SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 1er mars 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Distingués collègues, soyez les bienvenus à cette 97e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
La séance d’aujourd’hui porte sur la situation désastreuse dans laquelle se trouve la Ghouta orientale, en Syrie. Au cours des deux dernières semaines, le régime syrien appuyé par la Russie et l’Iran a tué des centaines de civils en Ghouta orientale, une banlieue de Damas assiégée depuis 2013 où vivent 400 000 personnes. Les plus récents épisodes de cette crise font partie des attaques organisées ciblant les civils et l’aide humanitaire — dont les installations à fonction médicale — qui ont été perpétrées par le régime Assad tout au long de la guerre civile syrienne.
Bien que nous ayons tous nourri certains espoirs de réussite quant à la récente résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu humanitaire et à la fin de tous les sièges en Syrie, y compris dans la Ghouta orientale, les dernières atrocités du régime Assad sont un autre signe du mépris total de ce dernier à l’égard des droits fondamentaux de la personne.
Sont avec nous aujourd’hui, par vidéoconférence, le Dr Hussam Alfakir et le Dr Anas Al-Kassem, de l’Union des organisations de secours et soins médicaux-Canada. Sur place, nous accueillons Mme Muzna Dureid, qui est co-fondatrice et membre du conseil de l’organisme Urnammu for Justice and Human Rights.
Je tiens à remercier chacun de vous de s’être rendu disponible malgré le très court préavis. Nous considérons cette crise comme étant une situation d’urgence. Je vous invite maintenant à nous livrer vos déclarations liminaires, en commençant par le Dr Hussam Alfakir et le Dr Anas Al-Kassem. Vous disposez en tout de 10 minutes que je vous demanderai de partager comme cela vous arrangera. Nous entendrons ensuite la déclaration de Mme Dureid, puis nous passerons aux questions des membres du Comité.
Merci beaucoup. Vous avez la parole.
Merci à vous tous de nous avoir invités.
Je vais commencer en vous donnant une brève description de la situation sur le terrain, puis le Dr Al-Kassem vous fera part de témoignages recueillis sur place.
Géographiquement, la Ghouta est une banlieue de Damas d'environ 30 kilomètres de diamètre qui compte près de 400 000 habitants. La Ghouta orientale est en état de siège depuis quatre ans et demi. Depuis le début de la révolte en Syrie, environ 13 000 civils y ont été tués. Le nombre de morts y a fortement augmenté au cours des 10 derniers jours, depuis les attaques chimiques dont cette banlieue a été la cible. Au cours des 10 derniers jours, c'est 600 personnes qui ont été tuées. On me rapporte que, pour la seule journée d'aujourd'hui, il y a déjà eu environ 20 morts.
Il y a environ 2 300 blessés. Ces blessures ont été causées de maintes façons: il y a eu le largage de missiles, l'utilisation de certaines armes prohibées, comme le napalm, et des armes chimiques ont été employées il y a deux jours.
Pour ce qui est des secours et des soins médicaux, sachez que depuis le 19 février, 33 attaques ont été perpétrées sur 30 installations à fonction médicale. J'ai déposé tout à l'heure quelques pages de documents où figurent les noms des installations touchées. Certaines ont été attaquées à deux reprises. En tout, c'est environ 33 attaques qui ont été perpétrées sur ces installations. Au moins six travailleurs médicaux ont péri lors de ces attaques, et environ 15 autres ont été blessés.
Pour vous donner un autre point de vue de la situation de l'aide médicale sur le terrain, sachez qu'il ne nous reste que 110 médecins. Quarante d'entre eux sont des étudiants en médecine. Les chirurgies sur le terrain sont exécutées par des médecins, des dentistes ou des membres du personnel infirmier. Nous n'avons plus qu'un neurochirurgien et deux chirurgiens vasculaires pour toute la région. Je vous rappelle qu'ils doivent servir environ 400 000 personnes.
Depuis 14 mois, aucune fourniture médicale n'est entrée dans la Ghouta. Nous avons présentement environ 1 200 personnes qui souffrent du cancer et qui n'ont accès à aucun médicament. De toute manière, il n'y a aucune façon de leur donner des soins.
Je veux attirer votre attention sur un fait important concernant la situation actuelle et sur la façon dont les habitants ont été touchés dans cette région. Vous remarquerez que le premier des tableaux fournis plus tôt a été produit par le gouvernement intérimaire syrien. Il présente une ventilation des décès par sexe et par groupes d'âge. Pour le sexe, on peut voir que le nombre de décès combinés pour les femmes et les enfants est d'environ 270. Il est presque aussi élevé que le nombre d'hommes tués. Si les forces gouvernementales prétendent qu'elles frappent des militants sur le terrain, il n'y a aucune raison de voir autant d'enfants et de femmes se faire tuer. Or, on a constaté que la façon de procéder du régime consiste à appliquer la peine de mort, à punir les familles et à frapper les gens ordinaires dans leurs maisons.
Avec tous les tirs d'obus qui ont eu lieu au cours des 10 derniers jours, nous aurions dû voir un plus grand nombre de tués. Ce bilan moins élevé que prévu est attribuable au fait que les gens essaient d'échapper à ces tirs d'obus en se réfugiant sous terre — essentiellement, dans des donjons ou des sous-sols. Or, les conditions dans ces abris sont inhumaines; il y a beaucoup d'humidité et la circulation d'air est nettement déficiente. Dans ces parties de la ville, les habitants souffrent et ils ont de la difficulté à se procurer de la nourriture et de l'eau.
J'ai parlé à beaucoup de gens sur le terrain. Ce qu'il leur faut, c'est l'arrêt des tirs d'obus et des bombardements sur leurs maisons et l'ouverture de l'accès pour l'aide humanitaire.
