SDIR Réunion de comité
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 29 septembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous.
J'aimerais présenter notre témoin, Carina Tertsakian, recherchiste en chef, Burundi et Rwanda auprès de Human Rights Watch.
Êtes-vous à Londres aujourd'hui?
Magnifique. Je vous remercie d'avoir pris le temps de vous joindre à nous pour cette très importante étude dont vous êtes effectivement le premier témoin. Nous écouterons votre témoignage avec grand plaisir.
Je vais vous demander d'abord de vous présenter, puis de commencer vos observations préliminaires.
Très bien. Je vous remercie de me donner l'occasion de parler du Burundi. Je suis ravie d'avoir été invitée à témoigner, d'autant plus que le Burundi a disparu des nouvelles internationales, malgré le fait que la crise soit de plus en plus marquée.
En guise d'introduction, permettez-moi de préciser que Human Rights Watch travaille au Burundi depuis les années 1990. Nous avons été présents au Burundi depuis cette époque et jusqu'à la fin de l'année dernière, lorsque la situation est devenue trop dangereuse pour que nous puissions rester dans ce pays. En revanche, nous continuons à nous y rendre de manière périodique et nous restons en contact quotidiennement avec des gens dans ce pays.
J'aimerais tout d'abord parler des origines de la crise actuelle avant de décrire les principaux actes de violation des droits de la personne et enfin, proposer des solutions en vue d'y remédier. Si je parle trop longtemps, je demande au président de me l'indiquer et de m'arrêter.
Très bien, merci.
Beaucoup d'entre vous savent probablement que la crise qui sévit actuellement au Burundi a commencé en avril 2015 et qu'elle a été déclenchée par la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat aux élections. En effet, beaucoup de Burundais estimaient que cela allait à l'encontre de l'Accord d'Arusha qui a mis fin à la guerre qui a sévi au Burundi pendant de nombreuses années. L'annonce par le président qu'il allait se présenter pour un troisième mandat a provoqué de grandes manifestations publiques, en particulier dans la capitale, Bujumbura. Ces manifestations ont été violemment réprimées par la police qui s'en est prise très brutalement aux manifestants, tirant sur eux à balles réelles, tuant et blessant un grand nombre d'entre eux.
Initialement, les manifestations étaient pacifiques, mais la situation s'est vite dégradée. Certains manifestants ont commis des actes de violence. Il y a eu des confrontations entre la police et les manifestants. Puis, quelques semaines plus tard, en mai 2015, certains officiers militaires ont tenté un coup d'État. La tentative n'a pas réussi. En moins d'un jour, le gouvernement a maté la rébellion et la situation s'est dégradée à partir de là. Le gouvernement a intensifié sa répression jusqu'aux élections, au cours de l'été, qui ont vu la réélection du président Nkurunziza, en l'absence d'une véritable opposition. Depuis, la situation n'a cessé d'empirer. Les morts se comptent par centaines et environ 300 000 personnes ont dû quitter le pays et vivent actuellement en exil.
Quelle forme a pris cette oppression au Burundi et quelles ont été les conséquences sur le plan des droits de la personne? Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas le Burundi, disons que c'était un des rares pays de cette région affichant un véritable dynamisme...
Une seconde s'il vous plaît. Le volume n'est pas assez fort. Nous allons essayer d'y remédier de notre côté si le problème vient de là.
Voilà, ce devrait être réglé. Essayons pour voir.
On vous entend très bien maintenant. Merci.
Le Burundi est un des rares pays de cette partie de l'Afrique à disposer de médias indépendants et dynamiques et d'une société civile elle aussi indépendante et très dynamique, malgré plusieurs années de répression et de guerre, même avant la crise actuelle. Malheureusement, la situation a maintenant bien changé, étant donné que le gouvernement s'est attaqué en priorité l'an dernier à ce mouvement indépendant de la société civile et aux médias. Très peu de temps après le début de la crise, le gouvernement a fermé les principales stations de radio indépendantes les plus populaires du pays, en particulier après la tentative de coup d'État. Ces stations de radio ont également été attaquées physiquement. Des bâtiments et du matériel ont été détruits et les journalistes ont dû prendre la fuite.
Un peu plus tard, les services de renseignement s'en sont même pris aux correspondants au Burundi de Radio France Internationale et de l'Agence France-Presse qui furent arrêtés et battus.
Enfin, il ne restait plus qu'un seul média indépendant, un journal intitulé Iwacu. Le directeur de ce journal ayant été convoqué et risquant sans doute d'être emprisonné, a quitté le pays. Et, plus près de nous, il y a juste deux mois, en juillet 2016, un des collaborateurs de ce journal a disparu et nous sommes toujours sans nouvelles de lui.
D'autre part, les militants burundais des droits de l'homme ont aussi payé un lourd tribut. Pierre Claver Mbonimpa, le militant des droits de la personne le plus en vue du pays, un homme à la soixantaine bien avancée, a reçu une balle en pleine face, alors qu'il quittait son travail. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a survécu et se trouve actuellement en exil à l'étranger, mais il souffre de blessures très graves.
Le gouvernement a suspendu les activités et les comptes bancaires de plusieurs autres organisations des droits de la personne au Burundi.
