SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 19 avril 2018
[Énregistrement électronique]
[Traduction]
Bienvenue, tout le monde, à la 103e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
C'est notre deuxième séance de trois sur la situation des droits de la personne en Turquie. Deux témoins comparaîtront aujourd'hui. Du Centre de Stockholm pour la liberté, nous accueillons Abdullah Bozkurt, président. Nous recevons aussi Arzu Yildiz, journaliste indépendante et sténographe judiciaire.
Nous allons passer directement aux exposés. Vous disposerez de 10 minutes chacun pour faire vos déclarations, après quoi nous céderons la parole aux membres du Comité pour qu'ils vous posent des questions.
Si nous pouvions commencer avec Abdullah Bozkurt, ce serait bien, puis nous entendrons ensuite le second témoin.
Merci beaucoup. On vous écoute, s'il vous plaît.
Monsieur le président, et mesdames et messieurs les distingués membres du Sous-comité, merci de mener cette étude importante et opportune. C'est une discussion qui tombe à point et qui est certainement importante et très utile en ce qui concerne la Turquie.
Les mesures de répression à l'encontre des droits de la personne et des libertés en Turquie sous le régime actuel du président Recep Tayyip Erdogan sont tellement sévères qu'elles sont sans précédent dans l'histoire moderne de la République turque. La situation actuelle éclipse les violations des droits qui ont été perpétrées durant la période militaire, lorsque la loi martiale et les mesures d'urgence étaient appliquées. Le nombre de détenus au cours de la dernière année et demie, dont la majorité ont été emprisonnés après que des accusations douteuses ont été portées contre eux, dans des affaires où il n'y avait guère, sinon aucune preuve, montre la gravité des mesures répressives à l'encontre des droits et libertés dans tous les segments de la société en Turquie. La Turquie est un pays allié membre de l'OTAN, un pays candidat pour faire partie de l'Union européenne et un membre à part entière du Conseil de l'Europe et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération.
À compter d'aujourd'hui, les données les plus récentes documentées par notre centre en Suède — le Centre de Stockholm pour la liberté, qui a été établi par des journalistes turcs exilés — révèlent que 256 journalistes et travailleurs des médias sont derrière les barreaux en date du 11 avril 2018. De ces journalistes emprisonnés, 197 étaient en état d'arrestation en attendant leur procès et 58 ont été reconnus coupables de violations des lois antiterroristes, de diffamation ou de complot de coup d'État sans aucune preuve. Des mandats de détention contre 140 journalistes, y compris moi et de nombreux autres, sont encore en suspens, en plus des 256 journalistes qui sont déjà en prison. Si le gouvernement turc réussit à mettre la main sur ces 140 autres journalistes, le nombre de détenus sera renversant, et supérieur à 256.
La Turquie a suspendu ou congédié plus de 150 000 juges, procureurs, médecins, enseignants, universitaires, policiers et autres fonctionnaires depuis juillet 2016, lorsqu'il y a eu une tentative de coup d'État manqué. D'après les données du gouvernement turc qui ont été annoncées hier, 77 081 personnes ont été arrêtées depuis parce qu'on les accuse d'avoir entretenu des liens avec le mouvement Gülen, un groupe civique qui s'inspire du Turkish Muslim Intellectual Fethullah Gülen établi aux États-Unis, qui est certainement la cause de ces mesures répressives avant même la tentative de coup d'État manqué. Environ 170 000 personnes ont fait l'objet de poursuites judiciaires et, dans la majorité des cas, elles ont été détenues. Le tiers d'entre elles ont été officiellement arrêtées, tandis que d'autres ont été remises en liberté en attendant leur procès et les accusations portées contre elles. On estime qu'un demi-million de personnes qui ont prétendument ou vraiment des liens avec le mouvement Gülen attendent leur tour, et les autorités prennent leur temps pour les remanier dans le système de justice criminelle.
La primauté du droit n'existe plus, et il en va de même pour l'application régulière de la loi et le droit à un procès rapide et équitable. L'accès des détenus à un avocat et leur droit à une défense sont grandement limités en vertu des mesures d'exception. En date d'aujourd'hui, 1 539 avocats turcs ont été poursuivis à la suite d'accusations au criminel et 580 ont été emprisonnés, dont plus de 100 ont été condamnés par suite de fausses accusations. Mes collègues journalistes en Turquie ont du mal à trouver et à embaucher des avocats pour représenter leurs causes car la majorité des avocats ne veulent pas finir en prison comme de nombreux autres, si bien qu'ils ne prennent pas les causes des journalistes de l'opposition indépendants. Dans certaines causes, nous avons vu des avocats exiger des honoraires très élevés et profiter de la situation.
Près du tiers des juges et des procureurs en Turquie ont été congédiés ou emprisonnés. Nous parlons de plus de 4 000 personnes environ, ce qui inclut deux membres de la Cour constitutionnelle et de nombreux magistrats de la Cour suprême d'appel, de la Cour administrative et du Conseil d'État en Turquie. Là encore, les accusations de terrorisme ou de complot de coup d'État portées contre ces personnes étaient très vagues et générales.
