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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 109 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 22 mai 2018

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Chers collègues, bienvenue à la 109e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous entamons aujourd'hui notre étude de la situation des droits de la personne en République démocratique du Congo.
    Notre première témoin est Yolande Bouka, qui est boursière postdoctorale au Sié Chéou-Kang Center for International Security and Diplomacy de l'Université de Denver.
    Madame Bouka, si vous voulez bien procéder, nous avons prévu 10 minutes pour entendre votre déclaration liminaire.
    Bonjour tout le monde. Mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir parmi vous.
    J'ajoute que je suis également analyste des questions de couleur et des politiques, au Canada. Je serai également professeure adjointe invitée à l'Elliott School of International Affairs de l'Université George Washington l'automne prochain. De plus, à l'Institut de la vallée du Rift, je suis codirectrice du cours sur la région des Grands Lacs, qui porte sur des problèmes auxquels font face le Rwanda, le Burundi, la RDC et l'Ouganda. Le cours commence la première semaine de juin. Donc, si vous êtes intéressés, je vous invite à vous inscrire.
    Je travaillais auparavant pour l'Institut d'études de sécurité, un groupe de réflexion sud-africain qui étudie la situation des populations d'Afrique subsaharienne en matière de sécurité. J'occupais les fonctions de principale chercheuse pour la région des Grands Lacs au bureau de Nairobi.
    Nous sommes maintenant à six ou sept mois des élections présidentielles, législatives et provinciales de 2018, qui sont censées avoir lieu à la fin de l'année, en décembre. Elles doivent se dérouler deux ans plus tard que ce qui avait été prévu initialement. En effet, le mandat du président Kabila était censé prendre officiellement fin en décembre 2016, mais il a décidé de rester en citant des questions de finance, de ressources et de sécurité. La plupart des analystes qui suivaient la situation dans la région s'y attendaient. Nous parlions sans cesse d'un dérapage des mandats constitutionnels. Contrairement au président Kagame au Rwanda, où il était plutôt facile de modifier la constitution, le président Kabila a compris qu'il n'était pas en mesure de former une coalition de politiciens disposés à amender la constitution.
    La RDC est instable depuis longtemps, plus particulièrement depuis la chute de Mobutu, qui a troublé l'ordre — pas la loi et l'ordre, mais tout simplement l'ordre public — et qui s'est traduite par la prolifération de groupes armés, des vagues de déplacement partout dans la région et une vulnérabilité accrue de la population.
    Comme dans beaucoup d'autres pays de la région subsaharienne, la période électorale s'accompagne souvent de tensions, et la faiblesse de la gouvernance et des institutions facilite le retour de la violence. Dans le cas de la RDC, le refus de Kabila de démissionner et d'organiser des élections comme prévu a donné lieu à des tensions, à des manifestations ainsi qu'à une résurgence de la mobilisation armée.
    Tous les jours ces temps-ci, environ 5 500 personnes sont déplacées à cause de différentes sources d'insécurité au pays, et je vais en parler un peu plus.
    En RDC, on compte approximativement un demi-million de réfugiés d'autres pays, dont le Burundi, et il y a également un mouvement en sens inverse, alors que des Congolais s'enfuient vers le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda à cause de l'insécurité.
    Selon les Nations unies, la situation humanitaire en RDC tombe actuellement dans la catégorie 3. Seuls trois autres pays sont dans la même catégorie: le Yémen, l'Irak et la Syrie. La guerre fait rage dans ces trois pays, mais pas en RDC, ce qui vous donne une idée de la gravité de la situation.
    Environ 13 millions de Congolais sont exposés à la violence, mais aussi à l'insécurité alimentaire et à d'autres problèmes une fois qu'ils ont été déplacés.
    J'aimerais définir trois préoccupations relatives aux droits de la personne en RDC à l'heure actuelle. Premièrement, il y a la réaction du gouvernement face aux manifestations.
    Le gouvernement les a interdites partout au pays, négligeant ainsi sa responsabilité à l'égard de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, par exemple, ou même des documents des Nations unies. Le message officiel est que les manifestants et les organisations de la société civile ont le droit de manifester, mais dans la réalité, les autorités locales, la police et ainsi de suite interviennent et tentent de mettre fin aux manifestations de façon très violente dans différentes régions du pays.
    Quelles sont les personnes responsables des mesures de répression contre les manifestants? Eh bien, il y a divers organes du secteur de la sécurité: la police, les services de renseignements, la garde présidentielle et l'armée. Dans certains cas, l'organisme Human Rights Watch a signalé que l'Ouganda et le Rwanda ont recruté d'anciens membres du M23 pour participer à la répression des manifestations en RDC.
(1310)
    Pour tenter de savoir qui est responsable des violations des droits de la personne, vous devriez examiner ces divers organes du secteur de la sécurité. Quand ils répriment des manifestations, ils arrêtent et harcèlent des gens, mais ils en tuent également en grand nombre.
    Si vous suivez de près la situation en RDC, vous savez qu'une des premières manifestations de masse dans les rues de Kinshasa a eu lieu en janvier 2015. Au cours des 15 ou 20 dernières années, c'est surtout l'Est du Congo qui était instable. C'est la région où nous observions beaucoup de violence, mais la situation a changé. Il faut se soucier des nombreuses manifestations qui ont lieu à Kinshasa pour la première fois depuis la chute de Mobutu. Le gouvernement ne sait pas trop comment réagir, et il a donc recours à la violence.
    Deuxièmement, je veux évidemment parler de la résurgence des rébellions armées et de la prolifération des groupes armés, non seulement dans l'Est du Congo, mais aussi dans des régions comme le Kasaï, qui était habituellement relativement calme comparativement à l'Est du pays. C'est en grande partie attribuable au refus de Kabila de démissionner. Beaucoup de ces groupes se sont politisés en prenant parti pour ou contre Kabila, et ceux qui s'y opposent affirment qu'il n'est pas le président légitime à Kinshasa et que c'est la raison pour laquelle ils se rebellent.