Enfin, le sort des partis politiques a été tout aussi funeste. De nombreux membres des partis politiques, dont certaines figures importantes, ont été tués l'an dernier et beaucoup d'autres ont été arrêtés.
En conséquence, presque tous les militants politiques, les militants des droits de la personne et les journalistes ont quitté le pays. Les rares qui sont restés oeuvrent dans la clandestinité.
Comme je l'ai mentionné, plusieurs centaines de personnes ont péri depuis le début de la crise, plusieurs — je devrais dire beaucoup — aux mains du gouvernement et des forces de sécurité, d'autres sous les coups de l'opposition, étant donné que les groupes d'opposition armés sont devenus aussi de plus en plus violents.
Une troisième catégorie concerne les personnes tuées par des agresseurs inconnus. C'est un des aspects les plus terrifiants de la situation. Depuis l'an dernier, on trouve des cadavres dans les rues et les rivières. Personne ne sait qui ils sont ni qui les a tués. Les cadavres ont parfois les mains attachées dans le dos et sont mutilés. La situation est extrêmement horrible et ces crimes ne font jamais l'objet d'enquêtes.
Vous vous souvenez que, l'an dernier, la presse internationale a beaucoup parlé de la situation au Burundi puis, nous avons remarqué que les choses ont changé. Depuis la fin de l'année dernière, les tueries flagrantes sont moins nombreuses et ont fait place à une répression sourde. On a assisté à des formes de répression moins ouvertes et à une augmentation des disparitions, par exemple par enlèvement. Les services de renseignement enlèvent des gens et personne ne sait ce qu'ils deviennent. C'est le cas par exemple de Marie-Claudette Kwizera, une femme qui était trésorière d'un organisme de droits de la personne. Elle a disparu en décembre dernier et personne ne sait ce qu'elle est devenue.
La torture est un autre aspect que j'aimerais mentionner. Human Rights Watch a constaté l'existence de la torture depuis de nombreuses années au Burundi. Ce n'est pas, hélas, une pratique nouvelle. Au cours des derniers mois, nous avons observé que la torture devient de plus en plus brutale et cruelle, en particulier aux mains des services de renseignement qui s'en prennent à quiconque est soupçonné d'appuyer l'opposition. Les victimes sont surtout des jeunes hommes, mais pas uniquement.
Les agents du renseignement ont recours à des méthodes incroyablement brutales. Ils fracassent les os de leurs victimes avec des marteaux. Ils transpercent leurs membres avec des barres de métal pointues. Ils torturent leurs appareils génitaux. Ils font subir des décharges électriques à leurs victimes. Je vous épargne les détails. On peut s'étonner qu'il y ait des survivants. En fait, de nombreuses victimes ne survivent pas, tout simplement parce qu'elles ont trop peur d'aller se faire soigner, lorsqu'elles sont relâchées.
Les arrestations arbitraires à grande échelle constituent la dernière forme de violation. La police arrête la plupart du temps des jeunes hommes, parfois par dizaines ou même par centaines. Certains sont relâchés; d'autres demeurent en détention.
Comme je l'ai dit, c'est surtout la police qui effectue les arrestations, mais les policiers sont souvent aidés par les membres de la ligue jeunesse du parti au pouvoir que l'on appelle les Imbonerakure dans la langue nationale. Le parti au pouvoir fait souvent appel à ces Imbonerakure pour faire ses basses besognes. Ils tuent et battent des gens. Ils arrêtent des gens, alors qu'ils n'ont pas de pouvoir légal d'arrestation. Ils collaborent étroitement avec la police et les services de renseignement. Comme ce sont des gens de la région, il y en a partout, dans toutes les villes, dans tous les villages. Ils connaissent tout le monde, pointent du doigt et dénoncent les personnes qui doivent être arrêtées.
Ils commettent aussi des viols et des actes de violence sexuelle, en particulier contre les femmes de membres ou de partisans de l'opposition.
Dans ce contexte, le gouvernement est devenu si brutal et a créé un tel climat de peur au Burundi que plus personne n'ose ouvrir la bouche dans ce merveilleux pays où les gens avaient autrefois l'habitude de s'exprimer si librement. En conséquence, il est extrêmement difficile d'obtenir des informations fiables de première main.
La dernière fois que j'étais au Burundi, par exemple, j'ai constaté qu'il était vraiment extrêmement difficile de persuader les victimes et les témoins de parler. Lorsque nous y sommes parvenus, ce fut extrêmement difficile, même sous le sceau de la confidentialité. Ce fut le cas par exemple de cet homme qui était très réticent à nous parler. Lorsqu'il finit par accepter, après que nous ayons garanti que l'entretien serait confidentiel, il s'est arrêté tout à coup au bout de 10 minutes, s'est levé et a quitté la pièce, tant il avait peur de parler. Cela vous donne une idée de la gravité de la situation.
Je vais terminer en vous parlant des démarches qui ont été faites au niveau international en vue d'améliorer la situation au Burundi.
En fait, les interventions ont été nombreuses, que ce soit au niveau de l'ONU ou de l'Union africaine, de certains gouvernements, de donateurs. On ne compte plus les déclarations, les résolutions et les interventions. La plupart des grands donateurs qui oeuvraient au Burundi ont suspendu leur aide directe au gouvernement, en particulier l'Union européenne qui comptait parmi les plus grands donateurs.
