Bienvenue à la 49e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier, le Comité entreprend son étude sur la réforme de la Loi sur de l'extradition.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022. Les députés participent, selon le cas, en personne ici même ou à distance au moyen de l'application Zoom.
J'aimerais rappeler quelques consignes à l'intention des témoins et des députés.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et assurez-vous de le désactiver entre vos prises de parole.
En ce qui concerne les services d'interprétation, les participants sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les personnes ici présentes peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal voulu.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Les députés présents dans la salle doivent lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. Ceux qui utilisent l'application Zoom peuvent le faire au moyen de la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre des interventions. Nous vous remercions à l'avance de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Sachez que j'utiliserai de petits cartons. Pour ceux qui ne connaissent pas trop ce système, voici de quoi il s'agit. Lorsqu'il ne vous restera que 30 secondes, je brandirai le carton jaune. Lorsque votre temps sera écoulé, je lèverai le carton rouge. Je vous prie d'essayer de conclure vos observations, questions ou réponses dans le temps imparti et, ainsi, je n'aurai pas à vous interrompre. Sinon, je vous conseille de surveiller le temps de votre côté.
Pendant la première heure, nous allons terminer les témoignages pour notre étude concernant la Loi sur l'extradition. Nous accueillons M. Anand Doobay, qui comparaît par vidéoconférence, à titre personnel. Je crois que nous essayons d'établir la connexion avec un autre témoin. Me St‑Laurent éprouve quelques difficultés techniques, et nous aurons peut-être à suspendre la séance si nous ne parvenons pas à régler le problème d'ici la fin de l'exposé de M. Doobay.
Nous allons commencer par vous, monsieur Doobay. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons à une série de questions.
Je vous remercie.
:
Bonjour, et merci au Comité de m'avoir invité à témoigner.
Selon moi, les questions que le Comité examine mettent en exergue certaines des tensions inhérentes qui existent dans le régime d'extradition. La nécessité d'assurer une collaboration efficace pour les poursuites et les sanctions liées aux infractions criminelles doit être mise en balance avec la nécessité de protéger les libertés civiles et les droits de la personne. Le Royaume-Uni a dû s'occuper de ces questions à plusieurs reprises.
En 2010, j'ai été désigné pour faire partie d'un groupe chargé d'examiner les accords d'extradition du Royaume-Uni. En entreprenant cette tâche, nous étions très conscients de la nécessité de tenir compte des conséquences graves que pourrait subir une personne qui risque d'être envoyée en procès dans un système juridique injuste où elle pourrait faire face à une langue qu'elle ne parle pas et à une absence totale ou quasi totale de soutien de la part de sa famille, de ses amis ou de sa communauté.
Nous nous sommes également penchés sur la nécessité de reconnaître les lacunes possibles du régime d'extradition lui-même et les défauts du pays demandeur, tout en évitant que cela ne devienne un obstacle complet à l'extradition, sauf dans des situations extrêmes. Les choses peuvent se compliquer davantage lorsque des décisions sont prises par des politiciens au cours du processus d'extradition, car elles sont souvent interprétées par l'État requérant comme des décisions diplomatiques plutôt que judiciaires. Voilà qui peut entraîner d'éventuelles répercussions diplomatiques.
Dans le monde d'aujourd'hui, qui se caractérise par la mondialisation et les progrès technologiques, il est de plus en plus courant que plus d'un pays soit habilité à intenter des poursuites. Cette situation donne lieu à un débat public accru sur la question de savoir quel pays doit engager des poursuites, et les cas d'extradition font souvent ressortir cet enjeu.
Je me suis dit qu'il serait utile pour le Comité si j'expliquais très brièvement quelques-unes des modifications que le Royaume-Uni a apportées à sa loi sur l'extradition pour régler des problèmes précis auxquels il se heurtait.
Il y avait notamment un problème en ce qui concerne les demandes provenant d'autres États membres de l'Union européenne, car ils appliquent ce qu'on appelle le « principe de légalité ». Cela signifie qu'ils feront une demande pour toute infraction entraînant l'extradition, aussi mineure soit-elle, parce qu'il n’y a pas d’application de pouvoir discrétionnaire dans la décision de faire une demande. Le Royaume-Uni craignait donc que l'extradition soit accordée pour des infractions qui pourraient être considérées comme relativement banales, et il a donc instauré un critère de proportionnalité. Le Royaume-Uni peut maintenant examiner la gravité de l'acte commis, la peine qui pourrait être imposée et la question de savoir s'il est possible de prendre des mesures moins coercitives au lieu de procéder à l'extradition.
