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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 134 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 11 décembre 2018

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte. Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, qui est parmi nous à Ottawa. Je souligne que M. Beasley est également un ancien membre de la Chambre des représentants de la Caroline du Sud et un ancien gouverneur de l'État de la Caroline du Sud.
    Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Beasley. Nous vous accorderons environ huit minutes pour votre déclaration préliminaire, après quoi il y aura une série de questions de chacun des partis.
    Merci infiniment. Je suis très content d'être ici.
    J'ai vraiment jonglé à l'angle à adopter ici compte tenu du nombre de tragédies qui frappent le monde. Il y a tellement de guerres, de conflits et de catastrophes qu'il est difficile de déterminer par où commencer. Prenons peut-être une perspective globale.
    Je suis entré en fonction il y a un an et demi, en ruant dans les brancards — et je dois admettre, bien honnêtement, que j'ai accepté ce poste un peu à contrecoeur, compte tenu de la dynamique en oeuvre dans le monde —, mais voici où nous en sommes un an et demi plus tard. Le monde a réalisé tellement de progrès pour réduire la faim dans le monde depuis environ 200 ans, je dirais, mais particulièrement depuis 50 ans. Au cours des deux dernières années, la famine a pourtant connu une recrudescence. Les gens qui en souffrent sont passés de 777 millions à 821 millions. La nouvelle la plus triste et la plus complexe, c'est que le taux de famine grave, soit la proportion des personnes littéralement susceptibles de mourir d'inanition parce qu'elles ne savent pas quand elles pourront prendre leur prochain repas est passé de 80 millions à 124 millions en seulement deux ans. La question fondamentale qu'il faut se poser est: quelle en est la cause fondamentale?
    La première cause fondamentale en est bien sûr les conflits attribuables aux hommes, qu'on pense à la situation au Yémen, à la détérioration complexe des conditions dans un pays comme le Venezuela, ou encore à la situation en Syrie, en Irak, en Somalie, au Nord-Est du Nigeria ou au Soudan du Sud. Ainsi, nous nourrissons ou aidons plus de 90 millions de personnes chaque jour.
    Quand je suis arrivé à la tête du Programme alimentaire mondial, nous traversions une grave crise financière. Les États-Unis — la nouvelle administration — parlaient de nous couper les vivres. Nous étions confrontés à quatre famines dans le monde. Nous avons finalement réussi à endiguer ces famines et bien sûr, nous avons réussi à convaincre les États-Unis du fait que l'aide internationale était essentielle, non seulement pour assurer la sécurité nationale de n'importe quel pays, mais pour assurer la paix et la stabilité dans le monde. La bonne nouvelle, c'est que les donateurs de partout dans le monde, y compris les États-Unis, ont redoublé d'ardeur plutôt que de reculer. Nous avons ainsi recueilli un milliard de dollars de plus, mais il nous manque encore quelques milliards.
    Le deuxième facteur déterminant, ce sont les extrêmes climatiques. Nous pouvons montrer où et comment les effets de ces extrêmes se font sentir d'un pays à l'autre. Quand la déstabilisation se conjugue aux extrêmes climatiques, c'est la combinaison parfaite pour provoquer une migration et la désintégration de beaucoup de dynamiques différentes dans une culture. On le voit particulièrement en Amérique centrale et du Sud, comme on le remarque particulièrement au Sahel, dans la grande région du Sahel qui s'étend de l'Atlantique jusqu'à la mer Rouge, d'où la population part en migration, se déplace.
    Nous savons, au Programme alimentaire mondial, que les gens ne veulent pas partir. Les gens ne quittent pas leurs maisons comme cela. Peu importe qu'ils soient de droite ou de gauche, quelle que soit leur couleur, leur race, leur religion, ils veulent rester chez eux. Or, quand il n'y a pas de sécurité alimentaire, chaque augmentation de 1 % de l'insécurité alimentaire cause une augmentation de 2 % des migrations. Quand on alimente 90 millions de personnes environ chaque jour, on en apprend beaucoup sur les gens. On en vient à savoir ce qu'ils pensent, à connaître leurs habitudes, leurs problèmes. Nous menons d'innombrables sondages et analyses sur les personnes que nous nourrissons dans le monde. De grands thèmes communs ressortent.
