Bienvenue à la 67e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 22 mars 2023, le Comité se réunit en public pour commencer son étude du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes).
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022. Les députés assistent à la réunion en personne dans la salle, ou à distance à l'aide de l'application Zoom.
Étant donné que notre témoin est un député et qu'il sait déjà comment utiliser les fonctions de Zoom et d'interprétation à la Chambre — je pense qu'il n'y a personne à l'extérieur qui ne le sait pas —, je n'entrerai pas dans les détails.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Colin Carrie, député d'Oshawa, parrain du projet de loi , qui sera avec nous pendant la première heure de notre réunion.
Bienvenue au Comité, monsieur Carrie. Vous avez cinq minutes pour prononcer votre déclaration liminaire, et nous passerons ensuite aux questions des membres.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Aujourd'hui, je parlerai du projet de loi , un projet de loi non partisan qui a été adopté à l'unanimité au Sénat le 6 octobre 2022.
Ce projet de loi a vu le jour sous la forme du projet de loi , que j'ai eu l'honneur de déposer à la Chambre le 17 juin 2019. Malheureusement, il est mort au Feuilleton.
Je tiens à remercier la sénatrice Ataullahjan d'avoir embrassé cette cause et d'avoir réussi à faire adopter ce texte de loi au Sénat. Je tiens à remercier pour son engagement sans faille à mettre fin à la traite de personnes. Je tiens également à remercier une formidable communauté constituée de sympathisants, de victimes, de mères et de pères, de survivants et de nombreuses autres parties prenantes.
Je veux vous raconter l'expérience d'une survivante que j'ai entendue récemment lors d'un forum organisé par le Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l'esclavage moderne et la traite des personnes. Alexandra nous a raconté ce qu'elle a vécu:
C'est à l'âge de 20 ans que je suis entrée dans l'industrie du sexe. J'étais adulte, j'avais dépassé l'âge du consentement et j'étais capable de prendre des décisions éclairées pour mon propre corps. Je pensais que je prenais le contrôle de ma sexualité en l'utilisant à des fins personnelles. Je n'ai jamais considéré mon petit ami comme un proxénète. Et je n'ai certainement jamais pensé que j'étais victime de traite de personnes. Ce n'est que 10 ans après avoir vécu cela que j'ai appris que j'avais été une victime de la traite de personnes.
Elle a poursuivi en disant:
Voilà la réalité que vous devez comprendre: j'ai fait des choix et j'ai été manipulée. Je croyais être une adulte consentante et autonome et j'ai été exploitée par mon petit ami.
La police aurait très probablement conclu que la situation d'Alexandra ne correspondait pas aux critères qu'elle applique et qui sont plutôt axés sur l'état d'esprit de la victime. Or, Alexandra n'avait pas peur.
L'objectif du projet de loi est d'harmoniser les lois canadiennes avec le droit international, conformément au Protocole de Palerme, que notre pays a ratifié en 2002, et de mettre l'accent sur les actes du trafiquant. Il facilitera les condamnations de ceux qui participent à la traite de personnes au Canada en modifiant la définition des infractions d'exploitation et de traite de personnes dans le Code criminel, de sorte que la Couronne ne soit plus tenue de prouver qu'une personne raisonnable dans la situation de la victime craignait pour sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît. Ainsi, le fardeau de la preuve incombera à l'auteur de l'infraction plutôt qu'aux personnes survivantes.
La disposition actuelle du Code criminel se lit comme suit:
279.04(1) Pour l'application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l'amène à fournir ― ou à offrir de fournir ― son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s'attendre, compte tenu du contexte, à ce qu'ils lui fassent croire qu'un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît.
La définition du Protocole de Palerme diffère de la nôtre en ce qu'elle considère que la traite de personnes comporte trois éléments distincts: l'acte, les moyens et la finalité. L'expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force, l'abus d'autorité ou la tromperie aux fins d'exploitation. Cela ne figure pas dans le Code criminel du Canada.
