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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 030 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 3 novembre 2016

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Bonjour à tous.
    Avant de débuter et de passer à la présentation des témoins, je tiens à souligner la présence de l'honorable Irwin Cotler, président du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, un ancien membre du Sous-comité et un véritable héros dans le domaine de la défense des droits de la personne au Parlement du Canada.
    La réunion d'aujourd'hui du Sous-comité des droits internationaux de la personne est une séance d'information spéciale sur les allégations de prélèvements forcés et de trafic d'organes en Chine. Ce n'est pas un nouveau sujet pour le Sous-comité; il en a déjà été question dans les législatures précédentes, mais nous avons hâte d'entendre aujourd'hui où la situation en est rendue.
    Je souhaite la bienvenue aux témoins. Nous avons l'honorable David Kilgour, ancien député, ministre d'État et collègue, et il a déjà assumé la présidence du Sous-comité lors de législatures précédentes. David Matas, avocat et défenseur des droits de la personne, témoignera également en sa compagnie.
    Depuis 10 ans, les deux témoins examinent ce dossier et témoignent devant de nombreux organismes et comités législatifs, y compris notre sous-comité, et ce, à plusieurs reprises. Ils ont publié de nombreux rapports sur le prélèvement d'organes, et le plus récent a été publié plus tôt cette année.
    J'aimerais inviter nos témoins à faire leur exposé, et nous passerons ensuite aux séries de questions.
    Merci beaucoup.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous vos collègues de nous avoir invités à comparaître devant vous.
    Je vais prononcer mon discours en français, mais j'aimerais commencer sur une petite note humoristique.

[Traduction]

    J'ai demandé à tous les membres du Sous-comité si Irwin pouvait se joindre à nous, et je crois que vous avez tous donné votre accord, mais il refuse de le faire. Monsieur le président, pouvez-vous le réprimander pour outrage ou autre chose?
    Ce sujet est très loin d'être drôle. Veuillez donc m'excuser d'essayer d'ajouter une petite touche humoristique.
    Comme vous y avez fait allusion, monsieur le président, la coalition a demandé à David et à moi d'enquêter bénévolement sur la persécution des pratiquants du Falun Gong en 2006 — il y a bien longtemps — et d'examiner certaines allégations abracadabrantes en apparence provenant de la Chine concernant les pratiquants du Falun Gong.
    Nous avons produit deux rapports, et le troisième a été publié en 2009 sous la forme d'un livre: Bloody Harvest.
    J'espère que vous avez le livre. Je crois que nous pourrions vous en trouver un exemplaire, monsieur le président, si vous ne l'avez pas.
(1310)
    Nous sommes parvenus à la conclusion que 41 500 greffes avaient été effectuées en Chine uniquement entre 2000 et 2005 et que la seule source d’organes plausible était les pratiquants du Falun Gong. Mon collègue, David Matas, pourra vous donner plus de détails au sujet du Falun Gong. J'essaie seulement de rapidement passer en revue le document pour vous en donner les grandes lignes.
    Voici 3 exemples des 32 éléments de preuves qui nous ont permis de conclure que c'était la réalité. Des enquêteurs ont communiqué avec de nombreux hôpitaux et centres de détention partout en Chine en prétendant être des parents de patients. Nous avons découvert qu'une quinzaine d'établissements en Chine avaient des organes de pratiquants du Falun Gong qui pouvaient être transplantés. Un certain nombre de pratiquants du Falun Gong, qui ont quitté la Chine par la suite, nous ont dit qu’ils étaient systématiquement soumis à des tests sanguins lorsqu’ils étaient dans des camps de travaux forcés. Nous savions qu'un tel examen n’aurait pas pu avoir lieu pour des raisons sanitaires, puisqu’ils étaient régulièrement torturés et forcés de travailler dans des conditions épouvantables, dont il sera question dans un instant. Nous avons rencontré l’ex-épouse d’un chirurgien du district de Sujiatun, en Chine, à laquelle il avait confié avoir enlevé les cornées de 2 000 pratiquants du Falun Gong en l'espace de deux ans, soit de 2001 à 2003. Il lui a d’ailleurs avoué qu'aucun de ces « donneurs » n’avait survécu, parce que des chirurgiens avaient prélevé d'autres organes et que leurs corps avaient été brûlés. Je sais que les avocats ici présents savent qu'il s'agit d'une preuve par ouï-dire, mais je crois que c'est tout de même un témoignage convaincant.
    Malheureusement, Ethan Gutmann ne peut pas être des nôtres aujourd'hui, mais il a écrit The Slaughter. Son livre est l'aboutissement de sept ans de recherches. Il s'est penché sur les pratiquants du Falun Gong, les Tibétains, les Ouïgours et les communautés chrétiennes « de maison ». Selon son estimation la plus exacte, des organes ont été prélevés sur 60 000 à 65 000 pratiquants du Falun Gong ainsi que sur un nombre oscillant entre 2 000 et 4 000 Tibétains, Ouïgours et chrétiens « de maison » entre 2000 et 2008.
    Une mise à jour de nos ouvrages a été publiée en juin dernier, et le lancement a eu lieu à Washington, à Bruxelles et à Ottawa. Cette mise à jour propose un examen exhaustif de centaines d’hôpitaux en Chine en nous appuyant sur les archives, les sites Web, le nombre de lits disponibles et bien d'autres éléments. Nous avons conclu que le prélèvement d'organes en Chine se fait à une échelle industrielle.
    Nous concluons qu'au moins 60 000 greffes ont lieu chaque année en Chine. Comme vous le savez fort probablement, le gouvernement chinois prétend qu'il y en a quelque 10 000. Nous offrons beaucoup d'éléments de preuve — 740 pages, selon la taille de la police, et 2 400 notes de bas de page — qu’il existe un réseau de greffe d’organes dirigé par l’État qui est contrôlé par des politiques et des fonds nationaux et qui implique les systèmes de soins de santé militaires et civils.
    Notre mise à jour présente diverses conclusions, mais je vais m'en tenir à quatre. David Matas parlera peut-être des autres.
    Premièrement, le pillage d’organes en Chine est un crime dont le Parti communiste, les institutions étatiques, le système de santé, les hôpitaux et les professions associées aux greffes sont tous complices.
    La communauté mondiale intergouvernementale devrait diligenter une enquête institutionnelle indépendante sur les abus de greffe d’organes en Chine. Le gouvernement du Canada pourrait le faire. Nous sommes bien placés pour le faire, et je crois que tous ceux d'entre nous qui se sont penchés sur ce dossier sont convaincus que vous arriveriez à la même conclusion que nous.