    Bien entendu, il y a également de la frustration à l'égard des autorités locales. Je pense qu'il est important de tenir compte des multiples forces qui expliquent la raison d'être de ces groupes armés. De toute évidence, certaines raisons sont économiques. Les gens sont mécontents devant le pouvoir à Kinshasa, mais ils le sont aussi beaucoup à l'échelle locale, et la compréhension de la relation entre la gouvernance locale et ces groupes armés est très importante.
    Il faut tenir compte de la situation dans de nombreuses régions. À Beni, au nord de la RDC, le groupe de rebelles ougandais ADF a trouvé refuge et mène des opérations dans la région, où il affronte les FARDC, ainsi que les forces de l'ONU.
    Par ailleurs, dans la région du Kasaï, une rébellion se poursuit depuis l'année dernière, surtout à cause de l'assassinat d'un des dirigeants par les forces gouvernementales. Elle était un peu plus organisée au cours des premiers mois, mais depuis l'assassinat du leader rebelle, le groupe s'est fragmenté et est devenu l'un des principaux responsables des déplacements au pays.
    Il y a aussi Uvira, et l'une des raisons pour lesquelles on observe plus de violence dans cette ville vient étayer mon troisième point. Des facteurs régionaux expliquent l'instabilité dans la région des Grands Lacs en général. Comme la plupart d'entre vous le savent, le Burundi est instable depuis 2014, surtout 2015. Le refus du président Nkurunziza de démissionner pour plutôt chercher à briguer un autre mandat s'est traduit par de l'instabilité et l'émergence des groupes armés RED-Tabara et Forebu, dont les activités ne se limitent plus à l'Est du Congo dans la région d'Ulvira. L'instabilité ainsi créée s'explique de différentes façons. Tout d'abord, les forces burundaises et les FARDC mènent des opérations secrètes dans la région pour tenter d'endiguer la rébellion, et comme ces groupes armés ont de la difficulté à retourner au Burundi, ils se livrent à du pillage et au banditisme, et ils tentent aussi de former des alliances avec d'autres groupes armés dans la région.
    En observant ces trois pôles d'instabilité, on se rend compte qu'il est très difficile de cerner la situation des droits de la personne en RDC. Différentes raisons l'expliquent, et compte tenu du processus électoral, nous allons vraisemblablement observer une recrudescence de la violence et de l'instabilité. Les gens en profiteront pour nourrir des desseins politiques, ce qui se traduira par une hausse des déplacements. On ne meurt pas nécessairement de la violence armée, mais plutôt des conséquences des déplacements.
    Je m'arrête ici. Je suis prête à répondre aux questions.
(1315)
    Merci beaucoup, madame Bouka.
    Nous allons maintenant donner la parole à M. Reid, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    À propos des personnes déplacées, j'aimerais vraiment comprendre la situation. Compte tenu du nombre élevé, il me semble que c'est là que réside la principale crise humanitaire. Vous avez dit que 5 500 personnes sont déplacées tous les jours. Voulez-vous dire qu'il y aura 5 500 déplacés supplémentaires demain par rapport à aujourd'hui, ou certaines personnes sont-elles en mesure de retourner chez elle, ce qui viendrait réduire le chiffre?
    C'est difficile à dire. Mes chiffres proviennent de l'Institut d'études de sécurité et des Nations unies.
    C'est un grand pays. Certaines personnes retourneront chez elles. À mon avis, c'est le nombre moyen de déplacés qui retournent chez eux. Cependant, ce qui se produit souvent, c'est que ce qu'on considère comme son domicile est parfois un endroit où on n'a vécu que deux ans à cause d'événements violents antérieurs. De plus, les personnes qui s'installent dans des colonies temporaires ou non officielles doivent se rendre ailleurs à mesure que la violence se déplace.
    Je ne peux pas vous dire directement si vous devriez présumer qu'une partie de ces 5 000 déplacés retournent chez eux ou se retrouvent ailleurs, mais peu importe l'endroit, cela signifie qu'ils ont créé des réseaux pendant 6 à 12 mois, que même s'ils ne sont pas chez eux, ils ont trouvé un moyen d'obtenir de la nourriture, une sorte de sécurité ainsi qu'un semblant de permanence. Ce déracinement, surtout s'il est attribuable à la violence ou à l'insécurité, présente un défi même s'ils retournent chez eux, car il arrive souvent qu'une autre personne occupe leur terre et leur maison et tente d'y recréer des réseaux.
    Donc, dans certains cas, ces personnes ne peuvent pas retourner chez elles — ou à l'endroit précédent, peu importe où il se trouve — sans en déplacer d'autres. C'est effectivement le jeu de la chaise musicale puisqu'il y a plus de gens que d'endroits pour eux. C'est très rudimentaire, mais cela décrit essentiellement la situation, n'est-ce pas?
    Vous verriez qu'il y a plus de personnes que d'endroits où elles peuvent rester dans des pays comme le Rwanda et le Burundi, où les terres se font rares. À l'Est du Congo, il y a d'ailleurs des conflits territoriaux. Lorsqu'on doit partir pendant deux ou trois années, il arrive qu'un homme demeure sur place pour poursuivre les activités agricoles, mais lorsqu'on a entièrement abandonné sa propriété, quelqu'un s'y installe et on se retrouve déplacé. Cela ne signifie pas nécessairement que la personne qu'on déplace en rentrant chez soi n'a nulle part où aller, mais des problèmes de revendication territoriale s'ensuivent.
    Les conflits territoriaux sont répandus dans la région, surtout en ce qui a trait aux titres de biens-fonds. Les gens ne les ont pas nécessairement, et il peut donc être difficile de prouver qu'une terre leur appartient. Selon la longueur de l'absence, cela peut sans aucun doute poser problème.
    Je me suis rendu dans un autre pays, l'Érythrée, où j'ai eu la chance de m'entretenir avec des gens qui m'ont expliqué comment les habitants gèrent l'utilisation des terres. Les modes traditionnels ont beaucoup mieux tenu le coup là-bas, malgré l'horrible guerre avec l'Éthiopie qu'ils ont traversée il y a quelques dizaines d'années.