Le tiers de tous les diplomates turcs, environ 500, ont également été déclarés comme étant des terroristes par le gouvernement de la Turquie du jour au lendemain. Certains d'entre eux sont emprisonnés et d'autres ont fui la Turquie et demandent l'asile dans d'autres pays. Parmi eux, il y a l'ancien ambassadeur de la Turquie au Canada, Tuncay Babali, un diplomate turc réputé, dont les titres de compétence sont reconnus par tous, de même que Gürcan Balik, un ambassadeur qui a été conseiller principal de l'ancien président turc Abdullah Gül et de l'ancien premier ministre Ahmet Davutoglu. Il est toujours derrière les barreaux.
Contrairement aux déclarations du gouvernement turc selon lesquelles le pays applique une tolérance zéro à l'égard de la torture, il y a eu de nombreux cas dans les prisons et les centres de détention où des gens et des détenus ont été torturés, agressés et victimes de mauvais traitements. Ce sont de nombreux cas bien documentés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, qui a récemment rendu public un rapport à ce sujet, de même que par d'autres organismes de surveillance. Amnistie internationale, Human Rights Watch et d'autres organismes de défense des droits de la personne respectés ont également documenté ces cas. Malheureusement, nous demandons au gouvernement turc depuis longtemps, comme l'ont fait de nombreux autres pays, de rendre public un autre rapport rédigé par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou CPT, du Conseil de l'Europe. Le gouvernement turc doit approuver que les conclusions soient rendues publiques. Jusqu'à présent, le gouvernement turc ne l'a pas fait.
La hausse des cas de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de morts suspectes dans les centres de détention et les prisons va manifestement à l'encontre des obligations internationales du gouvernement turc prévues dans les conventions relatives aux droits, et plus particulièrement la Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou PIRDCP. Un très grand nombre de fonctionnaires, visés par un décret du gouvernement, ont été congédiés, et ce, sans aucune raison et certainement sans qu'aucune enquête administrative ou judiciaire ne soit menée. Ces congédiements vont à l'encontre de la convention que la Turquie a signée avec l'Organisation internationale du Travail.
La liberté de réunion, la liberté d'association, le droit à la libre entreprise et d'autres droits sont également brimés en Turquie. En utilisant le prétexte du coup d'État manqué, le gouvernement turc a démantelé 19 syndicats, presque 1 500 associations et fondations, plus de 1 000 écoles, établissements d'enseignement et centres de tutorat, 35 hôpitaux et 15 universités en raison d'allégations de liens avec le mouvement Gülen. Leurs biens ont été saisis et transférés au gouvernement. Ils ont été transférés à différentes ONG, à des ONG islamistes, ou ont été transformés en écoles publiques religieuses, qui sont des endroits parfaits pour permettre à une jeune génération islamiste de continuer d'appuyer le Parti de la justice et du développement islamiste en Turquie.
Les mesures de répression incluent également les avocats de l'opposition. Il y a tellement de gens derrière les barreaux, surtout des gens qui appuient le Parti démocratique du peuple qui est favorable aux Kurdes et il y en un autre, du Parti républicain du peuple de l'opposition officielle. C'est un ancien journaliste, Enis Berberoglu, qui est derrière les barreaux à cause d'accusations inventées de toutes pièces.
Pourquoi le gouvernement d'Erdogan a-t-il sabordé les réalisations pour lesquelles nous, le peuple turc, avons travaillé si fort à atteindre au fil des décennies? Quel est l'objectif de ces mesures de répression?
Je pense que c'est à cause de la vision axée sur le califat du gouvernement d'Erdogan, qui cherche à créer une nouvelle Turquie à l'image du président, ce qui n'est pas un tableau très réjouissant. Elle se fonde sur un mélange dangereux d'euphorie nationaliste et de fanatisme religieux, qui se manifeste souvent sous forme de propos xénophobes et anti-occidentaux, que nous entendons souvent le président Erdogan et de nombreux autres hauts fonctionnaires du gouvernement turc prononcer. Ceux qui ne rentrent pas dans le rang ou qui n'adhèrent pas au discours officiel du gouvernement turc sont qualifiés de terroristes, de traîtres et de citoyens antipatriotiques et, bien souvent, ils font l'objet d'enquêtes criminelles sur la base de fausses accusations.
Je pense qu'avec ces purges massives, Erdogan a créé un vide énorme dans les établissements d'État turcs qu'il comble avec de nouvelles personnes aux antécédents islamistes ou nationalistes, embauchées pour leur attachement au fanatisme idéologique répandu par le gouvernement, et non pas pour leurs compétences ou leurs qualifications. Les fonctionnaires nouvellement embauchés n'ont même pas suivi la formation requise pour être admissibles aux postes, ce qui n'est pas de bon augure, surtout dans des établissements d'État importants comme les forces policières, le système de justice, le service extérieur, le service du renseignement et l'armée. Dans bien des cas, nous avons vu les avocats, qui travaillent pour le parti au pouvoir, le parti d'Erdogan, être promus à des postes de juges et de procureurs en très peu de temps. On peut imaginer le type de jugements qu'ils rendront dans le futur, car ils ont commencé leur carrière dans le parti politique dans des fonctions différentes.
