SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 20 juin 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne est ouverte. Nous poursuivons notre étude sur la traite de personnes en Asie du Sud.
Notre seul témoin aujourd'hui, David Matas, a déjà comparu devant le comité. Je sais qu'il a été un véritable habitué du Sous-comité des droits internationaux de la personne lors de la précédente législature. Me Matas est un avocat établi à Winnipeg, spécialisé en droit international de la personne et en droit des réfugiés. Il a été fait membre de l'Ordre du Canada en 2009 pour sa défense à l'échelle internationale des droits de la personne. Il siège au conseil d'administration d'Au-delà des frontières ECPAT Canada et agit également comme conseiller juridique auprès de l'organisme.
L'organisme Au-delà des frontières ECPAT Canada est le représentant canadien d'ECPAT International, un réseau mondial composé de 95 groupes établis dans 86 pays qui sont déterminés à mettre fin à l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Me Matas a présidé les réunions internationales d'ECPAT International à Bangkok en 2002 et à Rio de Janeiro en 2005 et en 2008.
Encore une fois, maître Matas, merci d'être venu aujourd'hui. Nous vous prions de faire votre déclaration.
Merci beaucoup de m'avoir invité.
L'organisme ECPAT, qui a son siège à Bangkok, en Thaïlande, oeuvre pour mettre fin à l'exploitation sexuelle des enfants. Le nom est un sigle anglais qui signifie faire cesser la prostitution juvénile, la pornographie juvénile et le trafic d'enfants à des fins sexuelles.
En plus des activités que vous avez généreusement mentionnées, j'ajouterais que j'ai siégé au conseil d'administration international d'ECPAT de 2012 à 2014, à titre de représentant de l'Amérique du Nord.
Dans sa lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants en Asie du Sud, ECPAT se concentre sur la participation des enfants par l'entremise de ses projets de partenariat avec les jeunes. La participation des enfants à la promotion du respect de leurs droits et à la lutte contre la violation de ces droits est inscrite dans la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies.
L'article 12 de la Convention oblige les États parties, y compris le Canada, à garantir:
[...] à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Je souligne que cette convention, peut-être la seule parmi toutes les conventions rédigées pour signature, a été signée par tous les pays du monde. En fait, le seul pays qui ne l'a pas fait est la Somalie parce qu'elle ne disposait pas d'un gouvernement fonctionnel. Cette exception mise à part, tous les pays ont signé et ratifié la convention sauf les États-Unis.
L'article 14 de la Convention prévoit l'obligation suivante:
Les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
À l'article 15 de la Convention, on peut lire l'obligation suivante:
Les États parties reconnaissent les droits de l'enfant à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique.
Les projets de partenariat avec les jeunes d'ECPAT visent les enfants ayant survécu à l'exploitation sexuelle commerciale en Asie du Sud. Ils sont conçus pour aider les jeunes qui ont été exploités à prendre les devants dans la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants.
Je ferai un survol de quelques-uns des projets de partenariat avec les jeunes. L'un d'entre eux forme des jeunes au Bangladesh, en Inde et au Népal. Les participants ayant reçu la formation ont mis en place des programmes de soutien entre pairs dans les écoles situées dans des zones à risque pour favoriser l'échange d'information et fournir une aide personnalisée à leurs pairs afin d'éviter qu'ils ne deviennent à leur tour victimes d'exploitation sexuelle commerciale.
Un autre projet forme les jeunes sur l'utilisation des médias et la défense de leurs intérêts afin de s'adresser aux collectivités locales. À l'aide de campagnes de sensibilisation, ils tentent de réduire le nombre d'enfants victimes de traite.
Un troisième projet collabore avec des intervenants spécialisés et des organismes locaux pour les aider à fournir une assistance psychosociale aux enfants qui ont été victimes de traite.
Dans le cadre d'un quatrième projet, des jeunes travaillent à améliorer l'existence des enfants qui ont survécu à la traite et à persuader les adultes de mettre fin à l'exploitation sexuelle commerciale des enfants. Leurs efforts ne visent donc pas seulement les enfants, mais aussi les adultes. Le projet inclut des consultations avec les enfants sur ses objectifs et ses activités. Les jeunes sont invités à proposer des microprojets. Des adultes qui motivent les jeunes supervisent et appuient les projets.
Je peux vous donner un exemple, parmi tant d'autres, d'un microprojet en Inde: l'installation d'une bibliothèque et d'une salle de jeu pour les filles qui résident dans un centre d'accueil dans le Bengale-Occidental, en Inde. Un grand nombre des filles du centre ont été secourues dans les différents quartiers chauds du Bengale-Occidental. Certaines ont été victimes de traite. Le groupe de 32 filles du microprojet fréquente une école traditionnelle de l'État. Les filles ont proposé d'acquérir des livres et des jeux pour créer une bibliothèque et une salle de jeu au centre, et le projet a financé ces achats. Parmi les livres achetés, certains portaient sur la traite de personnes, la santé et l'hygiène et l'exploitation sexuelle; d'autres présentaient des tableaux et des diagrammes des parties du corps. La gestion de la bibliothèque et de la salle de jeu relevait des jeunes.
Voici une citation tirée de la proposition de projet:
Nous avons connu la dure réalité de la vie de victimes d'abus sexuels dans les quartiers chauds. Nous souhaitons acquérir des connaissances pour pouvoir protéger d'autres enfants qui se trouvent dans des situations semblables. Nous aimerions également utiliser ces connaissances pour améliorer nos propres vies.
Le coût du projet s'élevait à 215 $US.