    Le tourisme de transplantation en Chine ne devrait pas être protégé par le secret médical, mais bien surveillé ouvertement; nous croyons que le Canada devrait adopter des lois qui interdiraient aux Canadiens d’aller en Chine pour subir une greffe d’organe, tout comme le font déjà Israël, l'Espagne et Taïwan. Aucun pays, y compris le nôtre, ne devrait permettre à ses citoyens d’aller en Chine pour subir une greffe d’organe tant que la Chine n’aura pas arrêté de tuer ses propres prisonniers d'opinion pour leurs organes.
    Qu'est-ce que le Parlement du Canada ou le gouvernement du Canada peuvent faire?
    Au début de 2015, le Sous-comité... J'ai le plus grand respect pour le Sous-comité, et je crois que vous êtes probablement tous au fait de la motion adoptée dans laquelle vous exprimiez vos profondes préoccupations. Le Sous-comité a encouragé les professionnels de la santé à faire quelque chose pour y mettre fin. Il a demandé aux organismes de réglementation des professionnels de la santé et des scientifiques d’identifier, de pointer du doigt et d’ostraciser les personnes qui participent à cette pratique odieuse. Vous avez demandé au gouvernement du Canada de trouver des moyens de décourager et d’empêcher les Canadiens de prendre part au tourisme de transplantation.
    L'organisation Médecins contre le prélèvement forcé d’organes, ou la DAFOH, a été mise en candidature pour le prix Nobel de la paix de 2016 et regroupe des professionnels de partout dans le monde qui se prononcent contre le prélèvement forcé d’organes. Elle a publié certains documents, dont un communiqué de presse. Elle a notamment mentionné lors de sa conférence de presse que la Chine n’est pas prête à se joindre à la communauté mondiale du secteur des greffes fondées sur des valeurs éthiques en tant que partenaire égal et digne de confiance. Afin de pouvoir prendre au sérieux les déclarations du gouvernement chinois, des groupes de surveillance et des organismes médicaux doivent exiger du gouvernement chinois la divulgation complète du nom des prisonniers d’opinion utilisés comme sources d’organes, la transparence des sources d’organes et l’accès aux voies d’approvisionnement en organes de la Chine.
    Permettez-moi de parler brièvement des camps de travaux forcés. Des gens vous diront qu'ils n'existent plus, et je l'espère de tout coeur. Ces camps ont changé de nom. Ils étaient appelés durant un certain temps des centres de désintoxication, mais j'ai bien peur que ces camps existent encore bel et bien en Chine. Selon une estimation, il y aurait environ 350 camps du genre en Chine. Vous le savez peut-être, mais des gens peuvent y être envoyés à la suite d’une seule signature par un policier. Il n'y a ni appel ni audience. Un policier peut vous y envoyer jusqu'à trois ans, et vous y travaillez jusqu'à 16 heures par jour, sans salaire et dans des circonstances misérables.
    Des gens qui ont réussi à s’échapper des camps et à fuir le pays nous ont expliqué que les détenus fabriquent notamment des décorations de Noël, des jouets pour McDonald's et une panoplie de produits pour le compte de multinationales étrangères.
    Charles Lee était en fait Américain. Grâce aux pressions exercées par le Congrès américain, il a réussi à sortir de l'un de ces camps après y être resté trois ans, si je ne m'abuse. Il y fabriquait des pantoufles à l'effigie des Simpsons. Il est retourné au New Jersey et s'est rendu compte qu'il pouvait se procurer ces mêmes pantoufles dans un magasin près de chez lui. Jennifer Zang et Charles Lee figurent dans le documentaire Free China qui met en lumière ce qu'ils ont vécu dans ces camps. Comme vous pouvez vous en douter, ils y ont vécu des expériences horribles.
    En conclusion, j'aimerais vous parler du Dr Jacob Lavee qui vient de prendre sa retraite. Il était membre du Comité d’éthique de la Société de transplantation et une figure clé de la réforme des lois sur la greffe d’organes en Israël. Auparavant, les compagnies d'assurance en Israël envoyaient des gens en Chine et payaient la greffe d'organes. Le Dr Jacob Lavee a découvert un jour que l'un de ses patients cardiaques se rendait en Chine pour avoir un coeur et il a compris ce qui se tramait. Il a réussi à convaincre Israël de mettre fin à cette pratique et d'en gros rendre passible d'une infraction quiconque sert d'intermédiaire pour les gens qui se rendent en Chine pour une greffe d'organe, et c'est tout à son honneur.
(1315)
    Il a accordé une entrevue il y a quelques mois tout juste avant le congrès sur la transplantation d'organes à Hong Kong, et un extrait se trouve dans le document que vous avez. Voici ce qu'il a dit au journaliste Didi Kirsten Tatlow du New York Times: « Je suis un simple chirurgien juif spécialisé dans les greffes cardiaques et le fils d’un survivant de l’Holocauste. La raison pour laquelle je consacre beaucoup de temps à ce sujet est que je ne peux pas garder le silence face à un nouveau crime contre l’humanité. »
    J'aimerais citer une autre personne; c'est la professeure Maria Fiatarone Singh de l’École de médecine de l’Université de Sydney. Elle mentionne que « les personnes qui ne sont pas libres de consentir ne peuvent jamais être utilisées comme donneurs d’organes, car cela les empêche de réaliser leur potentiel humain et les déshumanise aussi complètement et devrait être donc inacceptable pour toute société du XXIe siècle ».
    Enfin, la DAFOH a récemment publié une réponse relativement à une conférence qui a eu lieu à Beijing il y a quelques mois au sujet de prétendues réformes du système chinois de transplantation. Son communiqué est plus long, mais permettez-vous de citer des extraits du communiqué, qui est également joint à votre déclaration, je crois.
Les médias chinois ont abondamment couvert une récente conférence qui a eu lieu à Beijing sur les processus relatifs aux dons d'organes. La conférence semble avoir été organisée avec l'appui du Comité national chinois sur le don et la transplantation d'organes, la Société internationale pour l'approvisionnement et le don d'organes et la Société de transplantation...
Vous ne le savez peut-être pas, mais la Société de transplantation est une très grande organisation qui représente tous les transplantologues dans le monde. C'est cette organisation qui a tenu la rencontre à Hong Kong à laquelle David et moi avons également participé.
... et l'Organisation mondiale de la santé. Divers éminents médecins internationaux qui ont participé à la conférence auraient fait l'éloge des réformes chinoises dans des déclarations. En dépit des beaux discours, rien n'indique que les sources d'organes pour la transplantation en Chine sont maintenant éthiques et transparentes.
