SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 14 mai 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Je suis très heureuse que nous tenions cette semaine des réunions dans le cadre de la neuvième édition de la Semaine de responsabilisation de l'Iran. Le comité des affaires étrangères a déjà entendu un groupe de témoins la semaine dernière, et nous tiendrons deux réunions, la première aujourd'hui, et la deuxième jeudi. Il s'agit d'une tradition du Parlement canadien qui a vu le jour il y a neuf ans, en 2012. Et c'est également une occasion — surtout cette année, qui marque le 40e anniversaire de la révolution iranienne — de demander au régime de rendre des comptes.
Il ne s'agit pas d'une étude à proprement parler. Nous n'allons pas formuler de recommandations à la suite de ces réunions. Elles nous fournissent plutôt l'occasion d'entendre les défenseurs des droits de la personne, les témoignages de gens qui ont été touchés par la situation des droits de la personne en Iran et des exemples de la brutalité de ce régime. Tel est l'objet de ces deux réunions.
Nous accueillons aujourd'hui deux témoins, et nous en entendrons quatre jeudi.
Aujourd'hui, Nader Hashemi s'entretiendra avec nous par vidéoconférence. Il est directeur du Center for Middle East Studies et professeur à la Josef Korbel School of International Studies, à l'Université de Denver.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Hashemi.
Nous entendrons également — même si elle a été légèrement retardée — Shaparak Shajarizadeh, une militante iranienne qui a été poursuivie après avoir manifesté pacifiquement contre le port obligatoire du hidjab en Iran. Elle a fait l'objet d’un reportage dans le cadre de l’initiative annuelle 100 Women de la BBC, qui relate l'histoire de 100 femmes influentes et inspirantes dans le monde. Nous l'attendons sous peu.
Nous allons commencer par le témoignage de M. Hashemi, et avec un peu de chance, Mme Shajarizadeh arrivera avant qu'il ait terminé.
Monsieur Hashemi, la parole est à vous.
Merci beaucoup de votre invitation. Je suis désolé de ne pouvoir être avec vous en personne, parce que par les temps qui courent, je me délecte normalement à l'idée de quitter l'Amérique de Donald Trump pour me rendre dans des régions plus civilisées de la planète. Mais la fin du trimestre universitaire approche, aussi, je suis ravi d'avoir la possibilité de communiquer avec vous par téléconférence.
J'aimerais souligner certains aspects de la déclaration que j'ai transmise à l'avance, une précaution qui selon moi est très pertinente pour les sujets d'intérêt du Comité. Mais, permettez-moi tout d'abord de vous expliquer l'approche analytique que j'ai retenue dans ma déclaration écrite et dans mon exposé.
Mon approche analytique est assez simple. C'est l'approche que j'adopte à l'égard de toutes les crises des droits de la personne et de toutes les tentatives visant à soutenir les droits de la personne dans d'autres pays. C'est une approche qui exige d'entrée de jeu de bien écouter, et de ne pas présupposer connaître les meilleures stratégies et les meilleures solutions pour soutenir le travail des militants des droits de la personne dans d'autres sociétés.
Autrement dit, l'approche analytique que j'adopte vis-à-vis de la question des droits de la personne en Iran est que nous devrions nous mettre à l'écoute des défenseurs de ces droits et nous laisser guider par leur courageux travail, puisque ce sont eux qui sont en première ligne de la lutte, qui vivent dans des circonstances très difficiles et qui ont, selon moi, beaucoup à dire en ce qui concerne leurs attentes à l'égard de la communauté internationale — leurs attentes à l'égard du Canada — plutôt que de présupposer à l'avance que nous savons ce qui est le mieux pour eux.
En fait, j'ai étudié de près les écrits et les déclarations de bon nombre de ces défenseurs des droits de la personne. J'en ai interviewé quelques-uns. À mon sens, nombre de ces défenseurs des droits de la personne en Iran aujourd'hui s'entendent sur ce qu'ils attendent de la part de la communauté internationale, et du Canada en particulier. Je pense que ces grandes lignes — ou, si vous préférez, ces limites — devraient être respectées. À tout le moins, elles devraient renseigner le débat politique et les délibérations au Canada en ce qui concerne la question des droits de la personne.
Je pense que le premier grand consensus chez la majorité des défenseurs des droits de la personne en Iran, c'est qu'ils apprécient l'idée de diriger l'attention mondiale sur le bilan iranien en matière de droits de la personne et qu'ils lui accordent beaucoup de valeur. Ils sont favorables à ce que l'on nomme les individus qui participent directement aux abus contre les droits de la personne, à ce qu'on les couvre de honte et à ce que l'on prenne des sanctions contre eux.
J'ai entendu récemment qu'au Canada certains critiquaient la position canadienne à laquelle on reproche de concentrer excessivement l'attention sur les droits de la personne en Iran, et de passer sous silence la situation dans d'autres pays de la même région qui affichent un bilan déplorable sur le plan des droits de la personne. Un bilan qui, dans certains cas, serait encore pire que celui de l'Iran. Je pense que la meilleure réponse à ces critiques consisterait à dire que le Canada ne devrait pas réduire ses critiques à l'endroit des abus contre les droits de la personne en Iran, mais plutôt hausser d'un cran ses critiques à l'égard des mêmes abus dans d'autres pays, dont certains entretiennent des relations très étroites avec lui. Je pense que ce serait un jour sombre, et que les militants des droits de la personne en Iran seraient très déçus, si le Canada cessait de braquer les projecteurs sur ce qui leur arrive à eux, et à d'autres défenseurs des droits de la personne aujourd'hui.