    Par exemple, permettez-moi de vous parler de la Syrie, d'où il y a une vague de migration vers l'Europe. On parle d'un pays de quelque 20 millions d'habitants, un chiffre évidemment à la baisse maintenant, puisque 5 à 6 millions de Syriens sont maintenant en exil dans les pays voisins, puis que plusieurs millions d'entre eux sont rendus en Europe, une vague dans laquelle une petite frange extrémiste a réussi à s'infiltrer. Il nous en coûte environ 50 cents par jour pour aider ou nourrir un Syrien en Syrie. C'est presque le double de ce qu'il nous en coûterait normalement, mais il s'agit d'une zone de guerre, et nos coûts logistiques sont donc supérieurs. On peut nourrir des personnes à très peu de frais quand on achète autant de nourriture que nous.
    En revanche, pour le Syrien qui n'a pas envie d'être à Berlin, qui n'a pas envie d'être à Bruxelles, l'aide humanitaire coûte 50 euros par jour. C'est 100 fois plus. Ces gens n'ont pas envie d'être là-bas. En fait, ils se déplaceront de deux à quatre reprises à l'intérieur de leur propre pays avant de se résigner à le quitter, pour se rendre en Jordanie, au Liban, en Turquie ou à n'importe quel autre pays auquel ils ont accès.
    Ce n'est pas très différent de ce qu'on observe au Venezuela. Il y a désormais un million de Vénézuéliens en Colombie et 800 000 en Équateur. Il faut ajouter à l'équation toute la complexité du corridor sec à traverser et de la sécheresse qui frappe la région. Il y a un reportage qui a été diffusé aujourd'hui dans les nouvelles politiques de CNN qui montrait que le public ne comprend pas qu'une grande partie de ce qui pousse la caravane sur la route, c'est la faim attribuable à la sécheresse qui frappe El Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Guatemala.
(1310)
    Ce sont des enjeux auxquels il faut nous attaquer. C'est la raison pour laquelle je crois que le Programme alimentaire mondial, fort de son expérience, peut intervenir en conditions d'urgence. Personne ne peut faire mieux que nous. Cependant, nous ne nous attaquons pas aux racines du problème. Si nous pouvions nous y attaquer, je crois que nous pourrions éliminer les migrations par nécessité pour ne conserver que les migrations par choix. C'est une perspective agréable.
    Comme je le dis à mes amis républicains et démocrates, à Washington, s'ils pouvaient accepter de ne pas toujours être d'accord — parce qu'ils passent 100 % de leur temps à se chamailler sur la question d'un mur à la frontière et de la politique d'immigration à adopter —, pourquoi ne décideraient-ils pas tout simplement, en tout respect, de laisser ces querelles de côté? Pourquoi ne nous rassemblons-nous pas pour nous attaquer aux racines du problème, afin qu'il cesse d'être le problème grave et complexe qu'il est en ce moment?
    Le Programme alimentaire mondial est essentiellement vu comme un programme de secours d'urgence humanitaire, alors qu'en fait, bien que nous offrions le plus vaste programme humanitaire au monde, nous apportons tout l'éclairage du développement dans le domaine de la sécurité alimentaire. C'est la raison pour laquelle il est si important pour nous de travailler avec le Canada: le Canada comprend clairement le mariage entre l'aide humanitaire et le développement. L'ancien cloisonnement créé dans les années 1960 et 1970 — où il y avait d'un côté le développement et de l'autre, les secours humanitaires d'urgence — doit être relégué aux oubliettes pour donner à l'équipe toute la souplesse nécessaire pour s'attaquer à des situations plus complexes qu'auparavant.
    Notre façon d'aborder les enjeux liés à la sécurité alimentaire ne peut plus si facilement être isolée des autres enjeux, puisque la situation diffère d'un endroit à l'autre, comme en Amérique centrale et du Sud, au Sahel ou dans la grande région du Sahel où vivent 500 millions de personnes et non seulement 20 millions. Je pense que c'est à la chaîne de télévision France 24 que j'ai dit que si nous nous inquiétons de voir 20 millions de personnes déstabilisées, attendons de voir les 500 millions l'être. L'EI, Al-Qaïda, Boko Haram et Al-Shabaab essaient d'exploiter la fragilité. Il y a des gouvernements fragiles, puis des extrêmes climatiques commencent à frapper leurs populations. C'est une situation très complexe, mais nous avons des solutions. Nous savons que quand nous pouvons intervenir grâce à un financement pluriannuel souple pour proposer une solution à long terme, nous pouvons résoudre les problèmes. Nous pouvons vous en donner un exemple après l'autre, parce qu'il y a beaucoup de fatigue chez les donateurs.
