SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 28 septembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, avant de commencer notre séance, nous avons quelques questions de régie interne à régler, mais il ne sera pas nécessaire de le faire à huis clos. Je vous demanderai simplement d'approuver les deux documents budgétaires qui vous ont été remis.
Le premier se rapporte à la présente étude, et le second à la séance d'information d'urgence que nous avons tenue la semaine dernière sur la situation du peuple Rohingya. Vous avez le détail devant vous.
Approuvez-vous le budget de l'étude en cours sur les droits de la personne entourant l'extraction des ressources naturelles en Amérique latine?
Des députés: Oui.
Le président: Approuvez-vous le budget de la séance d'information sur la situation des droits de la personne du peuple Rohingya?
Des députés: Oui.
Le président: Très bien. Merci.
Nous pouvons maintenant nous concentrer sur notre étude. Nous en sommes à la deuxième séance consacrée aux droits de la personne entourant l'extraction des ressources naturelles en Amérique latine.
Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins. Nous accueillerons tout d'abord Paul Haslam, professeur agrégé à l'École de développement international et mondialisation de l'Université d'Ottawa. Ses intérêts de recherche actuels sont la responsabilité sociale des entreprises, le nationalisme dans le secteur des ressources, les relations État-entreprises en Amérique latine, en particulier en Argentine et au Chili, et la réglementation internationale de l'investissement étranger direct en Amérique latine.
Notre deuxième témoin sera Jeffery R. Webber, maître de conférences à l'École de politiques et relations internationales de la Queen Mary University of London. Les travaux de recherche de M. Webber portent sur la politique en Amérique latine et le développement international, y compris l'incidence des industries extractives dans ces domaines.
Je tiens à vous remercier tous les deux, et j'offre un merci tout spécial à M. Webber d'avoir parcouru une aussi longue distance pour se joindre à nous aujourd'hui. Vous aurez chacun huit minutes pour nous livrer vos remarques liminaires, puis nous passerons aux séries de questions de mes collègues.
Voilà pour la procédure. Monsieur Haslam, voulez-vous commencer?
Si j'ai bien compris, j'ai été invité à comparaître devant le Sous-comité en raison de mes travaux de recherche sur le secteur minier, les conflits sociaux et la responsabilité sociale des entreprises. Je suis très honoré d'avoir la possibilité de vous présenter mes travaux.
Tout d'abord, je tiens à préciser que mes travaux et mes connaissances de nature qualitative se concentrent sur l'Argentine, le Chili et, dans une moindre mesure, le Pérou. Le volet quantitatif de mes recherches est axé sur les déterminants des conflits sociaux dans leur globalité et non sur des conflits en particulier. Je ne m'intéresse pas à proprement parler aux droits de la personne, mais plutôt aux causes des conflits et aux moyens de les dénouer.
Je parlerai en premier lieu des déterminants des conflits et des faits qui sont tenus pour acquis concernant la conduite collective des sociétés minières canadiennes. Mes partenaires de recherche et moi-même avons effectué la première analyse quantitative à large échelle des déterminants des conflits sociaux dans le secteur minier en Amérique latine. Cette analyse repose sur une série de données concernant 640 exploitations minières situées dans les cinq principaux pays de la région, soit l'Argentine, le Brésil, le Chili, le Pérou et le Mexique. Les résultats ont été publiés dans la revue d'études du développement la plus influente dans le monde.
Dans cet univers, 21 % des exploitations minières ont été impliquées dans un conflit social attesté, — 133 exploitations ont connu un conflit contre 507 qui n'en ont pas connu —, dont 36 % appartenaient à des sociétés canadiennes selon l'emplacement du siège social. Nos principaux constats corroborent en grande partie ceux des études de cas publiées selon lesquelles les conflits découlent souvent de facteurs liés aux moyens de subsistance, c'est-à-dire de l'incompatibilité perçue entre les activités minières et les activités agricoles existantes, de même qu'à la redistribution. En fait, les populations s'inquiètent de savoir qui obtient quoi en retour des investissements miniers.
Ces préoccupations sont liées aux conditions socioéconomiques et socioenvironnementales locales. Quand un projet minier réduit les perspectives économiques — l'option de l'agriculture devient de moins en moins envisageable, la pauvreté se généralise et les services d'État sont inexistants —, la probabilité que les habitants se mobilisent augmente. Toutes choses étant égales par ailleurs, une collectivité qui a peu de débouchés agricoles, peu de revenus et qui est mal desservie par l'État sera plus encline aux conflits.
Nous avons également relevé des facteurs statistiquement notables qui sont propres aux sociétés, tels que le type d'exploitation minière. Par exemple, les mines à ciel ouvert sont beaucoup plus susceptibles de connaître des conflits. La taille compte aussi. Fait intéressant, nous n'avons pas établi de corrélation, contrairement aux écrits publiés, entre les petits émetteurs et le risque de conflits. Nous avons plutôt constaté que les sociétés minières à capitalisation moyenne sont les plus exposées aux conflits. Enfin, la matière exploitée ne semble pas avoir d'incidence particulière. Notamment, contre toute attente, l'or n'est pas une source importante de conflits.
Le point essentiel à retenir est donc que les causes des conflits sociaux entourant l'extraction minière sont multiples, même si les lois sont scrupuleusement respectées et si l'on ne tient pas compte des possibles inconduites des sociétés et de leurs représentants.
Les préoccupations à l'égard de la redistribution, qui met en cause la question de savoir qui obtient quoi en retour des investissements, méritent une attention particulière parce qu'elles sont souvent associées à des allégations de violations des droits de la personne.