J'aimerais terminer par une déclaration. Ce qui est particulier à propos de la situation syrienne — et dans la Ghouta, notamment —, c'est que nous assistons à un génocide en direct, images vidéo et témoignages à l'appui. Le monde entier regarde sans pouvoir faire quoi que ce soit. Or, ce qui est particulier à propos de ce génocide, c'est que ce n'est pas un génocide ethnique. Il s'agit plutôt d'un génocide idéologique. Les gens ont été punis et tués pour s'être opposés au gouvernement et parce qu'ils ne lui obéissent pas vraiment.
Encore une fois, nous réclamons une protection. Il n'y a pas de combattants étrangers là-bas. Pour avoir parlé avec des intervenants médicaux sur le terrain, je sais que ce sont surtout des gens de cette région qui sont impliqués dans le conflit.
Je vais céder la parole au Dr Al-Kassem, qui vous fera part de certains témoignages personnels recueillis sur le terrain.
Merci beaucoup, docteur Alfakir.
Merci, monsieur le président, de l'occasion que vous nous donnez, et merci aux députés du Parlement pour le travail qu'ils font au sein de ce très essentiel Sous-comité des droits internationaux de la personne.
J'aimerais vous donner une idée de l'ampleur de la crise médicale qui sévit actuellement dans la Ghouta orientale. Notre organisme a des communications suivies avec des gens sur le terrain, avec les médecins et avec notre personnel médical, qui, malheureusement, n'ont pas d'électricité ou de connexion. Comme ils ne peuvent pas communiquer avec vous directement, nous allons parler en leur nom.
Il y a présentement 1 200 cas de cancer dans la Ghouta, et aucun traitement médical. Il n'y a pas de chimiothérapie, et de nombreux médicaments ne sont pas disponibles. Récemment, j'ai entendu parler du cas d'un jeune homme de 22 ans qui avait un cancer du rectum et qui est mort parce qu'il n'y avait pas de chimiothérapie pour le traiter avant et après sa chirurgie. Il ne reste qu'un seul neurochirurgien pour une population de 400 000 personnes, et ce, malgré la poursuite des frappes aériennes et des actes de destruction perpétrés en continu par la Russie et le régime syrien. Il n'y a qu'un neurochirurgien pour prendre soin de tous traumatismes crâniens, et les fournitures médicales se font très rares. Les réserves d'anesthésiants, d'antidouleurs, d'antibiotiques et de fils de suture sont très limitées. La raison en est que depuis 14 mois, le régime syrien bloque l'entrée dans la Ghouta de toute forme de fourniture médicale ou d'aide médicale essentielle. Les gens dans l'enclave doivent se débrouiller avec les stocks qu'ils avaient il y a 14 mois.
Je dois préciser qu'au cours des 10 derniers jours, 50 % des personnes tuées ou blessées ont été des femmes et des enfants, un aspect qui s'ajoute au compte total de morts déjà navrant que mon collègue mentionnait tout à l'heure. Ceci n'est qu'une confirmation que le régime procède effectivement à une destruction systématique de la ville, qui compte 400 000 habitants. Le nombre de blessés s'élève maintenant à environ 2 300 et l'on s'attend à ce qu'il augmente. D'après ce que nous disent les gens sur le terrain, il n'y a même pas de gazole pour faire fonctionner les hôpitaux. Ils essaient d'alimenter les génératrices des hôpitaux avec des sacs en plastique.
Je veux reprendre la déclaration que mon collègue a faite en conclusion de son exposé. Premièrement, les médecins, le personnel médical et les travailleurs humanitaires réclament une protection pour les hôpitaux et pour les travailleurs en soins de santé, ce qui est garanti aux termes de maintes résolutions, dont la résolution 2286 de l'ONU. Deuxièmement, les personnes sur le terrain demandent l'évacuation des patients qui sont dans un état critique. Il y a présentement plus de 500 patients qui sont dans un état critique et qui ont un urgent besoin d'être transférés de la Ghouta à un endroit sécuritaire et de recevoir des soins chirurgicaux.
Merci beaucoup de nous avoir écoutés.
Bonjour. Merci de cette invitation. Nous sommes ici pour parler du rôle que le Canada doit jouer pour stopper la tuerie qui se déroule présentement en Syrie. Je vais parler en mon nom propre au sujet de ma famille, qui est dans la Ghouta orientale. Pas plus tard qu'hier, mon oncle m'a envoyé la photo d'un pain sec qu'il s'apprêtait à manger avec les siens.
Nous prions instamment le Canada de soutenir l'application de la résolution 2401 du Conseil de sécurité pour mettre fin aux bombardements et aux tirs d'obus en Syrie.
Si les choses continuent de la même façon, la Ghouta et la ville d'Idlib vont subir le même sort qu'Alep. C'est d'ailleurs ce qu'Ibrahim al-Jaafari, le ministre des Affaires étrangères du régime Assad, a dit lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité.
Nous prions instamment le Canada et ses alliés d'exercer des pressions à l'international pour mettre fin à ce massacre. Dans les 72 heures qui ont suivi l'adoption de la résolution 2401, les bombardements ont fait 107 victimes, dont 34 enfants. La Ghouta orientale a aussi été la cible d'une attaque au chlore, la semaine dernière.
Nous avons vu que lorsque la Russie décide d'appliquer un cessez-le-feu, elle le fait. Un cessez-le-feu est en vigueur tous les jours, de 9 heures à 14 heures. Nous devons exercer des pressions pour la mise en oeuvre d'un cessez-le-feu ou d'une trève dans la Ghouta orientale, et pour l'évacuation de cette enclave.
Nous n'avons pas besoin de couloirs humanitaires pour permettre l'évacuation de la Ghouta, car il n'y a pas de façon sécuritaire de passer de cette enclave à Damas. L'armée enrôle les hommes, et nous n'aurions aucune façon de connaître la situation des habitants qui seraient évacués de la Ghouta, comme cela s'est produit à Alep. S'il n'y a pas de plan d'évacuation, nous allons créer une situation où nous ne saurons pas où les évacués aboutiront. Nous parlons ici de la vie de femmes et d'enfants.
Les médias parlent des sous-sols qui existent en Syrie, notamment dans la Ghouta. Il n'y a pas d'abris dans la Ghouta, seulement les sous-sols des immeubles résidentiels. Or, ces sous-sols ne sont pas équipés pour permettre aux gens d'y rester. Cette situation dure depuis déjà deux semaines. Si les choses se poursuivent de la même façon, tous les habitants prisonniers de ces sous-sols périront.
On dit que la Ghouta orientale a le même nombre d'habitants que la ville de Manchester. Cela fait beaucoup de monde. Si nous restons muets devant ce massacre, nous nous retrouverons avec l'une des plus graves crises que le monde ait connues.
Merci.
Merci beaucoup à vous tous pour ces témoignages.
Nous allons amorcer la première série de questions, en commençant par le député Sweet.
Merci, monsieur le président.
C'est une situation affligeante. J'aimerais cependant clarifier certaines choses afin qu'elles soient portées au compte-rendu et que nous puissions formuler une déclaration sans équivoque.
Le siège actuel est suffisamment serré pour empêcher qui que ce soit de fuir la Ghouta. Est-ce exact?
Vous avez dit qu'aucun médicament n'était entré dans la Ghouta au cours des 14 derniers mois. Qu'en est-il de l'aide humanitaire? Quelle aide humanitaire la Ghouta a-t-elle reçu dans la dernière année?
Merci, monsieur.
Au cours des 14 derniers mois, le régime a bloqué l'entrée dans la Ghouta de toute fourniture médicale, aide humanitaire ou nourriture. Les habitants survivent avec les réserves qu'ils avaient avant le début de cette période, et cela s'applique aussi aux besoins essentiels des enfants et aux fournitures médicales des hôpitaux. Même avant cela, pendant cinq ans, le régime s'est employé à couper la chaîne d'approvisionnement de la Ghouta de façon intermittente. Au cours des 14 derniers mois, aucune aide humanitaire, aucune nourriture et aucun matériel médical n'a été autorisé. Rien du tout.
La Ghouta est une zone résidentielle. Il n'y a pas d'endroits pour cultiver quoi que ce soit. Cela signifie que d'ici quelques jours ou quelques semaines, il ne restera vraisemblablement plus rien pour toutes ces personnes.
C'est exact. La plupart du temps, les gens mangent ce que la terre produit. Il y a une certaine agriculture malgré la destruction incessante et les frappes aériennes en continu. La Ghouta orientale est reconnue pour ses exploitations agricoles, et l'agriculture qu'on y pratique donne de bons résultats, sauf qu'avec les frappes aériennes en cours, cela risque aussi de devenir problématique.
Le siège est-il en train de se resserrer? Vous dites qu'il y a des terres agricoles. Risque-t-on de voir le siège se resserrer et éliminer aussi ces terres agricoles?
Oui, cela ne fait aucun doute. La destruction a même touché les agriculteurs. Au cours de la dernière semaine en particulier, les agriculteurs ont cessé de travailler. L'activité agricole est inexistante. Si la tendance se maintient, la production locale va disparaître complètement.
Encore une fois, par souci de clarté, en ce qui concerne les 30 000 personnes qui ont été tuées, c'est strictement dans la région de la Ghouta. Est-ce exact?
Enfin, y a-t-il des pourparlers en ce moment entre le régime Assad et les résidants de la Ghouta pour essayer de mettre fin à cette situation?
À ma connaissance, il n'y a aucun pourparler. Je le répète, nous nous occupons surtout du volet médical, mais d'après ce que nous disent les gens sur le terrain, aucun pourparler n'est en cours. Le problème, c'est que la confiance est vraiment à son plus bas. Donc, même s'il y avait des pourparlers, les gens ne pourraient faire aucunement confiance au gouvernement syrien, peu importe ses promesses. Je crois que le lien de confiance a été brisé à maintes reprises, d'où le climat de méfiance qui règne.
Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose... Vous savez, les gens de la région veulent que les Nations unies mettent en oeuvre la résolution et participent aux pourparlers, mais en vain. Ils ne font absolument pas confiance à l'autorité syrienne ou à la Russie.
J'aimerais tout simplement poser une question sur l'avenir parce qu'il me semble que, si la résolution des Nations unies n'est pas prise au sérieux et n'est pas appliquée, la communauté internationale abandonne essentiellement l'objectif de repousser le gouvernement syrien.
Je voudrais savoir ce que vous en pensez, car cette bataille dure depuis longtemps. Ma préoccupation tient au fait que nous voyons la volonté internationale s'affaiblir, et cela aboutira au même genre de situation qui existait avant le début de ce conflit.
Qu'en pensez-vous, tous les trois?
Si la résolution est pleinement mise en oeuvre, la situation se stabilisera, mais s'il n'y a aucune garantie pour la population civile... Les civils là-bas ne veulent pas quitter la Ghouta orientale. Nous demandons à rester dans la Ghouta, car il n'y a aucun accès à des régions, aucun moyen sûr, et nous ignorons ce que l'avenir réservera aux civils s'ils se déplacent ailleurs. Nous avons appris la leçon après la tragédie d'Alep. La même situation se produirait si les habitants quittaient la Ghouta orientale. Mourir sous les bombes, c'est la même chose que mourir à Damas sous l'emprise du régime ou croupir dans les prisons là-bas.
Mon cousin a essayé de fuir la Ghouta orientale le 18 décembre et, à cause du régime, il est maintenant détenu dans la prison de Saidnaya. Comme rien ne garantit la sortie sécuritaire des civils, la solution consiste à les garder dans la région et à les protéger contre les bombes, tout en exerçant des pressions sur la Fédération de Russie, l'Iran et le régime Assad.
Je vais simplement renchérir sur ce que Muzna vient de dire.
Les gens ont l'impression d'être coincés là-bas. Mais, chose certaine, selon le consensus qui se dégage, surtout d'après nos échanges avec eux, les gens ne veulent pas quitter la région. Ils ne veulent pas partir en exil, car ils ont vu ce qui s'est passé aux réfugiés à Alep. Ils ont vu à quel point c'est un processus humiliant et difficile. Certains avaient l'habitude de dire qu'ils sont chez eux là-bas et qu'ils vont y mourir ou continuer à y vivre. Voilà le sentiment général. Nous essayons de transmettre ce message à tout le monde. Les habitants de la région ne veulent pas s'exiler.
La seule façon de rétablir la confiance entre les deux camps, c'est de mettre fin au pilonnage et aux bombardements dans la région et d'ouvrir l'accès à l'aide humanitaire. Cela permettra peut-être de lancer un dialogue entre les deux parties afin de trouver une solution pacifique.
C'est la seule façon d'y arriver, à condition que la communauté internationale fasse pression sur la Russie. Au fond, à ce stade-ci, c'est le régime russe qui tire les ficelles.
J'aimerais simplement ajouter un autre point, si vous me le permettez.
La situation dans la Ghouta orientale est différente de celle à Alep. En effet, Alep a accès à plusieurs villes et villages qui ne sont pas contrôlés par le régime syrien. La Ghouta orientale, pour sa part, est complètement entourée par des régions sous l'emprise du régime syrien. C'est ce qui préoccupe au plus haut les 400 000 civils, car ils ne veulent pas passer par ces régions. S'ils sortaient de la Ghouta, ils seraient obligés d'aller dans des régions contrôlées par le régime, où l'on estime que plus de 500 000 personnes sont incarcérées et torturées.
Merci, monsieur le président.
Merci à Hussam et à Muzna de leurs témoignages aujourd'hui.
Si je puis me le permettre, j'aimerais poser une question aux Drs Al-Kassem et Alfakir. Quel rôle jouez-vous, vous et votre organisation, sur le terrain? Quelle sorte de secours fournissez-vous sur le terrain? Avez-vous des alliés régionaux qui appuient le travail que vous faites?
Nous avons des cliniques de soins primaires et un hôpital, le seul dans la ville de Douma à l'heure actuelle. Le seul hôpital est donc administré ou appuyé par notre organisation. Nous soutenons le personnel médical sur le terrain. Nous appuyons la seule salle d'urgence de l'hôpital — en fait, la seule de la ville —, et l'unité de soins intensifs, qui est actuellement remplie de plusieurs centaines de patients. Nous avons des ambulances, qui ont également été ciblées dans la Ghouta orientale.
Pour ce qui est des alliés, nous collaborons avec de nombreuses organisations, notamment Médecins Sans Frontières et la Syrian American Medical Society. Nous communiquons avec elles, et nous leur envoyons des fournitures si elles n'en ont pas assez dans les localités où elles se trouvent. Nous travaillons en étroite collaboration avec les ONG, les organisations de secours médical sur le terrain, ainsi que les gouvernements français et suisse.
Malheureusement, nous n'avons aucune communication directe avec les représentants du régime parce qu'ils ne nous permettent pas d'avoir accès à leurs hôpitaux ou à leurs cliniques.
Merci.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement du Canada, avez-vous des recommandations concrètes à formuler? D'après vous, y a-t-il des mesures que le gouvernement du Canada peut prendre pour améliorer la situation et exercer des pressions politiques sur la communauté internationale, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure?
Pour ce qui est de savoir ce que le Canada peut faire, nous exhortons le gouvernement à exercer des pressions sur la Russie, parce que nous savons que la Russie a la solution. Comme ma collègue Muzna l'a dit, lorsque la Russie a voulu créer une zone de sécurité de 9 heures à 14 heures, elle y est parvenue. Je crois que la Russie détient la réponse. Si nous exerçons un peu plus de pressions sur la Russie, je crois qu'elle peut mettre en oeuvre la Résolution 2401, ainsi que les résolutions antérieures, y compris la Résolution 2286 visant à protéger les hôpitaux et les installations médicales.
Une fois cet objectif atteint, nous pourrons présenter une proposition solide et concrète au gouvernement canadien. Nous avons bel et bien un plan d'évacuation. D'ailleurs, l'UOSSM était la première organisation à assurer l'évacuation d'Alep. Nous avons beaucoup appris de notre expérience à Alep. Nous pouvons certes aider les Nations unies à cet égard. Nous collaborons étroitement avec l'OMS et les Nations unies. Nous serons ravis de présenter quelque chose de solide à ce moment-là.
Vous avez mentionné au début de votre témoignage qu'en général, les gens ne veulent pas quitter la région.
Pensez-vous qu'une évacuation, s'il y a lieu, apporterait son lot de difficultés? Vers où évacueriez-vous les gens?
Je pense que mon collègue Anas parlait seulement d'évacuer les blessés, qui sont nombreux; il ne s'agit pas d'évacuer tout le monde sur le terrain.
Je ne crois pas qu'il soit prudent d'amener les blessés à Damas parce que nous n'avons pas d'installations là-bas ou en raison du climat de méfiance pour pouvoir y soigner ces gens. Nous pouvons évacuer les blessés vers le nord, près de la frontière turque.
Merci beaucoup de vos efforts dans ce dossier.
La Ghouta orientale est si près de Damas, une ville reconnue depuis toujours comme étant un centre culturel et multiculturel très dynamique. C'est un endroit de grande diversité. Pouvez-vous nous dire comment la récente crise a touché les minorités présentes dans la Ghouta orientale, qu'il s'agisse des Kurdes, des chrétiens, des druzes, des ismaéliens ou des chiites? Si vous pouviez nous éclairer à ce sujet, je crois que ce serait fort utile.
Je peux vous dire qu'en général, ce problème ne touche pas uniquement la Ghouta orientale, mais l'ensemble de la Syrie. C'est ainsi non seulement dans les banlieues de Damas, mais aussi dans celles d'autres villes.
Une chose que le monde entier doit savoir à propos de cette région, c'est que ces gens vivaient ensemble longtemps avant que le régime syrien prenne le contrôle du pays. Ces gens sont des voisins. Ils sont parfois des membres d'une famille. Ils exploitent ensemble des fermes, et ils entretiennent d'importantes relations d'affaires entre eux. Il n'existe vraiment aucune division entre les cultures ethniques. Ces gens vivent ensemble, et ils ont toujours été intégrés les uns aux autres.
Le régime syrien s'est acharné à semer la discorde entre les groupes ethniques ou les croyances religieuses afin de pouvoir inciter d'autres minorités à venir grossir ses rangs. Pourtant, il n'y a aucune différence entre ces groupes. J'ai vécu à Damas pendant des années. J'ai des amis syriens de tous les horizons: chrétiens, ismaéliens, druzes, alaouites. Nous allions à l'école ensemble et nous faisions la fête ensemble. Nous étions des amis de longue date. Ce clivage n'existe pas. Je crois que c'est tout simplement le régime syrien qui insiste là-dessus pour acquérir plus de poids face à la majorité sunnite.
Puis-je obtenir des précisions à ce sujet? Bien entendu, du point de vue historique, il existe une grande harmonie entre les divers groupes ethniques et religieux en Syrie, y compris dans la région de Damas, et vous avez parlé de la situation dans la Ghouta.
Si je vous comprends bien, là où vous voulez en venir, c'est que, malgré la récente crise et tout ce qui s'est produit en Syrie depuis mars 2011, ces relations harmonieuses et positives perdurent. Comme l'histoire nous l'a appris — pas seulement au Moyen-Orient, mais dans de nombreux autres conflits et situations d'urgence en particulier —, lorsqu'il y a des effusions de sang, c'est dans ces moments que les relations entre des gens qui étaient voisins ou amis autrefois peuvent prendre une tournure assez effrayante. Avez-vous bon espoir qu'en dépit de tout ce qui se passe, les relations pourront reposer sur une assise solide?
Oui, j'ai très bon espoir que ce sera le cas.
Il faut faire une distinction entre les gens qui ont participé au combat et ceux qui n'y ont pas participé. Beaucoup de civils dans les deux camps n'ont pas pris part au combat. Ils sont restés des voisins. Une fois que la guerre sera terminée, je crois bien qu'ils se réuniront en tant qu'amis et voisins.
Par contre, il y a des gens qui ont participé aux tueries, et je crois en la justice. Il faudrait qu'une cour se saisisse de cette affaire et exige des comptes, peu importe l'origine ethnique ou les antécédents. Il faudrait qu'une cour rende un jugement sur les gens qui se sont livrés à des massacres et à d'autres atrocités. Toutefois, à mon avis, cela ne devrait pas reposer sur l'origine ethnique.
Oui, effectivement. Nous reviendrons à vous au prochain tour. Je veux simplement m'assurer que nous ne manquons pas de temps.
Madame Hardcastle, nous vous écoutons.
J'aimerais parler de ma famille à moi.
Un des membres de ma famille est alaouite et un autre, kurde. Dans la Ghouta, il y a des Kurdes, et il y a des minorités. Le problème en Syrie, ce n'est pas de savoir à quel groupe on appartient. Ce n'est qu'une question d'opinion politique, si l'on est contre le régime Assad. Tous les membres de ma famille vivent en état de siège, alors il n'y a pas de différence entre eux. Dans ma famille, il y a aussi des sunnites qui sont en faveur du régime Assad à Damas, sous l'emprise du régime. C'est donc une opinion politique. Cela n'a rien à voir avec la religion ou l'ethnicité.
J'aimerais vous demander, à tous les trois, si je peux me le permettre, de nous en dire un peu plus sur le point que Muzna a soulevé en ce qui concerne l'évacuation et la création d'un passage sûr. Hussam a abordé la question de l'aide humanitaire, et je crois que vous en avez parlé, vous aussi, docteur Al-Kassem.
D'après ce que je crois comprendre, contrairement à Alep, la Ghouta orientale est bouclée à un point jamais vu auparavant. J'essaie de trouver des moyens concrets par lesquels le Canada peut exercer des pressions à court terme, et il me semble que la fenêtre d'aide humanitaire proposée par la Russie pourrait être une mesure que nous pourrions réclamer pour que les gens disposent d'un corridor d'accès sûr ou pour que l'aide humanitaire et médicale puisse entrer dans la région. Est-ce là une option valable?
Pendant que vous réfléchissez à votre réponse, songez aussi aux endroits où les gens pourraient aller. Disons que nous parvenons à établir un corridor d'accès sûr. Où se situe la Ghouta orientale dans le tout? Est-ce sans danger? Y a-t-il des endroits que les gens pourraient contourner? Comment s'en tirent-ils, comparativement aux habitants d'autres régions du pays?
Voilà, j'ai terminé. Je ne poserai pas d'autres questions afin que vous puissiez tous utiliser le reste mon temps pour en discuter.
Je vais répondre. Merci beaucoup pour cette question.
Disons d'abord qu'il est tout à fait illogique de vouloir ouvrir une fenêtre d'aide humanitaire de 9 heures à 14 heures comme le suggère la Russie. C'est tout simplement absurde. Ce n'est pas mon opinion ni celle de mon organisation. C'est plutôt le point de vue du personnel médical sur le terrain.
Ces gens-là ont en effet pu observer au cours des derniers jours, soit depuis l'adoption de la résolution 2401, qu'il y avait un certain nombre de frappes aériennes le matin, quoique moins qu'auparavant, disons cinq ou six, puis davantage l'après-midi et encore plus le soir. Le personnel médical doit donc encore sortir après 14 heures pour porter secours aux blessés. Des ambulances sont ainsi attaquées après 14 heures. On ne peut donc pas logiquement leur demander de faire leur travail de 9 heures à 14 heures en sachant que les bombardements vont se poursuivre pendant le reste de la journée. Le nombre de victimes va augmenter au fil de nos activités d'évacuation. Il va y avoir des centaines de blessés de plus.
Il nous faut un cessez-le-feu complet, 24 heures par jour, comme le prévoit la résolution 2401. Il est insensé de croire qu'une interruption de cinq heures puisse suffire.
Pour répondre à la seconde partie de votre question, je dirais que les gens ne veulent pas être déplacés. Leur famille habite la Ghouta orientale depuis des centaines d'années, voire des milliers d'années pour certains, comme les agriculteurs. Ces gens-là ne veulent donc pas se retrouver à Alep ou à Idlib. Pour eux, c'est un territoire totalement différent, un tout autre pays dont ils ne connaissent absolument rien. Comme on a pu le constater à Alep, il ne faut pas s'attendre à un soutien bien senti de la part des Nations unies. Ce sont surtout les organisations non gouvernementales bénévoles qui ont aidé les gens à sortir d'Alep.
La population d'Alep ne dépasse pas les 50 000. Nous avons ici 400 000 personnes, ce qui rend selon moi impossible une évacuation à bonne distance. À Alep, les gens ont pu se rendre dans les villes avoisinantes qu'ils connaissaient bien et où certains ont pu être accueillis par des amis ou des collègues.
Nous avons ici une région complètement encerclée par le régime. Pour se rendre à Alep ou à Idlib, il faut compter 300 kilomètres et on risque fort de ne connaître personne une fois rendu à destination. D'un point de vue social et humanitaire, je ne crois donc pas que la solution préconisée par la Russie et le régime soit sensée ni même envisageable.
De 2013 à 2016, le régime Assad a mené ce qu'il a appelé une opération de réconciliation dans certaines banlieues de Damas, comme Qaboun et Muadamiyat. On a alors constaté que les hommes évacués se retrouvaient soit en prison soit dans les rangs de l'armée, alors que les femmes et les enfants demeuraient dans des écoles sous le contrôle du régime. Celui-ci n'avait rien prévu d'autre pour les gens évacués.
Dans le cas d'Alep, la proximité avec la frontière turque a aidé les civils à fuir la Syrie. Pour la Ghouta, il n'y a pas de frontière rapprochée ni de pays prêt à accueillir les civils évacués.
Nous réitérons nos revendications, qui sont aussi celles des gens sur le terrain. Les civils de la Ghouta ne veulent pas quitter la région, car ils ont le droit de demeurer sur leur territoire. C'est d'ailleurs l'un des premiers articles de la Déclaration des droits de l'homme. Nous voulons exercer des pressions sur le régime à cette fin.
Je n'ai rien à ajouter, car je vous répondrais exactement la même chose. Les gens ne veulent pas quitter la région. Il faut simplement que l'on nous facilite l'accès pour offrir l'aide humanitaire nécessaire.
Autrement dit, nous avons besoin d'un corridor d'accès sûr pour les fournitures et l'aide humanitaire. Nous devrions concentrer nos efforts sur cet aspect, tout au moins à court terme.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup à tous nos témoins d'aujourd'hui. Votre aide nous est très précieuse dans nos efforts pour faire la lumière sur ces ravages qui ont cours depuis trop longtemps déjà en Syrie.
Je veux d'abord m'adresser à nos deux médecins.
Dans vos observations préliminaires, vous avez noté le besoin criant de fournitures médicales et les lourds dommages subis par les installations de santé. Je crois que c'est vous, docteur Al-Kassem, qui avez parlé de 33 attaques contre de telles installations. Pouvez-vous nous dire à quel point les besoins de fournitures médicales sont criants?
Merci beaucoup pour cette question, monsieur Tabbara.
Comme je l'indiquais tout à l'heure, il n'y a eu aucune livraison de fournitures médicales depuis environ 15 mois. Heureusement, des fournitures ont été emmagasinées pendant des années à Arbin, dans la portion ouest de la Ghouta orientale. Il y avait notamment des fournitures médicales, y compris des cathéters, des anesthésiants et du matériel pour les sutures. Comme 15 mois se sont écoulés, il ne reste maintenant presque plus rien de ces stocks.
Un collègue chirurgien, le Dr Hossam Hamdan, qui travaille au seul hôpital encore en opération avec le soutien de notre organisation à Douma, m'a indiqué qu'il n'avait plus de matériel pour certaines sutures chirurgicales. Il n'est même pas ici question de blessures graves exigeant des soins particuliers. Par exemple, il n'avait même pas le matériel nécessaire pour recoudre l'utérus d'une patiente après une césarienne d'urgence. Il m'a dit à quel point il était désespéré. Il ne sait plus comment s'y prendre pour faire son travail de chirurgien sans disposer de l'équipement et du matériel dont il a besoin.
Il y a du matériel pour certaines sutures. Il y a aussi des cathéters, comme les sondes de Foley ou les cathéters centraux, qui servent essentiellement aux transfusions de sang et de solutions salines. Il n'y a plus de sacs de solution saline. Ces solutions sont absolument nécessaires pour réanimer les patients blessés. Comme il n'y a plus de solution saline, on essaie d'en produire à la Ghouta, mais c'est dangereux. Les frappes aériennes se poursuivent.
Ce n'est pas un contexte très favorable à ce genre d'activités de production. Nous avons appris hier qu'une entreprise pharmaceutique avait été visée par des bombardements. Il n'y a donc pas seulement 33 établissements de santé qui ont été ciblés au cours des deux dernières semaines. Même quelques usines où l'on fabrique des fournitures médicales ont fait l'objet d'attaques aériennes par les Russes et le régime syrien.
Je pourrais peut-être ajouter quelque chose à ce sujet. En général, les campagnes de bombardement ciblent les composantes du réseau électrique. Je sais que l'alimentation a été coupée quelques jours, voire même quelques heures, avant le début du siège. Est-ce que l'on cible ce genre d'installations, ou est-ce que les bombardements se font sans discernement et finissent par atteindre les installations médicales?
Je sais que vous avez un collègue médecin qui a récemment perdu la vie.
Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?