    Certains donateurs affirment injecter de l'argent dans les pays d'Afrique depuis 30, 40 ou 50 ans, par les organismes de l'ONU ou l'aide internationale, et que cela ne donne rien. Nous affirmons, pour notre part, que nous voulons, premièrement, une stratégie de sortie pour chaque dollar dépensé. Autrement dit, comment pouvons-nous atteindre nos objectifs de manière à ce que l'on n'ait plus besoin de nous après? Nous créons de la durabilité et de l'autosuffisance. Nous privilégions les programmes d'échange de denrées contre la construction d'actifs dans ces régions très fragiles.
    Ce que nous faisons avec ce genre de programme, grâce aux repas offerts dans les écoles, aux projets favorisant la parité hommes-femmes et l'autonomisation des femmes et des filles partout dans le monde est tout à fait remarquable, et le Canada est un acteur de premier plan qui nous aide dans notre rôle de leader. Nous sommes ici pour vous en remercier. Nous vous remercions infiniment de ce partenariat. Nous avons encore beaucoup de pain sur la planche. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous tenions à être ici, parce que nous voulions vraiment vous dépeindre les réalités dans lesquelles vous investissez votre argent. Je peux répondre à toutes vos questions pour vous montrer pourquoi nous croyons que c'est un bon investissement, mais il faut en faire encore plus.
    Comme mes amis des États-Unis le disaient: « Nous ne nous désisterons pas. Allez voir nos amis du Canada et de l'Europe pour les convaincre d'en faire plus avec nous. »
    Merci.
(1315)
    Je vous remercie infiniment de ce témoignage.
    Comme nous sommes un sous-comité sur les droits de la personne, je vous prie d'axer vos questions sur l'intersection entre les droits de la personne et la sécurité alimentaire aussi.
    Nous commencerons par une première série de questions de sept minutes menée par M.  Sweet.
    Merci infiniment, madame la présidente.
    Monsieur Beasley, je vous remercie. Vous faites un travail d'ange. Je l'apprécie beaucoup.
    Je trouve fascinant de constater que toute la vie durant, certaines choses ne changent jamais. L'une des premières familles dont il est question dans les Écritures celle de Jacob et ses fils, a dû s'exiler à Goshen à cause de l'insécurité alimentaire, et nous en parlons toujours aujourd'hui.
    J'aimerais vous poser une question sur vos donateurs. S'agit-il exclusivement d'États-nations ou y a-t-il aussi de grandes fondations qui donnent au PAM?
    Ce sont surtout des États. En fait, s'il y a un domaine où le Programme alimentaire mondial est très peu présent, c'est celui des levées de fonds privées. Je commence d'ailleurs à en parler, si bien que nous commençons à analyser ce qui peut être fait.
    Je doute qu'on puisse trouver là des sommes substantielles, des milliards de dollars en sommes amorties sur une base annualisée, même en intensifiant notre présence sur Internet et même si nous allions chercher la Génération Y. Nous croyons que si nous arrivions à sensibiliser un demi-milliard de Y et à les convaincre de donner 2 $ par année, nous ramasserions un milliard de dollars.
    Je suis arrivé en poste il y a presque 20 mois. Nous recueillons aujourd'hui 4 millions de dollars de plus par jour qu'il y a un peu plus d'un an. C'est un peu plus d'un milliard de dollars. Ces sommes viennent principalement de 10 pays. Nous avons réussi à tisser un lien avec des pays qui n'avaient jamais donné à notre programme, comme l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Nous avons réussi à les convaincre qu'ils devaient contribuer au programme, et ils embarquent. La Chine y contribue aussi plus que jamais. La Russie un peu plus que jamais elle aussi. Nous essayons d'en faire encore plus.