Les États-Unis et l'Union européenne ont imposé des sanctions à l'encontre des principaux responsables du gouvernement et de l'opposition, mais cela n'a pas amélioré la situation.
Au contraire, le gouvernement du Burundi est devenu encore plus intransigeant. Il semble insensible aux pressions, même si beaucoup de ses propres cadres ont fait défection. De fait, il ne reste plus que le président et la petite clique qui l'entoure. Ils ont réagi avec beaucoup d'hostilité aux critiques internationales. Par exemple, l'an dernier, lorsque l'Union africaine a proposé l'intervention d'une force de maintien de la paix, le gouvernement burundais, et le président lui-même, ont déclaré que si cette force prenait pied au Burundi, ils considéreraient cela comme une invasion et la repousseraient.
Voilà le genre de défi auquel nous sommes confrontés.
Un peu plus tôt cette année, en avril, le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale a annoncé qu'il allait lancer un examen préliminaire de la situation au Burundi. Il ne s'agit pas d'une enquête, mais plutôt d'une étude visant à déterminer si les crimes commis au Burundi relèvent des compétences de la Cour pénale internationale. C'est cependant une étape importante.
En conclusion, je vais mettre l'accent sur un point particulier et présenter une recommandation. Ce qui interpelle vraiment au Burundi, c'est l'impunité totale des actes criminels, en particulier ceux qui sont commis par les agents de l'État. C'est pourquoi, nous pensons que la priorité est de trouver une façon d'obliger les responsables à rendre des comptes.
Human Rights Watch propose la création d'une commission internationale d'enquête qui serait chargée de cette mission. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève examine actuellement cette suggestion. Nous espérons que le Conseil des droits de l'homme présentera et adoptera, aujourd'hui ou demain, une résolution réclamant la création d'une commission d'enquête qui aurait pour mission d'établir la responsabilité individuelle des crimes commis, dans le but que justice soit rendue.
Merci.
Merci beaucoup pour cette analyse approfondie.
Je vais maintenant commencer la période des questions en donnant la parole à M. Sweet.
Merci beaucoup pour votre travail. Je trouve fascinant de voir que la Mission d'experts indépendants des Nations unies sur le Burundi a pu prendre une si juste mesure de la situation. Votre organisation était présente là-bas depuis 1990. Les experts n'ont pas eu beaucoup de temps pour faire enquête et tout ce que j'ai lu dans ce rapport non officiel semble correspondre parfaitement à la situation que vous nous avez décrite dans votre témoignage. Les auteurs du rapport mentionnent le nombre de meurtres qui, selon eux, ont été perpétrés. D'après les éléments de preuve qu'ils ont pu obtenir, ils concluent que 564 meurtres ont été commis. Il s'agit là d'une estimation extrêmement prudente, car ils pensent que les meurtres ont été beaucoup plus nombreux, mais qu'ils n'ont pas pu les confirmer.
J'ai sous la main votre article du 2 août où vous mentionnez que le gouvernement burundais a refusé de participer aux travaux du comité ou de la Mission d'experts indépendants des Nations unies. J'aimerais savoir si quelque chose a changé depuis le 2 août dans la réponse du gouvernement burundais à l'enquête indépendante des Nations unies? D'après votre témoignage, je crains que rien n'ait vraiment changé.
Hélas, je peux répondre brièvement que rien n'a changé. Au contraire, la réaction du gouvernement burundais au rapport de la Mission d'experts indépendants des Nations unies a consisté, une fois de plus, à nier catégoriquement la gravité de la crise des droits de la personne dans son pays.
Vous avez peut-être suivi l'intervention du ministre burundais des Droits de la personne humaine à Genève lorsqu'il a rejeté vivement le rapport de l'ONU alors que le ministre des Affaires étrangères a affirmé, aux Nations unies, à New York, l'engagement du gouvernement à l'égard des droits de la personne tout en rejetant les rapports internationaux de l'ONU et d'autres organisations, et tentant de les discréditer. C'est devenu malheureusement la réponse typique des représentants du Burundi.
Vous avez mentionné l'incident de la délégation burundaise qui est demeurée introuvable lors de la deuxième réunion du Comité contre la torture. Je me trouvais justement à Genève, en août, lorsque cela est arrivé. C'était vraiment choquant. C'est apparemment la première fois que cela s'est produit au cours de l'histoire du comité. Il arrivé que d'autres pays boycottent complètement le processus, mais dans ce cas, la délégation gouvernementale menée par la ministre de la Justice a participé à la première partie de l'examen, a prononcé son discours d'ouverture et ne s'est pas présentée le lendemain pour répondre aux questions.
Cela vous donne une idée des difficultés que nous éprouvons à engager le gouvernement dans un dialogue véritable au sujet des droits de la personne.
Compte tenu des allégations qu'ils ont faites, je crains beaucoup un risque de débordement de la situation au Rwanda qui, bien entendu, a déjà assez souffert. Éprouvez-vous les mêmes craintes?
Tout à fait. Je travaille autant au Rwanda qu'au Burundi et je suis donc très sensible à ce risque, comme nous le sommes tous.
