Bienvenue à la séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Nous recevons aujourd'hui M. Félix Tshisekedi, chef élu de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de la République démocratique du Congo, dont il était candidat à la présidence en mars 2018.
L'UDPS est un chef de file d'une alliance globale d'opposition fondée en juin 2016 du nom de Rassemblement congolais pour la démocratie, dont M. Tshisekedi est également le dirigeant.
M. Tshisekedi succède à son père, Étienne Tshisekedi, qui a fondé l'UDPS et dirigé le Rassemblement jusqu'à sa mort, le 1er février 2017. M. Félix Tshisekedi a dirigé la délégation du Rassemblement au cours de la négociation de l'accord de la Saint-Sylvestre en vue de tenir des élections en 2017.
Je n'en dirai pas plus en guise de présentation, car je pense que nous voulons profiter de chaque minute que nous passons avec notre témoin.
Monsieur Tshisekedi, vous pouvez peut-être prendre 10 ou 12 minutes pour nous fournir des renseignements, après quoi nous passerons aux questions des membres du Comité, dont je sais qu'ils sont impatients de vous interroger.
Merci beaucoup.
Vous pouvez faire votre exposé.
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Mesdames et messieurs, merci de votre invitation et de l'intérêt que vous manifestez envers la situation de mon pays, la République démocratique du Congo.
Je suis ici pour vous faire part d'une situation assez alarmante qui domine dans mon pays. Cette année est une année électorale, mais cette dernière a été obtenue à la suite de beaucoup de pression de la part de la communauté internationale. Nous vous en remercions, car c'est grâce à cette pression que nous en sommes là. En fait, pour que notre pays soit conforme à la Constitution, nous aurions dû avoir ces élections en 2016, mais elles n'ont pu avoir lieu à cause d'un individu, M. Joseph Kabila, qui veut désespérément s'accrocher au pouvoir. Il ne veut absolument pas quitter le pouvoir et ainsi favoriser, pour la première fois de l'histoire du pays, une alternance démocratique. Mon pays n'a connu que des coups d'État et des prises de pouvoir par la force.
Comme je l'ai dit, le processus électoral qui est en cours a été obtenu grâce à la pression exercée par la communauté internationale, les États-Unis en tête. Après son passage à Kinshasa, Mme Nikki Haley, qui est l'ambassadrice américaine à l'Organisation des Nations unies, ou ONU, a réussi à obtenir un calendrier électoral de la commission électorale qui organise les élections. Ce calendrier est la feuille de route qui devrait nous mener aux élections à la fin de cette année, soit le 23 décembre 2018, mais ce processus est malheureusement entaché de beaucoup d'irrégularités.
La première irrégularité, c'est ce qu'on a appelé « la machine à voter ». C'est une machine électronique que le pouvoir a décidé d'introduire dans le processus électoral, en faisant fi de la loi électorale qui interdit l'utilisation de l'électronique. L'article 237 de notre loi électorale interdit l'utilisation de la machine. Cette machine électorale a été fabriquée par une firme sud-coréenne, et le gouvernement sud-coréen a officiellement condamné ladite firme et lui a interdit de fournir ces machines à la République démocratique du Congo.
Finalement, la firme en question a contourné la loi de son pays et a envoyé la licence de fabrication de cette machine en Argentine, là où on risque de monter ces machines et de les envoyer en République démocratique du Congo. Le premier objectif est donc d'empêcher l'utilisation de la « machine à voter », que le peuple congolais a rebaptisé « la machine à tricher » lors du processus électoral.
La deuxième irrégularité est liée au fichier électoral. En ce moment, une mission d'experts de l'Organisation internationale de la francophonie, ou OIF, se trouve à Kinshasa. Ce groupe d'experts a déniché, dans le fichier électoral, plus de 8 millions d'électeurs qui ne sont pas en règle, c'est-à-dire de faux électeurs, des personnes dont ni la photo ni les empreintes ne figurent au fichier électoral. Quand on connaît les pratiques en cours dans le régime de la République démocratique du Congo, nous pouvons très rapidement faire le lien avec ce qui s'est déjà passé auparavant, lors des élections de 2011, c'est-à-dire la fabrication d'une fausse base de données et de bureaux fictifs qui vont servir, à un moment donné, à contrebalancer les vrais résultats en vue de faire gagner le candidat Joseph Kabila.