Il est clair que le gouvernement d'Erdogan ne pourrait pas exécuter cette transformation majeure en Turquie s'il respectait les règles et les procédures établies conformément à la Constitution de la Turquie et aux conventions internationales auxquelles la Turquie a adhéré. Les violations des droits de la personne font également partie d'une stratégie systématique et délibérée du gouvernement turc pour intimider les critiques, les détracteurs et d'autres personnes indépendantes. Cette stratégie fait partie des efforts en vue d'affaiblir la résistance contre cette dangereuse transformation que nous constatons dans notre Turquie alliée membre de l'OTAN.
La publication d'images, par exemple, juste après la tentative de coup d'État, a clairement montré que tous les détenus avaient été battus, dont des généraux haut gradés, et l'agence de presse de l'État publiait ces images pour lancer un message inquiétant et intimider d'autres personnes qui pourraient essayer de défier le gouvernement, que ce soit par leurs écrits ou leurs propos.
Monsieur Bozkurt, si vous pouvez conclure vos déclarations au cours de la prochaine minute, vous pourrez intervenir à nouveau durant la période des questions. Je veux juste m'assurer que nous aurons suffisamment de temps pour entendre l'autre témoin.
Certainement, monsieur le président. Je vais conclure mes remarques d'ici la prochaine minute.
Les mesures de répression incluent également les médias sociaux et Internet, qui sont malheureusement les seules tribunes restantes pour permettre à bon nombre de gens de s'exprimer, de critiquer le gouvernement à bien des égards ou de dénoncer ce qu'il fait. Le gouvernement s'en prend à ces tribunes également. Il réaffirme. Il demande aux cours de rendre des jugements pour bloquer Internet ou pour censurer les messages sur Twitter, YouTube ou Facebook. On peut voir, dans le dernier rapport sur la transparence de Twitter, que presque 91 % des jugements des tribunaux au pays provenaient d'un seul pays: la Turquie. On peut imaginer le type de système judiciaire qui est en place en Turquie. Le gouvernement demande un jugement le matin et il l'obtient immédiatement, puis il peut bloquer les portails Twitter, Facebook et Internet. Il y a un très grand nombre de personnes qui font l'objet d'enquêtes parce qu'elles ont affiché des messages sur les réseaux sociaux, et les mesures de répression s'appliquent également à ces plateformes.
Je vais m'arrêter ici, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je veux vous remercier de m'avoir invitée à comparaître.
Je voulais être avec vous en personne, mais malheureusement, il était un peu trop tard lorsque j'ai entendu parler de la séance. C'est la raison pour laquelle je comparais par vidéoconférence.
Permettez-moi de me présenter brièvement. Je suis une journaliste qui possède 15 ans d'expérience. J'ai passé 15 années à travailler dans une organisation médiatique indépendante. Depuis neuf ans, je suis journaliste judiciaire. J'ai également passé ces neuf années à publier des articles sur la corruption, sur des meurtres non résolus perpétrés contre les Kurdes et sur l'organisme du renseignement turc, qui a envoyé des gens en Syrie illégalement.
Je suis la seule journaliste qui a écrit à ce sujet et qui a suivi tous les processus. Soit dit en passant, les procureurs et les soldats dans cette affaire sont en prison, et je suis la seule journaliste qui se soucie d'eux.
J'ai été condamnée à trois années de prison parce que j'ai écrit des articles à propos d'eux, et le gouvernement a pris en charge mes enfants. Le 15 juillet 2016, j'ai fait part de mon opinion sur les réseaux sociaux au sujet du coup d'État et sur les soldats emprisonnés qui sont torturés par la police. Je suis devenue alors la première journaliste à faire face à une décision de mise en détention. Après deux jours, le 17 juillet, des policiers se sont présentés chez moi et ont essayé de m'arrêter alors que j'étais avec mes filles de sept mois et de sept ans. Après l'enquête sur la corruption, qui incluait Erdogan, sa famille et bon nombre de ses ministres, la justice était inexistante en Turquie.
Après le coup d'État, il n'y avait plus aucune justice. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé de m'incliner devant les policiers et que j'ai vécu comme une hors-la-loi pendant environ cinq mois. C'était l'enfer, et je ne sais pas combien de fois je suis morte pendant cette période. C'était une période très éprouvante et mon avenir était incertain. Ma seule option était de quitter le pays illégalement. Si je réussissais à fuir, je serais libre, et si je n'y parvenais pas, j'allais être prisonnière comme mes autres amis journalistes.
J'ai eu la chance de fuir, mais je ne pouvais pas amener mes enfants avec moi. Par après, je suis entrée au Canada illégalement et je suis ici depuis 14 mois. Ma plus jeune fille ne me reconnaît plus. J'ai appris tellement de choses pendant cette période. J'ai quitté la Turquie en tant que mère de deux enfants, mais je me sens maintenant comme toutes les autres mères qui se retrouvent seules, comme Karim, qui a perdu toute sa famille et un oeil en Syrie. C'est la même chose pour les gens après le génocide au Sri Lanka. Je ne m'identifie plus comme étant Turque. Je suis seulement un être humain maintenant.
Je suis contre la religion, l'ethnicité, l'idéologie, la langue, etc. Les gens se comprennent mutuellement, mais les politiciens nous divisent. J'ai vu de nombreuses vies et de nombreuses morts. J'ai failli mourir et j'ai perdu des êtres chers, mais je veux parler plus précisément de la Turquie.