Il est important de souligner que les sociétés minières créent un pôle de rente économique ou, si vous voulez, de prospérité et de bénéfices possibles, dans des pays en développement où la pauvreté de certains milieux est extrême. Plus simplement, il s'ensuit que des membres d'une collectivité en profiteront et d'autres pas du tout, et les passions peuvent se déchaîner entre tenants et opposants d'un projet. Ces conditions sont propices aux violations des droits de la personne, surtout si ceux qui escomptent des bénéfices, y compris les représentants des États, se concertent pour défendre leurs intérêts contre les protestataires.
Il ressort de nombreux rapports sur les droits de la personne que beaucoup de cas de violations mettant en cause le secteur minier sont l'oeuvre, pour ainsi dire, d'individus qui cherchent à protéger les avantages que leur procure une exploitation. Dans bien des situations, les sociétés ne commettent pas directement ces violations.
Récemment, nous avons étendu l'analyse statistique en nous servant des mêmes données, mais en séparant les sociétés canadiennes du reste de l'échantillon. Plus précisément, nous les avons distinguées des sociétés étrangères qui ne sont pas canadiennes et des sociétés détenues par des intérêts locaux afin de déterminer si les sociétés canadiennes sont, collectivement, plus ou moins susceptibles d'être en cause dans des conflits sociaux par rapport à celles des autres pays.
Notre premier constat est que les sociétés étrangères sont collectivement plus susceptibles d'être impliquées dans un conflit social avec les collectivités à proximité que les sociétés appartenant à des intérêts locaux. Nous avons obtenu des résultats assez intéressants en séparant les sociétés détenues par des intérêts étrangers entre celles qui ont un siège social au Canada et celles dont le siège social est ailleurs. L'analyse quantitative indique que, collectivement, les sociétés minières canadiennes sont moins susceptibles d'être impliquées dans un conflit social que les sociétés étrangères non canadiennes. Il s'agit de résultats statistiquement bien étayés, qui résistent à une gamme étendue de tests de rigueur statistique.
L'analyse de l'incidence marginale sur l'échantillon modifié, qui donne lieu à une surreprésentation minime du risque de conflit social, indique la probabilité qu'une exploitation minière soit impliquée dans un conflit. Ces pourcentages sont utiles dans le cadre d'une étude des violations des droits de la personne et des conflits dans le secteur minier. La probabilité qu'une société détenue par des intérêts locaux connaisse un conflit social se situe entre 5 et 7 %; ce taux grimpe à 21 % pour les sociétés canadiennes, et à 27 ou 28 % pour les sociétés étrangères non canadiennes.
Je souligne que ces résultats valent pour l'ensemble des sociétés canadiennes, et qu'ils ne visent ni à confirmer ni à infirmer les allégations de violation des droits de la personne. Loin de moi l'idée d'utiliser ces résultats pour justifier un relâchement des efforts déployés pour améliorer le bilan des sociétés canadiennes en matière de droits de la personne et de conflits sociaux. Néanmoins, les chiffres semblent indiquer que les sociétés minières canadiennes, prises collectivement, font quelque chose de mieux que leurs homologues étrangères. Dans le cadre de la présente étude, je crois qu'il vaut la peine que le Sous-comité cherche à savoir ce qu'elles font de mieux au juste.
Il n'est pas rare que la responsabilité sociale des entreprises soit perçue comme un moyen de corriger des dysfonctionnements sociaux pour compenser l'absence de réglementation du gouvernement hôte ou du pays d'accueil. C'est ce que fait le gouvernement canadien depuis une dizaine d'années. J'ai consacré un pan entier de mes travaux qualitatifs sur le secteur minier à l'application concrète, sur le terrain, des codes de responsabilité sociale des entreprises, en faisant des entrevues avec des intervenants locaux.
Cette expérience m'inspire les quelques observations suivantes.
Premièrement, il est de plus en plus clair que les sociétés ont tout intérêt à se responsabiliser sur le plan social, pour obtenir et conserver leur accréditation sociale mais, surtout, pour mieux gérer le risque social, qui s'est avéré extrêmement coûteux pour les sociétés minières. La responsabilité sociale des entreprises s'est professionnalisée au sein de l'industrie depuis que j'ai commencé à m'y intéresser il y a 10 ans. Deuxièmement, l'adhésion aux codes internationaux de responsabilité sociale des entreprises est souvent nécessaire, mais elle n'est jamais garante d'efficacité. Les codes doivent être précis, mesurables et comporter des exigences de rapport et de contrôle par des tiers pour devenir des mécanismes efficaces d'autogouvernance. Troisièmement, l'efficacité dépend de la compétence du personnel sur le terrain et de sa capacité à prendre des décisions importantes pour la collectivité, qui peuvent avoir une incidence sur des aspects clés d'un projet. Dans la réalité, on constate souvent un déficit de gouvernance entre les décisions prises au siège social et leur mise à exécution sur le terrain.
Les pratiques exemplaires en matière de responsabilité sociale des entreprises comportent deux autres exigences. La première a trait à l'instauration de mécanismes institutionnels pour valoriser la participation généralisée et permettre aux collectivités de se faire entendre de manière efficace. La deuxième consiste à faire profiter l'ensemble de la collectivité des avantages substantiels d'un projet en investissant dans l'aménagement, en engageant des fournisseurs locaux, en offrant des possibilités de formation, ou des infrastructures et des services communautaires. Autrement dit, la responsabilité sociale des entreprises repose sur un processus légitime de participation et de redistribution à vaste échelle des retombées concrètes d'un projet minier, et peut changer la perception de la collectivité à son égard.
