SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 9 novembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, mesdames et messieurs.
Bienvenue à la 84e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Nous en sommes à la seconde réunion de notre étude sur la situation des droits de la personne en Somalie. Ces réunions ont été convoquées à la suite de l'horrible attentat au camion piégé qui a eu lieu à Mogadiscio le 14 octobre dernier, qui a fait 358 victimes, et de celui du 28 octobre, qui en a fait 27. Les deux attaques ont été revendiquées par le groupe terroriste al-Shabaab.
Comme nous l'avons entendu hier, les Somaliens subissent des violations graves de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux, et ils vivent dans un climat d'insécurité constante, notamment à cause de la famine.
Les élections tenues en 2016 et l'engagement renouvelé de la communauté internationale ont insufflé l'espoir d'un retour à la paix en Somalie, mais la situation reste extrêmement précaire. C'est le contexte dans lequel s'inscrivent les présentes audiences du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Aujourd'hui, nous accueillons trois témoins.
Mme Fowsia Abdulkadir est membre fondatrice du Ogaden Human Rights Committee of Canada. Elle a mené des recherches sur la justice transitionnelle et le rôle du droit coutumier en Somalie, de même que sur le rôle des femmes en matière de gouvernance et de résolution de conflits dans la Corne de l'Afrique.
Bienvenue, madame Abdulkadir.
Je viens d'apprendre que M. Aw-Osman, le directeur général de Canadian Friends of Somalia, a eu un empêchement en chemin. Il ne pourra probablement pas venir témoigner. Nous lui demanderons s'il peut nous transmettre un document d'information.
Notre troisième témoin est Laetitia Bader. Mme Bader est chercheuse principale à la division Afrique de Human Rights Watch, et elle se concentre principalement sur la Somalie. Elle a mené des enquêtes sur les violations des droits de la personne liées au conflit, et particulièrement celles qui touchent les enfants, les personnes déplacées à l'intérieur du pays et les détenus politiques.
Merci à vous deux de mettre votre temps à la disposition du Sous-comité. Je vous invite à nous présenter vos observations préliminaires. Madame Bader, je vous demanderais de commencer, parce que je sais que la connexion vidéo peut être capricieuse. Pour l'instant, vous êtes avec nous, alors nous allons en profiter avant de nous tourner vers Mme Abdulkadir.
Madame Bader, nous vous écoutons. Merci d'être des nôtres.
Je n'ai même pas l'excuse d'être à Mogadiscio en ce moment.
Honorables membres du Sous-comité, je vous remercie de tout coeur de m'avoir invitée à dresser un état de la situation des droits de la personne en Somalie.
[Français]
Membres du comité, je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui. Je vais faire ma présentation en anglais, mais je serai ravie de répondre aux questions en français à la fin.
[Traduction]
Les violations commises par toutes les parties au conflit armé en Somalie, exacerbées par la nouvelle crise humanitaire, continuent d'affliger cruellement la population civile. En février, comme nous le savons tous et comme vous l'avez rappelé, un nouveau président a été élu et un nouveau gouvernement a pris les commandes à l'issue d'un processus interminable et pour le moins litigieux.
Il est indéniable que la nouvelle administration a franchi des pas importants, les plus notables étant d'avoir placé la crise humanitaire au sommet de ses priorités depuis le début, et d'avoir pris des mesures pour clarifier la structure des forces de sécurité et établir une commission nationale des droits de la personne. Toutefois, à cause des querelles politiques, notamment avec les nouveaux États membres fédéraux provisoires, les réformes essentielles dans les secteurs de la justice et de la sécurité tardent à venir.
Je concentrerai mes remarques sur quelques sujets précis. Je parlerai tout d'abord des attaques constantes, y compris des attaques ciblées contre des civils, dans un contexte de conflits permanents et d'opérations de sécurité contre le groupe islamique armé al-Shabaab; des violations commises par ce groupe; de l'impunité dont les forces de sécurité et d'autres acteurs jouissent sur le terrain; de la situation de la population déplacée à l'intérieur du pays; des violences sexuelles, ainsi que du recrutement et de l'utilisation d'enfants, parfois gardés en détention, pour la perpétration de crimes liés à la sécurité.
Pour commencer, j'insiste sur les effets dévastateurs que les opérations militaires continuent d'avoir sur les civils en Somalie. Bien entendu, ces opérations tuent et blessent des civils, mais elles provoquent aussi des déplacements massifs de populations civiles. La même chose pourrait être dite des luttes entre les clans qui ont repris de plus belle dans plusieurs régions du centre-sud du pays. Les forces de sécurité continuent de tuer et de violenter illégalement des civils, souvent dans le cadre des luttes qu'elles se livrent entre elles pour installer leur domination sur des territoires ou des barrages routiers, ou lors d'opérations de désarmement, mais aussi durant des activités de distribution de l'aide humanitaire.
Par exemple, le 9 juin, les combats entre différentes forces régionales ont fait 13 victimes et 20 blessés chez les civils au cours d'une opération de distribution de vivres à Baidoa, l'une des villes au coeur de la crise humanitaire qui a frappé le pays cette année.
Les civils sont aussi les victimes des attaques ciblées ou aveugles qui ponctuent les luttes pour les ressources ou la défense d'idéologies politiques. Les milices des clans et les forces régionales… Par exemple, le Bas-Shabelle, une zone névralgique très dangereuse, surtout depuis 2013, est secoué par les tensions et les rivalités de très longue date entre les clans. La frontière entre les deux parties de la ville disputée de Gaal Kacyo a été le théâtre de nombreuses batailles en 2013 et de nouveau cette année.
Les Nations unies rapportent qu'une bonne partie des pertes civiles sont attribuables aux opérations terrestres et aux raids aériens des forces de l'Union africaine et d'autres forces étrangères.
Je reviens de Mogadiscio, où j'ai interrogé des survivants d'un raid aérien mené par les forces kenyanes dans la région de Gedo le 26 septembre dernier. L'opération a blessé quatre chameliers et 20 de leurs chameaux, et ce n'est pas une première. Les forces kenyanes ont multiplié les frappes contre des cibles civiles innocentes et tué du bétail dans cette région extrêmement pauvre.
Le problème ici est que personne ne rend de comptes à personne, ou à peu près. Actuellement, la seule structure de reddition de comptes à la disposition du gouvernement de Mogadiscio est l'agence nationale du renseignement, un organisme légalement dépourvu de pouvoir d'arrestation et de détention, qui tente de mener de front beaucoup de dossiers d'enquête. Je continue d'accumuler des preuves de violations graves perpétrées par cette agence de renseignement, au nombre desquelles se trouvent des abus de procédure, mais également l'obtention d'aveux sous la contrainte.
