Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
La séance est ouverte. Bienvenue à la 17e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 31 mars, le Comité se réunit pour étudier le projet de loi C-5 Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
La réunion d'aujourd'hui a lieu dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Les députés sont présents en personne dans la salle et à distance par le biais de l'application Zoom. Les délibérations seront disponibles sur le site Web de la Chambre des communes.
Pour ceux qui utilisent Zoom, le choix de langue se trouve au bas de votre écran. Vous pouvez choisir le parquet si vous comprenez les deux langues officielles, ou l'anglais, ou le français.
Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal souhaité, qu'il s'agisse du parquet, de l'anglais ou du français. N'oubliez pas d'augmenter le volume, car il est habituellement très bas au départ sur les appareils de la Chambre.
Les témoins ont-ils des questions? Vous pouvez lever la main. Je pense que vous devez tous être au courant. C'est simplement que nous avons eu des problèmes techniques avec certains témoins précédemment.
J'ajoute que je vous montrerai un carton jaune lorsqu'il vous restera 30 secondes, que vous posiez une question ou que vous soyez en train de répondre. Gardez cela à l'esprit. Lorsque votre temps sera écoulé, je vous montrerai un carton rouge, et j'espère que vous essaierez de conclure très rapidement. Je n'aime pas me montrer pointilleux, mais comme tout le monde veut poser des questions, nous devons tenir compte du temps.
Au cours de la première heure, nous entendrons trois témoins. À titre personnel, nous accueillons Beth Bui, agente de probation et de libération conditionnelle. Nous accueillons également Jonathan Rudin, directeur de programme, Aboriginal Legal Services. De l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous accueillons Emilie Coyle, directrice exécutive — je crois qu'elle est ici en personne — et Nyki Kish, directrice, Défense des droits et du changement systémique.
Chaque groupe disposera de cinq minutes.
Je vais commencer par Beth Bui, qui dispose de cinq minutes pour faire sa déclaration préliminaire. Allez-y.
Je m'appelle Beth Bui. Je travaille comme agente de probation et de libération conditionnelle depuis 2007. Je suis ici pour parler de mon expérience personnelle de victime d'agression sexuelle; par conséquent, mes opinions ne représentent pas celles de mon employeur.
Je suis née à Saigon en 1979. En 1985, ma mère m'a dit que j'allais partir en voyage avec elle. J'avais alors seulement cinq ans. Je me souviens de la main de ma mère qui tenait fermement la mienne tandis que nous traversions en courant les champs de riz la nuit, en essayant d'être silencieux et de ne pas attirer l'attention. Je me souviens d'avoir franchi le marais à pied et d'avoir été porté sur l'épaule d'un adulte lorsque l'eau était trop haute pour que je puisse continuer. Le bateau sur lequel nous avons embarqué était petit et fragile et nous étions serrés comme des sardines.
On nous appelait les « réfugiés de la mer » qui fuyaient le Vietnam. Pendant plus de 10 jours, nous avons dérivé en pleine mer. Nous avons été volés par des pirates, mais nous avons finalement été sauvés. Nous sommes restés dans un camp de réfugiés, et c'est là que ma mère a rencontré un homme et qu'ils ont entamé une relation amoureuse. Après neuf mois au camp de réfugiés, ma tante nous a parrainé ma mère et moi pour que nous venions à Calgary. Finalement, ma mère a décidé d'être avec cet homme, et nous avons déménagé à Brantford pour habiter avec lui, avec sa sœur et son neveu, dans un appartement avec deux chambres à coucher.
Parce qu'elle était immigrante, ma mère avait deux emplois, parfois trois, et travaillait surtout la nuit. L'homme travaillait le jour. Cela a permis à cet homme et à son neveu d'abuser de moi sexuellement. J'étais une enfant de huit ans, je ne savais pas parler anglais et je ne savais pas ce qui m'arrivait.
Avant cet incident, je voyais le monde comme une aventure. Par la suite, le monde est devenu sombre et effrayant.
En 2012, au début de la trentaine, je suis devenue mère, et j'ai réalisé que je ne pouvais plus vivre avec ce secret, et que pour assurer la sécurité de mon enfant, je devais signaler mes deux agresseurs à la police. Le premier a été déclaré non coupable par un tribunal pénal. Je ne peux pas révéler l'identité de cet homme en raison d'une entente de non-divulgation devant un tribunal civil, mais il habite toujours avec ma mère.
En tant que victime, à l'issue du processus judiciaire, j'étais blessée à l'intérieur et invisible à l'extérieur.
Quant au deuxième agresseur, il a quitté le pays, et un mandat d'arrestation a été émis contre lui.
Au début, j'ai hésité à rencontrer M. Larry Brock en prévision de cette affaire. J'ai honnêtement eu l'impression que le trajet d'une heure et demie à l'heure de pointe pour me rendre à Brantford ne valait pas la peine que je le rencontre en personne pendant cinq minutes. Mentalement, je me préparais à entendre les raisons pour lesquelles mon cas était insignifiant, mais je cherchais une raison de ne pas faire confiance à M. Brock pour faire le travail de me protéger comme victime. C'est ce que j'ai appris et ce à quoi je m'attendais. J'étais prête à être congédié et vaincue. Cependant, M. Brock m'a prouvé que j'avais tort.
En 2019, l'agresseur a été reconnu coupable par un tribunal pour adolescents à Brantford. Il a été condamné à six mois de détention à domicile, suivis de six mois de probation. Il lui manquait quelques mois pour être un adulte lors de la perpétration de cette infraction. Étant donné que le délinquant a déclaré son adresse à Brampton, où je vis, j'ai pensé qu'il valait mieux ne pas avoir recours à du counselling et à des ressources près de chez moi. J'avais l'impression que mes choix étaient limités et je me sentais seule.
J'estime que je ne mérite pas l'étiquette de « survivante », car j'ai l'impression de ne pas survivre. Je me considère toujours comme une victime, parce que l'abus sexuel est dévastateur. Comme mère, j'ai honte d'admettre que je ne veux pas avoir une fille, car je connais trop les difficultés auxquelles elle peut être confrontée. Il est très difficile de se demander constamment si je suis une bonne mère pour mes enfants. Il est épuisant de désapprendre des comportements passés et de réapprendre des comportements sains. J'estime que la peine clémente à laquelle le délinquant a été condamné est une négation de mon enfance perdue, de mon estime de soi détruite et mon potentiel anéanti.
Au bout du compte, j'ai l'impression que le système de justice pénale ne m'a pas appuyée et je continue de me considérer comme une victime, aujourd'hui encore.
J'imagine... c'est très courageux de votre part d'avoir raconté votre histoire personnelle et les mots me manquent, mais je tiens à vous exprimer toute ma sympathie. Tous les membres du Comité et moi-même vous sommes très reconnaissants d'avoir eu le courage de venir nous raconter votre histoire. Sachez que nous voulons tous vous entendre et que nous partageons tous la douleur que vous avez ressentie vous-même.
Je vais maintenant demander à M. Jonathan Rudin, d'Aboriginal Legal Services, de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Allez-y.
J'aimerais remercier le Comité de me donner l'occasion de parler du projet de loi C-5.
Avant de commencer mon exposé, je tiens à souligner que, bien que notre organisation s'appelle en anglais Aboriginal Legal Services, notre nom Anishnabemoin, qui nous a été donné par l'aînée Jackie Lavalley, est Gaa Kina gwii waabamaa debwewin. Cela se traduit par « tous ceux qui cherchent la vérité ».
Comme le résumé législatif l'indique clairement, l'affaire Sharma est l'une des principales raisons pour lesquelles ce projet de loi a été présenté. Aboriginal Legal Services a joué un rôle dans cette affaire depuis son début en 2016. Nous avons rédigé le rapport Gladue pour Mme Sharma.
Peu de temps après avoir terminé le rapport Gladue, à l'invitation de l'avocat de Mme Sharma, nous sommes intervenus dans l'affaire devant la Cour supérieure de justice et avons dirigé la convocation de témoins experts et nous avons rassemblé des arguments sur les questions relatives à la Charte. Nous avons réussi à faire invalider la peine minimale obligatoire pour l'importation de drogues comme peine cruelle et inhabituelle. Nous sommes également intervenus à la Cour d'appel de l'Ontario, lorsque les restrictions relatives à l'accès aux peines avec sursis ont été jugées comme étant une violation des droits à l'égalité des peuples autochtones et du droit à la liberté en vertu de l'article 7. Nous sommes récemment intervenus devant la Cour suprême dans l'appel de la décision de la Cour d'appel interjeté par le Service des poursuites pénales du Canada. Comme vous le savez, cette personne est maintenant dans la réserve. J'ai eu le privilège d'agir à titre d'avocat principal pour Aboriginal Legal Services tout au long du processus.
Bien que nous appuyions ce projet de loi, il faut toujours garder à l'esprit que, s'il est adopté tel quel, il ne fera que rétablir en partie le droit pénal canadien tel qu'il était en 2012. Tout le travail qui a été fait dans l'affaire Sharma et tous les travaux de ce Comité ne font que nous ramener au point où nous en étions il y a 10 ans. Bien que cela soit certainement nécessaire, il est difficile de voir cela comme un progrès.
Nous devons être clairs: ce qui arrive aux Autochtones dans le système de justice pénale aujourd'hui, c'est l'incarcération massive. Dans leur article intitulé « Criminal Justice Reform and the Mass Imprisonment of Indigenous People in Canada », Jane Sprott, Cheryl Webster et Tony Doob ont étudié les taux d'incarcération des Autochtones et des non-Autochtones pour 100 000 habitants. En 2017-2018, le taux d'incarcération des non-Autochtones était de 79 pour 100 000. Cela représente une baisse de 20 % par rapport à 1996, lorsque la loi créant les peines avec sursis à l'alinéa 718.2e) a été adoptée. En revanche, le taux pour les Autochtones était de 677 en 2017-2018, soit une augmentation de 33 % par rapport à 1996. Les Canadiens autochtones sont maintenant près de neuf fois plus susceptibles d'être en prison que les Canadiens non autochtones.
Quand on compare le taux d'incarcération des Autochtones de 2017-2018 à celui des États-Unis, on constate qu'il est légèrement plus élevé. L'Amérique est le principal exemple d'incarcération massive dans le monde industrialisé. Le fait que les taux d'incarcération des Autochtones sont encore plus élevés qu'aux États-Unis signifie que l'incarcération de masse est le seul terme apte à décrire adéquatement ce qui arrive aux Autochtones. C'est une honte nationale.
En 2015, le gouvernement a promis de mettre en œuvre toutes les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. L'une de ces recommandations visait à abolir les peines minimales obligatoires et les restrictions sur les peines avec sursis. Le projet de loi C-5 est un début, mais seulement un début, s'agissant de cet engagement.
Nous croyons que c'est probablement la seule occasion que le Parlement aura d'apporter des changements significatifs aux peines minimales obligatoires et aux peines d'emprisonnement avec sursis. Il est donc important que le Comité fasse preuve de courage et d'audace et qu'il s'attaque de façon proactive aux autres peines minimales obligatoires prévues dans le Code criminel qui ne sont pas expressément prises en compte dans le projet de loi C-5.