J'aimerais souligner en finissant que la responsabilité sociale des entreprises n'est pas une panacée contre les violations des droits de la personne ou les conflits sociaux. Il s'agit d'un outil de gestion qui peut, s'il est utilisé judicieusement, susciter une certaine acceptabilité sociale ou favoriser l'adhésion de la collectivité, ou à tout le moins éviter qu'un mouvement de protestation dégénère jusqu'à devenir incontrôlable. La responsabilité sociale fera en sorte qu'une société sera moins exposée aux protestations, mais elle n'éliminera pas les griefs ou les facteurs de conflits dont j'ai parlé précédemment.
Merci de m'avoir consacré votre temps et de m'avoir invité à présenter mes travaux au Sous-comité.
Je vous remercie de votre invitation à m'adresser au Sous-comité.
Je m'appelle Jeffery Webber, et je suis maître de conférences au sein de l'École de politique et relations internationales de la Queen Mary University of London, au Royaume-Uni. J'ai une formation en sciences politiques et en économie politique, et je me suis spécialisé sur la région de l'Amérique latine. Récemment, en collaboration avec Todd Gordon, de l'Université Laurier de Brantford, j'ai écrit un livre intitulé Blood of Extraction, qui a été publié en novembre 2016. Les thèmes centraux de cet ouvrage sont les investissements canadiens dans le secteur minier et les atteintes aux droits de la personne qui en découlent en Amérique latine.
Je vais vous faire un bref résumé de nos constats importants, mais j'aimerais au préalable vous toucher un mot de nos sources.
Le gros des recherches menées pour le livre a été effectué grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines. Ces fonds nous ont permis de faire un travail de terrain très exhaustif à la grandeur de la région; de réaliser des dizaines d'entrevues de 2008 à 2013 au Guatemala, au Honduras, en Équateur et au Venezuela; de recueillir et de compiler un corpus important de matériel obtenu par l'intermédiaire de demandes d'accès à l'information, ainsi que des données statistiques de Statistique Canada et de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes des Nations unies; de fouiller les bases de données de la revue électronique spécialisée The Northern Miner, et de recueillir et de dépouiller une vaste collection de rapports locaux pertinents publiés dans des journaux hispanophones, de documents d'organismes non gouvernementaux et de rapports d'intérêt d'organismes de la société civile au Mexique, en Amérique centrale, dans la région andine et dans le cône sud. Chaque détail du livre est rigoureusement étayé dans 1 164 notes afin de faciliter la reproduction ou la vérification des données. Je soumets ce livre au Sous-comité à l'appui de mon témoignage.
Nos constats maintenant. Le premier a trait à la croissance spectaculaire des investissements canadiens dans les mines de l'Amérique latine et au fait que ceux-ci sont, de très loin et au-delà de toute autre considération, motivés par le profit. L'industrie minière du Canada est la plus importante dans le monde. Les deux tiers environ des sociétés minières ont leur siège social au Canada, en raison de ses régimes fiscal et juridique permissifs, d'un long passé de promotion de l'audace des campagnes d'exploration et du secteur de la production, et de l'appui inébranlable des politiques étrangères aux sociétés entretenant des ambitions internationales.
En 2012, plus de la moitié des actifs miniers canadiens détenus à l'étranger, d'une valeur de 72,4 milliards de dollars canadiens, se trouvaient en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les 80 mines en exploitation en 2012 ont procuré aux sociétés canadiennes des revenus combinés de 19,3 milliards de dollars canadiens. Ces chiffres proviennent de la Canadian International Development Platform, qui les compile à partir de la banque de données sectorielle InfoMine.
En 2014, selon une base de données du journal de l'industrie The Northern Miner, publié sur le Web, 62 % de l'ensemble des mines en exploitation de la région appartenaient à une société ayant son siège social au Canada. La taille et le rôle de chef de file mondial de l'industrie minière canadienne font assurément partie des raisons pour lesquelles Toronto est le carrefour financier le plus important du secteur dans le monde. À titre d'exemple, 6,9 milliards de dollars canadiens en capitaux propres, soit 84 % du total mondial, ont été réunis en 2013 sur la Bourse de Toronto et la Bourse de croissance TSX de Toronto.
Cette domination des marchés latino-américains des ressources naturelles a permis aux propriétaires des sociétés canadiennes d'engranger des profits faramineux. C'est ce que révèlent notamment les données publiées des sociétés Barrick, Yamana et Goldcorp, tirées de leurs rapports financiers annuels et sur la responsabilité sociale de l'entreprise.
Selon un examen des revenus des mines en exploitation en 2013, soit 15 mines d'or au total, les 3 plus importantes du point de vue des revenus appartenaient à Barrick, Yamana et Goldcorp. Ensemble, elles ont dégagé des bénéfices nets de 14,9 milliards de dollars américains de 1998 à 2013. Les bénéfices des mines en exploitation ont atteint un taux incroyable de 45 %. Après avoir payé les taxes et les redevances, Barrick s'en est quand même tirée avec un taux impressionnant de 42,4 %. À titre comparatif, le taux de bénéfices moyen pour l'ensemble de l'économie canadienne de 1998 à 2013 s'établissait à 11,8 %. Je me permets d'insister sur la question de la rentabilité parce que c'est un enjeu énorme qu'il ne faut pas perdre de vue lorsque les sociétés canadiennes tentent de nous convaincre des effets bienfaiteurs, voire salvateurs, de leurs activités pour les collectivités latino-américaines.
Le deuxième constat concerne aussi les bénéfices, mais du point de vue de la redistribution. La richesse générée est-elle partagée? C'est un thème central du débat sur les droits de la personne, même s'il n'est pas toujours reconnu comme tel.
Pour justifier leurs gros profits, les sociétés canadiennes nous servent généralement l'argument qu'elles ne sont pas les seules à s'enrichir. Selon elles, les investissements canadiens améliorent les conditions de vie des collectivités qui vivent à proximité des lieux où elles creusent la terre pour extraire de l'or, de l'argent, du cuivre et d'autres ressources naturelles.