L'initiative visant à faire participer les jeunes en Asie du Sud à la lutte contre l'exploitation sexuelle s'est heurtée à quelques problèmes. Laissez-moi vous présenter certaines des difficultés qui se sont dressées sur le chemin.
Premièrement, obtenir l'accès aux centres d'accueil de l'État n'était pas chose facile. L'appareil bureaucratique est imposant, et le processus s'est souvent révélé long et ardu. Deuxièmement, l'idée de faire participer les jeunes était nouvelle dans la région. Elle était parfois considérée comme perturbatrice. Troisièmement, enseigner aux enfants qu'ils ont une voix et des droits peut les mener à exprimer leur mécontentement par rapport à leur milieu ou aux soins qu'ils reçoivent. Comme vous pouvez l'imaginer, ce changement d'attitude n'était pas toujours le bienvenu par les organismes hôtes.
Le projet de formation des intervenants représentait une première pour un grand nombre de soignants d'enfants victimes d'exploitation sexuelle, qui n'avaient jamais suivi de cours sur le sujet. Il était donc obligatoire d'inclure un survol des concepts dans toutes les activités de formation et de sensibilisation. Il fallait partir de zéro, ce qui nécessitait plus de temps et de ressources. Le manque de formation préalable a incité les participants à demander d'autres cours sur les questions d'exploitation sexuelle de base et les principes de réadaptation psychosociale. Toutefois, le projet ne disposait pas de fonds pour offrir de telles formations de perfectionnement.
L'équipe du projet a éprouvé des difficultés à trouver des consultants qualifiés pour mener la formation sur le soutien entre pairs ainsi que sur les médias et la défense des intérêts des jeunes, surtout au Bangladesh et au Népal. Le manque de compréhension des concepts que sont le soutien entre pairs, l'utilisation des médias et la défense des intérêts a forcé ECPAT à organiser des séances de formation des formateurs. Encore une fois, les exigences sortaient du cadre budgétaire prévu pour les projets. Plus de temps et de ressources étaient requis pour mettre en place des partenariats avec de petits organismes locaux.
Enfin, afin de surmonter ces difficultés, il a fallu établir un réseau intégré d'organismes communautaires ciblant les problèmes de traite et d'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
Toute cette information, et plus encore, se trouve en ligne. Les détails des projets financés et les résultats d'évaluation sont accessibles au public. Le message général que je souhaite transmettre au Sous-comité, en ce qui concerne les recommandations pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants en Asie du Sud, est d'inciter les enfants à participer. Ne faites pas que proposer des mesures pour les enfants: suggérez des partenariats avec les jeunes.
Voilà qui met fin à mon exposé que j'avais préparé. Je remercie les membres du comité d'étudier cet enjeu, qui selon moi est très grave et mérite votre attention.
Merci beaucoup, maître Matas.
Nous passons directement aux questions. C'est M. Sweet qui commencera.
Merci beaucoup, maître Matas. Je suis heureux de vous revoir.
Je tiens à vous remercier également pour votre dénonciation inlassable du prélèvement et du trafic d'organes des adeptes du Falun Gong. Sans vous et David Kilgour, cette pratique serait peut-être restée dans la clandestinité, proliférant sans frein. Vous avez accompli un excellent travail, et je veux vous en remercier encore une fois.
Vous avez parlé de plusieurs projets. Comment vos projets sont-ils financés actuellement? Est-ce que des gouvernements, des philanthropes ou une combinaison des deux vous viennent en aide?
Le financement est un enjeu permanent, et ECPAT cherche des fonds de toutes les manières possibles. Nous acceptons le financement gouvernemental, contrairement à certaines ONG. D'ailleurs, l'organisme suédois SIDA — dont le nom est semblable à celui de la CIDA, ou l'ACDI, en français — a donné beaucoup d'argent à ECPAT, tout comme l'organisation privée The Body Shop. Air France aide également beaucoup. Il y a aussi, bien sûr, des particuliers qui font des contributions.
Nous déployons des efforts constants à ce chapitre, car beaucoup de ces fonds sont consacrés aux projets. Bien souvent, les bailleurs de fonds veulent lancer des projets dans l'espoir que ces projets se perpétueront, et ils le font, à certains égards. En Asie du Sud, nous tentons d'établir des activités qui s'imposeront d'elles-mêmes, et les sommes en jeu sont très modestes. Ce qui importe, c'est de faire démarrer les choses, mais l'argent est toujours utile.
Pouvez-vous nous dire, simplement pour nos recommandations, si une partie quelconque d'Affaires mondiales Canada a financé l'un de vos projets?
Non, pas que je me souvienne. Comme je l'ai dit, la Suède a contribué de façon importante, mais je ne me rappelle pas que le Canada ait versé des fonds. Évidemment, ces fonds seraient les bienvenus.
Nous avons entendu des témoignages intéressants, par téléconférence, de personnes ayant dirigé des « opérations de sauvetage » — à défaut d'un meilleur terme — en Inde. L'une de ces personnes, dont le nom m'échappe, a mentionné avoir remarqué d'importants changements d'attitude en Inde. On accordait auparavant à ces crimes peu d'importance, alors qu'aujourd'hui, on peut observer un changement dans la conscience, si l'on peut dire, des autorités gouvernementales et policières.
Avez-vous observé cela également?
Eh bien, je me suis rendu en Inde à trois occasions durant la dernière année, et l'une des choses que j'ai remarquées, c'est que dans certains taxis de New Delhi — mais pas ailleurs au pays —, on affiche des pancartes qui disent « ce taxi est sécuritaire pour les femmes ». Je ne sais pas si c'est bon signe ou non, car de toute évidence, cela témoigne du problème, mais aussi d'une prise de conscience et d'une volonté de s'attaquer au problème.