    Nous avons ensuite le paragraphe suivant:
De grandes inquiétudes demeurent. Premièrement, il n'y a aucune loi qui interdit l'utilisation d'organes provenant de prisonniers exécutés. L'interdiction dont les autorités se vantent n'est rien d'autre qu'une annonce rapportée dans les médias. Deuxièmement, la question sémantique de la reclassification des dons d'organes provenant de prisonniers exécutés en dons d'organes faits par des citoyens de leur plein gré nous empêche de déterminer la véritable source des organes dans le système prétendument volontaire.
    Le dernier extrait est le dernier paragraphe du communiqué de presse:
Enfin, il est difficile de croire que cette situation est autre chose que de la propagande visant à faire diversion pour dissimuler les pratiques réelles en Chine. Les personnes qui défendent les réformes chinoises doivent maintenant demander des données fiables et vérifiables, un accès indépendant aux praticiens et aux parents, des visites à l'improviste dans des hôpitaux militaires et civils et un accès complet aux documents financiers relativement aux greffes d'organes.
    Merci, monsieur le président.
(1320)
    Merci beaucoup, monsieur Kilgour.
    Monsieur Matas, si vous êtes prêt, veuillez faire votre exposé.
     Merci de nous avoir invités.
    Permettez-moi de commencer par dire quelques mots sur le Falun Gong.
    Le Falun Gong est une série d'exercices reposant sur un fondement spirituel; c'est un peu l'équivalent chinois du yoga. Le mouvement a commencé en 1992, avec les enseignements de Li Hongzhi. Au départ, le gouvernement chinois en vantait les bienfaits pour la santé. En 1999, le nombre d'adeptes est passé de 70 à 100 millions de personnes, selon les estimations du gouvernement.
     Le Parti communiste a ensuite décidé d'interdire la pratique pour les raisons suivantes. Premièrement, ses adeptes sont très nombreux. Deuxièmement, le Falun Gong n'est pas un mouvement politique, mais il n'est pas non plus un mouvement communiste. Troisièmement, le Falun Gong fait appel à la spiritualité, alors que le Parti communiste est athée. Quatrièmement, le Falun Gong n'est pas une organisation, mais avec l'avènement des téléphones cellulaires et d'Internet, il recèle une capacité mobilisatrice.
    Par conséquent, le parti a entrepris une campagne de propagande et de répression contre le Falun Gong. Plusieurs centaines d'adeptes du Falun Gong ont été arrêtés. Ceux qui se sont rétractés ont été libérés, mais les autres ont été torturés. Ceux qui n'y ont pas renoncé, malgré les tortures, ont été placés en détention de façon arbitraire pour une période indéterminée.
    Parallèlement à l'expansion du Falun Gong, la Chine a mis sur pied une industrie de transplantation d'organes. La principale source d'organes servant aux transplantations était les prisonniers condamnés à mort et exécutés. Venaient ensuite les prisonniers d'opinion. Les premières victimes étaient les Ouïgours dans la province de Xinjiang.
    Un troisième changement s'était opéré en parallèle: le passage du socialisme au capitalisme. Le gouvernement chinois s'est mis à retirer les fonds accordés à de nombreux services publics, notamment dans le secteur de la santé, les obligeant ainsi à compter sur le financement du secteur privé. Cette conjugaison d'événements — la diffamation du Falun Gong et la détention massive de ses adeptes, le prélèvement d'organes sur des prisonniers et le besoin de financement pour les hôpitaux —, ainsi que d'autres facteurs, ont donné lieu au massacre des adeptes du Falun Gong dans le but de prélever leurs organes.
    Les prisonniers adeptes du Falun Gong sont devenus une source facile et inépuisable d'organes pouvant être vendus à des prix exorbitants à des touristes à la recherche d'organes. Ce fait est vite devenu manifeste, et nous venons d'entendre David Kilgour parler d'un certain nombre de facteurs probants qui le confirment.
    À l'époque, l'explication officielle donnée par le gouvernement chinois pour les prélèvements était qu'il s'agissait de dons, mais la Chine ne disposait pas d'un système de dons d'organes ni d'un système de distribution d'organes. La Chine a ensuite changé d'explication en alléguant que tous les organes provenaient de prisonniers condamnés à mort et exécutés; cependant, aux termes de la loi, les prisonniers condamnés à mort devaient être exécutés dans les sept jours suivant la sentence. Par ailleurs, les détenus criminels présentent un taux élevé d'hépatite B, si bien que de nombreux organes prélevés sur des prisonniers criminels sont inutilisables. L'absence de tout système de distribution d'organes et l'exigence de compatibilité selon le groupe sanguin, la dimension et, idéalement, le type de tissu laissaient entendre que le prélèvement d'organes sur les prisonniers condamnés à mort n'était pas plausible, compte tenu du volume élevé de transplantations.
    Aujourd'hui, le gouvernement chinois s'est remis à dire que tous les organes proviennent de dons. Il a établi des centres de dons, mais d'après nos propres enquêtes, ces derniers produisent des chiffres si minimes qu'ils sont statistiquement insignifiants. La Chine a également instauré un système d'achat et de vente, que le gouvernement qualifie de volontaire et qui vise à acheter des organes auprès des parents pauvres de patients qui sont sur le point de mourir dans les hôpitaux. Ce système d'achat et de vente génère probablement des chiffres pour compenser la baisse du nombre de peines de mort, mais pas plus.
    Les statistiques en Chine constituent une forme de propagande par voies détournées. David Kilgour, Ethan Gutmann et moi-même avions initialement accepté le chiffre officiel de 10 0000 et nous avons essayé d'en déterminer la provenance. Pour autant que nous sachions, les Chinois ont produit le chiffre de 10 000 par pure vantardise pour montrer à quel point la Chine est en avance en matière de technologies de transplantation. Or, ils se sont rendu compte, quoique tardivement, qu'ils n'avaient aucune explication pour la provenance des 10 000 organes; donc, même si le volume de transplantations a augmenté considérablement depuis la première fois où ils ont avancé le chiffre de 10 000, ils ont gardé le même chiffre.
