SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 7 décembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Bonjour, chers collègues. Bienvenue à la 90e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur le travail des enfants et l'esclavage moderne.
Nous accueillons aujourd'hui trois témoins compétents. Nous recevons Kate Kennedy, directrice générale de l'Amérique du Nord de l'organisation The Freedom Fund. Elle est actuellement au Mexique et, puisque sa connexion Internet est plutôt boiteuse, nous allons commencer par son exposé.
Mais avant, je vais présenter notre deuxième groupe de témoins, qui représentent International Justice Missions Canada. Nous accueillons Petra Bosma Kooman, directrice du marketing et des relations publiques, et Edwin Wilson, directeur exécutif.
Nous allons tout d'abord écouter Mme Kennedy simplement parce que sa connexion est boiteuse et que nous voulons avoir son témoignage au compte rendu, au cas où nous la perdrions et devrions essayer de rétablir la connexion.
Madame Kennedy, allez-y, s'il vous plaît. Vous avez 10 minutes.
Merci beaucoup. Il est agréable de parler à un groupe de personnes qui emploient le mot « boiteux ».
Bonjour. Je remercie infiniment le président et les autres dignitaires présents. J'aimerais remercier le Comité de me permettre de comparaître aujourd'hui. C'est un honneur de discuter du grave problème du travail des enfants au sein des chaînes d'approvisionnement mondiales.
The Freedom Fund est une organisation internationale. Le fonds a été créé en 2014 par trois des plus grands donateurs du secteur privé au sein du mouvement antiesclavagiste. Notre mission consiste à mobiliser le capital intellectuel et la volonté dans le but de mettre fin à l'esclavage. Notre travail prend diverses formes, dont la plus importante est peut-être notre stratégie visant à travailler sur le terrain là où l'esclavage est le plus répandu. Nous y arrivons au moyen de partenariats, souvent avec de petites organisations non gouvernementales, ou ONG, de première ligne. Nous avons actuellement 100 partenaires, dont 80 sont des ONG locales dans des pays comme l'Éthiopie, l'Inde, le Népal et la Thaïlande. Nous nous associons également à des investisseurs, des entreprises et des gouvernements visionnaires pour nous attaquer aux réseaux qui permettent à l'esclavage de sévir et de persister.
À l'instar d'autres témoins qui se sont adressés à votre comité, nous constatons qu'il y a un mouvement mondial consistant à légiférer en matière de réforme de la chaîne d'approvisionnement — je suis persuadée que bon nombre d'entre vous le comprennent déjà —, comme en témoignent les lois néerlandaises sur le travail des enfants, la Loi contre l’esclavage moderne de 2015 du Royaume-Uni, et le très récent projet de loi australien qui établit de nouvelles normes sur la responsabilité des sociétés.
Le Canada a toujours été un chef de file mondial dans la promotion des droits de la personne. Dans ce dossier, il risque cependant de se laisser distancer compte tenu du rythme mondial. L'étude actuelle constitue une excellente occasion pour le pays de réfléchir à son rôle tout en défendant les droits de la personne dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. C'est aussi un premier pas vers la création de la législation la plus robuste qui soit.
Le travail des enfants se trouve dans la plupart des volets de nos activités, qu'il s'agisse de l'exploitation subie dans l'industrie du divertissement pour adultes de Katmandou, où les enfants sont placés dans des sortes de bordels, ou de filles éthiopiennes qui sont envoyées en Arabie saoudite pour effectuer des travaux ménagers. Mais j'aimerais aujourd'hui m'attarder au travail des enfants dans l'industrie du textile, puis parler brièvement du rôle que jouent la société civile, les entreprises et les gouvernements afin d'éliminer le travail des enfants dans cette industrie et d'autres secteurs.
Je suis au Mexique, un endroit inusité pour une Australienne qui vit à New York et qui s'adresse à une tribune canadienne. Je suis en transit après avoir visité l'Asie du Sud, et j'ai passé toute la semaine dernière à me pencher sur des aspects de la filature du coton, et sur le travail des enfants qu'on y retrouve. Je suis certaine que bon nombre d'entre vous ont vu des reportages médiatiques et des recherches sur le sujet. C'est un fait assez bien documenté qu'on retrouve de l'exploitation abusive, du travail forcé, de la servitude et du travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement mondiales du textile, dans des pays comme le Myanmar et le Bangladesh.
Ces abus sont directement liés aux vêtements et aux textiles de maison qui sont importés et vendus dans des pays comme les États-Unis, l'Europe et le Canada, bien entendu. Il y a des enfants qui travaillent à toutes les étapes de la chaîne d'approvisionnement du textile, de la production de semences de coton et la culture jusqu'à la filature en usine, en passant par la couture, le tissage, la broderie et la finition dans des usines et des ateliers résidentiels.
Dans l'industrie du vêtement, le travail forcé et la servitude des enfants persistent pour de nombreuses raisons. D'abord, nos chaînes d'approvisionnement sont de plus en plus complexes. En outre, il y a une prolifération de la sous-traitance, ainsi qu'une pénurie de travailleurs adultes dans de nombreuses régions. Il y a aussi une demande pour une mode jetable — et bon marché — de la part des consommateurs occidentaux, demande qui exerce continuellement une pression à la baisse sur les prix, ce qui exacerbe l'exploitation dans les tout premiers maillons des chaînes d'approvisionnement.
De plus, on constate l'absence de lois régissant le travail forcé et la servitude des enfants. Même lorsqu'il y en a, certaines ne sont pas suffisamment appliquées. Je suis persuadée que mes confrères de la International Justice Mission Canada, ou IJM, vous parleront davantage du rôle important de la justice.
Nous constatons également que les détaillants occidentaux ne font pas assez d'efforts sur les plans de la cartographie, de la surveillance et de la formation pour aller plus loin que les premiers niveaux de la chaîne d'approvisionnement. Dans bien des cas, ces mêmes acteurs ne se rendent pas compte qu'ils sont responsables de ce qui se passe aux tout premiers maillons de la chaîne d'approvisionnement des vêtements qu'ils produisent.
Ce que j'ai vu la semaine dernière venait principalement de la filature du coton. Les travailleurs prennent le coton brut, un peu comme des capsules de coton, puis en font des fils, qui entrent dans la fabrication des vêtements que beaucoup d'entre nous porteraient aujourd'hui. La filature du coton n'est qu'un maillon d'une longue chaîne d'approvisionnement. Le fil produit dans ces usines est utilisé dans les vêtements et d'autres produits importés et vendus par d'importants détaillants américains, canadiens et européens.