Le deuxième grand point sur lequel la majorité des défenseurs des droits de la personne en Iran s'entendent est la vaste opposition à la guerre, le rejet des politiques de changement de régime d'origine étrangère ainsi que l'aventurisme militaire des États-Unis et de ses alliés régionaux. Autrement dit, une forte condamnation de la politique Trump-Bolton à l'égard de l'Iran, qui semble vouloir nous conduire à un conflit armé.
Hier, le New York Times a publié un reportage indiquant que les États-Unis envisagent d'envoyer 120 000 hommes dans la région du golfe Persique. L'hostilité et la rhétorique s'enflamment des deux côtés. On a mentionné le sabotage récent de navires commerciaux dans la région du Golfe. L'Iran aurait menacé de relancer sa production d'uranium si l'Europe ne levait pas ses sanctions. Mais l'Europe a rejeté cet ultimatum.
Il semble que nous soyons témoins d'une spirale lente et continue menant vers un autre conflit au Moyen-Orient, avec des relents de 2003. De toute évidence, ce serait une calamité pour les droits de la personne, pas seulement en Iran, mais dans toute la grande région du Moyen-Orient. Selon moi, les militants des droits de la personne en Iran sont fortement, et en très grande majorité, contre ces tendances politiques et reculent avec horreur devant la perspective d'une autre confrontation ou d'une autre guerre possible entre les États-Unis et l'Iran.
Le troisième point qui, à mon sens, traduit un large consensus chez les défenseurs des droits de la personne est l'opposition aux sanctions économiques à grande échelle qui touchent le citoyen iranien moyen. Par contre, les sanctions ciblées dirigées vers les responsables des abus contre les droits de la personne et les hauts fonctionnaires du régime qui ont du sang sur les mains sont habituellement bien accueillies par les défenseurs des droits de la personne iraniens.
En ce qui concerne les sanctions qui découlent de la nouvelle politique belliciste de Trump, les effets sur l'économie de l'Iran sont prévisibles et catastrophiques: hausse de l'inflation, hausse du chômage, et beaucoup d'échecs et de désespoir. Le FMI prévoit que l'économie de l'Iran subira une contraction de 6 % l'an prochain.
Les sanctions réduisent des millions de citoyens iraniens à la pauvreté et ont une incidence importante sur l'accès du citoyen moyen aux soins de santé et aux médicaments. Soyons clairs: c'est le citoyen iranien moyen, et non les Gardiens de la révolution islamique qui sont le plus directement touchés par ces nouvelles sanctions américaines.
En Iran, aujourd'hui, la population de jeunes assez considérable, qui aspire à des changements politiques, n'a pas pour activité et centre d'intérêt principal de se mobiliser pour résister aux politiques de la République islamique d'Iran, mais plutôt, compte tenu de ces nouvelles sanctions économiques, de lutter pour sa survie, sa survie économique, et si possible, d'immigrer.
Le quatrième point est, selon moi, le vaste appui des défenseurs des droits de la personne iraniens à l'accord sur le nucléaire iranien, le PAGC, parce qu'il prévient et réduit les perspectives d'un conflit armé. Il élimine les sanctions économiques et crée une ouverture de l'Iran à la communauté internationale. Autrement dit, je pense que l'on soutient fortement la diplomatie, parce que la diplomatie pourrait résoudre les tensions et permettre à l'Iran de faire son entrée dans la communauté internationale. Cette option pourrait à son tour ouvrir la porte à davantage de possibilités politiques de faire avancer l'activisme pour la défense de la démocratie et des droits de la personne en Iran.
Le cinquième point est que les militants iraniens des droits de la personne s'entendent largement pour que l'on adopte une stratégie non violente à titre de seul moyen d'apaiser la crise des droits de la personne en Iran. Cette approche nécessitera de la patience. C'est une approche à long terme visant à faire progresser les droits de la personne et la démocratie. Il n'existe pas de solutions rapides. Pour dire les choses autrement, la lutte pour la démocratie et les droits de la personne en Iran s'apparente davantage à un marathon qu'à un sprint.
On constate, avec raison, beaucoup de frustration chez les Iraniens en raison de l'état actuel de la politique et des droits de la personne. On constate également un fort désir d'obtenir des changements politiques rapides. Cependant, si on opte pour une stratégie de résistance non violente, il faut se préparer à un long voyage. Toutes les solutions de rechange à la stratégie non violente prônent la guerre et une situation qui ne fera qu'empirer les choses du point de vue de la crise des droits de la personne.
Le sixième point est que la communauté internationale devrait reconnaître le courageux travail des défenseurs des droits de la personne en Iran, et surtout de ceux qui sont en prison, en les désignant par leur nom. Il y a de nombreuses personnalités dans ce groupe, bien des noms éminents, comme celui de la courageuse avocate et militante des droits de la personne Nasrin Sotoudeh, son mari Reza Khandan, Abdolfattah Soltani, Abdullah Momeni, Mostafa Tajzadeh, Narges Mohammadi, Esmail Bakhshi et Sepideh Gholian.