    Dans le cadre de notre dernière mise à jour, nous avons décidé d'aller au-delà des statistiques officielles et de faire nos propres calculs. David Kilgour vous en a également parlé. Il y a beaucoup de détails à ce sujet, et je vous invite à jeter un coup d'oeil à la documentation, mais vous n'aurez pas de mal à reconnaître que nos chiffres élevés sont forcément exacts. Après la publication de notre rapport, le gouvernement chinois a établi un système d'autorisation pour les hôpitaux. Au départ, 1 000 hôpitaux effectuaient des greffes, et 800 d'entre eux ont présenté une demande d'autorisation. Ainsi, 146 centres de transplantation sont autorisés à greffer des foies et des reins, et 23 autres sont autorisés à greffer des coeurs et des poumons. Pour conserver leur autorisation, les centres doivent respecter des exigences minimales en matière de nombre de lits et d'effectifs.
(1325)
    Prenons le cas des greffes de foies et de reins. Si nous tenons compte uniquement des exigences minimales relatives au nombre de lits et que nous supposons un séjour beaucoup plus long que la durée moyenne du séjour des greffés dans les hôpitaux, en partant de l'hypothèse que l'établissement fonctionne au maximum de sa capacité, parce que la demande est très forte, nous obtenons un total de plus de 60 000 transplantations par année en Chine: 69 300. C'est le minimum.
    Examinons maintenant la question sous l'angle du personnel hospitalier. Si nous supposons que ces hôpitaux n'ont chacun qu'une seule équipe de transplantation — en fait, bon nombre d'entre eux en ont plusieurs — et que l'effectif ne travaille que les jours ouvrables, alors cela donne presque 54 000 transplantations par année.
    Jetons un coup sur les chiffres de quelques hôpitaux.
    L'hôpital de Tianjin effectue, d'après ses statistiques, 8 000 greffes par année. L'hôpital no 309 de Beijing, pour sa part, en effectue 4 000 par année. Ce n'est là que deux hôpitaux, et on obtient déjà un total de plus de 10 000 greffes.
    Là encore, nous venons d'entendre les recommandations de David Kilgour sur les mesures à prendre, et il va sans dire que je les appuie entièrement. Je me réjouis que le Comité ait déjà adopté une résolution sur le sujet, et il s'agit d'une bonne motion. Je dirais que nous observons au Canada beaucoup d'intérêt, de volonté, d'initiative et de sensibilisation à l'égard de ce problème, mais je crois que nous devons aller plus loin et prendre des mesures concrètes pour combattre ce vice. À mon avis, les recommandations de David Kilgour, que vous avez déjà entendues, doivent être mises en oeuvre à tout prix.
    C'est tout ce que j'avais à dire. Je vous remercie.
    Merci beaucoup, monsieur Matas.
    Nous allons maintenant passer aux questions.
    Monsieur Anderson, je crois que vous êtes le premier à prendre la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos témoins.
    Nous sommes également heureux de revoir M. Cotler, un de nos anciens.
    Monsieur Kilgour, vous avez évoqué la déclaration faite par le gouvernement chinois en décembre 2014, selon laquelle à compter de janvier 2015, la Chine cesserait d'utiliser les organes de prisonniers exécutés et adopterait un système volontaire de dons d'organes par les citoyens. Pensez-vous que le gouvernement chinois n'a pas la capacité ou la volonté d'honorer cet engagement?
    Oui, en effet. D'ailleurs, si vous voulez lire un document intéressant, David Matas a écrit un rapport sur Jiang Zemin, un porte-parole du gouvernement chinois dans ce dossier.
    David a repéré ses contradictions et ses — comment le dire poliment? — inexactitudes, qui sont nombreuses. Rendu à la fin du document, on a presque envie de rire parce que Jiang Zemin se contredit à tout bout de champ et il dit n'importe quoi à n'importe qui, dans le seul but de protéger le régime médical en Chine et le gouvernement chinois.
(1330)
    J'aimerais vous donner quelques minutes pour en parler. Nous n'avons pas beaucoup de temps, mais pouvez-vous expliquer...
    Je voudrais ajouter une observation. Vous avez posé une question intéressante.
    Pour ce qui est de la volonté, la réponse est évidemment non, mais la question est de savoir si le gouvernement chinois en a la capacité. Dans la situation actuelle, je doute que la Chine en soit même capable, parce que le pays est devenu si tributaire du prélèvement d'organes. De plus, tant de personnes sont complices de cet abus qu'il est presque impossible, dans le régime actuel, de dénouer le problème.
    Vous dites qu'il y a beaucoup de personnes qui en sont complices. Pouvez-vous nous dire, grosso modo, quelle est l'intervention des intérêts nationaux par rapport à celle des intérêts privés locaux? Quel rôle les autorités médicales locales jouent-elles? Y a-t-il une structure qui commence quelque part? Quels sont les niveaux de responsabilité qui entrent en jeu aux divers échelons?
    En ce qui concerne la persécution des adeptes du Falun Gong, c'est le comité central du Parti communiste. Cette décision a été prise lors d'une réunion tenue en juin 1999. Pour ce qui est du massacre des adeptes du Falun Gong, la décision a été prise lors d'un congrès du parti au Bureau 610, créé pour persécuter les disciples du Falun Gong en novembre 1999.
    Étant donné que le prélèvement d'organes sur les prisonniers avait précédé la persécution des adeptes du Falun Gong, le système de distribution d'organes était, à l'origine, administré par l'entremise des prisons et des tribunaux, et il s'agissait de prisonniers condamnés à mort. Tout est institutionnalisé. Le parti a également élaboré des plans quinquennaux, dans le cadre desquels il accorde une grande priorité à l'expansion de l'industrie de transplantation d'organes.
    Le problème ne tient pas tant à la présence d'une telle industrie qu'à sa croissance. En effet, l'industrie a gagné du terrain tout au long de cette période. La Chine a construit des hôpitaux ou des pavillons d'hôpitaux qui s'occupent exclusivement de transplantations. C'est institutionnalisé. Il ne s'agit pas de corruption. Ce n'est pas une activité à but lucratif. On ne parle pas de criminalisation. C'est une industrie gérée et dirigée par l'État.
    Soit dit en passant, le Bureau 610 doit son nom à la date du 10 juin. On trouve des bureaux auxiliaires partout en Chine. Il y en a d'ailleurs un à Hong Kong, et nous avons rencontré ses membres lorsque nous étions là-bas. Ils ont essayé d'empêcher la tenue de notre réunion. Je peux peut-être vous donner un exemple en guise d'explication.
    À propos, jusqu'ici, nous avons visité une cinquantaine de pays pour parler de ce problème. Si je ne me trompe pas, j'ai rencontré à Melbourne un ancien policier chinois qui m'a raconté qu'il avait travaillé pour le Bureau 610 et que, comme David l'a mentionné, pour forcer les adeptes du Falun Gong à renoncer à leurs croyances, la police était autorisée à tirer sur eux si tout portait à croire que la personne reprendrait la pratique du Falun Gong.