De toute évidence, les entreprises et les sociétés qui vendent ces vêtements peuvent également jouer un rôle dans la protection des jeunes qui sont exploités au bas de la chaîne d'approvisionnement. La semaine dernière, nous avons été témoins de beaucoup de travail des enfants. La pratique était affichée et répandue. En revanche, nous avons aussi vu des programmes très efficaces, qui permettent d'intervenir afin de mettre un terme aux pires formes d'exploitation. On s'assure aussi que les jeunes filles et leurs familles puissent prendre des décisions éclairées sur la possibilité de faire travailler les enfants et sur les lieux de travail.
En 2014, une étude commandée par The Freedom Fund et la C&A Foundation a révélé qu'environ 100 000 femmes et filles du Tamil Nadu, en Inde, se retrouvent dans des filatures, et endurent des conditions équivalentes à la servitude. En réalité, des études plus récentes suggèrent que cette estimation serait très prudente, et qu'il y en aurait plutôt des centaines de milliers.
Le travail des enfants dans le Tamil Nadu est généralement en déclin; cependant, le travail des adolescentes est encore répandu dans les usines, pour les raisons évoquées précédemment, et une grande part des travailleuses d'usine ont moins de 18 ans. Dans les usines dont les travailleuses sont hébergées dans l'auberge de l'usine, de nombreuses filles entrent en poste au moyen de processus de recrutement frauduleux.
Les pourvoyeurs de main-d'oeuvre recrutent les travailleuses en leur promettant la totale: un logement dans une auberge, un salaire décent, de la nourriture, une formation et, souvent, une éducation. Ils affirment que les filles recevront un montant forfaitaire à la fin de leur contrat, qui est souvent de trois ans. De nombreuses familles prévoient utiliser cette somme pour rembourser la dette familiale et pour amasser une dot pour que leurs filles puissent se marier. Lorsqu'une personne vit dans une pauvreté inconcevable, le fait de ne pas avoir de dot signifie que sa fille ne pourra peut-être pas se marier. C'est donc essentiel. Une fois le contrat signé, les filles sont liées au propriétaire de l'usine ou au pourvoyeur, souvent dans des villages très loin du leur, et loin de la protection et du soutien des membres de la communauté.
Les filles qui se retrouvent dans les situations les plus vulnérables ont souvent en commun des causes profondes. Elles sont pauvres. Leur famille est endettée, trop souvent en raison de l'alcoolisme. Elles n'ont pas d'éducation, et elles ont peu d'autres solutions sur le plan économique. Il y a des disparités fondées sur le sexe, des normes culturelles et de la discrimination fondée sur la caste qui entrent en ligne de compte. En résumé, ce sont les personnes qui ont le moins de pouvoir et qui sont les plus faciles à exploiter de la chaîne d'approvisionnement.
La taille des usines peut varier considérablement entre des installations très modestes — nous en avons vu de 60 personnes la semaine dernière — et d'autres qui sont nombreuses et qui peuvent accueillir des milliers de filles — nous sommes passées dans bon nombre d'entre elles. Dans ces usines, les filles sont soumises à des conditions de travail abusives et dangereuses, y compris des salaires minables, la retenue des salaires, de longues heures de travail et des heures supplémentaires non rémunérées obligatoires et excessives. Les filles sont exposées à de nombreux risques pour la santé en raison du travail excessif, de l'absence de matériel de protection, d'une mauvaise hygiène et d'une mauvaise nutrition. Certaines n'ont pas le droit d'aller aux toilettes. Beaucoup doivent quitter leur emploi avant la fin du contrat en raison de leur mauvais état de santé, et elles ne reçoivent pas le plein salaire ou les paiements forfaitaires initialement promis. Les mauvais traitements physiques et sexuels attribuables à la discrimination fondée sur le sexe est un... [Difficultés techniques]
Bien. Nous avons bien fait de veiller à ce que Mme Kennedy prononce son exposé, car la communication vient d'être interrompue. Nous allons essayer de rétablir la connexion. Elle avait pratiquement terminé son exposé. Il lui restait une minute.
Nous allons maintenant écouter les représentants de la International Justice Mission Canada, ou IJM.
Est-ce que vous parlerez tous les deux? Vous avez 10 minutes, si jamais vous souhaitez partager votre temps. Sinon, une seule personne peut prendre la parole. Allez-y, s'il vous plaît. Je vous remercie.
Magnifique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Sous-comité, je vous remercie.
Dans l'ensemble des pays en développement, la crainte de la violence fait partie du quotidien des personnes pauvres. En fait, dans les pays en développement et à revenus moyens, les personnes pauvres citent souvent la violence comme leur plus grande peur ou principal problème.
Une grande partie de cette violence est subie par les victimes de l'esclavage moderne. Leur travail est forcé, sous-payé ou non rémunéré. Leurs conditions sont abusives et dangereuses, et les travailleurs ne sont pas libres de quitter les lieux de travail. Bien que le travail forcé soit interdit par la loi pratiquement partout, ces lois ne veulent rien dire pour les adultes et les enfants qui souffrent de l'esclavage. Les responsables de l'application de la loi qui manquent de ressources, de formation et qui sont corrompus ne peuvent ou ne veulent pas arrêter et inculper des criminels qui font de la traite d'ouvriers et qui les exploitent, et ils ne recueillent souvent pas les preuves qui les tiendraient responsables devant les tribunaux.
Comme nous le savons, des dizaines d'industries sont en proie à la traite de personnes, au travail forcé, à l'exploitation et au travail des enfants. Comme la plupart des entreprises peuvent le confirmer, les grandes entreprises portent le poids de la critique lorsque la traite de travailleurs est mise au jour. Personne ne devrait remettre en question la responsabilité des importateurs et des détaillants, qui doivent vérifier et passer au peigne fin leurs chaînes d'approvisionnement pour déceler la présence de produits d'esclavage. En revanche, la traite est une activité criminelle corrompue et généralement cachée qui présente un défi de taille. De plus, la nature de l'esclavage de la main-d'oeuvre dans de nombreuses industries est telle que même les entreprises les plus scrupuleuses risquent de distribuer des marchandises contaminées par l'esclavage si les gouvernements nationaux des pays d'origine n'assument pas la responsabilité du problème. Ce sont les gouvernements qui ont le pouvoir et l'obligation d'appliquer les lois nationales contre ces crimes. Ce sont la police, les procureurs et les juges à l'échelle locale et nationale, et non pas les dirigeants d'entreprise, qui peuvent faire enquête, procéder à l'arrestation des individus, intenter des poursuites et punir les criminels, dont la présence est inévitable dans chaque situation d'esclavage.
Il existe plusieurs approches courantes afin de réduire l'exploitation des travailleurs dans la chaîne d'approvisionnement mondiale. Elles peuvent être utiles, mais aucune ne s'attaque à la question des criminels qui recrutent, exploitent et profitent de l'esclavage moderne en toute impunité.