La situation est complexe. Beaucoup de Burundais qui ont fui l'an dernier se sont réfugiés au Rwanda. C'était un des pays les plus proches et les plus faciles à rejoindre, mais ça ne l'est plus, parce que le gouvernement essaie d'empêcher les gens de s'enfuir. Au début, cependant, beaucoup de Burundais se sont réfugiés au Rwanda, surtout les figures de l'opposition. Beaucoup de militants et de journalistes se sont rendus au Rwanda.
Comme vous le savez probablement, les relations entre les gouvernements du Rwanda et du Burundi sont extrêmement tendues. Même au niveau présidentiel, on assiste fréquemment à des échanges publics d'insultes et de déclarations hostiles. Selon des informations parues l'an dernier que nous avons nous-mêmes documentées avec d'autres, on recrute des Burundais dans les camps de réfugiés au Rwanda pour les enrôler dans des groupes d'opposition armés en exil.
Nous ignorons quel est le rôle du gouvernement rwandais dans ces activités, s'il en est, mais le Rwanda est un pays où le gouvernement exerce un contrôle assez serré sur tout ce qui se passe là-bas, si bien qu'on peut dire à tout le moins que ces activités n'ont pas pu se produire sans qu'il en ait connaissance. D'autres incidents de ce type n'ont pas été rapportés, mais cela ne veut pas dire que ces incidents n'existent pas.
Tout comme vous, je crains que le conflit déborde dans la région, pas seulement au Rwanda, mais également en République démocratique du Congo, à l'ouest, puisqu'une assez grande quantité de membres armés de l'opposition burundaise mènent également des opérations depuis le Congo. Voilà un moment que cela existe. Comme vous le savez certainement, le Congo a son propre lot de problèmes et connaît actuellement une très grande fragilité. L'aspect régional est en effet très inquiétant.
La Mission d'experts indépendants laisse entendre qu'il existe suffisamment de preuves pour affirmer qu'il s'agit de crimes contre l'humanité. Il existe des preuves concluantes, notamment dans ce rapport, qu'il s'agit là d'une stratégie systématique et bien planifiée du gouvernement contre les médias et les défenseurs des droits de la personne, au point même où vous parlez d'impunité dans les cas de meurtres, mais également dans les cas de viol et de torture.
Par ailleurs, ce qui me frappe par rapport à d'autres cas très graves de ce type, c'est l'assassinat de jeunes, la destruction flagrante de la jeunesse. Le rapport cite le cas d'un commissaire de police qui, face à un jeune qui lui supplie de lui laisser la vie sauve, l'abat en pleine rue, sans faire l'objet de sanctions ou d'enquête. On peut se demander si la situation n'est pas en train de se dégrader au point de devenir — j'hésite à utiliser le mot — génocidaire.
Je partage tout à fait vos craintes.
Comme je l'ai déjà mentionné, nous espérons que la Cour pénale internationale présentera, lorsqu'elle aura terminé son examen préliminaire, des conclusions ou une certaine évaluation permettant de préciser si ces crimes constituent des crimes contre l'humanité. Nous sommes convaincus qu'on est tout à fait justifié de se poser la question.
Quant au génocide, je ne sauterais pas nécessairement à cette conclusion. Je ne dis pas que vous le faites, mais c'est un mot que certains Burundais ont beaucoup utilisé et qu'ils manipulent, hélas, à des fins politiques. Une chose...
Permettez-moi de préciser que je me garde bien d'utiliser ce terme, mais les preuves dont nous disposons sont très préoccupantes.
Bien entendu, et je n'insinue pas que vous le faites, mais cela vaut peut-être la peine d'élaborer un peu sur le sujet. D'après moi, la crise qui sévit actuellement au Burundi est plus une crise politique qu'une crise ethnique, contrairement à la situation qu'avait connue le Burundi dans les années 1990, si vous vous en souvenez, lorsque le pays fut secoué par ces horribles massacres. Des dizaines de milliers de personnes furent assassinées, essentiellement pour des raisons ethniques. On en avait peut-être moins parlé parce que ces événements furent rapidement occultés par le génocide rwandais.
La situation qui prévaut actuellement au Burundi est très différente. C'est une crise qui oppose d'une part un président qui s'accroche au pouvoir, entouré du groupe qui le soutient et, d'autre part, une vaste portion de la population regroupant les deux ethnies qui s'oppose au pouvoir. Par conséquent...
Merci, madame Tertsakian. Je vais passer à la prochaine question. Nous avons pris un peu de retard.
Monsieur Miller.
[Français]
Bonjour. Je vous remercie de votre témoignage, madame Tertsakian.
Vous l'avez dit très clairement au début, le Burundi échappe au cycle médiatique, alors que la situation empire et s'aggrave. J'aimerais savoir si vous avez des recommandations concrètes à formuler au gouvernement canadien qui, évidemment, doit agir dans un contexte multilatéral, dans une partie du continent africain où il est très peu impliqué, selon ma recherche.
Vous avez parlé du genre d'impunité qu'on doit faire connaître au monde, de la situation qui existe et des actions du gouvernement surtout. Que recommanderiez-vous, concrètement, au gouvernement canadien? Quelles sont les actions que vous suggéreriez au gouvernement de poser pour montrer au monde ce qui se passe au Burundi?