Ces noms devraient devenir des noms très connus, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde, parce que lorsque la communauté internationale reconnaît ces noms et les insère dans la discussion publique, il devient beaucoup plus difficile pour le régime iranien d'opprimer ces gens. Cela leur confère une certaine forme de protection, de sorte que si on commet des abus à leur égard, il faudra s'attendre à ce que l'Iran subisse les répercussions internationales de son comportement.
Cette situation comporte un lien avec le Canada. Il y avait dans le temps le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal. En 2006, ce centre a décerné son prix le plus prestigieux en matière de droits de la personne, le prix John-Humphrey pour la Liberté, à un dissident politique iranien, Akbar Gangi. Ce prix a donné de la visibilité à son travail. Il lui a fourni des moyens financiers. Il lui a donné une plateforme pour s'exprimer. Je pense que c'était un pas dans la bonne direction.
Accorder la citoyenneté honoraire, par exemple, aux défenseurs des droits de la personne iraniens est un bon moyen de les appuyer et de leur conférer une certaine notoriété.
Il y a quelques mois, le président français Emmanuel Macron a invité officiellement Nasrin Sotoudeh, la courageuse avocate qui lutte pour les droits de la personne, à faire partie du Conseil consultatif du G7 sur l'égalité des sexes. Le Canada devrait recourir à ce type d'imagination constructive. Des décisions de ce genre aident les défenseurs des droits de la personne, et seraient largement acclamées.
Permettez-moi de conclure avec quelques rapides observations. Je pense que la question des droits de la personne en Iran a une importance directe pour le Canada pour trois raisons principales.
Premièrement, cela fait partie de nos valeurs fondamentales, celles qui nous définissent en tant que pays. Notre prestige moral dans le monde est fondé sur la reconnaissance que le Canada est un pays qui défend et appuie les normes relatives aux droits de la personne. Au Canada, les élections reflètent généralement le soutien d'une politique étrangère en matière de droits de la personne qui perpétue et élève ces droits.
Deuxièmement, le Canada a des intérêts dans la crise des droits de la personne en Iran aujourd'hui. Deux Irano-Canadiens ont été tués pendant leur incarcération dans les prisons iraniennes, Zahra Kazemi, et plus récemment, Kavous Seyed-Emami. Des dizaines d'autres ressortissants canadiens ont été soit détenus, empêchés de quitter le pays ou harcelés. Cette situation confère à la question des droits de la personne en Iran un lien avec le Canada, et nous avons intérêt à poursuivre l'objectif des droits de la personne en Iran, ne serait-ce que pour cette raison.
Troisièmement, le Canada est maintenant la société d'accueil d'une assez importante communauté d'Irano-Canadiens. Ils sont profondément divisés quant à la stratégie que le Canada devrait adopter, mais on s'entend pour dire que la majorité des Canadiens d'origine iranienne appuient la politique canadienne d'élévation des droits de la personne en Iran et d'élévation du travail accompli par les militants des droits de la personne et de la démocratie en Iran.
Merci.
Malheureusement, votre temps est écoulé, mais avec un peu de chance, nous reviendrons à ces points lors de la période de questions.
Nous accueillons avec grand plaisir Mme Shajarizadeh, qui est une militante iranienne ayant dû fuir l'Iran en 2018. Elle réside maintenant à Toronto. Elle est avec nous aujourd'hui et elle compte parmi le groupe de 100 femmes influentes et inspirantes dans le monde établi par la BBC.
Madame Shajarizadeh, vous disposez de huit minutes pour présenter votre déclaration préliminaire.
Merci beaucoup.
Tout d'abord, j'aimerais remercier le Sous-comité de m'avoir invitée à venir témoigner au sujet des violations des droits de la personne en Iran. Je suis vraiment désolée d'être en retard.
Je m'appelle Shaparak Shajarizadeh. Peut-être que certains membres du Sous-comité connaissent mon histoire, mais pour ceux d'entre vous qui l'ignorent, permettez-moi de dire que je ne suis pas professeure, ni historienne. Je suis simplement la preuve vivante de la situation des droits de la personne en Iran.
Je suis la mère d'un jeune garçon et une femme ordinaire projetée dans une situation extraordinaire. Je ne suis pas une militante professionnelle. Je ne suis à l'origine d'aucun mouvement, mais lorsqu'on m'a arrêtée, tout a changé pour moi. Lorsqu'on m'a dévêtue, fouillée et jetée dans une cellule d'isolement, tout a changé pour moi. Lorsqu'on m'a emprisonnée et dit que je ne reverrais jamais mon fils, tout a changé pour moi. Aujourd'hui, je suis une ancienne prisonnière politique, mais à bien des égards, je suis toujours prisonnière du gouvernement iranien.
Il y a deux ans, j'ai commencé à manifester contre le port obligatoire du voile en Iran. Depuis 40 ans, les Iraniennes sont soumises à des mesures coercitives visant à les forcer à couvrir leur chevelure et leur corps. Les corps des femmes sont devenus un champ de bataille. Les Iraniennes sont frustrées du droit le plus fondamental consistant à décider elles-mêmes comment se vêtir dans la vie de tous les jours.