L'approche la plus courante est celle des politiques d'autoréglementation à participation volontaire, ou codes de conduite. De telles politiques peuvent servir de liste de contrôle de la conformité ou d'outil de diagnostic, mais elles comportent des lacunes importantes. La plus grave est que les entreprises ne peuvent pas tenir responsables les auteurs de l'exploitation. Encore une fois, l'application de la loi relève de la compétence exclusive des gouvernements. Malheureusement, le fait que l'industrie et les consommateurs dépendent largement de l'autorégulation des entreprises peut même affaiblir la volonté politique des États et des systèmes de justice publics.
Une deuxième approche à l'égard de l'exploitation de la main-d'oeuvre est la tentative des entreprises d'obtenir une traçabilité sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des produits, des matières premières aux produits finis. Le mouvement visant la transparence est important dans la mesure où il incite les entreprises à regarder de plus près leurs chaînes d'approvisionnement, ce qui stimule l'innovation. En fait, il pourrait bien s'agir d'un tremplin vers des normes exécutoires, mais encore ici, la démarche contourne tout à fait la responsabilité du gouvernement à l'égard du comportement criminel chez les recruteurs, les trafiquants et les propriétaires d'esclaves.
Même si les entreprises ont un rôle déterminant à jouer afin de renverser la tendance de la traite au sein des chaînes d'approvisionnement mondiales, les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme » des Nations unies font carrément porter la responsabilité aux gouvernements, qui doivent protéger les individus contre l'esclavage:
Les États ont l’obligation de protéger lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme sur leur territoire et/ou sous leur juridiction. Cela exige l’adoption de mesures appropriées pour empêcher ces atteintes, et lorsqu’elles se produisent, enquêter à leur sujet, en punir les auteurs, et les réparer par le biais de politiques, de lois, de règles et de procédures judiciaires.
Les gouvernements nationaux, dont la seule responsabilité consiste à protéger les personnes vulnérables et à dissuader ceux qui s'en prennent à elles, sont des acteurs de premier plan qui, trop souvent, sont absents de la conversation. Par conséquent, nous soutenons qu'une réforme du système de justice publique dans le pays est fondamentale à la protection des enfants contre le travail forcé aux quatre coins du monde.
La théorie du changement de la IJM est simple: lorsque les lois contre l'esclavage et la traite des personnes sont appliquées et que les auteurs de l'esclavage sont traduits en justice, cela a un effet dissuasif. D'autres criminels sont moins susceptibles de commettre le crime. En conséquence, la violence contre les pauvres diminue. En fait, IJM a constaté qu'une poursuite fiable contre la traite en diminue considérablement la prévalence. Dans chacun des programmes de lutte contre la traite des travailleurs d'IJM, la collaboration avec les autorités locales sur des centaines de cas en temps réel apporte un soutien aux forces de l'ordre locales et un soulagement aux victimes tout en permettant de cerner les lacunes et les faiblesses du système judiciaire. Ensuite, IJM met en oeuvre des programmes de réforme du système visant à élargir les capacités des responsables locaux de l'application de la loi, et à renforcer la réponse du système.
J'aimerais vous donner deux exemples qui illustrent les résultats des efforts déployés par IJM pour transformer le système judiciaire. Vous constaterez qu'une réforme du système en collaboration avec d'autres acteurs a permis d'atteindre des résultats tangibles et de réduire la prévalence des enfants exploités dans l'industrie du sexe.
Dans des recherches présentées par le gouvernement cambodgien au début des années 2000, on estimait que la prévalence des mineurs exploités dans l'industrie du sexe atteignait 30 % dans la ville de Phnom Penh. Entre 2004 et 2015, IJM s'est associée au système judiciaire cambodgien pour mener des enquêtes et engager des poursuites dans des affaires de traite d'enfants à des fins sexuelles. Après plus d'une décennie de collaboration, y compris d'efforts déployés par de nombreuses organisations, une étude menée en 2015 par la IJM révélait que la prévalence des mineurs dans les trois principaux marchés sexuels du pays avait chuté à 2,2 %, et que les mineurs de 15 ans et moins ne représentant plus que 0,1 % de l'industrie du sexe. Nous avons été témoins de changements similaires dans nos zones d'opérations aux Philippines.
Après 16 années d'engagement soutenu et de collaboration avec les autorités locales, l'étude de la IJM révèle que la prévalence des enfants exploités dans les établissements du commerce du sexe des régions où nous nous associons aux autorités locales a chuté de 75 à 86 %. Les données indiquent qu'un système de justice public outillé et adapté peut entraîner une diminution du nombre d'enfants exploités dans l'industrie du sexe.
IJM a réalisé des études dans ses zones d'opération générales afin d'évaluer la prévalence de la servitude. Au Ghana, IJM a travaillé avec les autorités locales pour sauver des enfants de l'esclavage dans l'industrie de la pêche sur le lac Volta. Une évaluation opérationnelle menée en 2013 a révélé que 57,6 % des enfants sur les eaux au sud du lac Volta étaient victimes de traite et de travail forcé. La majorité des enfants avaient 10 ans et moins. Lorsqu'on a demandé aux collectivités ghanéennes comment elles pensaient que la traite et le travail forcé pouvaient être enrayés, l'application de la loi était une des solutions les plus fréquemment citées. Même s'il y a encore du pain sur la planche, IJM a vu le gouvernement ghanéen prendre des mesures concertées en 2017 pour lutter contre la traite des enfants sur ce lac et aux alentours.
De plus, IJM se penche sur des cas de travail forcé en Inde depuis le début des années 2000. Pendant cette période, IJM et ses partenaires ont collaboré avec les forces de l'ordre locales pour sauver plus de 15 000 victimes de crimes liés au travail forcé.
Même si la servitude est illégale, une étude de prévalence réalisée en 2014 sur 11 industries de l'État du Tamil Nadu a révélé que 29,9 % des travailleurs manuels étaient asservis. Les taux de servitude les plus élevés ont été trouvés dans les briqueteries, alors que le taux atteint 61,9 % dans les textiles, et 59,2 % dans les carrières de roche.
Les gouvernements et les systèmes de justice publics détiennent ce que les entreprises n'ont pas: le pouvoir coercitif de tenir responsables les auteurs de crimes haineux comme l'esclavage et le travail des enfants. Les gouvernements des pays où l'esclavage sévit ont besoin de notre aide. Ils ont besoin d'un coup de pouce du gouvernement canadien. Nous vous demandons donc d'investir dans les systèmes de justice publics du monde en développement afin de protéger les enfants contre l'esclavage.