Je dirais qu'il y a effectivement un changement d'attitude, mais qu'il existe toujours un grave problème.
Il est intéressant de constater que, dans le cadre des efforts que vous déployez et des projets que vous réalisez, les enfants qui font l'objet de vos enquêtes vous aident à créer les ressources dont ils ont besoin.
Quel est le pourcentage, si vous le connaissez, des filles qui sont victimes de la traite de personnes et d'exploitation sexuelle par rapport aux garçons?
Je ne me rappelle pas avoir vu cette information. Selon moi, il s'agit surtout de jeunes filles, mais je ne pourrais pas vous donner de pourcentage. Une grande partie du matériel s'adresse aux deux types de victimes, mais de mémoire, les refuges avec lesquels je travaille sont presque tous destinés aux femmes.
Il semble que la plupart de vos efforts soient axés sur le sauvetage, le rétablissement et la réadaptation.
Collaborez-vous avec des représentants gouvernementaux afin de prévenir la traite de personnes et l'exploitation sexuelle?
Comme je l'ai mentionné, dans l'un de nos projets, nous faisons appel à d'anciennes victimes pour créer une sorte de pression des pairs afin d'empêcher que d'autres personnes ne deviennent des victimes. C'est donc une combinaison des deux. Il y a un effet de réadaptation et un effet de prévention. En un sens, les gens qui peuvent parfois le mieux contribuer à la prévention sont ceux qui ont vécu ces situations, qui font partie du même groupe d'âge et de la même culture, entre autres, et qui peuvent faire des mises en garde. C'est l'une des choses que nous faisons dans le cadre de projets de prévention.
Avec Au-delà des frontières ECPAT, je prends part à certains programmes de prévention qui portent sur la pornographie sur Internet. Je dirais que c'est davantage un problème occidental et canadien d'ordre technologique. Le problème se manifeste différemment en Inde.
Cela m'amène directement à ma prochaine question. L'évolution technologique en Inde est très différente de celle de l'Occident. Est-ce que la plupart de ces filles sont gardées et exploitées dans les bordels locaux, ou existe-t-il un vaste système qui permet de les déplacer ailleurs?
Eh bien, c'est un mélange des deux. Ce qui pose problème, c'est notamment que les mères de ces filles sont souvent des prostituées. Les jeunes filles n'ont donc aucun soutien réel à la maison pour prévenir ce genre d'activité. Elles subissent également d'autres types de mauvais traitements. Bien souvent, lorsqu'il s'agit de filles et non de femmes adultes, on constate qu'elles ont vécu en général des situations familiales très difficiles.
Évidemment, il existe des réseaux commerciaux qui en tirent profit, mais il existe aussi un marché qui y est favorable. Une partie du problème vient du fait que les jeunes ne savent pas nécessairement dans quoi ils s'embarquent et qu'il est facile de les duper ou de leur présenter un tableau idyllique de la situation. Il y a beaucoup de faussetés qui circulent, et les exploiteurs en tirent avantage. Une bonne partie de la prévention consiste tout simplement à veiller à ce que les jeunes soient bien informés.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Matas, je vous remercie de votre présence aujourd'hui.
Je vais poursuivre dans la même veine que M. Sweet au sujet de la façon de procéder des individus qui se livrent à la traite de personnes. Ces individus gèrent-ils leurs activités comme une petite entreprise où un certain nombre de personnes ont des réseaux locaux dans lesquels des femmes ou des jeunes filles sont soumises à la traite de personnes, ou bien s'agit-il davantage d'un système plus important impliquant plusieurs pays, d'un réseau plus complexe dans lequel on se procure ce qu'on pourrait malheureusement appeler le « produit », puis on le vend ou on l'utilise?
Évidemment, les renseignements que nous avons proviennent des victimes de la traite qui s'en sont sorties, et elles ne voient pas nécessairement l'organisation dans son ensemble, à partir du sommet, mais plutôt à partir de la base. Elles voient les gens avec qui elles interagissent, mais elles ne voient pas nécessairement l'interaction entre les gens qu'elles connaissent et les autres.
À mon sens, du moins d'après ce que je sais, il s'agirait plus de la première possibilité. Il y a beaucoup de petits trafiquants, et non un conglomérat multinational, ce qui rend la lutte plus difficile parce qu'on ne peut pas simplement s'en prendre à un seul chef et régler le problème.
En ce qui concerne les personnes qui sont secourues, les forces de l'ordre ont-elles un grand rôle à jouer? Je sais que l'Inde s'est dotée de lois en matière de traite de personnes. Selon vous, ces lois sont-elles bien appliquées et ont-elles un effet positif? Existe-t-il un mouvement qui vise à éradiquer la traite de personnes à des fins sexuelles en Asie du Sud?
Pour certaines formes d'agression sexuelle, les policiers font parfois partie du problème; par exemple, en Asie du Sud, lorsque l'agression sexuelle se produit à la maison, il arrive que les policiers se disent qu'il s'agit d'une affaire de famille. Pour ce qui est du type d'exploitation dont nous parlons aujourd'hui, qui se produit à l'extérieur du domicile, c'est moins problématique. Il peut toujours y avoir des policiers corrompus, mais le problème est moindre.
Je dirais qu'on devrait pouvoir compter sur la police pour s'en occuper, mais je pense qu'il faut en faire davantage à ce chapitre.
L'une des choses que nous avons cherché à faire, au Canada, au moyen de la campagne Homme à homme d'Au-delà des frontières, c'est de mobiliser les hommes, car bien souvent, il existe une certaine glorification de l'hyperactivité sexuelle au sein de la population masculine. La pression des pairs chez les hommes, et pas seulement chez les jeunes, est utile pour leur faire comprendre que ce n'est pas la chose à faire.