En parallèle, le gouvernement maintient en place des tribunaux militaires dans la région du centre-sud, mais de plus en plus aussi dans le Puntland, devant lesquels des personnes sont traduites en justice dans le plus grand mépris des normes internationales d'application régulière de la loi.
Depuis 2011, ces tribunaux ont instruit presque toutes les causes de terrorisme. Il est notoire que leurs condamnations à mort sont prononcées au terme de procédures éminemment douteuses et controversées.
Par ailleurs, à l'instar des missions de maintien de la paix, les forces de l'Union africaine sur place dépendent de la volonté des pays contributeurs de troupes pour ce qui est de la reddition de comptes. Depuis des années et à d'innombrables reprises, nous avons été témoins de violations flagrantes des forces de l'Union africaine et d'une volonté extrêmement timide des pays contributeurs de troupes d'exiger l'imputabilité de leurs forces.
Tout juste l'an dernier, les forces éthiopiennes sont entrées dans un village de la région de Bay et y ont tué 14 aînés. Les conséquences ont été désastreuses pour le village. Le quartier général des forces de l'Union européenne avait alors promis de mener une enquête. Une commission d'enquête a effectivement été dépêchée sur les lieux, mais le rapport n'a jamais été publié et les villageois n'ont reçu aucune indemnisation.
De toute évidence, le premier rang pour ce qui est des violations commises dans le pays appartient toujours à al-Shabaab, qui conserve la mainmise sur une bonne partie du centre-sud de la Somalie. Al-Shabaab continue de se livrer à des violations odieuses dans les régions sous son emprise, dont les exécutions arbitraires. La semaine dernière, nous avons de nouveau assisté à l'exécution de personnes accusées d'actes d'espionnage à la solde de forces étrangères et des forces gouvernementales. Comme je l'expliquerai un peu plus de détail tout à l'heure, al-Shabaab perpétue le recrutement forcé d'adultes, mais d'enfants aussi, et l'extorsion de taxes par le recours à des menaces contre des collectivités indigentes, parmi lesquelles certaines ont été les plus dévastées par la sécheresse.
Nous avons constaté aussi qu'al-Shabaab avait joué un rôle capital dans plusieurs conflits claniques. Je citerai à nouveau la région du Bas-Shabelle, où l'animosité entre les clans des Habar Gidir et des Biyomal atteint un paroxysme. D'année en année, al-Shabaab a attisé les rivalités en retirant tour à tour son appui à l'un pour le prêter à l'autre. Cette année, nous avons recueilli des preuves de son implication dans les attaques menées contre la communauté des Biyomal dans plusieurs villages du Bas-Shabelle, qui ont pris la forme d'enlèvements, parmi les aînés surtout, de vols de bétail et d'incendies. Les attaques ont véritablement décimé cette minuscule communauté, dont les villages sont partis en flammes. J'ai pu m'entretenir avec beaucoup de personnes qui ont été déplacées à ce moment, qui ont fui vers Mogadiscio. En mai seulement, au moins 15 000 personnes ont été déplacées à la suite de cette salve d'attaques concentrées.
Le bilan des victimes civiles a été alourdi davantage par les explosions d'engins improvisés à bord de véhicules à Mogadiscio, revendiquées par al-Shabaab ou qui lui ont été attribuées. J'étais présente lors de la seconde des attaques récentes, que vous avez évoquées. L'horreur de l'attentat du 14 octobre est indescriptible, pour toutes sortes de raisons. Le carrefour où il s'est produit est très fréquenté, par toutes sortes de gens. Des autobus scolaires s'y trouvaient. C'est l'endroit où les personnes déplacées se rendent chaque jour pour trouver toutes sortes de petites besognes qui leur permettent de survivre. Les chiffres officiels parlent de 358 morts, mais nous savons qu'il y a eu beaucoup plus de victimes qui ne seront jamais identifiées.
Des violations sont commises contre les enfants. Ils sont l'avenir de la Somalie, bien évidemment. Beaucoup trop souvent, les premières victimes des crises des droits de la personne et humanitaires sont les enfants. Encore aujourd'hui, des groupes armés tuent et mutilent des enfants, ou attaquent des écoles.
À titre d'exemple, le 18 avril dernier, en plein jour, des rebelles non identifiés ont tiré des obus au centre de Mogadiscio. Personne n'a revendiqué l'attaque. Une école et une maison ont été touchées, et une fillette de huit ans ainsi qu'un autre civil ont été tués. J'ai parlé à beaucoup d'élèves qui se trouvaient à l'intérieur de l'école lorsque l'obus a frappé. Imaginez le traumatisme qu'ils ont subi et la peur qu'ils éprouvent de retourner à l'école après une telle attaque. Pensez aussi aux conséquences à long terme pour tous ceux qui vivent dans ce climat de peur et qui endurent ces traumatismes au jour le jour.
Selon les Nations unies, al-Shabaab aurait doublé le nombre d'enfants recrutés depuis 2016. J'étais à Baidoa il y a deux semaines, où je me suis entretenue avec des membres de collectivités ciblées depuis juin dernier et qui, à cause des nouvelles pressions exercées contre eux, n'ont pas le choix de laisser partir les enfants pour qu'ils fréquentent des écoles coraniques dirigées par al-Shabaab, les madrasas. J'ai parlé à des membres de leur famille, mais aussi à des enfants qui ont été envoyés dans des villes sous contrôle gouvernemental pour échapper au recrutement du groupe al-Shabaab. Ces enfants sont forcés d'abandonner l'école. Souvent, ils sont séparés de leurs parents et se retrouvent dans des villes où la crise humanitaire fait déjà des ravages. Inutile de dire que ce n'est rien pour améliorer la situation.
Il va de soi que les violations ne prennent pas fin quand les enfants recrutés par al-Shabaab prennent la fuite. J'ai parlé à beaucoup d'enfants qui avaient été sous la férule d'al-Shabaab et qui ont continué de subir les sévices des autorités gouvernementales après leur fuite.
Le gouvernement fédéral s'est engagé à réhabiliter les enfants liés à al-Shabaab. Nous avons constaté certains progrès pour ce qui est de la remise des enfants à l'UNICEF et à d'autres organismes de protection de l'enfance, mais nos recherches récentes indiquent que tout cela reste encore arbitraire. Énormément d'enfants sont séquestrés pendant de longues périodes par les services de renseignement subissent des abus, et sont privés d'accès à leur famille ou à un avocat. Très peu d'entre eux, une poignée en fait, aboutissent devant les tribunaux militaires et sont traduits en justice.