Chers collègues, les condamnations font cruellement défaut au Canada. Les dernières données de Statistique Canada sont vraiment éloquentes. Elles ont été publiées en mai 2021 et montrent les graves difficultés auxquelles la police est confrontée lorsqu'elle tente d'obtenir une condamnation, et la situation ne fait qu'empirer. L'examen des décisions judiciaires de 2018‑2019 en fonction des chefs d'accusation montre que, dans l'ensemble, la grande majorité des accusations de traite de personnes — 89 % — ont donné lieu à une suspension, à un retrait ou à un rejet de l'accusation, ou à un acquittement. Moins d'une accusation sur 10 — 7 % — a mené à un verdict de culpabilité.
J'aimerais que les membres du Comité s'arrêtent un instant et réfléchissent à la situation des victimes de la traite de personnes au Canada. Un crime est commis. Il ne fait aucun doute que les actes ont été commis, mais en vertu de la loi canadienne, la victime doit prouver sa peur pour qu'il y ait condamnation.
Pour souligner l'absurdité de la situation, appliquons cette exigence à un autre crime. Imaginons qu'une personne que je connais vienne me poignarder. Comment pourrais‑je prouver que j'ai eu peur dans cette situation? L'auteur du crime serait‑il condamné s'il existait des preuves de son crime, mais que la peur ne pouvait être prouvée? Je vous pose la question: pourquoi traitons-nous si différemment le crime que constitue la traite de personnes? Ce phénomène est un fléau qui touche principalement les jeunes vulnérables et leurs familles partout au Canada.
Ce changement qui aurait dû être apporté il y a longtemps est régulièrement évoqué par les parties prenantes dans l'ensemble du pays et à l'échelle internationale. Les jeunes vulnérables considèrent souvent leur agresseur comme leur ami et pensent qu'il s'occupe d'eux et les aime. Souvent, la Couronne s'appuie sur le témoignage de la victime, qui est la seule preuve contre le trafiquant. Sans le témoignage de la victime, il n'y a pas de cause. Au Canada, il faut parfois des années avant de pouvoir saisir la justice. Les victimes peuvent alors être victimisées encore et encore. En général, il n'y a pas de condamnation.
Le Protocole de Palerme a été adopté en novembre 2000. Il a été signé par 117 pays, dont le Canada. Bien que 22 années se soient écoulées, ce changement minime, mais important n'a toujours pas été apporté au Code criminel.
La traite de personnes ne cesse d'augmenter. Les trafiquants recherchent des jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie, de traumatisme, de dépendance, de maltraitance et d'itinérance. Les femmes et les filles, les enfants autochtones, les nouveaux immigrants, les personnes handicapées, les personnes LGBTQ2+ et les travailleurs migrants font partie des groupes les plus à risque.
Nous devons donner aux victimes tous les outils possibles pour leur permettre de retrouver leur dignité, leur humanité. Le projet de loi est un outil supplémentaire, et ce changement était attendu depuis longtemps.
Je vous remercie, chers collègues. Je serai ravi de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Bienvenue au comité de la justice, monsieur Carrie. Je vous remercie de la passion avec laquelle vous défendez cet important projet de loi.
Je vous ai écouté très attentivement. Tout ce que vous avez dit était très instructif. J'ai surtout retenu les données, et je crois que c'est ce que vous avez dit de plus surprenant. Malgré la prévalence de ce fléau social que vous avez bien cerné — c'est un phénomène mondial, et le Canada a tendance à être un foyer d'activité criminelle, en particulier dans ce domaine — et la popularité de ce crime particulier, le système de justice pénale laisse malheureusement tomber trop de victimes, en particulier des victimes vulnérables issues de communautés marginalisées, comme les femmes et les filles autochtones et les membres de la communauté LGBTQ.