La plupart des installations fonctionnent au moyen de génératrices. Il n'y a pas vraiment d'électricité dans les hôpitaux. On se sert de génératrices pour effectuer des opérations chirurgicales dans la région. Comme le Dr Al-Kassem le mentionnait, les gens doivent se montrer vraiment créatifs pour adapter les procédures médicales en conséquence ou trouver de l'énergie pour alimenter ces génératrices. Il a parlé des sacs de plastique dont on se sert pour fabriquer du combustible. Des chimistes ont réussi à trouver la façon d'y parvenir. Cela donne un produit qui ressemble presque à de la margarine, et c'est ce qui permet de faire fonctionner les génératrices.
Il n'y a donc pas d'électricité à proprement parler. À ce que je sache, l'alimentation a été coupée il y a longtemps déjà.
Anas, avez-vous quelque chose à ajouter?
J'ai une dernière question pour Mme Dureid.
Vous avez indiqué que votre famille vit dans la Ghouta orientale, à quelques kilomètres à peine de Damas. D'après ce que j'ai pu entendre, la situation n'est pas nécessairement idéale à Damas, mais on y est tout au moins à l'abri des bombardements. Les gens peuvent même se rendre jusqu'au Liban et en revenir. Pouvez-vous nous parler des différences entre la vie dans la capitale, Damas, et la vie dans la Ghouta orientale où le régime Assad assiège la ville en resserrant son étau?
Oui, mais j'aimerais d'abord revenir à la question de l'énergie. Mon oncle produit de l'énergie à l'aide d'une bicyclette pour recharger son téléphone. Alors même qu'il n'y a rien à manger, il doit enfourcher sa bicyclette pour produire de l'énergie. Les gens sont totalement privés de ressources.
Pour ce qui est de la comparaison entre le sud de Damas et la Ghouta, je vous dirais qu'une partie de mes proches travaillent pour le gouvernement au sein du régime Assad et sont pris en charge. L'autre moitié de ma famille se retrouve toutefois en état de siège depuis cinq ans. À Damas, la vie est tout à fait normale. Les gens peuvent notamment voyager, manger à leur faim et fréquenter l'école ou l'université. Il n'y a toutefois plus d'études possibles à la Ghouta. Tous mes cousins ne vont plus à l'école depuis cinq ans. On manque de nourriture. Il n'y a pas de moyens de communication. La vie est loin d'être normale. Les bombardements se succèdent et la mort est omniprésente. C'est ce qui se passe lorsqu'on prend politiquement position contre le régime. Votre existence est complètement bouleversée par la suite.
Je pense que nous comprenons tous à quel point ce régime est impitoyable. C'est d'ailleurs ce qui nous inquiète autant.
Docteur Alfakir, je crois que vous avez indiqué qu'il n'y avait pas de combattants étrangers dans cette région. Je ne sais pas si vous pourriez nous donner un aperçu de la composition des forces militaires qui s'opposent au régime. Quelle proportion de la population appuie cet effort? Dans certains conflits, la population est simplement obligée de suivre le pas, alors qu'ailleurs dans le monde, elle appuie sans réserve les actions qui sont menées. Pouvez-vous nous donner une idée de la manière dont les choses se passent pour la défense de cette ville et l'opposition au régime?
Ils sont là... Je rappelle que mes renseignements me viennent du personnel médical sur le terrain. Je n'ai jamais fait partie des forces militaires, et je ne pourrais pas vraiment vous donner plus de détails sur le déploiement des troupes dans le secteur. On me dit qu'il n'y a pas de combattants étrangers parce que la région est en état de siège depuis toutes ces années — on parle de quatre ans et demi — ce qui empêche tout apport de l'extérieur. Si certains ont pu entrer clandestinement, ils ne représentent qu'une très faible minorité des combattants. Pour la majorité, il s'agit de gens de la région qui veulent vraiment protéger leurs terres et leurs familles.
Comme je l'indiquais, c'est davantage une question d'idéologie. Le gouvernement veut s'imposer à la population, et celle-ci lui oppose une résistance. Les gens volent des armes ou s'emparent de tout ce qui leur tombe sous la main pour protéger leur famille. C'est vraiment leur famille qu'ils tiennent à protéger. Ainsi, les militants ne vont jamais se servir de leurs proches comme boucliers humains, comme le prétend le gouvernement, parce que personne ne fait une chose pareille. Ils combattent plutôt pour protéger leur famille.
En outre, les familles craignent de quitter la région parce qu'elles ne font pas confiance au gouvernement. Si les gens sortent, ils vont être incarcérés, torturés ou même tués. Comme ils ne font pas du tout confiance au gouvernement, ils ne partent pas. Ceux qui restent se sentent piégés. Les gens sur place — agriculteurs, travailleurs, commerçants, etc. — portent bel et bien des armes pour défendre leur ville et leur foyer. C'est ce qu'on m'a rapporté, et j'ai toutes les raisons de le croire. Comme je l'indiquais, s'il y a effectivement des combattants étrangers, ce n'est qu'une très faible minorité — peut-être 100 ou 200 au maximum.
J'espère avoir répondu à votre question.
Oui. Je veux parler de la situation à Deir ez-Zor. Lorsque cette ville a été assiégée par Daech, la coalition internationale a largué de la nourriture pour les civils. Pourquoi ne pas faire la même chose dans la région assiégée par le régime Assad alors qu'on y est privé de toute forme d'aide?
Par ailleurs, il y a effectivement un groupe armé à la Ghouta. C'est tout à fait normal compte tenu du conflit qui perdure depuis sept ou huit ans en Syrie. Ce n'est toutefois pas une raison pour cibler des civils, des écoles ou des hôpitaux. Ce n'est pas non plus une raison pour lancer une attaque chimique avec du chlore ou du sarin. Rien ne saurait justifier de tels agissements. Nous avons vu la réaction de la communauté internationale à l'encontre de Daech, mais nous ne voyons rien de tel avec le régime Assad.
C'est ce que je voulais faire valoir, et c'est on ne peut plus clair.