Nous avons amassé des preuves concernant divers cas à Mogadiscio, mais aussi dans la région du Puntland où, dans la dernière année, 11 enfants ont été condamnés à mort. D'autres ont vu leur peine renversée, mais ils restent emprisonnés très longtemps. C'est un problème réel, qui met en question la volonté véritable du gouvernement de traiter les enfants pour ce qu'ils sont vraiment: des victimes qui ont besoin de soutien et qui doivent être réhabilitées.
Étant donné que le Canada verse une aide humanitaire considérable à la Somalie, je voudrais maintenant aborder la question de la situation humanitaire et, pour des raisons évidentes, celle de la population déplacée en particulier. J'ai parlé des déplacements massifs au cours de la dernière année. Les Nations unies estiment à 900 000 environ le nombre des nouvelles personnes déplacées. Pour une bonne partie, la sécheresse était en cause, mais il faut savoir qu'en Somalie, la sécheresse, l'insécurité et les conflits vont souvent de pair. Actuellement, on pense qu'approximativement 2,1 millions de personnes sont déplacées et se trouvent pour la plupart dans des villes sous contrôle gouvernemental ou en périphérie des villes, à des endroits très difficilement accessibles à l'aide humanitaire.
Si j'en reviens aux violations commises, elles prennent la forme d'actes de violence aveugle, d'agressions sexuelles, mais aussi d'évictions forcées, parfois sous la coupe des forces gouvernementales. Au cours des quatre ou cinq premiers mois de 2017, près de 60 000 personnes ont été victimes d'évictions forcées, principalement à Mogadiscio. Par conséquent, les déplacés s'entassent de plus en plus nombreux aux périphéries des villes, à des endroits où l'aide humanitaire peine à se frayer un chemin, et où ils sont encore plus vulnérables et exposés à une insécurité accrue.
Je trouve important de souligner également que l'espace d'asile se rétrécit comme une peau de chagrin pour les Somaliens, et particulièrement dans le pays voisin, le Kenya. Depuis une année environ, nos recherches ont beaucoup porté sur les répercussions de la décision du gouvernement kenyan de fermer le plus grand camp de réfugiés du monde, celui de Dabaad. Nous avons examiné le programme d'aide au retour dit volontaire offert aux Somaliens par les Nations unies, et nous avons conclu qu'étant donné les facteurs d'incitation à quitter le Kenya, ce retour a été était tout sauf volontaire.
Madame Bader, je dois vous demander de conclure en une petite trentaine de secondes, car nous voulons avoir du temps pour les questions. Je suis certain que vous pourrez revenir sur les autres sujets que vous comptiez aborder dans vos réponses.
Excellent.
J'insiste là-dessus parce que, de toute évidence, bon nombre de réfugiés qui ont quitté le Kenya ont abouti dans des camps pour personnes déplacées en Somalie même.
Je terminerai sur trois recommandations.
Premièrement, au nom de son engagement auprès du gouvernement somalien, mais également auprès des pays contributeurs de troupes et des autres forces étrangères sur place, le Canada doit bien faire comprendre l'importance de la reddition de comptes, de la transparence et de l'instauration de mécanismes de responsabilisation pour les forces de l'Union africaine et celles du gouvernement somalien.
Deuxièmement, la planification et la programmation de l'aide humanitaire doivent accorder la priorité à la protection et à la surveillance de celle-ci, un principe trop souvent balayé sous le tapis en Somalie, mais dont nous avons constaté les résultats à maintes occasions lorsque de nouveaux facteurs de vulnérabilité font craindre des crises.
Troisièmement, étant donné la réduction des espaces d'asile pour les Somaliens dans leur région, le Canada doit impérativement continuer d'accueillir ceux qui sont exposés à des persécutions.
Merci.
Merci. Je tiens également à vous remercier, honorables membres du Comité, de m'avoir invitée à participer à vos travaux. Je suis contente que Laetitia soit passée avant moi. Son exposé était beaucoup plus détaillé et précis que le mien.
Je vais tout d'abord vous faire une mise en contexte. La complexité de la situation actuelle en Somalie est notoire, mais je pense qu'il est essentiel de mettre en lumière certains éléments à l'origine de cette complexité. Je m'intéresse au domaine de la justice sociale et j'en ai fait mon champ d'études. Plus particulièrement, j'ai mené des travaux sur ce qui pourrait constituer un mécanisme valable de justice transitionnelle en Somalie. À l'instar d'autres auteurs qui ont publié des écrits sur la question, je me suis demandé comment la Somalie et son peuple pourront se rétablir après tant d'épreuves. Vous le savez sans doute, la Somalie a été déclarée en déroute voilà plus d'une vingtaine d'années. Elle a maintenant un gouvernement, certes, mais il reste très fragile.
Depuis les années 1990, cet État en déroute a été le théâtre de violations de droits de la personne et de conflits. Le pays est extrêmement fragmenté sur les plans politique et social, les clans se livrent à une guerre sans merci, et des collectivités entières ont été impliquées — tous les membres n'étaient pas forcément impliqués, mais des milices d'adolescents armés ont utilisé et mobilisé des effectifs en fonction de leur appartenance clanique. Bref, les rivalités intercommunautaires sont très vives et de vieilles rancunes irrésolues divisent les Somaliens.
Diverses études explorent et font valoir la nécessité d'instaurer un régime de justice transitionnelle et de lutter contre les violations endémiques et systémiques des droits de la personne en Somalie. Human Rights Watch et Amnistie internationale ont fait des recherches et publié des écrits sur la question, mais ils sont loin d'être les seuls à s'y être intéressés.
Je tiens à souligner que des violations des droits de la personne étaient perpétrées bien avant la guerre civile en Somalie. Je rappelle que le pays a été sous l'emprise d'une dictature militaire pendant 21 années, soit de 1969 à 1990.
Toute réflexion sur cette situation complexe devrait selon moi inclure les recherches de Charles Geshekter, un historien qui déjà en 1993 écrivait ce qui suit:
L'effondrement de la Somalie soulève d'importantes questions stratégiques concernant la culture du pouvoir dans l'État moderne, la notion de bonne gouvernance, les principes de la souveraineté nationale et le concept de l'intervention humanitaire. [Traduction]
La complexité dans ce contexte englobe les droits de la personne, mais également toutes les questions liées à l'aide humanitaire qui ont émergé ensuite.
