SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 31 mai 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous et merci de vous joindre à nous, au Sous-comité des droits internationaux de la personne.
À l'initiative de Cheryl Hardcastle, néo-démocrate, nous tiendrons deux séances afin de dresser une mise à jour sur la situation des droits de la personne au Honduras.
Nous recevons trois témoins aujourd'hui.
Accueillons Bertha Zuniga Caceres. Il s'agit, bien sûr, de la fille de Berta Zuniga Caceres, militante autochtone assassinée et membre du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras.
Nous recevons également Gustavo Castro Soto, militant pour les droits de la personne et coordonnateur des Ami(e)s de la terre Mexique et d'Otros Mundos, qui se trouve dans l'État du Chiapas, au Mexique. M. Castro Soto était présent sur les lieux de l'assassinat de Berta Cáceres, le 3 mars 2016, et a lui-même été blessé par balles au cours de l'attaque.
Le dernier témoin sera James Cavallaro. James est le président de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (la CIDH) depuis janvier 2016 et en est membre depuis 2014.
Je serai très bref. Nous entendrons Bertha d'abord, après quoi Gustavo enchaînera, puis James. Nous devrons abréger un peu la séance. Les témoignages seront probablement plus long qu'à l'habitude, cet après-midi, après quoi nous tiendrons une période de questions un peu écourtée, parce que nous estimons extrêmement important de vous entendre tous les trois directement. C'est pour nous un honneur de vous accueillir parmi nous aujourd'hui.
Bertha, êtes-vous en ligne? Bertha?
Oui, je vous entends.
C'est pour moi un plaisir d'être ici aujourd'hui pour vous parler de la situation depuis l'assassinat de ma mère. Elle était coordonnatrice du COPINH, le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras. Elle a été assassinée le 2 mars 2016, juste avant son 45e anniversaire.
Ce fut un jour sombre pour tout le monde, un jour très pénible pour tout le pays. Le monde n'a plus la défenseure des droits de la personne qu'elle était, la militante qui faisait tout en son pouvoir pour assurer le respect des engagements internationaux et la protection des territoires ancestraux du peuple Lenca. Elle s'opposait aux sociétés minières et défendait toujours les droits du peuple Lenca, particulièrement ceux des femmes indigènes.
En 2009, un coup d'État dans notre pays a totalement changé la situation au Honduras. Depuis le coup d'État, 35 % de nos terres sont visées par des projets miniers et hydroélectriques, cela dans un contexte de coup d'État illégal et illégitime. Diverses concessions ont été octroyées pour des projets hydroélectriques, et plus de 150 concessions pour des projets miniers. Ces projets sont répartis un peu partout au pays, mais sont particulièrement concentrés sur les terres indigènes.
Les peuples indigènes essaient de vivre en harmonie avec la nature, de préserver les ressources naturelles et de les protéger des sociétés qui les convertissent en biens qu'elles vendent et exploitent.
Pour ce qui est des droits de la personne, les défenseurs des droits de la personne sont de plus en plus criminalisés depuis 2009. Il y a eu plus de 3 000 poursuites contre des défenseurs des droits de la personne depuis 2009, et 17 d'entre eux ont été emprisonnés. Ma mère en faisait partie.
Global Witness, au Honduras, a déclaré que le Honduras affichait le plus grand nombre d'assassinats de défenseurs des droits de la personne et de l'environnement au monde. De 2010 à 2015, au moins 109 militants pour l'environnement, les terres indigènes et les agriculteurs du Honduras ont été assassinés. Ma mère faisait constamment l'objet de menaces. Elle se faisait menacer de mort en raison de ses convictions pour la défense de l'environnement.
La situation a fait considérablement augmenter les attaques à son encontre. Elle recevait des menaces. Elle se faisait harceler. Elle a reçu au moins deux fois des menaces de mort. Je dois dire, au sujet du harcèlement et de la persécution exercés par l'État hondurien, que nous croyons que son assassinat était prévu depuis le coup d'État, puisque le coup d'État a mené à une présence accrue des sociétés minières et de l'armée pour réprimer les organisations indigènes.
En 2013, Tomás Garcia a été assassiné dans la communauté même qui se bat contre le projet de barrage d'Agua Zarca. Nous blâmons d'ailleurs la société responsable de ce barrage pour le meurtre de ma mère. Il est important de dire également qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé. Ces meurtres font partie d'une série meurtrière qui n'a de cesse depuis le coup d'État, en 2009.
Pas moins de 33 menaces de mort ont été associées à DESA, la société responsable du barrage et du projet hydroélectriques. L'État hondurien n'en fait pas assez pour enquêter sur ces cas et poursuivre.
De plus, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a recommandé la mise en place de mesures de protection et de précaution à l'endroit de ma mère, des recommandations que le gouvernement du Honduras avait l'obligation de suivre. Il n'en a pas fait suffisamment, et de toute évidence, cela a mené à l'assassinat de ma mère.
Je dois également dire que nous croyons que la participation du gouvernement canadien à notre pays et les investissements canadiens font partie du problème au Honduras. Il faut rappeler que le gouvernement canadien a travaillé directement avec le gouvernement américain pour légitimer le coup d'État en 2009 et que les élections qui ont suivi ont été déclarées justes par les gouvernements canadien et américain, alors que l'OEA a dit qu'il s'agissait manifestement d'un coup d'État.
