui n’étaient pas susceptibles d’en subir les conséquences. Une interdiction de voyager contre une personne qui n’en a pas l’intention ne fait pas beaucoup de mal.
Les sanctions devraient cibler les paliers supérieurs. Il est clair que l’un des autres moteurs de ce conflit, et de la situation générale du pays, c’est la corruption — la kleptocratie comme disent certains. Il est clair que d’immenses richesses sortent du pays. Vous le savez, des rapports ont été publiés à ce sujet par le groupe Enough et dans le cadre du projet Sentry. Je pense que des sanctions ciblées et appliquées efficacement contre les bonnes personnes pourraient faire une réelle différence, et j’appuie sans réserve ces initiatives.
Je pense que nous tous, la communauté internationale et le Canada, devons continuer de promouvoir la mise en place d’un système judiciaire hybride et de faire pression sur l’Union africaine et le gouvernement du Soudan du Sud pour que ce projet devienne réalité. Comme je l’ai mentionné auparavant, ce n’est pas difficile de rédiger une loi. Des tribunaux sur les crimes de guerre sont établis depuis 25 ans maintenant dans de nombreux pays comme la Bosnie, le Cambodge, la Sierra Leone, etc. La véritable question est de savoir si l’Union africaine a la volonté politique d’instaurer cette cour.
Merci beaucoup, monsieur Scott et madame Hardcastle.
Chers collègues, nous allons maintenant passer à M. Tabbara. J’aimerais lui poser une question, mais je ne veux pas écourter votre temps de parole.
Madame Khalid, avez-vous des questions?
Si personne ne s’y oppose, je proposerais, après les questions de M. Tabbara, que nous considérions le comité en période d’audition des témoignages, de sorte qu’il sera possible de revenir à la période de questions par la suite.
M. Fragiskatos semble vouloir faire une remarque.
D’accord, je passerai ensuite de M. Tabbara à M. McKay, et je conclurai par une question.
Après les questions de M. Tabbara, par contre, si le quorum n’est pas atteint, nous serons seulement en mode d’audition des témoignages et aucune motion ni rien de ce genre ne sera accepté.
Monsieur Tabbara.
Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins pour leur présence ici aujourd’hui.
Dans votre témoignage, vous avez mentionné que le viol était utilisé dans ce conflit et que 70 % des femmes vivant dans quatre secteurs protégés ont été violées par des policiers ou des soldats. Que peut faire la communauté internationale pour assurer l’urgent besoin de sécurité de ces femmes? C’est ma première question.
La seconde a trait à la communauté internationale, aux Nations Unies qui essaient d’entrer dans ces zones de conflit, qui s’en voient malheureusement refuser l’accès par le gouvernement, ainsi que vous l’avez mentionné. Même l’Union africaine essaie de travailler avec le gouvernement local, mais ce dernier n’est guère disposé à coopérer.
Dans un tel contexte, que peut faire la communauté internationale? Elle fait son possible pour pénétrer ces zones de conflit, mais elles ne peuvent malheureusement rien faire avec ce gouvernement.
La violence sexuelle est endémique et généralisée. Il serait possible de faire davantage au niveau national, mais je pense néanmoins qu’il faudra faire appel à des organisations de l’extérieur. Les tribunaux civils, et plus spécialement les tribunaux militaires, pourraient faire davantage. Il existe bien un certain système de justice militaire — d’après les dossiers que nous avons examinés —, mais il n’est pas appliqué assez vigoureusement.
Une partie de la solution réside dans une application plus rigoureuse du système judiciaire aux niveaux local et national et — au risque de me répéter — dans la mise en place de ce système judiciaire hybride. Voilà ce que nous pouvons faire de mieux pour lutter contre la violence sexuelle et tout autre crime de guerre apparent. C’est un premier point.
Dans une perspective descendante, l’armée pose un véritable problème. Les soldats n’y sont pas formés, ils sont généralement indisciplinés, ils n’ont jamais suivi de formation sur le droit des conflits armés ou, comme je l’ai dit plus tôt, sur la différence entre un combattant et un non-combattant. Il faut donc bien faire comprendre à toutes les parties, du haut de la pyramide jusqu’en bas, comment une guerre, si tragique soit-elle, doit être menée. Il faut faire comprendre qu’une guerre ne se fait pas en tuant et en violant des civils.
Quant à l’accès des Nations Unies aux différentes parties du pays, ce problème est grave et récurrent. Il est facile de « jouer les gérants d’estrade » quand on n’est pas sur le terrain. Malheureusement, nous sommes nombreux, je pense, à dire que l'approche de certains membres des Nations Unies ou des organismes internationaux manque de robustesse.
