SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 23 octobre 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Bienvenue. Le Comité poursuit son étude sur la situation des droits de la personne du peuple ouïghour.
Aujourd'hui, nous accueillons M. Darren Byler, chargé de cours de niveau postdoctoral au département d'anthropologie de l'Université de Washington, qui a fait beaucoup de recherches sur les Ouïghours et rédigé de nombreux articles à leur sujet.
Bienvenue au Comité, monsieur Byler. Vous avez 10 minutes pour votre exposé, puis nous passerons aux séries de questions des membres du Comité.
Allez-y.
Je veux d'abord remercier le Comité de consacrer de nombreuses séances à ces importants enjeux.
Dans les 10 minutes qui me sont accordées, je vais vous présenter un aperçu de la situation des Ouïghours, en fonction de mes recherches. Je parlerai brièvement des causes, puis je ferai des suggestions de politiques.
Il y a de plus en plus de preuves que l'État chinois pratique la détention extrajudiciaire systématique massive des Ouïghours, des Kazakhs et d'autres minorités musulmanes. Ce processus évoque les moments les plus horribles de l'histoire moderne. Dans le passé, de tels processus ont entraîné des traumatismes générationnels et une élimination sociale. Ils ont brisé des familles, détruit des formes de connaissances autochtones et ont parfois entraîné des morts massives.
Depuis 2017, des centaines de milliers d'Ouïghours et de Kazakhs ont disparu dans un vaste système de centres de transformation par l'éducation dans le Nord-Ouest de la Chine, la région du Xinjiang. Presque tous les Ouïghours et les Kazakhs de Chine ont un membre de leur famille immédiate qui est interné dans ce système de camps de rééducation. Ce projet d'ingénierie humaine touche tous les aspects de leur vie.
Comme l'universitaire Gene Bunin l'a souligné récemment, les Ouïghours se considèrent désormais comme un « peuple détruit ». Comme je l'ai observé lors d'une visite dans la région en avril 2018, l'expression « tout le monde est parti » — ou « tout le monde a disparu » — en est une que les Ouïghours répètent régulièrement. De nombreuses entreprises appartenant à des Ouïghours ont fermé leurs portes dans tout le pays. Dans les villes et les villages ouïghours de leur terre d'origine, des rues entières ont été abandonnées.
La détention massive de musulmans s'est accélérée en 2017, lorsque le secrétaire du Parti de la région, Chen Quanguo, encouragé par le gouvernement de Xi Jinping, a institué une évaluation massive de la société ouïghoure et kazakhe. Chen a demandé au personnel de sécurité de déterminer qui, parmi les musulmans, était d'âge militaire, était chômeur, avait étudié ou enseigné des formes non autorisées d'islam, avait voyagé à l'étranger ou eu des contacts internationaux et détenait un passeport. Les personnes dont la situation correspondait à une ou plusieurs de ces catégories ont été déclarées dangereuses, sans procédure régulière. L'État a déterminé que leur vision du monde devait être éradiquée de la société.
À la suite de cette catégorisation, la police a envoyé des centaines de milliers d'hommes et de femmes dans un système de détention à des fins de rééducation. Des centaines de milliers d'autres personnes ont été officiellement arrêtées et condamnées en vertu des lois antiterroristes de la Chine, qui reposent sur des définitions très larges. En 2017, 21 % des personnes arrêtées dans le pays provenaient des terres d'origine des Ouïghours et des Kazakhs en Chine.
Des dizaines de milliers d'enfants des personnes détenues sont devenus des pupilles de l'État et sont élevés dans des établissements gérés par l'État et axés sur l'éducation en langue chinoise et sur les valeurs et les pratiques culturelles han. Selon certains rapports, la langue ouïghoure est interdite dans ces écoles.
Ce processus a également visé explicitement les Ouïghours qui exercent une influence sur les plans social et culturel. Le gouvernement de Xi et de Chen a arrêté ou fait disparaître des centaines d'intellectuels ouïghours en vue. Plusieurs de ces personnalités, même celles auparavant considérées comme de loyaux membres du Parti communiste, ont été condamnées à mort pour leurs supposées tendances extrémistes.
Les conditions dans les centres de détention sont souvent très mauvaises. De nombreux rapports font état de malnutrition et de détresse psychologique grave parmi les détenus. Dans certains cas, les lacets et les ceintures sont confisqués en raison de la prévalence de l'automutilation et du suicide. Ceux qui ne participent pas à la rééducation politique sont souvent battus, isolés et soumis à des formes de violations religieuses et psychologiques. De nombreux cas de décès ont été signalés dans les centres, en particulier chez les personnes âgées et les infirmes, mais également chez les personnes plus jeunes qui étaient en bonne santé au moment de leur arrestation.
Tous les musulmans de la région vivent maintenant sous la menace d'être envoyés dans des camps de rééducation. Il semble que, dans de nombreux cas, les fonctionnaires locaux se voient confier le mandat de détenir un certain pourcentage de la population de leur territoire. Il est à présent interdit, pratiquement, à tous les musulmans des régions ouïghoures et kazakhes de Chine de pratiquer l'islam en public ou en privé. En outre, dans la plupart des cas, il leur est interdit de sortir de leur région d'origine sans permission.