Des tas de gens sont emprisonnés à l'heure actuelle. Selon les autorités, 650 000 personnes font l'objet de poursuites judiciaires. Des milliers de gens ont été congédiés. Environ 700 bébés sont en prison avec leur mère. De nombreux journalistes sont en prison, de même que des médecins, des policiers, des procureurs, des juges, des universitaires, comme Abdullah Bozkurt l'a dit. Le gouvernement arrête même des avocats parce qu'ils prennent des causes. Il ne laisse même pas votre [Inaudible] dans la prison.
Les autorités ont arrêté 3 000 juges et procureurs en une seule journée. Elles peuvent maintenant s'en prendre à des organisations non gouvernementales, à des stations de télévision et de radio, et à des journaux. La justice et la liberté de presse n'existent pas en Turquie. Parfois, les autorités ne laissent pas les gens partir même quand ils doivent être expulsés; c'est notamment le cas de nombreux journalistes et universitaires, de l'auteur Mehmet Altan ou du président d'Amnistie internationale en Turquie, Taner Kilic.
Les autorités turques ont arrêté des juges, dont elles ont ordonné l'exclusion de leur profession. Il n'y a pas de droits de la personne en Turquie, comme le font d'ailleurs valoir des activistes des droits civils des quatre coins du monde. Vous et d'autres personnes vous intéressez peut-être à mes propos, mais les politiciens s'intéressent principalement à leurs propres intérêts. En France, par exemple, Erdogan a accusé un journaliste français simplement parce que sa question lui avait déplu. Au lieu d'intervenir, le président Macron a conclu avec lui un accord dans le domaine du boeuf. Les gardes du corps d'Erdogan ont malmené des manifestants, mais comme il a acheté des avions pour une facture évaluée de 11 milliards de dollars, les États-Unis n'ont rien fait.
La Cour européenne des droits de l'homme ne prend aucune mesure pour réagir à cette situation et ne se penche pas sur la question. Les organisations médiatiques d'Erdogan jouent le rôle de tueur à gages, procédant au génocide des Kurdes, comme Hitler l'a fait à l'endroit des Juifs, et menant une chasse aux sorcières s'apparentant à celle de McCarthy. Il règne une terreur semblable à celle observée au cours de la « peur rouge », quand McCarthy était en poste. Des milliers de gens jouent le même rôle que Sacco et Vanzetti. Nous sommes persécutés juste parce que nous réclamons la liberté d'expression.
Les institutions condamnent la situation, mais ce n'est pas assez. Elles publient des rapports, mais restent les bras croisés. Si on veut se plaindre, il faut commencer par ses propres dirigeants. Si on ne s'élève pas contre Erdogan, on participe à ce crime contre les droits de la personne. Pourquoi les membres de la Cour européenne des droits de l'homme ne réagissent-ils pas à la situation difficile dans laquelle se trouvent leurs collègues?
Je tiens à vous rappeler qu'Ahmet Altan est également rédacteur en chef du Taraf, le journal où je travaillais. Lui et son frère, Mehmet Altan, croupissent en prison depuis septembre 2016 à la suite d'une condamnation à perpétuité. Leur père, Cetin Altan, a été jeté en prison à l'âge de 70 ans parce qu'il avait dit [Inaudible]. Il a néanmoins indiqué à son fils de serrer les dents et de dire ce qu'il avait à dire s'il devait le faire.
Ahmet Altan a affirmé au cours de son procès que la primauté du droit était pire que l'enfer et qu'aujourd'hui, le régime tend à emprisonner des gens en Turquie. « Oh, monsieur le juge, je suis prêt à mourir et je ne crains rien, mais pouvez-vous en dire autant? »
Mehmet Altan a toutefois posé une question importante: « Voulez-vous être jugés par des juges tels que vous? »
Je vous demande maintenant si vous sentez la même puanteur qui se répand de par le monde. Des gens dorment pour rien en prison, loin de leur famille. Ce n'est pas un mauvais pays ou un [Inaudible] imaginaire. Nous sommes les gens [Inaudible] pour qui que ce soit, où que ce soit: en Turquie, en Europe ou en Syrie, peu importe. S'il existe une injustice quelque part dans le monde, nous la combattrons. Si un politicien ou une politicienne légitime un dictateur, nous devons le ou la condamner. On ne peut faire fi des droits de la personne pour un accord dans le secteur du boeuf. L'Europe reste toujours muette au sujet des réfugiés syriens.
Il ne s'agit pas d'un film dramatique. La vie de ces gens est aussi réelle que la vôtre. Nous ne pouvons nous associer à ce crime, au risque de tout perdre. Nous ne pouvons dormir si nous voyons la face de l'innocent.
Je ne crains pas la mort. Je suis morte bien des fois, mais après chaque mort, j'ai aimé la vie. Quand on vit son pire cauchemar, on s'aperçoit à quel point on aime la vie. Ne soyez pas pardonnés juste pour vos enfants. Demandez-vous avant si jamais vous pourrez appartenir à d'autres enfants.
Saviez-vous que le chien qui a détecté les armes que la Turquie envoyait en Syrie a été exilé? Même le chien a été exilé. C'est un chien avec de la dignité. Nous devons être mieux qu'un chien.
Malheureusement, certains resteront muets et hausseront les épaules. Ils n'ont même pas la dignité d'un chien.
Merci de m'avoir écoutée.
Je vous remercie tous les deux de vos exposés.