    Le secteur privé sera la solution à long terme pour les partenariats sur le terrain, pas seulement sous la forme d'argent, mais pour l'expertise et l'autonomisation économique.
    C'est la durabilité dont vous parliez.
    Oui.
    Trouvez-vous que la plupart des pays tiennent promesse? Vous avez mentionné des choses positives sur d'autres...
    J'ai entendu beaucoup d'histoires quand je suis arrivé à la tête de ce programme, mais jusqu'à maintenant, cela va vraiment bien.
    Je vous en donnerai quelques exemples.
    Les États-Unis nous donnaient environ 1,8 milliard de dollars, et bien sûr, tout le monde craignait que l'administration Trump annule tout cela, mais nous recueillons maintenant presque 2,75 milliards de dollars aux États-Unis. Nous sommes donc allés chercher environ 1 milliard de plus par année.
    Je passe aussi beaucoup de temps avec nos amis mutuels du Bundestag, en Allemagne, pour leur expliquer pourquoi ils doivent s'engager et pourquoi ils ne peuvent pas se contenter de miser sur les secours humanitaires. Il doit y avoir du développement dans le contexte actuel, parce que sans sécurité alimentaire, plus rien d'autre ne compte. L'Allemagne a donc rehaussé sa contribution de quelques centaines de millions. Elle nous donnait 65 millions de dollars il y a six ans et nous en donne maintenant 800 millions.
    De même, la contribution du Royaume-Uni est passée de 300  ou 400 millions de dollars à environ 600 millions de dollars.
    La contribution per capita des pays nordiques est également très bonne.
    La France nous donne environ 30 millions de dollars. C'est problématique. Elle devrait nous en donner plus, particulièrement pour l'aide au Sahel et aux pays francophones.
    Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont vraiment répondu à l'appel, mais je pense que tout a commencé quand... Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais il y a un an, il y a eu un reportage brutal à 60 Minutes sur la guerre au Yémen. Je venais tout juste de rentrer d'une mission sur le terrain, et ce reportage était très dur envers les Saoudiens. Pour une raison ou une autre, ils se sont ralliés à la cause. C'est mieux. De même, notre travail avec les Émirats arabes unis a vraiment été remarquable depuis un an.
(1320)
    Nous comprenons votre message que les migrations découlent d'un manque de sécurité alimentaire et que si l'on vient en aide aux personnes dans le besoin, ce sera beaucoup plus efficace, d'un point de vue économique, que d'intervenir après la catastrophe.
    Vous pourriez peut-être consacrer le reste du temps qui vous est imparti avec moi sur deux de nos sujets d'étude récents, si nous avons assez de temps.
    Le premier est la situation des Rohingyas au Bangladesh. Nous avons longuement étudié cette question. Que fait le Programme alimentaire mondial là-bas? De même, le Venezuela accepte-t-il de l'aide de vous?
    Soit dit en passant, je reviens tout juste d'une mission sur le terrain au Yémen. C'est la catastrophe au Yémen. Nous pourrions parler pendant des heures de la catastrophe humanitaire là-bas et de tout ce qu'il y a à faire.
    Au sujet des Rohingyas, je me suis rendu à Cox's Bazar il y a environ cinq semaines. Le camp est passé d'un petit groupe de personnes à un million en quelques mois à peine. Bien que nous ne soyons pas responsables des camps eux-mêmes, nous nous occupons de l'ingénierie. Bien peu de gens sont conscients de tout ce que le Programme alimentaire mondial fait. Nous sommes un centre de logistique pour les Nations unies et assurons toute l'ingénierie nécessaire pour la construction de ponts, le transport aérien, par camions et par bateaux et tout le reste, parce que nous transportons d'à peu près tout pour tout le monde.
    Le camp à Cox's Bazar était tout simplement... Vous connaissez la situation. Elle est misérable. Je ne sais pas si vous y êtes déjà allés ou si vous avez vu des photos, mais nous étions inquiets pour les centaines de milliers de personnes dont la vie est en danger seulement parce que la saison des pluies s'en vient. Nous sommes débarqués dans le camp et y avons fait tout en notre pouvoir pour sécuriser les sites terrestres, y installer des tuyaux, des ponts et d'autres choses du genre. Nous avons beaucoup amélioré les choses.
    Bien franchement, tout le monde y parlait de retourner au Myanmar. Si je peux être honnête, je ne peux pas m'imaginer ces gens rentrer chez eux. Je veux dire, j'entendais, d'une mère à l'autre et des quelques pères à avoir survécu, à ne pas s'être fait tuer, des histoires d'enfants assassinés sous leurs yeux, de femmes violées, de personnes brûlées vives. Comment peut-on vouloir retourner dans un tel endroit? Cela ne me semble pas concevable. Il y en a qui y retourneront. On leur fera certaines promesses, mais je ne vois pas comment c'est possible. J'espère qu'un jour, ils pourront rentrer chez eux.
    Nous avons travaillé à la numérisation de chaque Rohingya, pour que leurs données biométriques et d'identification soient numérisées et qu'ils aient un sentiment d'identité pour la première fois de leur vie. Nous travaillons avec toutes les différentes organisations de l'ONU et les organisations internationales à faire ce que nous pouvons pour stabiliser l'environnement là-bas.
    Bien sûr, l'armée du Bangladesh supervise beaucoup les opérations sur le terrain. Bien sûr, j'y ai rencontré le premier ministre. Il y a des élections qui s'en viennent là-bas, ce qui crée une dynamique particulière, ils ne veulent pas trop intervenir, parce qu'ils sont un pays d'accueil. Nous essayons donc de réduire au minimum les conséquences négatives de tout cela sur la communauté locale, parce que c'est un problème en soi.
    Il y a aussi l'impact environnemental, qui est une tout autre question, mais vous pouvez imaginer la situation d'un pays qui a réalisé beaucoup de progrès depuis 25 ans. Il n'y a pas beaucoup d'emplois. On peut évidemment comprendre les politiques qui interdisent aux Rohingyas de s'installer dans les collectivités locales et d'y occuper des emplois. Nous essayons de nous attaquer à toutes ces questions de front, mais la situation est très, très triste.
     Malheureusement, nous devons nous arrêter ici, mais nous serons peut-être en mesure d'y revenir dans d'autres questions.
    D'accord. Je parlerai du Venezuela à un autre moment.
    C'est maintenant au tour de Mme Khalid, qui dispose de sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
     Monsieur Beasley, je vous remercie de votre présence et de votre témoignage très important.
    Vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire, et j'aimerais connaître votre point de vue sur la crise qui ne cesse de prendre de l'ampleur au Yémen où, comme l'indique le Programme alimentaire mondial, 15 millions de personnes vivent une crise alimentaire, une situation d'urgence. Pouvez-vous nous parler de la situation sur le terrain? Quelles en sont les causes? Que peut faire le Canada pour aider plus de 15 millions de personnes qui vivent cette situation de crise et cette famine?
    Oui. J'ai été sur le terrain pendant plusieurs jours récemment, à Aden, à Sanaa et à Hodeida. Si vous pouvez vous imaginer les dangers qu'on court en allant à Hodeida, tout le monde, la sécurité de l'ONU, a dit « vous ne pouvez pas aller à Hodeida ». J'ai dit que je devais y aller, que je devais me rendre au port, et montrer au monde que nous devons protéger ce port à tout prix parce que s'il devait fermer, cela entraînerait une catastrophe sans précédent. Des gens disent que le Yémen est au bord de la catastrophe et je dis que c'est totalement faux — c'est déjà la catastrophe. Un enfant meurt toutes les 10 ou 11 minutes maintenant. Il y a quelques semaines, nous aidions quotidiennement environ huit millions de personnes. C'étaient des gens qui étaient carrément en train de mourir de faim.
    Aujourd'hui, selon nos plus récentes données, le nombre de gens qui souffrent gravement de la faim a augmenté à entre 15 et 16 millions. Il faut maintenant se demander quelle est la cause de la hausse substantielle, car la guerre a commencé il y a plusieurs années. C'est un pays qui était déjà grandement appauvri. Le taux de retard de croissance était déjà l'un des plus élevés au monde. La monnaie, le rial, perdait déjà de la valeur il y a 20 ans. Elle est passée de 70 pour 1 à 215 pour 1 le jour qui a précédé le début de la guerre, environ. Lorsque j'y étais il y a quelques semaines, c'était 720 pour 1. Vous pouvez donc vous imaginer ce qu'il en est du pouvoir d'achat, à supposer qu'il y ait quoi que ce soit à acheter, sans compter que les gens n'ont pas d'argent parce qu'il n'y a pas d'emplois. Huit millions de gagne-pain ont été détruits depuis le début de la guerre et 1,2 million de fonctionnaires n'ont presque pas été payés ces trois dernières années. Il n'y a pas de liquidités sur le marché.
    Si l'on regarde les trois derniers mois, le nombre de gens qui souffrent de la faim a atteint un sommet, soit 3,6 millions de personnes au cours des trois derniers mois et 1,6 million au cours des 30 derniers jours. On parle de la même guerre. Puisque rien n'a vraiment changé, que se passe-t-il maintenant? Il n'y a plus de liquidités. Il n'y a pas d'argent, et plus personne dans le reste du monde ne veut faire crédit. C'est une véritable tempête.
     Nous avons été capables d'éviter la famine malgré les batailles que nous avons menées. Il y a un an, nous luttions. J'ai été dur avec les Saoudiens. Ils avaient imposé le blocus, et ils ne fournissaient pas d'argent pour les conséquences humanitaires, de sorte que je m'en suis pris durement à eux à l'échelle internationale. Les Houthis étaient tellement contents. « Nous sommes ravis que vous tombiez sur les Saoudiens ». Je leur ai dit que je ne me rangeais ni d'un côté ni de l'autre. Je leur ai dit que c'était pour les droits de la personne, la dignité humaine, et que s'ils franchissaient cette limite, je m'en prendrais à eux aussi. La question est de savoir à quel moment, si jamais ils le font.
    Il y a trois semaines, j'ai rencontré les Houthis et je les ai réprimandés assez fortement en raison du manque d'accès. Nous avons éliminé ou résolu le problème du blocus avec les Saoudiens. Ils ont fourni des fonds. En passant, il a été remarquable de collaborer avec les Émirats arabes unis au cours de la dernière année. Il y a eu un changement remarquable. Ils nous demandent ce qu'ils peuvent faire, s'il y a quelque chose qu'ils peuvent améliorer dans ce qu'ils font. C'est un sujet autre que la question de la guerre en tant que telle, bien entendu. C'est la dynamique de base. Les Houthis, qui contrôlent l'accès dont nous avons besoin dans la plupart de ces régions où se trouve la majeure partie des gens, constituent un obstacle pour ce qui est de l'accès, des visas qu'il nous faut pour le nombre et le type de gens concernés, en plus de l'équipement dont nous avons besoin. Quand on nourrit huit millions de personnes quotidiennement, on a besoin de beaucoup de choses.
    Je peux dire honnêtement, et j'ai rencontré les dirigeants houthis — la dynamique des Houtis n'est pas simple; il y a différents chefs houtis —, que certains ont fait des progrès importants ces dernières semaines. Je leur ai expliqué que je prévoyais dire au monde que les gens mourront parce qu'ils nous interdisent l'accès et que j'avais besoin de leur collaboration, et bon nombre d'entre eux ont collaboré. D'un autre côté, certains Houthis s'en fichent. Ils s'en fichent totalement.
(1325)
    Que peut faire le Canada pour fournir de l'aide sur le terrain? Nous parlons de fournir de l'aide humanitaire pour de la nourriture, etc., mais croyez-vous qu'il s'agit d'une solution de fortune au problème du Yémen? Comment le Canada peut-il offrir une durabilité à long terme, surtout sur le plan de la sécurité alimentaire?
     Il y a plusieurs choses à dire ici. D'abord et avant tout, au cours des deux dernières années seulement, pour le Yémen, le Canada nous a aidés, je crois, avec 29 millions de dollars. Le Canada nous aide vraiment pour ce qui est des enfants d'âge scolaire, de la nutrition, des mères allaitantes, des femmes enceintes et surtout des petites filles. Le Canada fait de l'excellent travail.
    À long terme, la dynamique est tout à fait différente. Permettez-moi d'ajouter que — si l'on exclut la possibilité qu'on mette fin à la guerre; évidemment c'est la meilleure solution — le problème, c'est qu'on ne peut pas régler la crise humanitaire à l'aide d'une solution humanitaire. La situation est trop grave. On doit injecter des liquidités dans le marché. Nos équipes comptent un groupe d'économistes parce que les économies déterminent les prix alimentaires, qui eux, peuvent déclencher des troubles civils. Nous savons tout cela.
    Mon meilleur économiste m'a accompagné au Yémen. Nous y avons rencontré le gouverneur de la Banque centrale et d'autres leaders du pays, comme le gouvernement du Yémen et les chefs de facto d'ailleurs. Nous leur avons expliqué qu'il ne s'agissait plus d'avoir recours seulement à une solution humanitaire, mais d'injecter environ 200 millions de dollars américains de liquidités dans le marché, et nous leur avons parlé de la façon de procéder pour stabiliser le rial. Il faut que le rial revienne à moins de 450 pour 1 afin que le marché redevienne économiquement viable, car 90 % des aliments et des produits au Yémen proviennent d'autres pays. Il n'y a plus d'économie à l'intérieur du Yémen, de sorte que le pays ne peut pas produire ses propres aliments. Il ne peut pas fournir ses propres produits. C'est une catastrophe.
(1330)
    Je suis désolée, mais le temps est écoulé.
    Nous passons maintenant à Mme Hardcastle, qui dispose aussi de sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je veux profiter du temps dont je dispose pour en apprendre un peu plus sur les mesures de protection que vous avez mis en place pour empêcher un gouvernement corrompu ou une faction rebelle d'utiliser le programme alimentaire à mauvais escient ou de lier l'aide alimentaire à un soutien politique ou de nourrir les militaires en priorité. Je suis certaine que vous pouvez parler de certains des moyens que vous...
     Bien sûr. Nous pourrions y consacrer des heures en fait. C'est très important, car nous faisons maintenant plus que fournir des produits dans des situations d'urgence humanitaire à court terme. Nous faisons maintenant des transferts en espèces. Nous sommes l'acteur le plus important dans le monde sur ce plan. Nous assurons maintenant près de 2 milliards de dollars de transferts.
    Notre façon de procéder à cet égard est assez remarquable; j'ignore combien de temps j'ai pour en parler. Qu'il s'agisse de transferts en espèces ou de produits, il est essentiel d'avoir les systèmes de surveillance à des fins d'évaluation et de surveillance en place. Nous sommes confrontés à cela tous les jours. Il y a certains endroits, en particulier les zones de guerre complexes, où les forces de l'opposition ne veulent pas qu'on ait accès à la zone. Elles veulent pouvoir livrer la nourriture. Bien entendu, que peut-il se passer dans ce cas? Nous leur disons que ce n'est pas comme cela que nous procédons. « Nous sommes neutres et nous apporterons des vivres à toutes les personnes innocentes de n'importe quelle région, peu importe. Avez-vous d'autres questions? » Voilà ce que nous disons.
    Au Yémen, nous avons rencontré des problèmes. En Syrie, nous pourrions en rencontrer, ou dans des pays comme le Soudan du Sud, le Nigeria, la Somalie ou la République démocratique du Congo. Chaque endroit est différent. Nous avons des systèmes en place pour minimiser les risques. Nous n'allons pas dans les régions les plus agréables du monde. Nous allons dans les endroits les plus difficiles du monde, des endroits minés par la corruption et la désintégration des lois de la transparence, de la règle de droit, etc. Nos équipes mettent en place les mécanismes de surveillance et ce dont nous avons besoin. Mes équipes comprennent; lorsqu'elles soupçonnent quelque chose, elles le signalent immédiatement aux donateurs, car on se retrouvera dans une situation où l'on se demandera comment réagir dans ce type de situations et de quels systèmes on dispose pour minimiser les risques.
    Compte tenu des systèmes de transferts en espèces, par exemple, nous avons maintenant créé toute une nouvelle division sur les risques. Lorsqu'il s'agit de verser 2 ou 3 milliards de dollars, par exemple, il faut déterminer comment et où nous le faisons. Nous utilisons maintenant la biométrie, qu'il s'agisse du balayage oculaire ou de la prise d'empreinte, et partout où nous allons, nous intégrons ces nouvelles technologies.