Bien que les grandes mosquées du vendredi restent ouvertes, la majorité des mosquées de la région ont été détruites. Les Ouïghours sont obligés, à des postes de contrôle, de se soumettre à la lecture de leur pièce d'identité et, dans certains cas, à la reconnaissance faciale, simplement pour se promener dans le voisinage et fréquenter les mosquées encore ouvertes. Par conséquent, la majorité des Ouïghours et des Kazakhs ont cessé de pratiquer leur foi.
Pourquoi cela se produit-il maintenant?
Depuis 2014, l'État chinois s'est engagé dans ce qu'il appelle une « guerre populaire contre la terreur ». Dans le discours du gouvernement, seuls les gens qui se distinguent par leur apparence de la majorité chinoise, du peuple han et qui, dans la plupart des cas, pratiquent des formes de l'islam, peuvent être qualifiés de « terroristes ». Cela signifie que l'État mène en fait une guerre contre l'expression publique des cultures minoritaires musulmanes et turques.
Il y a deux raisons principales à cela. Premièrement, depuis le début des années 2000, l'État a accéléré la migration des Hans vers les terres des Ouïghours et des Kazakhs en Chine afin de développer l'extraction des ressources naturelles, de renforcer le contrôle des régions frontalières et de développer de nouveaux marchés. Cela a mené à la violence et à la concurrence pour les emplois dans la région, ce qui a provoqué des manifestations à grande échelle. L'atmosphère d'oppression, de dépossession et d'injustice découlant de cette situation a engendré une spirale de conflits en cascade entre les civils ouïghours, la police et les civils hans, tant dans la province que dans d'autres régions du pays.
Ces incidents, dont la responsabilité était universellement rejetée sur les Ouïghours dans le discours de l'État, étaient généralement des réactions spontanées, à petite échelle et défensives face à la brutalité policière et à la violence de l'État. Cela n'avait rien d'une insurrection organisée, contrairement à ce que laissait entendre l'État.
Deuxièmement, en 2010, dans le cadre d'une initiative de développement plus vaste, l'État a commandité le déploiement de réseaux 3G dans la région. En 2012, l'application des médias sociaux WeChat est arrivée dans la campagne ouïghoure. Presque immédiatement, les Ouïghours ont acheté des téléphones intelligents bon marché et ont commencé à utiliser l'application pour communiquer les uns avec les autres et avec les Ouïghours de la diaspora.
Comme l'État n'a eu aucun moyen, pendant plusieurs années, de réglementer l'expression ouïghoure sur l'application — à défaut d'une technologie pour la censurer —, une grande partie de la discussion en ligne était axée sur la pratique religieuse. En conséquence, entre 2012 et 2014, beaucoup de gens se sont tournés vers les formes les plus courantes de l'islam sunnite.
À la même période, des manifestations politiques des Ouïghours et quelques incidents plus violents dirigés contre les civils hans à Kunming, à Beijing et à Ürümchi ont été les premiers signes de violence motivée par des croyances religieuses.
Les autorités de l'État ont considéré ces incidents et les nouvelles expressions de la foi musulmane comme un signe de la montée de l'extrémisme dans l'ensemble de la population au lieu d'évaluer le petit nombre de personnes responsables d'actes de violence très différents du simple fait de pratiquer des formes de piété islamique.
Les autorités ont aussi commencé à utiliser des outils de surveillance pour examiner les activités religieuses antérieures des Ouïghours en ligne. C'est à ce moment-là que la définition des « extrémistes » et des « terroristes » a commencé à englober des centaines de milliers, voire des millions de membres de la population ouïghoure.
Ensemble, ces deux facteurs ont amené les autorités de l'État à déterminer, en 2017, que la sécurité n'était pas suffisante pour assurer une stabilité durable et qu'il fallait plutôt rééduquer de larges segments de la population minoritaire.
Soyons clairs: la présence de musulmans pieux en Chine n'a jamais représenté de menace existentielle pour la nation. La pratique religieuse est un droit protégé par la constitution chinoise. Comme la plupart des régimes coloniaux, les autorités chinoises s'intéressent surtout aux terres et aux ressources des régions visées par la colonisation. Retirer ces populations musulmanes de leur terre d'origine et les placer dans ce système sont des mesures qui font partie intégrante de ce processus.
Je vais maintenant passer aux propositions en matière de politiques. Les dirigeants américains et européens ont d'importantes discussions sur l'imposition de sanctions économiques à l'égard des principaux dirigeants chinois et des entreprises de sécurité qui participent à ce processus. On discute également de nouvelles mesures d'aide aux demandeurs d'asile ouïghours et kazakhs.
Je recommande que le Sous-comité publie une déclaration officielle pour exiger que Xi Jinping et Chen Quanguo abolissent immédiatement le système de détention de la transformation par l'éducation et libèrent tous les détenus ouïghours et kazakhs.
J'appelle aussi le Sous-comité à présenter un projet de loi prévoyant des sanctions économiques à l'encontre des autorités chinoises et des entreprises de technologie qui bénéficient de ce processus.
Enfin, ce serait formidable si le Sous-comité présentait un projet de loi par lequel le Canada se joindrait à l'Allemagne et à la Suède en accordant l'asile, selon un procédé accéléré, aux Ouïghours et aux Kazakhs de Chine et en refusant, dans tous les cas, d'expulser des Ouïghours et des Kazakhs vers la Chine.
Je vais m'arrêter ici; c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Merci beaucoup, monsieur Byler.
Nous passons aux questions, en commençant par M. Sweet, pour sept minutes.
Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci beaucoup, monsieur Byler, de votre exposé. J'espère que notre rapport encouragera à tout le moins le gouvernement à s'attaquer à certains des enjeux que vous avez mentionnés et qu'il veillera particulièrement à ne pas autoriser l'extradition d'Ouïghours ou de Kazakhs du Canada.
J'ai constaté au fil des ans, pour avoir suivi la situation au Tibet, et maintenant la situation des Ouïghours, que la République populaire de Chine, ou le Parti communiste, a toujours recours à la répression plutôt qu'au dialogue pour l'exploitation des ressources de l'une ou l'autre de ces communautés ethniques. Le pays procède toujours par la force. La même chose s'est produite au Tibet, lorsque des Hans ont été envoyés au Tibet pour peupler la région, intimider les Tibétains et affaiblir leur culture.
La question est peut-être trop vaste pour le moment, mais selon vous, la stratégie de la République populaire de Chine de toujours procéder par la force vise-t-elle à indiquer clairement au reste de la population que le gouvernement peut prendre ce qu'il veut?
Je pense que les autorités chinoises ont notamment à l'esprit l'immense population du pays, soit 1,4 milliard d'habitants. On croit que le Tibet et le territoire des Ouïghours, la région du Xinjiang, pourraient accueillir beaucoup de Hans des régions surpeuplées de l'est.
La Chine souhaite aussi, dans le cas du Xinjiang, améliorer l'accès à l'Asie centrale en développant la nouvelle route de la soie, que les Chinois appellent l'initiative « Une ceinture, une route », afin d'ouvrir de nouveaux marchés, etc. Ils s'intéressent aussi à l'extraction des ressources dans cette région, qui produit environ 20 % du pétrole et du gaz naturel du pays.
Toutefois, en ce qui concerne le dialogue et toutes ces choses, le discours de l'État est centré sur ce qu'il offre aux Ouïghours, notamment l'accès gratuit à l'éducation et, dans certains cas, l'aide au logement. En effet, de nombreux Ouïghours ont été déplacés de leurs terres et vivent maintenant dans des logements subventionnés. L'État considère que c'est un avantage net pour cette population, car cela favorise le rapprochement avec le reste du pays et les fait profiter des avantages économiques. Je pense que ce processus est en fait un processus d'assimilation qui permettra également aux Hans d'autres régions de Chine et à leurs entreprises d'avoir accès à ces ressources.
Je pense que vous avez raison de souligner que l'État procède par la force, car il n'y a pas vraiment de dialogue. Les Ouïghours n'ont d'autre choix que d'accepter cet état de fait. Je pense toutefois que de son point de vue, l'État considère agir de façon juste et équitable. Les Chinois pensent que leur présence dans ces territoires offre aux Ouïghours et aux Tibétains la possibilité de s'intégrer aux Hans, de s'assimiler et de se sortir de leur mode de vie dépassé. Les Chinois qualifient souvent les Tibétains et les Ouïghours de « rétrogrades » et considèrent ces régions comme sous-développées. Pour eux, le développement est une bonne chose.
Nous avons reçu un courriel d'une communauté ouïghoure canadienne. Il portait sur l'un des aéroports chinois, où l'on avait aménagé une voie rapide pour ceux qui voyageaient au pays pour une greffe d'organe. La communauté voulait nous informer de l'existence d'un important marché de prélèvement d'organes, une pratique dont les Ouïghours ont été victimes.
Avez-vous des preuves empiriques ou anecdotiques à ce sujet?
J'ai certaines données anecdotiques à ce sujet. Je n'ai pas vu de données empiriques. C'est assez difficile à évaluer pour les chercheurs de l'extérieur. J'ai entendu des infirmières et d'autres intervenants du système médical chinois au Xinjiang dire qu'ils ont commis ces gestes... qu'ils ont retiré les organes alors qu'une personne était en train de mourir, ni plus ni moins. J'ai aussi rencontré un chirurgien qui a commis de tels gestes par le passé et qui vit maintenant au Royaume-Uni.
Des données importantes montrent que c'est ce qui se passe. Nous ne savons pas dans quelle mesure, toutefois. Ce qui inquiète beaucoup les Ouïghours, c'est qu'en 2017, dans le cadre des efforts de rééducation, l'État a exigé des Ouïghours qu'ils fournissent des échantillons d'ADN à la police, en plus de donner leur groupe sanguin et leurs empreintes, et de donner une lecture de leur iris et de leur visage, une signature vocale... toutes ces données biométriques. On s'inquiète que l'ADN recueilli soit utilisé pour faire un jumelage en vue du don d'organes.
Nous avons de nombreuses preuves voulant que tout cela puisse se produire, mais nous n'avons pas de preuves solides pour le démontrer ni pour savoir dans quelle mesure cela se produit. Nous ne connaissons pas l'ampleur du phénomène.
Il me reste deux minutes, et j'aimerais vous poser une dernière question. Vous avez parlé de violation religieuse et psychologique. Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par cela?
Nous avons entendu dire que dans les camps, les gens qui n'acceptent pas le programme de rééducation ou les séances de lutte imposées — où ils doivent se tenir devant les autres et dénoncer leurs crimes du passé, comme l'étude du Coran, l'apprentissage de la langue arabe, les voyages à l'étranger ou un autre crime supposé — ou qui refusent d'effectuer certaines tâches sont souvent assujettis à une punition. Ils sont isolés; ils sont placés dans des positions douloureuses; ils sont battus; on les force à manger du porc, alors qu'il s'agit d'une grave violation religieuse pour les Ouïghours.