En fait, une partie infime des bénéfices de ces sociétés est investie dans les collectivités. Si on les combine, les dépenses d'investissement dans la collectivité, comme elles les appellent, qui sont prévues aux programmes de responsabilité sociale d'entreprise de Barrick et de Yamana équivalaient à 1,4 % à peine des revenus nets en 2012, et à 0,9 % en 2011. La société Goldcorp n'a pas publié ces chiffres.
Outre ces investissements dans la collectivité, après que les installations minières ont été construites, les sociétés injectent très peu de nouveaux capitaux dans les pays où elles font de l'exploitation. Normalement, les coûts de construction des nouvelles installations sont récupérés en quelques années après le début de l'exploitation. Autrement dit, comme la plupart des bénéfices sortent du pays après la période de construction, l'exploitation minière donne lieu à d'importantes sorties nettes de capitaux.
Dans le même ordre d'idées, il ne faut pas oublier que l'industrie minière crée très peu d'emplois. D'après un rapport récent de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes des Nations unies, parmi les 12 industries importantes visées par ses enquêtes sur les investissements en Amérique latine, celles qui ont créé le moins d'emplois sont les industries minière et pétrolière, à raison de 0,5 emploi par million de dollars américains investis. En un mot, les sociétés minières canadiennes investissent dans des activités qui entraînent souvent des déplacements de populations paysannes et autochtones, des dommages écologiques irréparables et des violations des droits de la personne à vaste échelle, des actes de violence, des assassinats et des tueries. Ces investissements leur procurent des bénéfices colossaux, mais ils créent très peu d'emplois et les réinvestissements sont minimes.
Le troisième constat, très important, concerne le rôle que joue le soutien du gouvernement du Canada dans l'expansion des sociétés minières canadiennes en Amérique latine. Ces sociétés jouissent d'un appui indéfectible de l'État, autant de la part du Cabinet du premier ministre, du ministère des Affaires étrangères que de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI. En 2015, les portefeuilles des Affaires étrangères, de l'ACDI et du Commerce international ont été intégrés à ceux des ministères des Affaires mondiales, de la Défense nationale et des Ressources naturelles du Canada.
Les ambassades canadiennes des pays latino-américains qui ont une industrie minière ont consacré d'immenses moyens financiers et humains à la promotion et au soutien des investissements des intérêts miniers canadiens dans la région. C'est l'une des constatations les plus étonnantes et les plus constantes qui ressort des communiqués que les ambassades transmettent à Ottawa et d'autres documents obtenus en réponse à des demandes d'accès à l'information.
De toute évidence, l'Amérique latine était dans la mire des gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin dans les années 1990 et 2000, l'époque où les premiers accords de libre-échange ont été conclus dans la région, de même qu'une série de traités bilatéraux d'investissement, ou accords sur la protection des investissements étrangers, comme le Canada les appelle. Parmi ces instruments se trouvaient l'Accord de libre-échange nord-américain et ceux qui ont été signés avec le Chili et le Costa Rica. Cependant, les engagements découlant de la politique étrangère à l'égard de l'Amérique latine ont pris leur véritable élan et une forme beaucoup plus nette sous le règne des conservateurs de Harper, qui ont signé quatre autres accords de libre-échange tout en esquissant, autant en public qu'en privé, un plan d'intervention canadienne. Rien n'indique que l'actuel gouvernement Trudeau souhaite se dissocier de cette prédilection pour les ententes bipartites.
Notre quatrième constat, bien étayé dans le livre, touche le lien évident entre les activités minières du Canada en Amérique latine et la dépossession de leurs terres et les déplacements des populations paysannes et autochtones, la violence, les assassinats, la criminalisation des opposants, de même que la détérioration socioécologique des conditions de vie et des structures communautaires. Les données probantes suggèrent que ces problèmes ne sont pas dus à une poignée de brebis galeuses, mais qu'ils sont persistants et systématiques, qui n'ont jamais été résolus.
Après la publication de notre livre, des données tout aussi solidement étayées ont été révélées dans le rapport The “Canada Brand”: Violence and Canadian Mining Companies in Latin America, publié en 2016 par le Justice and Corporate Accountability Project, sous la direction de Shin Imai, avocat et juriste à l'Osgoode Hall Law School. Je dépose également ce rapport pour qu'il soit consigné au compte rendu comme faisant partie de mon témoignage.
Selon une méthode intentionnellement conservatrice tenant compte uniquement des incidents attestés par deux sources indépendantes au moins, le rapport conclut que 44 décès ont découlé des activités minières canadiennes de 2000 à 2015 en Amérique latine et que, parmi eux, 30 ont été le résultat d'homicides ciblés. Le rapport fait aussi état de 403 blessures, dont 363 ont été subies au cours de protestations et de confrontations avec la police locale, l'armée ou les services de sécurité privés des sociétés minières.
À ces événements s'ajoutent 709 cas de criminalisation, englobant des plaintes formelles, des arrestations, des mises en détention et des accusations contre des personnes qui militaient contre les activités de sociétés minières canadiennes.
Pour terminer, j'estime important de souligner que dernièrement, l'Association minière du Canada, ou AMC, a repris à son compte un passage d'une ébauche d'un article scientifique rédigé par Paul Haslam, l'autre témoin aujourd'hui, pour corroborer ses prétentions comme quoi les sociétés minières canadiennes présentes en Amérique latine font mieux que leurs concurrentes étrangères.