Les méthodes de l'État somalien, l'absence d'institutions de justice et de mécanismes de responsabilisation, comme l'intervenante qui m'a précédée l'a souligné, l'impunité avec laquelle les personnes qui détiennent le pouvoir en ont fait mauvais usage, ainsi que l'étalage éhonté d'un mépris absolu de la vie humaine et des biens personnels soulèvent toutes sortes de problèmes. À ces problèmes viennent s'ajouter les capacités limitées des institutions de l'État et leur effondrement.
En matière de violations des droits de la personne, la complexité de la situation en Somalie tient au fait que celles qui ont été perpétrées sous le régime militaire, puis par la milice et les chefs de guerre des clans sont désormais… Nous avons vu des étrangers, c'est-à-dire des acteurs qui ne sont pas somaliens, commettre des violations des droits de la personne en Somalie. Par exemple, des forces venues d'États frontaliers se comportent comme bon leur semble à la frontière, et des soldats de la Mission de l'Union africaine, à l'instar d'autres groupes de gardiens de la paix, bafouent les droits de la personne et tuent des civils, ou forcent des enfants à poser certains gestes.
Ces 27 dernières années, seulement les soi-disant équipes de sécurité ou armées ont engagé d'enfants et les ont contraints à devenir des gardes de sécurité personnels, des soldats ou des fantassins, peu importe. Ce sont deux, voire trois générations d'enfants qui ont grandi, été recrutés et transformés en véritables machines à tuer.
En 2016, je suis restée en Somalie pendant huit mois pour diriger une équipe de chercheurs à l'appui des missions d'aide à la Somalie de l'ONU, ONUSOM, et de maintien de la paix de l'Union Africaine en Somalie, AMISOM, à Mogadiscio.
Quand al-Shabaad a lancé ses attaques dans le Puntland, un grand nombre d'enfants ont été capturés et faits soldats. Ces enfants se sont livrés parce qu'ils étaient effrayés. Ils ont été emmenés de la région du centre-sud jusque dans le Puntland par bateau. Je sais que l'UNICEF et d'autres intervenants ont tenté de convaincre le gouvernement du Puntland de ne pas persécuter ces enfants et de ne pas les traduire devant des tribunaux militaires, mais il n'existe pas vraiment d'autres institutions dignes de ce nom. Les violations contre les droits de la personne mettant en cause le recrutement d'enfants-soldats et utilisés à d'autres fins dans des milieux où règnent une pauvreté extrême et l'anarchie… La seule issue pour eux est l'embrigadement. Ces enfants sont recrutés parce que personne ne les protège contre les contraintes dont ils font l'objet.
Les problèmes ont été exacerbés par la guerre civile et l'escalade des conflits intercommunautaires. Si vous parlez aux Somaliens, vous constaterez que le problème est multidimensionnel. Certains s'entêtent à dire que leurs biens dans la capitale sont encore sous l'emprise de ceux qui les ont pris. Personne ne cherche à comprendre ce qui s'est passé, les plaies restent ouvertes. En parlant aux Somaliens, on se rend compte qu'ils restent campés sur leurs positions, que personne ne cherche vraiment de solutions aux conflits. Les plaies béantes que nous observons aujourd'hui sont les résultats de l'inaction; rien n'a été tenté pour favoriser une véritable réconciliation entre les gens et les collectivités.
Laetitia a donné des exemples d'événements survenus au Bas-Shabelle, à Marka. Les chefs de guerre qui ont pillé les villages font maintenant partie de ceux que l'on appelle le « personnel de la sécurité nationale ». La dynamique des clans a joué de telle sorte que ce sont eux qui portent l'uniforme militaire national. Pourtant, des villageois vous diront qu'un tel était un chef de guerre dans les années 1990 et 2000, et qu'il travaille maintenant pour le gouvernement. Les problèmes sont multidimensionnels et d'une complexité inouïe, et il faut les tirer au clair. La Mission de l'Union africaine, les Nations unies et tous leurs homologues de la communauté internationale font des efforts louables pour créer des institutions, mais il faudra commencer par donner la possibilité aux collectivités de se réunir et d'essayer de comprendre, de manière organique, les processus sous-jacents des conflits socio-politiques.
Ces problèmes sont le propre de toute guerre civile. Les conséquences meurtrières de la guerre civile qui secoue la Somalie sont complexes, mais elles le sont d'autant plus que les réconciliations politiques sont très superficielles. La réconciliation doit se faire de bas en haut, tout d'abord entre les voisins, à l'échelon communautaire, puis à l'échelon des régions et, enfin, à l'échelon national.
Je crois que la communauté internationale ne comprend pas bien cet aspect, et notamment des pays comme le Canada. La présence militaire est partout, que ce soit les forces ceux de la Mission de l'Union africaine, les drones et que sais-je. Tous les intervenants tentent de museler les groupes d'insurgés à l'intérieur de la Somalie, mais ils semblent peu intéressés par les processus socio-politiques à l'oeuvre. Pourtant, ce serait selon moi la seule façon de ramener l'ordre et de donner de véritables ancrages aux institutions de gouvernance. Actuellement, celles qui sont en place ont été imposées et tiennent sur des assises trop incertaines.
Des clans continuent de chercher vengeance les uns contre les autres. Des gens sont en perpétuel déplacement à l'intérieur du pays, et les groupes de déplacés internes sont les plus vulnérables, après les enfants. Éloignés du lieu où ils cultivaient la terre et élevaient leurs troupeaux, ils se retrouvent barricadés dans un centre urbain pour déplacés, sans aucune liberté de mouvement. Les organismes d'aide qui tentent de joindre ces personnes doivent négocier avec ceux qui se sont arrogé le rôle de « gardiens de camp » et pour qui il est devenu payant de maintenir les déplacés internes en détention.
Les groupes de déplacés internes sont constitués en très forte majorité de femmes et d'enfants, et sont extrêmement vulnérables aux violences sexuelles commises par plusieurs groupes. La communauté somalienne est divisée en clans. Dans chaque collectivité, il existe des minorités et des clans dits dominants, et les personnes déplacées peuvent venir d'un clan minoritaire ou se retrouver dans une autre ville que leur ville d'origine. Elles ont fui une autre partie du pays, et forment les groupes les plus vulnérables.
Les viols sont endémiques. Ils sont perpétrés non seulement par les soldats somaliens, mais par toutes les factions. Il faut s'occuper de ce problème aussi, parce qu'il se produit de la violence sexuelle. Je sais que Human Rights Watch, Amnistie Internationale et bien d'autres ont écrit à ce sujet, mais les civils, les enfants et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays sont ceux qui subissent le plus de violations des droits humains. Les factions belligérantes sont à l'origine de ces conditions humanitaires qui continuent à dévaster la population.
Le gouvernement, aussi fragile soit-il, tente de s'engager à faire quelque chose, mais parfois on entend que ses propres forces de sécurité, dont les salaires ne sont pas versés régulièrement, pratiquent le pillage. Je me souviens d'avoir parlé avec des troupes de l'AMISOM qui effectuent des missions dans le pays et qui sont prêtes à travailler avec l'Armée nationale de la Somalie. Donc, l'AMISOM laissait l'Armée nationale de la Somalie dans un village qu'elle venait tout juste de libérer, mais elle ne tardait pas à constater que l'Armée installait des barrages routiers et commençait à pratiquer de l'extorsion auprès de la population. Parfois, les communautés vont jusqu'à dire, « Vous savez quoi? Lorsque al-Shabaab était ici, au moins nous n'avions à payer qu'une seule personne. Maintenant, il y a des barrages un peu partout, et nous devons payer à des tas de personnes. » C'est un autre problème, l'incapacité du gouvernement de conserver ces territoires, et de sécuriser la population.
Pour ce qui est des assassinats ciblés, c'est absolument vrai que l'on pratique le ciblage de personnes, soit des membres de la diaspora, des dirigeants politiques, ou des défenseurs des droits de la personne actifs. Cette forme d'assassinat ciblé est pratiquée quotidiennement. Elles sont le fait des groupes extrémistes. Mais aussi, des seigneurs de guerre, des milices, et de tous ceux qui sont susceptibles d'en tirer profit. Après avoir vécu pendant près de 30 ans dans le non-respect des lois, toutes ces exactions ne sont pas pratiquées hors de tout contexte. Nous sommes dans une économie de guerre. Il y a ceux qui en tirent parti, les profiteurs de guerre, et ce sont eux qui règlent leurs comptent, et qui commettent les violations des droits de la personne.
Journalistes et médias sont l'autre groupe qui essuie le plus fort des attaques. Les médias sont continuellement ciblés et assassinés. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais tous les ans, un grand nombre de journalistes sont assassinés et les locaux des médias sont attaqués.
Madame Abdulkadir, peut-être pourriez-vous conclure dans la minute qui vient afin que tous les groupes présents puissent poser leurs questions.
Entendu.
J'aimerais aussi mentionner les processus alambiqués qui se rattachent aux soi-disant cadres de justice en place et qui sont opérationnalisés en Somalie. Compte tenu de l'effondrement total de l'État, un système complexe s'est mis en place et comme vous le savez, la charia est appliquée; le droit coutumier somalien, appelé le xeer, est lui aussi opérationnalisé, de même que le droit civil et criminel du gouvernement. Comme vous le voyez, il y a au moins trois cadres de justice en place actuellement.
Étant donné que les institutions ne sont pas très solides, les gens peuvent très bien dire au gouvernement, « Nous allons régler notre différend avec les Anciens, selon le droit coutumier » ou encore « Nous allons appliquer la charia ». Alors, qui a accès à ces systèmes? Où cela mène-t-il les femmes et les enfants, la plupart du temps? Parce que les gens d'affaires et les seigneurs de guerre contrôlent ces arènes, qu'il s'agisse de la charia, des Anciens ou du gouvernement, les gens sont vraiment laissés pour compte du point de vue de l'accès à la justice, et surtout les femmes.
Je vais m'arrêter ici.
Je vous remercie beaucoup, toutes les deux, pour votre témoignage.
Nous allons passer directement aux questions, et commencer avec le député Sweet.
Merci beaucoup, monsieur le président. J'apprécie beaucoup les témoignages que nous venons d'entendre. Le fait que la situation soit des plus sombres n'est pas le moindre de leurs problèmes. Il s'agit certainement de l'une des pires situations dont nous ayons entendu parler dans ce comité pendant la présente session du Parlement.
Hier deux autres témoins, Ian Spears et Ken Menkhaus, sont venus nous présenter leurs propres observations. J'aimerais confirmer avec vous certaines de leurs remarques afin que nous puissions les consigner au compte rendu pour notre rapport.
Vous venez de nous décrire comment al-Shabaab sème la destruction et la mort, la violence entre les clans, et les assassinats de civils perpétrés par les forces de sécurité. Et comme si ce n'était pas suffisant, il doit y avoir une diminution de l'espace, et une diminution de la présence des ONG qui auraient la capacité de rester sur place et d'assurer leur propre protection. Compte tenu de la situation sur le plan de la sécurité, est-ce qu'un nombre important d'ONG ont quitté la région, des ONG qui, normalement, auraient pu assurer des services à ces personnes déplacées?
Madame Bader.
Évidemment, je ne suis pas spécialiste des organismes humanitaires, mais c'est une chose que nous avons bien entendu tenu à vérifier.
Je ne peux pas affirmer qu'il y ait une réduction de l'espace. En 2011, je menais des recherches dans toutes les communautés où il y avait des gardiens de camp à Mogadiscio à l'époque. À mon avis, la différence c'est qu'il y a quelques endroits de plus à proximité de l'épicentre — la ville de Baidoa, par exemple, où en 2011, les personnes déplacées à l'intérieur de la Somalie ne pouvaient pas se rendre — qui se sont ouverts. Cela signifie, que d'une certaine manière, les acteurs humanitaires ont un accès un peu plus rapproché à certaines des communautés les plus vulnérables, mais cet accès est incroyablement limité.
À Mogadiscio, beaucoup d'organismes internationaux d'aide humanitaire ne vont pas au-delà du kilomètre 13; ils ne s'aventurent pas plus loin hors de la ville. Au cours des six derniers mois — et il y a seulement deux semaines aux environs de Baidoa, et cela s'est produit aussi autour de Belet Weyne — on a vu des employés des ONG locales s'aventurer un peu plus loin dans les zones sous le contrôle d'al-Shabaab et se faire kidnapper et rançonner. Tous ont finalement été libérés, mais après des négociations assez ardues. D'après ce que racontent les gens d'al-Shabaab, le plus souvent c'est parce qu'ils veulent que les personnes qui s'occupent de leurs communautés le fassent en fonction de leurs propres conditions, mais du point de vue de l'accès, il est clair que cela limite considérablement les interventions.
Nous avons aussi été témoins de beaucoup d'attaques ciblées sur des acteurs humanitaires au cours de la dernière année, donc la situation demeure incroyablement difficile. Cela signifie qu'il s'exerce une surveillance limitée de ce qui se passe ici. Au bout du compte, cette situation a des répercussions considérables sur les plus vulnérables, et les empêche de recevoir l'aide dont ils ont réellement besoin.
Ce qui me ramène au commentaire de Fowsia sur les gardiens de camp. Ce sont eux qui tiennent les rênes autour des établissements de personnes déplacées à l'intérieur du pays, surtout à Mogadiscio, où sévit un système bien arrêté, parce qu'il n'y a personne d'autre pour assurer la surveillance. Le gouvernement ne gère aucun de ces établissements de personnes déplacées; ce sont des individus qui le font, habituellement des personnes qui entretiennent des liens avec les milices claniques locales, et qui contrôlent l'entrée, l'accès, et ainsi de suite dans ces enclaves et qui déterminent souvent aussi quelles personnes parmi les déplacées auront accès à de l'aide.
C'est un contexte très difficile.
Madame Abdulkadir, en ce qui a trait aux enfants-soldats, est-ce que les Nations unies pourraient jouer un rôle à cet égard? Autrement dit, plutôt que de les appréhender, on pourrait les conduire dans un endroit où ils pourraient commencer, faute d'un meilleur mot pour décrire le processus, leur déprogrammation et leur sensibilisation sur le plan culturel afin qu'ils puissent réintégrer leur communauté? Est-ce que les Nations unies pourraient jouer un rôle en incitant un groupe de pays qui ont déjà été aux prises avec ce problème à négocier avec la Somalie — et plutôt que d'incarcérer ces enfants, les remettre à un organisme sûr qui s'efforcerait de les réhabiliter?
Absolument, les Nations unies ont un rôle à jouer.
Il existe une initiative à petite échelle à cet égard. Il y a un centre à Baidoa, une ville dans le sud. Les programmes DDR des Nations unies, soit les programmes de démobilisation, désarmement et réintégration, ont créé un centre dans lequel on essaie de... Il s'y trouve des enfants qui, après avoir peut-être joint les rangs d'al-Shabaab, ont été déçus et sont rentrés. Il y a un centre de formation. Mais c'est une initiative très limitée, lorsque j'y suis allée, il y avait autour de 16 enfants.
La MANUSOM, soit la Mission d'assistance des Nations unies en Somalie, a entrepris un processus qui élabore des stratégies de communication visant à réduire le nombre d'enfants qui sont attirés par al-Shabaab et mène une consultation dans la communauté à ce sujet. Je suis au courant d'une tentative d'ouvrir un autre centre à Kismayo, une autre ville portuaire située dans le sud du pays. Je pense que les travaux de construction du centre ont débuté, mais j'ignore s'il a ouvert ses portes.
L'UNICEF et les Nations unies font des efforts, mais il faudrait absolument soutenir ces efforts et leur donner plus d'ampleur. Très peu de gens peuvent circuler par voie routière dans le pays; mais maintenant que des États membres fédéraux existent, et que ces États membres fédéraux ont des capitales provisoires, plusieurs centres sont susceptibles d'être utilisés à cette fin. Ce n'est pas comme si tout était situé à Mogadiscio. Désormais, avec la mise en place d'un régime fédéral, on a la possibilité de créer plusieurs de ces centres dans diverses régions, et oui, en effet, la communauté internationale et les Nations unies ont un rôle à jouer dans leur construction.
Pour nos recommandations, puis-je demander aux attachés de recherche d'obtenir un rapport sur les programmes DDR à savoir s'il s'agit de l'un de ces programmes des Nations unies qui manquent de fonds et pour déterminer ce que nous pourrions recommander à cet égard au moment de parachever notre étude?
Peut-être que je peux intervenir sur cette question parce que je vais publier un rapport à ce sujet dans deux mois.
Madame Bader, il faudra nous donner une réponse très brève parce que nous voulons donner la parole aux autres membres, et que le temps file. Donc, rapidement, s'il vous plaît.
La réponse très courte est qu'il faudrait que ce processus fasse l'objet de beaucoup plus de surveillance, et que ce n'est pas le cas en ce moment. Pour les enfants qui arrivent dans ces centres, parce qu'il y en a déjà un certain nombre, l'issue dépend souvent de leur clan et de leur situation économique, c'est ce qui détermine s'ils iront dans ces centres ou s'ils échoueront en prison. Pour le moment, je pense que l'un des plus grands sujets de préoccupation tient au fait qu'il ne s'exerce aucune surveillance de la manière dont ces enfants sont sélectionnés. Cela ouvre la porte à beaucoup d'arbitraire dans le processus. Je pense que c'est au niveau politique qu'il faudrait exercer des pressions.
Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie aussi nos deux témoins d'être venues nous faire part de leurs idées sur cette situation et nous décrire la crise en cours en Somalie.
Deux témoins sont venus hier, M. Menkhaus et M. Spears nous parler de la faiblesse des structures de l'État. Comme on peut le voir, depuis l'indépendance en 1960, ces structures sont loin d'être très solides. On a connu l'anarchie pendant la guerre civile, le gouvernement est tombé, et nous nous retrouvons avec un État failli.
Comment procéder pour renforcer ces structures étatiques? Al-Shabaab contrôle de larges pans de la Somalie. Les milices sont parvenues à recruter beaucoup de jeunes adultes. Madame Abdulkadir, vous avez mentionné que le recrutement avait doublé depuis 2016. L'Union africaine a échoué à certains égards et le gouvernement de la Somalie n'a pas réussi à empêcher al-Shabaab de contrôler de larges pans du pays.
Comment pourrions-nous renforcer ces structures étatiques, que ce soit à l'échelle locale, régionale et même nationale, comme vous l'avez mentionné?
C'est la question à un million de dollars : comment reconstruire l'appareil de l'État et ses institutions? Ils sont fragmentés, et à juste titre. Dans bien des régions de l'Afrique, après leur indépendance, des États, et particulièrement la Somalie, n'étaient pas suffisamment viables pour répondre aux besoins de leur population. Aussi, ils furent limités aux frontières de leurs capitales. Nous en avons été témoins et nous avons vécu dans une de ces villes-État : tout ce qui était absent dans le reste du pays se trouvait à Mogadiscio.