Nous savons que la Chambre n'a pas étudié en profondeur les autres peines minimales obligatoires, mais cela ne se produira pas de sitôt. Une possibilité qui a toujours existé, et que nous exhortons le Comité à envisager en ce qui concerne toutes les autres peines minimales obligatoires, c'est de faire ce que d'autres pays ont fait et de permettre ce qu'on appelle des « soupapes de sécurité ». Une soupape de sécurité peut être utilisée par un juge qui craint que l'imposition d'une peine minimale obligatoire ne cause une injustice grave à l'égard de la personne qui se trouve devant lui et elle permet l'exemption de la peine minimale obligatoire sans avoir à la déclarer inconstitutionnelle.
Les avantages d'une telle approche sont de deux ordres. Premièrement, c'est plus rapide que de devoir contester la constitutionnalité d'une peine minimale obligatoire et cela permet de laisser la loi en place pour la plupart des délinquants. Deuxièmement, les décisions des juges de première instance sont susceptibles, bien entendu, de faire l'objet d'un examen en appel. D'ici quelques années, nous aurions ainsi une solide jurisprudence sur les types de cas qui méritent le recours à une soupape de sécurité.
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L'introduction d'un amendement pour permettre aux juges d'avoir recours à une soupape de sécurité pour les autres peines minimales obligatoires est un pas en avant nécessaire et positif.
Je remercie le Comité de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui.
Notre organisation s'efforce de remédier au fait persistant que les femmes et les personnes de diverses identités de genre touchées par la criminalisation sont régulièrement privées de leur humanité et exclues des conversations de la communauté. Même l'emploi du mot « offender », qui est utilisé dans la version anglaise de ce projet de loi et dans le langage courant, sert à séparer les personnes avec lesquelles nous travaillons de celles qui sont considérées comme faisant partie du public dans le contexte de la « sécurité publique ». Notre siège social est situé sur un territoire algonquin non cédé et non abandonné.
Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, le FAEJ, le Black Legal Action Centre, le BLAC, et notre organisation vous ont présenté conjointement un mémoire. Vous l'avez déjà lu, je l'espère. Il décrit en détail les cinq sujets qui nous intéressent à propos de ce projet de loi. Comme vous le savez tous, ce projet de loi vise à réduire le racisme structurel, la discrimination et l'inégalité systémiques qui, nous le savons, sont une crise de notre système de justice. Plusieurs témoins et même le ministre de la Justice l'ont reconnu devant ce Comité. Nous reconnaissons que ce projet de loi est un pas vers cet objectif, mais il ne va pas assez loin, comme l'a dit Jonathan Rudin.
Je tiens également à remercier Beth d'avoir raconté son histoire au début. C'était vraiment courageux, et je l'en remercie.
Aujourd'hui, nous aimerions mettre en contexte les répercussions humaines et sociales que nous observons dans cette crise.
Une partie de notre travail consiste à surveiller les conditions de détention dans les cinq prisons pour femmes partout du pays. C'est là que nous rencontrons les gens qui ont subi des préjudices et qui continuent d'en subir à cause de la législation actuelle. La majorité de ces femmes et de ces personnes de diverses identités de genre font face à des problèmes de santé mentale complexes et à des dépendances non résolues. Leur place est dans le système de soins de santé et non dans le système carcéral. Si elles sont libérées, ou lorsqu'elles le seront, leurs problèmes non résolus seront aggravés par la forte stigmatisation qui touche les personnes qui ont un casier judiciaire.
Lorsque vous entrez dans une unité à sécurité maximale dans ces prisons, vous voyez qu'il y a beaucoup de femmes autochtones, de personnes de diverses identités de genre et de personnes bispirituelles. C'est un fait préoccupant et qui devrait tous nous faire réfléchir: 50 % des femmes et des personnes de diverses identités de genre incarcérées au Canada sont autochtones. Dans ces prisons, nous rencontrons un grand nombre de femmes et de personnes de diverses identités de genre noires dont les quartiers ont fait l'objet d'une surveillance excessive, ont été criminalisés et, en fin de compte, ont été abandonnés par de multiples systèmes et ont fini par être trop punis par notre système judiciaire. Dans ces prisons, nous rencontrons les innombrables rescapés de sévices sexuels et physiques, ce qui dissipe la fausse dichotomie qui continue d'être soulevée au sujet des agresseurs et des rescapés de la violence. C'est aussi dans ces prisons que nous rencontrons des femmes et des personnes de diverses identités de genre qui pour une grande majorité d'entre-elles essaient simplement de survivre à la pauvreté, pour elles-mêmes et pour leur famille. Souvent, elles n'ont pas les moyens d'acheter de la nourriture, de payer l'électricité, d'acheter des vêtements pour leurs enfants et de subvenir à leurs besoins vitaux.
L'absence de pouvoir judiciaire discrétionnaire de s'écarter de la détermination de la peine obligatoire les a placées là. Une loi ne reconnaissant pas la discrimination qui a une incidence sur leur histoire sociale les a placées dans cette situation. À l'heure actuelle, nous avons un système qui punit selon un principe faussé: des peines plus sévères pour certains crimes, infligées au moyen de peines minimales obligatoires, dissuaderont les gens de prendre part à ces crimes. Pourtant, le message social implicite qu'on nous envoie au Canada, à cause des effets néfastes créés par les peines minimales obligatoires, est que si vous êtes pauvre ou si vous êtes issu d'une communauté marginalisée, vous ne méritez ni une chance équitable, ni la réadaptation.
Pour revenir au mémoire que nous avons déposé, je vais souligner les cinq solutions que nous avons proposées.
Premièrement, nous recommandons la suppression de toutes les peines minimales obligatoires. Si cela n'est pas possible, il faudrait au moins retirer les dispositions qui ont déjà été jugées inconstitutionnelles par les tribunaux du pays.
Deuxièmement, nous recommandons de supprimer l'interdiction des peines avec sursis pour toutes les infractions assorties de peines minimales obligatoires.
Troisièmement, nous recommandons de donner suite à l'appel à l'action 32 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada pour « permettre aux juges de première instance, avec motifs à l'appui, de déroger à l'imposition des peines minimales obligatoires de même qu'aux restrictions concernant le recours aux peines d'emprisonnement avec sursis ». Nous vous renvoyons au projet de loi du Sénat S-213 pour le libellé proposé de cet amendement, dont vous avez déjà entendu parler, je crois.
Quatrièmement, nous recommandons de modifier l'alinéa 718.2e) du Code criminel afin que les juges chargés de la détermination de la peine disposent des renseignements nécessaires pour imposer des peines appropriées, non seulement aux accusés autochtones, mais aussi aux accusés noirs.
Cinquièmement, nous recommandons, à tout le moins, la dépénalisation complète de la simple possession de drogue comme une étape vers les recommandations formulées par le groupe qui est à l'origine de « Réussir la décriminalisation ». Prévoir la radiation automatique des casiers judiciaires pour simple possession de drogue, ce qui est certainement un pas vers le régime des casiers judiciaires effacés. Aux cotés de 84 autres organisations et personnes, nous sommes membres d'une coalition appelée la Coalition nouveau départ.
Voilà nos recommandations.
En conclusion, je pense que vous avez tous vu comment l'ampleur des données probantes démontre que l'incarcération de personnes, surtout de femmes et de personnes de diverses identités de genre, au nom de la dissuasion, est non seulement un modèle qui a échoué de façon démontrable, mais qui cause des préjudices, principalement par les répercussions négatives qu'il a sur les femmes et les personnes de diverses identités de genre autochtones, noires et à faible niveau de ressources.
Je pense qu'il serait irresponsable de ne pas tenir compte des preuves claires de ces répercussions.
Je vais conclure.
Nous vous rappelons que derrière chaque chiffre statistique terrible dont vous avez entendu parler, attribué à la surreprésentation raciale et socioéconomique dans notre système de justice, il y a un être humain. Il s'agit d'un être humain qui a une famille et une communauté qui subissent tous des conséquences négatives qui ne sont pas prévues dans cette loi.
Nous connaissons ces personnes. Nous connaissons leurs histoires. Nous connaissons leur parcours. Nous connaissons leur douleur.
Merci à tous les témoins, avec une mention particulière pour Mme Bui.
Madame Bui, merci beaucoup d'avoir accepté mon invitation à participer à cette étude. Comme le président, je souhaite vous exprimer ma sympathie la plus sincère au sujet de votre parcours et de ce que vous avez vécu. Cela m'a rappelé le jour où je vous ai rencontrée pour la première fois et où j'ai entendu votre histoire.
Je vous remercie de ce message très puissant et de la force dont vous avez fait preuve en venant témoigner ici aujourd'hui.
Madame Bui, le projet de loi C-5 élimine les peines minimales obligatoires pour 14 infractions très graves liées aux armes à feu et aux drogues, comme le trafic, l'importation et la production de drogues comme le fentanyl et la méthamphétamine en cristaux.
Comme il est évident qu'il n'y a pas eu de réduction du nombre de délinquants qui commettent ces infractions dans tout le pays alors qu'il y a encore des peines minimales obligatoires, vous qui êtes résidente de la région du Grand Toronto, mariée avec des enfants, croyez-vous que ce projet de loi va compromettre votre sentiment de sécurité et celui des autres membres de votre collectivité?
La réponse est oui. La raison en est que je vis à côté d'un parc et que, depuis que la loi est laxiste à l'égard de la marijuana, il y a eu une augmentation de l'activité criminelle dans le parc. De ma fenêtre, je vois des gens qui consomment et vendent de la drogue. Je les vois partir en excès de vitesse avec des facultés affaiblies, et cela se produit en plein jour lorsque des enfants jouent dehors. Le monde est devenu sombre et effrayant.
Le projet de loi C-5 élimine les obstacles liés aux peines avec sursis pour certaines infractions très graves, comme l'enlèvement, la traite des personnes, le harcèlement criminel et l'agression sexuelle. Les délinquants adultes qui commettent ces crimes odieux peuvent maintenant prétendre, après leur condamnation, qu'ils devraient purger leur peine exemplaire dans le confort de leur foyer.
Comme je vous l'ai dit en ma qualité d'ancien procureur de la Couronne, les procureurs ont un taux de réussite très faible dans l'obtention de condamnations criminelles dans ce domaine. Si l'on y ajoute le traumatisme important et durable, voire définitif, associé à ces crimes, il n'est pas étonnant que les signalements aux forces de l'ordre soient insuffisants.
Quel genre de message cela envoie-t-il aux victimes d'abus sexuels? Si vous ne vous étiez pas manifestée et n'aviez pas signalé ce que vous avez vécu, l'auriez-vous fait si le projet de loi C-5 avait maintenant force de loi au Canada?
Si le projet de loi C-5 devenait loi, je ne pense pas que je pourrais dénoncer mon agression sexuelle, parce que j'aurais l'impression que mon combat serait futile. Par exemple, dans ma deuxième affaire, le délinquant était libre de vivre sa vie, alors que j'avais l'impression d'être en prison car mes choix étaient restreints puisque je vivais dans la même collectivité que lui.
Beth, lors de votre déclaration préliminaire vous avez décrit une période très tragique et difficile de votre jeunesse. Le projet de loi C-5 ne prévoit rien pour les droits des victimes dans le système de justice pénale.
Comment décririez-vous votre vécu de victime dans le système, en ce qui concerne votre relation avec la police, les procureurs de la Couronne, les organismes de services aux victimes et la magistrature?
Dans l'ensemble, je n'ai pas eu d'expérience positive. La femme détective qui était présente dans les deux affaires n'a pas fait preuve d'empathie à l'égard de mon traumatisme, et le procureur de la Couronne dans la première affaire semblait distant et peu investi. Les services aux victimes étaient utiles, mais j'ai eu affaire à tellement de travailleurs différents. Il a fallu près de 10 ans pour régler la question. Le juge ne semblait pas tenir compte de mon traumatisme et du préjudice causé.