L'investissement dans les systèmes de justice publics est conforme aux buts et aux objectifs de la Politique d’aide internationale féministe, selon laquelle le renforcement du système de justice public d'un pays contribue à la défense des droits de la personne, en particulier des femmes et des enfants. De plus, conformément à cette politique, investir dans le système de justice public d'un pays en développement permettra au Canada de poursuivre ses efforts et de contribuer au renforcement des capacités locales. IJM Canada recommande des investissements précis dans des unités de police spécialisée dans la lutte contre la traite de personnes, des procureurs spéciaux et des services d'aide juridique pour les anciens esclaves.
Nous recommandons également que le gouvernement canadien verse 20 millions de dollars canadiens au Global Fund to End Slavery, un fonds mondial pour mettre fin à l'esclavage. Il s'agit d'une organisation à but non lucratif subventionnaire qui contribuera à financer des programmes de lutte contre la traite de personnes et le travail forcé dans les pays où ce crime est le plus répandu.
Grâce à l'apport de gouvernements donateurs et du secteur privé, le fonds cherche à amasser 1,5 milliard de dollars pour financer des programmes de lutte contre l'esclavage. À ce jour, le Royaume-Uni s'est engagé à verser 20 millions de livres, et les États-Unis, 25 millions de dollars américains.
Enfin, dans le cadre d'une intervention holistique, qui comprend la mise en oeuvre des recommandations déjà mentionnées, le gouvernement canadien devrait exiger chaque année qu'il y ait une divulgation publique des pratiques de recrutement et des sources d'approvisionnement de la part des entreprises qui importent des produits susceptibles de venir de l'esclavage, dans des pays où l'esclavage sévit.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci beaucoup.
Nous vous remercions également beaucoup. Vous avez bien calculé votre temps. Merci.
Madame Kennedy, il vous restait environ une minute lorsque la communication a été perdue. Si vous avez d'autres observations pour conclure, vous pouvez peut-être les faire en une minute. Nous allons ensuite passer aux questions, et vous pourrez alors ajouter autre chose à ce sujet.
Oui. J'aimerais surtout parler un peu des entreprises canadiennes et de leurs responsabilités. Je pense qu'elles ont un rôle distinct à jouer dans la réforme des chaînes d'approvisionnement.
Lors de mon voyage en Asie du Sud la semaine dernière, j'ai eu le plaisir d'accompagner les représentants de Lush, une entreprise canadienne de cosmétiques. C'est un exemple remarquable d'entreprise canadienne prospère. Elle met grandement l'accent sur la transparence dans la chaîne d'approvisionnement, de différentes façons, mais de plus en plus pour s'assurer qu'aucun enfant ne travaille. C'était un des objectifs de notre voyage la semaine dernière.
Je félicite les gens de Lush, mais je pense que ce qui arrive entre autres aux entreprises du genre qui maintiennent les normes d'éthique les plus élevées en matière d'approvisionnement, c'est qu'elles sont souvent commercialement désavantagées lorsque d'autres entreprises ne fonctionnent pas de la même façon. C'est également un aspect sur lequel on peut légiférer pour rendre les règles du jeu équitables. D'autres entreprises, contrairement à Lush, seront encouragées à commencer à s'attaquer à ces problèmes compte tenu du risque de sanctions ou de l'obligation de produire des rapports. C'est ici que l'élaboration par le gouvernement du Canada d'une mesure législative exhaustive visant les chaînes d'approvisionnement peut être essentielle pour changer la donne et avoir...
Merci beaucoup, madame Kennedy. Le temps est écoulé. Le temps est toujours notre ennemi aux comités, et mon travail consiste malheureusement à être brutale afin qu'il soit réparti équitablement pour tout le monde.
Allez-y, monsieur Anderson.
Je tiens à remercier les témoins d'être ici, et je veux m'engager dans une direction un peu différente de celle prise selon moi dans certaines des autres questions.
La question s'adresse à vous deux. Quand je regarde vos sites Web, je vois que vous parlez tous les deux de l'exploitation en ligne. Freedom Fund a un article intéressant à propos d'un jeu vidéo créé en Inde pour éduquer les jeunes et les familles, et j'ai remarqué que l'IJMC parle d'un dossier qui a été réglé aux Philippines il y a quelques semaines.
Si vous voulez bien en parler un peu, pouvez-vous me dire comment vous vous attaquez à la traite de personnes quand il est question d'exploitation dans le secteur des services, si l'on peut dire, plutôt qu'une exploitation liée aux produits ou à la main-d'oeuvre. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Je vais laisser les gens d'IJMC répondre. Ce sont les experts dans le domaine de l'exploitation en ligne, surtout aux Philippines.
M. David Anderson: Je vois.
Allez-y.
Je vais situer un peu le contexte.
IJM travaille aux Philippines depuis plusieurs années. Nous nous penchons normalement sur des cas de traite de personnes, habituellement l'exploitation de mineurs et la traite de femmes dans des établissements commerciaux de l'industrie du sexe. Nous avons observé un grand effet dissuasif lorsque les forces de l'ordre sont en mesure de bien intervenir dans ces situations, au point où il y a eu une réduction draconienne de la prévalence des enfants dans l'industrie commerciale du sexe.
Le gouvernement national des Philippines nous a invités à collaborer avec la police nationale des Philippines et d'autres forces de l'ordre locales pour lutter contre l'exploitation sexuelle en ligne des enfants.
Il est toujours important pour nous, entre autres choses, de ne pas oublier que ce sont de vrais enfants qui se font exploiter en temps réel par des contrevenants qui se trouvent derrière la caméra. Très souvent, ces contrevenants réalisent la vidéo des mauvais traitements. C'est diffusé en direct. Ils saisissent les images et les enregistrent très souvent sur leur ordinateur portable. Les images peuvent être diffusées en direct à plusieurs contrevenants dans beaucoup de pays. Dans les dossiers auxquels IJM s'est attaqué, les mauvais traitements ont très souvent été transmis vers des pays occidentaux. Le Canada, les États-Unis, l'Europe et l'Australie en font souvent partie.
Monsieur Anderson, vous avez fait allusion au cas d'un homme de la Saskatchewan âgé de 27 ans qui exploitaient des enfants en ligne aux Philippines. Il a fait l'objet d'une enquête de la GRC, et des images de ces enfants aux Philippines ont été trouvées sur son ordinateur personnel. Le dossier a été renvoyé aux autorités philippines.
IJM, en collaboration avec les forces de l'ordre locales, a été en mesure de sauver neuf enfants âgés de deux à neuf ans. Ils sont actuellement en sécurité dans des maisons de suivi. C'est l'homme de la Saskatchewan qui les a exploités en ligne. Il a été condamné à une peine de prison de 12 ans, la plus longue, je crois, à avoir été infligée en Saskatchewan dans une affaire où il n'y a pas eu de contact. Auparavant, la peine la plus longue qui avait été infligée était de huit ans.