Au Canada, nous misons activement sur cet élément en cherchant à convaincre des figures masculines réputées et des modèles positifs à dénoncer l'exploitation sexuelle des enfants. Or, on ne fait pas ce genre de chose en Inde. Je pense qu'il serait utile de le faire. Je n'ai pas mis l'accent là-dessus, car ECPAT ne le fait généralement pas en Inde, mais nous le faisons au Canada, et je crois que c'est un bon modèle pour l'Asie du Sud également.
Merci.
Au sujet de vos recommandations sur ce que nous pourrions faire, vous avez dit que nous devrions faire participer les enfants et vous avez parlé un peu de la façon dont nous pourrions le faire. Comment le Canada pourrait-il contribuer à faire participer les enfants à la sensibilisation et à la prise de mesures préventives?
J'ignore si vous l'avez déjà fait. Je n'ai consulté que quelques-uns des comptes rendus de vos audiences, mais je pense que l'une des choses que vous pourriez faire, c'est de faire témoigner des représentants des jeunes. Ce serait une forme de participation.
Je sais que tant sur le plan local qu'international, nous cherchons à faire participer les jeunes à ECPAT et à Au-delà les frontières. Chaque année, des représentants des jeunes font partie d'Au-delà des frontières, et de jeunes Canadiens participent au volet international d'ECPAT destiné aux jeunes. Évidemment, à mesure qu'ils grandissent, ils sont remplacés par de nouveaux jeunes, mais il serait peut-être intéressant de parler à ces gens de leur expérience dans la représentation des jeunes.
Au sein d'ECPAT, il y a un volet jeunesse qu'on appelle EICYAC. On examine la question d'un point de vue très systémique, et un certain nombre de jeunes l'abordent sous un angle de politique conceptuelle; il vaut certainement la peine de leur parler. Sur le plan de la participation des jeunes, je pense que c'est la première étape. Les jeunes devraient participer à partir du début. On ne doit pas les inclure seulement à la fin, mais les inclure dès le début.
Comment peut-on faire participer les jeunes à la sensibilisation des gens au problème du mariage d'enfants dans les régions pauvres? Nous avons appris que beaucoup de jeunes filles viennent de ces régions et qu'elles sont vendues par leurs parents.
Je pense que c’est, en partie, simplement une question de transmettre le message. Nombre de personnes qui ont été mariées à l’enfance ont vécu des expériences horribles. Les gens de là-bas peuvent parler des problèmes entourant les mariages précoces pour en avoir fait eux-mêmes l’expérience. Je pense que c’est un type d’information très utile.
Les pays qui ont adopté des lois devraient les appliquer et ceux qui n’en ont pas devraient en promulguer. Le simple fait de présenter des arguments en faveur de la modification de la loi pour prévenir les mariages précoces ou pour appliquer les lois dans les administrations où elles existent et ne sont pas appliquées est non seulement utile au plan juridique, mais ce l’est aussi sur le plan de la sensibilisation du public, car les arguments pour promouvoir les lois et leur application informent la population du problème que posent ces mariages.
Merci, monsieur le président.
Merci, maître Matas, pour le travail que vous faites.
Je vais continuer dans la même veine que mes collègues. Je veux mieux comprendre le cadre législatif actuel, car vous avez dit que nous avions besoin d’appliquer les lois quand elles existent ou d’en promulguer quand elles n’existent pas. J’aimerais avoir une meilleure idée des endroits où c’est le cas, ou de la situation dans un pays que vous connaissez mieux, peut-être l’Inde. Êtes-vous en train de dire qu’à l’heure actuelle, certains actes ou activités ne sont pas criminalisés?
Je sais qu’au Canada — évidemment, je connais mieux les lois canadiennes qu’étrangères — lorsque j’ai commencé à m’intéresser à ce dossier, l’extraterritorialité représentait un problème de taille. Les gens pouvaient faire l’objet de poursuites s’ils faisaient de la traite des personnes au Canada, mais s’ils menaient leurs activités à l’extérieur du pays et revenaient ensuite au Canada, il était impossible de les traduire en justice ici, et les pays où ils allaient n’étaient pas intéressés à intenter des actions en justice contre des Canadiens, ils avaient de la difficulté à le faire, ils n’appliquaient pas leurs lois, et ainsi de suite.
Votre comité étudie tout le contexte d’Asie du Sud. Il existe un problème de traite transfrontalière, par exemple, des filles sont emmenées du Bangladesh jusqu'en Inde ou au Népal. Pour autant que je sache, c'est aussi un problème juridique dans cette région. Chaque pays est peut-être doté de lois pour sévir contre les crimes commis sur son territoire, mais une fois que la criminalité devient transfrontalière, les lois sont lacunaires.
Je pense à la question du tourisme sexuel, qui est apparemment à la hausse. Peut-être que vous pourriez parler plus tard de la façon de recueillir plus de données, mais pour ce qui concerne l’extraterritorialité, pourrions-nous réprimer le problème des personnes qui se servent actuellement du tourisme sexuel pour avoir accès à des enfants et les utiliser si nous avions des lois nationales contre le recours à ce type de tourisme?
Le Canada a promulgué une loi qui est extraterritoriale, mais au titre de laquelle bien peu de personnes sont traduites en justice, alors je pense que c’est un aspect de la loi qui doit être mieux appliqué, ce qui, dans une certaine mesure, est une question de priorité. Encore une fois, ce n’est pas qu’une question juridique, mais aussi culturelle.