La troisième raison de nos inquiétudes, c'est la Cour constitutionnelle. C'est cet organe de justice suprême qui, le moment venu, va interpréter la Constitution. En ce moment, M. Kabila a des velléités de se représenter une troisième fois, contrairement à ce qu'autorise la Constitution. La Cour constitutionnelle, aujourd'hui, a été totalement manipulée et reconfigurée à la taille de ce que veut voir M. Joseph Kabila. Aujourd'hui, elle n'est composée que de ses amis, dont un ancien conseiller de M. Kabila, qui est un nouveau juge, et un avocat de M. Kabila.
Lorsque M. Kabila va déposer sa candidature, en juillet prochain, celle-ci sera rejetée par la Commission électorale, mais immédiatement avalisée par la Cour constitutionnelle, qui, comme je vous l'ai dit, n'est composée que de ses amis. Voici en gros la situation alarmante à laquelle doit faire face notre pays. Parallèlement à cela, nous avons aussi des problèmes de sécurité. En plein centre du pays, dans le Kasaï, nous vivons une grave crise humanitaire, que la communauté internationale a tenté de résorber. Là encore, le gouvernement congolais a refusé l'aide de la communauté internationale, et il a ainsi laissé mourir des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, surtout, dans les forêts.
Il y a également la crise en Ituri. On a parlé de deux communautés qui s'affrontaient, mais en réalité, c'est encore là les gens au pouvoir qui exacerbe les tensions. Le but est évidemment de multiplier ces foyers de tension partout au pays afin qu'il soit impossible d'organiser les élections en temps utile.
Enfin, il y a la résurgence de la fièvre causée par le virus Ebola, qui, comme un coup du sort, donne au pouvoir un prétexte supplémentaire pour ne pas organiser d'élections. Là aussi, nous avons des raisons de croire que le cynisme des gens au pouvoir va facilement les amener à invoquer cette maladie pour ne pas organiser d'élections.
C'était là un triste aperçu de la situation politique, qui, malheureusement, est accompagnée d'une situation sociale tout aussi désastreuse. En effet, la situation économique et le contexte politique désastreux font que beaucoup de corps de métiers sont en grève, dont les fonctionnaires, les médecins et même les transporteurs.
Je suis à votre disposition si vous voulez me demander des précisions. Je vous remercie de votre attention et j'attends vos questions.
Merci.
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Les observateurs ne sont pas encore venus, mais il commence déjà à se faire tard. Ils doivent être là maintenant, parce que, comme je vous l'ai dit, il y a ce problème du fichier électoral qui comporte énormément d'irrégularités. S'il n'y a pas d'observateurs pour observer la situation concernant ce faux fichier qu'on a introduit dans la base de données, des électeurs risquent de servir demain à contrebalancer ces résultats.
J'aimerais préciser que c'est à partir de ce fichier que l'on vote la loi sur la répartition des sièges à l'assemblée. Vous vous imaginez bien que 8 millions de faux électeurs, cela peut influencer la répartition de ces électeurs. D'ailleurs, chose curieuse, alors que le fichier comporte encore des irrégularités, le gouvernement ou le Parlement a déjà voté une loi sur la répartition des sièges. La répartition des sièges que nous avons en ce moment est totalement faussée parce que le fichier sur lequel elle est basée est totalement faux.
C'est maintenant que les observateurs doivent être là, tant pour voir cela que pour ce qui concerne le manque de liberté. En ce moment, nous ne pouvons pas circuler librement, contrairement aux partisans de M. Kabila, qui, eux, sillonnent toute la République pour clamer haut et fort que leur candidat se présentera à nouveau pour un troisième mandat. Quant à nous, nous n'avons pas la possibilité d'aller et venir comme eux dans la République.
La première chose, c'est déjà de nous aider, de concert avec la communauté internationale, à tout faire pour empêcher l'utilisation de la machine à voter. La loi interdit cela et même le calendrier électoral ne prévoit pas l'utilisation de cette machine. Le calendrier électoral fait allusion à la commande des bulletins de vote traditionnels et à l'impression de ces bulletins. Il faut déjà nous obtenir cela coûte que coûte.
En ce qui concerne le fichier électoral, par ailleurs, nous souhaitons que le Canada envoie une mission d'experts afin de remplacer celle qui est actuellement en République démocratique du Congo.