Merci.
[Traduction]
Compte tenu de la gravité de la situation au Burundi, je dirais que même des gouvernements comme celui du Canada, qui n'est peut-être pas très impliqué dans cette région, a malgré tout un rôle à jouer pour appuyer et renforcer les mécanismes susceptibles de faire triompher la justice, et pour appuyer diverses initiatives au niveau des Nations unies, par exemple.
J'aimerais revenir sur l'idée d'une commission internationale d'enquête. Si le Conseil des droits de l'homme des Nations unies ou un autre organisme adopte cette idée, je pense qu'il serait possible pour le Canada d'accorder son poids politique et diplomatique et d'intervenir peut-être aussi sur le plan pratique. Si cette commission voit le jour, elle aura besoin de certains moyens. Elle aura besoin d'expertise. Nous parlons d'une commission qui aura besoin de compétences professionnelles spécialisées telles que des compétences en enquêtes criminelles, des compétences médico-légales, des compétences militaires, etc. Voilà des éléments que le Canada, entre autres, pourrait fournir.
Au niveau international, on observe un sentiment qui n'est peut-être pas de la résignation, mais tout simplement l'impression de ne plus savoir quoi faire. Les gouvernements qui ont été les plus proches du Burundi, sont peut-être maintenant un peu désillusionnés. Je pense que nous avons tous la responsabilité — et j'espère que le Canada la partage — de faire en sorte que cela n'arrive pas et que nous fassions du Burundi une priorité à l'ordre du jour international. Empêchons cette situation de devenir une autre crise qui n'en finit plus. Il est encore possible de l'empêcher de s'aggraver.
Oui, bien sûr.
Merci encore de témoigner aujourd'hui. Je sais que vous avez beaucoup travaillé pour Amnistie internationale et dans les secteurs du Burundi et du Rwanda. Je vais vous demander exactement ce que Marc Miller vous a demandé au sujet de ce que le Canada peut faire.
J'aimerais savoir ce qui se passe sur le terrain et ce qu'on peut observer. Je sais que le Burundi est un pays qui dépend beaucoup de l'agriculture. Est-ce que le régime burundais cible les jeunes en vue de les recruter? Est-ce que les jeunes peuvent trouver de l'emploi? Est-ce que le régime leur propose une alternative attrayante au chômage? Peut-être pouvez-vous nous en parler un peu plus.
Certainement. Le chômage étant très élevé, il est facile pour n'importe qui de payer ces jeunes et de leur demander d'exécuter n'importe quelle tâche. C'est vraiment une réalité au Burundi qui vit actuellement une situation économique désastreuse. Je n'en ai pas parlé dans ma présentation, mais c'est un aspect très important.
Lorsque la crise a commencé, le Burundi était déjà un pays pauvre, mais désormais, en raison des événements, l'économie est en crise. Les dernières fois où je suis allée à Bujumbura, les rues étaient vides, même dans la capitale, les hôtels ferment, les restaurants aussi, tout comme les commerces. Les commerçants sont au désespoir. On peut se demander combien de temps il faudra attendre avant que le gouvernement soit contraint de faire quelque chose.
Malheureusement, je pense que les dirigeants sont si éloignés de la réalité que vivent les Burundais ordinaires qu'ils ne ressentent pas eux-mêmes les effets de la crise économique. Ils ne se rendent pas compte qu'elle est extrêmement grave et que les gens doivent vraiment se démener pour gagner leur vie. Les prix ont explosé et c'est un aspect très inquiétant de la situation.
Quelle était l'industrie la plus florissante au Burundi avant la récente élection en vue d'un troisième mandat présidentiel? J'ai lu qu'avant les événements, il existait au Burundi une industrie minière qui, sans être extrêmement florissante, affichait quand même de bons résultats.
Je sais que le coltan est un minerai très abondant dans ce pays. Est-ce qu'il existait avant l'élection un type d'infrastructure industrielle florissante ou est-ce que cette industrie n'était pas visible?
L'industrie était assez limitée. Même le secteur minier n'est pas très développé. Le principal minerai que l'on trouve là-bas n'est pas autant le coltan que le nickel, mais ce dernier n'est pas encore vraiment totalement exploité. Je crois que certaines entreprises commençaient à s'y intéresser.
L'autre secteur industriel est celui du café. Le Burundi cultive le café et le thé, mais là encore, ce n'est pas... Le Burundi est vraiment un pays pauvre, un pays essentiellement agricole. Il y a un peu de tourisme, mais là encore, ce secteur n'était pas très développé. Ce n'était pas vraiment une économie très florissante, même avant que la situation commence à se dégrader.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais demander une précision. Peut-être que ce ne sont que des termes, des mots que les gens utilisent dans le rapport, mais l'élection visant à accorder un troisième mandat au président était-elle vraiment une élection? Je pose la question à tout le monde ici présent.
Je crois qu'on peut dire dans un certain sens que c'était une élection, mais au moment du vote, presque tous les leaders de l'opposition avaient pris la fuite et il n'y avait pratiquement aucun adversaire politique.