Mon acte de désobéissance civile a consisté à me joindre à d'autres femmes iraniennes qui fixaient des foulards blancs au bout d'un bâton et les agitaient dans la rue. La femme à l'origine de ce geste pacifique, Vida Movahedi, est toujours emprisonnée en Iran. Un grand nombre de femmes ont été arrêtées pour cet acte de désobéissance civile, et beaucoup croupissent toujours dans les geôles ou sont en attente de leur procès.
Avant mon arrestation en Iran, la brutalité du régime se traduisait pour moi par ce que je lisais ou entendais à ce sujet; mais après mon arrestation, toutes ces histoires sont devenues la triste réalité. La première nuit de ma détention, on m'a envoyée dans une cellule de la prison de Vozara. On m'a forcée à me dévêtir et à me lever et à m'asseoir sans relâche. Durant les interrogatoires, on me frappait durement et j'étais forcée d'entendre des commentaires sexuels dégradants; on me reprochait d'être une espionne à la solde de pays étrangers et de la CIA.
On m'a arrêtée à trois reprises, convoquée à la prison d'Evin pour m'interroger et emprisonnée deux fois en l'espace de trois mois. La première fois, même si j'avais versé une caution, on m'a mise en isolement cellulaire pendant une semaine. Après avoir jeûné pendant cinq jours, j'ai été libérée sous caution. La deuxième fois que j'ai été arrêtée, ils ont également arrêté mon mari. Même s'il n'avait rien fait, à leurs yeux, il était coupable lui aussi, parce qu'il ne remplissait pas son rôle consistant à contrôler sa femme; une phrase qu'ils lui ont répétée à satiété.
Vous voyez, lorsqu'on vous arrête ou que l'on vous place en détention, on en profite pour terroriser votre famille. Lorsque j'ai été arrêtée pour la troisième fois, mon fils de neuf ans m'accompagnait. Il se trouvait avec moi pendant l'interrogatoire qui a duré six heures. Ils m'ont menottée devant lui pendant qu'il criait et suppliait qu'on nous laisse rentrer à la maison. J'ai été condamnée à deux ans de prison et à une peine supplémentaire de 18 ans avec sursis. J'ai su alors que je devais partir.
La seule lumière que j'ai vue lorsque j'étais en prison, c'est lorsque l'on m'a finalement autorisée à rencontrer mon avocate, Nasrin Sotoudeh. Elle venait d'être condamnée à 38 ans de prison et à 148 coups de fouet. Nasrin Sotoudeh est l'une des avocates les plus réputées de l'Iran en matière de droits de la personne. Et en Iran, la situation des droits de la personne est telle qu'on y emprisonne les avocats. Nasrin Sotoudeh est toujours incarcérée à la prison d'Evin, celle-là même où la photojournaliste canadienne Zahra Kazemi a été torturée et assassinée en 2003.
J'ai bien peur, monsieur Hashemi, d'avoir les mêmes noms que vous à citer.
Il s'agit également de la même prison que celle où l'environnementaliste canadien Kavous Seyed-Emami est décédé l'année dernière. Sa femme, Maryam Mombeini, s'est fait confisquer son passeport alors qu'elle était sur le point de monter à bord d'un avion à destination de la Colombie-Britannique avec ses deux fils. Elle est toujours retenue contre sa volonté dans le pays. Pourquoi une citoyenne canadienne ne serait-elle pas autorisée à rejoindre ses deux fils en Colombie-Britannique?
La prison d'Evin est celle-là même où le résident canadien Saeed Malekpour est incarcéré depuis 10 ans. En fait, une dizaine de Canadiens sont retenus en otage par le régime iranien depuis les 15 dernières années. Comment peut-on tolérer qu'un gouvernement prenne les citoyens d'autres pays en otage encore et encore? Comment le Canada peut-il même songer à entretenir des relations diplomatiques avec un gouvernement qui prend ses citoyens en otage?
Devant vous aujourd'hui, je ressens un profond sentiment de culpabilité et d'obligation. De culpabilité, parce que je bénéficie au Canada d'une liberté que d'autres n'ont pas, et d'obligation, parce que je me dois de raconter l'histoire de ceux dont on n'entend pas souvent parler, ceux qui n'ont pas reçu de prix Nobel. Je veux prononcer leur nom.
Lorsque je me trouvais en prison, une femme du nom de Mojgan Keshavarz a commencé à parler de moi et à prendre ma défense. À cause de cela, on l'a arrêtée et accusée d'association avec des ennemis de l'étranger. Elle se trouve actuellement à la prison de Qarchak.
Yasaman Aryani et sa mère, Monireh Arabshahi, ont été arrêtées parce que lors de la Journée internationale des femmes, cette année, elles distribuaient des fleurs aux autres femmes, dans le métro, pour célébrer. Elles sont accusées de représenter une menace pour la sécurité nationale.
Atena Daemi, une militante pour les droits des jeunes enfants, a critiqué l'exécution de jeunes dans son pays. L'Iran est le pays où l'on exécute le plus de jeunes dans le monde. Le 1er mai 2019, Human Rights Watch a fait savoir que Mehdi Sohrabifar et Amin Sedaghat avaient été exécutés le 25 avril 2019. Ils étaient âgés de 15 ans au moment de leur arrestation, et ont été exécutés deux ans plus tard, à l'âge de 17 ans. Récemment, le secrétaire général des Nations unies a déclaré qu'il y avait 160 enfants dans le couloir de la mort en Iran. C'est ce genre de choses qu'Atena Daemi critiquait, et elle est en prison depuis quatre ans pour cela.