Une autre question qui s'est posée concerne la capacité du Royaume-Uni à [difficultés techniques] des éléments de preuve dans le cadre du processus d'extradition. Pour la plupart des pays, il n'est pas nécessaire de produire des éléments de preuve, soit parce que ces pays sont membres de l'Union européenne, soit parce qu'ils sont parties à la Convention européenne d'extradition ou encore parce qu'ils sont des partenaires de confiance du Royaume-Uni. Il s'agit notamment de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada et des États-Unis.
Le Royaume-Uni s'appuie donc, dans une large mesure, sur la capacité du tribunal à invoquer sa compétence en matière d'abus de procédure pour se protéger en cas d'irrégularités liées à la procédure d'extradition elle-même.
À cela s'ajoute la question de savoir si un résidant ou un ressortissant du Royaume-Uni devrait être extradé pour subir un procès dans un autre pays. Comme je l'ai dit, je pense que la question qui se pose est celle de la juridiction: où faut‑il poursuivre une personne? Très peu de gens soutiennent qu'il devrait y avoir impunité et que le simple fait d'être, par exemple, un ressortissant britannique devrait empêcher la personne de faire l'objet de poursuites s'il y a suffisamment d'éléments de preuve qui justifient cela.
Au Royaume-Uni, on a adopté la règle du « forum bar ». Lorsqu'il existe une probabilité marquée [difficultés techniques] un acte commis au Royaume-Uni — ce qui signifie que le Royaume-Uni pourrait intenter des poursuites —, le tribunal peut examiner s'il est dans l'intérêt de la justice que l'extradition ait lieu. Le tribunal peut tenir compte d'un certain nombre de facteurs, mais rien d'autre.
Le tribunal prend également en considération les droits de la personne, chose qu'il est tenu de faire. S'il existe un risque réel de violation d'un droit de la personne, le tribunal empêchera l'extradition. L'un de ces droits est prévu à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui porte sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Cette disposition peut permettre à un tribunal d'examiner, tout d'abord, l'effet de l'extradition sur d'autres personnes, plus particulièrement l'effet sur les enfants dont les parents risquent d'être extradés; c'est là un exemple. Cette disposition peut également permettre au tribunal d'évaluer l'effet sur la personne recherchée. Le tribunal doit effectuer sa propre analyse de la proportionnalité.
D'ordinaire, le tribunal estime évidemment que l'extradition est justifiée, compte tenu de la nécessité de poursuivre les auteurs de crimes graves et de collaborer à l'échelle internationale, mais il dispose de la souplesse voulue pour tenir compte de l'existence d'autres raisons pour lesquelles l'extradition serait [difficultés techniques] dans un cas particulier.
Le dernier point que j'aimerais faire valoir est le suivant. J'ai constaté que l'un des problèmes au Canada [difficultés techniques] semble être attribuable au rôle du procureur. Il vaut probablement la peine de souligner qu'au Royaume‑Uni, même si les affaires d'extradition sont traitées par le service des poursuites, qui tient lieu de procureur national du Royaume‑Uni, ce dernier joue le rôle de ministre de la Justice dans les affaires d'extradition. Par conséquent, il doit [difficultés techniques] agir avec équité, et il a également l'obligation précise de divulguer les éléments de preuve dont il a connaissance et qui pourraient compromettre ou affaiblir la demande visée par sa poursuite si c'est conforme [inaudible]. Enfin, il a l'obligation primordiale d'être juste.
J'espère avoir donné au Comité quelques exemples et idées sur la façon dont le Royaume‑Uni a tenté de régler certaines de ces questions. Je me ferai un grand plaisir de répondre aux questions.
:
Bonjour, monsieur le président. Je tiens à vous saluer ainsi que tous les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Je vous invite à lire mon mémoire et je suis prête à répondre à toutes vos questions.
Les points importants que je désire aborder sont les suivants.
Tout d'abord, l'actuelle Loi sur l'extradition fait que nos citoyens canadiens peuvent être extradés sur la foi d'une preuve dont la véracité et la fiabilité sont douteuses, cette preuve étant basée sur des ouï-dire. Tout ce qu'on reçoit comme preuve est un récit d'événements fait par une deuxième ou une troisième personne. Il n'y a aucune déclaration assermentée ou affirmation solennelle. Dans le cas du certificat, d'ailleurs, il n'est question ni d'assermentation ni d'affirmation personnelle. Pire encore, la jurisprudence énonce que le juge étudiant le dossier d'extradition n'a pas à se demander si le contenu du dossier est véridique.
Nous avons la compétence universelle depuis 1989 pour juger des Canadiens qui auraient commis des crimes à l'étranger, comme au Rwanda ou au Mexique. Ces Canadiens ont tous été jugés ici. À tout le moins, nous devrions permettre à nos citoyens de plaider coupables au Canada, ce qui ne va pas à l'encontre de nos obligations contractuelles. C'est encore plus pertinent si ces citoyens canadiens souffrent d'une maladie mentale.
J'aimerais dire un mot sur la disproportion des peines. Par exemple, au Canada, la peine infligée pour le trafic de Xanax est d'un maximum de trois ans. Aux États-Unis, exactement pour le même crime, elle est de 5 à 40 ans.
Je ne sais pas si mes cinq minutes sont écoulées. Le reste de l'information que j'ai à vous transmettre se trouve entièrement dans mon mémoire. Je sais que vous aurez aussi des questions.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres.
Monsieur Doobay, je vais commencer par vous.
Merci de prendre le temps de vous entretenir avec des parlementaires canadiens. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de faire appel à vos lumières et de tirer des leçons de votre expérience au sein de l'Union européenne.
Vous avez parlé de certaines des tensions qui existent dans le droit de l'extradition au sein de l'Union européenne. Nous ressentons certaines de ces mêmes tensions ici. J'ai lu quelque part que vous avez plaidé des causes qui révèlent la tension entre l'intention d'obtenir justice et les motivations politiques. Je me demande si vous pourriez nous dire quelques mots à ce sujet. Comment faire la distinction entre les deux?
Je pense notamment à l'affaire Hassan Diab. Je ne sais pas si vous la connaissez, mais il s'agit d'une affaire dans laquelle un ressortissant canadien a été extradé en France sur la foi d'une preuve plutôt limitée. Nous estimons que cette affaire était probablement davantage motivée par la politique que par la justice.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
Je pense qu'il faut préciser davantage la motivation politique au regard des cas particuliers que j'ai mentionnés. Il y a un certain nombre de façons [difficultés techniques] faire valoir qu'une poursuite a été intentée de manière injustifiée parce que, de toute évidence, on est censé engager des poursuites concernant des crimes s'il existe des soupçons légitimes.
Dans certains cas, on peut cerner une motivation purement politique. Par exemple, s'il s'agit d'un politicien de l'opposition, il se peut que le gouvernement engage des poursuites afin de le faire taire. Dans d'autres cas, il peut y avoir une motivation commerciale. Par exemple, le gouvernement pourrait avoir ses propres intérêts commerciaux et essayer de les promouvoir en intentant des poursuites. Dans certains cas, une poursuite particulière pourrait être motivée par des intérêts politiques. Un gouvernement pourrait subir de la pression de la part de la population pour engager une poursuite en raison d'un crime particulièrement médiatisé dans [difficultés techniques].
Au Royaume-Uni, nous disposons d'un certain nombre de moyens juridiques pour traiter des cas particuliers. Nous pouvons présenter des arguments liés aux droits de la personne pour dire que le fait de poursuivre une personne pour une raison injustifiée constitue une violation des articles de la convention. Il est également possible de faire valoir des arguments liés à l'abus de procédure, comme je l'ai dit tout à l'heure. Enfin, nous pouvons invoquer des arguments en particulier pour des motifs que nous qualifions d'extrinsèques. Si vous pouvez prouver que vous êtes poursuivi pour vos opinions politiques, votre sexe, votre race ou votre nationalité, cela constituera également un motif de refus.
J'ai évidemment lu quelque chose sur l'affaire que vous avez mentionnée dans votre question, mais je ne prétends pas en connaître les tenants et aboutissants. Selon moi, la difficulté que soulève ce genre de cas, c'est que le gouvernement pourrait vouloir intenter une poursuite particulière qui est d'une grande importance nationale, et ce, même s'il dispose de très peu d'éléments de preuve à l'appui de sa demande. Je crois que cela relèverait d'une catégorie légèrement différente de ce que j'ai appelé les demandes à motivation politique, car lorsque j'utilise cette expression, je veux vraiment dire que le gouvernement a son propre intérêt politique, distinct de l'objectif d'intenter des poursuites à la suite d'un crime. C'est différent des cas où le gouvernement est prêt à faire abstraction des difficultés de preuve pour essayer d'extrader quelqu'un qui [difficultés techniques].
De tels cas se sont produits au Royaume-Uni. Après les attaques terroristes aux États-Unis, il y a eu l'affaire Lotfi Raissi, où les États-Unis ont essayé de présenter une demande d'extradition. C'est cette affaire qui a donné naissance au principe que j'ai mentionné: en effet, le procureur a dû divulguer des éléments qui ont sapé les arguments des États-Unis. Cela a d'ailleurs conduit les États-Unis à abandonner la demande d'extradition.
:
Selon moi, la difficulté consiste à déterminer jusqu'à quel point vous voulez examiner un cas. Je suis conscient que, du point de vue de la jurisprudence, votre régime est, bien entendu, légèrement différent de celui que nous avons au Royaume-Uni. Comme je le disais tout à l'heure, dans un grand nombre de pays, il n'est pas nécessaire de fournir la moindre preuve. Il suffit de faire des allégations. Tant que ces allégations visent des infractions criminelles, c'est suffisant. L'Azerbaïdjan et la Turquie en sont des exemples. C'était également le cas de la Fédération de Russie avant son retrait du Conseil de l'Europe.
Comme vous pouvez le constater, le Royaume-Uni n'utilise pas le critère de la suffisance de la preuve pour un certain nombre de pays, ce qui suscite certainement la controverse.
À mon avis, l'argument que vous invoquez, c'est‑à‑dire la question de savoir si le processus d'extradition doit se dérouler dans le cadre d'un procès, est difficile à trancher, car il n'est évidemment pas possible d'instruire un procès complet en appliquant les lois de l'État requérant dans des affaires d'extradition. Dans certains cas, il serait approprié, me semble‑t‑il, d'examiner davantage les éléments de preuve présentés. Là encore, au Royaume-Uni, nous sommes généralement en mesure d'y parvenir grâce aux garanties de normes en matière de droits de la personne. Dans des cas exceptionnels, ces garanties peuvent servir à justifier un examen plus détaillé des éléments de preuve que ce qui serait prévu normalement. Cet autre [difficultés techniques] d'abus de procédure.
Je comprends tout à fait qu'il existe une tension et qu'il n'est pas possible, dans tous les cas, d'insister sur la tenue d'un procès lors d'une audience d'extradition. J'estime toutefois que le régime devrait répondre aux besoins des gens dans des cas exceptionnels qui nécessitent une discussion du critère de la suffisance de la preuve et qui présentent un risque d'injustice.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne un aspect précis de l'affaire que vous avez mentionnée. Nous avons eu de tels cas, nous aussi. Il est arrivé que des gens soient extradés, puis placés en détention préventive pendant de longues périodes parce que leur procès n'était pas prêt. Le Royaume-Uni a donc adopté une disposition selon laquelle, si une affaire n'a pas été instruite et n'est pas prête à être entendue, il est justifié de mettre fin à l'extradition. Cela vise des situations, au sein de l'Union européenne, qui exigent de longues périodes de détention préventive. Beaucoup de demandes sont faites [difficulté technique], si bien que des gens se retrouvent en détention préventive pendant de nombreuses années.
:
C'est une question qui nous donne du fil à retordre dans le contexte du Royaume-Uni, car il nous est absolument interdit de remettre une personne à des tortionnaires. Cependant, en matière d'extradition, nous adoptons un point de vue prospectif. Le critère consiste donc à déterminer s'il existe un risque réel de violation de l'article 3, qui porte sur l'interdiction de la torture.
La difficulté que nous rencontrons à l'heure actuelle correspond, selon moi, à celle que vous avez également connue. Voici ce qui se passe dans l'état actuel des choses lorsqu'un tel risque est signalé. Si l'on prouve que ce risque est réel, on peut obtenir une assurance diplomatique qui reconnaît l'existence d'un risque réel de torture, mais qui garantit que, dans ce cas‑ci, la personne ne sera pas torturée.
J'ai beaucoup de réserves à cet égard, car la seule raison pour laquelle on a besoin d'une assurance diplomatique, c'est justement parce qu'il existe un risque réel. On se fie ensuite [difficultés techniques], alors qu'on a déjà établi qu'il existe un risque réel que des gens soient torturés, mais l'autre pays cherche à nous rassurer en disant: « Allez, faites-nous confiance [difficultés techniques], mais nous ne les torturerons pas. »
La surveillance apporte également son lot de difficultés. Très souvent, il n'y a pas de mécanisme intégré de surveillance, ou celui proposé par les tribunaux relève plutôt de la fantaisie. Par exemple, on vous dit que votre client pourra porter plainte s'il subit des tortures, et vous répondez: « Eh bien, je suis sûr qu'il ne voudra pas le faire lorsqu'il sera en prison dans ce pays, parce qu'il risque évidemment de subir d'autres mauvais traitements s'il porte plainte. » Les méthodes que les tribunaux britanniques jugent suffisantes pour garantir l'absence de mauvais traitements ne suffisent pas, à mon avis.
Je crois que l'une des questions sur lesquelles on doit se pencher lorsqu'on a recours [difficultés techniques] des assurances diplomatiques est celle de savoir comment on peut garantir leur efficacité dans la pratique et leur surveillance, puisqu'elles ne sont données que lorsqu'on a déjà convenu de l'existence d'un risque de mauvais traitements.
:
Dans certains cas, des fonctionnaires consulaires ont été chargés de s'en occuper. Voici la difficulté qui se présente: s'il ne s'agit pas d'un ressortissant britannique, les fonctionnaires consulaires britanniques n'ont pas le droit de s'entretenir avec la personne, mais bien sûr, le pays peut donner son accord. Toutefois, cela crée [
difficultés techniques] des répercussions sur le plan des ressources, d'où la réticence de certains pays à l'idée d'affecter le personnel consulaire à cette tâche. C'est, à mon sens, une façon sûre de procéder, car la personne peut ainsi signaler les mauvais traitements en toute confidentialité.
Parmi les autres mécanismes qui ont été proposés, il y a les organismes de défense des droits de la personne, mais là encore, on se heurte à des difficultés d'ordre pratique.
À mon avis, la question la plus importante qui se pose au chapitre de la surveillance est celle de savoir ce que l'on fait en cas de manquement. La seule répercussion est d'ordre diplomatique, car [difficultés techniques] qui est fournie est une assurance diplomatique donnée par un pays à un autre. S'il y a manquement, et si vous pouvez l'établir d'une manière objectivement vérifiable, que se passera‑t‑il alors?
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins. M. Doobay et Mme St‑Laurent, d'être des nôtres.
Madame St‑Laurent, je comprends que vous êtes avocate et que vous comparaissez aujourd'hui parce que vous avez probablement vécu certaines expériences concernant l'application de la Loi sur l'extradition.
Je retiens des propos de votre courte introduction qu'un citoyen canadien reconnu coupable d'un crime à l'étranger devrait, s'il souhaite plaider coupable, pouvoir le faire au Canada. Je retiens aussi qu'il y a un problème de déclarations non assermentées.
J'aimerais que vous m'expliquiez cela de façon un peu plus complète et que vous me disiez si cela s'est appliqué dans le cas d'un ou de plusieurs dossiers sur lesquels vous avez eu à travailler dans votre pratique en tant qu'avocate.
:
Avoir la possibilité de plaider coupable au Canada pour des crimes commis à l'étranger serait très important dans certains cas, surtout pour des personnes qui souffrent de maladie mentale ou d'un trouble du spectre de l'autisme. Ces gens ont déjà des problèmes énormes. Être ici, au Canada, avec leur famille, et communiquer dans leur langue, c'est très important. Aller aux États-Unis, devoir s'adapter et peut-être y être emprisonnés pendant des dizaines d'années peut conduire ces gens au suicide, à mon avis. C'est ce que j'appelle un traitement cruel et inusité. D'ailleurs, j'ai fait faire une expertise que je vais recevoir bientôt par rapport à un cas.
Je pense aussi à la compétence universelle. Si vous lisez bien l'arrêt Cotroni, M. Cotroni a demandé d'être jugé au Canada. La Cour suprême a refusé en disant que le coût de faire venir les témoins, notamment, était trop élevé.
Pourquoi, vu la disproportion entre la longueur des sentences au Canada et aux États‑Unis, un citoyen canadien ne pourrait-il pas plaider coupable ici, au Canada? Je ne pense pas que cela irait à l'encontre de la collaboration internationale. D'ailleurs, je l'ai écrit dans mon mémoire, les frais seraient minimes à la fois pour les États-Unis et le Canada. Il y aurait une collaboration, surtout depuis que nous avons la compétence universelle. Je pense que ce serait un avantage et que c'est extrêmement important.