Je pense que c'est une étape importante des efforts déployés pour remédier à ces méfaits. Je peux dire qu'en tant que procureur, je n'ai jamais vraiment eu la possibilité de poursuivre une personne accusée de traite de personnes. Inévitablement, la police reconnaît la difficulté pour les procureurs de prouver ces infractions et opte pour d'autres infractions du Code criminel afin de faciliter la tâche des procureurs.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de cet aspect, de cette question en particulier. J'ai pris le temps de revoir les interventions de la sénatrice Ataullahjan au Sénat lors de l'une des études en comité, et ce qui m'est revenu à l'esprit, c'est ce qu'elle a dit, à savoir qu'à son avis, les procureurs seraient davantage en mesure de prouver les faits, ce qui permettrait à un plus grand nombre de victimes de se manifester sans qu'il soit nécessaire de prouver l'élément de peur au tribunal. Elle a également mentionné que le fardeau de la preuve ne pèserait plus sur le procureur et qu'il serait relayé ou transféré à l'accusé.
Ce dernier aspect me préoccupe, mais j'aimerais vous entendre sur les deux premiers aspects.
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Merci beaucoup, monsieur Brock. Votre expérience m'inspire beaucoup de respect.
J'aimerais tout d'abord parler des données. Elles sont extrêmement troublantes. En 2015, selon le dernier rapport de Statistique Canada... Il y a eu environ 300 cas signalés par tranche de 100 000 habitants. En 2019, le nombre de cas signalés est passé à 500, ce qui représente une augmentation de 40 % en quatre ans seulement.
Nous savons que la COVID et toutes les choses qui se passent actuellement dans notre pays contribuent à faire grimper les chiffres, ce qui est incroyablement inquiétant.
Vous avez mentionné les observations de la sénatrice Ataullahjan au Sénat. Je pense qu'elle a fait de l'excellent travail.
En réalité... Dans quel genre d'univers exige‑t‑on d'une victime qu'elle fasse la preuve au tribunal de la peur que lui inspirait son trafiquant? Ces victimes sont parfois des enfants — je pense que 25 % des victimes de la traite ont moins de 18 ans — qui dépendent parfois, très souvent, de leur trafiquant pour les besoins essentiels de la vie, tels que la nourriture et le logement.
Grâce à ce changement tant attendu à la définition — nous avions d'ailleurs décidé il y a 23 ans de procéder à ce changement —, nous ajoutons un outil supplémentaire à la boîte à outils. C'est assurément une question très complexe. Ce n'est pas la panacée, mais les procureurs disposeront d'un outil supplémentaire pour permettre à un plus grand nombre de victimes de recourir à la justice. Désormais, les victimes n'auront plus à prouver qu'elles craignaient leurs agresseurs, ce qui, dans de nombreux cas, même dans l'exemple que j'ai cité, n'est tout simplement pas le cas.
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Je pense que c'est vrai. Quand on regarde la réalité au Canada, il y a tellement de raisons pour lesquelles les victimes ne veulent pas se manifester. Dans d'autres pays, par exemple, les peines sont plus sévères et plus claires.
Si un jeune, en particulier, est victime de la traite, imaginez la peur qu'il éprouve devant le tribunal, la stigmatisation. La définition actuelle, par exemple, contient le terme « raisonnable ». Vous êtes avocat. Les avocats sont très intelligents; ils connaissent le système. Le terme « raisonnable » donne lieu à l'introduction d'éléments tels que les stigmates qui entourent la traite de personnes et d'autres facteurs qui peuvent être invoqués pour semer le doute.
Très souvent, les victimes se rétractent; elles vivent dans la crainte de ces trafiquants. Elles connaissent également les peines encourues et savent que le trafiquant sera libéré plus tôt. Il ne s'agit pas d'une solution miracle, mais d'un outil supplémentaire qui permettra aux procureurs de la Couronne de traduire en justice un plus grand nombre de personnes et, nous l'espérons, d'obtenir davantage de condamnations.
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Il est extrêmement important de faire cette distinction.
Lorsqu'on examine la prostitution et la traite de personnes, il est important de comprendre que la traite de personnes ne se limite pas à la prostitution. L'un des cas les plus graves que nous ayons connus au Canada concernait des travailleurs qui avaient été amenés dans ce pays et dont les trafiquants menaçaient la famille restée au pays. Cette situation est assez fréquente.
La différence entre la traite de personnes et la prostitution tient au fait qu'il faut une tierce partie dans la traite de personnes. Autrement dit, les gens ne se trafiquent pas eux-mêmes.
Par exemple, je serais le trafiquant si je vous livrais à quelqu'un d'autre et si j'étais en mesure de contrôler la situation. La prostitution en elle-même n'est pas nécessairement un trafic de personnes. Je pense qu'il est important de faire cette distinction.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Carrie. Je vous remercie de votre présence.
Je vous écoute depuis le début, et je dois dire que vous nous présentez cela de manière sensée. Cela dit, je suis resté sur ma faim pour ce qui est de l'appréhension raisonnable de crainte. Au cours des dernières années, plusieurs travaux du Comité ont porté sur la question des services sexuels et de la traite des personnes, entre autres.
À mon grand étonnement — je n'y connaissais rien —, j'ai appris que des femmes, des hommes et des personnes qui se prostituent embauchent parfois un garde du corps, un chauffeur ou quelqu'un qui note les rendez-vous. Ces personnes sont venues témoigner devant le Comité pour nous demander de préserver leur droit de travailler de façon structurée, dans des conditions plus favorables. On peut être d'accord ou non sur cela, mais c'est ce qu'on nous a dit. Au fond, le message que ces gens nous ont transmis était que, tant qu'ils étaient d'accord, tant qu'ils étaient l'acteur principal, si je peux m'exprimer ainsi, cela devrait être permis.
Or vous supprimez l'exigence selon laquelle la victime devrait avoir une appréhension raisonnable de crainte. Cela me chicote un peu et je me demande vers quoi cela se dirige. Si la personne qui se prostitue engage quelqu'un pour prendre ses rendez-vous, et que celle-ci lui dit qu'elle va devoir travailler jeudi soir, de 19 heures à 22 heures, va-t-on dire qu'elle incite la personne à se prostituer, que c'est une forme d'intervention dans le but de la traite de personne, alors que, au fond, c'est la personne qui se prostitue qui a décidé de faire tenir son agenda par cette personne?
Mon exemple peut sembler un peu boiteux, mais ce sont des concepts qui m'agacent un peu. Comme je l'ai dit, tout cela ne m'est pas très familier, mais il m'apparaît raisonnable que la personne qu'on exploite doive témoigner d'une appréhension raisonnable. Êtes-vous d'accord avec moi sur cela?
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D'abord, monsieur Fortin, je vous remercie beaucoup de votre question.
[Traduction]
Je vous dirais qu'une personne qui se livre à la prostitution et qui engage quelqu'un pour son activité est un cas où cette personne fait ce choix. Les personnes qu'elle engage pour prendre des rendez-vous, etc., font partie de ce choix unique.
Ce que j'essaie de comprendre avec ce projet de loi... Je vais essayer d'utiliser la même analogie que vous.
Supposons un instant que vous puissiez imaginer le pire être humain qui soit. C'est une personne qui ment et qui contraint. Il vous a recruté. Il l'a fait par la force. Il l'a fait et vous a peut-être fourni de l'héroïne. Il vous a peut-être enfermé dans votre chambre et vous a interdit d'aller aux toilettes tant que vous ne sortiez pas et que vous acceptiez de faire ce qu'il veut que vous fassiez. Il dit qu'il a besoin que vous lui rapportiez 1 000 $.
Vous travaillez dans cette situation pendant un certain nombre d'années et vous nouez une relation avec cette personne. Vous commencez à le considérer comme un petit ami. Après un certain temps, il vous dit qu'il veut que vous vous occupiez des trois autres employées de son entreprise. Il veut que vous les battiez. Il veut que vous vous occupiez d'elles. C'est à vous de lui faire gagner 1 000 $ par fille. Si vous ne le faites pas, il vous battra encore plus. Il va peut-être vous refuser le chiot qu'il vous a acheté et qui est la seule chose que vous aimez. Il dit qu'il va le tuer. Il s'en prendra à votre famille, à votre frère ou à votre sœur.
C'est la différence. Il s'agit d'une personne qui exerce une contrainte criminelle et profite de quelqu'un. Très souvent, il s'agit d'une personne très jeune.
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C'est un bon exemple, monsieur Carrie.
Vous nous parlez de violence et de menaces, entre autres, et nous reviendrons là-dessus. Toutefois, dans une situation comme celle-là, il me semble que la victime n'aurait aucune difficulté à convaincre un tribunal qu'elle a une appréhension raisonnable. C'est assez évident, dans l'exemple que vous donnez. Si elle n'a pas de crainte, cela m'embête un peu.
À l'alinéa 279.04(1)b), on dit qu'une personne en exploite une autre si elle utilise ou menace d'utiliser la force ou toute autre forme de contrainte, si elle a recourt à la tromperie ou à la fraude ou si elle abuse de son pouvoir ou de la confiance de la personne. C'est assez exhaustif. Toutefois, vous ajoutez « commet tout autre acte semblable ». Quand je lis cela, je reviens à ma question précédente: quels sont les actes semblables qui pourraient servir à faire condamner quelqu'un?
Je vais reprendre mon exemple. Si une personne qui se prostitue engage un chauffeur, une personne qui prend ses rendez-vous ou quelqu'un d'autre, et que ces gens lui disent qu'elle doit venir travailler parce qu'elle leur a demandé de travailler ce soir-là et qu'ils ont d'autres choses à faire, est-ce que cela devient un « acte semblable »? Je ne le sais pas.
Je trouve qu'on ratisse assez large, avec ces quelques mots. J'aime beaucoup le côté succinct de votre projet de loi, mais je trouve que cela ratisse large et que c'est un peu inquiétant.
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Je vous remercie, monsieur Garrison.
C'est la définition exacte. C'est le Code criminel, et c'est la définition de traite de personnes:
Pour l'application des articles 279.01 et 279.03, une personne en exploite une autre si, par ses agissements, à la fois:
a) elle l'amène à fournir — ou à offrir de fournir — son travail ou ses services;
Autrement dit, c'est une situation mettant en cause un tiers. Vous avez soulevé ce point, et je pense que c'est ce que vous vouliez dire. Le libellé se poursuit ainsi:
b) à l'égard de toute personne, elle utilise ou menace d'utiliser la force ou toute autre forme de contrainte, elle recourt à la tromperie ou à la fraude, elle abuse de son pouvoir ou de la confiance de la personne ou elle commet tout autre acte semblable.
On craint que ce soit trop vaste.
Ce libellé a été inséré dans le projet de loi pour reprendre les principales méthodes utilisées par les trafiquants dans le protocole de Palerme, mais il n'est pas exhaustif. Il y a de nombreuses méthodes que les trafiquants peuvent utiliser pour garder le contrôle sur la victime.
De plus, l'inclusion de cette expression à la fin, « tout autre acte semblable », permet à la mesure législative d'être souple et aux tribunaux de rester cohérents avec les technologies en constante évolution. Les trafiquants utilisent de nouvelles méthodes pour contrôler leurs victimes. Avec les nouvelles technologies, ils trouvent de nouveaux moyens. C'était l'objectif.
S'il s'agissait d'une situation de prostitution, elle ne devrait même pas être prise en compte dans cette définition.
Cela vous semble‑t‑il logique, monsieur Garrison?
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Monsieur Garrison, merci beaucoup de ces remarques. Je vous suis également reconnaissant du fait que vous écoutiez les policiers sur le terrain. Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce projet de loi, c'est exactement ce que j'ai fait: parler. J'ai cherché à savoir ce qui se passait sur le terrain.
Je crois aussi que ce que vous avez dit est exact. Les ressources ne sont pas là. Si l'on examine les rapports des dernières années, on constate que les rapports les plus importants proviennent de l'Ontario — qui représente 30 % de la population, mais 60 % des rapports — et de la Nouvelle-Écosse.
Vous allez recevoir d'autres témoins, et je vous demanderais de leur poser également cette question. Il est difficile de le prouver, mais je pense que, selon certaines personnes, plus ils investissent dans les ressources pour les signaler, plus nous recevons de signalements. J'ai parlé à des membres du service de police régional de Durham à Oshawa. Je dois les féliciter. Même avec un très faible volume de ressources, ils font un travail fantastique.
Je félicite vraiment la police, car dans cette situation, nous savons désormais — et vous en êtes conscients — que les victimes ne font souvent pas confiance à la police. Elles ne veulent pas s'adresser à la police. L'idée est la suivante: que pouvons-nous faire d'autre, en tant que société, dans le cadre de cet enjeu très complexe de la traite des personnes, pour commencer à aborder certaines des autres questions qui doivent également faire l'objet d'une réforme?
Je pense toutefois que c'est un excellent début. Lorsqu'on examine les intervenants, on constate que la stratégie de l'Alberta, au premier point, consiste à changer la définition. Les Américains rédigent un rapport sur différents pays chaque année. Ils demandent au Canada de proposer une définition internationale. Comme vous le savez, monsieur Garrison, ce n'est pas une situation qui touche uniquement le Canada; c'est une situation qui transcende les frontières.
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Je dirais cependant que le protocole international a été rédigé il y a plus de 20 ans, à une époque où la compréhension du travail sexuel et de l'exploitation issue de la traite des personnes était beaucoup plus limitée qu'aujourd'hui. Je ne suis pas certain que ce soit un argument en faveur d'un retour à quelque chose qui a été écrit il y a une vingtaine d'années.
L'autre groupe auquel j'ai beaucoup parlé, bien sûr, est celui des travailleuses du sexe. Elles craignent les conséquences involontaires d'un élargissement de la définition de l'exploitation qui priverait d'autonomie les personnes qui, par choix positif ou en raison des circonstances dans lesquelles elles se trouvent, choisissent de se livrer au commerce du sexe et, ce faisant, emploient d'autres personnes pour les aider à gérer leur activité, à assurer leur sécurité, et toutes sortes d'autres choses.
Quand vous dites dans cette définition, « tout autre acte semblable », il y a une crainte que cette expression englobe des personnes qui ne se livrent pas à des actes d'exploitation, mais qui travaillent avec ceux qui le font pour rendre leur travail plus sûr.
Comment répondez-vous à cette préoccupation des travailleuses du sexe au Canada?
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Oui, je suis sûr qu'aucun d'entre nous autour de cette table ne souhaite qu'il y ait une autre victime de la traite des personnes. C'est un comportement coercitif qui vise réellement à priver une personne de sa dignité: sa dignité physique, sa dignité sexuelle et toutes sortes de choses. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que nous ne voulons pas que cela se produise.
Si nous parlons des taux de condamnation, monsieur Carrie, je pense que cela va vraiment de pair avec la nature du délit, qui est la manipulation. Dans bien des cas, il s'agit d'un abus de confiance et, règle générale, le seul moyen de prouver le bien-fondé de l'affaire est de passer par la victime. Il n'y aura pas d'autre mécanisme. Si les preuves ne proviennent pas de la victime, qui peut elle-même avoir été manipulée, qui a presque toujours été abusée et qui, souvent, est une personne marginalisée, il n'est pas surprenant que les taux de condamnation soient très bas. Je suis favorable à l'adoption d'une mesure législative qui permettrait aux tribunaux de s'attaquer à ce que je considère comme un fléau que nous sous-estimons dans notre société.
Vous avez parlé du fardeau de la preuve, et parfois, nous parlons du fardeau que la loi impose. Nous discutons beaucoup de l'inversion du fardeau de la preuve — et nous n'allons pas en parler ici —, mais vous avez mentionné le fardeau de la preuve. Je tiens à être clair. Il ne s'agit pas d'une inversion du fardeau de la preuve dans la loi, où il est question de... Je pense que vous avez dit que le fardeau de la preuve repose sur le comportement de l'accusé. Ce que je comprends dans ce cas‑ci, c'est que nous examinons ce que fait l'accusé et non pas ce que la victime perçoit. Est‑ce exact?
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Cela remplacera le libellé actuel. Je peux me tromper, mais l'affaire
Sinclair s'est déroulée en 2020, il n'y a pas si longtemps. Là encore, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. Lorsque le gouvernement fédéral défend son rôle, vous verrez les tribunaux provinciaux jouer un rôle. Cela a duré jusqu'en 2020. Les tribunaux disent maintenant qu'il n'est peut-être pas nécessaire de prouver que la victime a éprouvé de la peur, et les tribunaux peuvent l'interpréter comme bon leur semble.
Cela dépend du juge. Si nous changeons les choses comme je le suggère ici, la loi fédérale sera très claire sur ce que nous voulons dire. Il n'y aura plus de place à l'interprétation. Ce sera une certitude. J'ai évoqué cette affaire en Alberta où le juge a essentiellement dit: « Pourquoi ne pouviez-vous pas simplement vous serrer les genoux? »
Le projet de loi initial que j'ai présenté à la Chambre mentionnait que les juges devraient peut-être recevoir une formation pour comprendre les complexités de la traite des personnes. Ce n'est pas le cas dans ce projet de loi. Encore une fois, le choix a été fait que, selon toute vraisemblance, si nous prenons un plus petit morceau, il a plus de chances d'être adopté par la Chambre.
Cependant, il faut davantage d'éducation. Il faut tenir compte de tout un ensemble d'autres facteurs dans notre pays afin de contribuer à la lutte contre ce fléau qu'est la traite des personnes. Il s'agit d'un pas modeste, mais il aura une énorme incidence.
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Je pense que nous devons reconnaître qu'il y a différentes populations qui sont plus susceptibles d'être victimes de la traite des personnes, si nous regardons les données démographiques. Si cela vous intéresse, il y a différentes façons de le faire par l'entremise de Statistique Canada, mais vous l'avez souligné à juste titre... Je crois que 85 % des victimes de la traite des personnes sont des femmes et des filles, et 25 %, si je ne m'abuse, ont moins de 18 ans.
Vous avez également mentionné à juste titre que le Canada est une destination pour l'exploitation sexuelle. Lorsque j'ai examiné mon projet de loi initial, j'ai assisté à une table ronde à ce qu'on appelait l'UOIT, l'Institut universitaire de technologie de l'Ontario, à Oshawa. On l'appelle maintenant Ontario Tech, mais il s'agissait d'une table ronde sur la traite et l'exploitation des personnes. À cette table ronde, nous avions des représentants du FBI et des Rangers du Texas.
Au Texas, le système est différent, avec des peines minimales obligatoires. Si quelqu'un se fait prendre au Texas à trafiquer six femmes, il sait qu'il est passible de 60 ans de prison la plupart du temps. Le policier m'a dit: « Nous parvenons à ce que ce type plaide coupable en l'espace de trois mois. Il est emprisonné. Il n'est plus en liberté. C'est une bonne chose. Votre système est insensé. En écoutant les victimes ici, on se rend compte qu'il faut parfois deux ou trois ans avant que la cause soit entendue par le tribunal, et les personnes sont victimisées à nouveau. »
Si vous écoutez certaines de ces victimes, vous compatissez avec elles, parce qu'elles reprennent le cours de leur vie et la changent, et soudainement, elles doivent retourner au tribunal et peuvent être confrontées à... Parce qu'il s'agit d'un procès, l'avocat de la défense va les faire passer pour le fautif. Cela fait en sorte que bon nombre de ces affaires seront abandonnées.
En modifiant la définition comme je le propose ici, le fardeau de la preuve sera retiré et il sera question de l'auteur du crime, du trafiquant. Il ne faudra pas prouver qu'il y avait un élément de peur chez la victime au moment où le trafic a eu lieu.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Carrie, comme je le disais tantôt, j'aimerais connaître la façon de déterminer les gestes d'exploitation. Dans le projet de loi, on dit qu'à l'égard de la personne exploitée, l'exploiteur utilise ou menace d'utiliser la force, la contrainte, la tromperie, la fraude, l'abus de pouvoir ou l'abus de confiance. Cela me semble déjà assez large, mais vous ajoutez à cela les mots « tout autre acte semblable ».
Qu'entendez-vous par « tout autre acte semblable »?
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On parle quand même d'envoyer quelqu'un en prison. Je suis plutôt d'accord qu'il faut sévir contre ce genre de crime. Je n'ai aucune pitié pour quelqu'un qui abuse ou qui vend les services sexuels de quelqu'un d'autre. Je pense effectivement qu'il doit être puni. Il n'en demeure pas moins que, dans notre travail de législateur, il faut être rigoureux. Il est question d'envoyer quelqu'un en prison et nous ne devons pas faire d'erreur.
Nous avons fait un choix. On peut être d'accord ou pas, mais notre société a décidé qu'elle préférait avoir des criminels en liberté que des innocents en prison. C'est ce qu'on appelle la présomption de non-culpabilité. Tant que quelqu'un n'est pas trouvé coupable d'un crime, il est présumé innocent.
Afin de reconnaître quelqu'un coupable d'un crime, notre devoir, en tant que législateurs, est de définir le plus clairement possible ce crime...
Mon temps est-il déjà écoulé, monsieur le président?
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Oui. J'aimerais également remercier Mme Benedet pour tout le travail qu'elle a accompli en tant que témoin expert devant la Chambre et le Sénat, je crois, par le passé. Elle a proposé un libellé qui, selon elle, devrait être ajouté au projet de loi au sujet de la vulnérabilité — et cela revient aussi à ce que disait M. Fortin — parce que sa proposition tiendrait compte de la victime. Autrement dit, pourquoi cette victime a‑t‑elle été choisie? Il y a des gens que les trafiquants traquent et choisissent. Selon l'interprétation de Mme Benedet, le projet de loi devrait refléter cette réalité.
Ma réponse à cette idée, monsieur Garrison, serait ce dont M. Fortin et moi parlions. Je crois que le passage « tout autre acte semblable » permet d'englober cette réalité. Cela dit, Mme Benedet a une excellente opinion très solide, et j'espère, si elle peut comparaître devant le Comité, que vous pourrez approfondir un peu sa pensée à ce sujet.
À mon avis, cependant, le libellé actuel règle déjà la question.
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Merci, monsieur Garrison.
Voilà qui met fin à notre première heure. Je tiens à remercier M. Carrie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.
Nous allons maintenant suspendre la séance et nous reconnecter avec un nouveau lien, puisque je crois que nous passerons à huis clos.
Monsieur le greffier, veuillez simplement hocher la tête si c'est le cas.
C'est le cas.
D'accord, je vais donc suspendre la séance, et les membres qui sont sur Zoom sont priés de se reconnecter avec le nouveau lien.
[La séance se poursuit à huis clos.]