Selon moi, cette déclaration publique de l'AMC dénature les conclusions de l'article en sélectionnant de manière très sélective quelques-uns seulement des arguments de fond. L'AMC a jeté son dévolu sur un passage où M. Haslam et ses collaborateurs affirment que, à la lumière de leur analyse statistique, les sociétés canadiennes semblent s'en tirer un peu mieux et être moins souvent associées à des conflits que des sociétés non canadiennes. Toutefois…
Monsieur Webber, nous en sommes à plus de 10 minutes et demie, et je veux garder du temps pour les questions. Si vous nous le permettez, nous allons passer à la période des questions. Je suis certain que vous pourrez intégrer vos dernières remarques dans une réponse.
M. Jeffery Webber: D'accord.
Le président: Je vous remercie.
La première question revient au député Anderson. Nous vous écoutons.
Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Monsieur Webber, vous nous avez présenté des chiffres et des faits très différents de ceux que nous avons reçus l'autre jour. J'avais alors posé une question concernant la difficulté de concilier le contenu de certains rapports et les propos que nous entendons ici. C'est la quadrature du cercle. Vous avez mentionné une étude de l'Osgoode Hall Law School, et notre témoin précédent en a fait de même.
Ce témoin nous a dit ceci: « J'ai parlé du fait qu'il y a 930 projets miniers canadiens en Amérique latine », ce qui ne correspond pas aux chiffres que M. Haslam nous a donnés aujourd'hui. Le témoin ajoute: « D'après un rapport bien publicisé du Osgoode Hall Law School qui date de l'année dernière, neuf projets ont fait l'objet d'incidents depuis 2014 », et il nous a ensuite expliqué la nature de ces incidents. Il poursuit: « En aucune circonstance une allégation précise n'a été avancée contre une société canadienne. Il n'est indiqué nulle part non plus dans ce rapport qu'une société canadienne aurait été la cause des incidents en question. »
Ces chiffres contrastent avec ceux que vous nous avez présentés. Pouvez-vous résoudre cette quadrature du cercle? Si vous pouviez le faire rapidement, ce serait apprécié. Notre temps est compté et j'ai d'autres questions.
Certainement. Le rapport de l'Osgoode Hall Law School ne mentionne pas d'allégations directes comme quoi des sociétés minières canadiennes seraient manifestement à l'origine d'incidents violents. L'argumentaire tourne autour des liens étroits entre les activités de l'Association minière du Canada et les événements traités dans le rapport, soit la criminalisation, le déplacement des paysans, et ainsi de suite.
Les auteurs soulèvent également la question de la possible complicité. Ils utilisent le terme complicité dans le sens que lui donne la Commission internationale des juristes, selon laquelle la complicité suppose non seulement une action ayant mené à la violence, mais aussi le défaut de poser un geste susceptible de désamorcer l'escalade de la violence.
Si vous lisez attentivement le rapport, je suis certain que vous conviendrez avec moi que la citation que vous avez présentée témoigne d'une lecture sélective. Mon interprétation est différente. Cela dit, je vous ai remis le rapport pour vous permettre d'en faire une lecture plus détaillée vous-même.
Si nous lisions l'ensemble de vos écrits, y trouverions-nous un quelconque appui au développement des ressources naturelles par des intérêts privés?
Je ne suis pas d'accord. La réponse n'est pas aussi simple. Une foule de questions se posent concernant les stratégies de développement, les solutions de rechange au développement des activités d'extraction, et que sais-je. Je répondrais que je ne suis pas d'accord avec les agissements des sociétés minières canadiennes dans cette région, à cause de leur bilan détaillé de violations, selon la définition que j'en ai donné.
Donc, si j'ai bien compris, vous n'êtes pas d'accord pour que des sociétés canadiennes investissent dans le développement des ressources naturelles en Amérique latine?
Très bien alors.
D'ordinaire, les projets de cette nature sont impensables sans investissements extérieurs. D'où viendraient ces investissements sans la participation des sociétés privées en Amérique latine?
À peu près rien ne justifie l'extraction minière dans ces régions. Par exemple, si vous considérez la création d'emplois, les statistiques de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes de l'ONU indiquent qu'elle est très minime, et que le taux de la valeur d'usage des minéraux extraits qui serviraient véritablement à des fins de production serait beaucoup plus faible que s'il est dicté par la rentabilité des sociétés minières canadiennes. Les activités d'extraction seraient beaucoup moins intenses si la pérennité environnementale et la création d'emplois dans le marché intérieur étaient vues comme des priorités.
Les régions rurales aspirent au développement économique, et elles ont besoin d'investissements extérieurs. Généralement, peu importe si ces investissements créent beaucoup d'emplois directs, ils favorisent des changements structurels et économiques, le plus souvent à l'avantage des collectivités rurales.
Je me demande, quand je lis vos propres déclarations, s'il n'est pas plus impérialiste de priver les régions rurales de possibilités de développement que de promouvoir ce développement?
J'ai déjà dit que dans les faits, les investissements dans cette région ne créent pas d'emplois. Au contraire, à plus ou moins long terme, ils font baisser le taux d'emploi au lieu de l'améliorer. Les investissements miniers du Canada n'ont aucune raison d'être du point de vue de la création d'emplois. Ils sont associés à un taux de création d'emplois de 0,5 par million de dollars américains investis, soit le plus faible parmi les 12 secteurs visés par l'enquête de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, l'organisme conventionnel d'analyse le plus reconnu en Amérique latine.
Monsieur Haslam, je crois que nous avons besoin de votre aide. Vous avez utilisé l'expression « conflits attestés », et j'aimerais savoir ce que vous entendez par là. Quelle serait la conduite la moins grave et, à l'autre bout du spectre, laquelle serait qualifiée de plus odieuse? Pouvez-vous nous éclairer?