Il existe quelques partis que l'on pourrait décrire presque comme des partis satellites du parti au pouvoir. Certains d'entre eux ont présenté des candidats, mais les véritables partis d'opposition avaient déjà quitté le pays pour la plupart. Il y a eu une élection au sens littéral du terme, les électeurs sont allés voter, mais dans le contexte que j'ai décrit, on se rend bien compte que cela n'avait pas vraiment de sens.
Absolument.
Il est bon de savoir ce qui s'est vraiment passé, car je sais que certaines personnes diront qu'il y a eu une élection.
Puisque vous avez parlé de sens littéral, j'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Un de mes collègues a déjà mentionné que cette situation détruit les jeunes au sens littéral, mais aussi au sens figuré. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Vous avez parlé des arrestations arbitraires massives et de la participation de groupes de jeunes. Est-ce qu'il s'agit des opérations de bouclage et de fouille dans certains quartiers? Pouvez-nous expliquer en détail ce qui se passe dans ce type d'intervention qui fait appel aux jeunes?
Les jeunes sont des victimes et sont manipulés des deux côtés.
Du côté gouvernemental, il y a des jeunes qui font partie de la ligue officielle de la jeunesse du parti au pouvoir. C'est de cela que j'ai parlé un peu plus tôt. Du côté de l'opposition, il y a beaucoup de jeunes, ainsi que des femmes, mais surtout des hommes, qui ont rejoint les rangs de l'opposition. À l'origine, c'était simplement un mouvement de protestation publique spontanée contre le troisième mandat, mais certains de ces jeunes ont rejoint les groupes d'opposition armés qui commençaient à se constituer. Il y avait déjà des groupes d'opposition armés, mais de nouveaux groupes se sont constitués et se sont de plus en plus radicalisés. Vous voyez donc que les participants viennent des deux côtés.
Je vous remercie d'avoir soulevé la question des opérations de bouclage et de fouille, car c'est un des aspects les plus inquiétants, surtout depuis la fin de l'année dernière. Les forces de sécurité ont monté ces opérations dans plusieurs quartiers de la capitale qui étaient considérés comme acquis à l'opposition et qui avaient été le théâtre d'intenses protestations contre le troisième mandat.
La police boucle certains quartiers et y pénètre, souvent accompagnée par des jeunes à la solde du parti au pouvoir. La plupart du temps, ils vont de maison en maison, prétendant être à la recherche d'armes, mais le plus souvent, ils se contentent de dire: « Sortez les armes ». Ils arrêtent les gens sans mandat d'arrestation ni sans autre procédure.
Les opérations de ce type étaient très fréquentes vers la fin de l'année dernière et une opération de ce type a été particulièrement meurtrière le 11 décembre. Elle suivait une attaque lancée, probablement par l'opposition, contre quatre installations militaires. En représailles, la police et l'armée ont investi deux quartiers de la capitale et se sont déchaînées. Elles ont arrêté et tué beaucoup de monde. De nombreux cadavres ont été enterrés dans des fosses communes. Ce fut un des épisodes les plus horribles.
J'essaie toujours de comprendre certaines images que vous utilisez.
Le parti au pouvoir utilise la police et contraint ses membres. Les jeunes sont à la fois les protagonistes et les antagonistes. Que se passe-t-il actuellement? Vous avez mentionné la République démocratique du Congo. Est-ce dans ce pays que l'opposition a établi ses quartiers? Que savez-vous à ce sujet? Pouvez-vous nous donner des détails sur la situation?
Je ne dirais pas qu'ils ont établi leurs quartiers au Congo. J'ignore d'ailleurs s'ils ont établi leurs quartiers quelque part, mais si c'est le cas, ce serait sans doute plutôt au Rwanda. L'opposition, je veux dire l'opposition armée, est fragmentée, assez divisée à l'intérieur, et apparemment désorganisée, comme l'a démontré le coup d'État raté, en mai dernier.
Depuis, plusieurs nouveaux groupes d'opposition armés ont émergé, y compris celui que l'on appelle le FOREBU, qui est composé d'officiers militaires ayant participé à la tentative de coup d'État. Il y en a d'autres et on ne sait pas exactement dans quelle mesure ces groupes collaborent ou sont au contraire rivaux. On suppose que beaucoup de leurs chefs et de leurs membres sont au Rwanda, mais pas tous. Certains d'entre eux naviguent entre différents pays. Ce sont des organisations assez floues et difficiles à cerner. Je ne peux pas vous donner plus de précision, parce que les structures elles-mêmes et leur emplacement ne sont pas clairs.
Merci beaucoup pour le travail très important que vous faites dans ce domaine. Nous l'apprécions vraiment. Merci aussi pour le témoignage que vous présentez aujourd'hui.
J'aimerais poser une question à propos de ce que vous avez dit au sujet de la démarche entreprise par la Cour pénale internationale qui a entamé un examen préliminaire pour examiner la possibilité d'accuser le Burundi de violation des droits de la personne. Je me demande si la collecte de preuves présente un défi particulier ou comment se déroule l'enquête.
Je ne peux pas commenter les détails, car ils demeurent évidemment confidentiels, et je ne sais pas vraiment comment l'enquête progresse. D'ailleurs, actuellement, il ne s'agit pas véritablement d'une enquête, d'un examen en profondeur, avec recherche de témoins, etc.