Sepideh Gholian, une étudiante et journaliste de 23 ans, a été arrêtée en novembre dernier alors qu'elle faisait un reportage sur une manifestation pour les droits des travailleurs. Aras Amiri a été récemment accusé de travailler pour les services de renseignement britanniques. Rezvaneh Mohammadi a été accusé de faire la promotion des relations homosexuelles. Arash Sadeghi, Narges Mohammadi, Esmail Bakhshi... la liste est longue, et les accusations ridicules. Arash Sadeghi nécessite des soins médicaux; il souffre du cancer. Il est en prison et le juge refuse de lui donner accès aux soins médicaux dont il a besoin.
Ce ne sont pas seulement les militants pour les droits de la personne qui sont attaqués. Des environnementalistes sont également détenus. Actuellement, huit environnementalistes bien connus sont détenus dans la prison d'Evin depuis plus de 400 jours. L'une d'entre eux, Niloufar Bayani, vient tout juste d'avoir 33 ans. C'est une diplômée de l'Université McGill, de Montréal.
Je demande au gouvernement canadien de reconnaître le travail effectué par les militants des droits de la personne en Iran, non seulement en soulevant la question devant les Nations unies, mais en inscrivant les Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes. Une décision avait été prise à ce sujet en juin 2018, mais rien n'a bougé sur la question depuis presque un an maintenant. Qu'attendez-vous? Les Gardiens de la révolution islamique sont coupables de la torture des Iraniens qui luttent pour préserver leurs droits les plus fondamentaux. Ces droits dont je bénéficie, ici même, au Canada. Le Canada pourrait commencer par prendre des sanctions contre les architectes individuels des violations des droits de la personne, c'est-à-dire les juges qui sont les vrais criminels dans les salles d'audience.
Je veux que la population de mon pays jouisse des mêmes droits fondamentaux que ceux dont je bénéficie au Canada.
Je suis désolée, mais vous avez dépassé le temps qui vous était alloué.
Vous pourriez peut-être ajouter des commentaires lors de la période de questions, ou encore, vous pouvez toujours nous transmettre également un mémoire écrit.
Merci.
Nous n'aurons pas le temps de faire plus d'une série de questions — une pour chacun.
Nous allons commencer avec un premier tour de questions de sept minutes, la parole est à M. Sweet.
Merci, madame la présidente.
Madame Shajarizadeh, ce que vous avez traversé est inimaginable. Vous êtes une personne courageuse. Merci de conserver ce courage et d'essayer de vous porter à la défense de ces citoyens innocents en Iran. Nous apprécions beaucoup ce que vous faites.
Madame la présidente, j'espère que toutes les personnes qui ont été nommées par nos deux témoins jusqu'ici figureront dans notre déclaration, le moment venu, afin que nous puissions faire notre part dans ce qui nous a été demandé: veiller à ce que leurs noms soient connus partout.
Monsieur Hashemi, le régime est en place depuis 40 ans. J'ai fait des recherches sur le style pédagogique que vous adoptez avec vos étudiants, surtout en ce qui concerne le livre intitulé What Went Wrong? que j'ai lu il y a quelques années.
En ce qui concerne votre déclaration prônant la patience, ce régime est en place depuis 40 ans. Il affiche l'un des plus horribles bilans en matière de droits de la personne que le monde moderne ait connu. Il exporte la terreur. Il existe un lien significatif, en ce sens que lorsque l'on exporte la terreur, on contrevient aux droits de la personne de ceux qui vivent à l'extérieur de nos frontières. C'est bien connu. Je suis certain que la population de la Syrie n'approuve pas particulièrement cette politique de la patience ni celle du Yémen.
Alors, lorsque vous dites qu'il faut faire preuve de patience avec ce régime — et que Mme Shajarizadeh parle de l'approche diplomatique à éviter — le traitement horrible dont ils sont témoins a une incidence sur l'opinion des Occidentaux. Qu'entendez-vous exactement par faire preuve de patience à leur égard?
Lorsque j'ai dit qu'il fallait être patient avec le régime, je ne voulais pas dire qu'il fallait cesser de braquer les projecteurs sur la République islamique. Je voulais plutôt dire qu'il fallait se montrer patient eu égard à la lutte pour faire progresser les droits de la personne et la démocratie en Iran. Il s'agit d'une lutte à long terme, qui doit être remportée une étape à la fois. Je suis favorable à ce que l'on braque les projecteurs sur les défenseurs des droits de la personne en Iran et à ce que l'on réprimande le régime.
Mais en ce moment, je suis très inquiet — si vous suivez les actualités — parce que toute action militaire coercitive entreprise par les États-Unis pourrait rendre la situation 100 fois pire. C'est un danger véritable, dont il faut être instruit et qu'il faut repousser si nous sommes vraiment sérieux en ce qui concerne les droits de la personne.
Voilà, essentiellement, le contenu de ma pensée.
Dans ce cas, approuvez-vous la décision d'inscrire les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes?
Je n'ai rien contre. Je ne suis pas sûr que ce soit la priorité la plus importante. Mais si cette mesure peut, de quelque manière, faire progresser la lutte pour les droits de la personne et la démocratie en Iran, je suis tout à fait pour.