L'une des difficultés propres à la recherche empirique dans ce secteur est l'absence de service central d'information sur les conflits sociaux entre les sociétés minières et les groupes locaux d'activistes.
J'utilise l'expression « conflits attestés » dans un sens très précis, pour désigner les conflits qui ont été recensés et enregistrés par des groupes d'activistes. Les données utilisées pour recenser les conflits nous viennent de divers groupes d'activistes en Amérique latine. Essentiellement, nous considérons que quand ils déclarent qu'un conflit a eu lieu… Dans notre base de données, une situation qui reçoit une cote « 1 » est inscrite comme un conflit.
Supposons qu'un groupe s'oppose à un projet et proteste aux abords d'une propriété privée. Si des représentants de la société ont dû jouer des coudes pour pénétrer sur ses terrains, qualifierez-vous cela de « conflit attesté » ? Est-ce que cet événement recevrait une cote « 1 » dans votre base de données?
Oui. Tout événement mettant en cause la mobilisation soutenue de personnes est considéré comme un conflit.
Je souligne qu'il s'agit d'une pratique de dénombrement courante dans l'analyse d'événements politiques. Mon principal argument pour justifier cette pratique est la rareté des données. Nous utilisons ce qui est à notre disposition, et ce sont les comptes rendus des groupes d'activistes.
Faites-vous une ventilation selon le niveau de violence d'un conflit? En tenez-vous compte dans votre analyse de données?
Nous avons inclus un indicateur lié à la gravité du conflit, mais nous ne l'avons pas appliqué dans nos travaux. Nous n'avons pas été convaincus qu'il était aussi précis que l'indicateur de mobilisation sociale, et nous avons donc utilisé seulement cet indicateur.
Merci, monsieur Haslam.
Député Anderson, votre temps est malheureusement écoulé.
Nous passons maintenant au député Tabbara. Allez-y.
Je remercie nos témoins.
Le sujet de notre discussion revêt une grande importance à nos yeux. Lors de notre dernière réunion, il a été question des mécanismes auxquels peut recourir le Canada lorsqu'il est prouvé que des sociétés commettent des violations contre les droits de la personne. Pourriez-vous nous parler des mesures de réparation offertes aux victimes de ces sociétés?
Je m'excuse. Je vous demandais de nous parler des violations commises et de ce que le Canada… Si le Canada découvre qu'il y a eu atteinte aux droits de la personne, quelles sont les mesures prévues pour les réparer, par l'intermédiaire du bureau de la responsabilité sociale des entreprises?
Selon ce que je comprends de la stratégie améliorée relative à la responsabilité sociale des entreprises annoncée par le Canada en 2014, le conseiller en responsabilité sociale des entreprises peut dorénavant faire une enquête si une société est soupçonnée d'avoir commis des actes répréhensibles, et notamment des atteintes au code de responsabilité sociale des entreprises énoncé dans la politique. La seule sanction applicable consiste à priver la société en faute de services améliorés d'assistance consulaire.
Le mécanisme ne vise pas vraiment à offrir des mesures de réparation aux victimes présumées, mais plutôt à retirer toute assistance de l'État aux sociétés qui, selon le Bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises, ont manqué à certains codes de conduite.
Comme la politique est en vigueur depuis trois ans, je crois qu'il serait intéressant… Je n'ai pas la réponse, mais j'aimerais savoir, et le Sous-comité aussi peut-être, si des sociétés ont été sanctionnées par le conseiller. Cette information nous donnerait une idée de l'utilité de ce mécanisme.
À mon avis, le mécanisme lié à la responsabilité sociale des entreprises n'est pas suffisant pour tenir les sociétés canadiennes comptables de leurs activités à l'étranger, justement parce que la sanction maximale est une menace de les priver de soutien diplomatique. Il s'agit d'un mécanisme volontaire. La conduite des sociétés à l'extérieur du territoire canadien devrait être passible de sanctions pénales.
En principe, toute atteinte à une loi sur les droits de la personne devrait donner matière à poursuite par le pays où elle est commise. L'une des préoccupations des activistes est que les États faibles, ou ceux qui sont très favorables à l'exploitation minière par le Canada, ne font jamais de poursuites.
C'était ma question suivante. Dans les pays où des sociétés canadiennes sont présentes, diriez-vous que les systèmes juridiques, que le pays soit faible ou non, permettent de prévenir les violations de la part de ces sociétés? Pouvez-vous nous donner un exemple d'État fort et un autre d'un État faible selon les observations que vous avez faites dans le cadre de vos recherches?
Il est clair qu'il existe d'énormes disparités dans la capacité des pays en développement de faire valoir la primauté du droit. N'oubliez pas que les sociétés canadiennes sont accueillies à bras ouverts dans les pays en développement. Il peut éclater des conflits avec des collectivités vivant à proximité des mines, mais les gouvernements souhaitent leur présence parce qu'ils en tirent des revenus et des redevances. Pour les activistes, le problème vient des gouvernements pour qui la primauté du droit vient loin derrière leur intérêt matériel dans la présence de ces sociétés.
Le Guatemala, où les investissements sont considérables, est un bon exemple. La capacité de l'État guatémaltèque de régler convenablement ces questions est éminemment discutable. Les écrits sont presque unanimes à cet égard. J'aimerais également attirer votre attention sur un élément pertinent concernant la question de savoir si les sociétés canadiennes font mieux que les autres. Dans son témoignage, Paul a parlé d'une série de données qui concernent seulement cinq pays, et qui excluent des pays comme le Guatemala. Il est très important de le souligner. D'après le rapport The “Canada Brand”, 27 % des décès attribuables aux activités des sociétés minières canadiennes ont eu lieu au Guatemala. L'inclusion de ce cas particulier changerait considérablement les conclusions.