Bien sûr, on a recueilli beaucoup d'informations qui sont déjà dans le domaine public, y compris des informations publiées par l'ONU, par des groupes comme Human Rights Watch et par de nombreux militants burundais, mais il est certain que c'est un défi énorme que de tenter de recueillir des informations au Burundi actuellement. Nous en avons fait l'expérience. J'en ai parlé un peu, mais ce n'est pas impossible et il y a, bien entendu, beaucoup de Burundais qui, à l'extérieur de leur pays, ont des informations très précieuses à transmettre, y compris ceux qui ont été victimes de ces crimes.
Vous avez recommandé la création d'une commission internationale d'enquête qui serait en mesure d'aider à trouver une solution à la situation au Burundi et de recueillir sur le terrain d'autres éléments permettant de mieux comprendre la situation. Je me demande dans quelle mesure une telle commission pourrait jouer un rôle différent de celui de la Cour pénale internationale?
Eh bien, ce ne serait pas un organisme poursuivant ou un tribunal comme tel, mais il est certain que les preuves qu'il pourrait recueillir contribueraient au travail de la Cour pénale internationale. Nous ne considérons pas qu'une telle commission ferait double emploi avec certaines initiatives qui ont déjà cours, que ce soit la CPI ou la Mission d'experts indépendants des Nations unies, mais comme un organe complémentaire qui pourrait s'appuyer sur les recherches qui sont déjà faites.
Par exemple, advenant le cas où la commission d'enquête découvrirait des informations nouvelles et fiables, peut-être plus détaillées que ce que l'on a recueilli jusqu'à présent à propos de la responsabilité de certains individus particuliers, nous pensons que cela pourrait aider la Cour pénale internationale.
Si vous le permettez, je vais profiter de l'occasion pour vous poser moi-même une question.
Nous savons que les femmes et les enfants sont victimes de souffrances disproportionnées dans les zones de guerre et de conflit. En particulier, nous constatons que la résolution 2303, publiée le mois dernier par le Conseil de sécurité de l'ONU condamne vivement la violence sexuelle. Pouvez-vous nous parler des menaces présentes au Burundi et des réactions de la société civile à ces menaces?
J'aimerais en particulier savoir ce qui se passe dans les camps de déplacés, quelles sont les conditions d'existence dans ces camps qui sont souvent le théâtre de violences et de menaces de l'extérieur. Comment vivent les femmes et les enfants dans ces camps et que peut faire la société civile et peut-être aussi le Canada pour aider?
Voilà un domaine où le Canada peut aussi apporter une contribution importante.
Vous parlez des camps de déplacés. Je crois qu'il faudrait plutôt parler de camps de réfugiés, parce que c'est vraiment ce qu'ils sont... à moins que ce soit justement ce que vous vouliez dire.
Human Rights Watch a fait des recherches sur les camps de réfugiés en Tanzanie, un pays qui accueille un grand nombre de Burundais. Nous avons découvert que des femmes et des jeunes filles avaient été victimes de viol et d'autres formes d'abus au Burundi, mais également qu'elles avaient subi les mêmes sévices en Tanzanie, en exil.
Dans ce cas, ces crimes ne sont plus imputables au contexte politique. Comme vous l'avez si bien dit, les personnes déplacées, les réfugiés sont très vulnérables, en particulier dans les énormes camps de réfugiés. Il n'existe aucun soutien approprié. Les Tanzaniens, même ceux qui administrent les camps, n'ont aucune réponse appropriée à offrir. Les femmes ne savent pas toujours où demander de l'aide. Dans certains cas, elles signalent ces crimes aux Tanzaniens. Certaines d'entre elles disent que des enquêtes ont été menées et que certaines personnes ont été arrêtées, mais évidemment, ce n'est pas toujours le cas.
Par exemple, les viols signalés dans les camps sont parfois commis par d'autres réfugiés. Ce sont donc des Burundais qui attaquent leurs propres compatriotes, alors que dans d'autres cas, les agresseurs sont des Tanzaniens de la région. Cela se produit par exemple lorsque les femmes quittent le camp pour vendre certains produits ou pour aller au marché. Il est certain que les femmes et les enfants ont souffert énormément et continuent encore de souffrir. Je pense que l'on pourrait offrir plus de soutien aux personnes qui ont eu la chance de pouvoir s'enfuir du Burundi.
Merci, monsieur le président.
Je vais tenter de mettre mes commentaires en contexte. J'ai le très grand privilège de remplacer un membre de ce comité. Pendant la brève période au cours de laquelle je me suis intéressée au sujet de l'étude entreprise par le comité, j'ai senti toute la frustration et la désillusion que peuvent éprouver les personnes qui cherchent à trouver une solution à cette situation, en raison des obstacles qu'elles rencontrent sur leur chemin. Je me suis informée sur le sujet et j'ai lu divers documents.
Ma première question découle de certaines informations que j'ai pu lire. Elles concernent l'annonce faite un peu plus tôt ce mois-ci par leministre des Affaires étrangères concernant l'octroi de 15 millions de dollars sur trois ans au Fonds de consolidation de la paix des Nations unies. Ce dernier a transféré des fonds à l'Union africaine pour appuyer le déploiement de 100 experts des droits de la personne et de 100 experts militaires au Burundi.