Ils sont parfois arrêtés par des barrages routiers du gouvernement situés à 500 mètres de leurs camps et se font dire qu’ils ne sont pas autorisés à aller plus loin. De nombreux efforts de surveillance pour aller à Pajok… Ils ont essayé d’aller à Pajok au cours des derniers jours et ils ont été expulsés à deux reprises. Je ne sais pas comment il faudrait procéder, mais à un moment donné, je pense que nous devrons y aller. Nous avons 13 000 gardiens de la paix sur le terrain, il faut que nous allions dans ce secteur. Nous sommes toujours confrontés au même problème.
Ce problème, il faut bien le dire, n’est pas particulier au Soudan du Sud; les forces de maintien de la paix y sont confrontées dans d’autres parties du monde, là où les gouvernements ne coopèrent pas.
Quant à l’Union africaine et à la coopération qu’elle reçoit ou non du gouvernement du Soudan du Sud, là encore, il doit y avoir des pressions politiques soutenues de la part du gouvernement du Soudan du Sud et de l’Union africaine pour qu’il y ait coopération.
Merci, monsieur le président.
Le Soudan du Sud vit dans un très mauvais environnement et jusqu’à présent vos commentaires en ce qui touche les contributions des divers pays à ce conflit n’ont pas fait « le tour de la Corne de l’Afrique », si je peux m’exprimer ainsi, que ce soit au Soudan lui-même, au Kenya, en Ouganda ou ailleurs. Je me demande si nous pourrions faire un commentaire sur les contributions, bonnes ou mauvaises, que tous ces pays font à ce conflit.
Deuxièmement, à un moment donné, le Canada a été invité à se rendre au Soudan du Sud avec une très robuste mission militaire. Pour diverses raisons, cela semble exclu ces jours-ci, mais j'aimerais connaître votre point de vue sur ce qu'il faudrait faire pour que des pays comme le Canada prennent part aux interventions.
Enfin, ma troisième question est la suivante: où l’État islamique intervient-il? Comme l’étau se resserre sur cette organisation, le Soudan du Sud ou plus généralement le Soudan pourrait-il être un endroit qui conviendrait à son approche particulière du terrorisme?
Merci monsieur. Ce sont là trois grands enjeux.
Vous avez parfaitement raison. Les gouvernements et les États régionaux jouent un rôle très important dans ce qui se passe au Soudan du Sud. Ce facteur ne peut être sous-estimé. Ce n’est peut-être pas surprenant. Tous les pays régionaux — l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, la République démocratique du Congo et le Soudan lui-même — ont leurs propres intérêts politiques régionaux.
Traditionnellement — je brosse ici un tableau à grands traits —, l’Ouganda appuie Salva Kiir, le président actuel. En diverses occasions, le Soudan a appuyé Riek Machar, principal chef de l’opposition qui a été ou qui était le principal chef de l’opposition. Il y a une sorte de guerre par procuration entre l’Ouganda et le Soudan qui se déroule dans le Soudan du Sud dans une certaine mesure. Ce facteur a une importance énorme.
Le principal organisme régional qui a joué un rôle de premier plan dans le processus de paix et qui met en œuvre l’accord de paix est l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui est composée d’États régionaux. Bien des gens estiment que cet organisme n’est pas très efficace, car les politiques régionales jouent un rôle si important encore une fois. En même temps, l’Union africaine est peu encline à intervenir plus fermement par respect à l'égard de l’Autorité intergouvernementale pour le développement. C’est donc un autre facteur politique qui ne facilite pas les choses.
Vous avez parfaitement raison. Le gouvernement régional et les États régionaux jouent un rôle important et ils exercent une influence majeure sur ce qui se passe dans le Soudan du Sud.
Quant à l’éventualité pour le Canada de se lancer dans des opérations de maintien de la paix plus musclées, cette question n’est pas unique au Soudan du Sud. Je sais que les Nations Unies, elles-mêmes, appuyées par le Département des opérations de maintien de la paix, ont réalisé un certain nombre d’études et d’auto-évaluations au cours des dernières années. Comment rendre les opérations de maintien de la paix plus robustes? Comment inciter les pays qui envoient des troupes à procéder à des interventions plus robustes, alors que diverses unités déployées sont de toute évidence peu disposées à s’engager dans un véritable combat?
Ce problème est récurrent et il n’est pas exclusif au Soudan du Sud. Je ne sais pas comment cette question sera résolue, mais à mon avis, il nous faudra trouver le moyen d’être plus robuste dans bien des situations de ce genre. Si vous vous retrouvez dans un camp des Nations Unies au milieu du Soudan du Sud et qu’un obstacle du gouvernement à 500 mètres du camp vous empêche de passer, je pense qu’on s’entend pour dire que ce genre d’intervention n’est pas très efficace.