Dans le cas du tourisme pédosexuel, une des choses qu’ECPAT a faites a été d’essayer de collaborer avec l’industrie du voyage. À titre d’exemple, Air Canada a diffusé une annonce publique sur ses écrans à bord, ce qui, à mon sens, était utile.
La chaîne hôtelière Accor a placé des affichettes dans ses ascenseurs pour signaler qu’elle avait adopté le code de conduite qu’ECPAT avait proposé. Je l’ai vu au Brésil. En conséquence, l’industrie du voyage en tant que telle a pris des mesures, mais elle pourrait en faire bien davantage, et je pense qu’elle devrait être encouragée à lancer plus d’initiatives de son propre chef pour lutter contre le tourisme pédosexuel.
Alors, selon vous, quel serait le rôle du gouvernement du Canada pour rehausser l’application des lois?
Côté application, l’administration ou les poursuites sont de compétence provinciale, car il s’agit d’infractions au Code criminel. Je suppose que le gouvernement du Canada pourrait les appuyer davantage.
Il y a la question des passeports. À l’heure actuelle, les sorties ne sont pas le moindrement contrôlées. Lorsque vous quittez le Canada, vous ne voyez pas de douanier, seulement quand vous y entrez. Certaines personnes se sont peut-être fait imposer des interdictions de voyager à l’étranger, mais il n’existe aucun mécanisme pour savoir si elles ont quitté le pays avant qu’elles l’aient fait. Cette situation a posé problème.
Je pense qu’on a promulgué une loi récemment qui prévoit la saisie éventuelle de votre passeport si vous avez été trouvé coupable d’un crime à caractère sexuel. Je pense que c’est utile, mais je dirais que — malheureusement — c’est un domaine à forte criminalité, et la police a tendance à être dépassée.
Je sais que c’est particulièrement le cas de la pornographie juvénile. Il y en a tellement que les policiers doivent faire une sélection pour décider à quels dossiers ils vont donner suite. C’est en partie une question d’avoir les compétences technologiques nécessaires pour déterminer ce qui se passe car, bien sûr, toutes ces opérations se font en secret. La pornographie juvénile diffère, disons, de la propagande haineuse, que l'on cherche à diffuser autant que possible. Dans le cas de la pornographie juvénile, de la traite d’enfants à des fins sexuelles ou de tourisme pédosexuel, les gens essaient de se faire discrets pour ne pas être repérés, si bien que les policiers doivent redoubler d’efforts.
Bien entendu, un autre problème dans ce cas est que les enfants victimes ne sont pas très véhéments. Ils ne sont pas visibles et ils sont incapables de se faire entendre. Lorsque quelqu’un dévalise une épicerie, son crime est visible et le commis est très agacé, mais un crime commis à l’encontre d’un enfant n’est pas visible et la victime est incapable de parler franchement. Cela a tendance à jouer sur les priorités policières. À cause de la faible visibilité du crime et du manque d’éloquence des victimes, les policiers ne subissent pas les mêmes types de pressions de la part de la communauté pour accorder la priorité qu’ils devraient à ces infractions.
Je crois qu’il faut compenser pour régler cette question. Honnêtement, je pense que les audiences du Comité sont utiles à cet égard, car elles accordent une priorité plus élevée à la question. Le Comité terminera son étude à un moment donné, mais le gouvernement du Canada continuera indéfiniment. C’est quelque chose qu’il pourrait et devrait faire: il devrait cibler la question, lui donner priorité, lui accorder de l’attention et la rendre visible.
Bien sûr, je crois vraiment au leadership et à la consultation des jeunes, et tout, mais c’est un domaine où on ne peut pas seulement s’en remettre aux enfants. Je pense que les adultes doivent compenser de certaines façons le fait que nombre de ces victimes sont simplement incapables de se faire entendre.
Merci, monsieur le président.
Merci, maître Matas, d’être venu aujourd’hui.
Vous venez de mentionner l’attention et la visibilité. Je voulais axer mes questions sur l’éducation et les valeurs sociales ancrées. Je vais aborder les deux sujets en même temps.
En Asie du Sud-Est et, en fait, ailleurs dans le monde, marier les enfants à un très jeune âge est une valeur sociale ancrée. Comment faire pour rendre les femmes et les jeunes filles autonomes? J’ai lu un article où on disait qu’au Bangladesh, on avait sauvé plus de 2 000 femmes de mariages précoces. Comment faire pour continuer ce bon travail?
Lorsqu’on a affaire à des valeurs culturelles qui vont à l’encontre des droits de la personne, il faut changer la culture. Manifestement, les gens du Canada peuvent aider, mais le changement culturel doit s’opérer de l’intérieur.
C’est aussi problématique dans le cas de la mutilation génitale féminine, qui est à la fois une violation des droits de la personne et une valeur culturelle dans certains cas. Vous devez faire fond sur l’opposition qui existe à l’échelon local et essayer de rendre ces gens autonomes.
C’est un problème qui est visible. Parfois, c’est aussi une question d’instruire les filles. Dans bien des régions du monde, instruire les jeunes filles est contraire aux valeurs culturelles locales. C’est la situation à laquelle Malala était confrontée au Pakistan, alors le fait qu’elle a remporté un Prix Nobel de la paix a été très utile. Je pense que la façon de contribuer à changer les valeurs culturelles passe par la responsabilisation des gens de la région qui se battent au front pour changer les choses. Je crois que le message que nous voulons leur transmettre n’est pas que nous voulons qu’ils adoptent nos valeurs, mais bien que nous voulons que les gens qui se trouvent là-bas et qui ont les mêmes valeurs que nous l’emportent sur les autres.
J’ai eu l’occasion d’aller au Zimbabwe où on tenait, à l’époque, de nombreuses discussions politiques. Nous n’étions pas d’accord sur bien des points, mais une chose sur laquelle les gouvernements canadien et zimbabwéen se sont entendus a été les mariages précoces.