C'est pourquoi la chute de Mogadiscio a signé la chute de tout le gouvernement. La situation se complique du fait que la population s'est mobilisée en fonction d'identités politiques. Auparavant, les communautés n'étaient pas en guerre, mais désormais elles craignent de se rendre dans d'autres régions du pays. Tous se sont donc retranchés dans leur propre région. Le système fédéral est une sorte de compromis pour décentraliser cette ville-État.
Comment situer tout cela en contexte et créer...? Je pense que les interventions menées depuis les années 1990 ont été surtout militaires. Il y a eu en effet beaucoup d'interventions militaires. Pendant certaines périodes, la communauté internationale n'a rien fait, et les Somaliens ont été laissés à eux-mêmes. Avec la mission de l'Union africaine, ce sont encore des militaires qui interviennent. Plus de 24 000 troupes africaines en provenance de divers pays sont stationnées sur place, en plus de toutes les soi-disant forces de sécurité. Et pourtant, ils ne semblent pas être en mesure de juguler ces groupes qui ne comptent peut-être même pas 10 000 hommes, peut-être tout au plus 5 000 hommes.
Ce qui manque... et l'essentiel, serait d'essayer d'approfondir ces structures de gouvernance et de développer la confiance des communautés à l'échelle locale, tout en essayant en même temps de concilier les griefs et d'y répondre. J'ignore si ça répond à la question, mais je pense que le problème tient en partie à toutes ces interventions militaires et humanitaires, et au fait qu'il doive y avoir une vaste réconciliation politique et sociale, à tous les niveaux.
On commence à tenir des conférences au pays. Depuis très longtemps, les conférences se tenaient à Nairobi et à Kampala, afin que les politiciens puissent discuter entre eux. Maintenant que nous avons des États et des villes membres du régime fédéral, les politiciens peuvent effectivement se réunir au pays, pas seulement à Mogadiscio, mais dans différentes régions. La décentralisation du pouvoir et le fait de ne pas le concentrer uniquement dans une ville est le début de quelque chose de bien. Il reste à harmoniser cela avec les interventions militaires et les forces de sécurité et à entreprendre une forme de réconciliation sociale et politique, ainsi que des processus de résolution des conflits éclairés par les mécanismes autochtones.
J'espère que ça répond à votre question.
Merci beaucoup.
Voici ma deuxième question : elle touche la communauté somalienne du Canada qui a été touchée par les attaques à Mogadiscio. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que la communauté somalienne qui se trouve ici, au pays, pourrait faire pour se mobiliser et pour aider d'une manière quelconque les membres de leur famille élargie qui traversent une crise en Somalie?
Je pense que la diaspora, et plus particulièrement la diaspora canadienne, est restée en contact avec le pays et a offert de l'aide. Et je sais que vous avez tous entendu parler des envois de fonds. La Somalie a survécu sans État pendant les 30 dernières années surtout à cause des gens de la diaspora qui y envoient de l'argent. En effet, la diaspora canadienne s'est montrée particulièrement active, et nous avons des membres du Parlement fédéral, au niveau de la Somalie et des districts. Beaucoup de Canadiens d'origine somalienne sont rentrés au pays.
Les assassinats par les extrémistes sont monnaie courante, et les décès se dénombrent toujours parmi les civils somaliens. Toutefois, nous espérons que l'attaque du 14 octobre aura eu des effets positifs, parce que les gens développent une certaine solidarité. Les Somaliens sont galvanisés et ont décidé de se tenir debout face à ces assassinats atroces. Ce mouvement est en plein essor; la population commence à se rassembler et à dire que l'on doit exiger que les politiciens rendent des comptes. Il y a eu des rassemblements massifs à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Des campagnes de financement ont également eu lieu. Plusieurs événements ont été organisés. Nous avons tenu une vigile, ici-même au Parlement. La communauté se rassemble, elle dit que ça suffit. Elle se demande s'il ne serait pas plus efficace de faire pression sur les dirigeants du pays et de leur demander une meilleure reddition de comptes et une meilleure réaction aux questions liées aux droits de la personne.
Quant à la diaspora canadienne, elle a un rôle à jouer, c'est évident.
Je tiens à remercier nos témoins pour leurs renseignements qui poussent à la réflexion. J'aimerais commencer avec Mme Bader.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la réhabilitation des enfants-soldats. Vous avez indiqué à mon collègue que vous allez publier un rapport bientôt. Y faites-vous des recommandations concrètes susceptibles de nous éclairer au cours de notre étude?
Mon autre question est de nature générale et s'adresse à vous deux.
D'autres témoins sont venus nous dire qu'une partie du problème tient à l'impunité, sans parler d'une structure susceptible de donner accès à la justice — peut-être pourriez-vous nous dire en quoi nous pourrions vous aider à ce chapitre.
Apparemment, l'une des cibles faciles, si on peut dire, consisterait à s'occuper de la double citoyenneté. Certaines personnes possèdent la citoyenneté dans divers pays, en plus de la citoyenneté somalienne. Peut-être que cela pourrait représenter une occasion à saisir.
Voilà, c'est tout ce que j'avais à demander. Et vous pouvez vous partager le temps qui me reste, si le président le permet.
Je l'apprécie, merci.
Je vais d'abord répondre à la première question.
L'un des problèmes en ce moment tient, je dirais, à la fois à un manque de volonté politique concertée de traiter tous les enfants sur le même pied dans ce contexte, mais aussi au fait que des recommandations très concrètes impliquent, comme je l'ai déjà dit, la surveillance des établissements de détention qui sont gérés par les responsables du renseignement. En effet, le bureau du renseignement, que ce soit à Mogadiscio ou dans le Puntland, reçoit beaucoup d'aide internationale.
Veiller à ce qu'une surveillance soit exercée sur le processus de sélection et sur les interrogatoires est essentiel, et exiger somme toute l'application régulière de la loi. Lorsque des enfants sont ramassés lors de rafles massives — à Mogadiscio, la majorité des enfants ne sont pas ramassés sur le champ de bataille, mais plutôt lors de rafles massives effectuées très régulièrement à travers la ville — leurs parents mettent parfois des semaines à les retrouver. Il faut alors pouvoir compter sur la surveillance de l'application régulière de la loi dans le système du renseignement. L'une des choses très importantes est de s'assurer qu'aucun enfant ne soit traduit devant une cour martiale.
Pour revenir aux cas que Fowsia a mentionnés, qui ont eu lieu dans le Puntland l'année dernière. Les tribunaux du Puntland ont traduit une quarantaine d'enfants en cour martiale, et ces tribunaux laissaient beaucoup à désirer. Ces enfants ont ensuite été dirigés vers un programme de réhabilitation, mais cependant les sentences des tribunaux n'ont pas été annulées.