Ma réaction instinctive à cette suggestion est qu'il existe d'autres initiatives que nous pouvons entreprendre, et que nous devrions entreprendre, qui sont beaucoup plus significatives pour les personnes qui souffrent en Iran aujourd'hui, surtout celles qui sont derrière les barreaux.
Il y a d’autres choses que nous pourrions faire — je vous l’accorde —, mais Mme Shajarizadeh a mentionné précisément le corps des Gardiens de la révolution islamique et elle a dit que ces gens avaient été incarcérés et maltraités par des membres de ce corps et du Basij. En décembre dernier, j’ai lu que 5 000 personnes avaient été incarcérées à la suite d’une manifestation, et que 25 avaient été tuées, suite aux agissements des Gardiens de la révolution islamique et du Basij. Je pense que cela enverrait un signal fort.
Avez-vous lu le document que l’organisation Raoul Wallenberg a publié au sujet des noms qui devraient figurer sur la liste Magnitski, pour que les personnes en question puissent faire l’objet de sanctions individuelles?
Oui, j’ai eu l’occasion de le lire, mais je ne me souviens pas des noms en particulier. Je suis tout à fait d’accord pour qu’on se serve de la loi Magnitski pour retrouver, punir et pénaliser ceux qui sont coupables de violations des droits de la personne. C’est une mesure qui rallierait le soutien de la plupart des défenseurs des droits de la personne en Iran. Si le Canada est en mesure de s’orienter dans cette direction, ce sera excellent pour les droits de la personne en Iran.
Monsieur Hashemi, je suis un peu surpris de votre position vis-à-vis du corps des Gardiens de la révolution islamique, car ce sont eux qui orchestrent toutes les violations des droits de la personne, qui exportent le terrorisme dans le monde entier et qui s’emploient à écraser les minorités religieuses. Ils sont de plus en plus présents sur la scène internationale. Je suis surpris que le gouvernement ne se soit pas donné pour priorité de les mettre sur la liste.
J’aimerais maintenant m’adresser à notre autre témoin. Madame Shajarizadeh, l’État iranien a lancé une campagne médiatique contre vous. Pouvez-vous nous donner des détails?
La semaine dernière, une citoyenne canadienne d’Ottawa est venue me voir pour me dire qu’elle avait été menacée par l’Iran. Les Gardiens de la révolution islamique ont obligé un membre de sa famille à l’appeler au Canada pour lui dire de mettre un terme à son activisme, si elle ne voulait pas que quelqu’un en pâtisse. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette campagne médiatique qui a été lancée contre vous? Avez-vous été menacée depuis que vous êtes arrivée au Canada?
Oui. Comme je vous l’ai dit, mon mari a été arrêté avec moi. Il n’avait rien fait.
En décembre dernier, je suis venue ici pour une conférence de presse, afin d’exprimer mon soutien aux sanctions Magnitski. Peu de temps après, des policiers se sont présentés à la maison de mes parents. Ma mère, qui était seule à ce moment-là, leur a dit de revenir plus tard, mais ils ne l’ont pas écoutée. Ils sont restés pour l’interroger à mon sujet et au sujet de mon mari.
Ils lui ont aussi posé beaucoup de questions sur ma sœur qui vit aux États-Unis, quand et pourquoi elle était partie vivre là-bas. Cela m’inquiète beaucoup, à tel point que j’ai demandé à ma sœur de ne pas retourner en Iran, car elle a l’habitude de s’y rendre chaque année pour rendre visite à notre famille. Mais après cet épisode, je craignais qu’ils ne la prennent en otage, car ils avaient posé beaucoup de questions sur les raisons de son séjour aux États-Unis.
Merci beaucoup, et merci à nos deux témoins.
Madame Shajarizadeh, vous êtes très courageuse et je vous en félicite. Cela fait plusieurs fois que je vous entends raconter votre histoire, et chaque fois je vois combien vous savez inspirer les gens et combien vous réussissez à les sensibiliser à ce problème.
Jeudi dernier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Masih Alinejad à notre comité des affaires étrangères. Elle aussi nous a parlé du mouvement « Mercredi blanc » et de la situation des femmes qui luttent pour défendre leurs droits fondamentaux, leur droit à la liberté. Je sais que cela nécessite beaucoup de courage. Je sais que c’est difficile, mais nous saluons tous ce que vous faites, y compris Mme Ebadi qui a comparu devant notre comité la semaine dernière.
J’aimerais adresser ma question à nos deux témoins. Que peuvent faire les Canadiens pour faire savoir aux Iraniens qu’ils les appuient, pour les aider à recouvrer leurs droits fondamentaux, y compris leur liberté, et pour obliger leurs bourreaux à rendre des comptes, étant donné que depuis 40 ans, le régime et ses sbires du corps des Gardiens de la révolution islamique refusent de mettre un terme à la répression? Que pouvons-nous faire pour les obliger à changer de comportement à l’égard du peuple iranien? Avez-vous des suggestions?
Je vous propose de commencer, monsieur.
Ma déclaration liminaire répond directement à votre question, mais je vais la résumer en quelques mots.