Encore une fois, pour en revenir à l’article concernant le Bangladesh, on a donné à 700 000 femmes la possibilité d’être autonomes, de s’instruire et de refuser les mariages précoces, alors la responsabilisation est primordiale.
Avez-vous des ONG en Asie du Sud qui ont lancé des campagnes de sensibilisation pour informer les membres des collectivités défavorisées des risques liés aux mariages précoces et à la traite des personnes?
Je devrais dire que l’exploitation sexuelle nous préoccupe particulièrement. Nous ne nous sommes pas attachés à la question des mariages précoces en particulier, mais plutôt à l’exploitation sexuelle commerciale, à la prostitution et à la traite des enfants — ce type de choses.
Nous avons des organisations membres dans tous ces pays et certaines d’entre elles sont des coalitions en ce sens que ce sont des organisations d’organisations. Bien sûr, nous finançons des projets pour des groupes et des organisations comme dans l’exemple que j’ai donné.
Alors oui, nous traitons nombre de questions, mais nous avons des alliés et des fantassins sur le terrain, pour ainsi dire. Cependant, c’est une lutte constante, car il y a malheureusement beaucoup de personnes de l’autre côté.
Les ONG qui se trouvent sur le terrain suscitent-elles des réactions brutales parce qu’elles financent ces programmes ou plutôt un soutien accru? Voyez-vous des personnes qui s’opposent à l’excellent travail que font ces ONG?
Comme je l’ai mentionné, il y a des difficultés. Les gouvernements n’aiment pas que les organisations non gouvernementales interviennent. Il faut les laisser faire leur travail. Les autorités n’aiment pas l’idée que les enfants participent, car cela représente, en soi, un changement culturel. Elles ont tendance à voir les enfants comme des personnes à qui on devrait dire des choses au lieu de leur en demander.
En outre, lorsque les enfants commencent à parler, ils pourraient ne pas nécessairement dire que des choses avec lesquelles vous êtes d’accord, ce qui cause parfois des problèmes. On observe des réactions négatives dans ce sens.
Je dirais qu’il n’y a pas de lobby concerté en faveur de la prostitution, de la traite des enfants aux fins d’exploitation sexuelle ou du tourisme pédosexuel. À ce niveau, on dégage un consensus, du moins au niveau des politiques, mais le problème se pose plutôt en ce qui concerne la façon de vraiment changer les choses. C’est une chose de conclure un accord de principe que les gens peuvent annuler sans problème, mais c’en est une autre de réellement mettre en oeuvre ces changements qui peuvent parfois être perturbateurs.
Merci, monsieur le président.
Merci d’être avec nous aujourd’hui.
M. Sweet avait mentionné le bon travail que vous avez réalisé par le passé dans le dossier du trafic d’organes en Chine. Je me demande simplement si vous observez des problèmes de trafic d’organes dans votre étude sur la traite des personnes dans cette région de l’Asie du Sud. Ce trafic s’est-il limité à la Chine ou avez-vous vu des cas ailleurs?
Premièrement, je remercie M. Sweet de l’avoir remarqué.
J’ai notamment concentré mes travaux sur le meurtre des prisonniers de conscience en Chine pour leurs organes, principalement les adeptes du Falun Gong. Il y en a d’autres aussi — des Tibétains, des Ouïghours et des chrétiens de maison — mais en bien plus petits nombres.
Je me suis concentré sur la Chine. Je sais qu’il se fait du trafic d’organes dans d’autres pays, y compris en Asie du Sud, mais c’est un phénomène différent. En Chine, le trafic est géré par le gouvernement. Il est institutionnalisé. Il se fait dans les hôpitaux d’État. En Asie du Sud, le trafic se fait sur le marché noir. C’est un acte criminel. Dans une certaine mesure, c’est comme la traite des personnes à des fins sexuelles en ce sens qu’elle se fait dans la clandestinité et qu’elle implique de la corruption mais, grosso modo, il s’agit d’un exercice différent.
En outre, une bonne partie des organes trafiqués en Asie du Sud sont des reins. Comme on peut vivre avec seulement un rein, certaines personnes défavorisées vendent un des leurs. Leur santé est alors compromise, mais elles arrivent toujours à fonctionner et elles accordent plus d’importance à l’argent qu’à leur organe. C’est problématique.
Cependant, le phénomène est différent en Chine, où les gens sont exécutés par extraction d’organe. On ne les paie pas et on ne verse aucune somme à leur famille. C’est l’État qui empoche tout.
Puis-je poser une question semblable à celle que Mme Khalid a posée? Quel est le niveau d’organisation entourant le trafic d’organes dans cette région? Est-il mené par un petit groupe de personnes autour d’un médecin prêt à participer ou par un groupe international…?
Il y a un problème. Ce trafic diffère, dans une certaine mesure, de la traite d’enfants à des fins sexuelles. Une bonne partie du trafic d’organes est facilitée par des courtiers. Je suis revenu hier du Japon, où j’ai discuté de la question. Dans ce pays, le trafic se fait par l’intermédiaire de courtiers. Ce n’est pas vraiment le cas avec la traite des enfants à des fins sexuelles. Les gens travaillent en autonomie, pour ainsi dire, plutôt que de faire appel à un agent. En outre, bien sûr, ils le font délibérément et intentionnellement. Il arrive souvent que les courtiers forment un écran au-delà duquel le patient ne peut pas voir, si bien qu’il ne sait pas nécessairement ce qui se passe exactement, car le courtier brosse un portrait pour faciliter une vente.