    D'après ce que je peux voir, les problèmes sont liés au fait que les terres sont parfois utiles pendant une période de l'année, mais qu'elles ne le sont pas le reste du temps, ce qui signifie qu'il y a des droits mutuels, ce que nous appellerions des droits de passage dans notre législation. Toutes ces choses sont négociées verbalement et retenues sans recours à un formulaire écrit, ce qui fonctionne très bien dans la mesure où l'on entretient de bonnes relations avec ses voisins et qu'aucune tierce partie ne chasse les gens. Je pense que la destruction de ce système aurait été très nuisible.
    Est-ce que cela décrit un peu ce qui se passe, ou est-ce totalement différent?
    C'est très différent. Des communautés tentent de s'emparer de certaines terres. J'aimerais avoir une carte. Je peux en faire parvenir une plus tard au Comité. C'est une excellente carte tracée par le Groupe d'étude sur le Congo. On y voit les territoires contrôlés par des groupes armés et parfois le résultat des interventions des groupes de défense locaux. Des terres sont revendiquées. Lorsqu'un groupe réussit à avoir le gros bout du bâton et qu'on est victime d'un déplacement, on ne tente pas de négocier une utilisation des terres pendant une partie de l'année. Ces personnes font valoir qu'il y a 100 ans, leurs ancêtres sont arrivés du Burundi et du Rwanda, et elles réussissent ainsi à récupérer les terres.
    Lorsqu'il y a ce genre de dynamique, il est très difficile de négocier une copropriété. Dans cette région, on ne voit pas vraiment ce genre de négociations. De plus, les groupes de défense locaux et les groupes armés profitent des terres. Ils veulent souvent s'y installer et s'en servir pour subvenir aux besoins de leurs combattants.
(1320)
    Très brièvement, en tant qu'historien, je cherche toujours à faire des comparaisons avec d'autres situations. Il arrive qu'un groupe militaire soit déconnecté des terres où il a entamé ses activités. Un excellent exemple de l'Afrique centrale est celui de l'armée allemande dirigée par Paul von Lettow-Vorbeck et ses Askaris pendant la Première Guerre mondiale, qui a été chassée de l'Afrique orientale allemande. Je pense qu'ils se sont trouvés pendant un certain temps dans ce qui est maintenant le Congo, où ils ont cultivé la terre pour subvenir à leurs besoins en tant que force de combat. Du point de vue de la population locale, ce fut toutefois une catastrophe pour l'humanité. Est-ce comparable au comportement de certains de ces groupes?
    Oui, dans certains cas, comme dans celui des Forces démocratiques de libération du Rwanda, les FDLR. Les origines, la situation et la taille des FDLR sont vivement contestées, mais elles sont tout de même perçues comme une force étrangère. Elles tentent d'intégrer et d'obtenir le contrôle de certaines communautés. Elles se sont déplacées et ont changé de style de gouvernance au cours des 20 dernières années. Selon leurs relations avec les groupes locaux, il arrive parfois que ces groupes armés réussissent à intégrer les communautés de façon très harmonieuse, surtout s'ils ont les mêmes origines ethniques.
    Ce n'est toutefois pas toujours ainsi. Certains de ces groupes ne viennent pas de la région. RED-Tabara, par exemple, vient du Burundi. Ses membres doivent négocier leur espace, non seulement auprès de la population locale, mais aussi auprès des autres groupes armés. Et quand nous parlons de « groupes armés », la notion est vaguement définie. Certains d'entre eux comptent 50 combattants, tandis que d'autres en comptent deux ou trois milles. Il est également important de prendre ces facteurs en considération.
    Merci.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez sept minutes.
    Merci d'être ici aujourd'hui.
    Je veux citer pour vous ce que Human Rights Watch a dit à propos de la dévastation causée par ce conflit. L'organisme a mentionné que c'est le plus meurtrier depuis la Deuxième Guerre mondiale et que, au cours des 20 dernières années, plus de six millions de personnes sont décédées de causes qui y sont liées. C'est un chiffre difficile à accepter — c'est le moins qu'on puisse dire.
    Quand l'organisme dit que six millions de personnes sont décédées de causes liées au conflit, qu'est-ce que cela signifie exactement? Que peut-on en déduire?
    On parle des décès dont les causes sont autres que la violence. Des personnes sont victimes de massacres ou tuées lors d'échanges de tirs. Cependant, quand vous parlez de personnes décédées des suites d'un conflit, c'est que ces personnes sont déplacées, et cela signifie qu'elles souffrent de malnutrition et qu'elles sont vulnérables aux maladies. Tous ces facteurs sont inclus dans la définition de « causes liées au conflit ». Les gens ne sont pas déplacés à cause d'une famine, ou d'une sécheresse. Ils sont déplacés parce qu'il y a dans leur région des groupes armés qui les rendent vulnérables, leur famille et eux. Ils doivent aller ailleurs.
    Je travaille à Toronto. Si je devais déménager aujourd'hui, j'irais tout simplement à Montréal. Ma famille s'y trouve. J'ai de la famille un peu partout. Là-bas, souvent, les familles et les collectivités, surtout dans les régions rurales, sont toutes au même endroit. Tout le monde doit se déplacer. Où peuvent-ils aller? Vous ne pouvez pas nécessairement appeler quelqu'un et dire: « Je prends la route avec ma famille et nous allons débarquer chez vous pour y passer quelques jours. » Souvent, vous ramassez ce que vous avez. Vous n'avez pas les réseaux et les ressources nécessaires pour être convenablement logés et nourris. Cela rend les gens très vulnérables. Souvent, ce sont les maladies opportunistes qui se développent dans les camps de réfugiés ou les agglomérations de fortune informelles, par exemple.
    Chaque fois que des témoins viennent nous parler d'un conflit qui cause d'énormes souffrances et a de terribles répercussions sur les droits de la personne, que ce soit en Afrique subsaharienne ou ailleurs, il y a toute la question de la fragmentation des pouvoirs au sein de l'État. Il y a un gouvernement central, du moins sur papier. En plus du gouvernement central, il y a divers acteurs locaux qui agissent de bien des façons comme s'ils constituaient un État. En fait, ils forment les mêmes types de structures, leurs propres forces de sécurité et leurs propres dirigeants qui donnent des ordres aux forces de sécurité et leur ordonnent de mener toutes sortes d'attaques brutales contre une population locale afin d'imposer leur autorité.