Si nous voulons vraiment aider le peuple iranien à faire respecter les droits de la personne et les principes démocratiques, nous devons l’écouter. C’est lui que nous devons écouter plutôt que les lobbys politiques qui sont très influents au Canada et qui, je me dois de le mentionner, ont essayé de m’empêcher de comparaître devant vous aujourd’hui. Je pense que c’est important. Il ne faut pas perdre de vue l’essentiel. Il faut écouter les suggestions et les conseils de ceux qui sont sur la ligne de front. Je pourrais vous donner plus de détails, mais vous les trouverez dans ma déclaration liminaire.
Permettez-moi toutefois de vous faire une suggestion très concrète de ce que le Canada pourrait faire, Mme Shajarizadeh y a fait elle aussi allusion, je crois. Je vous propose de donner la citoyenneté honoraire aux Iraniens et Iraniennes qui défendent courageusement les droits de la personne. L’une des plus connues, que nous avons tous les deux mentionnée dans nos témoignages aujourd’hui, est la courageuse avocate des droits de la personne, Nasrin Sotoudeh. Elle a été condamnée à 38 ans d’emprisonnement. En matière de droits de la personne, ses titres de compétence sont remarquables. Si vous lui donnez la citoyenneté canadienne honoraire, vous attirerez l’attention sur elle et il sera beaucoup plus difficile au régime iranien de la garder en prison. Je ne pense pas que cela coûterait quoi que ce soit au gouvernement du Canada, mais en revanche, cela changerait beaucoup les choses. Cela montrerait que le Canada ne se contente pas de faire des discours, qu’il veut vraiment faire quelque chose pour défendre les droits de la personne.
Merci.
Permettez-moi de rappeler que, depuis neuf ans que nous organisons la Semaine de la responsabilisation de l’Iran, sur la Colline parlementaire, notre objectif est d’entendre la voix des opprimés, et cette année, nos audiences sur ce sujet ont commencé la semaine dernière.
Mme Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix, a témoigné devant notre comité la semaine dernière pour réaffirmer haut et fort, à l’instar de tous les témoins que nous avons entendus, que nous devions continuer de faire pression pour responsabiliser l’Iran, notamment en imposant des sanctions Magnitski et en ajoutant à la liste le corps des Gardiens de la révolution islamique. C’est un message qui a été exprimé clairement aux parlementaires canadiens, aussi bien dans notre comité que dans celui des affaires étrangères.
Madame Shajarizadeh, avez-vous quelque chose à dire?
J’aimerais simplement dire ceci à M. Hashemi.
C’est une excellente idée de donner la citoyenneté honoraire à Nasrin Sotoudeh, mais elle est en...
... prison. Je ne peux pas dire que tous les défenseurs des droits de la personne sont en prison en ce moment, mais la plupart des avocats spécialisés dans ce domaine...
... sont en prison, et les autres ne disent rien de peur de s’y retrouver eux aussi. Parmi ceux qui sont en prison, il y a des citoyens canadiens, dont Saeed Malekpour. Que pouvez-vous faire pour lui? Il est résident canadien et il est en prison.
Niloufar Bayani est en prison. Elle ignore de quoi elle est accusée et elle n’a pas été condamnée. Elle est détenue dans une prison des Gardiens de la révolution islamique depuis plus d’un an et elle ne sait même pas de quoi elle est accusée. Le département de la sécurité lui a dit qu’elle n’était pas accusée d’espionnage, mais les Gardiens de la révolution islamique la gardent en détention. Que pouvons-nous faire pour ces gens-là?
Je crois que nous devons nous montrer plus exigeants en ce qui concerne le respect des droits de la personne.
Merci.
J’ai une autre question sur le même sujet. Comme l’a dit mon collègue David Sweet, on nous a parlé de lobbys et d’agents du régime iranien qui menacent, au Canada, des défenseurs des droits de la personne et des gens qui veulent témoigner devant des comités comme le nôtre de révéler leurs antécédents. Pouvez-vous nous décrire, en quelques mots si possible, le genre de menaces que le régime iranien est capable de proférer sur le territoire canadien?
Le jour où je devais donner une conférence de presse ici au Canada, ils ont fait circuler un mensonge sur ma présence ici. Ensuite, ils se sont rendus chez moi et m’ont dit que j’avais réclamé une sanction contre le peuple iranien, et que c’était la raison pour laquelle ils étaient là. Le consul d’Iran au Canada a fait circuler des mensonges à mon sujet, je l’ai constaté personnellement. C’est le genre de choses qu’ils font depuis longtemps.
Merci beaucoup, madame la présidente.
C’est toujours très difficile, pendant la Semaine de la responsabilisation de l’Iran, car on ressent à la fois de l’émotion et de la frustration… Je ne suis députée que depuis les dernières élections, et, comme vous, je suis attentivement ce dossier, en tant que Canadienne, en essayant de repérer ce que je considère comme des erreurs de notre politique étrangère et en réfléchissant à ce qu’on pourrait faire. Je suis consciente que même les mots peuvent être interprétés. Je suppose qu’il faut donner du temps au temps, comme on dit, et qu’il faut savoir être patient sur le plan diplomatique.
