SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 13 juin 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance d'aujourd'hui ouverte.
Pour notre séance d'information sur la situation des droits de la personne en Syrie, nous recevons deux témoins par vidéoconférence.
De Simcoe, en Ontario, nous accueillons Anas Al-Kassem. Il est un médecin canadien d'origine syrienne qui a dirigé une équipe médicale sur le terrain à Alep. Il est cofondateur de l'Union des organisations de secours et soins médicaux et président du conseil d'administration de l'Union des organisations de secours et soins médicaux-Canada.
Également par vidéoconférence de Surrey, en Angleterre, nous accueillons Miles Windsor, directeur de la défense et du développement à Middle East Concern, un regroupement d'organisations chrétiennes qui surveille la persécution et la discrimination des chrétiens au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Bienvenue au Comité.
Nous allons commencer par M. Al-Kassem, qui dispose de 10 minutes. Nous passerons aux questions après les deux témoins.
Merci.
Merci beaucoup de m'avoir invité. Je remercie le Sous-comité des droits internationaux de la personne de me donner l'occasion aujourd'hui de témoigner de nouveau de la situation en Syrie. Je remercie tout particulièrement la députée Iqra Khalid de son invitation.
Je vais simplement faire un résumé de la situation humanitaire sur le terrain au cours du dernier mois, soit depuis le début de l'opération le 28 avril 2019 du régime syrien et des alliés, en particulier des forces aériennes russes.
L'escalade des opérations militaires, qui ont ciblé de nombreux villages et villes du Nord d'Hama et du Sud d'Idlib, a entraîné un important déplacement de personnes à l'intérieur du pays. Environ 425 000 réfugiés essaient d'atteindre la frontière turque et arrivent dans les villages et les camps du Nord. Les déplacements continus de personnes et le grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays ont rendu la situation humanitaire très instable, surtout pour des organismes comme le nôtre, l'Union des organisations de secours et soins médicaux et d'autres organisations humanitaires, en raison de l'incapacité de faire face à l'afflux de réfugiés et de personnes déplacées et du manque de fournitures médicales, d'aides médicales et d'abris.
Je suis allé en Syrie dans le cadre de plusieurs missions médicales, y compris à Alep. Nous avons aidé les équipes médicales sur le terrain et nous avons aidé à installer le plus grand hôpital, Bab al-Hawa, à la frontière.
Je suis encore plus inquiet maintenant, car j'ai l'impression que le régime syrien et les alliés, y compris les Russes, appliquent une politique de destruction systématique. Ils ont intensifié leurs opérations, bombardant les villes et les villages sur de vastes territoires; ils ne s'en tiennent pas seulement à une ville comme dans l'exemple d'Alep et de la banlieue de Damas.
Ce qui est préoccupant, c'est que bon nombre des gens dans ces villages avaient déjà été déplacés d'autres régions du Sud de Damas, d'Idlib et d'Alep.
Malheureusement, au cours du dernier mois environ, 24 établissements médicaux ont été ciblés. Les activités ont été suspendues dans 40 autres installations qui craignaient de devenir une cible. Nous avons perdu 12 travailleurs humanitaires et médicaux au cours du dernier mois. Malheureusement, pas plus tard que la semaine dernière, quatre membres de la famille d'un de nos chauffeurs de clinique mobile sont morts. Les photos de ses enfants brûlés, ses jumelles et un garçon de huit ans, sont absolument terrifiantes. Je suis sûr que certains d'entre vous ont vu l'horrible photo d'un jeune garçon qui a été complètement brûlé et tué par du phosphore gazeux, dont l'utilisation est interdite par le droit international.
Au cours du dernier mois, environ 400 civils sont morts. Selon les données que nous avons recensées, plus de 50 % des victimes étaient des femmes et des enfants, dont plus de 165 enfants. Cela vous donne une idée de la nature discriminatoire des frappes aériennes contre les civils.
Je souhaite profiter de l'occasion pour demander au gouvernement canadien d'affecter des fonds supplémentaires pour aider les secouristes sur le terrain, c'est-à-dire les travailleurs humanitaires, puisque nous sommes aux prises avec une grave pénurie de fournitures médicales dans les hôpitaux du Nord, qui sont toujours en service. Il n'y a que quelques hôpitaux et établissements médicaux qui fonctionnent encore et nous avons besoin de fournitures importantes. Ces fournitures sont cruciales pour sauver des vies, surtout celles des enfants et des femmes qui sont ciblés dans les zones civiles.
Je vous remercie beaucoup.
Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner à cette audience. Nous sommes reconnaissants d'avoir l'occasion d'être ici.
En guise d'introduction, j'aimerais présenter mon organisme, Middle East Concern, qui a été créé en 1991 pour répondre aux besoins exprimés par les dirigeants chrétiens du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Les organismes membres et les membres de MEC sont des chrétiens vivant et travaillant dans les 24 pays et territoires couverts par le MEC.
Le MEC apporte son soutien aux chrétiens du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord qui sont persécutés en raison de leur foi, soit parce qu'ils sont chrétiens, soit parce qu'ils ont choisi de le devenir. Le MEC aide les victimes de persécution religieuse; conteste les lois, les politiques et les attitudes injustes; et donne aux chrétiens les moyens de se préparer à la persécution, de l'atténuer et d'y répondre.
Nous collaborons largement avec nos réseaux de personnes et d'organismes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et dans le monde entier pour fournir le soutien et l'aide nécessaires pour chaque situation.
En ce qui concerne la situation des chrétiens dans les régions contrôlées par le gouvernement de la Syrie, la plupart des chrétiens de Syrie appartiennent à des églises orthodoxes et catholiques historiques et, en outre, il y a des églises protestantes traditionnelles. Ces communautés se trouvent principalement dans des régions de la Syrie contrôlées par le régime du président Assad. Elles jouissent généralement d'un statut raisonnable dans la société. Par exemple, l'actuel président du Parlement syrien est un chrétien orthodoxe. Cependant, les chrétiens ont été touchés par le conflit actuel et les difficultés économiques entraînées autant que n'importe qui d'autre.
Les dirigeants religieux expriment massivement leur soutien au régime du président Assad, du moins en public. Plusieurs raisons l'expliquent, comme le fait que le régime Assad a traditionnellement accordé des libertés importantes aux chrétiens; le fait que même si les communautés chrétiennes ne souscrivent pas à tout ce que défend le régime Assad, elles craignent que tout autre régime soit beaucoup plus hostile aux chrétiens; et comme le fait que certains dirigeants religieux manifestent publiquement leur appui au régime, car ils comptent sur les faveurs du régime.
Alors qu'Assad consolide sa position, les chrétiens sont parmi ceux qui craignent qu'il fasse des concessions aux islamistes. Certains étaient surtout préoccupés par le dépôt de ce qu'on appelle la « loi 16 » en septembre 2018, qui devait combattre l'idéologie extrémiste tout en favorisant la modération. Cette loi proposait un élargissement important des pouvoirs du ministère des biens religieux, le ministère du waqf, au détriment des autres ministères et institutions publiques. Les propositions ont été critiquées, y compris par les cercles loyalistes, parce que le pouvoir accru des autorités religieuses sunnites donnerait plus d'influence aux islamistes, ce qui menacerait la nature et la culture laïque de l'État syrien.
Une levée de boucliers sans précédent a entraîné certaines modifications aux propositions. Toutefois, la version finale, connue sous le nom de « loi 31 », continue de renforcer le pouvoir du ministère des biens religieux. Certains dirigeants de l'Église craignent que cette loi augmente les obstacles et les procédures bureaucratiques pour les églises.
Certains ont donné d'autres exemples des marginalisations subies par les chrétiens sous le régime Assad. Par exemple, nous avons entendu des allégations selon lesquelles les soldats chrétiens de l'armée syrienne sont affectés à des postes ou à des fonctions plus dangereuses, ou que les fonctionnaires chrétiens reçoivent un traitement inférieur aux autres.
Dans les régions qui sont encore sous le contrôle de forces islamistes, principalement dans la province d'Idlib, la présence chrétienne est très faible, notamment en raison de la migration vers l'extérieur au début du conflit, à la suite des attaques contre des églises dans des communautés chrétiennes. Il ne reste que très peu de chrétiens, et parmi ceux qui restent, aucun ne semble vouloir amorcer de retour, principalement à cause de la situation de sécurité, mais aussi à cause de la crainte que les groupes militants dominants, en particulier Hayat Tahrir al-Sham, continuent d'imposer un régime islamiste strict.