    Cela vous montre à quel point il s'agit d'un régime totalitaire, corrompu et effroyable. Il est difficile pour nous, Canadiens, comme pour quiconque, de comprendre comment fonctionne le Bureau 610, mais cet organisme est présent dans chaque université, ville, village et entreprise. Il couvre tout le pays. Le Bureau 610 a été créé par Jiang Zemin, qui, un jour à sa sortie du quartier général du parti à Beijing, a vu, comme David l'a dit, environ 10 000 personnes manifester. Devant lui se trouvaient des gens de tous les horizons: partisans communistes, militaires, diplomates, universitaires. Il est alors retourné à son bureau, puis il a écrit une lettre ridicule. Qui allait l'emporter: le Falun Gong ou le parti communiste? C'est, au fond, depuis ce jour que la guerre contre le Falun Gong fait rage.
    Je suis heureux de vous dire qu'aucun de nous n'a vu un membre du Falun Gong réagir avec violence à la brutalité que les adeptes subissent tous les jours, 24 heures sur 24, et, bien entendu, cela s'accompagne d'une diabolisation constante dans les médias.
    Voici une autre petite anecdote. Il y a quelques années, une amie à moi est allée à la place Tiananmen avec sa mère. Elles étaient en train de visiter les lieux avec un guide. De fil en aiguille, la question du Falun Gong a été évoquée durant la discussion, et le guide a dit: « Oh, le Falun Gong. Ces gens-là mangent leurs enfants. » Voilà donc le degré de diabolisation.
    David, qui a déjà écrit sur l'Holocauste, affirme que les génocides ne commencent pas par des actes, mais par des paroles.
    Il ne me reste plus beaucoup de temps, mais nous allons faire un détour. Vous êtes les experts en la matière. Y a-t-il d'autres pays qui vous préoccupent à l'heure actuelle dans ce dossier?
    Nous ne sommes pas une ONG; nous agissons à titre personnel et nous nous concentrons uniquement sur la Chine et les pratiques abusives de greffes d'organes et, le cas échéant, celles visant le Falun Gong. Ethan Gutmann a indiqué qu'il y a aussi des Ouïgours, des Tibétains et des chrétiens « de maison ». Nous avons lu son étude et nous y souscrivons, mais ce n'est pas l'objet de notre recherche.
    Bien entendu, il existe des pratiques abusives de greffes d'organes dans d'autres pays, mais elles diffèrent de celles utilisées en Chine parce qu'elles se déroulent dans la clandestinité. Il s'agit d'un marché noir. C'est un acte criminel. Ce n'est pas dirigé par l'État.
(1335)
    D'accord, voici une dernière question. Les conditions du marché entrent en ligne de compte. Souvent, l'offre reflète la demande. Que devrait faire le gouvernement canadien pour intervenir, en quelque sorte, ou pour limiter le tourisme de transplantation?
    C'est une très bonne question. Nous appuyons sans réserve— tout comme vous, j'en suis sûr — l'idée d'encourager des dons volontaires. En Israël, lorsque le gouvernement a interdit ses ressortissants d'aller en Chine pour les transplantations, il a déclaré que les personnes ayant signé une carte de don d'organes auront la priorité pour les greffes en cas de besoin.
    Il y a toutes sortes de choses que nous devrions faire. Vous savez probablement que l'Espagne est le pays qui réussit le mieux en Europe à encourager ses citoyens à faire des dons d'organes, et j'aurais voulu que le Canada figure parmi ces pays. Cependant, vous avez tout à fait raison, et nous sommes fortement en faveur de l'idée d'encourager les gens à faire don de leurs organes volontairement.
    Merci beaucoup.
    Le prochain intervenant sera le député Miller.
    Merci, messieurs, de votre témoignage.
    Je m'intéresse aux chiffres en tant que tels, et loin de moi l'idée de les remettre en question. C'est simplement que les multiplicateurs que vous appliquez peuvent parfois paraître aléatoires, et il ne s'agit pas seulement de savoir si le don est volontaire ou non. Évidemment, tout don involontaire, qu'il y en ait un seul ou un million, est inacceptable et devrait être dénoncé.
    Je cherche seulement à comprendre comment vous pouvez évaluer la progression ou, du moins, déterminer s'il y a une amélioration de la façon dont l'État chinois se comporte. Comment pouvez-vous établir cela si vous appliquez des chiffres et des multiplicateurs arbitraires? Manifestement, quand on voit les chiffres, on est en droit de se poser des questions sur leur exactitude. Par exemple, on pourrait indiquer un nombre d'exécutions beaucoup plus élevé que le chiffre annoncé, le cas échéant,  et c'est ce qui serait la cause dans d'autres cas. De plus, David, vous avez dit que cela n'avait pas grand-chose à voir avec le marché noir, mais que c'était attribuable à la persécution des adeptes du Falun Gong, des chrétiens « de maison », etc.
    J'essaie simplement d'aller au fond des choses et de voir comment vous répondez à certaines des critiques formulées à l'égard des chiffres et des questions liées à la capacité de mise en oeuvre d'un marché noir, critiques qu'on vous lance d'ailleurs souvent.
    Tout d’abord, en ce qui concerne notre mise à jour, nous n’avons pas vraiment eu de critique sur le contenu du rapport. Le gouvernement chinois a dit que c’était anti-Chine. À l’évidence, si nous ne nous faisions aucun souci pour la Chine, nous ne nous pencherions pas sur cette question. Le gouvernement chinois affirme que ces chiffres sont probablement à côté de la plaque puisque leur pourcentage de médicaments anti-rejet est le même que pour les transplantations à l’échelle mondiale. Bien entendu, cela ne tient pas compte des « touristes de transplantation ». Leurs statistiques sur les anti-rejets sont aussi difficiles à comprendre que leurs statistiques sur le nombre de transplantations.
    Je reconnais que je me suis servi de certains multiplicateurs afin de créer un raccourci pour vous aider à comprendre d’où viennent ces totaux. Ce n’est pas ce que nous faisons dans le rapport proprement dit. Voici comment nous procédons: nous passons un hôpital après l’autre et nous examinons les chiffres réels de chacun en épluchant son site Web et ses bulletins de nouvelles. Nous regardons le nombre de lits, le nombre d’employés, les bourses de recherche qui lui ont été accordées, ses publications de recherche et les reportages médiatiques dont il a fait l’objet. Nous ne nous contentons pas de prendre un hôpital et de multiplier par 146 ou 1 000. Nous répétons l’exercice pour chaque hôpital et nous additionnons les chiffres. C’est ce qui explique la présence de ces 2 400 notes de bas de page; 2 200 d’entre elles viennent d’hôpitaux particuliers.