Ils subissent d'autres violations psychologiques: on remet en doute leur virilité ou leur masculinité, ou on dénonce leurs parents. Tous ces gestes sont posés pour déclencher certaines réactions chez le détenu et pour le casser d'une certaine façon.
Ce n'est pas une situation propre à la Chine. D'autres gouvernements le font également. Le gouvernement américain a fait des choses similaires aux détenus dans d'autres situations, mais tout cela est assez horrible, surtout parce que ces gens n'ont commis aucun crime en vertu des normes internationales. Ce ne sont pas des extrémistes ou des terroristes, loin de là.
Merci, madame la présidente.
Monsieur Byler, est-ce que des voix au sein du Parti communiste chinois — que ce soit aujourd'hui ou par le passé — se sont élevées pour faire valoir l'adoption d'une autre approche que celle qui est préconisée par l'État chinois à l'égard de cette situation? Est-ce qu'il y a des voix dissidentes qui se font entendre en coulisses?
Par le passé, les Ouïghours ont eu leurs propres leaders politiques qui travaillaient au sein du Parti communiste chinois. Certains d'entre eux ont tenté de certaines façons de défendre les droits des Ouïghours et une plus grande autonomie pour le peuple. Les Ouïghours vivent maintenant dans ce qu'ils appellent la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Ainsi, selon la constitution, ils jouissent d'une certaine autonomie et de certains droits. Dans les faits, toutefois, je dirais que depuis les années 1990 cette autonomie n'est pas présente sur le terrain.
Ces dernières années, certains leaders communistes chinois comme Zhang Chunxian, l'ancien secrétaire du parti, ont posé certains gestes. Zhang Chunxian a été démis de ses fonctions, parce qu'on le jugeait trop clément, mais ce n'était pas le cas. Il a défendu les campagnes de « la ligne dure » et y a participé. C'est lui qui a entrepris la « guerre du peuple contre la terreur ». Toutefois, il a permis à certains Ouïghours d'obtenir un passeport et de voyager à l'étranger, vers la Turquie.
Pour cette raison — c'est ce que je crois, du moins —, il était perçu comme étant trop clément et trop ouvert à l'égard des Ouïghours. Il a dit qu'il avait permis à certains Ouïghours d'obtenir un passeport, parce qu'il ne fallait pas tous les punir pour les fautes de quelques-uns d'entre eux. Selon lui, on devait laisser les bons Ouïghours voyager s'ils le souhaitaient; les laisser entreprendre une carrière, etc.
L'État chinois adopte maintenant une approche très stricte à l'égard d'une telle clémence. Il est passé d'une position de force à une position de « transformation ». Il tente d'établir ce qu'il appelle la « stabilité permanente », un genre de solution finale à ce qu'il appelle le problème ouïghour.
À ce sujet, vous avez soulevé un point intéressant au sujet des Ouïghours qui travaillaient pour l'État. Pouvez-vous nous parler des efforts passés de l'État chinois, et même des efforts présents? Est-ce que les Ouïghours sont membres du Parti communiste chinois et participent à la prise de décisions? Est-ce que certains sont membres du cabinet?
Je pose la question, parce que j'ai vu cela dans d'autres conflits. Par exemple, dans le cas du conflit kurde au Moyen-Orient, l'un des moyens classiques utilisés pour ralentir la montée du nationalisme kurde consistait à intégrer les Kurdes à l'État ottoman et à l'État turc. La même chose s'est produite en Iran, en Irak et en Syrie. Est-ce que la situation en Chine ressemble à cela?
Par le passé, l'État aurait tenté d'avoir recours à un tel processus. L'un des dirigeants ouïghours admirés par bon nombre d'Ouïghours, Saifuddin Azizi, avait un grand pouvoir. Il était secrétaire de parti pour l'ensemble de la région. Certains leaders mongols ont aussi eu une grande influence au sein du bureau politique.
À l'heure actuelle, toutefois, aucun Ouïghour n'a accès à un tel niveau de pouvoir ou à une telle position. L'Ouïghour le plus influent, à mon avis, est le gouverneur de la région, mais la plupart des Ouïghours croient qu'il ne fait que répondre aux demandes du secrétaire de parti, qui exerce un réel pouvoir dans la province.
Au cours des deux dernières années, de nombreux Ouïghours d'influence — dont bon nombre sont membres du parti — ont été relevés de leurs fonctions. On assiste à l'épuration de ces leaders. Le président de l'Université du Xinjiang a été enlevé et condamné à mort, avec deux années de sursis.
On assiste au retrait des influenceurs culturels: des gens en situation de pouvoir au sein de la population générale; de la population ouïghoure. Même si ces gens tentent de respecter le système étatique, ils sont retirés.
Je vais vous poser une dernière question, si vous me le permettez.
Dans quelle région du monde la diaspora ouïghoure est-elle la plus active? Je suppose que, sur le plan de l'activisme politique, ce serait en Europe et en Amérique du Nord, mais pouvez-vous nous éclairer à ce sujet?
De façon plus importante, dans quelle mesure les autorités chinoises visent-elles à sévir contre cette activité politique et comment le font-elles, le cas échéant?