Vous avez été l'élément salvateur, monsieur Brock. Pour une fois, je me suis senti écoutée. J'avais l'impression que j'avais de l'importance et que je pouvais faire confiance à quelqu'un.
Monsieur Rudin, je suis heureux de vous revoir. En qualité de membre du Réseau des procureurs de la Couronne de l'Ontario, j'ai eu l'occasion d'apprécier vos exposés par le passé. Vous avez indiqué qu'il s'agit d'une petite étape au regard de l'incidence globale de la surreprésentation en milieu carcéral.
Les chiffres sont réels. Il y a encore un pourcentage extrêmement élevé de délinquants autochtones — adultes et jeunes, hommes et femmes — qui commettent les types d'infractions visées par le projet de loi C-5.
En plus de ce type de loi, y a-t-il d'autres domaines où le gouvernement fédéral devrait envisager d'agir pour réduire ces chiffres?
Il y a un certain nombre d'initiatives. Je sais que le mémoire de la Société Elizabeth Fry, par exemple, traite de l'information dont disposent les juges pour déterminer les peines appropriées.
Les rapports Gladue, que vous connaissez bien, monsieur Brock, sont l'un des défis auxquels font face les peuples autochtones partout au Canada. Ils sont très connus en Ontario, mais au Manitoba et en Saskatchewan, par exemple, ils ne sont pas disponibles du tout. Bien que les provinces soient chargées de fournir ces rapports dans le cadre des règles constitutionnelles pour l'administration de la justice, le gouvernement fédéral pourrait en faire plus et commence à en faire plus pour financer la préparation de ce genre de rapports par les organisations autochtones.
Je remercie tous les témoins qui sont parmi nous aujourd'hui.
Madame Bui, je vous remercie de nous avoir livré votre témoignage.
Ma question s'adresse à Mme Coyle ou à Mme Kish, de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
Même s'ils ne constituent que 5 % de la population adulte canadienne, les adultes autochtones représentaient, en 2020, 30 % des détenus sous responsabilité fédérale. Des statistiques récentes nous ont aussi appris que les femmes autochtones représentaient maintenant la moitié de la population féminine dans les prisons fédérales du Canada.
Selon vous, quels facteurs ont contribué à cette surreprésentation? Seriez-vous d'accord pour dire que les politiques sur les peines minimales obligatoires et les restrictions à l'utilisation des peines avec sursis ont contribué à cette situation?
Je vais répondre à cette question. Merci beaucoup.
Les raisons de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons, en particulier les femmes et les personnes de diverses identités de genre sont multiples. Il est certain que le système de justice joue un rôle. Nous devons remonter des centaines d'années en arrière pour examiner les pratiques d'assimilation de l'État, y compris les pensionnats indiens, la rafle des années 1960, la rafle du millénaire, nos pratiques actuelles en matière de services de protection des enfants et les nombreuses modalités de la surveillance excessive dont sont l'objet les collectivités autochtones de la part de la police, des travailleurs sociaux et des écoles.
Avant qu'elles n'arrivent dans le système de justice, ces personnes sont déjà mal desservies et sont l'objet d'une surveillance excessive. Cependant, une fois qu'elles arrivent dans le système de justice, les peines minimales obligatoires et le manque d'accès à l'emprisonnement avec sursis, comme M. Rudin l'a souligné — tous les arguments présentés dans l'affaire Sharma — contribuent à la surreprésentation des femmes et des filles autochtones dans les prisons.
Je dois vous dire que si vous allez dans les prisons des Prairies, et en particulier là où les gens passent le plus de temps, c'est-à-dire dans le système carcéral provincial, plus de 90 % — jusqu'à 98 % — des détenus sont autochtones. C'est un échec et c'est une honte absolue. Nous devons en tenir compte lorsque nous pensons au mot « publique » dans « sécurité publique ».
En tant que secrétaire parlementaire de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, je suis évidemment très préoccupée par la crise des opioïdes. Le gouvernement reconnaît que cet usage problématique de substances est un enjeu de santé. On travaille fort pour que les personnes qui consomment des drogues soient dirigées vers des services de soutien du système de santé dans lesquels elles peuvent avoir confiance, plutôt que d'être dirigées vers le système de justice.
Dans cet esprit, le projet de loi C-5 modifie le Code criminel afin d'abolir certaines peines minimales obligatoires pour des infractions qui se rapportent aux drogues et aux substances.
Seriez-vous d'accord pour dire que l'adoption de mesures qui s'appliqueraient en remplacement des sanctions carcérales dans le cas de possession simple de drogues ainsi que l'adoption d'une approche basée sur la santé seraient des étapes positives et importantes?
Il ne fait aucun doute que bon nombre des individus impliqués dans le trafic et la possession de drogue sont eux-mêmes des toxicomanes. Les emprisonner ne fonctionne pas. Notre travail l'a montré. Nous administrons notre programme de déjudiciarisation depuis 1991, qui vise les personnes qui ont commis des infractions liées aux drogues, et qui sont l'objet d'autres accusations. Il ne fait aucun doute que si les gens veulent s'attaquer à leur toxicomanie, ils ne le feront pas en prison. En prison, ils vont consommer plus de drogues ou d'autres drogues.
Je pense que le projet de loi C-5 est un pas dans la bonne direction. Je ne sais pas si nous voulons vraiment criminaliser les gens qui consomment des drogues. Le mémoire que nous avons présenté au groupe de travail d'experts sur la toxicomanie visait à décriminaliser la consommation de drogues. Le projet de loi C-5 parle de déjudiciarisation élargie. Je signale qu'au cours de nos discussions avec le service de police de Toronto, on nous a dit qu'il y aurait un prix à payer pour ce genre de choses.
J'exhorte le gouvernement fédéral à envisager, au fur et à mesure que le projet de loi C-5 ira de l'avant, que des mesures soient mises en place pour permettre que les dispositions du projet de loi prennent effet sur le terrain, parce que le partage des pouvoirs dans ce pays fait en sorte que ce qui semble être très simple aux yeux de la plupart des gens, s'avère en fait très compliqué.
Je ne peux parler que des endroits où nous avons des programmes. Oui, il existe des programmes, mais il faut qu'il y ait un engagement — si la police s'attend à libérer des gens dans le cadre de programmes — à mettre en place des programmes. Là encore, la question du financement devient cruciale.
Madame Bui, je vous remercie de votre émouvant témoignage. Manifestement, vous avez vécu des choses qui ne sont pas faciles et je sympathise complètement avec vous.
Cela dit, j'aurais quelques questions pour Mme Coyle.
J'ai entendu les chiffres que vous avez mentionnés, notamment au sujet des femmes autochtones dans les prisons. On parle d'une représentation de plus de 80 % dans les prisons de l'Ouest canadien. Cela n'a aucun sens, nous en convenons tous.
Ce qui m'intéresse, c'est la raison pour laquelle cette situation existe. On pense que les peines minimales obligatoires en sont la cause.
D'une part, un rapport Gladue peut être déposé dans chaque dossier, ce qui devrait en principe aider à trouver des peines plus appropriées aux femmes autochtones qui sont condamnées. D'autre part, des mesures d'aide pourraient être apportées aux communautés autochtones pour travailler en amont, c'est-à-dire pour éviter que l'infraction soit commise. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de baisser la barre en décidant d'éliminer les peines de prison pour certaines infractions. Si elles sont importantes, je ne suis pas certain que ce soit la bonne façon de procéder. Je me questionne beaucoup au sujet de cette approche.
J'aimerais entendre votre opinion là-dessus. D'abord, le fait qu'on puisse demander un rapport Gladue ne contribue-t-il pas à diminuer le problème des femmes autochtones en prison?
L'alinéa 718.2e) du Code criminel est ce à quoi nous faisons habituellement référence lorsque nous parlons des rapports Gladue. Comme M. Rudin l'a déjà dit, ils ne sont pas disponibles dans de nombreuses régions du pays. Beaucoup de choses qui existent en théorie ne suivent pas dans la pratique. Nous ne voudrions certainement pas éliminer les rapports Gladue. Nous pensons que c'est un excellent premier pas.
Cependant, il faut prendre un peu de recul et se rendre compte que tous les acteurs qui contribuent à la criminalisation des femmes autochtones ont un rôle à jouer. Il est vraiment important que le système de justice reconnaisse qu'il ne peut pas reculer et dire: « Vous savez quoi, nous allons nous décharger de nos responsabilités. Ce n'est pas notre responsabilité. Nous ne pouvons pas prétendre que c'est notre responsabilité. » En fait, le système de justice à une responsabilité dans le fait que nous punissons trop les gens, en particulier les femmes et les personnes de diverses identités de genre autochtones.
C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, en compagnie de nos collègues avec qui nous avons soumis le mémoire. Il s'agit de parler du fait que les peines minimales obligatoires ont des répercussions excessives sur les femmes autochtones...
Selon ce que je comprends de votre témoignage, les rapports Gladue sont une bonne chose, mais, dans plusieurs régions de l'Ouest canadien, ils ne sont pas disponibles.
Est-ce que l'une des solutions utiles pourrait être de financer la formation de gens qui seraient en mesure de rédiger de tels rapports dans les différents dossiers?
Je pense qu'un financement accru serait certainement le bienvenu pour de nombreuses personnes qui veulent obtenir des rapports Gladue. Il faut que les tribunaux et la Couronne dans ces régions du pays reconnaissent que ces rapports sont utiles et qu'ils fournissent des renseignements précieux aux tribunaux.
Il y a peut-être un travail à faire pour expliquer l'utilité des rapports Gladue et les faire accepter tant par les avocats de la défense et que par les procureurs. De plus, il faudrait s'assurer d'offrir une formation aux intervenants qui seraient en mesure de rédiger de tels rapports dans chaque dossier.
Je comprends que ce serait une démarche importante pour éviter la surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons de l'Ouest canadien.
Oui, je suis d'accord. Je dirais aussi qu'ils devraient être étendus aux accusés noirs. Nous devrions envisager un type semblable de rapport qui pourrait être fourni aux accusés noirs en amont de la sentence.
Évidemment, les rapports Gladue sont demandés avant la détermination de la peine, une fois que la personne est reconnue coupable. Or, certaines choses pourraient être faites en amont.
Je comprends que cette démarche pourrait inclure la communauté noire et peut-être d'autres communautés, mais, pour l'instant, parlons de la communauté des femmes autochtones, puisque c'est elle que vous représentez principalement, je pense.
Si on veut éviter que les femmes autochtones soient traduites en justice pour des gestes qu'elles ont commis, n'y aurait-il pas lieu de travailler en amont et d'éviter ces gestes? Par exemple, pourrait-on travailler sur une meilleure socialisation ou sur le règlement de conflits autrement que par la violence? Certaines choses ne pourraient-elles pas être faites en amont pour éviter que des infractions soient commises?
Dans le cas des femmes autochtones et des personnes de diverses identités de genre, nous devons surtout éviter d'individualiser ou de concentrer la responsabilité sur la personne. Au lieu de cela, nous devrions examiner ce que la société pourrait faire pour lutter contre le racisme envers les personnes autochtones. Nous devons examiner les pratiques coloniales. Avec le financement nécessaire, nous pourrions faire beaucoup de choses, oui. Je suis d'accord.
Je tiens d'abord à remercier Mme Bui pour son témoignage. Je tiens à dire qu'étant une survivante adulte d'exploitation sexuelle des enfants, je comprends un peu à quel point il lui est difficile de témoigner.
Votre témoignage est très important, car notre système judiciaire néglige les victimes. Notre comité a entrepris une étude à ce sujet et, au moment opportun, je vais demander que votre témoignage soit inclus dans cette étude.
Ma première question s'adresse à M. Rudin. Il a soulevé un point important.
Ce projet de loi augmentera le recours aux ordonnances de sursis, mais cela changera-t-il quelque chose pour les gens qui vivent dans des collectivités rurales, éloignées ou dans des communautés autochtones? Auront-ils plus de chances de recevoir une ordonnance de sursis? A-t-on assez de ressources pour cela?
Je vous remercie pour cette question. Elle est très importante.
Il est vrai que certaines communautés ne disposent pas des ressources nécessaires. Nous ne pouvons cependant pas présumer que, simplement parce que l'agglomération, la collectivité autochtone ou la réserve est petite, on n'y trouvera pas de ressources. À mon avis, les juges devront, entre autres choses, se renseigner sur les moyens d'appliquer la détention à domicile ou obtenir les programmes nécessaires qui ne sont pas disponibles dans la collectivité.
Ces options sont importantes, mais il faut également accroître les ressources pour appliquer ces peines d'emprisonnement avec sursis.
La réalité est dévastatrice, et bien des gens ne le savent pas. Nous constatons de très mauvais résultats avant, pendant et après l'incarcération non seulement chez les Autochtones, chez les personnes marginalisées et chez les personnes de diverses identités de genre, mais aussi dans leurs communautés.
Il est certain que le système actuel est dépassé par ces surreprésentations. Il est incapable, souvent malgré ses meilleures intentions, de rétablir un bon contact familial, d'appliquer des mesures de soutien à la réinsertion et l'emploi, bref, tout ce qu'il faut pour renforcer les collectivités.
En travaillant sur le terrain pour fournir des ressources à nos collectivités, pour faire de la prévention et pour aider les personnes après leur incarcération, nous espérons nous prévaloir d'une loi plus responsable et éclairée par le contexte social afin de répondre aux besoins de toutes les personnes touchées par un crime.
Nous constatons que les peines minimales obligatoires donnent souvent lieu à de courtes peines purgées dans des établissements provinciaux.
Madame Kish, pouvez-vous nous parler des ressources de réadaptation ou de traitement de la toxicomanie, de ce genre de choses, qui sont offertes aux personnes qui purgent de courtes peines provinciales?
Partout au pays, les centres de détention provisoire sont privés de services de réadaptation. Ce sont des endroits structurellement violents où l'on garde essentiellement les détenus en cage presque toute la journée, et où la qualité de la nourriture est terrible. Les détenus ont un accès très limité au téléphone et à la loi. Nous le savons, parce que nous avons vécu dans le système, et ces conditions ne produisent pas seulement des résultats néfastes pour les personnes qui en sont victimes, mais aussi pour leur collectivité et pour la société en général.
Si nous voulons des collectivités sûres, nous devons bâtir une justice transformatrice qui tienne compte des besoins de tous.
Un de nos témoins a dit qu'une grande partie de ce conflit dans le système judiciaire découle très évidemment de l'esprit colonialiste du système des pensionnats. Elle a fait remarquer que la surreprésentation des femmes en milieu carcéral le perpétue d'une façon très directe sur le plan intergénérationnel. Elle cause surtout des torts aux enfants, parce que leur mère est incarcérée.
C'est une chose que nous constatons, malheureusement. Ce contexte n'a rien de drôle. Il est dévastateur, parce que nous voyons des personnes qui sont transférées — surtout à l'heure actuelle — de régions des Prairies où la surreprésentation des détenus est la plus élevée à la région de l'Atlantique, où ces personnes sont complètement isolées de leur famille et de leur collectivité. Ce n'était pas le but de la régionalisation du système carcéral des femmes.
J'aimerais simplement ajouter que lorsqu'on entre dans une prison pour femmes dans ce pays, on constate que les salles de visite sont vides, alors qu'elles sont généralement pleines dans les prisons pour hommes.
Souvent, il n'y a pas de possibilités ou de ressources pour que les enfants des personnes qui sont dans ces prisons aillent leur rendre visite. Nous avons dans les prisons un programme mère-enfant destiné aux femmes, qui est largement sous-utilisé et qui, à mon avis, ne devrait jamais être utilisé. Nous ne voulons pas d'enfants en prison. En fait, à bien des égards, nous aimerions que les parents, hommes ou femmes, n'aient pas à purger leur peine en prison, surtout ceux qui ont la responsabilité parentale principale de la famille.
Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins d'être venus aujourd'hui.
Madame Bui, je vous remercie de nous avoir fait part de ce que vous avez vécu. Je sais que cela doit être très difficile. Je pense qu'il est important pour nous, pour notre comité, d'entendre les victimes d'actes criminels. Nous ne les entendons pas assez souvent, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de nous décrire votre vécu.
Selon le Code criminel, l'un des principaux objectifs de la détermination de la peine est de promouvoir un sentiment de responsabilité chez les délinquants et de reconnaître le tort causé aux victimes et à la collectivité.
Vous nous avez fait part de votre expérience et de celle de votre collectivité. Quel message croyez-vous que nous enverrons aux victimes si, pour des crimes très graves, nous n'imposons pas une forme quelconque d'incarcération aux auteurs de ces crimes?
À votre avis, sur quoi le Parlement devrait-il se concentrer dans le cas de la violence fondée sur le sexe, si la solution ne réside pas dans un plus grand nombre de détentions à domicile et de condamnations avec sursis? Quel message cela enverrait-il aux Canadiens, en particulier aux femmes et aux filles?
De plus, que pensez-vous que le Parlement devrait faire au lieu de réduire les peines pour certains de ces crimes?
J'aimerais qu'il y ait plus de reddition de comptes. J'aimerais être entendue. J'aimerais être vue. Je pense que c'est ce qui manque pour les victimes dans ces crimes.
J'ai lutté dès le premier jour. J'ai l'impression de devoir me battre contre le système. J'ai dû lutter pour me faire entendre par la police et par la Couronne. Lorsque j'étais à la barre, je me sentais insignifiante. J'avais l'impression de ne pas exister.
Nous vous sommes reconnaissants de vous être fait entendre aujourd'hui devant un comité parlementaire. Je suis certain que vous parlez au nom des nombreuses victimes de partout au pays et de ce qu'elles ressentent.
Monsieur Rudin, j'ai une question pour vous.
Vous avez mentionné une chose que nous devrions tous reconnaître. Lorsque vous en avez parlé, j'ai pensé qu'il faudrait vraiment en prendre note. Vous avez souligné que le Canada est un pays à compétences multiples dont les gouvernements du pays, des provinces et des municipalités sont responsables de l'impact de notre système judiciaire. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral est responsable du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Vous avez ajouté que pour apporter des changements, les ressources sur le terrain sont cruciales. D'autres témoins nous ont dit que nous sommes sérieusement à court de ressources pour la libération conditionnelle, les ordonnances de sursis et l'application des conditions. Tous les changements que nous apportons ici à Ottawa, au niveau fédéral, exercent une pression sur les autres niveaux de compétence. Pouvez-vous nous parler un peu plus de cela? Peut-être pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur le travail fondamental à accomplir ou sur les ressources à appliquer lorsque nous prenons ces décisions?
Je pense qu'il est très important, lorsque le gouvernement fédéral commence à présenter une mesure législative comme le C-5, que des fonds soient mis à la disposition des provinces pour qu'elles puissent créer les programmes nécessaires. Le ministère de la Justice accorde généralement tout le financement nécessaire. C'est une entente de partage des coûts avec les provinces.
Il faut que les provinces aient aussi la volonté de participer. Il est important d'en tenir compte. Si une province est obstinée et refuse de fournir des fonds, cela crée un véritable problème et, dans notre cas, ce sont les Autochtones qui en souffrent le plus.
J'ai une question pour les représentantes de la Société Elizabeth Fry. Quand j'étais jeune, il y a de nombreuses années — en fait, j'étais étudiante en droit — on m'a présenté la Société Elizabeth Fry ici en Nouvelle-Écosse. C'était il y a des décennies, alors je ne peux qu'imaginer ce qu'elle est aujourd'hui. J'ai donc eu l'occasion d'observer tout le bon travail accompli sur le terrain, ici et partout au pays, particulièrement pour les femmes, et maintenant pour les personnes de diverses identités de genre.
Madame Coyle et madame Kish, vous avez fait valoir à quelques reprises qu'il nous faut un système de justice pénale qui tienne compte du racisme systémique et qui applique le principe Gladue aux causes des personnes autochtones. On nous a déjà parlé du rôle que les évaluations de la race et de la culture dans la détermination de la peine peuvent jouer dans la lutte contre le racisme au sein de notre système judiciaire.
Que pensez-vous de ces évaluations? Contribueraient-elles à faire avancer la justice raciale? Que recommanderiez-vous d'autre?
Ne vous hâtez pas de répondre. Vous pouvez toutes deux donner une réponse.
Il est très important de travailler ensemble pour faire entendre la voix des gens — la voix de toutes les personnes concernées — tant dans le cadre du système judiciaire que de nos programmes et services. À l'heure actuelle, à cause des peines minimales obligatoires, un nombre incroyable de personnes au Canada sont séparées de leur famille en permanence. Nous observons des résultats qui, nous en sommes certains, préoccuperaient beaucoup les Canadiens si on les leur montrait.
Nous croyons que si l'on donne aux juges, aux agents de libération conditionnelle et aux autorités correctionnelles le pouvoir de remplir leurs mandats, d'incarcérer ou de ne pas incarcérer les gens et de les réintégrer dans la collectivité lorsqu'ils sont prêts à le faire, les résultats seraient bien meilleurs.
Pour répondre à votre question au sujet des rapports Gladue ou d'autres types de rapports semblables pour d'autres personnes, je vous dirai qu'ils sont utiles. Tout ce qui peut mettre en lumière les divers facteurs qui ont amené une personne devant le système judiciaire ou qui l'ont amenée à avoir des démêlés avec le système est utile.
On y retrouvera les mêmes facteurs que ceux que nous avons mentionnés au début. Par exemple, dans les prisons que nous visitons, les personnes que nous rencontrons ont elles aussi subi des actes de violence. Pendant leur vie, elles ont été victimes de nombreux types de violence structurelle, mais aussi de violence physique, sexuelle, émotionnelle et financière. Nous les punissons à nouveau par l'entremise de notre système judiciaire. Ce système est complice de la violence dont elles ont été victimes.
Ce genre d'outil qui met en lumière le vécu des personnes qui comparaissent devant des juges est extrêmement utile.
Dans le même ordre d'idée, plutôt que l'emprisonnement, vous recommanderiez de recourir à la réadaptation pour les personnes ayant commis un crime et qui ne représentent pas une menace pour la sécurité publique. Pouvez-vous me dire quels types d'approches axées sur la réadaptation vous recommanderiez? Pourquoi pensez-vous que c'est la chose à faire?
Je sais que vous en avez déjà parlé, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? En quoi est-ce différent, selon vous, d'un bout à l'autre du pays?
Nous travaillons souvent avec des gens qui n'ont pas été scolarisés ou qui n'ont jamais été dans des situations sociales où ils ont eu accès au perfectionnement professionnel ou à la stabilité sociale. Nous voyons des gens qui veulent contribuer à la société, qui veulent réussir et qui veulent faire partie du bien commun, mais qui n'ont pas l'impression [Inaudible].
De plus en plus, nous voyons des gens passer passivement par le système de justice sans comprendre les lois qui les touchent. Dans le cadre de ce processus, nous voyons des prisons froides et dures qui donnent de pires résultats, puis les gens retournent dans la collectivité sans avoir accès à des moyens de participer réellement à la société.
Encore une fois, je tiens à répéter que les peines minimales obligatoires en jeu sont là, pourvu qu'il n'y ait pas de menace pour la sécurité publique. Êtes-vous d'accord?
Vous nous parlez beaucoup des femmes autochtones qui se retrouvent en prison, mais qui ont elles-mêmes été victimes de plusieurs violences auparavant, qu'il s'agisse de viols, de vols ou de voies de fait. C'est l'exemple que vous donnez.
Ces femmes ne souhaitent-elles pas que leurs agresseurs soient en prison?
Je ne peux pas nécessairement parler au nom de toutes celles qui ont vécu cette expérience. Cependant, je peux dire que nous avons les résultats d'une enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au pays. Nous avons les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Bon nombre de ces conclusions soulignent que les Autochtones du pays ont subi de nombreux types de violence.
La question de savoir si quelqu'un cherche à rendre des comptes dans l'optique de l'emprisonnement ou de la responsabilisation et de la guérison dans de nombreux systèmes différents est, à mon avis, un sujet plus vaste.
Je comprends que les agresseurs qui se retrouvent en prison, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes, souhaiteraient qu'on élimine les peines minimales obligatoires. Cependant, je serais curieux de savoir comment réagirait une femme qui a été victime d'extorsion commise à l'aide d'une arme à feu, par exemple, si on lui disait qu'on allait éliminer les peines minimales obligatoires et qu'on n'allait donc plus être obligé d'envoyer son agresseur en prison. Quelle serait sa réaction, selon vous?
Encore une fois, je ne peux pas parler des réactions précises des gens, mais je dirais que si nous cherchons vraiment à assurer la sécurité publique, ce que nous ne faisons pas avec le système actuel, pourquoi n'essayons-nous pas d'injecter des ressources dans un système qui assurerait une véritable sécurité publique? Les peines minimales obligatoires ne nous permettent pas de le faire.
Je vais me tourner de nouveau vers à l'une des témoins de la Société Elizabeth Fry et parler des répercussions de la surreprésentation dans les prisons, surtout du grand nombre de femmes autochtones qui ont un casier judiciaire.
Est-ce que l'une d'entre vous peut nous parler des conséquences que vous constatez pour essayer de réadapter et de réintégrer dans leur communauté les personnes qui ont un casier judiciaire?
Je vous remercie sincèrement de cette question. Je pense que je n'ai pu en parler que très brièvement dans mon exposé.
Nous faisons partie d'une coalition de 85 organismes et particuliers. Il s'agit de la Fresh Start Coalition. Si cela vous intéresse, nous avons un site Web où vous trouverez de nombreux témoignages de personnes qui ont un casier judiciaire.
Un casier judiciaire suit une personne pour le reste de sa vie. Nous avons actuellement un système de demande très lourd que les gens doivent suivre pour obtenir la suspension de leur casier à la fin d'une certaine période. Le délai est long avant qu'une personne puisse présenter une demande. Le processus de demande est lourd et peut être dispendieux, même si la première étape consiste à réduire le coût de la demande initiale, ce qui a été fait récemment au Canada.
Selon nous, les gens qui sortent de prison avec un casier judiciaire peuvent avoir des problème à trouver un logement. Ils ne peuvent pas trouver à se loger à cause d'une case à remplir sur le questionnaire du propriétaire. Ils ne peuvent pas trouver d'emploi, parce que les employeurs...
En fait, nous avons un exemple récent, dont Nyki pourrait vous parler très brièvement, si vous le voulez, celui d'une femme qui a perdu son emploi.
C'est malheureux. Nous travaillons avec une femme qui a été libérée après une longue incarcération. Elle a passé de nombreuses années dans le milieu carcéral à faire de son mieux, à aider les autres pendant son séjour en prison. Quand elle a été libérée, elle a trouvé un emploi intéressant. Puis, son employeur a trouvé un ancien article sur Internet à son sujet et l'a congédiée pour cette raison.
Les casiers judiciaires empêchent les gens de se réadapter et d'occuper un emploi valorisant au cours de leur vie.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne prévoit pas la radiation de ces casiers judiciaires. La question qui se pose ici est évidente: quelles seraient les répercussions positives si nous pouvions ajouter cela au projet de loi?
Le but de notre système est de favoriser la réadaptation et la réinsertion sociale, alors je pense que comme société nous devons nous outiller pour le faire.
Quand on incarcère des gens et qu'on les punit ensuite encore pour le reste de leur vie en les privant de la jouissance des déterminants sociaux du mieux-être, la radiation...
Cela met fin à notre premier groupe de témoins. Je remercie tous les témoins de leurs témoignages. C'est toujours très informatif et puissant, et dans le cas de Mme Bui, c'est très émotif et personnel. Je tiens aussi à vous remercier.
Nous allons maintenant suspendre la séance pendant environ une minute, le temps de vérifier le son des prochains témoins. Nous reprendrons tout de suite après.
Pour les deux témoins qui viennent de se joindre à nous, il y a un bouton pour la langue au bas de votre écran. Assurez-vous de sélectionner la langue de votre choix ou de choisir le parquet si vous parlez couramment les deux langues. Pour éviter le problème du décallage de l'interprétation, vous pouvez opter pour le parquet.
Il y aura des déclarations préliminaires de cinq minutes. Comme je l'ai dit plus tôt, j'utilise une carte jaune pour signaler aux gens qu'il ne leur reste plus que 30 secondes, et une carte rouge quand le temps est écoulé. Je n'aime pas interrompre les gens et j'espère que les 30 secondes vous donneront suffisamment de temps pour conclure.
Nous allons commencer par Mme Durham, pour cinq minutes.
Bonjour, monsieur le président. Merci d'animer cette discussion.
Il y a quelques années, j'ai reçu un appel d'un de mes locataires commerciaux au sujet d'une de mes clôtures qui avait été coupée, de biens volés dans les alentours et d'une remise utilisée par des toxicomanes pour y consommer de la drogue. Ils avaient également un abri derrière l'une des unités, où se trouvaient des accessoires de consommation de drogues illicites. Dans ma très grande ignorance, j'ai commencé à faire le ménage et j'ai observé la situation. Ces personnes se rassemblaient derrière ma propriété, sur un terrain de la ville, dans un secteur connu de la GRC. Il y avait beaucoup de vélos et de biens volés, et nos locataires se faisaient régulièrement cambrioler.
J'ai commencé à prendre des photos et à documenter ce qui se passait. Un soir, vers 22 h 30, j'ai reçu un appel d'un ami qui m'a dit que le service d'incendie était sur les lieux. Je me suis précipitée, inquiète du fait que les unités étaient remplies de croustilles et que notre voisin est Lo-Cost Propane. Le service d'incendie m'a arrêtée à la barrière et m'a avertie de ne pas m'approcher du groupe. Il s'agissait de gens connus de la police et ils étaient dangereux, surtout lorsqu'ils étaient sous l'influence de la drogue. Le service d'incendie a récupéré 11 seringues cette nuit-là, et la ville a envoyé une équipe de spécialistes des matières dangereuses pour récupérer les accessoires de consommation de drogues sur son terrain.
J'ai dit au conseil municipal que si rien ne change et qu'un incendie se déclare chez Lo-Cost Propane, Cranbrook s'illuminerait comme un soir de fête nationale. À partir de ce moment-là, j'ai prêté beaucoup plus attention à la situation: j'ai enregistré ce qui se passait, j'ai envoyé des courriels au service des règlements municipaux et j'ai communiqué avec divers services dans l'espoir qu'un quelconque palier de gouvernement puisse m'aider.
J'ai parlé de l'introduction par effraction dont j'avais été victime un soir. C'était la nuit où j'allais laisser mon fils de 15 ans seul pour la première fois à la maison. Appelez cela l'intuition d'une mère, mais je suis allée en voiture en ville tard ce soir-là et je suis allée le chercher. Cette nuit-là, quelqu'un est entré chez moi. La police connaissait cette personne. La PS4 de mon fils a été volée ainsi que de la petite monnaie. Quelques semaines plus tard, grâce aux empreintes digitales relevées à ma fenêtre et à une image de vidéosurveillance captée par mon voisin, dont la voiture et la remise ont également été cambriolées, l'auteur de l'infraction a été arrêté. Huit autres personnes dont la maison a été cambriolée ont été inscrites sur la liste noire des documents du tribunal, puis j'ai été invitée à m'inscrire à la poursuite, mais j'ai refusé par crainte de représailles pour moi et ma famille.
J'ai ensuite remarqué sur Facebook qu'une autre entreprise avait des problèmes et cherchait des solutions. La personne parlait de problèmes de drogue, de menaces contre les employés et de vols. Les choses devenaient affolantes pour les entreprises. Quelques-unes ont rencontré le député Morrison et le conseil municipal. Je leur ai dit que je représentais quatre entreprises, toutes victimes d'actes criminels, des employés qui ont été menacés par des couteaux et des biens volés. Notre centre de jardinage local a offert d'acheter des barbelés pour ces entreprises. Plus d'une centaine d'entreprises se sont manifestées. Notre ville compte un peu plus de 20 000 habitants, et les délits commerciaux sont en hausse de 171 %.
Un homme souhaitant acheter des poissons rouges s'est adressé à une jeune employée qui en était son premier emploi. Au moment de régler son achat, il a laissé tomber des accessoires de consommation de drogues sur le tiroir-caisse. L'homme est ensuite sorti pour ouvrir le sac de poissons rouges et les manger devant la jeune femme. iciici
Je vous laisse imaginer que votre domicile familial a été cambriolé, que votre jeune fils était seul à la maison, et que votre fille a dû regarder quelqu'un manger des poissons rouges vivants. Nous, les citoyens respectueux de la loi, sommes la cible de crimes et de violence, nous sommes menacés par des couteaux et des machettes, tout en essayant de protéger les membres de notre famille, nos entreprises et notre gagne-pain. L'élimination des peines minimales obligatoires ne ferait que donner à ces criminels un autre moyen d'échapper aux sanctions et de continuer à victimiser les gens qui travaillent fort.
J'aimerais préciser que je suis aussi directeur du Service de police de Laval, une ville d'environ 440 000 habitants.
Je vais d'abord vous donner quelques exemples de cas survenus très récemment. Nous avons connu une vague d'événements violents sur le territoire de Laval.
Dans la nuit du 7 au 8 mai 2022, un meurtre par arme à feu a été commis alors qu'on a tiré sur un véhicule en mouvement. Cinq personnes qui venaient d'assister à une fête pour un 50e anniversaire étaient à bord. Le conducteur a été tué et un adolescent de 14 ans a été atteint. Celui-ci va souffrir de séquelles permanentes. Ces deux personnes ne sont pas connues du milieu policier.
Le lendemain, soit le lundi 9 mai 2022, 10 coups de feu ont été tirés dans un quartier résidentiel à 14 heures. C'était dans une coopérative à logements multiples. Vous comprendrez que, lorsque des résidences ou des immeubles d'habitation sont visés, cela crée énormément d'insécurité dans le voisinage.
Le lendemain, c'est-à-dire le 10 mai 2022, une tentative de meurtre par arme à feu a eu lieu en plein quartier résidentiel, encore une fois. Deux jeunes filles se trouvaient à quelques mètres seulement des lieux de la fusillade. Elles cherchaient leur chat sous un véhicule. Ces jeunes filles souffrent maintenant d'un choc post-traumatique.
C'est donc trois jours d'affilée où des événements violents sont survenus. Ces trois exemples illustrent bien que l'utilisation d'armes à feu fait des victimes directes, en plus de provoquer un grand sentiment d'insécurité dans la population.
À l'Association des directeurs de police du Québec, nous sommes bien au fait de l'encadrement du système carcéral ainsi que de la surreprésentation des Autochtones et des minorités visibles. Nous croyons par contre qu'en retirant les peines minimales obligatoires, on ne traite qu'un symptôme plutôt que de s'attaquer aux causes réelles du problème.
Nous soulignons encore une fois que, pour que la population maintienne sa confiance envers le système de justice, selon nous, les criminels qui commettent des crimes graves, particulièrement lorsque c'est au moyen d'une arme à feu, doivent subir des conséquences graves.
Nous voulons mettre l'accent sur les articles du Code criminel reliés aux armes à feu. Il y a tout d'abord l'article 85, qui traite de l'usage d'une arme à feu lors de la perpétration d'une infraction. Il y a aussi le fait de décharger une arme à feu avec l'intention de blesser, mutiler ou défigurer quelqu'un, ainsi que le fait de décharger une arme à feu avec insouciance. C'est à ces trois types d'infractions que nous faisons face depuis un certain temps. On ne parle pas ici d'un phénomène isolé. C'est la troisième année de suite que la région de Montréal connaît deux fois plus d'événements de ce genre, soit des fusillades et des décharges d'arme à feu. Cela préoccupe grandement la population et l'ensemble des services policiers du Québec. Une importante opération a été lancée et beaucoup d'investissements ont été faits par le gouvernement du Québec pour contrer ce phénomène.
Nous avons quand même une proposition à faire. Dans le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nur en 2015 et dans l'affaire Lloyd en 2016, l'une des solutions proposées était la mise en place d'une disposition de dérogation qui permettrait de maintenir les peines minimales obligatoires pour tous les actes criminels reliés aux armes à feu, mais qui permettrait à un juge, en fonction de certaines circonstances, particulièrement humanitaires, de ne pas tenir compte de la peine minimale obligatoire et d'opter pour un autre type de peine. Cela nous permettrait d'atteindre nos objectifs de réduction de la surreprésentation, mais cela nous permettrait aussi de nous assurer que des peines exemplaires sont imposées dans le cas de crimes graves.
En conclusion, l'ensemble des directeurs de police du Québec veut maintenir les peines minimales obligatoires pour les infractions reliées aux armes à feu.
Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je suis très heureuse d'être ici pour vous faire part du point de vue de la Société John Howard sur le projet de loi C-5.
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la Société John Howard, nous sommes un organisme sans but lucratif dont la vocation est de soutenir une intervention efficace, juste et humaine qui cible les causes et les conséquences de la criminalité. Nous avons une soixantaine de bureaux au pays au service des collectivités.
Nous appuyons sans réserve les objectifs stratégiques qui sous-tendent le projet de loi C-5, mais nous estimons qu'ils ne vont pas assez loin. J'aimerais vous parler de certaines des questions que nous aimerions soulever.
Il y a d'abord les mises en garde, les avertissements et les aiguillages vers des programmes. Il est souvent plus rapide et plus efficace de traiter les infractions criminelles présumées par le biais de mises en garde, d'avertissements et d'aiguillages vers des programmes communautaires. Il n'est pas rare que des gens appellent la police lorsqu'ils voient quelqu'un aux prises avec un problème de santé mentale ou de toxicomanie dans l'espoir que, ce faisant, ils permettront à la personne de recevoir l'aide dont elle a besoin.
En fait, cela mène à la criminalisation de la personne et à d'autres démêlés avec le système de justice pénale. Cela permet une discrimination à long terme en lien avec le fait d'avoir un casier judiciaire. Les modifications proposées permettront aux personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie d'être aiguillées vers des programmes communautaires où une aide réelle pourrait être disponible.
Ces mesures confèrent à la police un pouvoir discrétionnaire important. À l'instar des dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, elles feront en sorte que moins de gens se retrouvetont dans le système de justice pénale pour des accusations moins graves. Pour nous assurer qu'elles atteignent les objectifs stratégiques de réduction des inégalités raciales dans l'utilisation de ce pouvoir discrétionnaire, nous pensons qu'il serait important de savoir quelles races et quels genres bénéficient de cet important pouvoir discrétionnaire.
La mesure suivante que nous aimons concerne les condamnations avec sursis. Nous sommes d'accord avec Jonathan Rudin, du groupe de témoins précédent, pour dire que cela commence essentiellement à rétablir dans une certaine mesure ce qui existait auparavant et qui avait fait ses preuves. Les condamnations avec sursis sont des peines de placement sous garde purgées au sein de la collectivité. Contrairement aux manquements aux peines ne comportant pas de placement sous garde, le non-respect de ces conditions mène à l'emprisonnement. Un mandat de placement sous garde sous-tend la peine, de sorte que si quelqu'un ne respecte pas la condition, il peut immédiatement être placé sous garde. Nous croyons que c'est une excellente façon de tenir les gens responsables en leur imposant des conditions qui limitent les libertés tout en favorisant des circonstances de respect de la loi, comme le maintien de l'emploi, le logement et le soutien communautaire.
La limite de deux ans pour les condamnations avec sursis proposée dans le projet de loi C-5 semble trop restrictive. Beaucoup de gens sont supervisés avec succès dans la collectivité pendant plus de deux ans alors qu'ils sont en liberté conditionnelle. Il me semble que cette limite pourrait certainement être prolongée.
La restriction signifiera aussi que la réforme n'aura aucun impact sur la population carcérale fédérale. Pour déterminer si cette réforme fort bien accueillie a pour effet de réduire les inégalités raciales, il faudrait recueillir des données sur les taux...
Excusez-moi. C'est la première fois que nous éprouvons des difficultés de cet ordre.
Merci, monsieur Fortin, d'avoir signalé le problème rapidement.
Je vais demander à Mme Latimer de reprendre là où elle en était 20 secondes avant de devoir s'arrêter, puis nous passerons au prochain tour. Nous devrons probablement prolonger un peu la séance en conséquence.
Je parlais des avantages des ordonnances de sursis et du fait que la limite de deux ans proposée dans le projet de loi C-5 semble trop restrictive.
Je dirais aussi que, pour savoir si les peines avec sursis ont pour effet de réduire les inégalités raciales dans le système, il est important de recueillir et de conserver des données sur l'utilisation de ces peines.
Les peines minimales obligatoires préoccupent beaucoup la Société John Howard du Canada. Nous sommes depuis longtemps opposés à ces peines, que nous considérons toujours comme injustes lorsque la peine proportionnelle et juste dans les circonstances est inférieure à la peine minimale prescrite.
La réduction ou l'élimination des peines minimales obligatoires n'empêcherait aucunement les tribunaux d'infliger la peine juste et adaptée aux circonstances si elle est supérieure à la peine minimale obligatoire. L'élimination des peines minimales obligatoires ne change rien en ce qui concerne les infractions graves.
S'il y a une réticence à supprimer immédiatement toutes les peines minimales obligatoires — et je comprends l'argument de M. Brochet, qui a dit que son organisation est à l'aise avec ce que Jonathan Rudin a décrit comme une soupape de sécurité —, nous préconisons depuis longtemps une latitude accrue pour les juges afin qu'ils puissent imposer des peines différentes de la peine minimale obligatoire prescrite si c'est nécessaire pour en arriver à une peine juste et proportionnelle. Nous sommes d'accord avec l'Association des directeurs de police du Québec et d'autres témoins que vous avez entendus, qui soutiennent que les juges doivent avoir la latitude voulue pour s'écarter de la peine minimale obligatoire.
Selon nous, si les juges n'ont pas une certaine latitude pour imposer une peine appropriée dans les cas où une peine obligatoire est prescrite, les dispositions de l'arrêt Gladue et certains des autres mécanismes qui visent à permettre la prise en compte du contexte culturel dans le choix de la peine auront peu d'effet.
Le ministre Lametti dit espérer que ces dispositions permettront de s'attaquer aux préjugés systémiques et de les faire reculer. Nous souhaitons qu'il ait raison. Le projet de loi marque un progrès modeste à l'égard d'un problème très important, mais il faut faire beaucoup plus.
En conclusion, la Société John Howard du Canada appuie l'orientation générale du projet de loi C-5, mais exhorte le Comité à apporter des amendements afin d'accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire de s'écarter de la peine obligatoire pour établir une peine juste et proportionnelle, d'exiger la collecte de données pour évaluer si les dispositions ont l'effet souhaité en atténuant les inégalités raciales, et d'envisager une application plus large des dispositions sur la déjudiciarisation et les condamnations avec sursis.
Je vais me prévaloir de la latitude qui est laissée à la présidence pour réduire le temps de parole d'une minute au premier tour. Ce sera cinq minutes au lieu de six. Au deuxième tour, ce sera quatre minutes au lieu de cinq. Au dernier tour, ce sera deux minutes au lieu de deux minutes et demie. J'espère que nous pourrons ainsi rattraper notre retard. S'il le faut, nous pourrions dépasser de quelques minutes la période prévue pour la séance. Je vais demander le consentement des députés, mais nous y veillerons le moment venu.
Monsieur Morrison, vous avez la parole. Cinq minutes.
Merci aux témoins de comparaître un vendredi après-midi. Je les remercie de leur contribution, d'autant plus qu'il s'agit d'un projet de loi fort important, le C-5.
Madame Durham, merci d'être là. Je sais qu'il est difficile de comparaître devant un comité parlementaire et de prononcer un discours. Je vous suis vraiment reconnaissant d'être là.
Ce qui est important, à mon avis, pour le Comité, c'est de comprendre les différences entre les milieux ruraux et urbains. Pour ceux qui n'ont jamais pu observer les défis propres à la ruralité, il est bon d'entendre le témoignage de personnes issues de petites collectivités comme Cranbrook. Je suis bien au courant des problèmes que connaît Cranbrook: voies de fait, vandalisme, introductions par effraction, incendies criminels. C'est à croire qu'on est aux prises avec une récidive constante: la police locale a les mains liées et ne peut guère recourir à l'incarcération. Les mêmes individus commettent continuellement les mêmes infractions.
Il y a deux ans et demi, Cranbrook était une collectivité recherchée des familles pour élever leurs enfants, parce que c'était sécuritaire, amusant et, bien sûr, au milieu des Rocheuses. C'est donc très beau. Aujourd'hui, les choses ont radicalement changé. La hausse de la criminalité a été phénoménale. La crise des opioïdes, comme partout ailleurs au Canada, nous échappe totalement. Bien sûr, les surdoses d'opioïdes sont fréquentes, voire quotidiennes.
Je sais aussi — vous n'êtes peut-être pas au courant — que le maire et le conseil municipal ont fait venir le procureur général de la Colombie-Britannique pour discuter du fait que les petites localités dont les effectifs policiers sont peu nombreux n'ont pas les moyens d'affronter certains des problèmes liés à la crise des opioïdes et à la violence. Je suis sûr que le policier du Québec peut en témoigner. Dans les petites collectivités, les forces de police ne peuvent tout simplement pas relever les défis. Évidemment, le procureur général a soutenu que le problème se situait au niveau fédéral, à cause du projet de loi C-75, qui porte sur les remises en liberté. C'est ainsi qu'il s'est défaussé.