Votre question concernant l’État islamique est intéressante. Je pense que personne n’a envisagé la question sous cet angle jusqu’à présent. L’une des différences historiques — ce n’est pas la seule, loin de là — entre le nord du Soudan et la partie qui est devenue le Soudan du Sud réside dans le fait que la partie nord est à tendance islamique. Le Soudan du Sud est devenu chrétien, à tout le moins nominalement. Jusqu’à présent, je n’ai jamais entendu dire que l’État islamique jouait un rôle dans cette région en particulier, mais il est certainement avisé de garder un oeil ouvert.
Monsieur Scott, je vais vous poser une autre question, mais j’aimerais vous remercier au nom des membres du comité qui ne sont peut-être plus aussi nombreux maintenant. Nous allons passer à la période de questions, qui est toujours un moment agréable où tout le monde aime participer.
M. Kenneth Scott: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. David Sweet): Ce que j’aimerais vous demander va à peu près dans le sens de la question que l’honorable député, M. McKay, vient de vous poser.
Nous avons véhiculé assez longtemps le concept de la « responsabilité de protéger » en droit international. Je suis certain qu’en tant que procureur, vous connaissez les trois piliers de la responsabilité de protéger. Il me semble qu'en règle générale, la communauté internationale est prête à passer au deuxième pilier. En revanche, quand vient le temps d’intervenir de manière décisive et en temps opportun, d’adopter des mesures coercitives pour faire prendre conscience à un gouvernement ses responsabilités envers la population et éviter qu’elle ne soit exposée aux quatre crimes internationaux majeurs — les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les génocides et le nettoyage ethnique — que devons-nous faire?
Je siège à ce comité depuis maintenant 12 ans. Il y a quelques années j’ai décidé d’en faire mon cheval de bataille, parce que nous nous sommes trop souvent contentés d’observer le début des hostilités. Nous savons où les choses s’en vont, mais nous demeurons les bras croisés devant des centaines de milliers de gens qui sont tués et des millions qui sont déplacés, comme c’est le cas en Syrie. Il faudra des milliards de dollars de la communauté internationale pour reconstruire, mais bien sûr nous ne pourrons jamais remplacer toutes les vies perdues. Aimeriez-vous faire un commentaire à ce sujet?
Je vous félicite pour votre approche de la question et pour vos préoccupations qui, j’en suis sûr, sont sincères. Comme vous dites, c’est une question à laquelle nous essayons de répondre depuis pas mal de temps.
J’ai bien peur que la responsabilité de protéger, comme c'est le cas de bon nombre de principes et de doctrines — et de bien d'autres choses — s'apparente un peu à une mode. Elle va et elle vient. Je pense qu’au début des années 2000, en 2002 peut-être, nous mettions davantage l’accent sur la responsabilité de protéger. Il nous semblait devoir appuyer ce principe sans réserve et le développer.
Je n’ai pas étudié la question très rigoureusement, mais j’ai l’impression qu’elle est passée de mode, qu’elle n’est pas si… nous nous en sommes un peu éloignés. Je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait que nous sommes efficaces au premier et au second pilier, mais pas très efficaces au troisième.
Encore une fois, s’il en est ainsi, c’est que nous sommes fondamentalement à couteaux tirés avec les questions touchant l’intervention internationale et la souveraineté nationale, comme vous le savez, j’en suis sûr. C’est l’un des véritables défis en matière de droit international en général et en matière de droits de la personne. Alors comment s’attaque-t-on à ces problèmes? Que fait-on avec le besoin d’intervenir? D’aucuns rappelleront ce qui vient de se passer en Syrie avec le recours à des missiles Tomahawk pour résoudre les problèmes de souveraineté nationale.
Mon opinion personnelle — et je ne parle pas en tant que commissaire en ce moment — c’est que nous devrions aller plus loin. Nous vivons dans une ère de mondialisation. Les droits de la personne ne peuvent s’arrêter à la frontière. Nous devons trouver les moyens d’intervenir plus robustement. Le gouvernement n'assume pas ses responsabilités au troisième pilier. Nous avons essayé de les évaluer au deuxième pilier, nous avons offert de la main-d’œuvre, de l’argent, etc., et ça ne marche pas. Nous devons nous engager au troisième pilier, nous devons y aller et faire les choses nous-mêmes, mais à ce stade, nous sommes véritablement au carrefour du droit international.
Merci beaucoup, monsieur Scott. J’espère qu’un jour nous ferons un effort pour tracer la ligne entre la souveraineté nationale et la responsabilité de protéger. Nous parviendrons peut-être à établir un protocole sur lequel tout le monde s’entendra, si bien que, lorsque vous aurez atteint un seuil critique, une intervention aura ou devrait avoir lieu.
Je vous remercie beaucoup pour tout le bon travail que vous avez accompli depuis la Bosnie-Herzégovine. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous savez que nos Forces canadiennes y ont servi fièrement et de façon remarquable, et qu’elles ont subi des pertes également...
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