Votre témoignage est pour nous une source d’inspiration. J’ai rencontré d’autres groupes de femmes qui participent au mouvement « Mercredi blanc », et leur courage est une source d’inspiration pour moi. J’aimerais donc vous remercier de l’inspiration et de l’énergie que vous nous donnez et qui nous aident à poursuivre notre travail dans le domaine des droits de la personne, à l’échelle internationale. D’autres témoins ont comparu devant notre comité, notamment le général Roméo Dallaire qui nous a dit, avec les deux poings sur la table: « Il faut faire quelque chose pour les Rohingyas. » Il sait, lui, il en a fait l’expérience. Malgré notre frustration et notre émotion, nous devons poursuivre nos efforts et nous demander ce que le gouvernement peut faire, comment il peut exercer discrètement son pouvoir. Il faut que le comité en discute.
Monsieur Hashemi, pendant le temps qu'il me reste, pouvez-vous nous dire comment, malgré cette frustration, nous pouvons essayer de promouvoir une plus grande tolérance en Iran, pour que les gens puissent s’accepter comme des frères et des sœurs, et quel rôle le Canada peut jouer? Vous avez récemment été témoin d’une campagne de calomnies contre une personne que j’avais invitée à comparaître. Les choses sont très compliquées quand on parle de menaces proférées par des lobbys et des agents. Pouvez-vous nous parler brièvement de ce que vous vivez actuellement, et peut-être nous dire quelques mots du MEK et de ses sbires au Canada? Est-il important que nous soyons bien au courant de tout cela pour que notre gouvernement puisse intensifier son action?
Vous pouvez utiliser tout le temps qu’il me reste. Mon préambule n’a duré que trois minutes, il vous en reste à peu près autant.
Étant donné le peu de temps qui m’est attribué, je vais avoir beaucoup de mal à parler du MEK dans le contexte d’une discussion sur les droits de la personne. Ce groupe n’a rien à voir avec le combat qui se poursuit en Iran pour le respect des droits de la personne et de la démocratie. Il s’agit d’un culte extrémiste financé par des fonds saoudiens et émiratis et soutenu par des groupes puissants à Washington, D.C., qui ont des liens avec John Bolton. Les agissements de ce groupe ne devraient pas nous distraire de notre discussion.
Pour en revenir à votre question, vous voulez savoir comment canaliser la frustration, la colère et l’inquiétude tout à fait légitimes que beaucoup de Canadiens ressentent face à la crise des droits de la personne, et comment les traduire en actions concrètes. C’est tout le problème.
Je vais vous raconter une anecdote qui illustre bien la discussion que nous avons. Hier, dans la ville de Denver, le centre que je dirige à l’Université de Denver, le Center for Middle East Studies, a accueilli une ex-détenue politique canadienne d’origine iranienne. Vous avez peut-être déjà entendu parler d’elle. Elle s’appelle Homa Hoodfar et elle enseigne à l’Université Concordia. En 2016, elle s’est rendue en Iran où elle a été arrêtée par les services secrets, le corps des Gardiens de la révolution islamique.
À sa sortie de prison, elle m’a raconté en détail comment elle avait retrouvé sa liberté. Le premier ministre du Canada a parlé à plusieurs reprises de la situation de cette femme, si bien que la société civile canadienne s’est mobilisée et a organisé des protestations pour la faire libérer. La communauté musulmane du Canada s’est aussi ralliée à la cause, pas seulement au Canada, mais dans le monde entier, ce qui a contribué à faire parler de cette femme et a attiré l’attention sur le Canada.
Si vous analysez simplement… en fait, vous pouvez contacter Homa Hoodfar, elle habite Montréal — pas très loin de là où vous vous trouvez, relativement parlant —, et elle vous racontera ce qui s’est passé à la prison d'Evin où elle était détenue et comment elle a réussi à en sortir. C’est grâce au Canada qui a adopté une position ferme et très ciblée sur elle pour exiger de l’Iran qu’elle soit libérée.
Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire, que nous devrions faire. Il ne faut pas nous laisser distraire par ces puissants lobbys qui poursuivent leurs propres desseins, sans se soucier des droits de la personne. Nous devons écouter ceux qui défendent les droits de la personne.
À l’heure où les relations internationales traversent une période très difficile, avec le déclin des démocraties et la montée en puissance du populisme autoritaire, le monde entier espère que le Canada fera preuve de leadership en matière de respect des droits de la personne, non seulement en Iran, mais partout dans le monde. Le Canada a un grand pouvoir de persuasion.
Moi qui suis canadien et qui habite aux États-Unis, je suis profondément déçu de voir que beaucoup de politiciens canadiens n’osent pas exercer ce pouvoir et hésitent à prendre des risques pour assumer un leadership mondial que les militants et les défenseurs des droits de la personne sont prêts à appuyer partout dans le monde.
J’aimerais que le Canada s’affirme davantage sur ce plan-là, d’autant plus que nous traversons une période extrêmement difficile au niveau international. Parce que je suis canadien, je suis très déçu de voir que le potentiel du Canada n’est pas exploité de façon optimale.
Je remercie vivement nos deux témoins, notamment vous, madame Shajarizadeh, qui avez fait preuve d’un si grand courage, et vous aussi, monsieur Hashemi.
Comme vous le savez, nous aurons une autre réunion sur cette question jeudi prochain, à 13 heures.
Sur ce, nous allons maintenant siéger à huis clos pour parler des travaux du comité. Nous allons faire une pause pour permettre à tous ceux qui ne sont pas censés rester de quitter la salle.
[La séance se poursuit à huis clos.]
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