    Je suis content que les raccourcis ne vous aient pas convaincus, car je vous invite à lire le rapport dans son entier.
    La prochaine question porte sur le marché noir et sur les problèmes d’implantation qui pourraient être évoqués comme contrepoids pour affirmer que cela ne concerne pas seulement le Falun Gong et d’autres minorités religieuses ou d’autres praticiens.
    Nous sommes constamment ramenés à cela. Les gens disent: « Qu’arrive-t-il si une personne a reçu un rein dans tel ou tel pays? » Ce sont des choses qui arrivent, et je suis certain que vous le savez aussi. Vous vendez un rein dans l’espoir que cela vous permette d’envoyer votre enfant à l’université ou quelque chose du genre, mais il n’y a qu’un endroit au monde où le processus est dirigé par l’État du début à la fin, et c’est la Chine.
    Il y a peut-être un marché noir du trafic d’organes en Chine, mais ils n’en ont pas besoin puisqu’ils ont un réseau de grande envergure qui est entièrement dirigé par le gouvernement.
    Voici un exemple que nous utilisons parfois. Vous vous rappelez que j’ai parlé du cas d’une personne qui avait prélevé 2 000 cornées. Selon son ex-femme, ce médecin a reçu l’équivalent de centaines de milliers de dollars américains pour faire ces 2 000 opérations. Les médecins sont très bien payés, et ils n’ont pas l’intention d’en parler.
    Il s'agit d'un réseau complet qui ne peut exister que sous un gouvernement totalitaire. Malheureusement, nous ne pouvons pas empêcher le gouvernement de la Chine de tuer ses gens. Je crois néanmoins que les dénonciations et les condamnations ont eu un effet. Je crois que toute cette mauvaise publicité fait qu'ils sont maintenant sur le point de basculer. Par exemple, une audience s'est tenue en Allemagne, hier. Je crois que ces pratiques leur font une si mauvaise publicité qu'ils pourraient y renoncer.
    Les Canadiens sont peut-être peu nombreux à se rendre en Chine, mais, au moins, nous pourrions déterminer qu'ils n'en ont pas le droit. Nous n'avons même pas à mentionner la Chine. Nous pourrions simplement dire que personne ne peut aller acheter un organe à l'extérieur du Canada.
    À l'heure actuelle, c'est Taiwan qui a les meilleures lois en la matière. Si Taiwan peut le faire malgré sa proximité avec la Chine et le fait qu'il y a tellement de gens...
(1340)
    Je repensais à votre question au sujet du marché noir. Êtes-vous en train d'insinuer que les chiffres concernent le marché noir plutôt que les activités officielles?
    Oui, ou c'est le fruit de la corruption.
    Comme je l'ai dit, 800 hôpitaux ont demandé à être autorisés et 169 ont obtenu cette autorisation. D'après ce que nous avons pu voir, certains d'entre eux font encore des transplantations. C'est une forme de marché noir. Nous n'avons pas inclus cela dans nos calculs, car c'est un phénomène qui est difficile à cerner.
    La réalité c'est que, comme partout ailleurs, la demande en matière de transplantation dépasse de beaucoup l'offre d'organes, même en Chine. Même en effectuant 100 000 transplantations par année, ils n'arrivent pas à répondre à la demande, et ils demandent le gros prix.
    En plus de toute cette pratique officielle, il ne fait aucun doute qu'il y a un marché noir. Les chiffres réels sont donc supérieurs à ceux auxquels nous sommes arrivés.
    J'ai une dernière question. Dans quelle mesure seriez-vous capable de vérifier s'il y a eu des changements entre décembre 2014 et le début de 2015?
    Notre rapport a été publié en juin de cette année. Nous avons commencé le travail en septembre 2015. Tout cela est venu après les modifications rapportées dans la mise à jour. Nous avons archivé tout ce dont nous avons été témoins, alors vous pouvez voir tout ce que nous avons vu.
     Il reste encore un peu de temps.
    J'aimerais aborder la question d'une intervention multilatérale et savoir ce que le Canada pourrait faire avec ses alliés sur la scène internationale. Je sais qu'il y a eu la Déclaration d'Istanbul, en 2008. Il semble que ce soit la dernière chose que la communauté internationale ait faite à cet égard.
    Y a-t-il d'autres activités multilatérales que vous pourriez nous proposer ou dont vous pourriez nous parler?
    Pouvons-nous répondre tous les deux à cela?
    En pratique, il ne se fait rien à cet égard. Comme vous le savez, la Chine a le droit de veto aux Nations Unies, mais certains des comités des Nations Unies ont... Le Comité sur la torture des Nations Unies — qui est un groupe d'employés et d'experts qui n'appartiennent pas aux Nations Unies — a été très utile. Dans le passé, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a été d'une grande aide. Il est difficile d'inciter un organisme multilatéral comme les Nations Unies ou... L'Union européenne a adopté une très bonne résolution, une résolution que nous apprécions particulièrement, mais il ne s'est pas fait grand-chose autrement, sauf en Espagne. Il semble que lorsque la situation demande l'intervention d'un grand nombre d'États, la question ne peut pas être...
    Un pays dont je tairai le nom s'est aperçu que ses habitants gravitaient en grand nombre vers la Chine afin de s'y procurer des organes. Ce pays a convenu assez récemment d'empêcher ses gens d'aller en Chine. Nous ne le nommerons pas. Nous allons observer dans quelle mesure il arrivera à mettre un frein à cela.
    Ce que je cherche à dire — et David verra peut-être les choses d'un autre oeil —, c'est que nous essayons d'inciter des pays comme le Canada — et c'est un peu gênant avec ces deux Canadiens qui ont parcouru le monde entier... Il reste que Taiwan et l'Espagne sont déjà bien en avance sur nous. Ce serait vraiment quelque chose si vous pouviez, individuellement ou collectivement, inciter ce nouveau gouvernement à déposer un projet de loi pour faire ce que Taiwan a fait, rien de plus. Si Taiwan l'a fait, cela devrait être relativement simple pour notre pays de faire la même chose en ralliant tous les partis.
    David a peut-être une tout autre réponse à vous donner.
    Oui. Je suis assurément d'accord avec ce qu'il a dit, mais j'aurais deux autres avenues à proposer.