    Pouvez-vous parler de la mesure dans laquelle ce phénomène est présent au Congo et de la façon dont il a exacerbé le conflit? Je vous pose cette question dans le contexte suivant. Selon le Conseil des relations internationales, il y a 70 groupes armés, peut-être plus, dans l'Est du Congo seulement. Je sais que vous avez mentionné que Kinshasa intervient maintenant. Vous pouvez répondre comme vous le voulez, mais je vous interroge sur ce nombre, que vous dites sous-estimé. Pouvez-vous nous parler de la portée de cela et du conflit dans cette optique?
(1325)
    Certainement. Depuis que Kabila a refusé de quitter son poste, le nombre de groupes armés est passé d'environ 70 à 120. Si vous voulez une bonne source, il y a le Kivu Security Tracker qui est une organisation faisant le suivi de la situation sécuritaire dans les Kivus.
    Je suis d'accord avec vous, et ce, pour diverses raisons. Certains de ces groupes sont des vestiges de groupes qui ont émergé dans les années 1990, dans le sillage de l'invasion de la RDC par le Rwanda, et dont le but était de se défendre contre les envahisseurs. C'est maintenant devenu une économie. Être un combattant est devenu une économie, premièrement parce que dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ils ont amorcé les négociations, si vous formiez un groupe armé, il avait la possibilité d'être intégré dans les FARDC, l'armée nationale. Pour bon nombre de ces groupes, il est devenu impératif de gonfler le nombre d'adhérents afin d'être considéré comme étant un joueur important dans la deuxième guerre du Congo.
    Cependant, le fait est aussi que Kinshasa a toujours été très détachée de l'Est du Congo. Mobutu n'avait aucun intérêt pour la construction d'une route reliant Kinshasa à la lointaine Goma. Il voulait maintenir Kinshasa, et ce qui se passait dans l'Est du Congo ne représentait pas vraiment une priorité pour lui. Les gouvernements subséquents ont agi de façon très similaire, se gardant une distance par rapport à ce qui se passe dans l'Est du Congo. À cause de cela, bien des membres des populations locales ont estimé devoir se tourner vers les leaders locaux. Bon nombre de ces leaders locaux, qui ont des liens avec Kinshasa, ont aussi, malheureusement ou heureusement, des liens avec les sociétés minières et essaient de mettre la main sur des concessions minières pour gagner de l'argent en plus; ils utilisent parfois les groupes armés pour assurer la protection de leurs intérêts financiers et pour s'approprier d'autres territoires. Ces réseaux de gouvernance à l'échelle locale sont très importants. Vous avez des groupes armés qui forment des alliances dans un but particulier, pour réaliser un objectif politique particulier, mais six mois plus tard, cette alliance politique est disparue et les groupes ont créé chacun de son côté de nouvelles alliances avec des groupes armés liés à d'autres politiciens.
    C'est un aspect vraiment très important à noter. En fait, si vous avez suivi ce qui s'est passé dans le Kasaï, avec l'assassinat de deux enquêteurs de l'ONU, vous savez que selon l'enquête menée par RFI et par d'autres gens qui sont allés voir ce qui s'y était passé, leur assassinat avait été payé par certains des membres de ces gouvernements locaux qui voulaient cacher à l'ONU et aux occidentaux ce qui s'y passait exactement. Souvent, nous blâmons en partie Kinshasa pour cette violence. Kinshasa ne veut pas vraiment sécuriser la région, et elle est à blâmer pour une grande partie des problèmes de sécurité. Cependant, la dynamique de la sécurité dans cette région a dans une grande mesure pris racine dans la région même.
    Il vous reste environ 30 secondes.
    Puisqu'il ne me reste que 30 secondes, je me demande si vous pourrez intégrer la réponse à ma question dans toute réponse ultérieure à une question connexe. Vous n'avez pas besoin de répondre maintenant.
    À quoi se résume ce conflit, en fait? J'entends des préoccupations au sujet de la corruption, des populations qui se sentent aliénées par le gouvernement central, des problèmes avec la primauté du droit. Si vous pouvez nous parler des véritables moteurs du conflit, que ce soit en réponse à des collègues posant des questions dans la même veine ou par ajout à ce que vous avez présenté aujourd'hui, cela serait très utile.
(1330)
    D'accord.
    Je vais vous laisser répondre et simplement tenir compte du temps...
    Il est vraiment difficile de répondre à cette question.
    Si vous regardez bon nombre des rapports publiés par diverses organisations qui suivent la situation, vous verrez qu'ils comportent diverses recommandations. Il y a un problème de gouvernance et de primauté du droit.
    L'un des plus gros problèmes en RDC, je pense, c'est l'impunité qui prévaut. L'impunité se situe à divers niveaux. C'est apparu en premier pendant les première et deuxième guerres du Congo. Les gens n'ont pas été tenus responsables des massacres et des violations du droit humanitaire qu'ils ont commis entre eux. Au lieu de cela, pour favoriser la paix, ils ont fini par intégrer les milices dans l'armée nationale. C'est presque devenu une récompense. Vous vous battez; vous êtes prêt à négocier; nous vous intégrons.
    Au sein même de l'armée de la RDC, vous avez des milliers de criminels de guerre qu'on a récompensés en leur offrant des postes au sein du gouvernement pour maintenir la paix. C'est l'un des enjeux. En conséquence, cela représente une atteinte au professionnalisme de l'armée, bien qu'elle n'était pas très professionnelle pour commencer, après la chute de Mobutu.
    Cela amène aussi d'autres groupes armés à croire que s'ils s'adonnent à des activités semblables, ils pourront être récompensés de la même manière.
    Deuxièmement, les gens ne croient pas que le gouvernement va répondre à leurs besoins en matière de sécurité et leurs besoins sociaux. Ils se tournent donc vers les autorités locales pour obtenir ces services, ce qui mène à la décentralisation du pouvoir. Si on le fait dans le but de mettre en place un système fédéral, c'est une chose. Cependant, c'est un processus très ponctuel. Ce qu'ils disent, c'est: « Voyez. Le gouvernement fédéral n'assure pas notre sécurité. Il envoie les militaires à Beni, mais il n'envoie personne ici. Nous allons créer nos propres milices locales pour nous protéger nous-mêmes. »
    Souvent, les gens créent ces groupes locaux dans l'intention de se protéger eux-mêmes et de protéger leurs collectivités, mais vous devez les nourrir et les armer. Les réseaux illicites dans lesquels ces gens s'engagent pour pouvoir se protéger font intervenir d'autres dynamiques de collaboration avec des gens dont les intentions ne sont pas aussi louables.