Nous passerons maintenant directement aux questions des membres du Comité.
Nous commencerons par M. Anderson.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos témoins de comparaître afin de nous fournir de l'information.
Je voudrais vous demander à tous les deux quel est le rôle des médias en Turquie actuellement. Madame Yildiz, vous avez écrit qu'ils n'en jouent essentiellement aucun, mais pourriez-vous m'indiquer brièvement si les médias traditionnels et de longue date ont encore un rôle à jouer? Quel rôle les médias sociaux et les nouvelles formes de médias jouent en Turquie aujourd'hui?
Peu importe qui veut répondre en premier. Comme je ne dispose que de sept minutes, nous avons peu de temps.
Je vais commencer à répondre, monsieur Anderson. Comme nous le savons, les médias traditionnels ont été complètement décimés en Turquie. Du côté des médias imprimés, c'est presque 100 %. Il reste peut-être, ici et là, quelques petits quotidiens à la portée très restreinte. Erdogan et sa garde rapprochée contrôlent directement presque tout.
La situation est la même ou peut-être bien pire dans le domaine de la télédiffusion, car la plupart des Turcs se fient aux réseaux de télévision plutôt qu'aux journaux pour s'informer. Voilà pourquoi Erdogan a pris particulièrement soin de consolider initialement sa mainmise sur le réseau de télévision. Ainsi, bien des gens ne peuvent plus compter que sur Internet et les médias sociaux pour obtenir de l'information.
Cependant, comme je l'ai souligné dans mon exposé, le gouvernement serre aussi la vis aux médias. Comme il possède les systèmes de base, il peut aisément étouffer les critiques. Nous avons d'ailleurs pu le voir à l'oeuvre au cours des élections, alors qu'il existait encore des médias indépendants et critiques en Turquie quand j'y étais encore.
Si on crée un nouveau site Web de nouvelles et de critiques, le gouvernement turc le bloquera automatiquement. On peut lancer ce site aux États-Unis, au Canada ou en Suède, mais on ne peut pas joindre les habitants de Turquie à moins qu'ils n'utilisent un réseau privé virtuel pour contourner les systèmes.
Le gouvernement se sert du système de justice pénale pour déposer des accusations contre de nombreux critiques. Soit dit en passant, il ne s'en prend pas qu'aux journalistes, mais aussi aux citoyens moyens qui pourraient oser le critiquer en quoi que ce soit. Les accusés peuvent être interpellés et incarcérés pendant quelque temps. Dans certains cas, ils peuvent être arrêtés officiellement.
À la fin de 2016, plus de 10 000 personnes avaient été accusées de diffamation pour avoir insulté le président turc ou d'autres hauts dirigeants. Dans certains cas, ils avaient insulté la première dame ou d'autres membres de la famille d'Erdogan, lesquels ne sont absolument pas protégés par la loi. Nous constatons que le gouvernement invente de nouvelles lois qui n'ont aucune assise juridique; c'est donc assez arbitraire.
Puis-je vous interrompre? Le président a annoncé des élections éclair, puis réimposé l'état d'urgence pour encore trois mois. Quel rôle les médias pourront-ils jouer au cours de la campagne électorale? Seront-ils neutralisés?
Parlez-nous un peu de la question, je vous prie.
En déclarant l'état d'urgence, Erdogan n'a pas pour objectif principal de neutraliser les médias, car c'est déjà chose faite. Ce sont les rencontres de discussion ouverte et les ralliements qui auront lieu au cours de la campagne électorale qu'il cible. Grâce à l'état d'urgence, même les administrations locales ou de district peuvent interdire des réunions ou des assemblées si elles considèrent que des menaces à la sécurité nationale le justifient, et personne ne protestera. Voilà pourquoi le président veut procéder à un scrutin éclair en profitant de l'état d'urgence. Les partis de l'opposition ne pourront pas organiser de ralliement ou de manifestations pendant les élections. Dans bien des cas, les autorités invoqueront une menace terroriste ou une autre excuse pour interdire les rencontres de discussion ouverte. C'est là le principal objectif.
Je suis certain qu'elles prétexteront une menace terroriste quelconque. Cela semble être une méthode assez habituelle qu'elles utilisent pour tenter de museler les dissidents.
Je voudrais donner à mon collègue, M. Chong, l'occasion d'utiliser un peu de mon temps.
Merci de vos exposés. Votre situation me désole. La Turquie est un pays magnifique. Ma conjointe et moi y avons passé notre lune de miel il y a de cela bien des années, et nous gardons des souvenirs émerveillés de notre voyage dans ce pays.
J'aimerais que vous me parliez entre autres du fait que le président a annoncé hier le déclenchement d'élections éclair, comme M. Anderson l'a fait observer. Je me demande à quel point le parti du président est populaire. Quand, il y a 15 ou 20 ans, j'ai voyagé avec mon épouse dans les régions rurales de la Turquie, à Konia et en Cappadoce, j'ai constaté qu'elles étaient manifestement très conservatrices. Je m'interroge toujours sur la profondeur et l'ampleur de la popularité du parti alors que le pays se dirige vers des élections.
Si le président prend la parole une, deux, voire trois fois par jour et que tous ses propos sont télédiffusés en direct sur peut-être 18 chaînes et font la une de presque tous les journaux le lendemain, on peut imaginer sa popularité. On n'entend que lui. La population n'entend aucune voix contraire, et il n'existe aucune couverture médiatique indépendante ou critique pour lui faire opposition.