    À mon arrivée, deux ou trois aspects du système onusien m'exaspéraient un peu. Je n'avais jamais vu le système de l'intérieur. C'est pourquoi j'ai été un peu surpris de me retrouver à ce poste, car j'ai toujours pensé que l'ONU n'était pas aussi efficace qu'elle pouvait l'être. Elle ne l'est pas, mais c'était beaucoup mieux que ce que je croyais. Je disais « voici quelle devrait être la situation de l'ONU, voici ce que je croyais qu'elle était ». Je pense qu'elle se trouvait quelque part entre les deux.
    Le Programme alimentaire mondial fait un travail remarquable. Il fait le travail. Les deux aspects qui me préoccupaient concernaient les lacunes en numérisation dans le système onusien et la parité entre les sexes. J'étais choqué de voir que l'ONU discutait encore de la parité en 2017, lorsque je suis arrivé. Je disais « vous discutez encore de cette question, vraiment? »
    Au Programme alimentaire mondial, nous aimons penser que nous sommes des leaders au chapitre de l'autonomisation des femmes. Nous utilisons le système de transfert en espèces pour accroître et améliorer de façon substantielle les occasions des femmes dans les communautés. Dans le volet des produits, où nous utilisons la nourriture pour de l'argent, pour des actifs, par exemple, comme au Sahel, lorsque nous collaborons avec les femmes, vous pouvez être sûrs que les vivres se rendent là où il le faut. Les femmes veilleront à ce que leurs petites filles et leurs petits garçons reçoivent la nourriture.
    Lorsque nous intégrons la biométrie et la numérisation, nous constatons qu'on économise entre 5 et 35 %. On élimine les répétitions. Vous pouvez vous imaginer que si vous êtes dans un pays qui compte un million de réfugiés et que vous n'avez pas assez d'argent pour donner des rations complètes à tout le monde, peu importe quoi; toutes les mères chercheront un moyen d'en obtenir plus, et on les comprend. Or, l'intégrité des systèmes — nous mettons les systèmes de surveillance en place.
     D'après mon expérience, je peux vous dire que les femmes s'assurent d'acheter la nourriture qu'il faut avec cet argent et veillent à ce que les enfants la reçoivent. Nous avons créé une application que nous essayons à certains endroits. Au Liban, par exemple, l'ancienne façon ne consistait qu'à faire venir des aliments. Il y a un million et plus de réfugiés au Liban. Nous y sommes allés et nous avons établi 500 magasins. Les femmes, surtout les réfugiées palestiniennes, arrivent et s'identifient avec leur empreinte digitale et entrent dans un magasin. Un tiers des aliments qu'ils achètent est produit localement, ce qui aide l'économie locale. Un tiers est traité localement, ce qui aide l'économie locale. Un tiers est importé.
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    Nous saisissons l'occasion d'utiliser l'argent pour maximiser les bienfaits pour la dignité et l'autonomisation des familles, de même que pour essayer d'améliorer les aspects économiques d'une situation déjà très difficile pour le pays hôte, afin de réduire au minimum le fardeau pour lui. Prenons le Liban et la Jordanie et le fardeau qu'ils portent ces dernières années. Nous ne pouvons pas laisser la Jordanie et le Liban s'effondrer. La Turquie, bien entendu, a accueilli des millions de réfugiés.
     Nous travaillons sans cesse à améliorer les systèmes parce que l'intégrité institutionnelle est essentielle. Quand on nourrit autant de gens à autant d'endroits, on rencontre des problèmes. Il y a toujours quelqu'un qui essaiera de déjouer le système quelque part. Lorsque nous le constatons, nous nous demandons ce qui s'est passé et pourquoi nous ne l'avons pas su à l'avance? Quels changements devons-nous apporter aux systèmes? Il s'agit de ce genre de choses
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Beasley. Je pense que nous aurions pu vous écouter tout l'après-midi.
    Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir comparaître. Merci aussi pour votre témoignage très éclairant.
    Merci.
    Nous allons suspendre la séance un instant et nous la poursuivrons à huis clos pour les travaux du Comité.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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