    La RDC se retrouve dans un contexte régional. Mis à part Kasaï et Kinshasa, la région du Kivu est aussi un endroit où les pays comme le Rwanda profitent de l'instabilité à des fins économiques. Très longtemps, le gouvernement rwandais a fomenté la dissension dans la région afin de pouvoir y entrer et exploiter les ressources minérales de la région. Maintenant qu'il s'est fait prendre et qu'on lui a imposé des sanctions, il utilise d'autres moyens pour continuer.
    Récemment, il y a eu une confrontation entre le gouvernement rwandais et les forces congolaises de la région des Virunga. Si vous suivez ce qui se passe dans la région, vous savez que le parc des Virunga est maintenant un endroit où des gens se font kidnapper. Les enlèvements sont une excellente source de revenus pour les groupes armés qui cherchent à contrôler la région. Il y a un conflit entre les deux pays.
    Mme Hardcastle doit y aller, mais c'était une trop bonne question pour la laisser en suspens.
    Je pourrais en parler longtemps.
    Oui, et vous le pouvez.
    Je pense bien que ma question est liée aux moteurs du conflit. Je pense que si vous aviez continué à parler, vous y auriez peut-être aussi répondu.
    Je me demande qui a intérêt à semer la zizanie dans ces régions. Je ne sais pas si ce sont ces groupes locaux... Devrions-nous penser à des endroits comme le Rwanda et l'Ouganda, ainsi qu'aux intérêts des entreprises?
    Vous pouvez simplement continuer dans la même veine. Servez-vous de mon temps pour en dire plus là-dessus.
    Sachant que les pays de la région ne se distinguent pas par leur respect de la démocratie et par leur bonne gouvernance — et si l'on accepte que le Rwanda soit un lieu légèrement différent —, vous avez l'occasion de tirer profit du chaos. C'est ce qui s'est produit au début des années 2000 avec l'Ouganda et le Rwanda.
    Dans les faits, si vous suivez ce qui se passe entre les deux pays, en ce moment, il faut savoir que les tensions actuelles entre le Rwanda et l'Ouganda remontent à la deuxième guerre du Congo, alors qu'ils avaient des différends concernant leur orientation, ceux avec qui ils s'alignaient, et les parties du territoire qu'ils voulaient en venir à contrôler.
    Je ne sais pas dans quelle mesure les pays de la région profitent vraiment des souffrances en RDC, mais je sais que parce que l'attention internationale se porte sur la RDC et sur des pays comme le Burundi, il a été possible pour le Rwanda d'être perçu comme une source de stabilité dans la région, même si ce n'est pas le cas, en réalité.
    Les sociétés minières en profitent peut-être. Une gouvernance peu structurée profite aux gens qui n'ont pas à payer d'impôts et qui n'ont pas de comptes à rendre aux autorités locales et nationales. Au bout du compte, dans le chaos, les gens saisissent des occasions. Cette dynamique est locale dans une grande mesure. Les gens se rendent compte qu'ils peuvent en tirer profit.
    Même dans l'armée, dans les FARDC, les colonels et autres officiers haut gradés en profitent pour voler des armes et les revendre aux rebelles. Il y a très peu de supervision. Bien des gens profitent du chaos. Ceux qui n'en profitent pas, malheureusement, sont les citoyens. Ils sont vulnérables, non seulement à la violence armée, mais aussi aux déplacements et à ce qui arrive par la suite.
    Il est vraiment difficile de répondre à vos deux questions, à savoir qui sont les instigateurs de la violence, et qui sont ceux qui en profitent le plus. Au bout du compte, bien des gens en profitent.
    Je ne sais pas dans quelle mesure les organisations régionales ont un rôle à jouer, car je pense que les gens ne portent pas assez attention à cela. L'Union africaine a la responsabilité d'intervenir. Le problème avec l'Union africaine, c'est qu'elle délègue souvent la responsabilité de régler la situation aux organisations régionales comme la Communauté de l'Afrique de l'Est, la CIRGL, etc.
    Quand l'Union africaine délègue Edem Kodjo, un diplomate togolais, bien des gens posent des questions. Edem Kodjo entretient des liens très étroits avec le gouvernement Kabila, alors pourquoi le charger d'intervenir?
    Vous voyez qu'en raison de la politique interne des organisations régionales, il est très difficile de prendre la situation au sérieux et d'imposer des sanctions régionales. C'est un défi. La communauté internationale — notamment, le Canada, les États-Unis et même l'Union européenne — compte sur l'Union africaine, et l'Union africaine compte sur les organisations régionales.
    Si elle compte sur la CEDEAO en Afrique de l'Ouest, elle aura plus vraisemblablement du succès que si elle compte sur la CAE, la Communauté d'Afrique de l'Est, ou sur la CIRGL, car elles ne souhaitent pas vraiment intervenir ou se faire obstacle dans la région. C'est un autre défi. Ce n'est pas vraiment une organisation qui profite de cela, mais c'est une organisation qui devrait être tenue responsable de ce qui se passe également.
(1335)
    Avec les élections qui s'en viennent en décembre — si, comme vous le dites, elles se tiennent réellement —, où verriez-vous la possibilité d'une influence positive pour que ce soit des élections marquantes? Est-ce que c'est un rôle plutôt régional, par exemple pour l'Union africaine, ou un rôle plutôt local?
    Étant donné que les élections sont un exercice national, le gouvernement et la communauté internationale doivent intervenir dans le processus afin de veiller à ce qu'elles inspirent confiance aux gens. Il y a très peu de confiance entre Kinshasa et les régions ou parmi les élites politiques. Les enquêtes démontrent que les gens sont très enthousiastes à l'idée d'avoir des élections, mais qu'ils ne sont pas sûrs que les résultats seront respectés.
    Ils ne sont pas sûrs que les élections se tiendront, parce que la commission électorale a fixé la date, mais qu'il y a une longue liste de raisons pour lesquelles les élections ne se tiendraient pas, dont la situation sécuritaire. Ceux qui profitent de la violence sont ceux qui ne veulent pas d'élections, car la situation sécuritaire en rend la tenue trop difficile.
    Pour ce qui est du processus, nous voyons que l'inscription des électeurs a commencé. La RDC n'a pas eu de recensement en plus de 30 ans, alors on ne connaît pas le nombre de personnes qui vivent dans les diverses régions ni par conséquent le nombre de personnes qui devraient être inscrites. C'est un des facteurs dont on a parlé en 2016, et ils n'ont toujours pas mené de recensement. C'est en partie parce que l'opposition dit: « Nous ne pouvons absolument pas attendre d'avoir mené un recensement avant de tenir les élections; il faudra trop de temps. » Et le gouvernement de dire: « Nous n'avons pas les ressources pour cela. »
    L'une des façons d'instaurer la confiance est de surveiller le nombre de personnes inscrites, ce qui se passe et la façon dont les gens votent. Il y a en ce moment un différend à savoir s'il faut utiliser des appareils électroniques ou des bulletins de vote. Ayant déjà observé des élections au Kenya, je peux vous dire que les appareils électroniques ne sont pas la panacée pour tous les problèmes de confiance lors d'élections, en particulier dans un contexte où les gens croient que le système électronique employé servira à truquer le processus.
    Il est aussi important d'envoyer des observateurs très tôt, à l'étape du processus d'inscription. C'est la plus grande faiblesse de l'observation des élections partout en Afrique subsaharienne, et c'est la même chose en Amérique latine, comme nous l'avons vu récemment. Les gens ne s'y rendent pas assez tôt pour veiller à ce que les institutions qui sont mises en place quelques mois avant les élections soient transparentes et pour veiller à ce qu'au moment de rendre les résultats publics, les gens fassent effectivement confiance à ces institutions.
    Je crois que ce pourrait être une façon de rétablir la confiance. Une fois que vous avez rétabli la confiance, certains des groupes armés, qui utilisent la situation politique pour dire qu'ils n'estiment pas le gouvernement légitime, peuvent retourner chez eux et déposer leurs armes. Ce serait une façon d'utiliser les élections pour favoriser la paix. Ces méthodes seraient partielles, à moins de vous attaquer à de nombreux autres problèmes dans l'est du Congo et dans le Kasaï.
(1340)
    C'est maintenant au tour de M. Tabbara, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président. S'il me reste un peu de temps, je compte céder la parole à mon collègue.
    Merci beaucoup d'être des nôtres.
    Je voudrais poursuivre sur la même lancée que ma collègue pour parler des moteurs de conflit.
    Je regarde la situation dans son ensemble et je me demande comment nous pouvons mettre fin aux nombreuses violations des droits de la personne. Comme vous l'avez mentionné dans votre exposé et dans certaines de vos réponses, l'impunité a régné après les première et deuxième guerres, et très peu de hauts fonctionnaires ont été tenus responsables de leurs actes. Ils usent de leurs ressources et de leurs efforts pour rester au pouvoir.
    Sans contredit, le Congo serait l'un des pays les plus riches, grâce à ses abondantes ressources naturelles et réserves de minéraux — cobalt, diamants, or, etc. Aujourd'hui, environ 20 000 Casques bleus sont déployés là-bas. Ces troupes prennent beaucoup de mesures pour maintenir la paix, mais y a-t-il quelque chose que la communauté internationale peut faire — par exemple, des négociations bilatérales quelconques ou des entretiens avec de hauts fonctionnaires pour leur dire que si les violations des droits de la personne persistent, nous allons mettre un terme à l'approvisionnement en minéraux? Je suis peut-être un peu naïf, mais est-ce que nous pourrons ainsi faire pression sur la plupart des forces dirigeantes? Elles semblent se servir de ces vastes ressources pour alimenter leur pouvoir.
     Dans un monde idéal, oui. Une bonne partie de ces ressources sont utilisées non seulement par le gouvernement ou les personnes au pouvoir, mais aussi par des gens ordinaires — par exemple, dans le cas des exploitations minières non officielles — pour subvenir aux besoins de leur famille, ainsi que par des groupes armés qui mettent la main sur des sites miniers pour s'approprier des ressources en vue de payer leurs armes, leurs soldats, et tout le reste.
    Dans un contexte plus large, il a été difficile d'instaurer quelques-unes de ces sanctions parce que certains pays occidentaux ont des entreprises qui ont tout intérêt à extraire les ressources.
    Je ne dis pas que c'est impossible, mais il serait très difficile d'imposer des règles à une société minière, qu'elle soit canadienne, américaine ou suisse, en lui disant qu'elle ne respecte pas les droits de la personne et qu'elle n'est donc plus autorisée à exploiter ses activités dans le pays jusqu'à ce que la situation soit corrigée. Cela aurait certainement une incidence sur la volonté des élites politiques de rétablir un peu d'ordre, mais la question qui se pose ensuite est de savoir quelles sont les lois dans chacun de ces pays ou blocs économiques régionaux en ce qui concerne leurs interactions avec leurs propres entreprises.
    Je crois que Glencore est une société minière canadienne. Comment allez-vous alors lui dire qu'elle ne pourra plus mener ses activités là-bas, non pas parce qu'elle ne vous procure aucun avantage, mais parce que, du point de vue des droits de la personne, nous ne voulons plus faire affaire avec la RDC?
    C'est de là que découlent certains des défis. Il ne s'agit pas simplement de dire que nous allons imposer des sanctions à Kabila et à sa famille et que nous allons geler ses avoirs; nous disons plutôt que nous allons imposer des sanctions aux entreprises si elles exercent des activités en RDC. Cela ressemble un peu à l'approche qui est adoptée ou envisagée en Iran à l'heure actuelle.
    J'ignore s'il existe une volonté économique ou politique dans les pays du Nord de se dissocier économiquement de l'élite politique de la RDC. Cela changerait-il les choses? Je pense que oui, car n'oubliez pas qu'une poignée de personnes finissent par profiter de ces ententes conclues en catimini avec certaines de nos sociétés minières. Je doute toutefois qu'il y ait une volonté politique d'interagir de la sorte avec les institutions privées et les sociétés privées qui sont en place ici et en Europe.
(1345)
    Combien de temps me reste-t-il?
    Il vous reste environ 30 secondes, mais si vous voulez poursuivre, nous changerons simplement d'ordre d'intervention. J'ai quelques questions à poser, et vous aurez la parole au prochain tour.
    Je ne pense pas avoir assez de temps en 30 secondes. Allez-y.
    Je voulais vous poser une question sur le contexte parce que vous avez parlé de nombreux cas où ces groupes armés ont commencé par assurer, à tout le moins, une protection locale; ce ne sont donc pas des « forces expéditionnaires ». Comment s'en sortent les ONG qui essaient d'acheminer de l'aide en ce moment? Y a-t-il des régions où elles réussissent à faire leur travail, contrairement à d'autres régions où la possibilité de venir en aide aux personnes déplacées devient une question de vie ou de mort?
    Absolument. Je n'ai pas le savoir-faire nécessaire pour vous dire exactement quelles régions sont difficiles et lesquelles ne le sont pas. Je me souviens qu'en 2017, au plus fort des violences dans la région du Kasaï, les gens ne pouvaient pas acheminer de l'eau et de la nourriture aux personnes déplacées parce que la situation était très tendue et, après l'assassinat des enquêteurs de l'ONU, les ONG ont décidé d'être un peu plus prudentes.
    Pendant très longtemps, on semblait croire que les organisations humanitaires, les organisations de l'ONU et même les chercheurs occidentaux de race blanche en général pouvaient parcourir cette région parce qu'ils n'étaient pas considérés comme des cibles. Or, cela a changé radicalement depuis l'an dernier, et l'élément déclencheur a été, je crois, dans une certaine mesure, l'assassinat des deux enquêteurs de l'ONU, ce qui a amené de nombreuses organisations à revoir la sécurité de leurs employés.
    La dernière chose que nous souhaitons voir au Congo, c'est la situation dont nous avons été témoins au Soudan du Sud où les travailleurs humanitaires ont fini par être ciblés en échange de nourriture, d'eau et de médicaments, ce qui a entraîné la mort de nombre d'entre eux. Je sais avec certitude qu'à certains endroits, l'acheminement de l'aide s'est avéré difficile. Bon nombre de ces organisations mènent leurs activités à partir de Goma et elles évaluent les conditions de sécurité au regard de l'évolution de la situation. Parfois, il y a des convois humanitaires à Beni et, parfois, il n'y en a pas. Lorsque les militaires se retirent de Beni, les choses se calment, et c'est alors peut-être le bon moment d'intervenir.
    Bref, cette situation a certainement influé sur le mode d'intervention des ONG et des organisations humanitaires, ainsi que sur leurs choix des endroits où elles sont disposées à aller. La sécurité des travailleurs humanitaires internationaux et des employés des organisations internationales a énormément changé au cours des 12 derniers mois. Cela force ces organisations à réévaluer les endroits où elles envoient ou n'envoient pas leurs effectifs. Malheureusement, le temps consacré à cette réflexion et à l'analyse coûts-avantages ne fait que retarder les choses, ce qui rend les gens encore plus vulnérables.
    Les enfants soldats font-ils partie des enjeux humains là-bas aussi?
    Oui, c'est le cas au sein de certains groupes, en effet.
    Certains groupes en recrutent-ils plus que d'autres?
    Oui. Dans le Kasaï, c'est une situation courante. On a relevé des cas où des jeunes, notamment des garçons, ont été recrutés. C'est l'une des dimensions sexospécifiques de ce conflit: beaucoup de jeunes garçons sont enlevés et recrutés de force pour participer à ces groupes. Parfois, le recrutement se fait volontairement, car certains de ces jeunes — mais pas tous — veulent se joindre à ces groupes, et je pense qu'il est important de savoir cela.
    Nous avons mené une étude, il y a quelques années, sur les effets psychologiques sur les enfants du génocide rwandais, et je me demande si nous observons une migration de jeunes de 20 ou 24 ans qui sont frustrés parce qu'ils sont privés de leurs droits au Rwanda et qui cherchent un endroit où aller. Avez-vous constaté cela?
(1350)
    Non, je n'ai rien constaté de tel. La RDC et le Rwanda ont une entente en vertu de laquelle les anciens membres des FDLR au Congo sont démobilisés et renvoyés au Rwanda, où ils suivent ensuite un processus de rééducation pour essayer de se réinsérer dans la société.
    Je n'ai pas entendu parler de gens qui quittent le Rwanda pour aller combattre en RDC, mais nous avons entendu dire que des gens auraient quitté le Burundi pour rejoindre les rangs de RED-Tabara et de Forebu, deux groupes armés qui sont directement liés à la crise burundaise.
    Ce que vous dites pourrait être vrai, mais je n'ai vu aucune preuve ni aucun compte rendu à ce sujet.
    Le Parti libéral dispose encore de cinq minutes si quelqu'un souhaite poser une question.
    Je crains d'avoir à vous poser une autre question générale, mais je n'en reviens pas que six millions de personnes soient décédées à cause du conflit.
    J'ai bien l'impression que si, en Amérique du Nord, six millions de personnes avaient perdu la vie à la suite d'un conflit sur une période de deux décennies, cela aurait attiré notre attention. Nous y penserions jour après jour, et cela retiendrait l'attention des médias, entre autres.
    Comment expliquer le peu d'attention que la communauté internationale porte à la situation au Congo?
    Je ne vous pose pas une question piège, parce qu'on pourrait immédiatement qualifier cela de racisme, mais je pense que c'est un facteur à prendre en considération dans ce cas-ci. On pourrait également dire qu'il y a une désensibilisation parce que l'Afrique a connu de nombreux conflits et guerres civiles.
    Qu'en pensez-vous? Vous êtes une experte. Vous étudiez ce dossier depuis un bon moment. Pourquoi le monde n'accorde-t-il pas d'attention au Congo?
    Au contraire, je crois que les gens ont accordé de l'attention au Congo.
    Oui, mais pourquoi cet enjeu n'a-t-il pas monopolisé l'attention du monde entier?
    À mon avis, l'une des raisons, c'est que cette situation dure depuis assez longtemps. Le Congo fait les manchettes depuis presque 25 ans. Ce sera bientôt presque 25 ans.
    Il y a, selon moi, une résignation de la part des donateurs occidentaux devant les diverses initiatives et le manque de... Je retourne souvent dans la région. Les pays voisins ont joué un rôle très positif, mais on a souvent l'impression qu'en envoyant des diplomates américains ou français, en exerçant quelques pressions et en menaçant d'imposer des sanctions, on verra la situation s'améliorer, à défaut de quoi il n'y a rien qu'on puisse faire.
    Je crois qu'un élément qui est devenu très évident depuis une dizaine d'années, c'est l'importance de faire pression sur les voisins pour les amener à agir. Je vais vous donner un bref exemple pour illustrer ce point. Dans les années 1990, lorsque le Burundi était en pleine guerre civile, l'élément qui a fait toute la différence, ce n'était pas le cri d'alarme lancé par l'Union européenne pour dire qu'il y aurait un génocide, mais c'était plutôt les efforts déployés par l'Ouganda pour amener tous les pays de la région à imposer un blocus intégral au Burundi, forçant ainsi l'élite tutsie à négocier puisque le pays était complètement bloqué. Les blocus sont vraiment efficaces. Si vous regardez l'histoire des guerres, vous verrez que cette mesure fonctionne très bien, surtout lorsque le pays est enclavé.
    Je pense qu'il y a cette idée que, si vous intervenez et si vous prêtez attention, les choses vont s'arranger. Je crois que les partenaires occidentaux n'ont pas trouvé le moyen d'amener la région à évaluer la situation et à s'adresser à la RDC.
    Une autre raison qui explique pourquoi nous n'en entendons pas souvent parler, c'est que, contrairement à la Syrie, il n'y a pas de longues files de migrants qui traversent les frontières pour se rendre jusqu'en Europe. Les acteurs régionaux ont été très bons et très généreux à l'égard des réfugiés. La Tanzanie a accueilli des centaines de milliers de réfugiés, de même que le Malawi et le Kenya. Les pays de la région font tout ce qu'ils peuvent pour, à tout le moins, absorber l'afflux massif de personnes afin d'éviter que cela devienne une situation d'urgence.
    La dynamique a maintenant changé: nous sommes passés de la RDC au Soudan du Sud et à la Somalie, puis à la lutte mondiale contre le terrorisme et, maintenant, il y a le Sahel, le Mali, etc. Si le problème est relativement contenu, les gens interviendront une fois que la situation dégénère. Telle est la nature de la politique et de la sécurité, et c'est ce qui semble s'être produit en RDC. Souvent, les gens pensent qu'il s'agit de la même dynamique, mais la situation a évolué, et ils se concentrent alors sur une autre partie de la région. C'est tout simplement une question de ressources limitées et d'impératifs politiques.
(1355)
    Merci beaucoup.
    J'ai une dernière question. Habituellement, dans ce genre de circonstances, le viol est utilisé comme outil pour intimider les opposants politiques. A-t-on observé ce phénomène au Congo?
    Oui. Le recours à la violence sexuelle sert de moyen pour intimider et assujettir des groupes depuis un certain temps. Cela varie d'un groupe à l'autre. Je crois qu'il est important de savoir que certains groupes s'en servent pour resserrer les liens entre les soldats. Il s'agit d'une façon de consolider les rangs. C'est ce qui se passe au Congo. C'était aussi le cas dans d'autres guerres ailleurs dans le monde. Dans certains cas, la violence sexuelle est également utilisée comme arme de guerre. Dans d'autres cas, elle est tout simplement autorisée, sans nécessairement être encouragée.
    Il y a donc diverses façons dont la prévalence de la violence sexuelle se manifeste dans une région donnée, ainsi que dans beaucoup d'autres pays sur le continent et ailleurs dans le monde. Pendant longtemps, le Congo était considéré comme un pays en proie à la malédiction des ressources, à des conflits liés à l'extraction de diamants ou de minéraux, pour ensuite être perçu comme la capitale mondiale de la violence sexuelle. La dynamique en cause est beaucoup plus complexe, mais oui, il est tout à fait vrai qu'en raison du chaos et du manque de gouvernance, les cas de violence sexuelle sont très répandus, mais ce n'est pas toujours utilisé comme arme de guerre.
    En réponse à la question posée tout à l'heure par M. Fragiskatos, vous avez dit qu'une des raisons pour lesquelles le conflit perdure, c'est le sentiment que la justice a manqué à l'appel durant les deux guerres précédentes.
    Y a-t-il des organisations sur le terrain qui recueillent actuellement des preuves en vue de pouvoir rétablir plus tard non seulement la paix, mais aussi la justice?
    Oui. Bien entendu, il y a le groupe d'experts de l'ONU qui continue de recenser les cas de violation des droits de la personne. J'ai des collègues à Amnistie internationale et à Human Rights Watch qui font de leur mieux pour consigner des preuves et identifier les responsables. La Cour pénale internationale a également participé à ces efforts. Le problème, c'est que les tribunaux internationaux de haute instance essaient de cibler les grands noms, plutôt que les véritables auteurs des crimes, comme les gens qui se sont adonnés à des actes de violence.
    En raison de la complicité de certains membres du gouvernement, il est difficile d'avoir accès à l'information pour être en mesure de mener des enquêtes, et la transparence pose parfois un défi. Par ailleurs, je sais que les Sud-Africains — si je ne me trompe pas, parce qu'ils sont déployés là-bas — ont mis sur pied une unité mobile qui s'occupe des cas de violence sexuelle dans leurs rangs pour essayer de tenir leurs soldats responsables de leurs actes. Vous savez, l'ONU a également eu des problèmes liés à la violence sexuelle et aux mauvais traitements infligés à des gens au Congo et ailleurs. Voilà un autre aspect dont on ne parle pas tellement souvent.
    Merci beaucoup. Vous nous avez beaucoup éclairés.
    Ce fut un plaisir.
    Votre expertise est tout à fait évidente. Nous vous en sommes reconnaissants.
    Chers collègues, nous nous retrouverons après-demain.
    La séance est levée.
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