La situation est totalement différente de celle que nous avons observée il y a peut-être cinq ou six ans en Turquie, quand il existait encore des médias très actifs en dépit des difficultés et des lacunes, et la population pouvait entendre des voix et des points de vue différents. Aujourd'hui, elle n'entend qu'une seule voix. Tout ce qu'affirme le président est considéré comme un fait avéré et les gens le croient. Il fait passer la campagne électorale pour une sorte de guerre de libération de la Turquie, prétendant que même les pays alliés de l'OTAN, y compris les États-Unis et le Canada, l'attaquent. Son parti fait de son mieux pour « libérer » le pays de ces puissances « étrangères » ou « impérialistes ».
Pourriez-vous nous expliquer brièvement pourquoi, selon vous, il a annoncé des élections éclair hier plutôt que d'attendre la fin de son mandat?
Il l'a fait pour diverses raisons.
C'est d'abord en raison de l'économie. Les perspectives économiques s'assombrissent; les chiffres sont d'ailleurs éloquents. Je pense qu'il voulait prévenir le coup et tenir des élections précoces avant que les choses n'empirent.
Il souhaitait également prendre l'opposition par surprise, surtout le parti émergeant constitué récemment par une ancienne politicienne nationaliste très populaire. Il ne voulait pas donner à son parti ou à d'autres partis de l'opposition l'occasion de former des alliances en vue des élections présidentielles nationales.
La troisième raison, c'est qu'il briguera la présidence juste après le ramadan, le mois sacré des musulmans qui sera très important pour de nombreux citoyens turcs. La susceptibilité religieuse atteindra alors un sommet, et il fera campagne juste après cette période. Sa campagne portera principalement sur des questions religieuses et nationalistes, ce qui lui donnera une occasion en or de réaliser des progrès chez les travailleurs indécis.
Merci beaucoup de témoigner. Vous aimez manifestement tous les deux la Turquie, votre cher pays, même ici, au Canada.
Nous sommes très déçus de ce qu'il s'est passé. Pour ma part, j'étais très fière de ce que la Turquie accomplissait sur le plan de la démocratisation et du fait qu'elle ouvrait les bras à des millions de réfugiés auxquels elle offrait des soins, de l'éducation et tout le reste. J'ai été terriblement déçue quand tout cela est survenu. Avec l'effritement total de la démocratie, en ce qui me concerne, il n'y a plus de démocratie en Turquie.
Par curiosité, j'ai une question quant au fait que le président a qualifié le mouvement Gülen de « terroriste » et pas seulement d'« opposition à quelque chose ». Qu'est-ce qui justifierait une pareille déclaration? Cherche-t-il simplement à écraser un mouvement en le qualifiant de terroriste et en jetant tous ses membres en prison?
Je répondrai en premier.
Il s'agit essentiellement d'un prétexte pour éliminer la principale organisation civile de Turquie, laquelle était très puissante dans de nombreux secteurs de la société, notamment dans les médias, la société civile et d'autres segments de la société, et ce, bien avant la tentative de coup d'État ratée.
C'est très ironique. La première poursuite intentée contre ce mouvement s'appuyait sur une plainte déposée par un groupe turc associé à Al-Qaïda du nom de Hay'at Tahrir al-Sham, dirigé par Abou Mohammed al-Jawlani. Ce dernier a été poursuivi en 2009, et quand la police a effectué une descente dans les locaux de l'organisation, elle y a découvert une cache d'armes. Dans de nombreuses photos, l'homme chante les louanges d'Oussama ben Laden et de membres d'Al-Qaïda. Il s'agissait donc de mesures de répression, qui ont été louangées par le gouvernement Erdogan en 2009. Cependant, après que le mouvement se fut brouillé avec Erdogan, à la suite du scandale de corruption de décembre 2013, un des suspects visés par le procès dans l'affaire d'Al-Qaïda a déposé une plainte dont le gouvernement s'est servi pour accuser le mouvement d'avoir inventé les accusations ou d'avoir diffamé ou discrédité un chef turc d'Al-Qaïda. C'était en 2014, et les choses ont empiré depuis.
Après la tentative de coup d'État ratée, dont le maître d'oeuvre est encore inconnu, le président a immédiatement jeté le blâme sur le mouvement, même si le coup d'État était encore en cour et qu'il ne détenait aucune preuve pendant les heures initiales. Le premier ministre de l'époque, Binali Yildirim, a ultérieurement admis que le gouvernement ignorait qui avait commis ce coup d'État. Le président a toutefois nommé le mouvement, le tout sans preuve solide ou directe.
C'est une tendance qu'on peut également observer au cours des procès en cours en Turquie. Rien n'indique que le mouvement est impliqué à titre d'entité organisationnelle. Certains officiers adhérant au mouvement ont peut-être participé à la tentative de coup d'État, mais il n'y avait pas de plan organisationnel.
Comme je l'ai indiqué, toutefois, ce n'était qu'un prétexte pour réprimer le principal mouvement d'opposition. Une fois ce dernier neutralisé, tous les autres partis rentreront dans les rangs.
Dans quelle mesure les partis de l'opposition pourront-ils se faire entendre au cours des élections de l'automne?
Parlez-vous du nouveau parti de l'opposition ou d'autres partis?
Je pense que l'opposition n'a pas beaucoup de chance de défier Erdogan, surtout le principal parti de l'opposition, qui est désorganisé et compte beaucoup trop de factions. Les opposants n'ont pas la couverture médiatique, les organisations locales et les ressources financières nécessaires pour pouvoir faire campagne et joindre la population, particulièrement dans les régions rurales.
Le nouveau parti de l'opposition, appelé Parti Iyi ou « bon parti », est dirigé par une nationaliste, qui n'a pas eu le temps de vraiment établir son parti et qui ne dispose pas de ressources financières ou de capacités organisationnelles. C'est notamment pour qu'elle n'ait pas l'occasion d'organiser son parti ou que d'autres opposants ne puissent pas forger d'alliances qu'Erdogan a annoncé un scrutin éclair.
Selon moi, il n'y a aucune chance que ce scrutin éclair donne lieu à des élections libres et équitables, car même si les gens votent pour l'opposition, au bout du compte, c'est la commission des élections qui tranchera et confirmera les résultats. Or, les juges de cette commission sont tous les pantins du gouvernement Erdogan. S'ils ne se conforment pas à sa demande, ils seront accusés de terrorisme et jetés en prison.
Le fait est que la commission des élections qui dirigera les élections et en confirmera les résultats est entièrement du côté du gouvernement.
Le mieux que nous puissions faire, c'est de réclamer l'envoi en Turquie de délégations d'observation internationales très fortes et très musclées, par l'intermédiaire soit de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ou OSCE, soit du Conseil de l'Europe. Il pourrait y avoir d'autres responsables non gouvernementaux et d'autres ONG qui surveillent les élections et suivent leur évolution pendant la campagne électorale ou le jour du scrutin, lors du dépouillement du vote.
Le Canada doit être en mesure de mobiliser ses alliés et amis pour veiller à ce que la surveillance soit plus solide, et à ce qu'il y ait plus de gens qu'aux dernières élections. Ainsi, si les Turcs réussissent en quelque sorte à voter en grand nombre contre Erdogan, nous pourrons au moins nous assurer que les votes sont comptabilisés et certifiés correctement, sous l'oeil des observateurs internationaux.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser des questions à M. Bozkurt et à Mme Yildiz. Je vais vous laisser le reste de mon temps pour répondre.
Je vais vous poser deux questions tout de suite pour que vous puissiez réfléchir à votre réponse. Commençons par M. Bozkurt.
J'aimerais en savoir un peu plus sur la façon dont le Canada peut réduire les risques que prend la diaspora turque lorsqu'elle dénonce la situation à partir d'autres pays. En fait, nous savons que la diaspora turque est vulnérable. Ces personnes sont extradées. Certaines sont détenues. Elles sont appelées à sortir des autres pays pour des raisons politiques parce qu'avec Interpol, nous avons un système vulnérable à ce genre d'abus.
J'aimerais que vous nous en parliez un peu. Je pense que cela nécessitera tout mon temps. Monsieur Bozkurt, je vous ferai signe pour que nous puissions écouter la réponse de Mme Yildiz.
Je vous remercie.
Nous avons publié un rapport sur l'utilisation abusive d'Interpol par le gouvernement turc. Il y a eu deux dossiers importants. L'un se rapporte à un Suédois, et l'autre, à un ressortissant allemand, tous deux d'origine turque. Ils ont été détenus en Espagne. La situation a créé de graves problèmes dans différentes capitales d'Europe, et c'est devenu un problème relatif à Interpol. C'est une préoccupation très pressante pour bien des gens, y compris pour moi. Si vous voyagez à l'étranger, vous risquez de vous retrouver dans un pays auquel le gouvernement turc transmet un mandat d'arrêt par Interpol. Ce gouvernement est alors susceptible d'exécuter ce faux mandat contre vous et d'autres critiques. Le problème devrait être porté à l'attention d'Interpol puisque la pratique est contre sa constitution. Aucune affaire politique ne devrait passer par Interpol puisque le système vise à rechercher de vrais criminels, et non pas des critiques et des dissidents politiques. Malheureusement, le gouvernement d'Erdogan utilise le système de façon abusive pour intimider les membres de la diaspora.
Une autre menace importante que je constate dans les communautés de la diaspora, c'est que le pouvoir tentaculaire d'Erdogan fait réellement des ravages au sein des groupes de la diaspora en exacerbant la division et la polarisation. Erdogan se sert de partisans du gouvernement pour espionner d'autres critiques, les harceler et les menacer. C'est un autre défi que nous rencontrons dans les communautés de la diaspora. Il faut que les procureurs et les autorités interviennent pour réprimer cette campagne de harcèlement et d'intimidation au sein de la diaspora, de façon à ce que les critiques exilés puissent vivre en paix et continuer à écrire et à s'exprimer. C'est un problème très urgent pour bon nombre de personnes exilées.
Ce n'est pas le seul ennui. Un problème très important est que si le gouvernement fait enquête sur vous, il prendra d'abord votre passeport, puis aussi celui de votre mari et même de vos enfants. Il ne les laissera jamais aller nulle part. C'est pour cette raison que les gens craignent le système gouvernemental et la torture. Tout le monde sait ce qui se passe dans les prisons et les postes de police turques.
Si une personne veut quitter la Turquie, elle peut tenter une voie illégale. C'est dangereux. Certains meurent dans la rivière Maritsa. Des familles, et même des enfants ont perdu la vie dans la Maritsa qui sépare la Grèce et la Turquie.
Par ailleurs, je tiens à dire qu'il n'y a aucun parti de l'opposition en Turquie. Les gens font tout ensemble, sans quoi bon nombre d'entre eux sont torturés ou détenus chaque matin. Ils se réveillent chaque matin avec l'opération. Ce ne sont pas des choses régulières et normales. Je crois cependant qu'au fond, ils sont d'accord avec le régime. Ils font tout ensemble.
Un seul parti, l'Afghanistan ou le parti kurde peut-être, manifeste son opposition, mais Selahattin Demirtas et l'autre président ont par exemple été détenus et emprisonnés. D'autres travaillent avec Erdogan. Ils ne veulent pas montrer leur visage. Ils utilisent le visage d'Erdogan pour tous leurs crimes. Sinon, ils peuvent quitter le parlement. Tout est fini là-bas. Il n'y a pas de règle au parlement.
Merci.
Nous avons le temps pour une dernière petite question. À la fin de la séance, nous devrons passer à huis clos pour les travaux du Comité.
Je vais céder la parole au député Fragiskatos, qui peut poser une question brève.
Merci. Je remercie également les témoins.
Monsieur Bozkurt, j'ai du mal à comprendre la nature du mouvement Gülen. Je suis très inquiet des violations des droits de la personne que le gouvernement d'Erdogan a perpétrées. Cependant, le mouvement Gülen est-il simplement une organisation d'autoamélioration, ou a-t-il des intérêts et des ambitions politiques? Je sais qu'il occupe une position ferme dans la société civile, mais il a aussi des partisans dans la police, la magistrature et l'armée. M. Erdogan s'est servi de ce fait pour piéger le mouvement Gülen, ou Hizmet, afin de prouver qu'il constitue une menace pour l'État. Y a-t-il quoi que ce soit qui corrobore cette allégation?
Il y a tellement de cas que nous pouvons examiner. Que je sache, il n'y a pas de preuve en ce sens. Je n'en ai trouvé aucune. Le seul problème dans ce discours est que nous n'avons pas de pouvoir judiciaire indépendant en Turquie. Les procureurs et les juges dépendent de la police, qui est régie par le gouvernement, ou par une branche différente du gouvernement. Un stratagème a été mis en place. Si le procureur ordonne aux forces de police de faire enquête, alors le mandat appartient à la magistrature et non au gouvernement. Il n'appartient pas au pouvoir exécutif puisque nous n'avons pas de pouvoir judiciaire indépendant. Les instances doivent collaborer pour faire enquête.
Le gouvernement tire parti de ce fait et dit voir la police et les juges collaborer. C'est la nature même des affaires. C'est d'ailleurs une critique majeure de l'Union européenne, qui demande depuis des années au gouvernement turc de créer une force judiciaire indépendante qui puisse enquêter sur différents crimes. Le mouvement Gülen est une organisation administrée entièrement par des bénévoles et dirigée par un homme qui vit aux États-Unis. Je pense qu'il a 80 ans. Il n'a jamais eu d'ambition politique. Il n'a jamais posé sa candidature ni créé de parti.
J'ai horreur de vous interrompre, mais il est important de souligner la déclaration qu'il a faite à la fin des années 1990, dans laquelle il encourageait les partisans à s'impliquer en politique, à s'attaquer aux principales voies de l'État. Je crois qu'il invitait les gens à « s'incruster », ou quelque chose de semblable. Il a ensuite affirmé que la déclaration vidéo diffusée avait été créée de toute pièce. N'y a-t-il rien d'intéressant à propos de cette déclaration? Ne s'agissait-il pas de ses mots?
J'ai du mal à comprendre les ambitions de Fethullah Gülen. Aspire-t-il simplement à organiser un mouvement qui cherche l'amélioration personnelle des Turcs, ou y a-t-il autre chose? A-t-il une ambition politique? J'ai du mal à l'évaluer.
Comme je l'ai mentionné dans mes remarques liminaires, le mouvement a créé plus de 1 000 écoles qui comptent parmi les plus performantes de la Turquie. Les meilleurs et les plus brillants sont diplômés de ces établissements. Ils ont le droit d'entrer dans n'importe quelle institution gouvernementale, en fonction bien sûr de leurs mérites et de leurs qualifications. C'est tout à fait naturel puisque ce sont les meilleures écoles de la Turquie; beaucoup d'entre eux viennent de ces écoles, qu'ils soient gülenistes ou non. Bien des Turques n'ont rien à voir avec le mouvement Gülen. Ils envoient tout de même leurs enfants dans ces écoles, y compris certains législateurs du parti d'Erdogan qui voulaient que leurs enfants aient les meilleures chances.
Pour ce qui est de l'invitation qui a été lancée il y a de nombreuses années, les propos ont été déformés et fabriqués. En fait, l'affaire a duré près d'une décennie. Elle a pris fin en 2008, et Gülen a été acquitté des accusations. Cependant, c'est repris chaque fois que des politiciens veulent riposter.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication