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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 145 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 4 avril 2019

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Traduction]

    Je suis ravie d'être ici aujourd'hui pour la poursuite de notre étude sur les femmes défenseures des droits humains. Dans le cadre de cette étude, nous avons entendu des témoins provenant d'un peu partout sur la planète. Nous accueillons aujourd'hui Mme Teresita Quintos Deles qui nous vient des Philippines. Elle est conseillère présidentielle pour le processus de paix et présidente d'INCITEGov., le centre international pour l'innovation, la transformation et l'excellence en gouvernance. Elle a grandement contribué à faire en sorte que les Philippines deviennent le premier pays de l'Asie-Pacifique à mettre en oeuvre et en application un plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité.
    Nous sommes vraiment heureux de pouvoir vous accueillir. Nous vous laissons une dizaine de minutes pour vos observations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des membres du Comité.
    À vous la parole.
    Madame la présidente et honorables membres du Sous-comité, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant vous cet après-midi.
    C'est avec une certaine réticence, mais aussi un grand sentiment d'urgence, que je suis venue depuis l'autre côté du globe pour vous parler de la situation des droits de la personne aux Philippines. Je tiens à vous exposer tout particulièrement le perturbant climat de victimisation éhontée et systématique des femmes qui prévaut actuellement sous le régime de Duterte.
    Si j'hésitais à vous parler de ces questions liées aux droits de la personne, c'est qu'elles n'ont pas été vraiment au coeur de mon travail des 10 dernières années. Pendant cette période, mes efforts ont surtout visé la résolution des conflits et l'édification de la paix. Je me suis déjà intéressée aux enjeux touchant les droits économiques des femmes, leur habilitation politique, le soutien à la garde des enfants et la violence dont elles sont victimes, mais les sévices auxquels s'exposent aujourd'hui les Philippines sont d'un ordre tout à fait différent. Ils sont empreints de vulgarité et perpétrés publiquement sans restriction et sans même qu'il n'y ait de lien personnel avec les femmes ciblées.
    On s'emploie à ternir la réputation des femmes qui défendent les droits de la personne sans qu'il ne semble y avoir aucun fondement moral ni aucune justification sociale. Fait plus révélateur encore, cela arrive sans quelque provocation que ce soit si ce n'est un fait déjà connu et bien documenté, à savoir que ces femmes ont été parmi les voix les plus précoces, les plus fortes et les plus insistantes à dénoncer les abus du régime.
    Bref, nous vivons une période sans précédent dans notre histoire. Nous croyions avoir atteint des sommets de misogynie lorsque le président Marcos a déclaré en visant Cory Aquino que les femmes étaient davantage à leur place dans une chambre à coucher. Les années écoulées depuis et les nombreux gains réalisés par le mouvement de défense des femmes, y compris leur participation politique et sociale accrue au sein du gouvernement comme dans le secteur privé et l'adoption de lois comme la grande charte des femmes, ont contribué à nous mettre en confiance et à nous amener à penser, peut-être avec un peu de complaisance, que les attaques du genre, de la gravité, de la fréquence et de la flagrance de celles perpétrées de façon préméditée par Duterte et ses sbires étaient choses du passé dans la société philippine. De tels comportements n'ont jamais été acceptables, et nous pensions bien qu'ils ne le seraient jamais.
    Voilà pourtant que deux ans et demi à peine après son arrivée au pouvoir, le président Duterte a déjà réussi à victimiser toutes ces femmes qui l'ont entendu ordonner à ses soldats de tirer les rebelles dans le vagin pour les rendre inutiles, se vanter d'avoir agresser sexuellement son aide familiale pendant son sommeil, faire valoir que le viol est un comportement tout à fait normal lorsqu'une femme est attirante, et banaliser les traumatismes découlant de la violence sexuelle en accusant sa propre fille de faire du théâtre lorsqu'elle parle du viol qu'elle a subi.
    Au début de sa campagne présidentielle, il s'est permis une blague au sujet du viol d'une religieuse australienne qui a été assassinée en indiquant qu'en sa qualité de maire, il aurait dû être le premier à avoir son tour. Il a qualifié les femmes qui s'opposent à lui de salopes et de traînées afin d'entacher les vérités qu'elles osent rapporter à son sujet.
    Je comparais donc également devant vous aujourd'hui avec un grand sentiment d'urgence. L'attitude la plus néfaste que nous puissions adopter est peut-être de penser dans un premier temps que ces comportements du président n'affectent que les femmes et, par ailleurs, que Duterte est simplement détraqué lorsqu'il fait ce genre de déclarations ou qu'il cautionne des gestes et des mentalités préjudiciables aux femmes. En fait, sa folie est tout à fait méthodique.
    Duterte s'est servi de la dégradation des femmes pour discréditer leurs appels pour que le gouvernement s'acquitte de ses devoirs constitutionnels et de ses obligations internationales pour le respect et la promotion des droits de la personne et pour la défense de la souveraineté et de la démocratie aux Philippines.
    Il agit de façon calculée pour faire taire les dissidentes en punissant pour l'exemple toutes ces femmes qu'il a publiquement insultées et couvertes de honte afin de promouvoir une culture de l'impunité. Tout cela a résulté en un discours politique et socioéconomique beaucoup plus circonscrit aux Philippines.
    Parallèlement à l'érosion systématique de l'indépendance des institutions devant servir à limiter les abus et la concentration des pouvoirs, il a livré un message très direct: si vous ne voulez pas être victime de sévices, ne critiquez pas Duterte. Mieux encore, amendez-vous et souscrivez au discours de Duterte qui affirme qu'il n'y a pas d'exécutions extrajudiciaires, que tout va bien à Mindanao et que la souveraineté des Philippines ne s'est jamais mieux portée. Toutes les fois qu'il déclare le contraire, c'est simplement une blague; et tous les relevés indiquant que la situation est différente peuvent être considérés comme autant de fausses nouvelles.
    Il s'emploie à façonner les Philippines suivant sa propre conception de ce que devrait être une femme: un être que l'on peut facilement intimider et réduire au silence et qui devient une complice vous obéissant aveuglément. Il peut toujours prétendre s'en prendre uniquement aux femmes, mais les préjudices qu'il cause touchent les gens des deux sexes.
(1305)
    Ses cibles personnelles sont fort révélatrices. Il vise des femmes fortes et indépendantes. Des femmes comme la sénatrice Leila De Lima qui, à titre de présidente du comité sénatorial de la justice et des droits de la personne, a institué une enquête sur la vague d'exécutions extrajudiciaires semblant faire suite à la déclaration de guerre du président contre les drogues. La sénatrice De Lima est ainsi passée du jour au lendemain du statut d'élue respectée, avocate de formation, travaillant par choix à la défense des droits de la personne et de la primauté du droit à celui de détenue qualifiée de « mère des barons de la drogue ». Elle en est aujourd'hui à son 770e jour d'une détention résultant d'accusations de trafic de stupéfiants qui ont été inventées de toute pièce sans aucune preuve à l'appui si ce n'est les témoignages faux et intéressés de narcotrafiquants avoués.
    Des femmes comme la juge en chef Maria Lourdes Sereno qui a été déchue de son poste au mépris de la constitution après avoir osé remettre en doute la validité de la liste de suspects établie par Duterte pour le trafic des stupéfiants, liste sur laquelle on retrouvait les noms de juges à la retraite ou décédés depuis longtemps.
    Des femmes comme la sénatrice Risa Hontiveros qui a fait l'objet de multiples accusations, allant du rapt jusqu'à l'écoute illégale, après qu'elle eut assuré la protection de témoins oculaires de l'exécution extrajudiciaire d'une victime de 17 ans, Kian Delos Santos, le seul cas parmi des milliers d'assassinats à avoir mené jusqu'ici à des inculpations.
    Des femmes comme la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Victoria Tauli-Corpuz, que le gouvernement a accusée de faire partie d'un groupe terroriste, ce qui a mis sa sécurité en péril en plus de miner son travail.
    Des femmes comme Maria Ressa, qui fait actuellement l'objet de 11 poursuites judiciaires et qui a été arrêtée et libérée sous caution pour la septième fois vendredi dernier après avoir été prise à partie, à titre de PDG du journal en ligne Rappler, par l'administration Duterte pour la publication de nouvelles et de commentaires incisifs sur des questions d'intérêt national, y compris un reportage sur la prétendue guerre contre la drogue.
    Le président a ainsi envoyé un message aussi clair que terrifiant. Si l'on peut s'en prendre ainsi à des femmes aussi puissantes et éminentes qui disposent déjà de la tribune, des ressources et du flair politique et juridique nécessaires pour défendre les autres mais aussi pour se défendre elles-mêmes, quel sort réserve-t-on aux femmes les plus vulnérables?
    Et on ne s'est effectivement pas gêné pour s'en prendre à d'autres femmes en allant jusqu'à cibler les plus vulnérables parmi les femmes et les enfants. Je vais maintenant vous parler des deux problèmes les plus graves mettant en cause les droits de la personne aux Philippines actuellement. Il s'agit des exécutions extrajudiciaires liées à la guerre que l'on livre prétendument aux trafiquants de drogues, et de la situation de crise qui perdure dans la ville de Marawi sur l'île de Mindanao.
    La guerre sanglante contre la drogue a fait un nombre incalculable de veuves et d'orphelins. On ne s'entend pas sur le nombre exact de morts, mais la Cour suprême a établi que 20 232 personnes avaient été tuées à venir jusqu'en 2017, un nombre qui peut sans doute se situer facilement aujourd'hui entre 25 000 et 30 000.
    Bien que les hommes comptent pour la plupart des personnes ainsi assassinées, un examen plus attentif de la situation nous révèle les lourdes répercussions qui s'ensuivent pour les femmes. Les épouses, les mères, les soeurs et les filles des hommes tués sont celles qui doivent recoller les pots cassés de telle sorte que la famille puisse reprendre un semblant de vie normale. Elles doivent trouver un moyen de subsistance, faire le nécessaire pour garder les enfants à l'école et régler les problèmes de santé, auxquels il faut désormais ajouter ces traumatismes dont on doit guérir. Voilà autant de responsabilités qui ne peuvent pas attendre pour ces femmes, sans compter qu'elles n'ont pas nécessairement pu assurer une sépulture décente à leur défunt.
    De plus, une étude menée par mon organisation féministe, PILIPINA, souligne le non-respect des droits et de la dignité des femmes dans les opérations antidrogues qui sont menées. Ainsi, on fait irruption par la force au domicile des plus nécessiteuses, alors que chaque femme, peu importe son degré de pauvreté, est censée trouver dans son foyer un lieu sûr et sacré. On porte atteinte à leur droit de s'occuper de leurs proches décédés ou blessés. On leur vole leurs maigres possessions. On les menace de s'emparer d'elle en lieu et place de leur conjoint lorsque celui-ci n'est pas à la maison. On les expose au harcèlement sexuel, à la prostitution et à la traite des personnes. Selon l'étude, ces femmes laissées à elles-mêmes forment au sein des quartiers pauvres une nouvelle sous-classe souvent ostracisée et isolée du voisinage; elles sont terrorisées par les dirigeants locaux et les assassins de leurs proches, et deviennent vulnérables à l'exploitation sexuelle.
    Deux pétitions ont été déposées jusqu'à maintenant en faveur de l'émission d'une ordonnance de protection temporaire interdisant aux autorités policières de s'approcher des résidences et des lieux de travail des familles des victimes d'exécutions extrajudiciaires. La seconde de ces pétitions a été déposée en octobre 2017 au nom des familles de 35 résidants de San Andres Bukid, un district pauvre de Manille, qui ont été tués au cours d'une période de 13 mois. Les pétitionnaires de San Andres Bukid étaient menés par Soeur Maria Juanita Daño de la Congrégation du Bon Pasteur qui a vécu parmi eux pendant de nombreuses années. Soeur Nenet, comme on l'appelle, a formé un groupe de femmes se réunissant chaque semaine pour réfléchir aux difficultés liées à la mise en pratique au quotidien de la parole de l'évangile. Des hommes ont été invités au départ à faire partie du groupe. Ils n'ont toutefois pas poursuivi l'aventure, car ils n'étaient pas chauds à l'idée de devoir partager leurs réflexions.
(1310)
    Lorsque les exécutions ont commencé, les résidants croyaient que la première devait servir d'avertissement pour les consommateurs et les revendeurs de drogue du voisinage. Les autorités ne se sont toutefois pas arrêtées là, si bien que l'on a vu le nombre de victimes augmenter, notamment parmi des gens n'ayant aucun lien avec les stupéfiants, y compris plusieurs jeunes.
    Les membres du groupe principal de la soeur Nenet ont été les premières à passer à l'action. Selon elle, il s'agissait de mères qui ne pouvaient pas accepter que l'on assassine des gens de leur voisinage. Toujours aux dires de la soeur Nenet, elles ont débuté par des actions subtiles comme des veillées aux chandelles et l'organisation de services religieux pour les victimes. Elles ont été encore plus bouleversées en entendant certains affirmer que les personnes assassinées n'avaient aucune valeur et méritaient de mourir. Comme le prêtre de la paroisse demeurait inactif, la soeur Nenet s'est adressée à l'évêque qui a convoqué une rencontre des avocats représentant les ONG.
    C'est Tin Antonio, avocate de l'organisation Centerlaw, qui était la plus empressée à agir. Tout en s'employant à réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires pour la cause, la jeune Antonio aidait les femmes à faire la cuisine et la lessive en plus de se joindre à la chorale pour les funérailles.
    Bon nombre des pétitionnaires hésitaient au départ à devenir partie prenante au recours collectif. La police les a menacés. Les dirigeants locaux les ont pris à partie. Même leurs proches leur demandaient si les poursuites allaient ramener le défunt à la vie, mais cela ne les a pas empêchés de persister. La soeur Nenet leur a dit que même si l'on n'avait pas gain de cause, on pourra au moins dire que l'on s'est battu pour nos chers disparus. Les médias rapportent les décès, mais ne citent aucun nom, seulement des chiffres. En identifiant les victimes, on leur rend leur dignité.
    Il y a deux jours, la Cour suprême a ordonné au gouvernement de rendre publics tous les documents liés à la guerre contre les stupéfiants menée par Duterte. Les policiers assignés au quartier ont été changés. Les exécutions ont diminué, mais se poursuivent tout de même sous une forme différente. Ce ne sont plus les policiers qui tuent les gens, mais bien des hommes roulant à deux sur une motocyclette. Chaque membre de cette communauté ecclésiale de base a maintenant à sa porte une toile où sont inscrits les 10 droits fondamentaux des citoyens. Chacune est encouragée à mémoriser cette liste afin de savoir quoi faire en cas d'arrestation ou de menaces. La soeur Nenet elle-même a évité de justesse que l'on puisse l'interpeller du simple fait qu'elle ne portait pas son voile lorsque l'ombudsman du village s'est présenté à la recherche d'une religieuse.
    J'en viens maintenant à la seconde question urgente à régler relativement aux droits de la personne. Il s'agit du déplacement de citoyens causé par le siège de cinq mois à Marawi. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 77 170 familles ont été déplacées en raison des opérations militaires qui ont débuté en mai 2017. Le centre de la ville a été complètement démoli, des maisons ancestrales ont été pillées, des propriétés ont été détruites et des centaines de personnes ont perdu la vie, y compris 45 civils. Des familles ont été séparées — et le sont encore. Encore aujourd'hui, près de deux après que Duterte eut déclaré la libération de Marawi, les résidants ne sont pas autorisés à retourner dans le secteur le plus touché du centre-ville. Pour ajouter à leurs tourments, on continue de les empêcher de participer de quelque manière que ce soit à la planification de la remise en état de leur ville.
    Il a été bien établi à l'échelle planétaire que les guerres et les déplacements de populations imposent un fardeau plus lourd aux femmes qu'aux hommes. Même en sachant cela, la façon dont ce siège s'est amorcé était de très mauvais augure. Lorsque Duterte a déclaré l'application de la loi martiale sur tout le territoire de Mindanao en réponse au siège, il a voulu motiver ses soldats à combattre en leur disant qu'ils pouvaient violer jusqu'à trois femmes chacun en toute impunité. Les femmes de Marawi doivent ainsi désormais composer avec une nouvelle réalité marquée par les privations, la marginalisation et l'insécurité physique et psychologique, une situation se caractérisant notamment par des signalements non confirmés de sévices sexuels.
    Le drame, c'est que les personnes qui défendent les droits humains à Marawi ont elles-mêmes été déplacées et figurent parmi celles qui ont tout perdu. Samira Gutoc, leadeuse de la société civile et seule voix s'exprimant au nom des Moro, a persisté à s'insurger contre l'application de la loi martiale lorsqu'on a débattu de la question au Congrès. Sa mère et son fils de trois ans ont été capturés à leur domicile du centre-ville lorsque les combats ont éclaté. La famille a perdu sa maison ancestrale et tout son contenu. Comme la plupart des gens de son peuple, elle se considère maintenant comme une personne déplacée à l'intérieur de son propre pays.
    Les leaders de la société civile de Marawi s'emploient maintenant à s'organiser de façon stratégique pour que leur voix soit entendue par le gouvernement même s'ils doivent encore composer avec la perte de leurs proches décédés ou disparus; les conditions inhumaines qui prévalent dans les sites d'évacuation; le déchirement d'un tissu social auparavant très serré; les menaces d'extinction de leur culture et de leur identité; et l'absence complète d'informations dignes de foi quant à ce que l'avenir peut leur réserver. Comme personne ne le fera pour eux, ces gens-là se lèvent pour défendre eux-mêmes leurs droits dans un contexte où le gouvernement semble avoir l'intention de balayer sous le tapis les décombres de Marawi, comme si toute une ville trépidante, avec ses besoins et ses habitants, avait pu s'envoler en fumée du jour au lendemain.
(1315)
    Dans toutes ces situations — et je conclurai là-dessus — qui vont du dénigrement de ces femmes puissantes qui prennent la place qui leur revient jusqu'à la victimisation d'autres femmes qui défendent les droits de la personne, principalement dans le contexte des exécutions extrajudiciaires liées à la drogue et du siège de Marawi, le danger vient surtout du fait que personne ne semble vraiment prêter attention alors même que le gouvernement poursuit ses efforts pour masquer la réalité.
    Permettez-moi de terminer en lançant un appel à la communauté internationale. Nous avons essayé de venir en aide aux proches des victimes des exécutions extrajudiciaires, des femmes principalement, mais nos efforts demeurent limités et, en toute franchise, très mal coordonnés. On a l'impression que si l'on en fait trop, on risque d'attirer l'attention sur nous, ce qui pourrait être à ce moment-ci non seulement inefficace, mais aussi dangereux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle bien des gens se contentent de formes de protestation que l'on pourrait qualifier de plus subtiles, comme le simple fait de refuser de rire lorsque le président fait des blagues dans ses discours.
    C'est pour la même raison que nous estimons que ce problème transcende nos frontières nationales. Nous faisons appel à la solidarité internationale. En fait, le moment ne saurait être mieux choisi pour mobiliser la communauté mondiale. C'est en effet lorsque quelqu'un s'en prend à celles qui défendent nos intérêts au pays en les mettant en danger que nous avons le plus besoin d'une intervention des femmes qui défendent les droits de la personne à l'échelle internationale. Il faut que les Philippins sachent que leur situation ne passe pas inaperçue. Faites en sorte que votre vigilance et votre solidarité nous aident à faire revivre l'espoir et le courage de manière à mettre fin au climat de crainte et d'impunité qui règne chez nous.
    C'est dans ce contexte que nous exhortons la communauté internationale à ne pas croire sur parole le gouvernement philippin. Exigez des réponses à vos questions avec toute la fermeté nécessaire. Faites bien comprendre à l'administration Duterte que le jour du jugement viendra pour ceux qui refusent de respecter les droits de la personne, et surtout pour ceux qui s'en prennent à leurs propres concitoyens pour asseoir leur pouvoir.
    Je vous remercie, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du sous-comité.
    Merci beaucoup, madame Quintos Deles. Nous sommes vraiment très heureux que vous ayez pu faire ce long voyage depuis les Philippines pour venir nous parler de ces questions. Comme vous le savez, notre séance d'aujourd'hui est télévisée, ce qui permettra, nous l'espérons, de sensibiliser un vaste auditoire à l'égard de ces enjeux.
    Nous passons maintenant à un premier tour de questions où chaque intervenant aura droit à sept minutes.
    Nous débutons par Mme Falk.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Madame Quintos Deles, je vous remercie de votre présence aujourd'hui, de votre militantisme et de vos prises de position. Je sais très bien en tant que jeune femme à quel point il est parfois difficile de savoir quand il convient de prendre la parole sans se laisser dissuader par les voix plus fortes qui souhaiteraient nous faire taire. Je tiens donc à vous remercier de votre courage et de votre comparution.
    J'ai une question pour vous. Dans la première partie de votre exposé, vous avez parlé de différentes femmes qui ont dû subir les conséquences de leur prise de parole. Vous avez mentionné que l'une d'elles qui était sénatrice est actuellement détenue. Je me demandais si vous pouviez nous indiquer de quelle forme de détention il s'agit exactement. Est-ce que par exemple la détenue est gardée en isolement?
(1320)
    Elle a été arrêtée. Elle est emprisonnée, non pas dans un établissement carcéral, mais au centre de détention de la police nationale des Philippines. Elle est gardée en isolement complet et ne peut pas socialiser avec les autres détenues.
    Il y a des heures où nous pouvons la visiter. Il faut donner son nom une semaine à l'avance, et il arrive que les responsables du centre nous disent que c'est impossible.
    On ne la laisse sortir que pour assister à des audiences, et ses gardiens prennent alors tous les moyens pour qu'elle ne soit ni vue ni entendue. C'était le cas tout au moins jusqu'à ce que nous portions plainte. Ils cachaient son visage avec leurs mains et toussaient pour qu'on ne l'entende pas lorsqu'elle répondait en criant aux questions des médias.
    Elle accomplit son travail législatif avec l'aide de ses employés qui lui rendent visite, bien qu'il arrive que l'on ne lui permette pas de les voir tous en même temps. Elle doit alors les rencontrer individuellement pour donner ses directives.
    Elle est donc très occupée, d'autant plus qu'elle publie un communiqué quotidien afin d'éviter, chose très importante, que l'on oublie son incarcération. Elle s'acquitte de son travail législatif mais n'est pas autorisée à participer aux votes, ce qui constitue un précédent par rapport au traitement réservé à d'autres législateurs incarcérés par le passé. Ceux-ci pouvaient sortir de l'établissement pour aller voter lorsque l'importance des questions en cause le justifiait. On ne lui a pas permis de le faire une seule fois.
    Elle a été arrêtée en février 2017. Elle a été en détention pendant sept mois avant que des accusations ne soient portées, et elle l'est encore aujourd'hui.
    Vous avez dit qu'on humiliait certaines de ces femmes en les traitant de salopes et ce genre de choses. Comment est-ce qu'on s'en prend à leur réputation personnelle? Que fait-on, et est-ce que des hommes dans le pays s'insurgent contre cela, ou bien est-ce qu'ils se taisent et font preuve de complaisance?
    Comme je l'ai dit, la sénatrice De Lima présidait le Comité des droits de la personne du Sénat. Elle avait amorcé une enquête sur les exécutions, et le président l'a accusée de prendre part au commerce de la drogue.
    Elle était auparavant secrétaire de la justice, et elle a été la première secrétaire de la justice à aller en prison et à mettre au jour les conditions favorables dont jouissent les barons de la drogue dans les pénitenciers. Puisque la sénatrice était en prison, le président a chargé la Chambre des représentants, où il bénéficie d'une soi-disant super majorité, de mener une enquête.
    Avant cette enquête, il a parlé de l'existence d'une vidéo montrant la sénatrice De Lima ayant une relation sexuelle avec son ancien garde du corps. Il s'est avéré que la sénatrice avait effectivement eu une relation discrète avec son garde du corps. Elle était mariée, alors son mariage a été annulé. Il s'agissait d'une affaire entièrement personnelle.
    Durant l'enquête, les membres du Congrès ne se sont pas gênés pour l'humilier en la traitant de salope. Ils ont invité l'ancien garde du corps de la sénatrice De Lima à témoigner et ils lui ont demandé s'il aimait avoir des relations sexuelles avec elle et, si oui, dans quelle mesure, etc. Ils n'avaient aucune retenue et ils rigolaient et riaient.
    Ils ont menacé de diffuser la vidéo. C'est à ce moment-là que le mouvement féministe a fait une action qui est peut-être la plus originale. Des femmes ont diffusé un mème dans les médias sociaux. Elles ont écrit: « J'aimerais témoigner devant le Congrès; je suis la femme dans la vidéo. » Ce message publié au départ par 50 femmes a été republié des millions de fois en l'espace de 20 heures.
    Bien entendu, la vidéo n'a pas été diffusée, car il s'agissait en fait d'une fausse vidéo provenant d'un site de pornographie, mais elle avait causé des torts. La sénatrice De Lima a réussi quelque chose d'extraordinaire; elle est passée d'un poste dans lequel elle avait été nommée à un poste d'élue, car les gens avaient énormément confiance en elle et étaient convaincus qu'elle faisait un bon travail. Lorsqu'elle a fait campagne, son taux d'approbation était de 60 %, mais il avait diminué au terme de cette affaire où on l'a traitée de salope.
    Elle a été la personne qui a été le plus humiliée publiquement, et le président continue d'agir ainsi. Lorsque nous posons des questions, il répond que les femmes du mouvement féministe sont de vieilles sorcières qui sont tout simplement amères.
(1325)
    Je n'en reviens pas.
    Il adore faire cela. Il est en colère contre le président de la Commission des droits de la personne, alors, il le traite de pédé.
    C'est une habitude chez lui; il ne fait pas que des insinuations, il humilie ouvertement les femmes en les traitant de salopes.
    Je vous remercie beaucoup.
    La parole est maintenant à Mme Khalid pour sept minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente, et je vous remercie beaucoup, madame Quintos Deles, pour votre témoignage et l'excellent travail que vous accomplissez.
    J'aimerais parler du fait que des lois robustes en matière de droits de la personne dans un pays comme les Philippines pourraient permettre de mieux protéger les femmes défenseures des droits de la personne. Pouvez-vous nous parler un peu des lois sur les droits de la personne aux Philippines?
    Par exemple, quels sont les types de mesures de protection qui existent en ce qui a trait à la violence faite aux femmes précisément et à la liberté d'expression? J'aimerais aussi savoir comment ces mesures s'entrecroisent pour permettre à des personnes comme vous de se défendre.
    Comme je l'ai dit, au fil des ans, nous avons été en mesure de mettre en place de très solides mesures de protection juridique dans le domaine des droits de la personne, y compris les droits des femmes. Il y a notamment la loi contre le harcèlement sexuel. Les lois humanitaires qui s'appliquent en temps de guerre sont aussi très solides. La Grande Charte des femmes comporte aussi de très bonnes mesures de protection. Notre loi contre le viol a été actualisée. Les choses ont évolué. Un crime lié à la chasteté est un crime contre la personne. Le viol au sein d'une union matrimoniale est interdit. C'est inscrit dans la loi. Nous avons des lois sur les droits de la personne. Comme je l'ai dit, même en temps de guerre, ces mesures de protection s'appliquent.
    Depuis l'époque du président Marcos, nous étions convaincus que nous avions atteint un certain niveau. Nous pensions, dans le mouvement féministe en particulier, qu'il nous restait maintenant à veiller à ce que les lois, les règles et les règlements soient appliqués. Nous ne sommes pas du tout en mesure de comprendre ce qui se passe en ce moment. Le président affirme qu'il se moque des lois, et c'est là le problème. Je pense que nous croyons fermement que les lois devraient nous protéger. Elles sont là pour protéger ceux qui sont particulièrement faibles et démunis. Nous avons besoin qu'on respecte la primauté du droit, et, au fil des ans, il y a eu des réformes, y compris sur le plan de la sécurité.
    C'est pour cette raison je crois qu'il y a beaucoup de craintes, de menaces et d'insultes publiques. Les gens y réfléchissent à deux fois avant de parler. Tous ceux qui ont posé des questions ont reçu des insultes verbales. Il y a quelques heures seulement, lorsque le sénateur Drilon, un sénateur de longue date, a dit à Duterte qu'il devait faire preuve de prudence dans l'examen des contrats du gouvernement, le président lui a répondu: « Si vous n'arrêtez pas, je vais suspendre le bref d'habeas corpus, et je vais tous vous faire arrêter. Vous n'êtes pas différents des rebelles, des criminels et des toxicomanes. Je vais tous vous faire arrêter. » C'est ce qu'il a dit.
    Les lois sont importantes, alors, les atteintes aux droits de la personne et à la primauté du droit ainsi que l'absence de retenue dans les attaques personnelles nous ont surprises pendant une certaine période. Les lois existent, alors nous espérons que le jour du jugement viendra. Je crois qu'avec le temps les gens deviennent plus courageux et se rassemblent pour affirmer que cela ne peut pas continuer. Les lois sont importantes, mais il reste que nous avons maintenant des dirigeants comme lui, qui semblent penser qu'ils peuvent s'en tirer, et nous leur permettons de s'en tirer pendant quelque temps.
(1330)
    Vous avez parlé de lancer une campagne dans les médias sociaux pour défendre collectivement une femme qui a été attaquée puis humiliée en se faisant traiter de salope. Pouvez-vous parler un peu du rôle des médias sociaux et d'Internet sur le plan de la sensibilisation aux lois qui existent et de la création d'un front commun pour faire face aux personnes qui enfreignent les lois?
    Aux Philippines, les médias sociaux sont une arme à deux tranchants. Je dirais qu'ils sont d'abord utilisés comme une arme contre les droits de la personne. Les trolls sont terribles. Ils sont de nature sexuelle. On menace de vous violer et de violer vos enfants. Il a fallu un certain temps, mais nous avons fini par nous rendre compte que c'est l'arme de choix et que nous devons nous en emparer. Il y a eu de la résistance, car ceux qui utilisent les médias sociaux ont beaucoup de ressources. Pour mener une bonne campagne dans les médias sociaux, il faut des ressources.
    Il y a des trolls, des usines à trolls comme on le dit. Des messages sont diffusés. Nous nous sommes rendu compte que lorsque nous répliquons, ils ne savent pas comment répondre, car la seule chose qu'ils savent faire, c'est menacer de nous violer et nous traiter de tous les noms. C'est ce qui se passe en ce moment. Les groupes de la résistance apprennent à utiliser les médias sociaux de façon intelligente, mais ils sont désavantagés parce qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour mener une bonne campagne dans les médias sociaux.
    Nous avons lancé une campagne dans les médias sociaux, que nous appelons Bantay Bastos, qui signifie se protéger contre la stupidité. C'est une vaste campagne, mais il est difficile de la maintenir comme nous devrions le faire.
    Je vous remercie beaucoup.
    La parole est maintenant à Mme Hardcastle pour sept minutes.
    Quel est le nom de cette campagne dans les médias sociaux dont vous venez de parler?
    Bantay Bastos.
    S'agit-il d'une initiative à laquelle la communauté internationale des femmes, les femmes défenseures des droits de la personne dans le monde pourraient contribuer? Dans quelle mesure les médias sociaux sont-ils contrôlés là-bas? Il me semble que vous devenez vulnérables si vous vous exprimez dans le pays, alors, la communauté internationale pourrait rester vigilante. Je ne sais pas si les médias sociaux sont contrôlés.
    Oui, mais jusqu'à présent, le président a dit que tous ceux qui le critiquent font partie de « l'armée jaune ». Oui, il serait utile d'avoir le soutien de la communauté internationale, mais dans le pays, comme je l'ai dit, nous avons besoin de ressources, c'est-à-dire que nous avons besoin de trouver des gens qui peuvent se consacrer à cela à temps plein. Nous n'en avons pas, car les gens comme moi se consacrent à d'autres types de travail.
    D'accord.
    Dans le réseau que nous sommes en train de mettre en place, qui vise à opposer une résistance, nous n'avons pas encore les ressources nécessaires pour faire en sorte que même une seule personne se consacre à cela à temps plein. Nos gens s'occupent d'actions dans la rue et mènent des recherches.
(1335)
    Nous essayons de voir ce que le Canada peut faire pour être davantage proactif. Je ne sais pas quel rôle joue la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Pensez-vous qu'il y a des façons d'offrir du soutien ou de contribuer — je ne sais pas — à la défense juridique?
    Mme Teresita Quintos Deles: Seulement...
    Mme Cheryl Hardcastle: Je suis désolée de vous interrompre, mais si le président ne respecte pas la primauté du droit, n'est-ce pas un gaspillage des ressources limitées dont vous disposez?
    En fait, c'est pour cette raison que nous disons que l'appui de la communauté internationale est très important et qu'il doit se poursuivre.
    D'accord.
    Le président insulte les gens. Il a insulté le procureur de la Cour pénale internationale et le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, mais si vous n'êtes pas dans notre pays, il ne peut pas vraiment vous faire du tort.
    Oui, en effet.
    Il est important que la communauté internationale ne baisse pas les bras. Nous avons été très reconnaissants lorsque plusieurs parlements... et je crois que la présidente a parrainé le projet de loi concernant la sénatrice de Lima. Nous avons vu cela.
    Oui.
    Nous l'avons vu, et cela ravive notre moral et nous donne de l'espoir. Lorsque les gens n'oublient pas que notre situation s'assombrit, cela nous donne de l'espoir.
    Qu'en est-il du rôle des médias? Est-ce qu'ils sont complices? Je trouve difficile à croire qu'un président puisse tout simplement agir ainsi et que tout le monde en soit étonné.
    À quelque part, il y avait..
    Allez-y.
    Vous savez ce qui est arrivé à Rappler. Maria Ressa bénéficiait d'une reconnaissance.
    Oui.
    Elle fait l'objet d'un grand nombre d'accusations. Même son conseil d'administration, dont certains membres proviennent du secteur privé, fait l'objet d'accusations. Les réseaux de télévision, dont les licences doivent être renouvelées au bout d'un certain nombre d'années, sont en péril. Notre principal journal, qui est très critique à l'endroit du président, est aussi en péril. Nous ne croyons pas que les médias devraient pour autant baisser les bras, mais il reste qu'on leur a mis des bâtons dans les roues. Toutefois, nous sommes extrêmement...
    Il est bien de voir des gens des médias se tenir debout et diffuser toutes sortes de programmes. Nous sommes très heureux, par exemple, que des photographes documentent les exécutions qui surviennent partout à Manille et qu'ils continuent de publier cela. Certains d'entre eux ont dû quitter leur emploi pour devenir pigistes, car autrement, ils devraient demander l'autorisation de leur journal.
    Nos médias sont en péril. Certaines personnes des médias restent fortes. Je pense que la liberté de presse a une plus grande valeur aux yeux de la population, car elle a clairement vu, grâce à Maria Ressa, qu'il y a de la persécution politique.
    C'est la réalité. Les attaques sont incessantes et virulentes, mais la résistance s'intensifie. Vous parlez du soutien de la communauté internationale, et je peux vous dire que la reconnaissance du travail que nous effectuons et des problèmes auxquels nous sommes continuellement confrontés sur le plan des droits de la personne est très importante pour nous.
    Il me reste une minute.
    Je pense que vous vouliez nous parler un peu du dénigrement. Avec l'appui de la communauté internationale, est-ce que les médias sociaux pourraient contrer cela efficacement?
    Nous sommes au courant de ce qui se fait à l'extérieur du pays. Nous en faisons part aux gens. Je crois que de plus en plus de Philippins prennent conscience. C'est vrai. Il y a un segment de la population qui appuie Duterte, qui fait beaucoup de bruit et qui dispose de beaucoup de ressources. Je crois aussi qu'il y a une partie de la population qui est d'avis qu'il a trop souvent dépassé les bornes. Nous commençons nous aussi à nous tenir debout et nous apprécions le soutien qui vient de l'extérieur. Cela nous rappelle que nous faisons partie d'une communauté de nations qui a établi un régime des droits de la personne, auquel nous participions.
(1340)
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons maintenant commencer le deuxième tour avec des questions de cinq minutes. La parole est à M. Fragiskatos.
    Je vous remercie beaucoup, madame Deles, pour votre présence aujourd'hui.
    Je veux parler des sources de l'opposition au régime actuel et à M. Duterte en particulier. Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé de la société civile. Vous avez donné des exemples. Je me demande si vous pourriez en dire un peu plus long à ce sujet.
    La société civile est-elle vraiment le principal espace d'opposition des femmes et des organisations féminines en particulier? Est-ce que les femmes ont pris les devants?
    Vous hochez la tête, ce qui signifie que c'est le cas.
    Dans quelle mesure est-ce difficile pour elles d'agir?
    Oui, elles ont pris les devants parce que les institutions gouvernementales qui sont censées jouer ce rôle ne le font pas. Il y a une commission des femmes aux Philippines qui est censée protéger la Grande Charte des femmes, mais elle ne fait rien.
    Bien sûr, c'est le président qui nomme les personnes qui siègent à ces commissions. La fonction publique affirme qu'elle écrit au président lorsqu'il fait certaines déclarations, mais, bien entendu, elle présente cela au bureau du président, mais elle ne sait pas ce qui se produit ensuite.
    En effet, c'est la société civile qui...les féministes ont été le premier groupe au sein de la société à déclarer que c'est inacceptable. En fait, nous avons dû réveiller la passion pour le féminisme, car nous étions devenus complaisants. Nous étions rendus au point où nous demandions aux femmes ce dont elles avaient besoin. C'était vraiment une situation dangereuse, mais nous avons très rapidement ravivé le mouvement. Je dois dire que l'aspect intergénérationnel du mouvement féministe est ce qui me donne le plus d'espoir en tant que femme plus âgée. Les jeunes femmes qui se joignent au mouvement se parlent et découvrent ce que signifie être féministe.
    Je pense — et c'est ce que je préconise et j'espère que j'aurai des appuis — que nous devons mettre sur pied une entité parallèle pour protéger les droits des femmes, car nos institutions officielles ne fonctionnent pas à cet égard. Nous devons rassembler des personnes influentes — on peut dire que c'est un peu comme créer notre propre commission — afin que nous soyons de nouveau reconnues dans notre société et qu'une personne puisse s'exprimer publiquement en notre nom, de sorte que nous parlions d'une seule voix avec sérieux lorsqu'il est nécessaire de nous défendre.
    Je vous remercie.
    Je crois que le Canada est un allié pour vous. Vous savez, bien entendu, que notre gouvernement a vigoureusement dénoncé les exécutions extrajudiciaires, car cela fait partie de sa politique étrangère et de sa politique de développement pilotée par le premier ministre et la ministre du Développement international à l'époque, Mme Bibeau, à laquelle la ministre Monsef a succédé. Nous avons profité de l'occasion pour financer des organisations féminines, car nous voulons vraiment que cela soit une pierre angulaire de notre politique étrangère et de notre politique de développement, qui vise notamment les Philippines.
    Qu'est-ce que le Canada pourrait faire d'autre?
    J'aimerais que l'ambassade canadienne, par exemple, participe davantage au discours démocratique aux Philippines. Vous vous exprimez à l'extérieur de notre pays, mais vos représentants aux Philippines ne prennent pas la parole. Nous connaissons vos programmes pour aider les femmes, pour les aider à gagner leur vie, mais nous avons un problème plus grand maintenant.
(1345)
    Oui.
    Le corps diplomatique doit le reconnaître. Même les petits projets financés par les missions tiennent compte du fait que la menace est différente.
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre M. Sweet, pour cinq minutes.
    Madame Quintos Deles, j'ai lu votre biographie. Vous avez mené une vie extraordinaire dans le secteur des droits de la personne. Nous ne pourrons jamais trop vous remercier de l'excellent travail que vous faites.
    On a déjà mentionné votre courage, si bien que je veux vous poser cette question directement, car vous avez évoqué certains traitements haineux auxquels ont été confrontées certaines femmes qui ont dénoncé leur sort. Vous êtes ici à parler très clairement de ces situations dans le cadre d'une séance télévisée. Craignez-vous pour votre sécurité?
    Toujours, si j'y pense à deux fois, mais je n'ai pas d'autre choix. Je me suis battue toute ma vie. J'ai lutté contre la dictature de Marcos. Je l'ai fait pour mes enfants. J'ai maintenant un petit-enfant, et je ne peux pas imaginer qu'il soit élevé dans un pays où je ne peux pas le laisser écouter ce que le président a à dire, où il ne peut pas considérer le président comme étant un modèle, où je ne peux pas lui dire de respecter les points de vue du président.
    Je pense que je n'ai pas d'autre choix. J'ai pris ma décision. J'ai pris la parole. À l'âge de 70 ans, j'ai monté à l'arrière d'un camion et qualifié le président de lâche, car si vous ne le faites pas, qui le fera? Nous avons déjà trop investi dans le projet démocratique, et nous croyons que nous étions en train de remporter la bataille, et que nous ne pouvons pas... Je ne pourrais pas maintenant...
    Je pense que c'est la raison pour laquelle le pouvoir gris aux Philippines fait maintenant son apparition. C'est parce que si nous baissons les bras maintenant, nous renonçons à ce que nous avons fait toute notre vie. Comme une femme qui est maintenant veuve a dit, si elle était courageuse auparavant, elle l'est encore plus maintenant qu'il lui reste moins d'années à vivre. Nous avons plus de gens qui sont plus âgés, si bien que nous devons agir.
    Je pense que nos efforts visent, bien entendu, à tisser des liens avec les jeunes et à apprendre à communiquer avec autrui, car dans la pratique, ce n'est pas ce que nous faisons. Les jeunes de la génération millénaire ne le font pas, et c'est l'un des défis. Mais il est certainement gratifiant de voir des jeunes femmes faire la promotion du féminisme et dire qu'elles chérissent les mêmes valeurs mais qu'elles se battront pour ces valeurs à leur façon. C'est de bonne guerre. Quelques-unes des mesures créatives que nous avons prises récemment ont été conçues par ces femmes, et elles ont été fructueuses. C'était rafraîchissant. Nous nous démarquons, et c'est bien que nous puissions travailler avec ces jeunes femmes qui ont des idées plus créatives pour défendre nos intérêts dans la rue. Nous ne faisons pas ce que nous avons l'habitude de faire, où nous prenons la parole sur des tribunes et organisons nos manifestations. C'est l'une des choses que nous continuons de faire.
    C'est une question que nous posons. Comment pouvez-vous vous regarder dans le miroir tous les matins? Comment pouvez-vous expliquer à votre enfant ou à votre petit-enfant que vous avez baissé les bras? C'est une question importante que nous posons. Qu'est-ce que les générations futures nous demanderont? Qu'avons-nous fait durant cette période sombre? Quoi qu'il en soit, je veux pouvoir dire que j'ai fait ma part.
    J'essaie seulement de comprendre car nous voulons produire un rapport et relever tous les endroits où les femmes défenseures des droits de la personne sont maltraitées, et ce, de différentes façons et pour différentes raisons. Les Philippines ont eu des dirigeants assez intéressants au cours de ma vie. Je vois que Duterte s'est retiré de la Cour pénale internationale. Les Philippines siègent actuellement au Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
    Malgré tout, l'un des problèmes qui devraient enflammer les gens aux Philippines, c'est que les hommes, plus particulièrement, mais peut-être aussi certaines femmes, ne dénoncent pas ces situations et ne se défendent pas contre ce type de tyrannie de la part du président.
(1350)
    Malheureusement, nous ne pouvons pas entendre cette réponse tout de suite, car les cinq minutes sont écoulées.
    Nous allons maintenant entendre M. Tabbara, pour cinq minutes, et vous pourrez peut-être répondre à cette question plus tard.
    Si vous voulez, vous pouvez continuer de répondre à la question.