À Afrin, les chrétiens qui font partie des milliers de personnes déplacées par les rebelles soutenus par la Turquie au début de 2018 ont signalé la profanation des églises et l'appropriation de bâtiments appartenant aux chrétiens, bien que d'autres personnes parmi les milliers, la plupart des Kurdes, qui ont été déplacées affirment la même chose. On prétend que les factions qui contrôlent le territoire ont établi un programme démographique en installant les sunnites déplacés à l'intérieur de la Syrie dans des propriétés abandonnées par les Kurdes et les chrétiens.
Bien que Daech, aussi connu sous le nom d'État islamique, ait été vaincu sur le plan militaire, on craint que la violence inspirée par l'idéologie de Daech puisse encore éclater et que les communautés religieuses minoritaires soient vulnérables à cette violence, comme en témoignent les atrocités commises contre les communautés druzes en juillet 2018 à Sweida et revendiquées par Daech.
Les régions à majorité kurde du Nord-Est de la Syrie comptent d'importantes communautés chrétiennes assyriennes et syriaques. L'évolution récente sur la scène politique inquiète certains membres de ces communautés, en particulier l'imposition d'un programme politique kurde et l'intensification de l'affrontement avec Damas puisque le président Assad réfute les demandes kurdes pour une plus grande autonomie.
Bien qu'elles soient reconnaissantes à l'administration kurde pour son plus grand degré de pluralisme en général, les communautés chrétiennes sont agacées par la volonté renouvelée d'affirmer l'identité kurde. Les chefs d'église s'opposent notamment à l'imposition d'un nouveau programme scolaire kurde dans toutes les écoles de la région, y compris dans les écoles religieuses, en 2018. Les appels des dirigeants religieux syriens ne se limitent pas à leurs propres communautés. Ils présentent un argument de poids, soit que la préservation de la diversité ethnique et religieuse de la Syrie par la consolidation du pluralisme est essentielle pour le bien de toutes les communautés.
Il convient de noter que les appels au pluralisme vont au-delà des appels à la coexistence intercommunale pacifique. La conversion religieuse en Syrie demeure un tabou répandu dans la société, lequel est renforcé par les lois sur le statut personnel, en particulier en ce qui concerne ceux qui choisissent de se convertir de l'islam au christianisme ou à toute autre religion. Ce tabou va à l'encontre des normes internationales en matière de liberté de religion ou de croyance, selon lesquelles une personne a le droit de changer de religion.
Si la communauté internationale a une quelconque influence sur la reconstruction de la Syrie, nous lui demandons de veiller à ce que les cadres juridiques actuels et futurs en Syrie favorisent et protègent pleinement les droits égaux et inaliénables de tous les citoyens, indépendamment de leur race, de leur religion ou de leur statut; d'assurer l'amélioration continue des conditions de vie de tous les citoyens pour qu'ils vivent dans la dignité, mais en particulier celles des réfugiés de retour au pays et des personnes déplacées à l'intérieur du pays, notamment en leur fournissant un logement, des possibilités de formation et des emplois adéquats; et de donner aux chefs religieux et aux organismes confessionnels les moyens de jouer un rôle constructif et central dans la réconciliation et la reconstruction de la société syrienne.
Je terminerai en citant un porte-parole du Patriarcat orthodoxe antiochois qui a dit:
Nous devons... trouver une solution pacifique dans le pays. Les personnes déplacées et les réfugiés devraient pouvoir rentrer chez eux. La situation actuelle doit prendre fin, et nous devons trouver des façons de motiver les gens à se réconcilier et à guérir ensemble.
Merci.
Merci beaucoup à vous deux de votre témoignage.
Nous allons commencer par M. Sweet, qui a sept minutes.
Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais remercier les deux témoins de leurs efforts — quoique très différents — pour sauver des vies et aider les personnes persécutées.
Ma première question s'adresse à M. Al-Kassem.
Je crois savoir que la plupart des installations médicales étaient souterraines et que leur emplacement a été révélé aux Nations unies. On partait du principe qu'il y aurait une certaine harmonisation des opérations militaires et humanitaires; leur emplacement a fini par être communiqué à Moscou et Damas et a été ciblé.
Je ne sais pas quand vous y êtes allé pour la dernière fois, mais quelles ont été les conséquences sur les personnes qui sont actuellement en mission médicale là-bas, qui savent maintenant qu'elles sont ciblées et qu'un des groupes en qui elles avaient confiance est... Je suis certain qu'elles se sentent trahies, mais quelle a été l'incidence sur leur volonté de demeurer sur le champ de bataille?
Merci beaucoup de votre question.
Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai participé à de nombreuses missions en Syrie, y compris à Alep lors des intenses frappes aériennes qui ont eu lieu en 2015-2016. En fait, la plupart des hôpitaux sont dans des immeubles ordinaires. Le personnel travaille au sous-sol, alors les hôpitaux ne sont pas vraiment souterrains. La plupart du temps, nous n'osons pas utiliser les étages supérieurs en raison du risque très élevé de bombardement par des frappes aériennes, particulièrement les frappes aériennes russes qui sont très avancées aujourd'hui, par rapport à 2015 ou avant, lorsque les frappes aériennes d'Assad touchaient principalement les bâtiments.
Nous avons en fait communiqué nos emplacements à la Russie, à la Turquie et à l'ONU. Malheureusement, trois emplacements dévoilés récemment ont été bombardés par les frappes aériennes russes.
Pour ce qui est des 24 installations médicales — vous avez raison —, nous avons communiqué leurs emplacements et l'ONU et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires à Gaziantep nous ont rassurés d'une certaine façon en disant que si nous leur indiquions les emplacements, ils les communiqueraient aux Russes pour qu'ils ne soient pas bombardés, mais ces promesses n'ont pas été respectées.
Pour être honnête avec vous, lorsque je parle avec le personnel médical sur le terrain, personne ne fait confiance à la communauté internationale.
Pour revenir au point soulevé par mon collègue, le fait de ne pas faire confiance à la communauté internationale et aux promesses faites aggravera la violence et l'extrémisme dans le Nord de la Syrie, ce dont nous n'avons jamais été témoins auparavant. Les gens là-bas pensent maintenant que la communauté internationale aide Assad et la Russie. Ce qui ne les aide pas... je parle du personnel médical et des civils. Les autres groupes tentent donc de saisir cette occasion pour les convertir, les convaincre de faire partie de Daech, de Hayat Nosra et de tous ces groupes extrémistes. C'est une grande préoccupation.
Il y a eu de la discrimination contre beaucoup de civils, pas seulement contre les chrétiens. Les sunnites, les Kurdes et toutes sortes de populations et de groupes ethniques en Syrie ont été ciblés par le régime syrien et les alliés russes. C'est une grande préoccupation pour nous. Malheureusement, nous avons fait part de nos préoccupations à l'ONU et à l'OMS à plusieurs reprises, mais les forces aériennes russes ne font preuve d'aucun respect.
Je veux confirmer une chose que vous avez dite plus tôt. Je me suis rendue à la frontière entre la Jordanie et la Syrie en 2014 où nous avons accueilli 700 réfugiés à ce moment-là, et la grande majorité d'entre eux avaient été déplacés à trois ou quatre reprises par des bombardements. Ils ont quitté leur maison, car elle a été bombardée, puis celle d'un ami, d'un oncle ou d'une tante qui a également été bombardée. Bon nombre d'entre eux ont usé complètement leurs chaussures simplement pour se rendre en lieu sûr.
La Jordanie et le Liban accueillent-ils encore ces personnes déplacées ou ont-ils commencé à réduire le nombre de réfugiés qu'ils acceptent?
La Jordanie, le Liban, l'Irak et même la Turquie ont maintenant fermé leurs frontières. La Jordanie et la Turquie ont accueilli chacun un million de réfugiés, et la Turquie, plus de trois millions. Aucun de ces pays ne souhaite accueillir d'autres réfugiés.
C'est pourquoi je suis très inquiet. Je suis allé à Alep. Je suis déjà allé à Hama et à Idlib, mais au moins les frontières étaient ouvertes à ce moment-là, alors les gens pouvaient chercher refuge en Turquie, puis éventuellement se tourner vers l'Europe et le Canada. À l'heure actuelle, les frontières sont fermées et tous les pays ont dit clairement qu'ils ne pouvaient plus prendre d'autres responsabilités quant aux réfugiés. C'est une grande préoccupation pour ces villages et ces villes qui sont dévastées à l'heure actuelle.
Merci à nos deux témoins d'être ici aujourd'hui.
Docteur, j'aimerais vous poser la question suivante. Certains bastions ont été repris au fil du temps par le gouvernement Assad, ce qui a entraîné l'emprisonnement de beaucoup de gens. Je me pose une question. Il y a environ deux millions et demi de personnes, je crois, dans la région d'Idlib. Il semble que plus d'un million de personnes sont arrivées dans cette région après avoir été déplacées.
Vous avez tous les deux parlé des déplacements de population et des perturbations qu'ils entraînent. Quelle est la situation là-bas? Combien de temps pensez-vous que l'opposition pourra tenir? Est-ce que la situation perdurera? Est-ce que ce sera comme dans les autres pays dont nous avons parlé au comité? Ces régions avaient été prises par les forces de l'opposition lorsque nous leur avons parlé, mais, en l'espace d'un mois environ, elles ont été reprises par le gouvernement Assad.
Je me demande si vous pouvez faire le point sur cette situation.
Vous avez raison. Il y a une population de plus de 2,5 millions d'habitants aujourd'hui à Idlib, qui comptait avant la guerre environ un million d'habitants. Dans la ville d'Idlib elle-même, la population est d'un million d'habitants. Comme vous l'avez mentionné, bon nombre de ces personnes sont venues d'autres régions. Certaines ont été déplacées deux ou trois fois tandis que pour d'autres, il s'agit de la troisième ou la quatrième fois. Imaginez ce genre de déplacement. C'est horrible. Je suppose que c'est une première dans l'histoire.
À l'heure actuelle, nos données montrent qu'il y a plus de 425 000 nouvelles personnes déplacées à l'intérieur du pays qui ont quitté leurs villages et leurs villes en raison de l'intensité des frappes aériennes, mais elles sont allées vers le nord et certaines d'entre elles vers la ville d'Idlib. Nous sommes inquiets que, si la ville d'Idlib elle-même, avec une population d'un million d'habitants, est ciblée par les frappes aériennes, nous soyons probablement témoins de la plus grande crise humanitaire depuis le début de la guerre. Ce qui nous préoccupe, c'est que même si les hôpitaux à la frontière fonctionnent toujours, ils ne peuvent accueillir un grand nombre de blessés supplémentaires si la ville d'Idlib était ciblée par les frappes.
Merci beaucoup. Votre temps est écoulé.
Nous passons maintenant à Mme Khalid. Madame, vous avez sept minutes.
Merci, madame la présidente.
Je remercie les deux témoins, Dr Al-Kassem et M. Windsor, pour le temps qu'ils nous ont consacré et pour leurs efforts ayant permis de sauver un si grand nombre de vies en Syrie.
Docteur Al-Kassem, je me tourne d'abord vers vous, si vous me le permettez. Dans votre témoignage, vous avez parlé de l'utilisation d'armes chimiques et de la question des données. Recueillez-vous également des données? Je sais que ce n'est pas tout à fait le mandat de votre organisme sur le terrain. Vous fournissez de l'aide humanitaire et des soins médicaux. Néanmoins, recueillez-vous des données et prenez-vous des notes sur ce qui se passe sur place, autant d'informations qui pourraient être utilisées plus tard par la communauté internationale?
Oui. Merci beaucoup.
Comme Mme Khalid l'a mentionné, nous sommes des travailleurs médicaux. Nous sommes avant tout des médecins, mais dans le dossier des armes chimiques, en particulier, nous avons été forcés de recueillir des données. Nos travailleurs médicaux se trouvent sur le terrain. Ils subissent des blessures. Nous sommes au fait des symptômes et des données scientifiques.
Par exemple, il y a environ sept jours, nous avons pu confirmer — sur le plan des signes cliniques à tout le moins — que du chlore gazeux avait été utilisé. Ce gaz étant utilisé à répétition depuis six ou sept ans, nous sommes désormais à même de reconnaître clairement les symptômes. Du phosphore gazeux a aussi été utilisé. C'est du moins ce que les signes cliniques nous permettent d'affirmer, étant donné les brûlures et les blessures graves que des villageois ont subies il y a environ sept jours.
Nous attendons toujours la confirmation de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Nous leur transmettons des échantillons. Tout cela peut prendre un certain temps. Chose certaine, il existe des preuves cliniques de l'utilisation répétée du chlore gazeux et du phosphore gazeux.
Merci.
Travaillez-vous actuellement avec d'autres organismes qui fournissent de l'aide humanitaire sur le terrain, des organismes qui vous appuieraient dans ce processus?
Oui.
La Syrian American Medical Society a été un partenaire important pour nous. Nous sommes également en communication avec l'OMS. Bien qu'ils n'aient pas d'installations sur le terrain, ces gens nous fournissent des fournitures médicales et nous leur transmettons les données.
Merci.
Il est vraiment regrettable de voir que des milliers de personnes sont déplacées et n'ont nulle part où aller, semble-t-il, puisque les frontières sont en train de se refermer.
Selon vous, que se passera-t-il ensuite en Syrie, à court et à long terme? Docteur Al-Kassem, je vous demanderais de répondre en premier. Ensuite, ce sera au tour de M. Windsor
J'aimerais que, dans la communauté internationale et au gouvernement canadien, on se tienne debout. Tout d'abord, nous devons recueillir des fonds d'urgence pour l'aide médicale et les fournitures médicales. Nous avons besoin d'au moins un demi-million de dollars supplémentaires pour les fournitures médicales, pour les cliniques mobiles en particulier. Les services font défaut dans plusieurs villes et villages. Il n'y a plus de médecins ni d'infirmières sur le terrain, alors les cliniques mobiles sont une excellente solution. Nous exploitons plusieurs cliniques du genre dans le nord de la Syrie. Nous avons cruellement besoin de fonds d'urgence pour ces cliniques mobiles.
Nous devons veiller à ce que la communauté internationale et en particulier le Canada s'assurent que l'accès humanitaire à travers les zones et à travers les frontières de la Jordanie, du Liban et de la Turquie est maintenu. C'est d'autant plus important que des opérations de grande envergure sont en cours à Idlib, près de la frontière turque.
Nous devons exhorter les dirigeants de la France, de l'Allemagne, de la Russie et de la Turquie ayant participé au sommet d'Istanbul à respecter leur engagement de maintenir le cessez-le-feu à Idlib et de mettre fin aux attaques systématiques contre les hôpitaux et les écoles. Depuis le 28 avril, il y a eu des attaques sur 10 écoles. Comme je l'ai mentionné, beaucoup d'installations médicales ont aussi été visées. Vingt-quatre d'entre elles ne sont plus en service, ayant été complètement détruites.
Ce sont là les solutions que nous envisageons pour les prochaines semaines. À long terme, nous espérons pouvoir trouver une solution politique. Nous considérons qu'Assad, l'EI et Nosra sont très dangereux. Ils ont commis des crimes de guerre contre l'humanité.
Je dois dire que je suis d'accord avec le docteur Al-Kassem, qui a décrit la situation avec beaucoup d'éloquence. De toute évidence, il est essentiel que les voies d'accès humanitaire soient ouvertes et que le processus diplomatique se poursuive. Il faut redoubler d'efforts pour résoudre ce conflit en raison de la crise humanitaire qui dure depuis si longtemps.
Merci.
Docteur Al-Kassem, vous avez parlé de la solution politique et de la question de savoir comment éliminer les menaces qui pèsent sur l'humanité dans cette région du monde. Vous avez mentionné l'EI et le régime Assad.
Y a-t-il dans la région d'autres acteurs politiques qui font obstacle à une solution à long terme?
Je pense que, en ce moment, les principaux acteurs sont la Turquie et la Russie, qui ont des bases militaires et des troupes déployées sur le terrain. J'aimerais que la communauté internationale, y compris le Canada, intervienne davantage auprès de la Turquie et de la Russie afin de les tenir responsables de leurs promesses antérieures et de leur engagement à l'égard du cessez-le-feu et de l'entente sur les zones démilitarisées, qui a été signée en septembre 2018. Je pense qu'il est très important d'intervenir davantage auprès de la Russie et de la Turquie, car à mon avis, il n'y a pas de solution politique qui ne passe par ces deux grands acteurs dans la région.
Merci.
Ma dernière question s'adresse à vous, docteur Al-Kassem. Je crois savoir que vous avez perdu des Canadiens qui s'étaient portés volontaires pour fournir des soins médicaux en Syrie. Comment assurez-vous la sécurité des gens qui travaillent pour votre organisme en apportant de l'aide sur le terrain?
Comme je l'ai déjà dit, malheureusement, le fait de communiquer l'emplacement des hôpitaux n'a pas été très utile dans le passé. Par conséquent, nous œuvrons seulement à la frontière à l'heure actuelle. Plutôt que d'envoyer nos équipes dans les villages et les villes qui subissent des attaques, nous essayons de nous en tenir aux camps qui sont relativement sûrs, n'ayant pas fait l'objet d'attaques au cours des semaines précédentes. Le centre de nos opérations se trouve à la frontière. Nous espérons que cet hôpital, à tout le moins, ne sera pas bombardé.
Merci beaucoup.
La sonnerie se fait entendre. Ai-je le consentement du Comité pour continuer? Nous pourrions passer à la dernière question de ce tour. Nous aurions sans doute même le temps pour trois ou quatre autres questions si nous levons la séance 10 minutes avant l'heure, puisque nous n'avons pas à changer d'édifice. Cela vous convient-il?
D'accord. Allez-y, madame Hardcastle.
Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci beaucoup, messieurs, de votre travail et de vos témoignages d'aujourd'hui.
J'aimerais revenir sur la question de la marche à suivre pour que le Canada fasse entendre davantage sa voix au sein de la communauté internationale. On a dit que nous devons nous tenir debout et faire entendre notre voix. On a aussi dit que la communauté internationale, dont nous faisons partie, devait mieux exercer son influence. Vous avez piqué mon intérêt lorsque vous avez parlé des cliniques mobiles et des fournitures médicales.
Jusqu'à maintenant, nous sommes-nous contentés d'énoncer des généralités ou nous sommes-nous vraiment prononcés, au Canada ou au sein de la communauté internationale, au sujet des cessez-le-feu, des corridors humanitaires ou du soutien nécessaire pour acheminer des fournitures médicales dans une zone en particulier, par exemple?
J'aimerais que vous nous disiez tous les deux comment nous pouvons faire avancer les choses dans des zones ou des domaines précis. Par ailleurs, j'aimerais savoir si, dans certaines zones, nous pourrions nous pencher sur la désactivation des mines antipersonnel ou sur d'autres types d'effort précis. Voilà qui conclut ma question.
Peut-être pourrions-nous commencer par vous, docteur Al-Kassem. Je vous cède à tous les deux le reste de mon temps de parole pour que vous nous disiez comment nous pouvons travailler pour faire en sorte que l'accès soit maintenu.
Je pense qu'il y a deux moyens à notre disposition et qu'il est préférable de combiner les deux. La solution politique... Cette guerre dure depuis maintenant sept ans. À l'échelle planétaire, c'est la pire crise humanitaire des 10 dernières années, au bas mot. Le problème, c'est que nous n'avons pas trouvé de solution politique.
Malheureusement, la Russie est aussi responsable du problème, parce qu'elle soutient le régime syrien et qu'elle n'appuie pas vraiment la recherche d'une solution politique. Je pense que nous devrions continuer à exercer des pressions sur la Russie et la Turquie et sur tous les intervenants sur le terrain pour trouver une solution politique et établir un cessez-le-feu, une zone d'exclusion aérienne et le respect de la population civile. Nous devons continuer à exercer des pressions sur ces acteurs.
Par ailleurs, il me semble que le gouvernement canadien pourrait faire un petit effort supplémentaire en débloquant des fonds immédiatement pour l'aide médicale d'urgence, pour l'aide humanitaire, car une crise sévit en ce moment même à Idlib. On ne parle pas ici de millions de dollars. Comme je l'ai mentionné, nous estimons avoir besoin d'environ un demi-million de dollars pour les fournitures médicales et d'un montant du même ordre, sans doute, pour les cliniques mobiles. Il est essentiel de disposer de telles cliniques à Idlib, car en cas d'attaques contre des villages, elles peuvent être déplacées vers les camps et les endroits où il y a des enfants et des femmes déplacés de toutes les ethnies. Ces personnes peuvent alors recevoir des médicaments, des évaluations, des tests de dépistage, etc. Elles peuvent ensuite être transférées de façon sécuritaire vers des hôpitaux frontaliers comme l'hôpital de Bab al-Hawa.
Il y a donc deux moyens, selon moi. J'espère que le gouvernement canadien agira immédiatement en débloquant des fonds d'urgence pour aider les organismes qui travaillent dans la zone de guerre, tout en continuant à pousser dans le sens d'une solution politique.
J'ajouterais qu'une certaine fatigue s'est installée en ce qui concerne le conflit et la crise en Syrie. Dans les médias, ce n'est plus à l'avant-plan des priorités publiques. Selon moi, nous devons nous assurer que le conflit reste à l'ordre du jour et que le public et le monde entier savent ce qui se passe là-bas. Voilà qui devrait faire partie de la stratégie visant à inciter la Turquie et la Russie à s'acquitter de leurs obligations en changeant le cours de leurs actions en Syrie.
J'ai seulement une brève question. En avril 2019, le gouvernement canadien a condamné la situation en Syrie. Il a annoncé un financement de 2 millions de dollars pour soutenir l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Nous en avons parlé plus tôt. Pensez-vous que ce genre de soutien est utile pour freiner le cours des choses ou pensez-vous que le gouvernement devrait mettre davantage l'accent sur l'aide médicale et l'aide humanitaire?
Qu'en pensez-vous, docteur Al-Kassem?
Je pense que nous avons besoin de plus de fonds d'urgence pour le fonctionnement des cliniques et tout particulièrement des grands hôpitaux comme l'hôpital de Bab al-Hawa, sans parler des cliniques mobiles. Les rares cliniques et installations médicales qui subsistent dans le Nord de la Syrie subissent une très forte pression. Si elles s'effondrent, les femmes et les enfants blessés jour après jour par les frappes aériennes n'auront nulle part où aller, d'autant plus que, je le répète, les frontières turques, libanaises et jordaniennes leur sont maintenant fermées, pour l'essentiel.
Il faut bien comprendre que ce n'est pas comme en 2015 et en 2016, lorsque les frontières étaient en quelque sorte ouvertes. Actuellement, on traverse une véritable crise. Il faut des fonds d'urgence pour l'action sur le terrain à Idlib.
Nous avons déjà rencontré des représentants du ministère des Affaires étrangères. Ils nous ont dit qu'en raison de l'action militaire, Idlib n'était pas une priorité pour eux. J'espère qu'ils changeront d'idée maintenant, parce qu'il est impossible d'évacuer ces blessés hors des frontières syriennes. Nous devons nous focaliser sur l'urgence et sur la dimension humanitaire de la situation, prévoir des fonds d'urgence pour les cliniques, pour les organismes humanitaires, tout particulièrement pour les hôpitaux qui accueillent les blessés.
Merci, madame la présidente.
Vous avez tous les deux évoqué le déplacement des populations locales — j'ai déjà posé une question à ce sujet tout à l'heure. Nous nous sommes penchés auparavant sur la plaine de Ninive. De retour dans cette région, les gens constataient que leurs collectivités étaient maintenant sous le contrôle d'autres personnes et que le système de justice ne fonctionnait plus. Je me demande si vous avez tous les deux des observations à faire à ce sujet.
Monsieur Windsor, je crois que vous avez abordé ce sujet. Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Le docteur Al-Kassem pourrait ensuite prendre le relais. Lorsque ces gens retournent dans leur collectivité, dans les régions où un retour est possible, qu'y trouvent-ils? Y a-t-il des structures en place pour les aider à retourner dans les collectivités et à bien s'intégrer, si l'on veut, ou à renouer des liens avec leurs voisins ou avec les personnes qui faisaient partie de leur vie dans le passé?
À l'heure actuelle, la situation dans la plaine de Ninive est très différente de celle qui prévaut en Syrie. Dans la plaine de Ninive, il y a une certaine anarchie. Les militants des Forces de mobilisation populaire commettent de l'intimidation et du harcèlement et créent de l'instabilité. On a aussi l'impression que la démographie est en train d'être refaçonnée. On réaménage des régions où, historiquement, se trouvait un groupe religieux en particulier, de manière à ce que les gens y achètent des propriétés et y construisent des édifices religieux, des quartiers généraux de partis religieux, etc. On a l'impression que ces actions visent à dissuader les réfugiés et les PDIP de retourner dans ces régions, dans ces villes. Les gens n'ont pas le sentiment qu'il y a assez de stabilité pour se réinstaller là-bas avec leur famille.
En Syrie, la situation est-elle similaire ou est-ce différent étant donné que le gouvernement a repris le contrôle?
En Syrie, on n'a pas l'impression qu'un nombre disproportionné de chrétiens, par exemple, ont quitté la Syrie. Les chrétiens de Syrie éprouvent les mêmes difficultés que beaucoup d'autres groupes et minorités. S'ils se sont enfuis, ce n'est pas seulement en raison des problèmes de sécurité en général. C'est aussi en raison de l'absence de perspectives et de débouchés économiques et parce qu'ils craignaient d'être forcés de s'enrôler dans l'armée syrienne par une conscription. Ce n'est pas parce que des communautés chrétiennes auraient été prises pour cible. C'est un autre type de tension qui est à l'œuvre.
Prenons l'exemple de Zabadani, qui se trouve en périphérie de Damas. Malheureusement, lorsqu'elle était contrôlée par le régime, selon ce que m'ont dit beaucoup de mes collègues... Lorsque j'étais enfant, je m'y rendais presque chaque semaine. C'est un bel endroit sur la montagne. Mes collègues m'ont dit que les terres ont été confisquées par le Hezbollah, le principal groupe militaire sur place à l'heure actuelle, qui est considéré comme un groupe terroriste. Le Hezbollah a pris possession des terres afin que les gens ne puissent pas y retourner — c'est aussi ce qui me préoccupe au sujet d'Idlib. Beaucoup de chrétiens et de musulmans vivent depuis très longtemps dans cette belle région tout près de Damas. J'y suis allé à de nombreuses reprises pendant la saison estivale.
Si le régime syrien, l'EI ou un autre groupe contrôle ces zones, je ne pense pas que les gens pourront retourner chez eux et reprendre possession de leurs terres et de leurs maisons. Voilà ce qui m'inquiète.
Tout à fait. Il l'est à 100 %. Dans cette région en périphérie de Damas, le Hezbollah est un allié du régime syrien et il a le contrôle sur les terres.
Merci.
Docteur Al-Kassem, pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je ne sais pas si nous aurons le temps d'entendre M. Windsor. Parlez-nous des groupes rebelles qui se trouvent à Idlib et dites-nous quelles sont les possibilités. Plus tôt, vous avez parlé d'une solution politique. En ce qui concerne ces groupes, y a-t-il des possibilités que nous devrions examiner?
Les groupes rebelles qui contrôlent Idlib sont mixtes. Certains groupes sont considérés comme extrémistes. C'est le cas du groupe Hayat Nosra, comme on l'appelle. Il y a d'autres groupes qui sont simplement composés de personnes ayant fait défection au régime syrien. Ce sont des gens ordinaires et même des civils qui essaient de se défendre et de défendre leurs femmes et leurs enfants dans la zone tampon d'Idlib et du Nord du gouvernorat de Hama. Je connais beaucoup de médecins et de familles de la région. Ils étaient simplement des civils ordinaires auparavant. C'est vraiment un mélange.
À tout le moins, si la Russie force Hayat Nosra à se retirer, je pense que nous devrions travailler là-dessus. Je soupçonne que c'est la raison pour laquelle les forces du régime sont en train de détruire cette zone. Selon moi, elles veulent pouvoir déclarer qu'elles ont gagné la guerre et qu'elles contrôlent l'ensemble de la Syrie, sachant qu'elles reçoivent un très fort appui des forces aériennes russes depuis septembre 2015. Je pense que nous devrions poursuivre les discussions avec la Turquie, la Russie et les groupes locaux sur le terrain. Si nous pouvons faire sortir les rebelles de la région d'Idlib, nous verrons bien si la Russie cessera ses attaques. Cela dit, je doute que ce soit le cas.
J'ai rarement l'occasion d'être autant en accord avec mes collaborateurs qu'aujourd'hui. Le médecin qui est intervenu avant moi a mis le doigt sur l'un des principaux défis en ce qui concerne ces groupes et leur caractère mixte. Il y a des extrémistes, mais au sein même des groupes, il y a souvent un mélange d'extrémistes et de factions plus modérées. Il est très difficile de savoir à qui s'adresser et à quoi ressemblerait la situation si l'un de ces groupes ou factions rebelles obtenait du succès ou du soutien. Il est difficile de trouver une solution de cette façon. Comme l'a dit le médecin, nous devons tout simplement insister pour un dialogue accru et demander des comptes aux autres acteurs sur le terrain.
Merci beaucoup. Messieurs Anas Al-Kassem et Miles Windsor, je tiens à vous remercier de votre témoignage d'aujourd'hui.
Nous allons maintenant suspendre la séance pour aller voter. Nous allons libérer nos témoins. À notre retour, nous ferons le point sur la situation des droits de la personne au Cameroun.
Nous suspendons la séance.
Nous reprenons maintenant la séance du Comité, et je m'excuse du retard. Nous avons été retenus à la Chambre pour voter.
Nous allons commencer notre séance en faisant le point sur la situation des droits de la personne au Cameroun. Les membres du Comité se souviendront que nous avons déjà eu une séance sur le Cameroun, et celle d'aujourd'hui vise à faire le point sur la situation actuelle.
Nous accueillons deux témoins par vidéoconférence. Scott Morgan est le président du groupe de travail sur l'Afrique de l'International Religious Freedom Roundtable, et il nous parle de Washington, D.C. Tity Agbahey est chargée de campagne au Bureau régional pour l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest à Amnistie internationale, dont le siège est à Dakar, au Sénégal.
Chacun de nos témoins disposera de 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Nous allons commencer par vous, monsieur Morgan.
Merci, et bonjour, madame la présidente.
Je m'appelle Scott Morgan. Je suis le président du groupe de travail sur l'Afrique de l'International Religious Freedom Roundtable, dont le siège se trouve ici, à Washington.
Bien que le groupe comprenne diverses représentations de plusieurs groupes religieux, je tiens à mentionner que j'interviens en mon nom personnel.
Je m'en voudrais de ne pas remercier M. Anderson de nous avoir invités à présenter un exposé devant les honorables députés et de défendre la liberté de religion et de croyance partout dans le monde. J'ai été attristé d'apprendre qu'il ne se présente pas aux prochaines élections et je lui souhaite bonne chance dans ses projets futurs.
La défense de la liberté religieuse au Cameroun figure parmi les tâches les plus difficiles à l'heure actuelle. La plupart des médias sont trop prompts à interpréter la violence comme un conflit unidimensionnel entre l'État et les séparatistes. Ils négligent les diverses composantes religieuses sous-jacentes. L'un des meilleurs exemples de cela a été la réaction à la mort du missionnaire originaire de l'Indiana, Charles Truman Wesco, à peine deux semaines après son arrivée au pays — qui laisse huit enfants derrière lui — ou même le meurtre gratuit de huit prêtres en route vers le séminaire pour suivre de la formation. Ces incidents passent généralement sous le radar.
En outre, la série d'enlèvements d'élèves qui s'est produite au Collège Saint Augustine et dans d'autres écoles presbytériennes met en évidence un autre débat qui éclipse l'aspect religieux dans le domaine de l'éducation. Le gouvernement de Yaoundé a pris plusieurs mesures pour envoyer des enseignants francophones dans la région anglophone, afin que le français y soit enseigné comme langue principale plutôt que l'anglais. La plupart des analystes s'entendent pour dire que cette mesure figure parmi les préoccupations les plus graves en matière de droits de la personne et qu'elle pourrait être un facteur sous-jacent à ce conflit.
Un problème émergent est celui des Mbororos, une tribu qui a des liens étroits avec les Fulanis, qui sont forcés de prêter serment de loyauté au gouvernement de Paul Biya. Cette stratégie peut être considérée comme une stratégie de contre-ingérence dans le but d'obtenir une aide militaire de la part des États-Unis ou de renforcer une telle aide. On craint que les séparatistes ambazoniens ciblent les Mbororos en les considérant comme des agents du gouvernement camerounais, ce qui permettrait à ce dernier de se rendre dans la région et d'y imposer sa volonté. Cela donnerait au gouvernement une forme d'alibi pour expliquer certains des incidents ayant entraîné la mort d'autres prêtres, religieuses et étudiants du séminaire. Cette action pourrait aggraver le conflit en le transformant en conflit religieux. Le fait d'incriminer les actions des Fulanis forcerait certains acteurs à dire qu'il s'agit d'un conflit religieux et qu'il faut utiliser la force. Il pourrait s'agir d'un conflit religieux dont le gouvernement Biya semble prêt à payer le prix pour rester au pouvoir.
Les droits des réfugiés sont une autre préoccupation de plus en plus importante. Le rapatriement des réfugiés au Nigéria a commencé presque immédiatement après la réélection du président Buhari à la tête de ce pays. Cela continue d'être très préoccupant, parce que dans certaines régions où ils sont rapatriés, Boko Haram est toujours actif. Le groupe a récemment lancé des attaques contre des intérêts au Nigéria et au Cameroun. Cependant, il y a de plus en plus d'inquiétudes, inquiétudes qui souvent n'arrivent pas jusqu'à des tribunes comme la vôtre, concernant le silence qui entoure la situation des réfugiés de la République centrafricaine, qui sont sur le point d'être accueillis par les Camerounais. On rapporte de plus en plus que la Séléka et les anti-balakas recrutent et entraînent des combattants dans les camps de l'Est du pays. À eux seuls, ces facteurs sont une bombe à retardement qui pourrait exploser à tout moment. Cette situation devrait être réglée le plus tôt possible.
Selon moi, l'une des meilleures sources concernant la situation actuelle des réfugiés est le récent rapport de Refugees International sur les camps de réfugiés au Cameroun. Il a été publié il y a environ un mois et présente donc un bon aperçu de ce qui se passe actuellement.
Une autre préoccupation concerne l'utilisation efficace des médias sociaux dans ce contexte. Bien que la plupart des critiques soient formulées à l'encontre du gouvernement Biya, les deux parties ont publié des vidéos sur diverses plateformes de médias sociaux dont on a dit qu'elles constituaient de la propagande ou servaient à propager de fausses nouvelles.
Ces mesures rendent plus difficiles les vérifications et les enquêtes sur les événements qui se sont produits sur le terrain, certaines personnes étant plus enclines à croire que l'information provenant d'une source est plus crédible que celle provenant d'une autre. On a découvert récemment que des chroniqueurs locaux de médias internationaux comme Voice of America figurent en fait sur la liste de paie de CRTV, qui est une entreprise médiatique d'État.
Le gouvernement camerounais a également pris d'autres mesures pour s'assurer que ces atrocités ne sont pas mises au jour. Pendant la période de questions, je pourrai expliquer certaines des mesures qui ont été prises ici, à Washington, pour passer sous silence de l'information et d'autres préoccupations concernant la région.
Récemment, dans plusieurs rapports, y compris celui de l'Institut Wallenberg, on a demandé que le gouvernement canadien intervienne et soit l'une des parties qui aident à la médiation dans ce conflit. C'est peut-être une bonne idée, compte tenu de l'histoire du conflit et des enjeux concernant le Québec, ainsi que des liens de longue date entre le Canada et le Cameroun, qui remontent à l'époque de l'indépendance.
À l'heure actuelle, la médiation est la seule façon de résoudre les conflits au Cameroun. Il n'y aura probablement pas de solution militaire.
Récemment, le sous-secrétaire d'État américain aux Affaires africaines, Tibor Nagy, qui s'est rendu au Cameroun en mars de cette année, s'est également prononcé en faveur de la médiation. Cette déclaration peut être considérée comme une décision politique officielle de l'administration Trump. J'exhorte le personnel du ministère canadien des Affaires étrangères qui s'occupe de l'Afrique et M. Nagy à entreprendre dès que possible une stratégie conjointe de médiation.
Ce n'est pas la seule branche du gouvernement américain qui s'intéresse à la situation. Récemment, le Congrès a présenté la résolution no 358, qui appelle aussi à la médiation. L'une des dispositions prévoit que la médiation doit être menée par la communauté religieuse du pays; toutefois, une tentative en ce sens de la part des porte-parole anglophones de l'Église catholique romaine et de plusieurs groupes protestants menée en novembre 2018 a été en fait contrecarrée par le gouverneur de l'État du Sud-Ouest, sous le vague prétexte que cela enfreindrait la loi camerounaise.
La loi américaine ne contient pas de dispositions pour protéger les dirigeants qui tentent de recourir à la médiation dans ce conflit. J'ai fait valoir qu'il s'agit d'un oubli dont le Congrès devrait s'occuper. Tout effort déployé par le gouvernement canadien devrait aussi prévoir une certaine protection pour les médiateurs.
Enfin, il semble que l'ONU ne prendra aucune mesure pour éradiquer le conflit. Une récente séance d'information du Conseil de sécurité sur la situation au Cameroun a révélé que la Russie et la Chine estimaient qu'il s'agit d'une question interne. Si un vote était pris sur une résolution du Conseil de sécurité, il y aurait un veto.
Le Canada occupe donc une position unique qui lui permettrait de travailler avec des membres clés du Commonwealth et de l'Union africaine pour obtenir réparation pour les populations du Cameroun. Même si les travaux du Groupe d'action ministériel du Commonwealth ont été suspendus pour l'année, cela ne devrait pas être une excuse pour ne pas agir à cet égard.
Nous avons pris note des mesures récentes de l'Union africaine pour suspendre le Soudan en raison de la violence qui s'est produite dans ce pays après le renversement d'Omar el-Béchir. La rapidité avec laquelle cette autre mesure de suspension a été prise par l'Union africaine pourrait servir de modèle pour la suite des choses au Cameroun, après discussion appropriée avec les pairs.
Une autre mesure du groupe ministériel du Commonwealth qui pourrait être prise serait la création d'un groupe de travail au sein de l'organisme, comme cela s'est produit au Zimbabwe après les élections controversées de 2002. Un groupe de travail de trois pays a été mis sur pied pour discuter de la façon dont la situation politique interne au Zimbabwe pourrait être traitée à la satisfaction de tous. En fin de compte, cette question a échoué, et elle a été mise de côté après les élections de 2008. Cela pourrait aussi être une façon pour le Canada d'accroître considérablement sa présence diplomatique dans ce domaine.
Merci beaucoup de votre témoignage, monsieur Morgan.
Nous passons maintenant à Mme Agbahey, pour 10 minutes.
Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Amnistie internationale est soulagée de voir que la situation au Cameroun retient l'attention, car elle s'occupe de ce pays depuis cinq ans, documentant de nombreuses violations des droits de la personne.
Permettez-moi de vous donner une vue d'ensemble de ce qui se passe au Cameroun, non seulement dans les régions anglophones, mais essentiellement dans tout le pays.
Le Cameroun se trouve dans un contexte régional très difficile, où les motifs de sécurité l'emportent de plus en plus sur les droits de la personne, l'État semblant croire que toute violation des droits de la personne peut être justifiée par le fait qu'il protège son peuple et son pays contre ce qu'il considère comme des menaces.
Le Cameroun fait face à de multiples crises, la première étant Boko Haram dans les régions du Nord, la première non pas par ordre d'importance, mais plutôt en ordre chronologique. La deuxième est la crise dans les régions anglophones. La troisième, qui a commencé il y a quelques mois, est la répression postélectorale à Yaoundé et à Douala.
Comme je le disais, le Cameroun est entouré de pays où la situation est très précaire et qui font face à leurs propres menaces. Il est entouré par la République centrafricaine, le Tchad et le Nigéria et est très engagé dans la lutte contre Boko Haram dans la région du lac Tchad. Amnistie internationale considère cette lutte comme légitime, mais pas les moyens qui sont utilisés pour la mener.
Dans la réponse des autorités camerounaises à la lutte contre Boko Haram, les forces de sécurité ont commis un très grand nombre de violations des droits de la personne. Elles ont procédé à des arrestations et des détentions arbitraires, ont eu recours de façon systématique à la torture et sont à l'origine de disparitions forcées, de morts en détention et parfois même d'assassinats. Elles utilisent essentiellement le même modèle de violation des droits de la personne dans les régions anglophones.
Peu importe ce que le Cameroun considère comme une menace, peu importe ce qu'il considère comme un risque pour sa sécurité, notre étude nous a montré depuis cinq ans que la réaction est essentiellement la même. La tendance en matière de violations des droits de la personne se maintient à toutes fins utiles.
Ce que les forces de sécurité ont fait dans les régions du Nord n'est pas encore terminé. Aujourd'hui, dans les régions anglophones, elles procèdent exactement de la même façon que dans les régions du Nord depuis 2014, avec des arrestations et des détentions illégales, le recours systématique à la torture, des assassinats et des morts en détention.
La spécificité de la crise dans les régions anglophones fait en sorte que maintenant, pour une fois, elle reçoit plus d'attention que celle qui touche les régions du Nord. Cette attention est attribuable au fait que la diaspora anglophone est présente presque partout et qu'elle est très puissante, ce qui est une bonne chose. Essentiellement, c'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Cela signifie que, pour une fois, la situation au Cameroun reçoit l'attention qu'elle mérite.
Notre recommandation à Amnistie internationale, tant pour la crise qui sévit dans le Nord que pour celle dans les régions anglophones, est que les autorités camerounaises enquêtent sur toutes les allégations de torture et de détention illégale. Je pense notamment, en ce qui concerne la crise dans les régions du Nord, à un village situé juste au nord de Maroua, où plus de 130 hommes — seulement des hommes — ont disparu en 2014. Leurs familles n'en ont pas entendu parler depuis cinq ans. Il faut faire enquête. Ce n'est qu'un exemple de ce qui s'est passé dans le Nord et ce qui se passe maintenant dans les régions anglophones.
La troisième crise à laquelle le Cameroun est confronté est la répression postélectorale. À la fin de janvier, Maurice Kamto, le principal opposant politique au pays, a organisé une manifestation pacifique pour protester contre ce qu'il considère comme des irrégularités massives qui se sont produites lors de la dernière élection présidentielle. Des manifestants pacifiques ont été arrêtés et sont détenus comme délinquants dangereux. Ils sont toujours en détention à l'heure actuelle. Plus de 130 personnes sont actuellement détenues au Cameroun. Certaines d'entre elles n'ont même pas participé à la manifestation. Maurice Kamto, par exemple, a été arrêté alors qu'il se trouvait chez un ami. L'avocate Michelle Ndoki et l'artiste hip-hop Valsero figurent aussi parmi les personnes arrêtées qui sont toujours en détention.
Je vais vous montrer à quel point la répression est systématique au Cameroun. Une femme a été arrêtée, une femme qui faisait le ménage dans la maison au moment où les forces de sécurité sont intervenues et ont demandé aux personnes présentes de ne pas bouger. Ces personnes ont été amenées au poste de police, puis jetées en prison. Cette femme est actuellement en détention. Elle fait face à des accusations qui pourraient mener à la peine de mort.
Mon intervention porte essentiellement sur le fait que même s'il y a de multiples crises au Cameroun, et même si, vues de loin, ces crises ne semblent pas comporter de lien entre elles, il y a une tendance claire dans la façon dont les autorités camerounaises y réagissent. Cela doit cesser. Il faut mettre un terme à cette situation dont nous nous préoccupons depuis cinq ans. Essentiellement, depuis cinq ans, nous disons aux gens de s'intéresser au Cameroun, mais pas uniquement en pensant qu'il s'agit de la clé de la lutte contre Boko Haram dans la région. Regardez aussi ce qui se passe à l'intérieur du pays. Tous les signaux sont présents au Cameroun en ce moment même.
Par exemple, la chercheuse de Human Rights Watch s'est vue refuser l'entrée au pays. Il y a quelques mois, elle a fait une tentative en ce sens pour une mission de recherche, mais on l'a refoulée. C'est toujours un mauvais signal lorsqu'un pays commence à refuser l'entrée à des étrangers ou à des gens qu'il juge ne pas être de son côté.
Nos recommandations aux autorités camerounaises, bien sûr, sont d'enquêter, d'envoyer le message clair aux forces de sécurité qu'elles ne doivent pas laisser l'impunité prévaloir. Pour les partenaires du Cameroun, la question des droits de la personne devrait figurer parmi les questions prioritaires dans leurs discussions avec ce pays. Cela ne devrait pas venir après la question de la sécurité. Cela ne devrait pas venir après le rôle que joue le Cameroun dans la région. Ces deux choses sont liées.
Le Canada, en tant que pays membre du Commonwealth, a un rôle clé à jouer. Il n'est pas encore arrivé que des pays membres du Commonwealth s'adressent au Cameroun. La France et les États-Unis, principalement, l'ont fait pour l'instant, mais le Canada doit aussi intervenir pour signaler au Cameroun que, bien que le combat soit légitime, les moyens utilisés sont mauvais.
Merci.
Merci beaucoup, madame Agbahey.
Merci à nos deux témoins.
Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Anderson, vous avez sept minutes.
Merci, madame la présidente.
Merci à nos témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui.
Merci, monsieur Morgan, de ces paroles généreuses prononcées au début.
J'aimerais avoir votre avis sur le manque de discipline des forces gouvernementales. Je comprends bien qu'il s'agit d'une question complexe et qu'il y a un certain nombre de parties en cause. L'un des thèmes récurrents semble être la violence excessive des forces gouvernementales. Pourriez-vous nous en parler un peu? S'agit-il d'un manque de discipline? Est-ce que c'est attribuable à une escalade délibérée de la part des dirigeants?
Je rappelle que les États-Unis, l'Allemagne, la France, la Chine et Israël sont tous des fournisseurs d'armes. Serait-il possible que, ensemble, ils imposent une certaine retenue en faisant pression sous la forme d'une réduction des livraisons d'armes? Je sais que les États-Unis ont déjà un peu diminué leurs livraisons. Pourriez-vous nous en dire un mot? S'agit-il d'un manque de discipline de la part des forces gouvernementales? S'agit-il d'une escalade délibérée de la violence au profit des objectifs de certaines personnes?
Je dirais qu'il s'agit d'une escalade délibérée. Avant d'aller plus loin, je vous inviterais à ajouter un autre pays à la liste de ceux qui fournissent des armes au Cameroun, à savoir les Émirats arabes unis. Ils ont fourni 27 véhicules blindés durant la courte période séparant les élections d'octobre dernier et le moment où les résultats ont été effectivement annoncés. C'est un enchaînement d'événements très intéressant à examiner.
Il semble que la plupart des atrocités dont nous sommes témoins soient commises par des unités locales sur le terrain. Selon la politique des États-Unis, les unités qui reçoivent une formation dans le cadre de l'initiative de la Commission du bassin du lac Tchad, c'est-à-dire les unités du Nord qui ont affaire à Boko Haram, peuvent toujours obtenir une assistance militaire des États-Unis. Contrairement aux autres unités de l'armée camerounaise, parce que les États-Unis ont aussi rappelé 150 formateurs, qui avaient été envoyés l'an dernier pour former des militaires. Ce n'était qu'une des premières étapes.
Évidemment...
J'ai très peu de temps. Êtes-vous en train de dire que ce sont les commandants locaux qui intensifient la violence?
C'est possible. Comme il y a eu très peu de critiques concernant la situation à Yaoundé, c'est à envisager. Les hauts dirigeants n'expriment aucune critique, sauf lorsque des groupes comme Amnistie ou d'autres dénoncent la violence. C'est seulement dans ce cas qu'ils s'en préoccupent.
Oui. Du point de vue des droits de l'homme, je dirais que c'est le règne de l'impunité. Je travaille dans cinq pays d'Afrique centrale et, bien que les situations et les dynamiques soient très différentes — au Tchad par exemple —, c'est exactement la même chose. Les militaires sont au-dessus de la loi et au-dessus de tout, et, en définitive, l'État leur donne le droit de faire ce qu'ils veulent.
Il y a au Cameroun une unité particulière qui participe à la lutte contre Boko Haram, mais qui intervient également dans les régions anglophones. Il s'agit du BIR, le Bataillon d'intervention rapide. Ces militaires sont censés être entraînés pour une guerre précise. Pour eux, c'est la guerre contre Boko Haram, mais il s'agit, en fait, d'une guerre contre la population, quelle qu'elle soit. C'est le règne de l'impunité, mais le fait est que personne ne s'en préoccupe, personne ne dit vraiment au gouvernement camerounais que ces gens devraient être accusés d'infractions criminelles. Ils ne devraient pas être accusés devant des tribunaux civils. On dit parfois que les responsables ont été jugés devant des tribunaux militaires, mais cela reste habituellement d'ordre administratif. On ne porte pas d'accusations graves contre eux, et ils sont simplement mutés dans une autre région. Une personne responsable de quelque chose dans telle ville sera mutée dans telle autre ville.
Est-ce qu'il y a des unités francophones et anglophones distinctes dans l'armée ou est-ce qu'elles sont combinées? Est-ce que c'est également un problème dans le conflit?
Ce sont généralement des unités francophones. Je n'y ai pas encore rencontré d'anglophones. Ce sont habituellement des francophones dans cette unité.
D'accord.
Rapidement, j'ai remarqué, dans certains de nos documents, que des écoles anglophones ont été fermées au cours des deux dernières années. C'est courant dans les zones de conflit. La première chose qu'on abandonne, semble-t-il, c'est la scolarisation des enfants. Pourriez-vous nous parler un peu des circonstances qui produisent généralement une génération perdue et entraînent d'autres conflits? J'espère que vous n'avez pas d'objection à en parler.
J'ai une autre question pour M. Morgan. Vous vouliez parler de la répression de l'information à l'extérieur du Cameroun. Pourriez-vous vous préparer à nous parler de la façon dont le gouvernement a empêché l'information d'être transmise à l'extérieur du Cameroun? J'aurai peut-être assez de temps.
Parlez-nous d'abord des écoles, si vous voulez bien.
C'est une lutte avec les écoles parce que, comme vous le savez, forcer des gens qui parlent une langue à en apprendre une autre est une grande préoccupation. C'est l'une des critiques que le gouvernement fait valoir contre les Ambas, qui sont en fait ceux qui ont attaqué les écoles pour s'assurer qu'il y ait une génération perdue. Ils ne font pas confiance au gouvernement à cause de ses actions, et ce sont les Ambas Boys qui font cela.
Pour en revenir brièvement à mon deuxième point, ici à Washington, le gouvernement camerounais a retenu les services de trois firmes de lobbying très en vue. L'une d'elles est Squire Patton Boggs, qui, le 1er mai, a été la cible d'une conférence de presse organisée par un groupe du nom de Save the Persecuted Christians. Ce groupe a également été sélectionné par le gouvernement camerounais. Entre juillet 2018 et décembre 2018, ce groupe a reçu plus d'un quart de million de dollars du gouvernement camerounais pour des conseils concernant la politique américaine à l'égard de l'Afrique, ainsi que de l'aide en matière de relations publiques.
Une des autres firmes est le Glover Park Group, dont la mission est également d'aider le gouvernement camerounais en matière de relations publiques, ici à Washington. Il y a aussi Mercury Communications, dont le message était le même. Le gouvernement camerounais tient mordicus à ce que son point de vue soit présenté et n'a rien d'autre à dire. « Nous savons ce qui se passe au Cameroun, et il n'y a pas vraiment de problème. »
Cela fait sept minutes, malheureusement. Peut-être pourrons-nous y revenir plus tard.
C'est à vous, monsieur Tabbara; vous avez sept minutes.
Merci, madame la présidente.
Ma première question s'adresse à Mme Agbahey. Quelles mesures prend-on pour contrôler la propagation de l'incitation à la haine et de la discrimination au Cameroun? Est-ce que des militants des droits de la personne exercent des pressions pour faire cesser la propagation de cette incitation à la haine et de cette discrimination?
Des mesures ont déjà été prises. Il y a une crise en cours, mais l'origine de la crise est un problème qui remonte à l'indépendance du Cameroun en 1960. Il y a eu des mesures modestes, comme la nomination d'un représentant des régions anglophones au gouvernement. L'une des mesures qui ont déclenché la crise actuelle est le fait qu'on envoyait des enseignants francophones et non anglophones dans les régions anglophones. C'est une culture. Il est vraiment difficile de voir exactement ce que fait le gouvernement, parce que cela fait partie de la culture et que c'est quelque chose qui dure depuis plus de 40 ans maintenant. Il est vraiment difficile de savoir au juste ce que le gouvernement fait correctement.
Je peux vous donner une liste de ce qu'il ne fait pas correctement, mais il est vraiment difficile de voir ce qu'il fait correctement. Il n'envoie pas de messages positifs aux anglophones. Le président lui-même les a qualifiés de terroristes. Il les a traités de terroristes et il a demandé à l'armée de réagir comme elle le ferait dans le Nord du pays, par exemple. Ce n'est pas encore un signal positif fort contre la discrimination.
Au Cameroun, il y a des militants de causes spécifiques. Chez les anglophones, un avocat du nom Felix Agbor est un militant très éloquent. Comme il est avocat, il connaît bien sûr les lois, mais il est aussi enraciné dans la région. Il y vit toujours malgré ce qui s'y passe. C'est un ardent défenseur de cette cause.
La communauté internationale demande qu'on mette fin immédiatement à la violence. Quel est le rôle de l'Union africaine à cet égard? Est-ce qu'elle joue un rôle important? Est-ce qu'on constate des progrès dans l'élimination de la violence?
Pas encore. On attend de voir. La seule initiative qui ait été prise pour l'instant est une mesure de l'ONU, mais elle n'est pas venue de l'Union africaine. Nous avons été formés pour faire avancer les choses, mais il ne s'est encore rien produit qui vienne de l'Union africaine.
Ma prochaine question s'adresse à M. Scott Morgan. Vous avez dit que la solution ne peut venir que du dialogue. Au cours des dernières années, depuis que la crise a pris de l'ampleur, est-ce qu'il y a eu plus ou moins de dialogue sur la scène internationale? Est-ce que le Cameroun a tenu compte de beaucoup de ces dialogues?
Les appels au dialogue sont récents. Les séances d'information au Conseil de sécurité de l'ONU sont un bon début, de même que les forums à Ottawa, et ici à Washington. Le gouvernement camerounais dit qu'il n'a pas de problème chez lui et que c'est en grande partie de la propagande — ou de fausses nouvelles, si on veut — ou qu'il s'agit d'une affaire interne.
C'est un problème qu'il faut régler, mais je dois convenir avec mon collègue que le Commonwealth et l'Union africaine sont trop silencieux. En fait, je suis surpris que le Conseil pour la paix et la sécurité de l'Union africaine n'ait pas encore abordé cette question. Il pourrait être un autre porte-voix pour nos amis de l'Union africaine aussi, parce qu'ils n'ont pas encore abordé la question eux non plus. On aurait pu s'attendre à ce qu'ils se prononcent avant que le Conseil de sécurité de l'ONU n'en soit saisi.
Merci beaucoup, madame la présidente.
Ma question s'adresse à vous deux. Je vais la formuler, et vous pourrez utiliser le reste de mon temps en le partageant. Nous pouvons commencer par Mme Agbahey; je vous ferai signe quand votre temps sera écoulé.
À votre avis, est-ce que la commissaire aux droits de l'homme voit une possibilité de désescalade du conflit? Selon vous, dans quelle direction devrait-on aller? Le Cameroun est membre du Commonwealth. Est-ce que quelqu'un s'est exprimé clairement? Y a-t-il quelque chose que le Canada devrait faire pour emboîter le pas ou devrait-il s'adresser directement à cette collectivité, et, surtout, comment peut-on désamorcer la situation?
Une partie de notre rôle consiste, après écoute des différents témoins, à formuler des recommandations, et ces recommandations doivent porter sur le rôle que le Canada devrait jouer à notre avis. À cet égard, qu'aimeriez-vous nous dire?
Nous allons commencer par vous, madame.
Merci.
La situation peut effectivement s'envenimer dans les régions anglophones. Comme je le disais, tous les signaux sont bons dans le pays. Il nous a été très difficile de travailler sur cette question particulière parce que nous avons du mal à trouver un partenaire au sein de la communauté internationale, une voix forte parmi les pays de la communauté internationale.
Ce que nous recommandons généralement aux États, c'est, quel que soit leur partenariat avec le Cameroun, qu'ils veillent à que les droits de l'homme soient une condition essentielle de la concrétisation de ce partenariat. Pour des pays comme les États-Unis d'Amérique ou Israël, Israël étant un cas particulier... Les États-Unis d'Amérique fournissent des armes à l'armée camerounaise. Nous leur avons recommandé de veiller à ce que ces armes ne soient pas utilisées pour torturer ou assassiner des gens.
Dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, par exemple, où l'aide était destinée à l'éducation ou à la santé, il est important de s'assurer que l'argent va exactement là où il est censé aller et qu'il n'est pas détourné vers les services de sécurité. Il faudrait l'adapter au contenu exact du partenariat que le Canada a conclu avec le Cameroun, et il faudrait ensuite assujettir ce partenariat au respect des droits de la personne.
J'abonde dans le même sens, mais j'aimerais aussi revenir à ce que j'ai dit au sujet du Conseil pour la paix et la sécurité.
L'un des voisins immédiats du Cameroun, le Nigeria, siégera au Conseil pour la paix et la sécurité de l'Union africaine pour la prochaine année. Le Nigeria est aussi partie prenante à cet égard, et pas seulement dans le dossier de Boko Haram et du rapatriement des réfugiés. Le Nigeria est partie prenante dans ce qui se passe au Cameroun, parce que certaines lignes de faille du Nigeria commencent à apparaître également au Cameroun.
Le Nigeria pourrait être l'interlocuteur du Canada, non seulement pour nous faire entendre par l'entremise du Commonwealth, mais aussi pour lui suggérer de porter la question devant le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine.
Je crois aussi que des groupes ayant des programmes semblables à ceux de l'USAID pourraient mettre en oeuvre des programmes précis, non seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans celui de la santé, parce que nous nous concentrons sur l'éducation des réfugiés, mais nous voyons aussi certaines victimes, et on se demande quels soins elles reçoivent également. On pourrait aussi s'adresser au Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour obtenir éventuellement l'avis de ses membres.
Merci beaucoup. Je tiens à remercier nos deux témoins, Scott Morgan et Tity Agbahey.
J'aimerais également rappeler au Comité que nous avons une séance spéciale lundi, de 10 h 15 à 11 h 15, avec Michelle Bachelet, qui, comme nous le savons tous, est la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme.
J'espère que d'autres nous écouteront aussi lundi, et sur ce... Nous avons une question de Mme Hardcastle.
Oui. Merci, madame la présidente.
J'invoque le Règlement. J'aimerais présenter une copie du témoignage écrit que nous avons reçu dans le cadre de l'étude sur la responsabilité de l'Iran, pour quelqu'un qui n'a pas pu être présent, le Dr Pars. J'ai la traduction française et anglaise d'un mémoire que j'aimerais remettre au Comité.
Il ne s'agit pas d'un rappel au Règlement à ce stade. J'aimerais libérer les témoins, mais c'est certainement quelque chose dont nous pourrions discuter au comité de direction. Je crois savoir que le Comité s'en est déjà occupé. Nous pourrons en discuter davantage, mais il ne s'agit pas d'un rappel au Règlement.
Je tiens à vous remercier tous. Nous reprendrons lundi.
Merci.
La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication