Je vous souhaite la bienvenue à la 33e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 22 septembre, le Comité poursuit son étude sur l'objet du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se tient suivant un format hybride, c'est‑à‑dire que certains membres du Comité y participent en personne alors que d'autres le font à distance, à l'aide de l'application Zoom.
J'aurais quelques consignes à transmettre aux témoins et aux députés pour veiller à ce que tout se déroule bien.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Ceux qui participent à la réunion par vidéoconférence doivent cliquer sur l'icône du micro pour l'activer, et le mettre en sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole. Des services d'interprétation sont offerts. Les participants à la réunion via Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre la transmission du parquet, l'anglais et le français. Ceux qui se trouvent dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal souhaité. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole sont priés de lever la main. Sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ». Notre greffier et moi-même nous efforcerons de tenir à jour la liste des intervenants. Merci à l'avance de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Je vous demanderais en outre de porter attention aux signaux que je pourrais vous faire. Lorsqu'il vous restera 30 secondes, je brandirai ce livre jaune. S'il ne vous reste plus de temps, je vous présenterai cette chemise rouge.
Sans plus tarder, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre témoin pour la première heure...
Nous vous écoutons, monsieur Fortin.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à participer à l'étude de la teneur de l'ancien projet de loi .
Aujourd'hui, je suis assisté par des avocats et avocates du ministère de la Justice, maîtres Matthew Taylor, Chelsea Moore et Joanne Klineberg, que je remercie.
Comme vous le savez, ce projet de loi est entré en vigueur le 23 juin 2022, moins de six semaines après que la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision dans les causes R. c Brown, R. c Sullivan et R. c Chan.
Dans ces décisions, la Cour suprême a conclu à l'inconstitutionnalité de l'ancienne version de l'article 33.1 du Code criminel, parce qu'il écartait la défense d'intoxication extrême dans tous les cas, que la personne ait agi par négligence ou ait commis une faute alors qu'elle avait consommé.
[Traduction]
La Cour suprême a rétabli l'intoxication extrême comme moyen de défense de plein droit pour les crimes violents, ce qui permettait aux inculpés de se soustraire à leur responsabilité, et ce, même s'ils avaient fait preuve de négligence dans leur consommation de drogue ou d'autres substances intoxicantes. L'adoption rapide du projet de loi à l'étude montre bien que tous les parlementaires souhaitaient combler le vide juridique créé par les décisions en question.
Avec l'adoption du projet de loi , la loi prévoit maintenant que les individus ayant fait montre de négligence criminelle dans leur consommation de substances intoxicantes peuvent être tenus responsables des préjudices causés à autrui alors qu'ils étaient en état d'intoxication extrême. Selon le Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, le projet de loi C‑28 était une solution « réfléchie, nuancée et constitutionnelle » au vide étroit, mais important, laissé dans la loi par les jugements de la Cour suprême.
Le projet de loi avait les mêmes objectifs que l'article 33.1 dans sa version précédente adoptée en 1996, à savoir de protéger les victimes de crimes violents perpétrés sous l'effet de l'intoxication en tenant responsables ceux qui causaient des préjudices à autrui après s'être volontairement intoxiqués de façon négligente. Dans l'arrêt Brown, la Cour suprême a reconnu la légitimité et l'importance pressante de ces objectifs, et suggéré deux solutions viables du point de vue constitutionnel que le Parlement pourrait adopter de telle sorte que les fautifs soient tenus responsables dans les cas où un tel verdict s'impose. Nous avons choisi l'une de ces approches, laquelle rend possible une condamnation pour des crimes violents comme l'homicide involontaire et l'agression sexuelle. Cette approche permettra de tenir les délinquants responsables de leurs gestes, comme les victimes s'y attendent à juste titre, tout en respectant la Charte.
En vertu du nouvel article 33.1 proposé, la Couronne peut demander une condamnation pour crime violent en prouvant que l'inculpé a causé des préjudices à autrui alors qu'il était dans un état d'intoxication extrême résultant de sa négligence criminelle dans la consommation de substances intoxicantes. L'individu peut être tenu criminellement responsable s'il est prouvé qu'il s'est écarté de façon marquée de la norme de diligence attendue d'une personne raisonnable, dans les circonstances. Par « s'écarter de façon marquée », on entend que l'individu n'a pas du tout fait ce qu'on aurait pu attendre d'une personne raisonnable dans les mêmes circonstances en vue d'éviter un risque prévisible — en l'occurrence, le risque d'une violente perte de contrôle.
[Français]
Vous vous souviendrez que l'intoxication extrême est un état mental rare qui s'apparente à l'automatisme lorsqu'un accusé perd la maîtrise de ses actes, mais qu'il est encore capable d'agir. Permettez-moi de préciser une fois de plus que cet état est exceptionnellement rare, et que l'intoxication, même à un degré avancé, ne répond pas à la définition d'intoxication extrême. Je le répète: l'intoxication à elle seule ne constitue jamais un motif de défense dans le cas de crimes comme l'agression sexuelle.
[Traduction]
Je vais me permettre de répéter ce dernier point, car il est essentiel que tout le monde comprenne bien. L'intoxication ne peut jamais être un motif de défense pour les crimes comme l'agression sexuelle. C'était le cas avant les jugements de la Cour suprême; c'est encore le cas aujourd'hui.
Il est très difficile d'invoquer l'intoxication extrême comme moyen de défense. Pour y parvenir, l'inculpé doit satisfaire à une norme de preuve plus exigeante que celle s'appliquant habituellement. Il doit d'abord convaincre le juge, suivant la prépondérance des probabilités et grâce au témoignage d'experts, qu'il était en état d'intoxication extrême lorsqu'il a posé des gestes violents. L'ivresse ou l'intoxication n'est pas en soi un argument de défense. L'intoxication extrême est un état rare et, comme son nom l'indique, extrême. La Cour suprême a établi clairement qu'il est à peu près impossible d'en arriver à un état d'intoxication extrême par la seule consommation d'alcool. Le projet de loi a comblé un vide étroit, mais important, dans la loi pour veiller à ce que le recours à cet argument de défense demeure exceptionnellement rare.
Certains ont fait valoir qu'il ne sera pas facile de faire appliquer cette nouvelle disposition du fait qu'il sera trop ardu pour la Couronne de prouver que le risque de violence était prévisible. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, ces nouvelles dispositions sont tout à fait applicables. Le Parlement a envoyé un message clair: quiconque consomme des substances intoxicantes dans des circonstances témoignant d'un mépris flagrant pour la sécurité d'autrui sera tenu responsable s'il commet des actes violents.
Je tiens à souligner que la loi exige seulement qu'il y ait un « risque » de perte de contrôle violente. Si l'on interprète bien cette précision, on constate que la norme de preuve à respecter est moins exigeante que celle découlant d'autres dispositions du Code criminel qui nécessitent plutôt qu'un résultat particulier soit « susceptible » de se produire. C'est le cas notamment de l'article 215 suivant lequel une personne susceptible d'exposer à un péril permanent la santé d'autrui peut être tenue responsable de ne pas lui avoir fourni les choses nécessaires à l'existence. Les procureurs réussissent à établir la preuve d'une telle infraction malgré le critère de probabilité constituant une norme de preuve plus exigeante. J'ai donc bon espoir qu'ils parviendront également à faire la preuve qu'il existe un risque de perte de contrôle violente.
Il ne faut pas oublier que les procureurs n'ont pas à faire la preuve de quoi que ce soit tant et aussi longtemps que l'inculpé n'a pas lui-même démontré qu'il était dans un état d'intoxication extrême, une norme de preuve très exigeante. Si l'inculpé ne peut pas faire la preuve d'une telle intoxication, il sera reconnu coupable de l'infraction, comme n'importe quel autre prévenu.
[Français]
Les Canadiens raisonnables veulent connaître les risques — même les risques rares — qui sont associés aux substances intoxicantes qu'ils prévoient prendre et à la façon dont ils prévoient les prendre. Tout Canadien raisonnable est préoccupé par la sécurité d'autrui lorsque ses actes présentent un risque.
[Traduction]
Lorsque nous avons constaté à quel point la désinformation faisait rage à la suite de la décision de la Cour suprême, nous savions qu'il était important d'agir rapidement. Beaucoup de gens laissaient entendre qu'une simple intoxication pourrait servir de moyen de défense pour des crimes horribles, comme l'agression sexuelle. La désinformation non intentionnelle et le style alarmiste parfois intentionnel de certains reportages peuvent entraîner des conséquences très graves pour les femmes de tout le pays en accentuant les préjugés avec lesquels doivent déjà composer les survivantes de la violence fondée sur le genre.
Nous avons donc agi sans tarder pour nous assurer que les discours semblables ne se perpétuent pas dans la sphère publique, car il est important que tous les Canadiens puissent se sentir en sécurité. Je me réjouis de voir que tous les parlementaires ont su conjuguer leurs efforts pour passer rapidement à l'action afin d'éviter que cette désinformation s'enracine plus profondément encore.
Je vais suivre de près votre étude sur cette importante question et j'ai grand hâte de prendre connaissance de votre rapport final. D'ici là, nous allons continuer de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux pour assurer une mise en oeuvre efficace de la loi.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir bien voulu comparaître aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude.
Certains se demandent peut-être pourquoi nous menons cette étude. C'est en raison de l'arrêt Brown de la Cour suprême qui, il faut bien le dire, a mis en péril la sécurité des Canadiens, et des Canadiennes tout particulièrement. C'est ainsi que Mme Vecchio, M. Brock, qui est aussi membre du Comité, M. Caputo et moi-même vous avons écrit pour vous exhorter à agir sans tarder et vous offrir toute l'aide que nous pouvions vous apporter pour combler cette importante brèche laissée dans notre Code criminel par cette décision.
On vous posera aujourd'hui beaucoup de questions au sujet du projet de loi lui-même. J'en aurais toutefois une qui est de portée plus générale. Votre gouvernement passe à l'action seulement quand bon lui semble. À titre d'exemple, lorsque le poste d'ombudsman pour les prisonniers est devenu vacant, il a été pourvu le lendemain. Lorsque la même chose est arrivée pour l'ombudsman des victimes d'actes criminels, il a fallu une année entière pour nommer un successeur. J'aurais aimé que nous puissions entendre le point de vue de l'ombudsman des victimes d'actes criminels lors de nos travaux sur le projet de loi , dans le cadre de la présente étude et relativement à d'autres dossiers législatifs touchant la justice pénale.
Nous venons tout juste de terminer une autre étude qui nous a permis d'entendre les témoignages de victimes d'actes criminels. L'un des cas les plus médiatisés au cours des dernières années au Canada a été celui de Sharlene Bosma dont l'époux, Tim, a été assassiné. Tous les Canadiens se sont intéressés à cette affaire. L'assassin a également été reconnu coupable d'avoir tué son propre père et son ancienne amie de cœur. Grâce aux mesures législatives adoptées pour permettre le cumul des périodes d'inadmissibilité, il ne pouvait pas demander une libération conditionnelle avant 75 ans.
Cependant, à la suite du jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Bissonnette, cet individu sera maintenant admissible à une libération conditionnelle après 25 ans. Je crois d'ailleurs que ce délai a commencé à s'écouler il y a près de 10 ans déjà. Lors de sa comparution devant notre comité, Sharlene Bosma a dit trouver une lueur d'espoir dans toute cette situation en sachant que, grâce à ce qu'elle-même a fait ainsi qu'au travail du procureur de la Couronne et à la contribution d'autres témoins, sa fille n'aurait jamais à assister à une audience de libération conditionnelle. Comme on nous l'a maintes fois répété, ces audiences ont le désavantage de faire revivre le traumatisme aux victimes et à leurs familles.
Monsieur le ministre, vous avez réagi sans tarder et nous avons collaboré avec vous pour que le projet de loi puisse être adopté rapidement. C'est dans le cadre du même exercice que nous sommes réunis aujourd'hui pour voir s'il n'y a pas moyen d'améliorer ce projet de loi.
Voici donc ma question. Est‑ce que votre gouvernement et vous-même allez réagir au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Bissonnette?
:
Merci pour cette question, monsieur Moore.
Il va de soi que nous compatissons avec les survivants de l'attentat à la mosquée de Québec ainsi qu'avec la famille Bosma et toutes les autres victimes de tels actes horribles. Nous mettons tout en œuvre pour pouvoir faire le nécessaire aussi rapidement que possible.
Nous avons pris tous les moyens afin de pourvoir sans tarder le poste d'ombudsman des victimes d'actes criminels. Il y a des situations où les choses échappent à notre contrôle quant au bon fonctionnement des différents processus. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous avons fait de notre mieux dès le départ pour trouver un successeur à ce poste. C'est maintenant chose faite, et je pense que tout le monde conviendra que nous avons fait un excellent choix.
Ce qui distingue ce cas‑ci de l'arrêt Bissonnette, c'est que la Cour suprême nous a proposé deux pistes de solution pour la suite des choses. Je rappelle que le jugement Bissonnette ne change rien à la peine effectivement imposée à l'individu condamné pour meurtre. Il sera juste plus rapidement admissible à une libération conditionnelle. Je comprends que ce n'est pas rien, mais l'admissibilité à la libération conditionnelle ne signifie pas nécessairement que l'individu va bénéficier d'une mise en liberté sous condition. Nous nous sommes efforcés de faire valoir que cela s'inscrit dans les limites du pouvoir discrétionnaire d'un juge qui impose une peine de la sorte. C'est l'argument que le procureur général du Canada a présenté dans cette cause devant la Cour suprême. Celle‑ci a rejeté cet argument par neuf voix contre aucune.
Je suis disposé à entendre toutes les suggestions, mais il n'y a pas toujours une voie à suivre, ou même deux dans les causes qui nous intéressent aujourd'hui avec les arrêts Brown et Sullivan. Il n'y a pas de voie facile ou claire. La décision de la Cour suprême était quant à elle très claire dans son interprétation de la Constitution.
Je veux juste souligner encore une fois que l'admissibilité à une libération conditionnelle ne se traduit pas automatiquement par une telle libération. Rien n'est garanti et la peine imposée demeure toujours la même.
:
Merci, monsieur le ministre.
Je demande seulement, et nous demandons tous, que les mêmes personnes qui ont réfléchi ensemble aux suites à donner à l'arrêt Brown en examinant les options possibles — et nous aurons le temps de discuter des avantages et des inconvénients de ces différentes options — se penchent maintenant sur l'arrêt Bissonnette.
De nombreuses victimes ainsi que leurs proches nous ont indiqué que le processus de libération conditionnelle les obligeait à revivre leur traumatisme, surtout en sachant que leurs enfants devaient y participer.
Tout récemment dans ma circonscription, un individu en liberté conditionnelle a pris la fuite. Personne ne savait où se trouvait cet homme reconnu coupable du meurtre de la fille de 16 ans de l'un de mes commettants. Nous apprenons maintenant qu'il peut de nouveau demander une libération conditionnelle, et ce, même s'il s'est retrouvé illégalement en liberté.
Le processus de libération conditionnelle est en soi une revictimisation. Nous devons faire le même effort de réflexion pour réagir à l'arrêt Bissonnette. Ce serait certes ma recommandation la plus pressante.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Merci, monsieur le ministre. Nous sommes très reconnaissants que vous comparaissiez au Comité pour clarifier le projet de loi .
[Traduction]
J'aimerais poser quelques questions très précises, car j'ai l'impression qu'il persiste une grande confusion et beaucoup d'incompréhension. Lorsqu'on commence à utiliser la terminologie juridique et à traiter de tout ce qui vient avec, je peux comprendre le simple citoyen d'être un peu perdu.
Je suis très heureuse qu'un représentant de l'organisme Les mères contre l'alcool au volant ait pu comparaître lors de notre dernière séance. Il a pu nous indiquer de façon claire et concise que ce projet de loi n'aura pas d'incidence sur les causes d'intérêt pour son groupe. Je pense qu'il est très important que les Canadiens le comprennent.
Dans l'exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui, vous avez souligné que ces dispositions ne s'appliqueront jamais aux crimes d'agression sexuelle. C'est justement le genre de précision que nous devons apporter au bénéfice des Canadiens.
Pourriez-vous clarifier les choses à l'intention des Canadiens en utilisant un langage clair et simple, plutôt que des termes techniques? J'ai fait partie d'un comité d'accès à la justice en Nouvelle-Écosse. Dans les premières réunions, peut-être parce que ma langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français, j'ai été très reconnaissante qu'on m'explique les choses dans un tel langage clair et simple.
Qu'entend‑on par intoxication extrême? Qu'est‑ce que l'intoxication volontaire? De quoi est‑il question exactement ici, monsieur le ministre?
:
Merci pour ces questions, madame Diab.
On parle d'intoxication volontaire lorsque la personne consomme elle-même la substance intoxicante, qu'il s'agisse d'alcool, de drogue ou de quoi que ce soit d'autre. On veut dire par là que la personne consomme de telles substances de son propre chef. Nous limitons ainsi les circonstances qui sont ciblées.
L'intoxication extrême a été interprétée par les tribunaux comme étant assimilable à un état d'automatisme. Cela signifie que le corps fonctionne, mais que l'on n'a aucun contrôle sur lui. Je pense que c'est la façon la plus simple de le décrire. Les membres peuvent bouger, et il arrive en de rares occasions que la personne puisse poser des gestes extrêmes, mais elle n'exerce aucun contrôle sur elle-même. Ce sont des circonstances plutôt rares. D'un point de vue juridique, cela a pu être isolé d'un certain nombre d'éléments distincts, ce qui permet de prévoir une exception.
Il s'agit en fait de reconnaître que la façon dont la personne est entrée dans cet état d'automatisme a son importance, et ce, même si c'est le fait de ses propres actions. Dans la plupart des cas, lorsque l'individu aurait pu raisonnablement prévoir qu'il risquait de perdre le contrôle de lui-même ou que la situation pouvait connaître un aboutissement violent, il serait tout de même tenu responsable de ses gestes. S'il a agressé quelqu'un sexuellement, il demeure coupable d'agression sexuelle. Il en va de même d'un homicide involontaire.
La seule exception s'applique aux rares cas où il est possible d'établir que la personne n'aurait pas pu ou dû savoir ce qui allait se passer suivant la norme de diligence attendue d'une personne raisonnable et en tenant compte de la prévisibilité objective du risque. Si une personne se retrouve dans un état d'automatisme après avoir pris un médicament sur ordonnance pour la première fois et qu'il lui était impossible — comme à n'importe qui d'autre — de prévoir comment les choses allaient tourner, elle aura peut-être une chance de s'en tirer.
Je répète qu'il faut que l'individu se retrouve dans un tel état et soit en mesure de prouver que c'était bel et bien le cas. Il incombe alors à la Couronne de faire la preuve que la personne aurait pu le prévoir ou aurait dû le savoir d'une manière ou d'une autre.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le ministre. Je suis content de vous voir ici ce matin.
Au Bloc québécois, nous applaudissons cette décision, car nous croyons qu'il fallait colmater cette brèche dans la loi. Je pense que c'est important. Le texte me semble intéressant.
Toutefois, j'ai quelques questions. En fait, depuis le début, je m'interroge beaucoup sur la notion d'intoxication volontaire. N'y a-t-il pas là une brèche? Avez-vous, par exemple, examiné le cas d'une personne qui dit répondre aux critères, mais qui ajoute qu'elle ne s'est pas intoxiquée volontairement, quelqu'un ayant mis de la drogue dans sa consommation ou ajouté une substance plus puissante dans le joint qu'elle croyait ne contenir que du cannabis? Avez-vous examiné cet aspect d'une intoxication extrême soi-disant involontaire, mais qui pourrait être douteuse?
Nous avons fait des consultations rapides, mais nous en avions déjà fait auparavant. Permettez-moi de vous donner la liste des organismes consultés.
[Traduction]
En voici la liste: Hébergement Femmes Canada, Luke's Place, le Pathway Group, l'Ontario Network of Victim Service Providers, la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes, Farrah Khan, la Fondation canadienne des femmes, le FAEJ, Robin Parker, l'Association nationale des centres d'amitié, l'Association des femmes autochtones, Action Now Atlantic, Étudiant.e.s pour une culture du consentement, Kent Roach, Janine Benedet, Frances Chapman, Gerry Ferguson, Michael Plaxton, Hugues Parent, l'Association des avocats noirs du Canada, la Criminal Lawyers' Association, l'Association des Avocats de la Défense de Québec, la Criminal Trial Lawyers' Association, Tony Paisana, Jody Berkes, la Women's Law Association of Ontario et l'Association nationale de la femme et du droit.
[Français]
Nous avons donc fait ces consultations et la grande majorité des organismes ont appuyé nos démarches, que ce soit de manière formelle ou informelle.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie le ministre d'être parmi nous aujourd'hui.
Je tiens à souligner que je pense que le contexte dans lequel nous avons travaillé ici est celui d'une lacune créée dans la loi, qui était peut-être plus petite que ce que le public pouvait percevoir, mais il y a eu beaucoup de coopération et une intervention rapide du Parlement.
Parfois, notre institution a la mauvaise réputation de ne pas être capable d'accomplir des choses. Dans le cas présent, la liste des parties consultées est impressionnante. Nous savons qu'elle n'est pas aussi complète qu'elle aurait pu l'être parce qu'il fallait agir vite. Autrement, nous serions encore assis ici à tenir des consultations et à multiplier les audiences, et il aurait fallu des mois pour corriger cette lacune. Je vous remercie du leadership dont vous avez fait preuve en vous adressant à nous tous pour que cela se fasse.
La Cour suprême a essentiellement donné deux choix au Parlement. J'aimerais que vous preniez une minute pour nous parler de ces deux choix. En termes simples, la Cour a dit qu'on pouvait soit créer une nouvelle infraction, soit corriger l'article existant. Pouvez-vous expliquer un peu pourquoi on a choisi de corriger l'article 33.1 plutôt que de créer une nouvelle infraction?
:
Je vous remercie de cette question, comme je vous remercie tous de votre appui.
Il n'y avait qu'un article visé, ce qui présentait l'avantage de rendre les consultations plus efficaces.
C'était aussi un problème connu. Depuis l'arrêt Daviault, bien des juristes estimaient que cette disposition était inconstitutionnelle. La Cour nous a donné deux options: nous pouvions adopter une nouvelle loi qui régirait essentiellement ce genre de situation ou nous pouvions reprendre l'ancienne loi et corriger la situation problématique, soit le cas de la personne qui se rend innocemment dans cet état alors qu'elle ne pouvait pas savoir que cela pouvait arriver — ou qu'elle ne devait pas le savoir, selon une norme objective.
Nous avons jugé que la deuxième option était la plus simple, parce qu'elle s'appuyait sur des normes connues, tout d'abord, et parce qu'elle comportait moins de risques de conséquences imprévues pour les juges, les procureurs de la Couronne ou les avocats de la défense. Lorsqu'on crée une nouvelle norme, qu'on crée une nouvelle loi, il y a une période d'interprétation: quelle en est la portée? Jusqu'où cela ira‑t‑il? Qu'est‑ce que cela inclut?
C'est en partie pourquoi nous avons fait ce choix. Il y a aussi que les victimes elles-mêmes disaient: « Cette personne m'a agressée sexuellement. Je veux qu'elle soit accusée d'agression sexuelle. Je ne veux pas qu'elle soit accusée d'une forme de négligence criminelle. Cela ne porte pas la même stigmatisation. » Cela a probablement été déterminant.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis très heureuse d'être ici pour parler du projet de loi . Comme le ministre le sait, j'en parle beaucoup dans le cadre de mon travail de porte-parole de l'opposition en matière de condition féminine et d'égalité des sexes et de présidente du comité de la condition féminine. Nous savons que les statistiques sur la violence entre partenaires intimes montrent que la violence est souvent le fait d'hommes contre des femmes. De même, nous constatons que les statistiques sur l'intoxication extrême par l'alcool ou les drogues sont très élevées.
Monsieur le ministre, vous avez dit que certaines organisations comme le FAEJ étaient réceptifs à cette mesure, mais nous constatons également que d'autres groupes ne le sont pas. J'ai ici une liste d'au moins 20 groupes qui ne le sont pas. Je pense que la seule chose que je veux dire, c'est qu'il faut nous assurer de tous les écouter.
Je sais qu'il y a une certaine idée préconçue et que tous ceux qui sont ici peuvent se demander pourquoi nous étudierions un projet de loi après son adoption? Comme l'a dit M. Moore, il est important que nous le fassions. Cependant, j'espère vraiment que nous tirerons les leçons de cette expérience et que si des changements sont nécessaires, nous les apporterons, parce que la voix des femmes doit être entendue.
Il y a deux organisations similaires, le FAEJ et l'Association nationale de la femme et du droit. L'une appuie vivement cette mesure, l'autre pas du tout. Pouvez-vous me décrire les conversations que vous avez eues avec les membres de l'Association nationale de la femme et du droit et ce qu'elles aimeraient vous voir changer?
Je pense que vous et moi sommes tous deux d'accord pour dire qu'il faut colmater la brèche, parce que nous savons qu'à l'heure actuelle, environ 6 %... Quand je regarde les statistiques, je trouve que c'est très inquiétant.
Au sujet de l'intoxication extrême, nous avons entendu la semaine dernière le témoignage de Jennifer Dunn, du London Abused Women's Centre. Quiconque me connaît sait que c'est la statistique que je cite habituellement. Elle a dit: « Selon Statistique Canada, à peine 6 % des affaires d'agression sexuelle sont signalées à la police et seulement cinq d'entre elles se rendent jusqu'au procès. »
Je pense que cela revient parmi les préoccupations que nous entendons, car nous savons qu'il y a un problème dès l'entrée dans le système judiciaire. Quand on constate que les gens ne dénoncent pas les agressions, que faites-vous, vous et votre ministère, pour faire en sorte que le système soit plus accueillant et que les victimes de crimes soient mieux protégées lorsqu'elles se manifestent, pour qu'elles soient soutenues par le système judiciaire lui-même?
:
Je vous remercie de cette question.
En fait, c'est probablement parmi les principaux facteurs à nous avoir motivés à agir rapidement. Il y a eu beaucoup de désinformation sur les médias sociaux en particulier, et nous en avons tous vu des bribes sans en voir l'intégralité. Tout à coup, si vous étiez intoxiqué, c'était comme si vous aviez pigé la carte « Sortez de prison sans frais ». C'était un laissez-passer.
La désinformation a explosé. Nous devions corriger cela rapidement. Même s'il s'agissait d'un cas rare et même si c'était faux, cela n'avait aucune importance, car les gens croyaient que c'était vrai.
En comblant cette lacune, qui était certes minime, nous avons pu accentuer le message général, à savoir que si vous vous soûlez, vous serez tenu responsable. C'est un message d'une importance cruciale que les gens avaient besoin d'entendre.
Honnêtement, j'aurais préféré que nous n'ayons pas à le faire. Si seulement il n'y avait pas un tel degré de désinformation. Qu'elle soit erronée ou délibérée n'a pas d'importance, puisqu'elle existe. Nous devions à ce moment‑là faire obstacle à ce message, et nous devons continuer de le faire. Nous avons tous la responsabilité de le faire.
Colmater cette brèche nous a aidés, à cette fin. Et agir rapidement nous a aidés à renforcer encore plus ce message.
:
Je vous remercie de cette question. C'est une question intéressante sur le processus.
Tout d'abord, je suis entouré d'un excellent groupe d'avocats, tant au ministère de la Justice que dans mon équipe politique. Nous sommes généralement très attentifs à cela.
La Cour suprême du Canada nous a donné une feuille de route à suivre pour ce genre d'affaires. La clause dérogatoire est envisageable. Elle fait partie de la Constitution. Je crois qu'elle ne doit être utilisée qu'en dernier recours — c'était la volonté des auteurs de la Constitution en 1982 — et seulement lorsqu'il n'y a pas d'autres options, parce qu'avec la clause dérogatoire, on empiète sur les droits des gens. En l'espèce, la Cour suprême nous a donné deux moyens de le faire sans empiéter sur les droits des gens, et nous avons choisi l'un d'eux.
Par ailleurs, cette disposition particulière avait le mérite d'avoir été examinée depuis l'affaire Daviault en 1993. Nous étions au fait d'un corpus d'opinions existantes émises par des personnes qui avaient déjà estimé que cette disposition particulière était inconstitutionnelle, ce qui nous donnait une longueur d'avance.
À partir de là, les processus habituels au sein du ministère de la Justice et le processus de consultation nous ont permis de proposer quelque chose assez rapidement en nous appuyant sur la feuille de route de la Cour suprême.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, j'aimerais obtenir votre avis sur une question un peu plus large que le projet de loi .
Lorsqu'on étudie certains aspects de la législation en matière de droit criminel, le principal écueil est souvent que les victimes ont l'impression de ne pas avoir été consultées et de ne pas être prises en compte dans le processus judiciaire.
En examinant le projet de loi sur l'intoxication volontaire extrême, je me dis que les critiques les plus virulentes à son égard viendront sans doute des victimes, et ce, probablement avec raison. Elles vont dire avoir été violées, blessées ou autre par une personne, homme ou femme, prétextant avoir été dans un état d'intoxication extrême involontaire. Cet aspect du projet de loi risque de prêter le flanc à des critiques de la part des victimes. L'avez-vous examiné?
Les victimes de ces crimes, surtout de crimes violents, ne devraient-elles pas être prises davantage en considération dans le processus judiciaire? Par exemple, elles pourraient être parties au procès et participer aux décisions si elles le souhaitent. Je sais que l'administration de la justice relève des provinces et vous comprendrez que je ne veux pas vous amener sur ce terrain. Cependant, en matière de législation de fond en droit criminel, n'y a-t-il pas certains aspects qui pourraient être couverts par le gouvernement fédéral, par exemple dans le Code criminel, afin que les victimes soient davantage prises en considération?
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je vais vous poser une question que je n'avais pas l'intention de vous poser, mais nos collègues ont élargi la portée de la discussion.
Nous venons de recevoir un rapport selon lequel la violence conjugale est en hausse pour la septième année consécutive, et la gravité de cette violence augmente aussi. En 2019, par exemple, 77 homicides ont été commis par des partenaires intimes. En 2020, il y en a eu 84, et en 2021, 90. Ce comité a recommandé à deux reprises au gouvernement un ensemble de mesures visant à lutter contre la violence conjugale, et l'une des choses suggérées était de criminaliser le contrôle coercitif.
Pensez-vous que la criminalisation du contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes serait un outil utile pour combattre la violence conjugale?
:
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'être ici. C'est toujours un plaisir de vous recevoir.
J'aimerais revenir sur vos premières affirmations, à savoir que l'intoxication n'excuse pas les agressions sexuelles. Je pense que c'est une chose sur laquelle nous sommes tous d'accord autour de cette table. Ce problème est une véritable épidémie, non seulement en ce qui concerne l'éducation, mais aussi la fréquence des agressions.
Ma collègue, Mme Diab, a abordé ce point, et je veux éclaircir les choses. J'ai interprété votre déclaration comme étant une déclaration d'ordre moral: si vous avez bu quelque chose, ou si vous avez beaucoup bu, cela ne vous excuse pas d'avoir porté atteinte à la dignité sexuelle d'une personne et de ne pas avoir obtenu son consentement pour le faire. En réalité, ce que nous avons — et l'article 33.1 le reconnaît —, c'est une défense d'intoxication extrême. Elle est peut-être rarement utilisée, mais elle existe quand même.
Est‑ce que ce que je dis a du sens?
:
Merci. Nous pourrions en discuter à une date ultérieure.
L'un des problèmes que nous rencontrons avec les nouvelles lois — comme vous le savez —, c'est que nous avons 10 provinces et 3 territoires, et que la loi sera mise à l'épreuve dans chacun d'entre eux. Elle sera mise à l'épreuve dans les tribunaux de première instance. Elle ira ensuite en cour d'appel, puis à la Cour suprême du Canada. Le coût de ces litiges se chiffre probablement en centaines de millions de dollars.
Il y a un moyen de contourner cette situation, et c'est par un renvoi à la Cour suprême du Canada, laquelle pourrait trancher la question de savoir si l'article 33.1 modifié est, à son avis, constitutionnel ou inconstitutionnel. Est‑ce qu'on a pensé à cela? L'une des choses qui ressortent des consultations, à mon avis, et dont nous parlons aujourd'hui, c'est l'incertitude. Un renvoi nous apporterait la certitude.
Ce que je veux savoir, c'est si on a pensé à un renvoi à la Cour suprême du Canada.
Je tiens à remercier M. Lametti d'être venu et de s'être généreusement attardé un peu plus longtemps, car nous avons commencé avec un peu de retard. Nous vous remercions.
Je pense que ses collaborateurs vont rester avec nous. Je vais donc lui donner une minute pour partir.
De la Section de la politique en matière de droit pénal, nous accueillons Matthew Taylor, avocat général et directeur, et Joanne Klineberg, avocate-conseil. Je pense que Mme Klineberg est en vidéoconférence. De la même section, nous avons également Chelsea Moore, avocate. Ce sont nos témoins pour la dernière heure.
Merci encore une fois, monsieur Lametti.
La parole est maintenant à M. Caputo, sur Zoom, pour le premier tour de six minutes.
:
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup de votre présence, madame Moore et monsieur Taylor. J'avais une autre question pour le ministre, alors c'est à vous que je vais la poser. Elle concerne le renvoi.
Je ne suis absolument pas un expert des litiges constitutionnels. D'après ce que j'ai compris — et corrigez-moi si je me trompe —, si on veut contester la loi, il n'est pas nécessaire de se fonder sur le cas précis dont le tribunal est saisi. La contestation peut être fondée sur un cas hypothétique raisonnable. Est‑ce que c'est ce que vous comprenez aussi?
Oui.
Le ministre a effectivement souligné — et je paraphrase ses propos — que ces cas seront assez rares, mais qu'il n'est pas nécessaire que le tribunal soit saisi d'un cas hypothétique raisonnable, compte tenu de la rareté des cas; on peut simplement plaider dans ce rare cas.
Est‑ce que vous me suivez? D'accord.
Il n'est pas simplement question d'une cause rare qui va être plaidée, ou même d'une cause rare qui va se traduire par une invalidation; il est possible qu'une cause rare soit plaidée et présentée comme un cas hypothétique raisonnable dont la Cour n'est pas saisie.
Est‑ce que cela ne signifie pas que nous devrions peut-être faire un renvoi à la Cour suprême du Canada, afin de nous assurer que nous faisons bien les choses? J'ai évidemment voté en faveur de la loi, alors vous connaissez ma position, mais je veux simplement avoir la loi la plus rigoureuse possible.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, s'il vous plaît.
Je pense que le ministre Lametti a déjà parlé du processus de réflexion qu'il a suivi pour prendre la décision de présenter le projet de loi et de ne pas faire un renvoi à la Cour.
Comme il l'a dit, la Cour suprême et l'arrêt Brown nous ont fourni une sorte de feuille de route. Cela a évidemment influencé le travail que le ministère a fait pour aider le gouvernement à présenter le projet de loi, en notant que les considérations relatives à la Charte sont détaillées dans l'Énoncé concernant la Charte. Comme vous le savez, la loi adoptée avec le projet de loi s'inspire de la loi qui l'a précédée.
La dernière chose que je pourrais dire — et mes collègues peuvent intervenir —, c'est que la norme en matière de négligence criminelle est un critère minimal utilisé pour établir la culpabilité de l'accusé qui est bien compris et accepté, et qui est également fondé sur les directives de la Cour suprême.
Je pense que tous ces éléments pris ensemble fournissent le contexte qui explique la voie choisie.
Jesuis désolé. Je n'ai pas souhaité la bienvenue aux témoins qui comparaissent par vidéoconférence. Je regarde l'écran maintenant. Mes plus plates excuses pour cet oubli.
Vous avez parlé de la feuille de route. Comme mon collègue, M. Garrison, l'a fait remarquer, il y avait deux avenues, et nous en avons emprunté une. Je répète que j'ai voté en faveur du projet de loi, mais je m'en voudrais de ne pas poser une question qui mérite d'être soulevée.
Je vous cite un extrait du paragraphe 98 de la décision Brown:
Le problème du caractère volontaire pourrait peut-être être évité si le Parlement créait une infraction d'intoxication dangereuse ou d'intoxication causant des lésions dont l'un des éléments serait l'intoxication volontaire. Dans le cas de cette infraction hypothétique, l'essence de l'infraction est l'intoxication volontaire, et non l'acte involontaire qui s'ensuit.
En voici un autre:
Ce n'est toutefois pas ce que le Parlement a édicté, en ce sens que l'article 33.1 expose l'accusé au risque d'une déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction visée au paragraphe 33.1(3) et non de l'intoxication extrême, qui n'est pas en soi un acte illégal.
Ces extraits constituent pratiquement une invitation de la Cour à suivre cette avenue. Je sais très bien, comme vous tous dans cette salle, que nous adhérons au principe de souveraineté parlementaire voulant que nous prenions nos propres décisions. Je me souviens également des commentaires du ministre, qui a souligné qu'il faudrait porter des accusations pour deux infractions au lieu d'une. Il y aurait tout d'abord l'agression sexuelle, puis la négligence criminelle causée par l'intoxication extrême, à savoir l'agression sexuelle.
Y avait‑il des préoccupations concernant la possibilité que la Cour nous invite à aller dans cette direction, ou qu'elle nous dise, peut-être, que c'était la voie la plus sûre?
J'aimerais entendre vos commentaires à ce propos.
:
Merci pour la question.
Comme vous l'avez mentionné, deux choix ont été fournis par la Cour suprême du Canada, et le Parlement a choisi une de ces solutions.
Quant à l'infraction distincte, l'option dont vous venez de parler, ce serait une infraction distincte d'intoxication dangereuse, par exemple. La personne ne serait pas reconnue coupable de l'infraction de violence sous-jacente, telle que l'agression sexuelle ou les voies de fait, mais plutôt d'intoxication dangereuse.
Lorsque cette question a refait surface à la suite de la rédaction de la disposition originale en 1995, la similitude avec les peines à rabais pour ivresse a suscité des préoccupations, puisque l'individu n'allait peut-être pas porter les mêmes stigmates ou écoper de la même gamme de sentences que s'il était inculpé de l'infraction sous-jacente d'agression sexuelle.
L'autre problème avec l'infraction distincte est que seul l'accusé aurait en sa possession la preuve de son intoxication, en l'occurrence les substances qu'il a consommées. Comme la Couronne ne serait pas forcément en possession de cette preuve, ce serait très ardu pour elle de prouver l'intoxication dangereuse.
:
Merci, monsieur le président.
Je vais poursuivre dans le même ordre d'idées que Mme Dhillon. En fait, elle m'a un peu volé ma question.
Ne trouvez-vous pas un peu paradoxal qu'un individu s'étant volontairement placé dans une situation d'intoxication extrême, une situation très rare selon les dires du ministre, puisse commettre un crime, mais prétendre ensuite qu'il ne peut pas en être reconnu coupable puisqu'il était dans un état d'intoxication extrême?
Dans le cas d'une intoxication involontaire, comme si quelqu'un mettait de la drogue dans mon verre, je peux comprendre. Par contre, on parle ici d'un individu qui s'est volontairement intoxiqué, pas de quelqu'un qui a pris cinq verres de vin et dont l'alcoolémie dépasse la limite permise de 0,08 % pour conduire, mais de quelqu'un en état d'intoxication extrême et qui s'est volontairement placé dans cette situation.
Je sais qu'on peut invoquer ce motif de défense sans succès. Cependant, avez-vous des exemples de cas où on pourrait l'invoquer avec succès? J'ai beaucoup de difficulté à en imaginer.
:
Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être présents parmi nous aujourd'hui.
Nous parlons de la défense d'intoxication extrême, et dans quelles circonstances et à quel moment elle peut être invoquée par le prévenu.
Dans son témoignage plus tôt aujourd'hui, le ministre a expliqué que pour invoquer cette défense, l'accusé doit d'abord produire une preuve d'expert indiquant qu'il était bel et bien en état d'intoxication extrême. M. Lametti a vulgarisé le concept en disant que l'individu qui se trouve dans cet état ne contrôle plus son corps, même si ce dernier fonctionne. Si je comprends bien, dès que le juge ou le jury est satisfait de la preuve, c'est ensuite à la Couronne de prouver que l'accusé a fait preuve de négligence.
Nous avons un commentaire de la professeure Kerri Froc, de l'Université du Nouveau-Brunswick, qui a relevé les aspects problématiques du projet de loi. Mme Froc craint que ces aspects érigent des obstacles presque insurmontables pour la poursuite d'individus en état d'intoxication qui commettent des actes de violence envers les femmes. Elle propose ensuite de réviser encore plus l'article 33.1 pour inverser le fardeau de la preuve de façon à ce que l'accusé doive prouver qu'il n'a pas agi déraisonnablement. Il est plus facile pour l'accusé de se défendre que pour la Couronne d'établir la preuve. Qu'en pensez-vous? Cela me semble une option raisonnable.
:
Je ne peux pas parler des avantages de cette approche, mais je peux vous fournir des considérations juridiques concernant le fardeau de la preuve.
Tout d'abord, dans le droit criminel, la plupart du temps, c'est la Couronne qui doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments de l'infraction. Tout doute raisonnable doit se solder par l'acquittement de l'accusé. Ce principe a été reconnu pour la première fois en 1935 par la Chambre des lords à Woolmington. Également connu sous le nom de présomption d'innocence, il a été inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés en 1992. La jurisprudence sur la présomption d'innocence ne fait pas dans la nuance: dès qu'une personne peut être déclarée coupable sans doute raisonnable, les tribunaux concluent à une violation de la présomption d'innocence, qu'il faut ensuite justifier au titre de l'article 1 de la Charte.
Il faut se demander si l'inversion du fardeau de la preuve exigeant que l'accusé invoque la défense d'intoxication extrême est préconisée parce que ces cas comportent un élément de déficience mentale — par exemple, si un individu qui souffre de troubles mentaux ou qui se trouve dans un état d'automatisme sans aliénation mentale commet une infraction lors d'une crise de somnambulisme ou d'épilepsie. La Cour suprême a indiqué que dans ces cas, ce serait extrêmement difficile pour la Couronne de prouver une déficience mentale due à un dysfonctionnement du cerveau de l'accusé. La Cour suprême a justifié, pour ce type de cas, l'inversement du fardeau de la preuve qui contraint l'accusé à démontrer par prépondérance des probabilités qu'il était dans cet état, car il est très important de vérifier que l'inversement du fardeau de la preuve dans ces circonstances est justifiable au titre de l'article 1 de la Charte.
Voilà certaines choses que vous pourriez vouloir examiner.
:
Je vous remercie de votre question.
Selon la Cour suprême, l'ancienne version de l'article 33.1 présumait que l'accusé avait fait preuve de négligence au moment de la consommation, sans que la Couronne ait à le prouver. L'ancienne version permettait donc de déclarer coupable un individu en état d'intoxication s'apparentant à l'automatisme, mais qui ne pouvait pas prévoir qu'il le serait et ayant commis un acte de violence à l'endroit d'une autre personne pendant qu'il l'était. L'ancien article 33.1 avait pour objectif de reconnaître un individu coupable de cet acte de violence, comme une agression sexuelle ou un homicide involontaire.
Par contre, cette ancienne version pouvait aussi mener à la condamnation d'un individu ayant commis un acte de violence alors que son état mental était altéré et qu'il n'était pas en mesure de contrôler ses actes. C'était la raison principale invoquée pour parler d'une violation des droits fondamentaux.
La nouvelle version de l'article 33.1 rectifie la situation en redéfinissant les infractions d'agression sexuelle, de voies de fait et d'homicide involontaire. La nouvelle définition repose non pas sur la nature intentionnelle et volontaire de l'acte de violence commis par l'individu, mais sur la nature négligente de la consommation d'une substance intoxicante pouvant mener l'individu à perdre le contrôle et à devenir violent.
Désormais, la Couronne doit prouver qu'il y a eu négligence en lien avec la consommation, créant le risque de violence. C'est maintenant un élément essentiel. Si la Couronne établit que l'individu n'a pas fait preuve de suffisamment de diligence pendant la période de consommation et si la violence qui en est découlée diminue une heure plus tard, l'individu peut être déclaré coupable de cette violence pour cause de négligence de sa part lors de la période de consommation.
:
Merci, monsieur Fortin.
Je tiens à remercier tous les témoins pour leur excellent témoignage aujourd'hui et pour nous avoir aidés à comprendre le projet de loi . Nous vous en sommes reconnaissants.
Nous devons discuter de certains points d'ordre administratif. Les témoins peuvent quitter la réunion. Vous pouvez très bien rester pour nous écouter, mais vous êtes libres de partir.
J'aimerais parler du programme des prochaines réunions. Le jeudi 27 octobre, nous allons accueillir durant la première heure les professeures Elizabeth Sheehy, Kerri Froc et Isabel Grant. Durant la deuxième heure, un seul témoin est prévu pour l'instant, et il s'agit de Suzanne Zaccour.
Le lundi 31 octobre, nous allons recevoir Hugues Parent, de l'organisme Action Now Atlantic. Durant la deuxième heure, nous allons accueillir Farrah Khan du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.
Jusqu'à maintenant, trois témoins ont décliné notre invitation. Il s'agit de l'Association du Barreau canadien, du Barreau du Québec et de Robin Parker.
Je tiens aussi à vous informer que le Service des poursuites du Manitoba a demandé à témoigner, même s'il n'a pas reçu d'invitation à comparaître. Je vous demande s'il y a consensus pour l'inviter à témoigner. À moins que quelqu'un ne s'y oppose, je vais l'inviter à comparaître lors de cette réunion ou celle du 3 novembre. Je pense qu'il est possible d'ajouter un témoin le 3 novembre.
Puisque personne ne s'y oppose, je vais inviter cet organisme à comparaître.
Il y aura donc cet autre témoin à notre réunion du 3 novembre, qui devrait être une réunion de deux heures. Ensuite, nous fournirons à notre analyste des instructions pour la rédaction du rapport.
Monsieur le greffier, est‑ce que j'ai oublié quelque chose?