    Tout d'abord, il y a l'examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. J'ai assisté aux deux examens qui se sont tenus depuis qu'ils ont été lancés, lorsque c'était au tour de la Chine d'être examinée, et j'ai écouté toutes les déclarations. Le Canada s'est distingué, je crois, et j'étais le seul à mentionner la persécution de Falun Gong. Je pense que le Conseil devrait continuer dans cette voie, mais je crois aussi qu'il devrait s'attaquer directement aux transplantations iniques.
    Comme autre organisme multilatéral que vous devriez prendre en considération, il y a le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe a approuvé un traité sur le trafic d'organes que peuvent signer les États qui ne sont pas membres dudit conseil. Le Canada devrait ratifier et signer ce traité, et le mettre en oeuvre par l'intermédiaire de ses lois. Le Canada a un rôle d'observateur au sein du Conseil de l'Europe. Lorsque David Kilgour et moi étions en Suède, nous avons rencontré le parlementaire suédois qui s'apprête à mobiliser le Conseil de l'Europe afin de l'inciter à appuyer une résolution et une enquête à ce sujet. Bien qu'il ne puisse pas y voter, le Canada peut parler au Conseil de l'Europe, et c'est ce qu'il devrait faire pour appuyer cette initiative.
    J'ai aussi dit que nous n'avons pas à attendre d'avoir une institution multilatérale de note côté pour agir, et je crois que David Kilgour est du même avis que moi là-dessus. Nous n'avons pas à attendre après les autres pour faire quelque chose. C'est un enjeu sur lequel le Canada pourrait, de son propre chef, exercer une certaine direction, notamment en ce qui a trait à la portion « enquête » de la question. L'Union européenne a demandé la tenue d'une enquête, mais ne l'a pas menée. La Chambre des représentants des États-Unis a demandé la tenue d'une enquête, mais sa demande est restée sans lendemain. Bien entendu, j'aimerais que le Parlement demande la tenue d'une enquête, mais j'aimerais que ce soit dans une optique gouvernementale, et non en tant qu'intervention de la société civile, comme David Kilgour et moi l'avons fait.
(1345)
    Merci.
    C'est maintenant au tour de la députée Hardcastle.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, messieurs, de tout le travail que vous faites à cet égard. Vos réponses m'ont grandement intéressée. Comme je trouve cela fascinant de vous entendre, je vais vous présenter mes impressions et mes questions en vrac et vous pourrez ensuite parler aussi longtemps que le président vous permettra de le faire en fonction du temps qu'il reste.
    Je ne sais pas par où commencer, si ce n'est que de vous dire que vous avez formulé d'excellentes suggestions au sujet des choses concrètes que le sous-comité peut faire pour resserrer et renforcer ses recommandations. Un simple coup d'oeil à ce que vous nous avez soumis — le texte, les mises à jour, les preuves — m'a suffi pour en arriver à cette conclusion.
    M. Miller vous a posé une question à propos des chiffres. Je trouve intéressant que vous vous soyez adressés aux hôpitaux locaux pour obtenir des chiffres, et que ces derniers aient été plus que disposés à vous les donner. Ils l'ont fait parce qu'ils ignoraient les problèmes auxquels l'État est confronté, n'est-ce pas? Vous pouvez nous en dire un peu plus long à ce sujet, si vous le voulez.
    Nous avions tous entendu parler de cela, du moins, en partie, et je vous demande simplement d'écouter la question. La possibilité de prélever des organes sur les prisonniers après leur exécution est-elle un facteur déterminant lorsqu'il s'agit de décider s'ils doivent être exécutés, ou n'est-ce rien de plus qu'un avantage accessoire?
    Voilà l'aspect fondamental de la question, et cela motive dans une certaine mesure notre rôle dans l'enquête et notre position en ce qui a trait aux droits internationaux de la personne, alors nous vous écoutons.
    Dieu merci, le nombre d'exécutions en Chine commence à diminuer, mais le problème — et les exécutions doivent avoir lieu dans les sept jours suivant la sentence, comme le précisait David —, c'est que la demande d'organes des prisonniers d'opinion qui n'ont pas de procès, pas d'appel, rien...
    Je suis convaincu que beaucoup d'entre vous sont déjà au courant de cela, mais voilà comment les choses se déroulent. Si David a besoin d'un organe, il se rend à Shanghai et verse une grosse somme d'argent à l'hôpital First People. On effectue alors des tests sanguins et des tests sur les tissus afin de trouver un donneur compatible dans l'un de ces camps de travail. La personne qui, malheureusement, s'avère compatible avec David est isolée. On lui enlève son foie et l'organe est expédié à Shanghai à bord d'un avion de l'Armée de libération du peuple. On annoncera probablement à David qu'il est sur le point de recevoir le foie d'un assassin ou quelque chose du genre.
    L'une des raisons qui font que les adeptes de Falun Gong sont si prisés, c'est qu'ils ne fument pas et qu'ils ne boivent pas. Bien souvent, ce sont des gens en très bonne santé.
    Pour ce qui est de savoir s'il s'agit d'un facteur déterminant ou d'un avantage accessoire, cela dépend du prisonnier. Si c'est un condamné à mort, il s'agira d'un avantage accessoire, puisqu'il va être exécuté de toute manière. Dans une certaine mesure, c'était un avantage accessoire au début, et c'est devenu un facteur déterminant, en partie parce que le réseau avait déjà été mis en place; c'est un virage qui s'est effectué avec le temps.
    Les pratiquants de Falun Gong et les autres prisonniers d'opinion, mais surtout les pratiquants de Falun Gong, ont été très lourdement vilipendés, et on a attisé la haine à leur égard. Ils ont donc été dépersonnalisés, notamment aux yeux des intervenants du système étatique, les gardiens de prison, qui ont eu tendance à souscrire à cette propagande.
    Les pratiquants de Falun Gong ne sont habituellement pas condamnés à quoi que ce soit, et certainement pas à la peine capitale. Certains sont accusés d'avoir troublé l'ordre et on les condamne à trois ans de prison, mais beaucoup d'entre eux ne reçoivent même pas cette condamnation. Bien qu'il ait été réprimé par décision du Parti communiste, le Falun Gong n'a jamais été officiellement banni. Vous n'enfreignez pas la loi en pratiquant le Falun Gong. Vous allez à l'encontre d'une politique du parti, et ces politiques sont bien entendu au-dessus des lois.
    Lorsqu'on a commencé à tuer les pratiquants de Falun Gong pour leurs organes, il n'était pas question d'avantage accessoire. C'était un facteur déterminant. Si cela n'avait pas été le cas, ils seraient encore en vie. D'ailleurs, un grand nombre d'entre eux sont toujours vivants. Ils sont détenus de façon arbitraire dans les prisons chinoises et ils constituent une vaste réserve de donneurs d'organes forcés.