    Nous continuons de compter là-dessus. Nous continuerons de faire valoir la déclaration de la Cour pénale internationale, la CPI, selon laquelle les crimes qui ont été commis avant qu'il se retire pourront encore faire l'objet d'un jugement. Nous nous accrochons à cette idée que justice sera rendue, si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera un jour. Et si ce n'est pas aux Philippines, ce sera à l'échelle internationale, et nous serons à nouveau des Philippins qui défendent les droits de la personne.
    Merci beaucoup d'être ici.
    Ma question porte sur le système judiciaire. Lorsque des femmes défenseures des droits de la personne dénoncent des atrocités et des injustices dont elles sont victimes, dans le cadre de poursuites judiciaires, y a-t-il des différences dans la façon dont les hommes et les femmes sont traités lorsqu'ils critiquent le régime? Pouvez-vous nous donner des exemples?
    Jusqu'à présent, aux Philippines, les femmes défendent ces droits de façon plus systématique. De plus, certaines des institutions les plus importantes étaient dirigées par des femmes lorsque le président est arrivé au pouvoir. Bien entendu, il a dit, après avoir évincé le juge en chef de la Cour suprême, qu'il ne nommerait plus jamais une femme à un poste. Il a fini par le faire, mais c'était une femme qui était complètement de son côté.
    L'humiliation publique est plus présente. Les agressions sexuelles envers les femmes sont plus courantes. La défense des femmes est plus faible, car même si nous avons des femmes très fortes dans la vie publique, elles demeurent une minorité et, jusqu'à présent, les hommes continuent de résister.
    En fait, le raisonnement était que, le traitement des femmes n'est pas une question de vie ou de mort, et ce n'est pas l'enjeu le plus important auquel nous sommes confrontés. Nous avons dû nous battre à cet égard, et je pense que nous sommes en train de gagner du terrain. Ce n'est pas une question de vie ou de mort, mais c'est un enjeu culturel. C'est un enjeu qui nous tient à cœur. Il a une incidence non seulement sur cette génération, mais aussi sur les générations à venir. Je pense que les gens en prennent davantage conscience, mais pendant un certain temps, on croyait qu'il fallait laisser tomber cet enjeu, car ce n'est pas une question de vie ou de mort.
    En ce qui concerne la sensibilisation, je sais que les Philippines ont été aux prises avec de nombreux problèmes, que ce soit au niveau de l'économie ou de l'environnement. Avez-vous pu demander de l'aide? Certains défenseurs des droits de la personne ont pu demander de l'aide auprès de pays voisins et discuter de causes et de problèmes semblables pour s'assurer d'être traités également et de ne pas être opprimés par des régimes.
(1355)
    Oui, nous sommes très actifs dans les discours régionaux à l'heure actuelle. Nous incitons les femmes à la prudence. Ce n'est apparemment pas une aberration, car lorsque je vais dans d'autres pays en Asie, le chauffeur de taxi, le guide touristique et même un parlementaire me diront qu'ils aiment mon président.
    Dans le mouvement pour la défense des femmes en Asie, nous devons discuter davantage. En fait, nous avons fait valoir dans différents pays que nous devons discuter entre nous. Nous devons parler davantage du sort des femmes. Nous voyons le traitement qui leur est réservé. Ce ne sont pas des cas isolés. Ces incidents surviennent partout dans le monde, et les femmes doivent être solidaires à nouveau.
    Merci beaucoup.
    Pour la dernière série de questions, nous allons entendre Mme Hardcastle, pour cinq minutes.
    Merci.
    C'est un grand privilège d'être en votre présence aujourd'hui car vous parlez de ces enjeux avec éloquence. Nous avons entendu les témoignages d'autres défenseurs des droits de la personne, mais vous abordez vraiment le vif du sujet.
    Vous m'avez intriguée lorsque vous avez parlé de la façon dont le Canada soutient les femmes et les programmes pour subvenir à leurs besoins, et du fait que nous sommes aux prises avec un enjeu plus important. Avez-vous une suggestion sur la façon dont le Canada pourrait s'attaquer à ces problèmes? Je sais que je vous ai interrogée plus tôt sur l'aide juridique. J'essaie de réfléchir à ce qui serait approprié pour notre régime international également.
    Il faut discuter avec les femmes qui font partie de la résistance. Elles ne discutent pas avec nous. Les projets pour assurer la subsistance des gens sont limités. Lorsqu'on a un régime qui perçoit les femmes ainsi, l'aide que ces projets peuvent offrir a ses limites.
    Duterte a même refroidi la communauté diplomatique. Il a insulté certains ambassadeurs. Il a menacé de mettre fin à certaines missions menées au pays. Je pense qu'il est important que vos représentants aux Philippines soient courageux et n'aient pas peur de parler aux gens qui osent remettre en question le président, pas seulement au sujet de ses politiques, mais aussi au sujet de ses réalisations, car il fait des ravages. Ce pourrait être un point de départ. Nous avons une foule d'idées sur ce que nous aimerions faire, et nous pouvons trouver des moyens de les concrétiser. Nous pouvons le faire parfois avec courage, mais aussi très discrètement, pour faire croître le mouvement et la compréhension. De nombreuses mesures doivent être prises aux Philippines pour comprendre ce qui s'est passé et pourquoi.
    C'est une discussion qu'il faudra avoir avec le temps. Il faut la confiance des gens. Il faut tisser des liens. Il faudra un auto-examen, et nous devrons aussi examiner ce que vous faites. Il faut un lien de confiance. Dans le passé, les représentants participant à la mission canadienne aux Philippines avaient cette relation avec la société civile et les ONG. Je ne crois pas me tromper lorsque je dis que cette relation n'existe pas en ce moment. Vous devez discuter avec des gens comme moi. Je ne suis pas la seule. Il y a d'autres femmes courageuses. Il y a des femmes créatives. Il y a des femmes de tous âges dans différents secteurs. Nous travaillons très fort, nous nous heurtons à des obstacles et nous réfléchissons à la façon de régler cette situation sans violence, car nous sommes contre la violence.
    C'est une bonne chose d'avoir ces conversations. Nous pouvons découvrir ce que les gens vivent. Nous pouvons savoir qu'ils appuient le mouvement et qu'ils croient en l'avenir dans lequel nous croyons.
(1400)
    Merci.
    Merci infiniment, Teresita Quintos Deles. Au nom du Comité, je tiens à vous dire que nous admirons grandement le travail que vous et d'autres femmes faites aux Philippines. Nous allons suivre de près vos projets futurs. Je veux vous remercier de votre témoignage très convaincant et ouvert.
    Encore une fois, merci beaucoup.
    La séance est levée.
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