La plus importante diaspora ouïghoure se trouve au Kazakhstan et en Turquie. D'importantes populations se trouvent en Allemagne et aux États-Unis, surtout autour de Washington. La population au Kazakhstan, qui est la plus importante, est contrôlée de très près par l'État kazakh, parce que le Kazakhstan entretient des liens économiques et politiques très serrés avec la Chine. Les Ouïghours qui vivent là-bas craignent d'être expulsés ou réduits au silence d'une quelconque façon s'ils parlent trop fort. Ils pourraient être renvoyés en Chine même s'ils vivent au Kazakhstan et y sont des résidents autorisés.
En Turquie, les Ouïghours reçoivent l'appui de l'administration Erdogan. Cet appui était plus important par le passé. Je crois qu'aujourd'hui, on réduit encore plus les Ouïghours au silence, ce qui est lié à la politique turque de façon générale, à mon avis. Erdogan tente de gérer la situation depuis quelques années. Certains Ouïghours font partie du mouvement Gülen, ce qui fait qu'Erdogan les perçoit peut-être moins comme des alliés. Aussi, il souhaite maintenir une relation économique avec la Chine.
Je crois que l'Allemagne et les États-Unis adoptent une position plus ferme, dans une certaine mesure. L'Allemagne refuse maintenant d'extrader les Ouïghours en Chine et le siège social du Congrès mondial des Ouïghours est à Munich. L'organisation défend férocement les Ouïghours qui sont toujours en Chine.
Les interventions et l'aide des États-Unis sont plutôt limitées.
Merci, madame la présidente.
Dans le même ordre d'idée, nous pourrions peut-être parler du harcèlement dont sont victimes les Ouïghours à l'étranger. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
Le harcèlement dont sont victimes les Ouïghours et la diaspora à l'étranger est principalement dirigé vers les membres de leur famille qui se trouvent en Chine. La plupart des Ouïghours qui vivent à l'étranger ont des parents ou des proches en Chine. Leurs activités en ligne sont surveillées de près. La police communiquera avec les membres de la famille si un Ouïghour participe à une manifestation ou parle trop fort.
Cela a pour effet de réduire au silence les voix ouïghoures dans la diaspora. Les membres de la famille sont pris en otage et sont menacés de détention. Bon nombre des personnes qui vivent à l'étranger ont déjà des membres de leur famille en détention dans le système de camps, mais il reste peut-être encore un ou deux proches qui ne le sont pas, alors la menace plane toujours.
C'est le principal type de harcèlement. L'État chinois tente aussi de convaincre les Ouïghours de la diaspora de collaborer avec lui, de surveiller les Ouïghours à l'étranger et de faire rapport de leurs activités. De nombreux cas ont été documentés. Cette situation a un effet paralysant chez les Ouïghours de la diaspora, parce qu'ils sentent qu'ils ne peuvent pas parler librement, puisqu'ils sont surveillés par d'autres Ouïghours.
Ce sont les principaux types de harcèlement que je connais. Les agents chinois les observent aussi peut-être, mais je n'ai pas de détails à ce sujet.
J'ai entendu parler de quelques cas où les personnes ont été détenues dès leur arrivée à l'aéroport de Shanghai ou de Pékin. Des agents les escortent de l'avion. Ces gens sont souvent détenus pendant un certain temps à l'endroit où ils sont arrivés, au port d'entrée, puis des policiers du Xinjiang arrivent, les enchaînent et les amènent au Xinjiang où ils font l'objet d'un tri. Le centre de détention détermine si on les envoie dans un camp de rééducation ou s'ils sont coupables d'un crime plus grave pouvant entraîner une peine d'emprisonnement.
À l'heure actuelle, un Ouïghour ou un Kazakh qui retourne en Chine peut être arrêté sur-le-champ. J'ai entendu parler de quelques exceptions, mais dans bon nombre des cas, les gens sont arrêtés immédiatement. Même les gens qui entretiennent des liens assez importants avec les autorités gouvernementales du Xinjiang et qui avaient tenté d'assurer leur sécurité à leur retour ont été arrêtés.
De quelle façon la Chine exerce-t-elle une pression pour que les Ouïghours soient expulsés? Savez-vous comment on fait pour renvoyer les personnes de force?
La Chine a conclu des accords d'extradition avec le Kazakhstan, et aussi avec d'autres pays du Moyen-Orient, comme l'Arabie saoudite et l'Égypte. Ils ont regroupé les Ouïghours et les ont renvoyés. Je ne sais pas comment cela se passe à l'interne, surtout dans les pays du Moyen-Orient. Je sais qu'au Kazakhstan et dans d'autres républiques d'Asie centrale, on a signé certains accords officiels au début des années 2000, avec l'Organisation de coopération de Shanghaï.
C'est ainsi qu'on fonctionne. Dans les pays occidentaux, je ne le sais pas.
Avez-vous des recommandations précises à nous faire en vue de notre étude ou sur la façon dont nous devrions aborder la question des Ouïghours au Canada et dans d'autres pays? Y a-t-il une chose que nous devrions exprimer clairement dans l'une de nos recommandations?
Récemment, la Chine a refusé de renouveler les passeports de certains Ouïghours ou Kazakhs qui vivent dans la diaspora. Les gens qui vivent à l'étranger et qui ont un passeport chinois sont obligés de retourner en Chine pour obtenir un nouveau passeport. S'ils se présentent à l'ambassade chinoise et tentent d'obtenir un nouveau passeport, on leur donne un autre document, qui leur permet uniquement de retourner en Chine.