En 2011, la visite du premier ministre du Canada au Honduras a été parmi les premières visites officielles après le coup d'État. Des hommes et des femmes d'affaires canadiens du domaine de l'extraction minière ont également visité le Honduras. Le gouvernement canadien et celui du Honduras ont un accord de libre-échange, que nous jugeons illégitime, puisqu'il a lui aussi été adopté dans le contexte d'un pays gouverné par les responsables d'un coup d'État.
Le gouvernement du Canada a travaillé à l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'exploitation minière au Honduras, qui fait partie des lois qui légitiment l'extraction minière au Honduras, et c'est à la base de tous les problèmes que nous connaissons.
[Note de la rédaction: difficultés techniques]
Bertha?
Je crois qu'elle ne m'entend pas.
Nous avons du mal à vous entendre. C'est probablement la ligne, mais si vous pouvez essayer de parler...
Oui, c'est mieux, merci.
Si vous pouvez répéter ce que vous avez dit au cours de la dernière minute, ce serait bien, merci.
Mme Bertha Zuniga Caceres (Interprétation):
Je disais que nous croyons que le gouvernement canadien devrait enquêter sur la participation des entreprises canadiennes et du Canada au coup d'État et à l'accord de libre-échange qui existe actuellement au Honduras, que nous considérons comme illégitime. Nous demanderions également à tous les gouvernements du monde d'exhorter le gouvernement du Honduras à reconnaître que le Honduras est un gouvernement qui viole systématiquement les droits de la personne. On le répète sur diverses tribunes internationales, mais le gouvernement hondurien n'affiche pas la volonté politique de mettre un terme à cette situation grave dans notre pays.
Je pense qu'une intervention internationale est nécessaire.
[Note de la rédaction: difficultés techniques]
Bertha, nous vous perdons encore une fois et nous avons raté la dernière minute, environ, donc si vous le pouvez, pourriez-vous s'il vous plaît répéter ce que vous venez de dire.
Mme Bertha Zuniga Caceres (Interprétation):
Oui, je disais qu'il est important pour nous de sommer le gouvernement hondurien de reconnaître son statut. Nous aimerions que le gouvernement du Canada contribue à cela, parce que nous croyons que l'assassinat de ma mère est extrêmement grave et qu'il nécessite une intervention pour que la Commission interaméricaine des droits de l'homme puisse enquêter sur ce crime par la création d'une commission d'enquête spéciale. [Note de la rédaction: difficultés techniques]
Mme Bertha Zuniga Caceres (Interprétation):
Je disais qu'il est très important pour nous d'avoir l'appui du gouvernement canadien pour que la Commission interaméricaine des droits de l'homme soit chargée d'enquêter par la création d'une commission indépendante d'enquête sur la mort de ma mère. La Commission interaméricaine des droits de l'homme a montré sa volonté de créer une commission spéciale, mais il y a un manque de volonté de la part du gouvernement du Honduras pour l'accepter.
C'est ce que j'avais à dire. Je vous remercie beaucoup de m'avoir écoutée.
Merci infiniment, madame Zuniga Caceres.
Sur ce, je vais donner tout de suite la parole à M. Castro Soto.
Veuillez nous présenter votre témoignage.
Bonjour, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité ici. Comme vous le savez, j'ai été témoin du meurtre de Berta. J'ai également été moi-même victime de tentative d'assassinat.
Mon séjour au Honduras, par la suite, a été horrible. J'ai été victime de violation systématique des droits de la personne. Dès le début, j'ai constaté nombre d'irrégularités et de mesures inconstitutionnelles de la part des autorités honduriennes.
Elles ont refusé de me donner des copies de mes dossiers ministériels ou de me les remettre. Elles ont refusé de me donner des enregistrements de ce que j'avais dit. Elles ont également refusé de me remettre une copie de ma déposition devant le juge et de l'enregistrement de cette déposition.
Pour ce qui est de mes vêtements, qui étaient imprégnés de sang, l'analyse de l'ADN présente sur ces vêtements a été très mal faite, et les preuves ont été mal recueillies. Je n'ai pas été traité comme une victime et un témoin protégé, mais plutôt comme un élément de preuve.
Les autorités ont également tenté de m'accuser de les empêcher d'aller au fond de l'enquête.
Elles m'ont posé des questions sur Berta. Elles m'ont posé des questions sur l'armée. Elles m'ont interrogé sur les escadrons de la mort qui ont été embauchés pour assassiner Berta Cáceres. Quatre personnes ont été emprisonnées et accusées d'avoir participé activement à son assassinat. Il s'agit du dirigeant de DESA, d'un membre actif des forces armées, d'un ancien militaire et d'un tueur. Ils ont tous été jetés en prison.
Alors que j'essayais de contribuer à l'enquête et que je me préparais à quitter le pays pour rentrer au Mexique, j'ai été détenu illégalement à l'aéroport sans recevoir aucune explication. Aucun document ne m'a été remis. Aucune sommation signée par un juge ne m'a été présentée pour me demander de contribuer davantage à l'enquête.
L'ambassadeur et le consul étaient là. Des policiers nous entouraient. Il y avait des procureurs. Il y avait des policiers ministériels. On m'a dit que je ne pouvais pas quitter le pays, sans autre explication ni document d'appui judiciaire.
Quand j'ai dû retourner à l'ambassade mexicaine, sur l'ordre de l'ambassadeur mexicain, on m'a empêché de quitter l'aéroport. Je considère qu'il s'agit carrément d'un kidnapping, puisque les autorités du gouvernement hondurien étaient là, mais qu'elles ne m'ont pas laissé quitter l'aéroport et qu'elles ne voulaient pas me laisser quitter le pays.
Ce sont là quelques exemples d'irrégularités et d'actes illégaux. Le juge a déclaré que mon avocat devait être suspendu professionnellement et perdre son droit d'exercer le droit.
C'était totalement illégal. Il ne revient pas à un juge en instance de prendre une décision inconstitutionnelle dans un contexte où le conseil judiciaire du Honduras a été dissous. Il y a énormément de corruption. Il y a un vide juridique et un vide dans la structure de l'État. Il y a un vide dans la protection des droits de la personne, aussi, ce qui donne lieu à des violations systématiques des droits de la personne, de mes propres droits et des droits de toute la population du Honduras.
Il n'y a aucun mécanisme pour m'éviter d'être totalement isolé, sans avocat, parce que le juge a décidé que mon avocat ne pouvait plus exercer le droit. En fait, l'appareil judiciaire ne s'est employé qu'à m'empêcher de contribuer à l'enquête.
Un peu plus tard, le juge a décidé de lancer une alerte migratoire à mon encontre pour m'empêcher de quitter le Honduras encore 30 jours, toujours sans explication. Il est arrivé que le juge utilise les instruments internationaux destinés à protéger les droits de la personne contre moi, ils ont été utilisés pour me traiter comme si j'étais un accusé. Les autorités m'ont empêché de quitter le pays sans me dire pourquoi et sans même m'informer de ce que je pouvais faire. C'est une violation totale de mes droits de la personne .
Il importe de préciser qu'il n'y a pas de loi pour protéger les victimes au Honduras, en raison du manque de volonté de donner des droits aux victimes dans un pays où elles sont si nombreuses. Il y a des meurtres tous les jours. Plus de 10 personnes faisant l'objet de mesures de précaution décrétées par la Commission interaméricaine des droits de l'homme ont été assassinées, comme Berta. Il n'y a aucune réglementation qui protège les témoins. Il n'y a aucune réglementation pour protéger les défenseurs des droits de la personne et les journalistes. Il n'y a aucune structure qui garantisse la sécurité et les droits de la personne des Honduriens.
Les procédures ont été systématiquement bafouées. Même en ce qui concerne l'habeas corpus, le gouvernement l'a ignoré tout simplement et n'a pas traité la requête. La Constitution prévoit pourtant que les requêtes d'habeas corpus doivent être traitées immédiatement. Jusqu'à maintenant, ni l'État, ni l'appareil judiciaire du Honduras n'ont fait quoi que ce soit pour répondre à la requête d'habeas corpus présentée par mon avocat.
Ils m'ont également empêché de me rendre à Washington pour faire une déclaration à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Le gouvernement hondurien a refusé de me laisser participer à cette rencontre.
Il ne fait aucun doute que l'organisation des États américains a lancé une mission pour combattre la corruption et l'impunité au Honduras, ce qui montre l'ampleur du problème au Honduras. Les violations sont systématiques. Il n'y a pas de lois, d'outils ni d'institutions judiciaires pour assurer la protection des droits de la personne au Honduras.
Comme Bertha le disait il y a quelques minutes, plus de 100 militants pour l'environnement ont été assassinés. Plus de 10 personnes qui faisaient l'objet de mesures de précaution imposées par la Commission interaméricaine des droits de l'homme ont été assassinées. Cela montre l'ampleur de l'impunité au Honduras et du manque de volonté politique du gouvernement pour garantir la protection des droits de la personne et éviter une telle impunité au pays.
Voici ce que j'avais à vous dire. Je vous remercie infiniment de m'avoir écouté. J'espère ne pas avoir pris trop de temps.
Vous avez pris juste assez de temps.
Merci beaucoup, monsieur Castro Soto.
Enfin, nous allons entendre M. Cavallaro.
Merci, monsieur le président.
Je ne savais pas que Bertha Zuniga Caceres serait parmi les invités du Comité aujourd'hui. J'aimerais lui dire quelques mots, si vous permettez.
[Le témoin s'exprime en espagnol. L'interprète donne la traduction suivante: ]
Je voulais vous dire que nous vous offrons nos plus sincères condoléances pour la mort de votre mère; c'est une énorme perte, non seulement pour le continent, mais pour le monde entier. Je vous remercie d'avoir pris la parole, et je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui dans la sphère virtuelle.
[Traduction]
J'allais faire quelques commentaires au sujet de l'assassinat de Berta Cáceres, mais la plupart ne sont plus nécessaires compte tenu de ce qu'ont déjà dit les deux témoins.
J'aimerais tout de même souligner quelques éléments essentiels du contexte entourant cet assassinat puisqu'il nous offre la possibilité de mieux comprendre les difficultés de la situation actuelle au Honduras en matière de droits de la personne.
Premièrement, il règne dans ce pays un climat général de tension et de conflit à cause de l'industrie extractive. Deuxièmement, la victime était une dirigeante autochtone. Troisièmement, Berta Cáceres avait reçu de nombreuses menaces — 33 menaces. Quatrièmement, la Commission interaméricaine des droits de l'homme avait exigé de l'État hondurien qu'il prenne des mesures de protection à l'égard de Berta Cáceres, mais en vain. Cinquièmement, on a tenté au départ de discréditer Berta Cáceres en avançant l'hypothèse d'un vol et d'un motif passionnel. D'autres erreurs ont été commises pendant l'enquête, dont certaines semblent en voie d'être réparées. Tous ces problèmes sont récurrents au Honduras.
J'aimerais dire une dernière chose au sujet de cette affaire, si vous me le permettez, et j'aborderai ensuite la question des droits de la personne au Honduras dans une perspective plus large. Bertha Zuniga Caceres a indiqué qu'elle réclamait l'établissement, par la Commission interaméricaine des droits de l'homme, d'un groupe d'experts chargé de superviser l'enquête.
Le secrétaire général de l'Organisation des États américains a réclamé une mesure semblable à deux reprises. Il a demandé au Honduras de permettre à la Commission interaméricaine des droits de l'homme de créer un groupe d'experts chargé d'examiner l'affaire et d'accompagner l'enquête concernant le meurtre de Berta Cáceres.
Nous avons relancé l'État hondurien à maintes reprises et n'avons reçu aucune réponse directe. Cette question semble intéresser peu les autorités, mais elles réagiraient peut-être à l'exercice d'une forte pression internationale, y compris par le Canada.
Je vais parler un peu de l'aspect que pourrait revêtir un tel groupe. La Commission interaméricaine des droits de l'homme a récemment mandaté un groupe d'experts dans l'affaire d'Ayotzinapa, où 43 étudiants sont disparus d'une école normale rurale d'Ayotzinapa, dans l'État du Guerrero.
En réponse aux pressions exercées par la société civile et avec l'assentiment de l'État, la commission a nommé un groupe interdisciplinaire formé de cinq experts indépendants. L'examen effectué par le groupe a révélé que l'enquête initiale avait été bâclée et avait exclus la police d'État, la police fédérale et l'armée, toutes gravement soupçonnées.
Le groupe a eu un impact significatif au Mexique, et pas seulement dans le cadre de cette enquête. Il a été un catalyseur pour la remise en question des enquêtes officielles et pour l'obtention de réformes structurelles visant à contrer l'impunité dans ce pays. Nous aimerions faire quelque chose de semblable au Honduras.
Je vais maintenant parler de la structure d'ensemble et de la situation au Honduras. Premièrement, il y a les tensions entre les populations autochtones et les industries extractives, l'insuffisance des consultations ou leur absence complète et la violence envers les populations autochtones.
Le 21 février 2016, cinq membres de la communauté autochtone des Tolupan ont été tués, y compris Santos Matute, qui bénéficiait de mesures de protection accordées par la commission en 2013. C'est l'exemple le plus récent de cette grande violence.
En 2016, nous avons publié un rapport sur le Honduras qui faisait état du conflit entre l'exploitation minière, les projets hydroélectriques et les peuples Tolupan et Lenca en l'absence de consentement libre, préalable et éclairé de leur part. On constate souvent au Honduras la présence d'agents de sécurité privés qui intimident les dirigeants autochtones et les organisateurs communautaires autochtones et qui sont appuyés par la police ou travaillent avec elle. On estime à quelque 60 000 le nombre d'agents de sécurité privés dans ce pays, et à seulement 14 000 celui des policiers, et les règles et mesures de contrôle qui régissent l'action de ces agents armés et aptes à employer la force létale sont très laxistes.
Deuxièmement, il y a la question de la sécurité des citoyens, traitée, entre autres, dans le rapport de votre sous-comité. Chose regrettable et même vraisemblable au Honduras, on attribue souvent à la criminalité ordinaire les meurtres sur commande ciblant activistes, procureurs et juges. C'est parce que la violence et les homicides sont monnaie courante et échappent à tout contrôle. En 2013, le taux d'homicide dans ce pays était de 79 pour 100 000. Les données de 2014 et de 2015 font état d'une légère baisse, mais le taux se situe quand même autour de 70 pour 100 000 — soit presque 50 fois le taux recensé au Canada.
La violence au Honduras cible principalement les groupes vulnérables comme les défenseurs des droits de la personne, les autochtones, les femmes, les enfants, les adolescents, la communauté LGBTI, les migrants, les paysans, en particulier ceux de la région du Bajo Aguán, les journalistes et les membres du système judiciaire. Une force de police nationale a été constituée, et les forces militaires et policières contribuent directement à cette violence par des exécutions sommaires qui échappent à toute dénonciation ou enquête.
Troisièmement, il y a l'administration inefficace de la justice, dont on a déjà parlé. Gustavo Castro a évoqué les erreurs commises. Les données officielles révèlent qu'au moins 80 % des homicides ne font l'objet d'aucune enquête ni poursuite, et que 98 % des crimes violents demeurent impunis. Autrement dit, la police nationale a perdu la confiance du public. En conséquence, comme nous l'avons indiqué dans un rapport publié en février 2016, les autorités ont tendance à déléguer aux forces armées des tâches et fonctions qui ne correspondent pas aux forces armées et dont l'exécution n'est à peu près pas surveillée. Il existe au Honduras un pouvoir spécial, que nous croyons incompatible avec le droit international, chargé de superviser la police militaire. D'après notre analyse, ce pouvoir allait perpétuer l'impunité dans les cas de violence commise par ces forces policières, et notre prédiction s'est déjà réalisée.
L'autonomie et l'intégrité du judiciaire constituent une autre source d'inquiétudes. Dans l'affaire López Lone et al. c. Honduras, la Cour interaméricaine a conclu que le congédiement des juges qui s'étaient opposés au coup d'État était contraire à la Convention américaine relative aux droits de l'homme et a tenu le gouvernement hondurien responsable.
Quatrièmement, les inégalités et l'exclusion sociale touchent des groupes nombreux au sein de la population hondurienne. Environ 64,5 % des 8,5 millions d'habitants vivent dans la pauvreté, et 42,6 % dans la pauvreté extrême. Le Honduras occupe dans l'hémisphère le deuxième rang au chapitre de la pauvreté et le quatrième rang pour ce qui est des inégalités. À cause de cette discrimination de l'exclusion économique et sociale persistante, les femmes, les autochtones et les Afro-Honduriens sont parmi les plus vulnérables de la société. L'an dernier, je me suis rendu dans la communauté afro-hondurienne de Garifuna à Punta Piedra pour documenter les violations découlant du refus de l'État de fournir des services de base sur le territoire occupé par à cette population traditionnelle.
L'an dernier également, la Cour interaméricaine a conclu que le Honduras avait violé les droits de cette communauté en la privant de ses droits fonciers. Elle a rendu un jugement semblable dans l'affaire Triunfo de la Cruz c. Honduras, qui concernait également la négation des droits fonciers de communautés traditionnelles, scénario qui a malheureusement tendance à se répéter au Honduras.
Cinquièmement, il y a les conditions de détention horribles et dangereuses.
À la commission, en ma qualité de rapporteur sur les droits des personnes privées de liberté — ou RPPL, en espagnol —, j'ai constaté en visitant des prisons et des centres de détention du Honduras les terribles conditions qui s'y trouvent. Parmi les problèmes observés, je note le règne incontrôlé des détenus les plus dangereux; la surpopulation; les conditions d'hygiène déplorables; l'absence de classification des détenus, y compris la mixité des détenus condamnés et de ceux qui attendent ou subissent leur procès; et, dans certains centres, la mixité des hommes et des femmes, ce qui expose les femmes à un danger constant de violence sexuelle, danger qui se concrétise hélas trop souvent.
Ici aussi, les autorités font appel aux forces armées — ce sont elles qui dirigent les centres de détention. Les centres sous contrôle militaire que j'ai visités présentaient des conditions extrêmes. On infligeait aux détenus des traitements abusifs et de longues périodes d'isolement pendant lesquelles ils étaient entièrement privés de la lumière du jour.
Sixièmement, les défenseurs des droits de la personne sont vulnérables et laissés sans protection, même lorsque des organisations internationales telles que la Commission interaméricaine des droits de l'homme ordonne des mesures de protection. Vous avez entendu parler de nombreux cas de personnes assassinées parce que l'État n'a pas pris les mesures qui avaient été ordonnées pour les protéger.
En conclusion, le Honduras doit surmonter d'immenses difficultés en ce qui concerne la sécurité des citoyens, le système de justice pénale, la corruption et les droits des autochtones, entre autres. La situation actuelle de crise dure depuis le coup d'État de 2009. Malgré la prise de mesures positives, la Commission interaméricaine des droits de l'homme craint que les autorités au sommet ne persistent à nier la gravité de la situation. Au lieu d'établir des politiques publiques respectueuses des droits de la personne, elles tentent de régler les problèmes structuraux en militarisant la sécurité publique et d'autres secteurs comme l'éducation. La Commission a offert son assistance technique dans l'affaire Berta Cáceres, comme nous l'avons dit, en proposant la création d'un groupe d'experts, mais notre offre demeure toujours sans réponse.
La situation des droits de la personne au Honduras est extrêmement grave. Nous croyons que la communauté internationale a un rôle important à jouer.
Merci.
Merci, monsieur Cavallaro, et merci également à nos autres témoins.
J'aimerais seulement signaler aux membres du Comité que nous aurons seulement le temps de faire une ronde de questions. Si vous souhaitez partager votre temps avec un collègue, sachez qu'il n'y aura pas de second tour, car le temps ne nous le permettra pas.
Cela dit, voudriez-vous commencer, madame Hardcastle?
D'accord.
Merci à vous tous d'être avec nous aujourd'hui.
Comme le temps presse, je vais passer directement aux questions. Je ne sais pas qui de Gustavo ou de Bertha pourrait y répondre.
Bertha, nous savons que votre mère avait révélé publiquement les menaces de mort qu'elle avait reçues dans les mois et semaines précédant sa mort. J'aimerais en savoir davantage sur la provenance de ces menaces. Je ne pose pas la question naïvement, mais je ne cherche pas non plus des noms. J'aimerais simplement en savoir plus sur leur origine. Venaient-elles de l'industrie minière, ou croyez-vous plutôt qu'elles venaient d'ailleurs? Aidez-nous à comprendre l'origine de ces sinistres menaces, essentiellement.
Mme Bertha Zuniga Caceres (Interprétation):
Dois-je répondre maintenant ou attendre les autres questions?Mme Bertha Zuniga Caceres (Interprétation):
J'ai indiqué que dans l'État du Honduras, il y a eu 33 menaces physiques et émotionnelles. Elles provenaient toutes de la compagnie de construction de la centrale hydroélectrique, Agua Zarca. Il y a aussi eu des menaces lors de chaque projet situé sur notre territoire, pas seulement celui de la centrale électrique.
Je tiens à préciser que les autorités municipales des communautés avoisinant le projet ont elles aussi proféré des menaces, de même que les forces de sécurité, la police militaire, les agents privés, les agents de sécurité de la compagnie et la force spécialisée de l'armée hondurienne.
D'accord, merci.
Cela m'amène à une autre question, que j'adresse à vous tous. Pourriez-vous nous expliquer le rôle des diverses entités responsables du maintien de l'ordre? Il y a l'armée nationale, la police militaire, la police nationale, les services de sécurité privés et les agents de sécurité. J'ai l'impression qu'il s'agit de cinq choses bien distinctes, mais il est difficile de s'y retrouver.
Y en a-t-il une qui pose problème plus que les autres, ou qui ne soit pas légitime au regard de la constitution?
Je pense que M. Cavallaro a indiqué que l'armée est dotée d'un pouvoir spécial et que c'est ce qui engendre le plus d'impunité. C'est ce que j'ai compris. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est sommairement?
Avec plaisir. Et je serai heureux de vous fournir par écrit des renseignements plus détaillés par la suite.
Sauf erreur, et si mes deux collègues à distance veulent bien m'aider, il y a la police ordinaire, puis l'armée. Or, l'armée est déployée pour exécuter des fonctions ordinaires de maintien de l'ordre, alors que ce n'est pas son rôle. Une force de police militaire a également été mise sur pied.
Ensuite, pour les services de sécurité privés, les deux termes se confondent. Ce sont des agents de sécurité généralement embauchés par des compagnies, mais également par des individus bien nantis. Ces agents sont souvent armés et soumis à une supervision relativement limitée et, malheureusement, à des enquêtes et à une surveillance insuffisantes en cas d'abus.
[Le témoin s'exprime en espagnol. L'interprète donne la traduction suivante:]
Voudriez-vous en dire davantage sur les forces militaires et les forces de sécurité, en particulier, et expliquer ce qu'elles font?
Merci.
J'aimerais également que celui ou celle qui aimerait répondre — ce pourrait être l'occasion pour Gustavo d'intervenir — m'en dise un peu plus sur la décision de la Commission interaméricaine des droits de l'homme de délaisser son mandat de base à la fin de juillet cette année en raison d'une crise financière.
À votre avis, quelles en seront les conséquences? Et dans l'optique plus large où le Canada réclame une enquête, croyez-vous que cela puisse ouvrir la porte à de nouvelles possibilités, ou croyez-vous plutôt qu'il faille protéger cette entité? En vaut-elle la peine, ou vaudrait-il mieux en faire autre chose?
M. Gustavo Castro Soto (Interprétation):
De mon point de vue, je crois qu'il vaut la peine, pour l'enquête, d'encourager la formation de cet organe indépendant de la Commission interaméricaine, que nous croyons nécessaire pour garantir la confiance dans le processus judiciaire et la preuve. Il faut également approfondir l'enquête concernant les auteurs des menaces. Nous croyons qu'il est nécessaire de renforcer ce mécanisme, et le Canada pourrait jouer un rôle utile en consolidant celui de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, puisque le problème n'est pas limité au Honduras et que les défenseurs des droits de la personne dans toute l'Amérique centrale et au Mexique sont tout aussi vulnérables. Le cas du Honduras n'est pas unique. Je crois qu'il est important de renforcer le rôle de la Commission interaméricaine dans la situation actuelle de crise.
Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
En 2015, le gouvernement du Honduras a édicté une loi visant à protéger les défenseurs des droits de la personne par l'établissant d'un conseil national mandaté à cette fin et d'un régime de protection.
Je pense, monsieur Cavallaro, que votre organisation a dit de cette mesure qu'elle représentait un grand pas dans la bonne direction. J'aimerais que vous nous parliez un peu de la fonction de ce conseil. Est-ce qu'il semble efficace? Quel est ce régime de protection? Est-il indépendant de l'État?
Merci beaucoup, monsieur Anderson, d'avoir posé la question. Encore une fois, nous serons heureux de faire parvenir des renseignements par écrit au Sous-comité.
Selon ce que nous comprenons, la création de cette structure représente un premier pas en avant. En effet, elle fournit le fondement juridique à la coordination des mesures de protection. La Commission interaméricaine collabore grandement avec les États de l’hémisphère occidental, surtout ceux dans lesquels les défendeurs des droits de la personne et les journalistes sont à risque, afin de créer, d'élaborer et de renforcer des mécanismes de protection robustes.
Il y a de nombreuses étapes entre la planification, sur papier, d'un organisme de coordination des activités disposant des ressources nécessaires pour fournir des téléphones cellulaires et installer des systèmes de sécurité dans les foyers et les milieux de travail des défendeurs des droits de la personne, et la mise en oeuvre de mesures de sécurité par l'entremise de la police ou d'autres personnes de confiance qui ont reçu une formation indépendante, et non par l'entremise du service de police qui est peut-être à l'origine des menaces proférées. Il faut mettre sur pied une structure de formation et prévoir les ressources nécessaires.
Je ne crois pas que c'est la situation que nous observons au Honduras, et la preuve la plus probante, c'est qu'au cours de la dernière année, après la création de cet organisme, des gens qui avaient pris des mesures de précaution par l'entremise de la Commission interaméricaine ont tout de même été assassinés. Encore une fois, cela laisse croire que les mécanismes sont inadéquats, mais ce n'est pas nécessairement la réponse absolue. En effet, il est possible que le mécanisme de protection ait échoué même s'il fonctionnait bien.
Toutefois, je ne crois pas que cela fonctionne très bien. Je crois que les deux témoins qui viennent du Mexique et du Honduras pourraient nous donner leur avis sur le caractère inadéquat des mesures de protection en place au Honduras.
D'accord. Je suis prêt à les écouter, s'ils souhaitent nous en parler.
Il y a environ un an, le Comité a mené une étude et a rédigé un rapport en mars 2015. Comment évaluez-vous les progrès accomplis au Honduras depuis ce moment-là? À votre avis, les changements sont-ils positifs ou négatifs? Quel rang le pays occupe-t-il comparativement aux autres pays de la région?
La Commission n'attribue pas de rangs aux pays. Toutefois, il existe ce qu'on appelle le chapitre 4 de notre rapport annuel, dans lequel les pays qui font face à d'énormes défis tels qu'ils sont définis dans les règles de procédure de la Commission relativement aux droits de la personne seront abordés séparément. Pour utiliser le jargon du système interaméricain, le Honduras se trouve dans le chapitre 4 depuis le coup d'État de 2009.
Les conclusions générales du rapport présenté par votre Sous-comité en 2015, que j'ai eu la chance d'examiner, sont très similaires aux conclusions formulées par la Commission interaméricaine dans un rapport fondé sur une visite menée à la fin de 2014 et sur des recherches menées tout au long de l'année 2015, un rapport approuvé en décembre 2015 et publié en février 2016.
Je dirais que la situation n'évolue pas, et qu'au cours des deux dernières années, et depuis l'intégration et l'analyse des données dans votre rapport préliminaire de 2015, il n'y a eu aucun changement important, à l'exception de l'affaire concernant Berta Cáceres et d'autres personnes liées au COPINH, l'organisme pour lequel elle travaillait.
Cette affaire démontre que malgré les pressions exercées et les préoccupations soulevées sur la scène internationale, des gens très connus — Beta Cáceres était une excellente défenseure des droits de la personne et elle travaillait à l'avant-plan... Le fait qu'on a été incapable de la protéger et de protéger d'autres personnes de sa communauté, ainsi que d'autres défenseurs des droits de la personne, indique qu'aucun progrès n'a été réalisé, que la situation n'évolue pas et qu'il se peut qu'on régresse. À mon avis, ce sont les possibilités.
D'accord.
J'aimerais m'adresser à Mme Caceres.
Je crois que M. Soto a clairement exprimé son avis sur le traitement qu'il a reçu. Je pense parler au nom des membres du Comité lorsque je vous offre mes sincères condoléances. J'aimerais également savoir dans quelle mesure, à la suite de l'arrestation de quatre suspects, vous pouvez espérer que justice soit rendue.
Mme Bertha Zuniga Caceres [Traduction de l'interprétation]:
J'aimerais préciser que nous croyons qu'après l'assassinat de ma mère et d'un autre collègue, nos droits à titre de victimes ont été violés à plusieurs reprises, notamment au cours de l'enquête qui a été lancée. Au Honduras, il n'existe aucune division juridique pour nous exclure du processus d'enquête. Après avoir dit que nous ne faisions pas confiance au processus d'enquête, nous craignons encore plus les évènements à venir et nous ne savons pas si les membres de l'élite responsable de ceux qui ont commis le meurtre seront arrêtés. Je crois que tout cela se passe beaucoup trop rapidement, car il n'y a aucun compte rendu des évènements qui permettrait de porter des accusations contre ces personnes. De plus, comme Gustavo Castro l'a dit, on n'a pas encore trouvé les gens responsables de la conception et de la planification du crime, c'est-à-dire les gens qui ont participé à la partie intellectuelle de ce meurtre. Nous sommes convaincus que pour notre famille et notre organisme, la seule façon de garantir l'administration de la justice et de mettre fin à l'impunité, c'est de faire appel à un groupe indépendant d'experts, ce qui garantirait une enquête transparente et objective.
Madame Caceres, j'aimerais me joindre à M. Anderson et M. Cavallaro pour vous exprimer mes plus sincères condoléances.
Ma question s'adresse à M. Cavallaro.
Il y a environ un an, nous avons produit un rapport auquel M. Anderson a fait référence. L'une des recommandations formulées dans ce rapport était que le Canada continue de s'engager à titre de pays donateur et de partenaire commercial, en ayant comme objectif de faire la promotion des droits de la personne.
Le rapport mentionnait que Gildan Activewear était l'un des plus grands employeurs privés dans le pays. C'est une entreprise canadienne. D'autres pays ont retiré leur aide ou mis fin aux échanges commerciaux avec le Honduras à la suite de craintes liées à l'effondrement de la société civile.
À votre avis, quelle est la façon de provoquer des changements? Je sais que notre temps est très limité, mais pourriez-vous nous parler brièvement du résultat ultime souhaité, mis à part la valeur intrinsèque liée à la dénonciation des violations des droits de la personne, à la suite d'une enquête menée par l'OEA?
Si vous me le permettez, je vais répondre à ces questions en commençant par la dernière.
En plus de faire connaître cette affaire et de mener une enquête, un organisme international pourrait tout d'abord aider à identifier les responsables et, deuxièmement, il pourrait collaborer avec les autorités pour déterminer des pistes d'enquête qui pourraient permettre de cerner des tendances liées aux violations, car nous les avons documentées. En ce moment, nous soupçonnons, sans en être sûrs, que ceux qui ont peut-être ordonné l'assassinat de Berta Cáceres pourraient également avoir participé aux menaces et aux actes de violence commis contre d'autres défenseurs des droits de la personne, d'autres personnes qui se seraient opposées à l'intervention ou à la participation des industries de l'extraction, d'autres dissidents ou d'autres personnes qui ont dénoncé le coup d'État militaire de 2009.
Nous savons qu'il existe, au Honduras, un cycle d'impunité et qu'on assassine un grand nombre de gens qui s'opposent à des intérêts puissants. Nous savons qu'on menace les juges et les procureurs et qu'ils sont souvent assassinés. Nous croyons que pour mettre fin à ce cycle d'impunité, il faut mener une enquête approfondie qui ne s'arrête pas aux tueurs à gages, mais qui remonte jusqu'aux responsables, afin de modifier la dynamique des enquêtes criminelles menées au Honduras, de mettre fin au cycle d'impunité et de créer une société dans laquelle les personnes qui songent à ordonner des assassinats savent qu'elles pourraient être tenues responsables de leurs crimes. En résumé, si leur conscience n'est pas suffisante pour dissuader ces gens, il faut qu'ils craignent un État fonctionnel où l'on peut lancer des enquêtes et les poursuivre en justice.
En ce qui concerne les investissements commerciaux, la Commission interaméricaine a établi une doctrine et des normes, surtout en ce qui concerne les lignes directrices et les droits qui doivent être respectés par les investisseurs et les sociétés qui mènent leurs activités dans des situations qui présentent un potentiel de violation des droits de la personne. En vertu de la Convention no 169, on doit mener des consultations approfondies auprès des communautés autochtones, mais en vertu de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et de la Commission des droits de l'homme, on doit préalablement obtenir un consentement libre et éclairé lorsqu'un projet d'investissement pourrait changer grandement le mode de vie traditionnel des Autochtones et des communautés traditionnelles. Autrement dit, s'il s'agit d'un grand projet d'investissement, le consentement libre et éclairé doit préalablement être obtenu...
Nous ne nous efforçons pas de déterminer si une entreprise ou un pays devrait ou ne devrait pas investir dans un pays donné, dans ce cas-ci le Honduras, mais nous nous concentrons sur les normes qui doivent être respectées par les investisseurs au Honduras. Il s'agit en quelque sorte d'un objectif différent et il se peut qu'une réponse directe ne soit pas possible. La décision d'investir ou non vous revient. Nous disons seulement que si vous souhaitez investir, vous devez suivre des lignes directrices rigoureuses.
Ces lignes directrices ne sont pas mises en oeuvre au Honduras. Nous pouvons nous en rendre compte non seulement par l'entremise des tensions présentes dans les collectivités, mais également des violations qui surviennent dans ce contexte, par exemple les menaces, l'utilisation abusive de la force par les policiers contre les manifestants et contre les personnes qui s'opposent aux processus d'extraction, et l'assassinat de gens qui s'opposent à ces processus. Dans ce contexte, il est difficile d'appuyer l'investissement, mais nous sommes d'avis qu'il faut obliger les participants à respecter les normes les plus élevées en matière de droits de la personne, et ces normes n'ont pas été respectées au Honduras.
Merci.
En raison de l'heure, nous devons mettre fin aux questions.
J'aimerais vous remercier. Je suis sûr que je parle au nom de tous les membres du Comité lorsque je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui et d'avoir présenté un témoignage captivant.
En particulier, Gustavo et Bertha, en votre qualité de défenseurs des droits de la personne, vous faites face à de nombreux défis, et aucun défi n'est plus grand, Bertha, que le défi et le sacrifice auxquels votre mère a fait face. Je sais que cet héritage inspirera de nombreuses personnes à continuer de s'exprimer et de faire changer les choses dans une région où, manifestement, on trouve d'importants défis liés aux droits de la personne. Au nom de tous les membres de notre Comité, j'aimerais vous remercier d'avoir comparu aujourd'hui.
La séance est levée.
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