Mes travaux de recherche m'ont amené en Afrique, dans le cadre d'une mission parlementaire, et plus précisément au Zimbabwe et au Botswana, des pays limitrophes. On m'y a parlé de certaines sociétés minières canadiennes. Il est clair qu'au Zimbabwe, les retombées du développement ne profitent à peu près pas à la population, contrairement au Botswana, où le projet connu sous l'acronyme DDI, pour Diamond Development Initiave, a été mis sur pied pour financer des institutions comme les écoles et les établissements de santé.
Existe-t-il des initiatives du genre en Amérique latine?
À mon avis, une grande partie des conflits sociaux et des violations des droits de la personne sont le résultat de l'inaction des États. Si l'État n'intervient pas dans la redistribution des bénéfices des activités des sociétés minières, il est peu probable que les populations locales en voient la couleur.
Soit dit en passant, puisque mon collègue a fait référence à mes travaux de recherche, je précise que les cinq pays en question sont les plus importants de la région. Ils représentent 85 % des activités minières. Je ne crois pas que je changerais les résultats, mais je suis sensible au fait que le Guatemala offre un exemple extrême de faible gouvernance, ce qui n'est jamais une bonne nouvelle pour les droits de la personne.
Merci, monsieur le président.
J'aurais aimé que nous puissions vous consacrer une séance à chacun. Je trouve malheureux que nous ayons à diviser le temps qui vous est octroyé. Je trouve primordial d'élever le débat, notamment en ce qui concerne le rôle du Sous-comité. Je suis très fière et extrêmement reconnaissante que mes collègues aient décidé de s'attaquer à cette question, ou du moins d'essayer.
Monsieur Webber, je crois qu'il est important pour le Sous-comité d'entendre parler un peu plus des mesures de soutien et des contributions que le gouvernement du Canada a offertes aux sociétés minières, que vous avez vous-même qualifiées de surprenantes. M. Haslam a indiqué par ailleurs que le retrait de ces mesures d'aide représente le seul moyen à notre portée pour sanctionner les violations des droits de la personne.
Dans notre livre, nous expliquons que les communiqués des ambassades sont très éclairants sur ce à quoi les ambassades canadiennes consacrent le plus clair de leur temps dans les pays d'Amérique latine où le secteur minier est important. Plus particulièrement, les ambassades préparent le terrain et elles font la promotion ainsi que la facilitation des investissements miniers canadiens qui, comme je l'ai exposé, ont permis d'extraire des minerais d'une valeur extraordinaire, mais pas de redistribuer la richesse dans la région et les collectivités. Par conséquent, les engagements des ambassades pourraient être revus de fond en comble, à l'instar bien entendu de ceux d'Ottawa, pour faire en sorte que la promotion de la rentabilité des sociétés minières canadiennes cesse de primer sur les droits de la personne, la dégradation sociale et tous les autres dommages collatéraux. Ces enjeux doivent avoir la priorité sur la rentabilité. À mon avis, c'est le centre du débat.
Pouvez-vous nous donner des exemples de conflits dont on vous a parlé autour de projets miniers canadiens qui recevaient le soutien de l'État canadien?
Dans des régions comme le Guatemala, la Colombie ou le Honduras, il n'y avait pas de conflit à l'horizon avant l'intensification des investissements. Puis sont arrivés le gouvernement canadien et son projet de promouvoir l'investissement dans les années 1990, peu importe les attentes. L'objectif a toujours été de contenir l'opposition, de la discréditer et de faire croire qu'elle venait de factions minoritaires sous l'emprise d'agitateurs extérieurs et d'autres intérêts. C'est la mentalité qui prévalait même si, dans de nombreux cas, la population s'est prononcée contre la présence de sociétés minières canadiennes par voie de référendums communautaires au Guatemala. Il est essentiel que le gouvernement canadien et ses représentants à l'étranger tiennent compte de la volonté exprimée par les gens ordinaires, et pas seulement de celle des gouvernements latino-américains, qui ne sont pas toujours représentatifs du peuple.
Volontiers. Merci pour votre offre.
Malgré mon désaccord avec la méthodologie suivie par M. Haslam et ses collaborateurs pour parvenir à la conclusion que les sociétés canadiennes font mieux, je pense néanmoins que l'Association minière du Canada introduit une distorsion fondamentale dans son interprétation des résultats. L'AMC retient cette donnée probante, mais fait abstraction d'un fait crucial: M. Haslam et ses collaborateurs conviennent que le nombre de conflits qui impliquent des sociétés minières canadiennes est extraordinairement élevé. L'accent est mis sur la proportion, jamais sur la nécessité éthique ou morale de s'attaquer au problème. Il s'agit d'une dénaturation d'un élément crucial de cette étude auquel je souscris, même si je ne suis pas d'accord avec une partie de l'analyse. Je trouve important que ce soit consigné au compte rendu et de faire ressortir le fait que l'AMC utilise des données en leur donnant une interprétation trompeuse.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai une question à poser, puis je céderai ma place à M. Sweet afin que nous ayons tous la chance de participer aux travaux aujourd'hui.
En 2009, comme vous le savez, le Bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises a été créé. Quelle était l'intention du gouvernement conservateur au pouvoir à ce moment? D'où est venue cette idée? Le gouvernement était-il sincèrement désireux de s'attaquer aux préoccupations soulevées à l'égard des sociétés minières? S'agissait-il plutôt d'un exercice de relations publiques pour donner l'image d'un gouvernement qui agit et qui se préoccupe du problème, du moins en apparence? Que pensez-vous de cette décision?