Par conséquent, je pense que toute une série de recommandations devraient porter sur le soutien de la communauté internationale aux programmes DDR. Ces programmes appuient, dans une certaine mesure, des activités visant les anciens combattants, mais il existe des zones grises quant à ce que sont réellement sur le plan juridique ces programmes à l'intention des anciens combattants. S'agit-il de solutions de rechange à des sentences d'emprisonnement? Est-ce que l'enfant, lorsqu'il atteint 18 ans, doit retourner en prison pour servir sa peine...? Donc, il y a de grandes zones grises susceptibles de comporter des risques réels de détention prolongée de ces enfants.
Je vais laisser Fowsia répondre à la question sur l'accès à la justice, et revenir au premier point qu'elle a fait valoir en disant qu'il faudrait peut-être commencer à penser à la justice transitionnelle. Je pense en effet que le moment est venu. Au moment où l'on se parle, le rapport de surveillance de l'application des sanctions du Conseil de sécurité à l'endroit de la Somalie et de l'Érythrée a été publié, et il en a été question au Conseil de sécurité. L'une de ses recommandations, que nous réclamons depuis des années, consiste à demander à un groupe de spécialistes des droits humains d'établir un rapport « mapping » sur la Somalie qui ferait l'inventaire des violations les plus graves des droits humains commises au fil du temps. Le rapport en question formulerait des recommandations très concrètes.
À mon avis, il s'agit d'une recommandation utile que le Canada devrait appuyer. Je pense qu'il serait utile de passer voir le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, comme on l'a fait au Congo et comme on est en train de le faire en Sierra en ce moment. Le moment est venu pour la Somalie d'établir un inventaire. Un inventaire dont on pourrait se servir ensuite dans le cadre de la justice transitionnelle, et pour se renseigner sur les pires violations des droits de l'homme, qu'elles aient été commises par des civils ou par des militaires.
Merci.
En ce qui concerne la situation et la réhabilitation des enfants-soldats, lorsque je me trouvais là-bas, la Mission de l'Union africaine en Somalie avait commandé une recherche et je vais essayer de la retrouver pour vous. Elle portait sur les enfants qui revenaient et on essayait de formuler des recommandations à cet égard et des stratégies de communication. Les responsables de la recherche ont parlé aux enfants qui se trouvaient au centre de Baidoa. Je vais tâcher de transmettre ce rapport au greffier.
Pour ce qui est de l'immunité, je pense que la justice transitionnelle et la réconciliation sont vraiment les points où il faut mettre les efforts. En tant que Canadienne d'origine somalienne, je pense que le Canada a un rôle à jouer à cet égard, et que cela commence par l'inventaire que je viens de mentionner.
Aussi, pour revenir aux personnes qui possèdent la double citoyenneté, et qui sont susceptibles d'être impliquées elles-mêmes dans des atrocités, je sais que l'on discute des moyens de s'en occuper. Des personnes que je connais au Royaume-Uni et ailleurs ont abordé le centre pour la justice des États-Unis pour l'informer que des dirigeants qui se trouvent actuellement en Somalie pourraient avoir été impliqués dans la situation actuelle. Existe-t-il des recours qui nous permettraient de leur demander des comptes en utilisant leur double citoyenneté? C'est une pente glissante, mais il faudrait que la communauté internationale fasse pression sur certains de ces dirigeants, parce que si les choses se gâtent, ils vont pouvoir quitter le pays avec leur passeport européen ou nord-américain, alors qu'ils ont peut-être trempé dans des violations des droits humains.
La consolidation de la paix, la résolution de conflits et la justice transitionnelle, c'est là que nous sommes rendus. Parce que cela fait une vingtaine d'années que l'on essaie de trouver une solution par des moyens militaires, et que l'on n'a pas réussi à mettre en place de structures de gouvernance stables. Le moment est peut-être arrivé d'ouvrir ces dialogues.
La constitution de la Somalie prévoit la création d'une commission des droits de la personne, d'une commission de vérité et de réconciliation. Depuis 2012, le gouvernement est censé avoir établi cette commission au cours de ses 100 premiers jours au pouvoir. Mais la commission n'a pas été créée. Les membres du gouvernement en sont encore à débattre du projet de constitution. Le Canada peut jouer un rôle en soutenant ces processus.
Merci.
Merci beaucoup. Cela fait exactement sept minutes. Je tiens à remercier nos deux témoins pour leurs déclarations d'aujourd'hui.
C'est maintenant le tour d'Iqra.
Merci. J'apprécie vos témoignages.
J'avais préparé un préambule dans lequel il était question des Somaliens qui quittent le Kenya pour revenir chez eux, et des violations des droits de la personne, des guerres de clans, de la double citoyenneté, de l'absence de gouvernance dans la région, mais je voulais aussi mentionner à quel point l'économie et le commerce se développent dans la région. Ma question s'adresse à vous deux. Et je vous demanderais de répondre brièvement s'il vous plaît. Quel rôle le Canada devrait-il jouer concrètement pour améliorer la situation et forcer la Somalie à trouver une solution pour sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve présentement?
Il est certain que le Canada a un rôle à jouer. Les réfugiés qui rentrent au pays vont se retrouver devant rien. Il y a peut-être une petite ville ou deux dans le sud où l'on pourrait les conduire. J'ignore quel est le plan à long terme, mais ce que je sais, c'est que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a désigné un envoyé pour la Somalie, et qu'il va s'entretenir avec les donateurs pour essayer de créer des communautés où ces réfugiés pourraient s'établir. Le Canada pourrait jouer un rôle dans ce projet, si seulement il peut voir le jour.
Il existe une entente tripartite entre le HCR, le Kenya et la Somalie que l'on peut étudier. Je sais que l'ambassadeur du Canada à Nairobi tente de trouver d'autres possibilités. Je dirais que la diaspora somalienne au Canada, ce comité, ainsi que les députés pourraient unir leurs forces et se pencher sur ce projet plus sérieusement. Je suis convaincue que l'on pourrait trouver des créneaux que le Canada pourrait appuyer.
Merci beaucoup.
Je remercie encore une fois les témoins qui se sont présentées devant nous cet après-midi. Nous avons tenu nos réunions sur cette question deux jours de suite et nous avons entendu beaucoup de témoignages très importants et très instructifs pour les membres de ce comité.
Sur ce, j'aimerais demander aux membres du comité si la diffusion du communiqué de presse est approuvée.
Des députés: Approuvé.
Le président: Merci.
La séance est levée.
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