C'est un constat qui préoccupe également notre comité.
J'aimerais parler brièvement des attaques chimiques. Le 25 février dernier, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques a indiqué qu'elle allait faire enquête au sujet des allégations. Lorsque cette organisation est intervenue par le passé, elle a été victime d'attaques, d'embuscades ou d'agressions semblables.
Avez-vous une idée de la façon dont l'organisation pourra s'y prendre pour faire son travail dans le contexte que l'on connaît? Est-ce que vous avez des contacts avec cette organisation, ou bien est-ce que cela sort totalement du cadre de votre mandat?
Il y a effectivement eu une attaque au chlore qui a été documentée par des médecins. Nous n'avons pas de contacts directs avec l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, mais je sais que les Nations unies ont délégué M. Mulet qui a réussi à prouver l'utilisation du gaz sarin, comme l'indiquait mon collègue, ainsi que de nombreux autres gaz en Syrie. Ce fut notamment le cas pour le tristement célèbre massacre de Khan Shaykhun en 2016, de même qu'à la Ghouta, la région même qui est actuellement assiégée, où 1 400 personnes ont perdu la vie en 2013, victimes du tout premier massacre au moyen d'armes chimiques.
Dimanche dernier, soit au lendemain de l'adoption de la résolution 2401. Nous avons communiqué avec les médecins sur le terrain. Quatorze personnes ont été blessées et un enfant est mort à la suite de cette attaque chimique. Hélas, les médecins sur place sont devenus de véritables spécialistes de ce genre de situations. J'ai moi-même suivi des cours sur les armes chimiques. Nous ne voulons pas avoir à attendre l'intervention d'une autre organisation, car nous connaissons très bien les symptômes. Je les connais même mieux que ceux d'une personne qui se présenterait avec une toux au Canada.
Merci.
J'ai une dernière question. Y a-t-il d'autres régions en Syrie qui sont assiégées, mais qui font peut-être moins la manchette? Y a-t-il d'autres secteurs auxquels nous devrions nous intéresser dans le cadre de cette étude? Y a-t-il d'autres endroits vers lesquels nous devrions selon vous tourner notre attention?
La situation est la même au sud de Damas, mais les frappes aériennes y sont moins fréquentes que dans la Ghouta orientale. Les camps de al Qadam, Yelda, Tadamon et Yarmouk sont actuellement en état de siège eux aussi, mais ils sont soumis à des bombardements moins intensifs.
Merci, monsieur le président.
Madame Dureid, vous nous avez parlé d'un conflit qui est davantage fondé sur des idéologies politiques. Docteur Alfakir, vous avez traité brièvement de reddition de comptes et de justice.
La Syrie est en état de siège depuis très longtemps. Que convient-il maintenant de faire pour rendre justice aux victimes de ce siège, régler la crise humanitaire qui sévit et reconstruire un pays qui a tant souffert pendant toutes ces années?
Il n'y a malheureusement aucune justice possible avec le régime Assad.
L'opération César a permis de rendre publiques quelque 1 500 photos de détenus tués en prison, y compris deux de mes proches. Le dénommé César a réussi à faire sortir clandestinement ces photos. Il y a eu également l'attaque chimique de 2013 qui a coûté la vie à 1 200 personnes. Selon moi, les preuves de la criminalité de ce régime ne manquent pas, et l'on sait très bien comment il interagit avec la communauté internationale et avec nous.
Pour ce qui est de la reddition de comptes, il y a de nombreuses organisations de la société civile, comme Urnammu, qui s'emploient à documenter jour après jour les exactions commises en Syrie.
Il y a ici au Canada des réfugiés qui ont été détenus et maltraités par le régime Assad en Syrie. D'ici quelques années à peine, ils deviendront citoyens du Canada. On pourra alors demander que justice leur soit rendue à titre de citoyens canadiens, car il semble bien que la citoyenneté syrienne ne donne pas accès au même niveau de respect des droits de la personne.
Nous pouvons d'abord nous adresser aux tribunaux nationaux, comme c'est le cas en Allemagne, en Suède et en France du côté européen. Nous pouvons exercer des pressions auprès de ces différents tribunaux ou bien nous tourner directement vers le mécanisme international, impartial et indépendant pour nous en prendre au régime dans son ensemble.
Merci beaucoup.
Malheureusement, nous n'avons plus de temps. Je veux remercier nos trois témoins de leur participation, malgré le très court préavis.
Selon moi, c'est un véritable rappel à l'ordre pour nous tous. Nous connaissons en effet la triste réalité qui entoure les crises semblables. Elles font la manchette pendant un certain temps, comme nous avons pu le voir dans le cas d'Alep. Je viens d'ailleurs de jeter un coup d'oeil sur les travaux du comité à ce sujet il y a plus d'un an. Hélas, ces tristes événements tombent peu à peu dans l'oubli, et nous nous y intéressons de moins en moins. Mais lorsqu'on nous rappelle ainsi la dépravation de ce régime et les crimes contre l'humanité et autres crimes de guerre commis dans cette région, nous n'avons d'autre choix que de nous dire qu'il faut en faire davantage pour contrer le régime Assad.
À ce titre, il n'y a rien de plus révélateur que des témoignages comme les vôtres. On comprend mieux la situation lorsqu'on vous entend raconter les efforts déployés par les professionnels de la santé pour sauver des vies dans les hôpitaux, ou les horreurs vécues là-bas par la famille de Mme Dureid au cours des cinq dernières années. Nous allons veiller à transmettre ce rappel à tout le monde, en commençant par la Colline parlementaire, pour que l'on comprenne bien que le reste du monde ne peut pas rester les bras croisés pendant que de telles atrocités sont commises jour après jour. Je tiens donc à vous remercier vivement de vos témoignages et de votre participation à notre réunion.
J'aimerais simplement obtenir votre approbation pour la diffusion du communiqué. Est-ce que tout le monde est d'accord?
Des députés: D'accord.
Le président: Merci.
La séance est levée.
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