En 2006, un processus de table ronde s'est terminé sur un consensus multipartite autour de la nécessité de resserrer l'encadrement des sociétés canadiennes, notamment en créant une fonction d'ombudsman assortie de pouvoirs d'enquête. Initialement, le secteur minier avait tout accepté la proposition. Bien que je n'aie pas été partie à ce processus, mes lectures m'ont amené à comprendre que certains joueurs de l'industrie ont ensuite retiré leur appui à l'entente, et que le gouvernement Harper a opté pour une version allégée axée sur la promotion des normes de responsabilité sociale des entreprises, dénuée de tout mécanisme disciplinaire.
À votre avis, s'agissait-il d'un acte de bonne foi ou… Je pose cette question parce que le mécanisme est accusé de manquer de mordant. Son manque de poigne est ce qui revient le plus souvent.
Oui, qu'il manque de mordant et que c'est une preuve que l'effort n'était pas sincère. Est-ce ce que vous avez dit?
Que l'effort ait été sincère ou non, je l'ignore, mais je pense que le gouvernement souhaitait alors réduire l'incidence tout autant que la perception des conflits sociaux impliquant des sociétés canadiennes.
L'autre volet de la question est celui de savoir si l'approche réglementaire, telle qu'elle est envisagée, aurait une quelconque efficacité. Je ne pense pas qu'il faille écarter l'option de l'autoréglementation, tout simplement parce que je ne suis pas convaincu que le gouvernement, même s'il avait établi un cadre réglementaire, y aurait consacré les ressources voulues pour qu'il donne les effets escomptés.
Sauf votre respect — je crois que cette question a été posée à M. Webber par M. Anderson… J'imagine qu'aucun de vous deux ne croit que… Est-ce que je me trompe ou vous être farouchement opposé à toute présence du secteur minier en Amérique latine?
Ma position, que vous comprendrez si vous lisez mes travaux, a toujours été… J'envisage le secteur minier dans sa réalité. Les conjectures ne m'intéressent pas, et je suis très peu porté…
Tout le monde a un parti pris. Pensez-vous que le secteur minier devrait être associé au secteur privé?
Le secteur minier privé en Amérique latine a sans aucun doute contribué à réduire la pauvreté dans les régions…
Désolé de vous interrompre, mais le temps file.
Pensez-vous que le secteur privé doit mener des activités d'extraction minière?
Vous avez dit que dans les circonstances actuelles, votre réponse est non. Existe-t-il des circonstances qui vous feraient répondre oui à la question?
Il faudrait que les pays latino-américains subissent une transformation si extraordinaire qu'il est pour l'instant impossible d'imaginer que les circonstances auxquelles je pense se réalisent. Ma réponse serait tout simplement infondée.
Est-ce qu'un taux de réinvestissement de 5 % des bénéfices nets dans les collectivités directement touchées serait un bon début?
Je crois que vous partagez le même avis, alors je vous inviterai à répondre par oui ou non à ma prochaine question.
Selon vous, le conseiller en responsabilité sociale des entreprises est si inefficace… Pensez-vous que c'est pour cette raison que, lors de sa comparution devant nous, il a affirmé n'avoir reçu aucune plainte dans les deux dernières années? Selon vous, les collectivités pensent-elles que le mécanisme est si inefficace que ce n'est pas la peine de déposer des plaintes?
Monsieur Sweet, je lance un appel au nom d'Ancaster—Dundas, ma circonscription.
Tout d'abord, je ne crois pas du tout que nous soyons d'accord sur ce point. Je n'ai pas dit que la responsabilité sociale des entreprises était un mécanisme inefficace, mais qu'il est efficace dans certaines conditions seulement.
Le conseiller en poste a fait du très bon travail en général pour ce qui est d'engager le dialogue avec les entreprises. C'est son travail. Toutefois, le gouvernement lui a donné des instruments qui ne sont pas de nature disciplinaire, loin de là, et il n'a donc pas pu agir en ce sens.
À mon avis, le nombre de plaintes que reçoit le conseiller actuel en responsabilité sociale des entreprises doit être considéré comme une preuve anecdotique de l'intensité des conflits. Il y a forcément un intervalle entre les études scientifiques rigoureuses sur les taux de conflits sociaux, de violence, et ainsi de suite. La plus récente étude sérieuse sur le sujet, The “Canada Brand” a été publiée en novembre 2016. Elle s'appuie sur des données allant jusqu'à 2015 qui n'indiquent pas de baisse jusque-là. Il est trop tôt pour dire si, compte tenu des ressources à notre disposition, il pourrait y avoir une baisse. Et si c'est le cas, ce qui est pour l'instant impossible à trancher à partir des données anecdotiques du conseiller en responsabilité sociale des entreprises, la baisse pourrait être due aussi bien au recul des investissements par suite du ralentissement de l'expansion du secteur des matières premières qu'à un autre facteur.
Monsieur Haslam, vous avez dit deux choses. La première est que vous avez constaté une amélioration de la responsabilité sociale des sociétés canadiennes. Vous avez affirmé qu'elles avaient besoin de mécanismes institutionnels pour mobiliser les collectivités et assurer une redistribution de bénéfices substantiels. Est-ce que le gouvernement du Canada pourrait faire un travail de sensibilisation auprès des sociétés canadiennes?
C'est une question très intéressante.
Certains codes exigent des consultations continues. C'est quelque chose que le gouvernement pourrait exiger. Je ne pense pas que le gouvernement aurait avantage à dire aux sociétés ce qu'elles doivent faire de leurs bénéfices. En revanche, les sociétés qui dépensent et qui investissent davantage dans les collectivités tendent à mieux réussir leur intégration. Je ne sais pas s'il serait indiqué, ou même possible d'un point de vue pratique et juridique, que le gouvernement canadien adopte une réglementation d'application extraterritoriale.
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