Je m'explique. Ce n'est pas par manque de confiance envers la mission d'experts qui est là-bas. Je voudrais simplement vous donner un exemple de la manière dont ces experts travaillent. Imaginez-vous qu'ils viennent de dire — parce que ce sont eux qui nous ont fourni ces conclusions —, qu'il y a 8 millions de faux électeurs. Toutefois, leur conclusion est totalement étonnante, parce qu'ils disent que, malgré cela, le fichier électoral reste inclusif et qu'il y a moyen de participer quand même aux élections. Vous voyez que c'est bizarre.
Après avoir pris nos renseignements, nous avons remarqué que ce sont toujours les mêmes experts qui reviennent et qui sont invités par le général Sangaré. Je n'ai pas de raison de douter de ces personnes, à priori, parce que je n'ai pas de preuves, mais je pense quand même que cette habitude de faire revenir tout le temps les mêmes gens comme experts de l'OIF en République démocratique du Congo a fait en sorte que des relations se sont créées avec les représentants du régime au pouvoir qui font que M. Sangaré est devenu plutôt gentil à leur égard.
Puisqu'il est membre de l'OIF, le Canada pourrait donc, par exemple, envoyer une délégation d'experts et demander à l'OIF qu'on remplace la délégation actuelle par des Canadiens qui se rendraient au pays. Ce serait de nouvelles personnes qui ne connaissent pas les gens appartenant aux partis et qui pourraient faire leur travail en toute objectivité.
Vous avez parlé de la formation des témoins. Nous y tenons. Si vous pouvez prendre une décision à cet égard le plus tôt possible, ne serait-ce que de nous aider à former les formateurs de témoins, nous pourrons aller de l'avant. Ainsi, nous ferons peut-être le reste, en allant à l'intérieur du pays pour former à notre tour les témoins, après la formation que nous aurons reçue de vous. C'est important de surveiller le processus dès maintenant, avant qu'il ne commence. La grande bataille sera liée à la surveillance pendant le processus et, surtout, après.
Vous avez de l'expérience en ce qui concerne la République démocratique du Congo. Vous avez vu comment ils nous ont volé notre victoire, en 2011. C'était après les élections, au moment de la transmission des résultats, que tout s'est joué. Vous savez qu'on a détruit des bulletins de vote par caisses entières. C'est ce que nous essayons d'empêcher cette fois-ci. Si nous avons des témoins qui peuvent nous obtenir les résultats le même jour, même si après, les bulletins sont détruits. Au moins, nous aurons les procès-verbaux des bulletins de vote. À ce moment-là, nous pourrons prouver que nous avons gagné les élections.
Merci, madame Vandenbeld, de votre intervention. Elle était très judicieuse.
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Oui, ils risquent malheureusement d'être privés de leur droit de vote. Je pense que c'est l'un des objectifs de cette déstabilisation. C'est pour cela que je vous disais tout à l'heure qu'en Ituri, par exemple, on avait présenté la situation comme étant des troubles entre deux tribus. Or, lors du congrès de l'UDPS tenu les 30 et 31 mars, et à l'occasion duquel j'ai été élu à la tête du parti, une délégation de nos représentants de l'Ituri est arrivée à Kinshasa et nous avons voulu en savoir plus.
À ce moment-là, ces représentants nous ont dit que les tribus ne se battaient pas. D'ailleurs, dans la délégation, il y avait un Lendu et un Hema, issus l'un et l'autre des deux tribus que l'on dit être en conflit. Ils sont arrivés ensemble à Kinshasa et ils nous ont dit: regardez, nous sommes ensemble, nous ne nous battons pas. Des inconnus, des brigades viennent, et ils assassinent des individus dans une tribu et font croire que c'est l'autre tribu qui est responsable. Ils suscitent des tensions entre les deux. Le but est de déplacer les gens et aujourd'hui, beaucoup d'entre eux sont réfugiés en Ouganda. Ce sont des électeurs, mais ils sont partis. Cela veut donc dire que, dans cette zone de la République, il n'y aura pas assez de votes.
Vous remarquerez aussi que tout cela se passe dans les zones connues comme étant hostiles à M. Kabila. Au Kasaï, ceux qui ont provoqué cette fameuse crise humanitaire avaient pour but de faire fuir la population pour que l'inscription sur les listes soit très faible et que les électeurs kasaïens, connus comme étant traditionnellement opposés à M. Kabila, ne puissent pas voter. Voilà les ingrédients que M. Kabila mêle à ce scénario pour essayer de rendre la situation invivable.