Pouvez-vous alors nous donner une idée de la façon dont vous intervenez dans ce genre de scénario? Vous avez une organisation aux Philippines. À quel moment intervenez-vous? Est-ce que la police vous appelle? Comment êtes-vous mis au courant?
Notre rôle consiste essentiellement à fournir un soutien logistique et tactique à la Police nationale des Philippines. Compte tenu de notre longue tradition d'engagement auprès des forces de l'ordre locales pour lutter contre toutes sortes de crimes, nous avons acquis une certaine expertise quant à la façon d'organiser une intervention et de protéger les preuves. Nous aidons les autorités locales à renforcer leurs capacités.
Nous ne cherchons aucunement à supplanter ou à remplacer les forces de l'ordre locales responsables de l'application des lois du pays, mais grâce à notre expérience internationale et aux ressources policières à notre disposition, nous pouvons servir aux côtés de la police des Philippines. De façon similaire, nous aidons également la police locale et nationale indienne à intervenir dans les cas de servitude pour dettes et de travail des enfants.
Avez-vous recours à vos connaissances sur les chaînes d'approvisionnement dans un cas comme celui-ci? Trouvez-vous des parallèles ou des endroits...
Au cours des dernières séances du Comité, nous avons beaucoup parlé des chaînes d'approvisionnement. Je me demande juste s'il y a des parallèles entre la façon dont vous pouvez lutter contre l'exploitation ailleurs et la façon dont vous le faites ici.
Je pense qu'il y a deux réponses à votre question.
La première renvoie au domaine d'expertise d'IJM, à savoir l'effet de dissuasion créé lorsque des lois sont en vigueur. Il n'est pas nécessaire de tenir responsable chaque personne qui exploite des enfants devant l'écran ou derrière la caméra; il faut juste tenir responsable un nombre suffisant de personnes pour dissuader celles qui pourraient être tentées de commettre le même crime.
C'est depuis longtemps notre théorie du changement, à savoir que le nombre de cas d'exploitation diminuera lorsqu'il y aura une dissuasion crédible, lorsque des lois seront appliquées. Il y a beaucoup de lois en vigueur, mais lorsqu'elles ne sont pas appliquées, elles deviennent essentiellement des tigres de papier. Elles semblent épeurantes, mais n'ont aucun effet.
L'idée est de donner du mordant aux lois.
Les peines de 12 ans devraient dissuader quelques personnes.
Madame Kennedy, je pense que votre site Web dit que 13 522 personnes ont été libérées grâce au travail de votre organisation. À quoi ressemble la situation de ces personnes? De nombreuses personnes migrent ou se déplacent pour tenter d'améliorer leur vie. Parmi elles, certaines réussissent, tandis que les autres finissent par se faire exploiter. À quoi la situation ressemble-t-elle? Qu'entendez-vous lorsque vous dites que 14 000 personnes ont été libérées et mènent une vie différente?
Vous avez raison de dire que c'est une migration économique, car ces personnes quittent des villages désespérément pauvres pour se rendre dans un pays voisin. Prenons l'exemple d'un Cambodgien qui se rend en Thaïlande ou d'un Éthiopien qui se rend au Moyen-Orient. C'est souvent la raison pour laquelle les gens se retrouvent dans des situations d'exploitation comme l'esclavage ou la servitude pour dettes. Le processus de recrutement est vraiment essentiel pour prévenir ces situations.
Notre travail varie selon le pays. Au centre du Népal, nous tentons d'extirper des filles prépubères de l'industrie du sexe. Au Tamil Nadu, nous essayons d'aider des filles et de prévenir leur exploitation, leur servitude pour dettes.
La libération diffère à chaque endroit. Pour qu'elle soit durable, il faut veiller à ce que les victimes se rétablissent convenablement après le traumatisme, et nous avons ensuite des vocations durables à leur proposer pour éviter qu'elles ne redeviennent victimes de la traite ou qu'elles soient susceptibles de le redevenir.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Petra, Ed, vous ne comparaissez pas en personne comme la dernière fois, mais je suis tout de même heureux de vous revoir au Comité. Merci de tout le travail que vous faites. Nous avons manifestement un lien étant donné que votre bureau se trouve à London. À vrai dire, c'est là que je veux commencer.
Si je peux me permettre, j'aimerais demander ce qui suit à Petra et à Ed. Nous voyons un lien évident entre l'esclavage moderne et la pauvreté. Il est plutôt facile de faire le lien, mais lorsqu'on examine davantage la question, on constate qu'une société pauvre n'est pas automatiquement victime de l'esclavage moderne.
Je me demande si vous pouvez vous pencher sur d'autres aspects bien enfouis dans la structure sociale, comme les castes, le sexe et, peut-être plus particulièrement pour IJM, le système judiciaire.
Petra, dans votre exposé, vous avez même établi un lien entre une approche féministe du développement international et les programmes d'accès à la justice. Comme c'est le domaine de compétence d'IJM, je me demande si vous pouvez parler plus précisément de cet élément de la structure sociale.
Pour régler ces problèmes, nous pourrions reproduire dans la loi canadienne ce qui s'est fait au Royaume-Uni avec la Modern Slavery Act et examiner très attentivement les chaînes d'approvisionnement pour assurer un approvisionnement éthique. Cependant, cela ne représenterait qu'un seul pas — à vrai dire, un petit pas — vers l'objectif qui est de s'attaquer sérieusement au problème de l'esclavage moderne.
Je vous prie d'aborder la question de l'accès à la justice d'un point de vue féministe, si vous le pouvez.
Je vais répondre à votre question en premier, monsieur Fragiskatos.
Notre travail s'appuie sur la conviction que les pauvres n'ont pas accès à la justice. Ils ne sont donc pas protégés de la même façon que ceux qui ont de meilleures ressources financières. La vérité, c'est que c'est très souvent les membres des minorités des pays où nous menons des activités et ceux qui ont le moins de pouvoir qui souffrent le plus. Dans de nombreuses sociétés, les femmes et les enfants comptent certainement parmi les plus vulnérables. Notre travail vise à ce que tous les membres d'une société, même ceux qui ont le moins de pouvoir, puissent jouir de la protection que la loi devrait leur offrir.
Il nous arrive très souvent de travailler auprès de minorités. Par exemple, en Inde, nous constatons que la majorité de nos clients sont membres d'une caste, d'une tribu répertoriée, mais c'est à cause de leur pauvreté, qui est attribuable à des raisons sociales, à des coutumes, qu'ils ne sont pas protégés par la loi.