Vous êtes une victime, mais vous êtes aussi propriétaire d'entreprise. Après avoir discuté avec quelques entreprises... L'un des problèmes, c'est que les introductions par effraction à répétition causent des dommages considérables. C'est au point que des entreprises qui donnaient 50 000 $, 60 000 $ ou 80 000 $ à des organismes sans but lucratif, utilisent maintenant cet argent pour faire des réparations et compenser les pertes.
Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous en sommes arrivés au point où nous dépensons notre argent pour réparer nos clôtures. Pas plus tard qu'hier, il y a eu deux incidents chez nous: les malfaiteurs ont encore coupé notre clôture et il y a eu un incendie. Au matin, un de nos locataires m'a appelée à ce sujet. Puis, le soir, je suis allée sur les lieux et j'ai trouvé un véhicule garé chez nous. J'ai appelé la police, mais elle n'a pas voulu m'accompagner. Je me suis donc retrouvée là, seule dans une de mes remises, à devoir vérifier si un intrus se trouvait sur mon terrain et ce qu'il faisait là. Le véhicule semble plus ou moins abandonné. Je crois savoir que la personne est actuellement à l'hôpital. C'est encore un incident lié à la drogue.
À l'heure actuelle, nous ne sommes même pas en mesure d'appuyer notre banque alimentaire locale. Nous ne pouvons tout simplement plus nous le permettre.
À titre d'information, je vous dirai qu'une partie du projet de loi C-5 à l'étude prévoit des peines avec sursis pour beaucoup d'autres infractions, comme le trafic de drogue, les agressions armées et des choses du genre.
Je me rends compte que Cranbrook a besoin d'aide, surtout en ce qui concerne la réadaptation et la toxicomanie.
Pensez-vous que les victimes sont laissées pour compte et qu'on n'en a que pour les délinquants?
J'en suis certaine, tout à fait certaine, en fait. J'ai l'impression que ces entreprises... L'un de mes locataires a deux biens. À un endroit, il y a eu des vols évalués à 3 000 $ et à l'autre, à environ 2 000 $. Nos réclamations d'assurance sont beaucoup plus élevées que cela. Nous passons un mauvais quart d'heure.
La police est débordée. À mon avis, elle fait du bon travail, mais les effectifs ne sont pas suffisants. Nous devons nous débrouiller seuls. Les services de police et d'incendie m'ont bien avertie qu'il ne fallait pas s'approcher de certains de ces délinquants. Ils sont dangereux. À Cranbrook, un homme se promène avec une machette.
Il y a d'autres entreprises qui ont les mêmes problèmes. Elles se font dévaliser.
Il ne fait aucun doute que les peines minimales obligatoires ralentissent le processus judiciaire. Il y a maintenant d'énormes arriérés à cause de la COVID-19. L'élimination du plus grand nombre possible de peines minimales obligatoires devrait alléger la pression sur le système judiciaire.
Si ces peines retardent tellement la justice, c'est que les accusés ne veulent pas plaider coupables. Ils ne veulent pas plaider pour des accusations réduites parce que la peine minimale obligatoire s'applique. Les accusés ont donc tendance à vouloir contester et opter pour un plaidoyer de non-culpabilité, plutôt que de chercher à obtenir une entente sur un chef d'accusation moins important. Lorsqu'il n'y a pas de peine minimale obligatoire, ces ententes sont fréquentes.
Pour les délinquants qui ne représentent pas une menace pour la sécurité publique, recommanderiez-vous la réadaptation au lieu de l'emprisonnement? Dans l'affirmative, pourquoi, à votre avis, serait-ce bon ou mauvais?
Il a été assez clairement montré qu'une peine de détention nuit à la réadaptation et à la réinsertion sociale. Si on peut amener une personne à assumer sa responsabilité correctement dans la collectivité, c'est de loin préférable. Elle garde un logement, continue à suivre ses traitements et garde un emploi. Quand on sort de prison, on se trouve généralement dans un état de santé mentale et physique moins bon qu'au moment d'y entrer, il arrive souvent qu'on n'ait pas l'assurance-maladie provinciale, si bien qu'il est beaucoup plus difficile de se faire soigner. Le chômage est un gros problème, tout comme l'itinérance.
En général, ceux qui doivent purger leur peine derrière les barreaux ont beaucoup plus de problèmes.
Pouvez-vous nous parler des peines avec sursis? La Société Elizabeth Fry nous en a dit un mot. À votre avis, vaut-il mieux laisser le délinquant réintégrer la collectivité ou simplement l'enfermer et jeter la clé?
Il est mille fois préférable, si le délinquant n'est pas une menace pour la sécurité publique, de le garder dans la collectivité en imposant une peine avec sursis, qui est une peine privative de liberté, car dès qu'il viole une condition qui lui est imposée, il est rapidement incarcéré, ce qui protège la sécurité publique. Dans la collectivité, le délinquant peut apprendre, il est guidé, encadré pour adopter un comportement plus prosocial. Il peut être soumis à un couvre-feu ou à un grand nombre de conditions strictes. Si on peut l'amener à s'adapter à ce mode de vie, on fait beaucoup pour favoriser la réadaptation, une réinsertion sociale plus efficace et une plus grande sécurité de la collectivité à long terme que si le délinquant est mis en prison et ensuite libéré sans soutien.
Comme nous le savons, les peines minimales obligatoires sont une approche uniforme pour tous. À votre avis, en quoi cela est-il grandement préjudiciable aux Autochtones, aux Noirs et aux membres d'autres groupes marginalisés? Comment de telles peines peuvent-elles leur nuire? Y a-t-il des circonstances aggravantes ou atténuantes? Pouvez-vous expliquer?
La difficulté des peines minimales obligatoires, particulièrement pour les Autochtones et les Noirs, entre autres, c'est qu'elles empêchent d'appliquer des dispositions comme celles de l'arrêt Gladue qui permettent de tenir compte des déterminants historiques et sociaux qui ont pu faire que le délinquant soit prédisposé ou amené à la criminalité. Les peines minimales empêchent complètement l'application des dispositions de l'arrêt Gladue et de tout autre facteur en faveur des Noirs ou d'autres groupes marginalisés. Le juge n'a aucune latitude.
Tout d'abord, je tiens à remercier Mme Latimer et à m'excuser de l'avoir interrompue un peu plus tôt.
Je remercie également Mme Durham et M. Brochet.
Mes questions vont s'adresser à M. Brochet.
Je suis bien heureux de vous voir ici aujourd'hui, monsieur Brochet. Comme vous êtes le directeur du Service de police de Laval, votre opinion est importante. Vous vivez au quotidien les problèmes liés à la criminalité, notamment en ce qui concerne les armes à feu. Laval a connu une montée de la violence par arme à feu au cours des derniers mois, et même au cours des dernières années. Depuis environ une semaine, il y a eu à Laval et à Montréal quelques fusillades désastreuses à plusieurs égards. Je suis donc bien heureux que vous témoigniez ici aujourd'hui.
Selon ce que je comprends de votre témoignage, vous croyez que l'élimination des peines minimales obligatoires n'est pas une bonne idée, puisqu'il faut envoyer un message clair à la population. Cependant, vous êtes d'avis qu'une disposition de dérogation pourrait permettre de compenser les désavantages des peines minimales obligatoires.
Laval a connu des fusillades au cours des dernières semaines. Quel message enverrait-on à la population de Laval si on décidait d'éliminer les peines minimales obligatoires pour des crimes violents commis à l'aide d'une arme à feu, comme l'extorsion, le vol ou le fait de décharger une arme à feu avec l'intention de blesser quelqu'un?
Je pense que cela enverrait un message très négatif à la population.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est la troisième année où il y a une recrudescence de la violence; il ne s'agit donc pas d'un phénomène ponctuel. Nous pensons que cela va continuer, parce qu'une culture des armes à feu s'est développée. Les gens commencent à utiliser des armes à feu à un âge de plus en plus précoce. Par ailleurs, nous saisissons beaucoup plus d'armes à feu, soit de deux à trois fois plus qu'avant 2020. Les policiers doivent constamment être sur leurs gardes, étant donné la possibilité que la personne qu'ils interpellent soit en possession d'une arme à feu.
J'ai parlé à plusieurs citoyens, et ils ne se sentent pas en sécurité, d'autant plus lorsqu'ils voient d'autres types d'événements criminels, par exemple lorsque des gens se rendent dans le quartier Sainte‑Rose pour tirer dans les portes et les fenêtres d'une résidence familiale. Dans le milieu du crime et des gangs de rue, on fait cela dans le simple but de faire passer un message: c'est ce qu'on appelle marquer des points. Comme vous pouvez l'imaginer, quand des événements comme ceux-là ou comme ceux que j'ai soulignés tout à l'heure surviennent près de chez elles, de nombreuses personnes se disent qu'elles ne peuvent plus rester là et qu'elles vont déménager.
Je suis convaincu que ces citoyens ne voient pas de façon positive le fait que le gouvernement du Canada pense à adopter une loi visant à abolir les peines minimales obligatoires.
De façon objective, le fait d'éliminer les peines minimales obligatoires ne veut pas nécessairement dire que le tribunal imposerait des sanctions moins sévères, évidemment. Même si le Code criminel ne contenait pas de peines minimales, le juge pourrait imposer la même peine, voire une peine plus lourde, dans certains cas. À l'inverse, il pourrait aussi, dans certaines circonstances particulières, imposer des peines moindres que les peines minimales prévues.
Selon votre expérience en tant que chef de police, diriez-vous que votre crainte tient au fait qu'on imposerait des peines bonbon, c'est-à-dire des peines trop faibles, ou plutôt qu'on enverrait le mauvais message à la communauté victime de ces violences?
Comme vous le savez, la société canadienne ne favorise pas l'utilisation des armes à feu. Nous avons une belle culture de ce côté, mais elle est malheureusement en train de changer. C'est pourquoi j'ai une crainte à l'égard du message qu'on enverrait.
Par ailleurs, je suis préoccupé de voir certaines inégalités entre les jugements. En réalité, souvent les avocats de la défense font du magasinage pour tenter de trouver un juge qui, selon eux, sera plus favorable à la cause qu'ils défendent, pour toutes sortes de raisons. Par conséquent, on se retrouve avec des jugements qui varient beaucoup, qui entraînent des conséquences différentes et qui appellent des peines différentes, selon la philosophie du juge en fonction. Je dis cela en tout respect pour la magistrature.
Mes questions s'adressent à Mme Latimer, de la Société John Howard, société que je tiens d'abord à remercier du travail énorme qu'elle accomplit pour aider à la réinsertion de ceux qui purgent des peines partout au Canada et pour aider les futures victimes.
On parle beaucoup de dissuasion. Voici ma première question, madame Latimer: d'après votre expérience, qu'est-ce qui peut décourager la criminalité? La crainte de lourdes peines? La peur de se faire prendre? Une réinsertion sociale réussie?
Je n'ai pas entendu dire que ce dernier élément ait jamais fait l'objet d'une évaluation, mais je peux vous dire que c'est généralement la peur de se faire prendre qui décourage la criminalité. S'ils risquent de se faire prendre, les délinquants préfèrent s'abstenir. Ce n'est pas la sévérité des sanctions qui a le plus d'effet dissuasif. Bon nombre des prisonniers avec qui j'ai travaillé comptaient bien ne pas se faire prendre; ils se disaient que s'ils étaient appréhendés, ils subiraient les conséquences, mais ils prévoyaient et espéraient ne pas se faire prendre.