Je crois savoir que des fonctionnaires d'Affaires mondiales Canada ont révélé, au cours de leur témoignage au comité, que le Burundi a opposé d'importants obstacles administratifs au déploiement de ces experts. En tant que pays, quel recours avons-nous lorsque nous avons consacré des fonds pour venir en aide dans ce domaine? Quel recours un pays a-t-il s'il souhaite intervenir dans un pays théâtre d'atrocités, si ce dernier fait obstacle au déploiement des experts?
Le déploiement de ces observateurs de l'Union africaine est un problème récurrent. Certains d'entre eux ont été déployés depuis l'année dernière. Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais c'était moins que la moitié des 100 experts que vous avez mentionnés. Il y a des observateurs des droits de la personne et des observateurs militaires qui sont sur place pour surveiller la situation. Ils n'ont publié aucun rapport, mais ils transmettent apparemment des comptes rendus privés à l'Union africaine à Addis. Tous les observateurs n'ont pas encore été déployés.
Autre élément très inquiétant, le protocole d'entente qui était censé servir de cadre à ces observateurs n'a pas encore été signé, plus d'un an après que l'idée a été acceptée et même après le déploiement du premier groupe d'observateurs. Ces derniers sont déjà au travail, car ils savent très bien que s'ils attendaient le protocole d'entente, ils attendraient longtemps. Il est clair que c'est une situation très frustrante.
Je vous ai entendu dire que vous demandez à l'ONU de trouver un moyen de tenir les auteurs des crimes responsables de leurs actes et qu'un de ces moyens consisterait à établir une commission d'enquête. C'est peut-être un complément à la question posée par ma collègue. Vous avez dit également que l'enquête serait instituée en vue de rendre justice. J'aimerais vous demander de nous expliquer comment un tel processus pourrait se déployer.
Bien entendu, la commission ne rendrait pas justice elle-même, car ce serait une simple commission d'enquête qui n'aurait pas de pouvoir de poursuite. Ce ne serait pas un tribunal. Je ne prétends pas que ce serait la formule magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes du Burundi. Absolument pas. Mais pour moi, l'impunité est au coeur même de cette crise et le comportement des responsables de la situation nous en donnent justement la preuve. Depuis la base, c'est-à-dire chez les auteurs des tueries et des tortures, jusqu'au sommet, on a l'impression que les responsables savent que rien ne peut leur arriver. À un certain point, il faut mettre un terme à cette impression d'impunité.
La commission d'enquête accomplirait deux choses. D'une certaine manière, elle servirait peut-être d'intermédiaire entre les activités de surveillance et de compte rendu, qui sont déjà assez nombreuses, et l'aboutissement d'un processus sur une certaine forme de justice. Selon moi, la commission d'enquête, si elle voit le jour, irait plus profond et plus loin, par exemple, que la Mission d'experts qui vient de présenter son rapport et elle serait en mesure de rassembler des preuves qui serviraient de base ou qui contribueraient aux poursuites.
On peut se demander ensuite qui entamerait les poursuites. La Cour pénale internationale est une option, mais il pourrait également y avoir des tribunaux dans d'autres pays, selon le principe de la juridiction universelle.
Pour le moment, le système de justice burundais a malheureusement perdu toute indépendance et s'est avéré incapable de rendre justice. Cependant, cela pourrait changer à l'avenir.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, mais voilà comment j'entrevois cette éventuelle commission et son utilité.
Madame Tertsakian, j'aimerais vous poser une question complémentaire.
Il y a deux paragraphes auxquels je ne ferais même pas allusion s'ils ne figuraient pas déjà dans un document public. Il me semble que l'on a déjà découvert des preuves multiples, tout d'abord des allégations, puis des premières images par satellite. La Mission d'experts des Nations Unies les a consignées dans un document et je me demande si vous savez, d'après certains précédents, si elle a les ressources nécessaires pour continuer à surveiller cette situation, maintenant qu'elle a les preuves initiales obtenues par imagerie satellitaire que ces sépultures de masse existent bel et bien, afin qu'elle puisse préserver ces preuves médico-légales pour les utiliser contre les responsables.
C'est une question qu'il faudrait peut-être poser aux Nations Unies. Malheureusement, le mandat de cette mission d'experts est terminé. Son travail est terminé. En revanche, le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme est présent au Burundi. Comme vous le savez, des représentants de l'ONU chargés des droits de la personne sont présents depuis quelque temps au Burundi où ils poursuivent leur mission d'observation et de surveillance.
Je ne sais pas exactement de quelle capacité technique ou autre ils disposent, mais la destruction ou la disparition de preuves serait extrêmement grave. C'est, selon moi, une autre raison d'instituer rapidement une commission d'enquête, avant la disparition des preuves.
Merci beaucoup.
Madame Tertsakian, je tiens à vous remercier, vous et tous vos collègues de Human Rights Watch. Vous êtes une ressource fréquente et précieuse pour les membres de notre comité du Parlement canadien et nous apprécions vraiment le travail que vous faites sur le terrain, au Burundi et au Rwanda dans votre cas, mais également partout dans le monde.
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler depuis Londres. Votre témoignage est extrêmement précieux.
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