Nous avons entendu le terme « exploitation consensuelle » dans les audiences du comité, et il semble que les gens se placent dans des situations où ils sont exploités. Je pense que c’en est un exemple.
Vous avez parlé de vos microprojets. Je me demande comment ils fonctionnent. Avez-vous un problème de corruption ou d’ingérence des autorités? Trouvez-vous qu’ils soient faciles à mettre en place et à démarrer et qu’ensuite, ils appuient principalement les femmes qui y participent? Avez-vous beaucoup de détails à ce sujet?
Bien qu’ils soient dirigés et gérés par des enfants, des surveillants adultes font office de conseillers, si bien qu’on veille sur toutes les opérations.
Les gouvernements vous laissent-ils le champ libre pour vous permettre de faire tous ces projets ou trouvez-vous qu’il y a ingérence de la part des autorités et qu’il est nécessaire de payer des pots-de-vin ou ces types de choses pour que ces projets puissent être lancés?
Bien entendu, nous ne paierions aucun pot-de-vin si quelqu’un nous le demandait.
Ce n’est pas vraiment le problème; c'est plutôt la bureaucratie. Vous devez obtenir l’approbation de quelqu’un, vous devez remplir un formulaire qui doit être remis à telle ou telle personne. Il faut juste du temps. Le niveau de bureaucratie et de paperasserie administrative peut être très frustrant et retarder ces projets. Certains des systèmes en place ont supposément été instaurés pour une bonne raison, mais ils ont simplement tendance à ralentir les choses et à les faire traîner en longueur.
C’est partout pareil.
Je me demandais si vous pouviez parler un peu d’impunité. Vous êtes avocat, et je me pose simplement la question. Il semble y avoir un thème récurrent dans les témoignages que nous avons entendus, c’est-à-dire que, dans nombre de ces situations, rien ne sert d’essayer de mettre fin à ces opérations, car ces crimes sont impunis. Aucune accusation n’est portée contre les personnes impliquées. Le système de justice pénale est trop lent pour les traduire en justice.
Avez-vous des commentaires à formuler sur ce point?
Bien sûr, c’est un problème partout, surtout en Asie du Sud où les tribunaux sont extrêmement lents. Toutes les procédures semblent prendre une éternité. Il arrive souvent qu’on ait affaire à un conflit de preuves dans lequel, d'un côté, le témoin est un enfant et, de l’autre, un adulte. Cela devient difficile à gérer. Comme je l’ai dit, la loi devrait exister et être appliquée. Cependant, je pense que nous avons besoin d’autres façons de régler ce problème en plus d'avoir de bonnes lois qu’on applique.
Nous avons entendu parler à plusieurs reprises de l’importance de sensibiliser les gens, en particulier dans ces pays, au fait que c’est inadmissible. Cependant, alors qu’une classe moyenne est en train de se former en Inde, les intérêts et les priorités de divertissement des gens changent. Je me demande simplement si vous avez vu un changement dans leur intérêt, si vous voulez, pour l’exploitation sexuelle au fur et à mesure que la classe moyenne se forme. Ce changement a-t-il amélioré ou empiré la situation?
Je crois que cela a amélioré les choses. J'étais récemment en Inde, et j'ai notamment vu le gouvernement apporter un changement à sa devise. Le gouvernement a démonétisé les billets de 5 000 roupies, si je ne m'abuse, soit une coupure relativement grosse. L'idée derrière cela était que les gens cachaient cet argent et ne payaient pas d'impôt. Nous pouvons débattre de la nécessité de le faire, mais j'ai entendu beaucoup de gens en parler.
Ce serait l'équivalent au Canada d'éliminer de la circulation les billets de 100 $. Certains diraient que cela bouleverse leurs habitudes, tandis que d'autres affirmeraient que cela contribue à lutter contre la criminalité, parce que les trafiquants de drogue ont tendance à utiliser ces coupures. Nous avons en fait éliminé de la circulation les billets de 1 000 $ pour cette raison précise; cette coupure était énormément utilisée par les criminels.
En me fondant seulement sur les conversations que j'ai eues avec des gens en Inde, la classe moyenne semblait appuyer cette mesure, parce que les gens se disaient que cela contribuerait à lutter contre l'évasion fiscale et la criminalité. Les moins bien nantis n'y étaient pas du tout favorables, parce qu'ils n'avaient pas l'habitude de traiter avec des banques. Dans leur cas, c'était un gros inconvénient.
À mon avis, un tel changement démographique contribue à modifier les attitudes.
Merci, monsieur Matas.
J'aimerais prendre l'occasion de poser moi aussi quelques questions, parce que je sais qu'il y a certains aspects qui nous aideront dans la rédaction de notre rapport concernant cette étude. Nous avons énormément parlé aujourd'hui de l'Inde. Est-ce qu'ECPAT a de l'information ou des programmes concernant des petits États comme le Bhoutan ou les Maldives?
Nous sommes présents dans 86 pays, mais je dois avouer que je suis incapable de vous les nommer tous. Je pourrais vérifier cette information et vous la transmettre. Il y a maintenant 193 pays. Il y a de nombreux pays où nous ne sommes pas présents. Nous n'avons pas une présence dans l'ensemble des pays, mais nous aimerions cela. Nous pourrions être présents dans un plus grand nombre de pays.
Lorsque je siégeais au conseil d'administration de l'organisme international, je participais à l'examen des demandes d'adhésion. Nous n'acceptons pas aveuglément toutes les demandes que nous recevons. Nous avons certains critères d'évaluation. Nous avons parfois l'impression que les gens n'ont pas suffisamment fait de travail dans le domaine ou qu'ils ne le connaissent pas suffisamment. Il y a parfois aussi des problèmes concernant les demandes. Lorsque nous recevons une demande, nous devons nous assurer que le demandeur cadrera avec nos valeurs, nos équipes, nos procédures, etc.