Les gouvernements de l'Europe et de l'Amérique du Nord pourraient aider les Ouïghours et les Kazakhs qui ont un passeport chinois à passer par le processus d'asile politique. La presque totalité des Ouïghours qui vivent à l'étranger et qui ont un passeport chinois croit qu'il est maintenant essentiel d'obtenir l'asile à l'extérieur de la Chine. Ils croient qu'il est impossible de retourner en Chine.
Ce sont là certaines recommandations que pourrait faire le Comité.
Nous allons passer à la deuxième série de questions. Monsieur Tabbara, vous disposez de cinq minutes.
Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Byler, de votre présence ici aujourd'hui.
J'essaie de comprendre comment le gouvernement central et la Chine perçoivent les Ouïghours. Est-ce que l'État a des preuves de gestes extrémistes ou d'actes de violence commis par les Ouïghours? D'où vient la menace et comment la Chine la perçoit-elle dans son gouvernement central?
Dans ma déclaration préliminaire, je vous ai parlé un peu de ce qui s'est passé au cours des années 2010, alors qu'on s'est tourné vers les formes pieuses de l'Islam. L'État chinois a perçu ce changement — et il s'agit en fait de formes traditionnelles de sunnisme et de hanafisme — comme étant la talibanisation de la population ouïghoure. Il craignait que les Ouïghours se tournent de plus en plus vers l'Afghanistan et l'Asie centrale.
Il y a eu aussi quelques incidents violents, dont un à Kunming, où une attaque au couteau a fait plus de 30 morts. La Chine dit que cet événement est « son 11 septembre ». Il y a aussi eu des attaques de type EIIS, où des véhicules ont écrasé des civils à Pékin et à Urumqi. Des dizaines de personnes sont mortes à chaque fois. L'une de ces attaques a même fait 30 morts ou plus. Aussi, les auteurs de ces attaques portaient des drapeaux noirs avec des inscriptions arabes, qui semblaient indiquer qu'ils s'adonnaient à une sorte d'acte islamique violent. La Chine a perçu ces gestes comme un signe que le terrorisme faisait son entrée au pays; ils correspondaient à la définition du terrorisme.
Le problème, c'est que la Chine confond les auteurs de ces actes terroristes et la population dans son ensemble, alors que la plupart des Ouïghours ne souhaitent aucunement — et ne souhaitaient pas — commettre des actes violents contre les civils, la police ou l'État. Ils voulaient seulement vivre leur vie et pratiquer leur foi. Ils voulaient une meilleure vie pour leurs enfants. C'était leur principale préoccupation. L'État n'a pas reconnu cela.
Dans votre déclaration, vous avez dit que la Chine percevait le mode de vie et la pratique religieuse des Ouïghours comme une menace au statu quo. Je crois que c'est ce que vous avez dit dans votre témoignage.
Non, je ne crois pas que les Ouïghours n'aient jamais été une menace existentielle pour la Chine. Je crois toutefois que la Chine est d'avis que l'autonomie et la société ouïghoures telles qu'elles étaient empêchaient l'accès ouvert aux marchés et aux ressources naturelles de la région. C'est en partie pourquoi la Chine voulait les reprogrammer et les retirer de leur terre par l'entremise de ce processus, afin que les colons et les entreprises Hans puissent exploiter et extraire les ressources. C'est ainsi que je comprends la situation.
La Chine percevait les Ouïghours comme une menace pour la sécurité dans une certaine mesure; c'est la principale menace pour la sécurité chinoise. Selon ce que je comprends d'après toutes les données probantes que j'ai vues, c'était une grossière exagération.
C'est une revendication peu solide.
Aussi, la population de la province du Xinjiang est d'environ 22 millions de personnes, si je ne me trompe pas.
Y a-t-il d'autres minorités assujetties au même type de traitement? Est-ce que ce sont principalement les Ouïghours ou est-ce le cas aussi pour d'autres groupes minoritaires?
Ce traitement est surtout réservé aux Ouïghours, mais il y a d'autres minorités dans la province. Il y a environ 11 millions d'Ouïghours, environ 1,5 à 2 millions de Kazakhs, et 1 million d'Hui, des Chinois musulmans qui vivent dans la province. Ces trois populations risquent la détention; les Hui beaucoup moins, parce qu'ils ne sont pas perçus à titre de menace existentielle d'une quelconque façon. Ils parlent chinois et se fondent assez bien dans la population générale, dans la plupart des cas.
Les Ouïghours et les Kazakhs sont perçus à titre de menace dans une certaine mesure parce qu'ils ont des revendications territoriales, ou du moins c'est ce qu'ils croient. On leur a accordé l'autonomie par le passé et leur langue maternelle est le turc; on les perçoit comme étant radicalement différents.
Ils semblent aussi différents sur le plan phénotypique, en ce qui a trait à leur profil racial — selon le discours chinois, du moins —, alors on les perçoit à titre de groupe distinct, qui est différent de la majorité Han, tandis que les Hui peuvent s'y fondre.
Merci beaucoup.
Nous n'avons plus de temps. Nous allons passer à M. Anderson. Vous disposez de cinq minutes.
Merci, madame la présidente, et merci à vous, monsieur, d'être ici aujourd'hui.
Au début de votre déclaration préliminaire, vous avez fait une affirmation forte. Vous avez dit: « Ce processus évoque les moments les plus horribles de l’histoire moderne. »
Est-ce que les données probantes que vous avez recueillies vous permettent de faire de telles affirmations et de les appuyer? Je me pose la question, parce que certaines personnes se demandaient si ces récits étaient exacts ou si nous pouvions les vérifier. J'aimerais savoir si, à votre avis, ils peuvent être vérifiés. Est-ce que les témoignages que nous entendons au sujet de ce qui s'est passé dans la région sont exacts?