Nous voyons qu'à chaque endroit où nous pouvons former des coalitions d'organismes qui ont les mêmes objectifs que nous et qui sont aussi préoccupés que nous, tous les membres de la société, même les plus démunis et les plus vulnérables, peuvent jouir d'une protection.
Au fil du temps, nous avons constaté, dans des pays comme le Cambodge et les Philippines... Au Cambodge, par exemple, une grande partie des victimes d'exploitation sexuelle sont membres de la minorité vietnamienne. Comme je l'ai déjà dit, le travail que nous faisons a un aspect social et ethnique.
Dans le Nord de la Thaïlande, notre travail vise à faire en sorte que les membres des tribus montagnardes et des minorités reçoivent la citoyenneté à laquelle ils ont droit comme les autres personnes nées au pays.
Quels que soient les aspects sociaux, ethniques ou culturels, le point commun est toujours la pauvreté, et les pauvres ne jouissent malheureusement pas de la protection juridique à laquelle ils ont droit.
Je vais moi aussi ajouter quelque chose, monsieur Fragiskatos, à savoir que les lois sont normatives et que lorsqu'elles sont appliquées uniformément et également dans les milieux riches et pauvres, parmi les nantis et les moins bien nantis, elles peuvent transformer une société.
J'ai remarqué qu'une partie de votre question portait sur la façon de transformer une société. Je pense que c'est l'application uniforme d'une loi qui permet de transformer entièrement une société.
Je vais prendre un instant pour donner un exemple de la façon dont cela se déroule dans notre propre culture. Il y a 10 ans, on pouvait texter au volant. C'est maintenant illégal, et il y a des sanctions pour les contrevenants. Par conséquent, la majorité des membres de notre société ne texte plus au volant. À vrai dire, ce n'est pas bien vu.
Merci beaucoup.
Pouvez-vous revenir au lien que vous avez établi entre une approche féministe du développement international et l'accès à la justice? Pouvez-vous nous donner un autre petit avant-goût?
Je vais attirer l'attention du Comité sur la politique proprement dite. Comme vous le savez, il y a un certain nombre de champs d'action. Selon le cinquième qui porte sur la gouvernance inclusive, l'une des priorités est le respect de la primauté du droit. Un passage de la politique est très pertinent selon nous.
Une réforme du système judiciaire s’avère aussi nécessaire pour que les femmes et les filles aient un accès égal à la justice, y compris une protection égale de leurs droits de la part des institutions de l’État représentées par les policiers, les procureurs [...] et les tribunaux. [D]es mesures spéciales pourraient être nécessaires pour protéger et soutenir les défenseurs des droits des femmes qui sont la cible continuelle de gestes d’intimidation, de violence et d’agression.
On ne peut aspirer à une véritable justice pour les survivantes de violence sexuelle et sexiste lorsque les coupables ne sont pas tenus responsables.
C'est une description très appropriée du rôle qu'International Justice Mission joue dans une société, à savoir faire en sorte que les membres les plus vulnérables de la société, qui sont malheureusement souvent des femmes et des enfants, aient un accès égal à la justice et jouissent également de la protection de la loi.
Merci beaucoup.
La dernière question est pour Mme Kennedy.
Êtes-vous d'accord, madame Kennedy, pour dire que compte tenu du pouvoir de démocraties comme le Canada, il est approprié et important d'adopter une loi comme la Modern Slavery Act du Royaume-Uni? Au Canada, pourrions-nous proposer une mesure qui s'inspire de cette loi et d'autres approches adoptées aux Pays-Bas, en France, en Australie et en Californie? C'est une partie relativement petite de la solution globale. Pour vraiment s'attaquer à la question et avoir une politique étrangère ciblée, une politique de développement ciblée, il faut régler le problème de l'esclavage moderne, car ce problème découle de la structure sociale — les castes, le sexe, l'accès à la justice — et de nombreux autres problèmes.
Partagez-vous ce point de vue?
Madame Kennedy, vous devrez noter la question. Je suis désolé — et je comprends si vous vous sentez ciblée injustement —, mais le temps est encore une fois écoulé. Un autre député pourrait vous laisser revenir à la question pour y répondre.
Mme Hardcastle est la prochaine intervenante.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de toutes leurs observations.
Au bout du compte, nous devons faire des recommandations sur le rôle que pourrait jouer le gouvernement et ce que nous pourrions faire. D'autres témoins nous ont parlé de l'importance de la transparence dans la chaîne d'approvisionnement. Il en a été un peu question aujourd'hui avec l'exemple qu'a donné Kate sur son expérience de voyage avec une entreprise de produits cosmétiques. Les représentants d'IJM ont aussi parlé de l'importance de l'application de la loi.
Concernant ces derniers, je suis très curieuse de savoir ce que vous pouvez me dire. Vous aviez des pratiques exemplaires, de toute évidence, d'après les exemples de réalisations dont vous avez parlé, en particulier le cas du Cambodge et, je crois, celui des Philippines. Je pense que Petra a dit également que vous demandiez au gouvernement du Canada d'investir dans les systèmes de justice publics.
J'aimerais que chacun de vous nous parle de certaines des occasions que nous ne saisissons pas actuellement en tant que gouvernement — je ne parle pas seulement de la transparence dans la chaîne d'approvisionnement, mais de l'idée de peut-être même inclure dans le texte principal des futurs accords les accords parallèles qui sont conclus actuellement dans le cadre de nos accords commerciaux. J'aimerais en savoir plus à ce sujet.
Merci.
Très brièvement, et je parlerai de certaines des autres questions également, l'aide et le commerce ainsi que le contrôle frontalier sont des éléments vraiment essentiels, mais le Freedom Fund estime certainement que le moyen de rejoindre tôt certaines des personnes dont j'ai parlé, celles qui font partie de la chaîne d'approvisionnement, c'est l'adoption de mesures législatives visant les chaînes d'approvisionnement. De plus, nous croyons que le mouvement global permet aux multinationales de divulguer des renseignements cohérents et de s'engager davantage à respecter les mesures à l'échelle globale. Nous faisons une déclaration très claire. Nous pensons que c'est la meilleure chose que pourrait faire le Canada présentement.
Je vais m'arrêter ici. Je sais que le temps est limité.
International Justice Mission insiste constamment sur l'importance d'investir dans la création de systèmes d'application de la loi locaux et nationaux. Je crois que nous sommes capables de défendre ce type d'investissements en nous appuyant sur ce que nous avons accompli au Cambodge et aux Philippines. Nous sommes convaincus que cela renversa la vapeur concernant des problèmes comme le travail des enfants, le travail forcé et la violence sexuelle contre les femmes et les enfants. Nous menons ces efforts dans d'autres régions du monde également.
Selon notre étude, les organismes de développement international, dont des gouvernements donateurs, n'investissent pas beaucoup plus que 1 % de l'aide totale destinée au renforcement des systèmes de justice. Nous croyons que nous aurons un bien meilleur rendement de nos investissements dans d'autres secteurs si nous sommes prêts, en tant qu'organismes et gouvernements donateurs, à renforcer les systèmes d'application de la loi locaux. Souvent, il s'agit simplement d'offrir de la formation et des ressources ou de former les policiers dans ces pays, qui souvent, sont peu scolarisés et peu payés, mais qui réagiront bien à la nécessité d'intervenir au nom des pauvres dans leur pays si on les encourage et les aide.
Concernant l'investissement dans les systèmes de justice locaux, prévoyez-vous que les capacités seront renforcées au point où ils pourront imposer le respect des règles, par exemple, sur la conduite des entreprises au pays ou à l'étranger? Comment voyez-vous les choses à cet égard? Qui légifère sur la conduite des entreprises? Concernant l'accès des entreprises aux biens et aux services, à qui la responsabilité appartient-elle? Est-ce qu'il incombe au gouvernement de s'assurer que cela ne se fait pas ou qu'il y a un équilibre, par exemple? Je me demande seulement comment les choses fonctionnent lorsque nous parlons de l'activité économique locale et de l'activité économique qui vient de l'étranger et d'un autre pays.
Je crois que les mesures législatives sur les chaînes d'approvisionnement — la Modern Slavery Act d'abord et les mesures adoptées en Australie par la suite —, nous permettent de confier la responsabilité aux entreprises pour chaque maillon des chaînes d'approvisionnement, y compris la filature du coton, dont nous avons parlé plus tôt. Elles font rapport au gouvernement, et les gouvernements ont l'occasion de créer des sanctions à cet égard si le rendement est mauvais. J'espère que cela répond à votre question.
Nous devons vraiment créer un environnement qui pousse les entreprises à la sensibilisation lorsqu'il y a des enfants et des cas d'exploitation graves comme de l'esclavage dans les chaînes d'approvisionnement qui créent les produits qu'elles vendent au Canada.
Nous sommes d'accord avec Mme Kennedy. En plus de l'adoption d'une politique ou d'une loi sur la chaîne d'approvisionnement, les gouvernements — et, par conséquent, les forces policières — demeurent les seules entités ayant un pouvoir de coercition. Ce sont les seules entités qui peuvent empêcher un délinquant, un trafiquant d'exploiter des enfants dans la chaîne d'approvisionnement. Voilà pourquoi nous croyons qu'investir dans le système de justice public constitue un élément clé.
Merci, monsieur le président.
Je vais revenir à la question du député Fragiskatos à laquelle vous n'avez pas pu répondre, madame Kennedy. Je vais essayer de répéter ce qu'il a dit.
La France et le Royaume-Uni ont adopté des mesures législatives, mais cela ne couvre qu'un aspect du problème. L'adoption d'une loi, c'est le début, mais dans ces pays qui ont de grands problèmes sur le plan du travail incluant l'esclavage moderne, comment nous assurer — Petra, vous avez parlé des pouvoirs de coercition — que, sur le terrain, les organismes d'application de la loi, les ONG et les groupes de femmes transforment la société et veillent à ce que la loi soit appliquée?
L'esclavage est un crime extrêmement complexe qui requiert, en fait, un changement systémique. Il n'y a pas de solution miracle. Aucune réforme ne changera la situation.
L'aide canadienne doit jouer un rôle dans le cadre de programmes de développement économique et l'accès au capital qui permet aux gens de ne pas s'endetter, ce qui est souvent à l'origine en bonne partie de la migration économique. L'aide canadienne est essentielle sur ce plan.
De plus, pour revenir à la question posée plus tôt au sujet du rôle des femmes, comme l'a déjà dit IJM, les femmes et les filles sont touchées de façon disproportionnée par l'exploitation et l'esclavage sous toutes ses formes. Par ailleurs, selon l'expérience que nous avons acquise sur le terrain, le rôle des femmes et des filles consistant à être des activistes, à aider d'autres femmes à ne pas vivre les mêmes choses et à aider des groupes d'adolescentes menés par des pairs à devenir des groupes d'activistes menés par des survivantes dans des ONG sur le terrain est également vraiment essentiel. Cela fait partie du changement systémique qui doit se produire pour faire en sorte que l'ensemble du système change.
Un des éléments essentiels de notre programme, qui à mon avis répondra à votre préoccupation, monsieur Tabbara, c'est le fait que nous sommes déterminés à nous assurer que tous nos clients ont l'aide qu'il faut pour être en mesure de subvenir à leurs besoins de façon durable afin qu'ils ne se retrouvent pas de nouveau dans une situation où ils sont exploités. Encore une fois, c'est mené en partenariat avec des organismes sociaux locaux et d'autres groupes de la société civile. Nous avons pris un engagement de deux ou cinq ans pour permettre à chaque personne d'acquérir une plus grande indépendance et de subvenir à ses besoins afin de rester libre et indépendante.
Comme je le disais, je pense que cela témoigne de l'importance qu'a la transformation de la société dans ces situations si nous voulons que les collectivités s'épanouissent comme nous le souhaitons.
Il me reste peu de temps.
Je sais que nous nous concentrons sur la question du travail des enfants, et c'est le sujet de notre étude en général, mais des témoins ont également dit qu'il fallait examiner la cellule familiale, le fait que les parents ont des emplois peu rémunérés, et il y a un cycle en quelque sorte.
Pouvez-vous faire de très brèves observations là-dessus?
Je vais demander à Mme Kooman de répondre.
Il y a une étude qui n'a pas été menée par IJM, mais qui a confirmé ce que nous avons constaté, c'est-à-dire que souvent, des enfants sont recrutés par des familles, surtout dans l'industrie de l'esclavage en Asie du Sud. Leurs parents sont recrutés et, par conséquent, parce que des enfants peuvent accroître la productivité, on les recrute avec les parents. Toute la famille se retrouve donc dans une situation d'esclavage.
Merci beaucoup, monsieur Tabbara.
Je céderai la parole à M. Anderson, mais je vais faire une chose un peu différente et poser une question. Je vais la poser à Mme Kennedy, mais elle porte sur International Justice Mission.
Je siège à ce comité depuis presque 12 ans, et j'ai eu des révélations sur un certain nombre de choses. L'une d'entre elles, c'est lorsque leurs homologues américains ont publié un livre intitulé The Locust Effect. C'était au sujet du fait que si l'on fournit de l'aide sans assurer la sécurité, alors parfois une partie ou la totalité de l'aide est perdue étant donné que des gangsters la prennent.
Quel est votre point de vue à cet égard concernant l'établissement d'un équilibre entre l'aide et la sécurité et l'application de la loi?
Je dirais tout d'abord que la traite des personnes est une activité criminelle. Selon les estimations, elle génère des profits de 150 milliards de dollars par année, de sorte qu'il y a un échange d'argent avec les recruteurs. L'une des conditions préalables à l'esclavage dont nous avons parlé, c'est la corruption. En fait, si l'on examine l'indice de corruption dans les pays où l'on pratique le plus l'esclavage, on voit un énorme parallèle entre les deux.
Souvent, il y a des activités criminelles dans les endroits où l'on pratique l'esclavage, de sorte que des mesures de sécurité doivent être prises pour les investissements. Je crois que c'est essentiel.
Merci, monsieur le président. Je suis ravi d'avoir cette possibilité.
J'aimerais poursuivre. Il y a eu deux ou trois questions sur les moyens de subsistance durables et ce genre de questions, et la sécurité.
Du côté du Freedom Fund, vous avez dit avoir un certain nombre de partenaires. Avez-vous établi des partenariats visant à encourager des entrepreneurs? Il s'agit en très grande partie d'une question économique, et c'est à l'origine de tellement d'autres problèmes dont nous parlons aujourd'hui. Avez-vous des partenaires ayant des compétences en microfinancement ou en gestion d'entreprise, par exemple? Les représentants d'IJM voudront peut-être répondre à la question également. Pourriez-vous nous en dire un peu à ce sujet? Voyez-vous cela comme une solution?
Oui, nous considérons assurément l'accès à un capital bon marché comme une solution. Dans certains cas, il s'agit de créer une formation professionnelle durable. Il peut s'agir d'enseigner la couture ou quelque chose qui est viable dans une région pour permettre à une personne d'avoir un gagne-pain, mais dans d'autres cas, il s'agit d'entrepreneuriat social ou de donner accès à du capital pour la création de petites entreprises.
Pas plus tard que la semaine dernière, dans le Sud de l'Inde, j'ai vu entre autres une merveilleuse ONG donner à des femmes un accès à l'acquisition de petites entreprises. L'une d'entre elles est liée aux fruits et au coton. Par exemple, l'une d'entre elles est liée au marché des mangues. Un très petit investissement leur a permis d'acheter des mangues, de les sécher et de les vendre sur le marché. Elles ont alors pu se sortir de situations d'exploitation dans des filatures de coton et ainsi se bâtir un avenir.
L'objectif, c'est de rembourser la dette. Le taux d'intérêt local dépassait 25 %, ce qui était très élevé. En six mois, elles payaient leurs dettes, augmentaient leurs activités et employaient un plus grand nombre de filles.
Parmi les possibilités qu'offre un environnement comme celui-là, on peut avoir accès à un capital à moindre coût pour créer ce type d'activités de sorte qu'on peut aller plus vite et ne pas crouler sous les dettes.
Nous investissons assurément dans des organisations sur le terrain qui trouvent des solutions novatrices pour donner accès au capital à moindre coût pour la création...
Je vais manquer de temps très bientôt.
Prenez-vous des mesures pour les intégrer dans les chaînes d'approvisionnement? Est-ce qu'il s'agit simplement pour ces personnes de créer des entreprises pour ensuite s'y intégrer naturellement, ou avez-vous des programmes visant à les intégrer dans les chaînes dont nous parlons, de sorte qu'au bout du compte, elles peuvent mener les activités liées à l'approvisionnement?
C'est une question très intéressante. La semaine dernière, nous discutions avec un groupe de femmes pour savoir si elles aimeraient acheter une filature de coton dans une région de l'Asie du Sud. Cela signifierait un investissement direct. Je ne suis pas en mesure de donner des exemples d'achat d'entreprises précis au sein de la chaîne d'approvisionnement actuelle, mais c'est une très bonne voie à examiner, et de l'aide canadienne pourrait y être investie.
J'allais mentionner qu'un des volets du cadre dans lequel nous travaillons en Inde correspond à l'application de la loi de 1976 sur le travail servile, qui définit les circonstances dans lesquelles un individu est un travailleur asservi. Au sujet de cette loi, il y a une disposition sur l'aide de réadaptation versée à des gens qui ont été libérés d'une situation de servitude.
Nous avons aidé des personnes à bien gérer les fonds que le gouvernement indien leur a donnés pour qu'elles puissent les investir dans leur propre entreprise. Des gens ont été sauvés, pour ainsi dire, d'une situation de servitude dans une briqueterie et ont établi leur propre briqueterie.
Je crois que ce que nous espérons montrer en partie, c'est que les gens libres produisent plus que les gens traités en esclaves. Je pourrais en dire davantage là-dessus, mais je pense que cette observation suffira.
Merci beaucoup.
Il nous reste environ deux minutes. Y a-t-il d'autres questions du côté des libéraux?
Je vous remercie de mettre l'accent sur la gouvernance. Lorsque je travaillais au Bangladesh, je conseillais les comités parlementaires là-bas. Le comité des femmes s'intéressait beaucoup à la question des enfants et du travail des enfants et aux mesures que pouvait prendre le Parlement, d'abord sur le plan législatif, mais aussi sur le plan de la surveillance parlementaire.
Ce programme a été financé par les Pays-Bas, mais s'agit-il d'un exemple où des pays comme le Canada pourraient axer leurs efforts non seulement sur le système judiciaire ou l'organe exécutif du gouvernement, mais aussi sur la surveillance parlementaire quant à la mise en oeuvre des lois?
Je crois que oui. Ces dernières années, nous avons eu de très bonnes expériences. Des juges des cours supérieures du Canada sont allés en Bolivie assez fréquemment pour former les juges dans ce pays, mais nous en sommes au point où nous savons que la prochaine étape du processus de changement que nous menons, c'est de présenter des législateurs canadiens à des législateurs boliviens de sorte que le principe fondamental de l'indépendance judiciaire soit affirmé et renforcé par les législateurs, plutôt que d'être seulement quelque chose que les juges de la Bolivie souhaitent.
J'en conviens tout à fait.
Oui. Je disais seulement qu'il est essentiel de renforcer la participation des gouvernements concernant les victimes de la traite des personnes, tant dans les pays d'origine que dans les pays de destination. Je crois que les législateurs ne sont pas assez mobilisés alors que cela pourrait vraiment favoriser une plus grande participation des gouvernements.
Au nom du Comité, je remercie beaucoup les témoins de leur présence et de leur témoignage. Surtout, je vous remercie beaucoup d'aider les plus démunis et les gens vulnérables. Vous faites de l'excellent travail. J'admire grandement vos deux organismes, et je veux simplement vous remercier énormément de ce que vous faites.
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