Du point de vue du gouvernement et du rapport du comité, vous ne voulez évidemment pas seulement mettre l'accent sur les pays où ECPAT est présent. Votre rapport doit porter sur la situation mondiale. Il se peut que les pays où nous ne sommes pas présents aient encore plus besoin d'aide que les pays où nous le sommes.
Je dirais de manière générale que la sensibilisation de la population a augmenté à ce sujet au fil du temps et qu'elle est plus profonde et plus étendue. Par contre, il y a des endroits où cette prise de conscience accrue n'a pas encore vraiment eu lieu. Je crois que le comité et le gouvernement du Canada peuvent être utiles en vue de contribuer à sensibiliser davantage les gens à l'exploitation et à la nécessité de nous y attaquer.
Merci.
Pouvez-vous nous décrire la coopération internationale entre les États de l'Asie du Sud en ce qui concerne l'application de la loi et les enquêtes relativement à de telles activités?
Eh bien, il y a ce que nous appelons le Processus de Bali. Le Canada y participe, mais cela vise en gros la traite de personnes et le passage de clandestins en Asie. Cela ne porte pas précisément sur la traite des enfants à des fins d'exploitation sexuelle, mais c'est l'un des aspects visés par le Processus.
Je crois que le Processus de Bali est utile pour échanger des renseignements. Les agents sur le terrain unissent leurs efforts et s'échangent de l'information, pour le dire ainsi. Je crois que c'est moins utile à titre de forum politique. À mon avis, le Processus de Bali devrait être modifié pour mettre davantage l'accent sur la politique et la collaboration; il serait ainsi davantage une instance délibérante, plutôt qu'un simple regroupement de représentants des services policiers qui font part de leurs expériences.
Faire bouger un organisme multilatéral n'est pas une mince tâche.
Votre commentaire a trait à ma dernière question. L'ONU ou ses organismes ont-ils joué un rôle constructif dans la région en ce qui concerne les enjeux dont il est question dans notre étude?
Eh bien, l'UNICEF est évidemment un organisme qui vient en aide aux enfants. Le directeur actuel d'ECPAT a déjà travaillé pour l'UNICEF, qui nous a versé des fonds. Cet organisme nous soutient et s'intéresse à nos activités. Si vous regardez du côté de l'ONU, je crois que l'UNICEF est un bon point d'accès.
Mon Dieu, j'ai la dernière question. D'accord.
Dans un tel cas, j'aurais une question sur ces relations. Avez-vous des commentaires, des pratiques exemplaires ou des suggestions concernant des manières de régler le problème de la collecte de données?
ECPAT Luxembourg a rédigé un rapport sur les pratiques exemplaires dans le monde, qui est offert en anglais et en français. Vous pourriez le consulter. L'une des pratiques exemplaires mentionnées dans le rapport est la campagne Homme à homme d'Au-delà des frontières, mais il y en avait beaucoup d'autres. Il y en a donc certaines. ECPAT Luxembourg se penchait évidemment sur les pratiques exemplaires en général et non en ce qui concerne précisément la collecte de données.
Je crois qu'ECPAT a été fondé en 1985 ou à peu près. Cela fait donc déjà bien des années. L'organisme a acquis une grande expérience, a participé à de nombreux projets et a rédigé un grand nombre de rapports. Il y a déjà beaucoup de documentation disponible.
Par contre, je dirais que c'est en gros une initiative du secteur privé. ECPAT a coparrainé avec des gouvernements certaines conférences internationales; il y en a eu une en Suède, au Brésil et au Japon. Il y en a eu quelques-unes au fil des ans, et des résolutions qui valent la peine d'être examinées ont été prises lors de ces conférences internationales et intergouvernementales.
En fait, le président a mentionné que j'ai été un animateur lors de trois rencontres internationales. L'une d'elles a eu lieu en même temps que la rencontre intergouvernementale au Brésil. Je suis seulement allé à la rencontre d'ECPAT; je n'ai pas assisté à la rencontre intergouvernementale, mais je me rappelle qu'elle a eu lieu là. Ces rencontres intergouvernementales représentent évidemment d'énormes efforts et dépenses pour l'organisme. Je ne suis pas nécessairement convaincu que c'est la meilleure manière de faire la promotion de l'enjeu, mais je crois que c'est pertinent de jeter un coup d'oeil à ce qu'ont permis de réaliser les précédentes rencontres intergouvernementales. Je ne recommande pas nécessairement d'en tenir une autre. Je vous suggère d'y jeter un coup d'oeil et de même mettre en oeuvre ce qui a été approuvé lors de ces précédentes rencontres gouvernementales.
Merci beaucoup.
Monsieur Matas, je tiens à vous remercier encore une fois de votre précieux témoignage devant le Comité. Je présume que ce ne sera pas votre dernière présence ici pour discuter avec nous d'une vaste gamme d'enjeux, mais je sais que vos commentaires et vos réflexions nous seront très utiles dans la rédaction de notre rapport.
Si jamais nous ne siégeons pas jeudi, je tiens à souhaiter aux membres du Sous-comité un très bel été chargé et productif; j'ai certainement hâte de poursuivre nos travaux à l'automne compte tenu de l'immense tâche qui nous attend concernant des études et des sujets très importants.
Je tiens également à souligner que nous perdrons peut-être notre chère greffière à partir d'aujourd'hui; nous lui offrons tous nos voeux de succès dans ce que l'avenir lui réserve.
Nous terminerons donc sur cette note la réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne. La séance est levée.
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