Nous pouvons dire avec confiance que nous connaissons l'ampleur de la situation. Lorsque j'ai visité la région, il était évident que d'importants segments de la population étaient manquants dans les villes. Lorsque je parlais aux gens, ils me disaient que bon nombre d'entre eux avaient été amenés dans ce qu'on appelle les « écoles » ou qu'ils étaient « partis étudier », ce genre de choses. C'est la réalité; cela ne fait aucun doute.
Nous n'avons pas beaucoup de renseignements sur ce qui se passe dans les camps, malheureusement. Nous savons que certaines personnes ont été envoyées dans les camps puis relâchées, mais elles sont très peu nombreuses. La plupart des gens qui ont été libérés étaient des citoyens kazakhs qui avaient été pris par erreur et qui sont restés dans les camps pendant quelques mois avant d'être libérés et envoyés au Kazakhstan, parce que le gouvernement kazakh était intervenu en leur nom.
Ce sont eux qui peuvent rapporter ce qui se passe là-bas. Nous pouvons voir les camps grâce à l'imagerie satellite. Nous voyons qu'ils prennent de l'ampleur au fil du temps. Nous avons des données fondées sur les témoignages des gens qui ont été libérés au sujet du surpeuplement, des conditions de vie dans les camps et de la sous-alimentation. Nous ne pouvons pas prouver ou dire avec certitude qu'on tente d'affamer les membres de cette population, mais selon les normes élémentaires en matière de santé, leur alimentation ne contient pas suffisamment de calories pour qu'ils puissent vivre confortablement. On affaiblit les gens. Nous avons entendu dire qu'on procédait à des expériences avec diverses drogues comme des tranquillisants, mais nous ne pouvons vérifier ces affirmations.
Nous aimerions avoir plus de données, mais la Chine ne veut pas nous les transmettre.
Oui, exactement.
J'aimerais connaître votre opinion au sujet de la répression.
Le gouvernement s'est engagé à la sinisation de toutes les religions de la Chine, ni plus ni moins. Croyez-vous que cela va s'étendre à d'autres communautés confessionnelles? Je crois qu'il s'agit d'une amplification de ce qui s'est passé au Tibet. Comment croyez-vous que la situation évoluera au pays, surtout lorsqu'on sait que le gouvernement cible maintenant les églises chrétiennes également?
Il est évident que la Chine cible ce qu'elle appelle les « religions étrangères », c'est-à-dire des religions non traditionnelles pour la majorité Han. Le christianisme est ciblé dans une certaine mesure, tout comme l'islam. Je crois toutefois que l'islam est ciblé davantage, parce qu'on le perçoit comme une religion menaçante; comme une maladie idéologique. On peint souvent cette religion comme une maladie qui doit être guérie ou éradiquée. C'est une tumeur, un cancer de la société. L'islamophobie est largement répandue et endémique dans la population générale et dans le discours de l'État chinois. Elle est beaucoup plus importante que la lutte contre le christianisme, mais les chrétiens sont aussi réprimés. La plupart des chrétiens appartiennent à la majorité Han, alors ils ne sont pas tout à fait traités comme les Ouïghours ou les Kazakhs.
La semaine dernière, on a rapporté que l'État avait adopté des lois ou des règlements pour légaliser les camps. Qu'est-ce que cela change à la situation? Qu'est-ce qu'on a tenté de faire? Est-ce que c'était une question de relations publiques en Chine? Qui tentait-on de convaincre qu'il s'agit d'un exercice légitime?
À mon avis, la légalisation des camps était une réponse directe à la pression internationale de l'ONU et des gouvernements occidentaux, et au discours des médias internationaux qui parlent de ce qui se passe dans ces camps. Le gouvernement renforce sa position et dit: « Voilà ce que nous faisons; nous en sommes fiers. » C'est une stratégie qui diffère de la contre-insurrection, par exemple, mais c'est une meilleure stratégie. La Chine croit qu'elle peut vendre son produit à d'autres pays, comme les États autoritaires qui veulent contrôler les musulmans.
En même temps, il se peut aussi — comme c'est souvent le cas en Chine — que de l'extérieur, le gouvernement semble s'affirmer, mais qu'au bout du compte, il se rende compte qu'il est allé un peu trop loin et qu'il doit reculer.
Il est trop tôt pour prédire ce qui se passera, mais il y a toutes sortes de possibilités.
Monsieur Byler, pouvez-vous nous dire quelle place les Ouïghours occupent dans l'imaginaire national de la Chine, si je puis dire; au sein du nationalisme Han, par exemple? Les Ouïghours sont peut-être perçus par les fervents nationalistes Hans à titre de menace inhérente à l'identité ou à l'unité de l'État. Est-ce qu'il y a une partie de vérité là-dedans?
J'aimerais poser une question complémentaire, rapidement. Dans quelle mesure cela explique-t-il la situation actuelle?
Les Ouïghours font partie de 56 groupes ethniques en Chine, selon le cadre officiel. Pendant longtemps, les Ouïghours et les minorités ethniques en général étaient permis. On les célébrait comme étant une forme de multiculturalisme socialiste, mais dans les faits, seules certaines différences étaient acceptées. Les Ouïghours pouvaient faire leurs danses ethniques et s'habiller d'une certaine façon; on n'avait pas de problème avec cela. L'idéologie qu'ils pratiquaient, toutefois, devait s'harmoniser à l'idéologie communiste.
Les choses ont commencé à changer dans les années 1990, je crois, lorsque les républiques de l'Asie centrale se sont formées à la suite de la chute de l'Union soviétique et que les Ouïghours ont commencé à parler d'avoir leur propre nation au Turkestan oriental ou en Ouïgouristan. Les Tibétains ont aussi manifesté leur désir d'avoir leur propre État.
La Chine a perçu ce développement à titre de menace existentielle pour la nation. L'État a sa politique « d'une seule Chine ». Taïwan était aussi considérée à titre de menace pour la nation dans cette politique. Pour la Chine, la fragmentation de la nation nuirait à son avenir.
En 2001, lorsque les États-Unis ont entrepris la guerre mondiale contre le terrorisme à la suite des attaques du 11 septembre, la Chine a commencé à décrire les Ouïghours comme étant des terroristes, et non plus des séparatistes. Ainsi, la menace de violence s'est trouvée amplifiée dans l'imaginaire chinois. De façon générale, on perçoit les Ouïghours comme étant des voleurs et des personnes violentes, et les hommes sont considérés comme étant particulièrement menaçants. Pour la nation chinoise et le peuple de Chine, il est très important de gérer la situation pour accroître la sécurité.
Il y a de nombreux autres groupes ethniques en Chine, comme vous le dites. Est-ce que c'est la minorité ouïghoure qui est particulièrement préoccupante pour l'État chinois?
En juillet 2017, la police italienne a détenu pendant une courte période le président du Congrès mondial des Ouïghours, Dolkun Isa, alors qu'il devait témoigner devant le Sénat italien. Dans quel contexte a-t-il été arrêté? Savez-vous pourquoi il a été détenu par les Italiens?
Je ne connais pas les détails des accusations, mais c'est le genre de choses que l'État chinois a utilisé contre bon nombre d'Ouïghours de la diaspora. Rebiya Kadeer, qui habite à Washington, a aussi été décrite comme étant une terroriste, une extrémiste — tous ces qualificatifs — par l'État chinois. Dolkun Isa a lui aussi fait face à de telles accusations.
Je n'ai rien vu qui puisse l'associer d'une quelconque façon à la résistance violente. C'est un politicien.
Je crois que c'est parce qu'un des leaders d'Interpol est de nationalité chinoise et qu'il a inscrit Dolkun Isa à la liste. Il a été détenu très brièvement puis a été relâché, ce qui donne à penser que les accusations n'étaient pas fondées. Il a été relâché et peut maintenant se déplacer librement.
Pour négocier à ce sujet avec la Chine, je crois qu'il faudrait imposer des sanctions. Je crois aussi qu'il serait judicieux de nous éloigner des entreprises technologiques qui travaillent dans ce système.
Par l'entremise de ce processus, la Chine tente notamment de développer une nouvelle forme de contre-terrorisme, de contre-insurrection, et de créer de nouveaux équipements en matière de cybersécurité qui pourraient être exportés. J'ai parlé à plusieurs personnes qui travaillent dans le secteur des technologies en Chine, et elles disent qu'on développe quelque chose qui pourrait être exporté selon l'initiative « Une ceinture, une route » — la nouvelle Route de la soie — parce que 60 % de la population musulmane du monde vit pour cette nouvelle initiative et que les États autoritaires voudront acheter ces nouveaux produits pour contrôler les populations des sociétés musulmanes.
Je crois qu'il serait très important que le Canada refuse d'acheter ces produits et ces processus. L'asile est aussi très important; c'est une chose qu'on pourrait faire de façon tangible pour aider les Ouïghours de la diaspora.
Voyez-vous des possibilités associées aux droits de la personne avec l'examen périodique universel qui arrive? Est-ce qu'il y a un potentiel là? Est-ce que nous devrions miser sur cette possibilité? Pourriez-vous nous en dire plus, le cas échéant?
Oui, tout à fait. Je crois que l'ONU pourrait jouer un rôle important en vue de renverser la vapeur en exerçant une pression sur l'État chinois. Ce serait une très bonne idée de miser là-dessus.
Je n'ai pas assez de détails pour vous parler avec confiance des mesures que nous devrions prendre — les prochaines étapes et tout cela —, mais je crois que nous devrions travailler avec nos alliés qui sont prêts à faire face à la Chine et à appuyer les Ouïghours dans leur bataille; ce seraient des mesures très importantes.
Merci beaucoup.
Je vous remercie, monsieur Byler, de votre témoignage d'expert. Je rappelle aux membres du Comité que, malgré le changement au calendrier de jeudi, nous allons tout de même siéger cette journée-là. Nous tiendrons une séance à huis clos, ce qui signifie que les membres du public ne pourront pas y assister, mais nous allons siéger à l'heure habituelle jeudi.
De plus, je tiens à remercier Naaman Sugrue, qui a été notre greffier des derniers temps. Il passera maintenant à autre chose.
Je souhaite la bienvenue à Erica Pereira, qui assurera le rôle de greffière du Comité, du moins de façon temporaire. Elle est actuellement la greffière du Comité des affaires étrangères, alors les membres du Comité la connaissent peut-être déjà. Nous vous souhaitons la bienvenue, Erica.
Sur ce, la séance est levée.
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