S'ils prévoyaient se faire prendre, les délinquants s'abstiendraient.
Dans beaucoup de discussions, on semble présumer que nous nous occupons mieux des victimes en imposant des peines sévères, plutôt que de nous concentrer sur la réadaptation. En vous appuyant sur l'expérience de la Société John Howard, que répondriez vous?
Lorsqu'on travaille avec des gens qui se sont engagés dans la voie de la criminalité et qu'on peut les aiguiller différemment, les amener à adopter un mode de vie plus prosocial et plus positif, on prévient la victimisation. Beaucoup de délinquants réadaptés avec succès et réinsérés dans la société avec des services de soutien, ne récidivent pas.
On peut faire davantage à cet égard, mais on peut faire et on fait bien des choses pour réduire la victimisation.
Vous êtes favorable à un recours accru aux condamnations avec sursis. Partagez-vous les préoccupations que nous avons déjà entendues au sujet du manque de ressources pour l'application des peines avec sursis dans les collectivités rurales, éloignées et autochtones?
C'est une préoccupation importante. Lorsque des peines avec sursis sont purgées dans la collectivité, on espère que celle-ci a les ressources nécessaires à l'encadrement. Dans de nombreuses collectivités dysfonctionnelles — il serait probablement plus juste de dire « à court de ressources » —, il peut y avoir beaucoup de friction et il est probable que la tendance à la criminalité est plus marquée, mais les ressources communautaires peuvent ne pas suffire pour offrir des solutions de rechange et des programmes de très bonne qualité à ceux qui ont reçu une peine avec sursis.
Il est important d'avoir des ressources pour encadrer ces peines.
Il y avait beaucoup plus de peines avec sursis avant qu'elles ne soient abrogées. Le rôle de la Société John Howard a donc changé, puisque le nombre de ces peines a beaucoup diminué. Nous travaillons avec des gens qui ont des démêlés avec la justice afin de les aider à s'engager sur la bonne voie. Franchement, c'est beaucoup plus facile s'il y a une peine avec sursis à purger dans la collectivité plutôt qu'une peine d'emprisonnement, parce que les délinquants ne sont pas coupés d'éléments comme l'emploi et le logement, qui sont de gros problèmes à la sortie de prison.
L'expérience carcérale elle-même peut être très traumatisante et avoir un effet négatif.
Je vais poser la même question qu'à la Société Elizabeth Fry au sujet des répercussions de l'incarcération sur les familles, par opposition aux peines avec sursis.
Ce peut être très difficile. Beaucoup d'hommes qui sont placés en détention contribuent à la vie et au revenu du ménage. S'ils ne peuvent plus jouer ce rôle, il arrive souvent que leur famille sombre dans la pauvreté et tombe en mode de survie, ce qui est très pénible.
Il me reste très peu de temps. Je vous pose donc une question très rapide sur l'obstacle que le casier judiciaire peut représenter pour la réadaptation.
C'est catastrophique. Il n'y aucune protection contre la discrimination fondée sur des infractions criminelles antérieures tant que le délinquant n'obtient pas la réhabilitation ou une suspension de casier, et même à ce moment-là, il est toujours possible de vérifier les faits au moyen de Google. S'il a droit à la réhabilitation, qui n'est pas si facile à obtenir, car le processus est coûteux et alambiqué et a désespérément besoin d'une réforme... Les demandes ne sont pas aussi nombreuses qu'elles le devraient. La Société John Howard est un membre solide de la Coalition Nouveau départ dont Mme Coyle a parlé et qui, nous l'espérons, va faciliter les choses.
Merci beaucoup, monsieur le président. Merci aux témoins.
Je vais adresser mes questions à M. Brochet.
Le projet de loi C-5 élimine les peines d'emprisonnement obligatoires non seulement pour des infractions très graves liées aux armes à feu, mais aussi pour des infractions graves liées aux drogues, y compris le trafic et la production de drogues figurant dans les annexes I et II, comme l'héroïne, la cocaïne, le fentanyl et la méthamphétamine en cristaux. Cela préoccupe-t-il le chef de police que vous êtes?
Comme chefs de police, nous sommes très conscients que la consommation de drogues est un problème qui relève davantage de la santé publique que de la sécurité publique. C'est pour cette raison que nous croyons qu'il ne faut pas banaliser la possession et la consommation de drogues. Cela dit, autant l'Association canadienne des chefs de police que l'Association des directeurs de police du Québec sont ouvertes à l'idée de décriminaliser...
Excusez-moi, monsieur, mais je tiens à préciser que le projet de loi ne porte pas sur la possession. Il s'agit de trafic. Il s'agit de production. Il s'agit de trafiquants de drogue et de revendeurs qui mettent en circulation ces poisons qui tuent des Canadiens tous les jours. Je tenais simplement à préciser l'objet du projet de loi.
En fait, c'était la deuxième partie de ma réponse.
En premier lieu, je tenais à préciser que nous ne voulons pas pénaliser les gens pour la possession et la consommation de drogues.
Pour ce qui est du trafic de drogue, nous estimons qu'il ne faut pas réduire les peines à cet égard. Il faut comprendre que le trafic de drogue est un fléau dans notre communauté. Le crime organisé baigne dans le trafic de drogue; c'est son gagne-pain. De plus, le trafic de drogue a énormément de répercussions sur d'autres types de crimes. Par exemple, les gens vont commettre d'autres types de crimes pour se procurer de la drogue. Il ne faudrait donc pas réduire les peines ou voter des lois qui réduiraient les peines liées au trafic de drogue, notamment.
Le troisième élément du projet de loi C-5 est une utilisation plus large des peines avec sursis pour les infractions très graves: agressions sexuelles, enlèvements, traite de personnes, incendies criminels avec intention frauduleuse. Qu'en pensez-vous, en tant que chef de police?
À titre de chef du Service de police de Laval, j'ai vécu une crise liée à l'exploitation sexuelle, il y a quelques années. Au Québec, nous faisons de la lutte contre l'exploitation sexuelle une priorité, parce que beaucoup de mineures sont prises et exploitées par des individus sans scrupules. Il est évident que les crimes comme ceux que vous avez mentionnés doivent être punis sévèrement. Si on décidait plutôt d'imposer des peines avec sursis à ceux qui commettent ce type de crimes, cela pourrait envoyer un message extrêmement difficile aux victimes.
Selon certains, vu les infractions dont il est ici question, la seule différence serait que les délinquants non violents pourraient purger leur peine hors de prison. Dans le cas de certains de ces crimes, je ne pense pas qu'il s'agisse de délinquants non violents. Êtes-vous d'accord?
Effectivement, le nombre d'infractions et la gravité des infractions intégrées dans le projet de loi nous préoccupent.
Dans ma présentation, j'ai voulu mettre l'accent sur les armes à feu, parce que c'est un problème actuel très réel. Cependant, si ces mesures devaient s'appliquer dans les cas de traite des personnes ou d'agressions sexuelles, de toute évidence, il faudrait se préoccuper des répercussions sur les victimes.
Non, je n'ai rien à ajouter. J'ai passé mon message: nous avons de grandes préoccupations quant à la violence armée. D'ailleurs, je vous remercie de m'avoir permis de passer ce message, au nom de tous les directeurs de police du Québec.
Il faut absolument que la violence armée cesse et qu'on se préoccupe de cet enjeu. Il ne faut pas qu'on envoie un message selon lequel il y aurait une très grande tolérance à l'égard de l'utilisation des armes à feu.
Monsieur Brochet, j'écoute vos réponses, et j'aimerais préciser que ce n'est pas parce qu'on abolit les peines minimales obligatoires que les contrevenants ne seront pas punis. C'est comme si vous ne faisiez pas confiance aux juges pour imposer des peines proportionnelles...
Madame Brière, désolé de vous interrompre. On vient de me signaler que votre micro n'a pas été sélectionné.
À l'écran, allez à la petite flèche à côté du bouton de sourdine. Assurez-vous simplement que votre casque d'écoute est bien choisi et que vous n'avez pas pris le micro de l'ordinateur.
Il est passé 16 heures. Certains d'entre nous ont d'autres occupations qui les attendent. À quelle heure avez-vous l'intention de conclure? Selon le programme, nous devions siéger jusqu'à 16 heures.
Mme Brière avait quatre minutes, et il y a deux interventions de deux minutes. Cela fait donc 10 minutes, si le Comité le veut bien. Nous avons eu un problème de son pendant une dizaine de minutes.
Nous pouvons le faire si je vois des signes d'approbation. Mme Brière peut-elle intervenir dans deux minutes? Sinon, nous ferons appel à quelqu'un d'autre.
On a beaucoup entendu parler de la surreprésentation des Autochtones, et particulièrement des femmes autochtones, ainsi que des personnes racisées, qu'il s'agisse de la communauté noire ou d'autres, dans nos prisons. Certains semblent attribuer cette surreprésentation au fait que des peines minimales obligatoires sont prévues au Code criminel. Personnellement, je ne suis pas d'accord sur cette assertion.
J'aimerais connaître votre point de vue. Le fait d'éliminer les peines minimales obligatoires va-t-il effectivement diminuer la représentation des personnes racisées dans nos prisons? N'y aurait-il pas une autre façon de diminuer cette surreprésentation, qui, nous sommes d'accord là-dessus, n'est pas souhaitable?
Je pense que le projet de loi s'attaque à des symptômes d'une situation beaucoup plus préoccupante, c'est-à-dire une situation socioéconomique difficile pour certains groupes de personnes. Je ne pense pas que ce projet de loi nous permettra d'atteindre nos objectifs. Surtout, je pense que cela nous mènera vers une banalisation d'infractions graves, pour lesquelles les criminels mériteraient des peines sévères. C'est là que réside ma préoccupation.
Je pense qu'il faudrait investir davantage dans la santé, l'éducation et le logement, par exemple, plutôt que de simplement s'attaquer à des symptômes d'une situation préoccupante.
À votre avis, toute proportion gardée, les personnes racisées ou autochtones font-elles plus souvent l'objet d'arrestations que les autres, dans votre service de police?
À Laval, il y a très peu d'Autochtones. Cela dit, les minorités visibles sont surreprésentées pour certains types de crimes, par exemple au sein des gangs de rue.
Cela revient à ce que je disais tantôt, c'est-à-dire qu'on doit faire un travail de fond en matière de prévention et de développement social, et aider les groupes de personnes marginalisées. C'est là qu'on doit trouver des solutions profondes à des enjeux majeurs qui existent depuis plusieurs années. Il ne faut pas simplement alléger les peines. Même si c'est une...
Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé des dispositions visant à accroître le recours aux mises en garde, avertissements et renvois, et vous avez dit, si je vous ai bien comprise, qu'il fallait voir ce qui se passe dans ces échanges pour s'assurer qu'ils ne tournent pas au désavantage des membres des minorités. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Oui, c'est essentiel. Si, dans une certaine mesure, la surreprésentation de certains groupes tient à des préjugés, subliminaux ou objectifs, lorsqu'on accorde un pouvoir discrétionnaire à l'intérieur du système, il se peut fort bien que les préjugés soient renforcés au lieu d'être atténués. Selon moi, il faut ajouter un volet éducatif solide pour faire savoir à quoi on veut en arriver en accordant cette latitude, voir comment elle s'exerce et vérifier si ces mesures particulières sont à l'avantage des minorités raciales.