(1350)
    Comment pouvons-nous enquêter là-dessus si rien ne paraît nulle part?
    Un certain nombre de pratiquants de Falun Gong ont réussi à sortir de ces camps et à quitter la Chine. Nous leur avons parlé. Certains sont à Toronto, je crois. Vous pouvez leur parler. Vous allez entendre des histoires qui vont vous rendre malade.
    Ils ont de la famille. C'est pourquoi vous voyez ces affiches partout au pays et pratiquement partout dans le monde. C'est que cette guerre au Falun Gong dure depuis le mois de juillet 1999, et elle se poursuit. Nous estimons qu'il s'agit d'un nouveau crime contre l'humanité. Ce que l'on fait aux pratiquants de Falun Gong est inhumain.
    Je peux répondre à cela. Tout d'abord, sachez que c'est une bonne question. C'est un problème qui nous a donné du fil à retordre, puisque nous n'avons même pas de corps par où commencer. Les corps sont incinérés. Il n'y a pas de témoins, car tout se fait derrière des portes closes. Il n'y a que les coupables et les victimes. Il n'y a pas de scène de crime. La salle est nettoyée une fois l'opération finie. Il n'y a aucun document à part les documents officiels du parti auxquels nous ne pouvons pas avoir accès, alors que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous examiner la chose?
    Lorsque nous avons commencé, on nous a demandé d'enquêter là-dessus. On ne nous a pas donné d'argent, il n'y avait ni données ni pistes. Notre opinion, c'était que nous ne savions rien, mais nous ne voulions pas arriver à cette conclusion. J'aurais préféré arriver à la conclusion opposée, c'est-à-dire que cela n'existait pas. Nous avons pris une autre approche. Nous avons parlé aux gens qui étaient sortis de prison et qui avaient quitté la Chine, à des patients qui étaient allés là-bas, à des médecins. Nous avons jeté un coup d'oeil aux sites Web des hôpitaux. Nous avons examiné tout ce qui pouvait venir de la Chine.
    Bien entendu, ce qui a rendu les choses encore plus difficiles, c'est que chaque fois que nous citions quelque chose en provenance d'une source officielle chinoise, cette source disparaissait. Nous avons dû archiver tout ce que nous trouvions. C'est un exercice de dissimulation systématique. Je ne sais pas si David Kilgour aimera cet exemple, mais je me demande ce que nous saurions de l'Holocauste aujourd'hui si les nazis avaient gagné la Seconde Guerre mondiale. C'est un peu la situation dans laquelle nous sommes. Nous tentons de mettre bout à bout toutes les preuves que nous pouvons trouver.
    Depuis que nous avons fait cela, nous avons été témoins de dénis et de rejets motivés par des intérêts particuliers — comme cela s'est produit avec le Parti communiste chinois —, mais personne qui aurait fait la recherche de façon indépendante et qui n'aurait pas d'intérêt direct à protéger n'a contredit ou même remis en question notre recherche. Voilà pourquoi Ethan Gutmann a fait le travail qu'il a fait; idem pour Kirk Allison, Arne Schwarz, Jay Lavee, etc.
    Merci, madame Hardcastle.
    Il vous coupe la parole.
    Puis-je ajouter un dernier point?
    Le président: Bien sûr.
    Mme Cheryl Hardcastle: Qu'est-il arrivé à Taiwan? C'est assez choquant qu'ils soient à l'avant-garde dans ce domaine. Qui l'eut cru?
    Monsieur le président, mon intention n'était pas de me moquer de vous. Comme vous l'avez mentionné, j'ai déjà occupé votre poste il y a longtemps. Vous faites un excellent travail.
    Taiwan est un cas fascinant. Il y a beaucoup de cas d'hépatite là-bas, comme vous le savez probablement, et je pense que bien des Taiwanais avaient l'habitude d'aller en Chine. Le maire actuel de Taipei est M. Ko, et c'est un chirurgien spécialisé dans les transplantations. Il a remporté une victoire écrasante. C'était il y a environ un an et demi. Il est allé en Chine et s'est renseigné pour savoir où il pourrait obtenir des organes dans ce pays. Dans un hôpital où il s'est rendu, on lui a dit qu'on n'avait que des organes d'adeptes du Falun Gong pour les transplantations. Il est donc revenu et a accordé une entrevue avec Ethan Gutmann à ce sujet, et le livre d'Ethan a été publié en plein milieu de la campagne électorale à Taipei.
    Nous voyagions en voiture ensemble en Colombie-Britannique, et le téléphone sonnait toutes les cinq minutes, car cela devait être très embarrassant. Ethan a une très haute opinion du maire Ko, qui a remporté une victoire écrasante par une majorité de 700 000 voix ou quelque chose du genre. C'est quelqu'un de bien dans cette histoire, croyez-moi.
    Si Taiwan peut le faire avec le soutien des deux partis, pourquoi diable ne pouvons-nous pas prendre un type de mesure semblable au Canada avec l'appui de tous les partis?
(1355)
    Je me demande si je pourrais ajouter quelques points. Je pense que dans certains cercles, du moins, les gens ont tendance à dire qu'il ne faut pas confronter la Chine, car cela pourrait nuire à nos intérêts économiques. Je pense que Taiwan est un bon exemple de la façon de régler ce problème, car elle a eu, à diverses occasions, bien des confrontations avec la Chine au plan politique, alors que sa relation avec ce pays au plan économique a été fructueuse.
    Merci. Je vois qu'il ne reste que quelques minutes avant la fin, alors je vais en terminer ici avec les questions.
    Vous serait-il possible d'envoyer à la greffière une copie du rapport complet mis à jour pour qu'elle puisse le remettre à tous les membres du Comité et à toutes les personnes ici présentes qui souhaiteraient le lire?
    Il est à peu près de cette épaisseur.
    En version numérique, il n'est pas si épais que cela.
    Il faut 20 minutes pour télécharger la version PDF, mais bien sûr, nous allons vous l'envoyer.
    Je tiens à vous remercier tous les deux d'être venus et encore une fois d'avoir porté à notre attention cette question très importante. Je sais que vous êtes venu l'an dernier et je vous sais gré d'être revenu aujourd'hui. C'est une question cruciale. Je sais que bien des parties intéressées sont venues écouter ces témoignages aujourd'hui. Je tiens à les remercier de l'avoir fait.
    Encore une fois, monsieur Cotler, merci à vous aussi de votre présence aujourd'hui.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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