Je n'en reviens toujours pas qu'on ne puisse pas le faire. Je pense que cela devrait être légalisé. Je pense que j'ai vu un autre jugement de la Cour suprême où la personne a dit qu'elle voulait plaider coupable au Canada, comme dans le cas de M. Cotroni. Cependant, la Cour suprême a décidé que ce n'était pas un droit. C'était le ministre, en coopération avec les États‑Unis, qui prenait la décision. Je ne me souviens pas du jugement, je ne l'ai pas ici parce que j'ai eu très peu de temps pour me préparer, comme vous le savez. Je suis très occupée.
Je n'ai pas remarqué l'année du jugement, et je ne sais pas si la compétence universelle s'appliquait déjà à ce moment-là. Ce serait un avantage, surtout pour ceux qui souffrent de troubles mentaux, comme l'autisme. Cependant, je pense que, dans tous les cas, on devrait le permettre en raison de la disproportion entre la longueur des sentences aux États-Unis et au Canada.
:
Je vais le dire très vite.
C'est extrêmement important. Nous avons demandé une divulgation de preuve, nous avons des faits, il n'y a aucune assermentation de témoin, ce sont des faits relatifs. Comme le dit d'ailleurs la Loi sur l'extradition, cela n'a pas à être vérifié.
J'avais de nombreuses suggestions à faire, je pensais avoir une heure, moins les cinq minutes, mais je m'aperçois que je ne peux pas les présenter. Cela me fait beaucoup de peine, parce que ce sont des points importants que je voulais aborder.
:
C'est une invention du législateur plutôt que le produit de la jurisprudence. Mais, d'abord, une petite explication sur ce que ça fait vraiment. Le
forum bar s'applique si, dans une mesure importante, la conduite a été observée au Royaume‑Uni. C'est le critère. Ça signifie, en général, qu'elle pourrait faire l'objet de poursuites au Royaume‑Uni en raison de sa fréquence. Ensuite, le législateur tient compte d'un certain nombre de facteurs qu'il précise, mais sans les hiérarchiser. Le tribunal peut leur attribuer différents coefficients de pondération. Les facteurs comprennent les poursuites intentées, l'avantage des poursuites dans tel pays et les liens du défendeur avec le Royaume‑Uni. Il y a toute une gamme de ses facteurs.
L'un d'eux concerne la possibilité de poursuites au Royaume‑Uni. Mais un procureur britannique peut prétendre qu'une poursuite y est impossible et peut émettre un certificat en ce sens. Ce certificat empêche le recours au forum bar. Le procureur peut ainsi couper l'herbe sous le pied du défendeur. Ça ne s'est pas encore produit au Royaume‑Uni. Le procureur peut également produire ce qu'on appelle une « lettre d'opinion » dans laquelle il exprime et motive l'opinion selon laquelle l'endroit convenant le mieux aux poursuites n'est pas le Royaume‑Uni. Cette lettre est produite dans la plupart des affaires, et le tribunal en tiendra compte.
La raison pour laquelle le forum bar est d'un maniement difficile est que le défendeur possède toujours des liens de longue date avec le Royaume‑Uni, et le tribunal cherche à concilier ce fait et la possibilité qu'il soit poursuivi au Royaume‑Uni. Si le défendeur l'a déjà été, on ne pourrait l'extrader. D'ordinaire, il exprimerait sa préférence pour des poursuites au Royaume‑Uni, alors que le pays demandeur dirait qu'il le poursuit déjà et qu'il pourrait le faire rapidement. Par exemple, il détient d'autres défendeurs qui sont déjà devant les tribunaux.
La pondération de ces divers facteurs est toujours un problème difficile. Souvent, le tribunal se retrouve dans la position où il a l'impression d'ordonner l'extradition parce que, faute de le faire, le défendeur s'assurera l'impunité et ne sera poursuivi nulle part.
:
C'est également une invention du législateur, pour la seule raison que, comme je l'ai dit, le public s'est montré très préoccupé par le nombre d'infractions qu'on demandait aux États membres de l'Union européenne et qui paraissaient banales. Ce critère se résout en trois étapes, qui ne s'appliquent qu'aux demandes formulées par les États membres de l'Union européenne.
La première est l'examen, par le tribunal, du sérieux de l'infraction, qu'un autre critère permet de distinguer de la banalité. La deuxième concerne la probabilité de la peine qui sera imposée. Enfin, la troisième consiste à chercher une mesure moins coercitive mais juste pour conclure l'affaire.
Ce triple examen permet globalement une évaluation du caractère disproportionné, le cas échéant, de l'éventuelle extradition. Souvent, le défendeur reste en détention pendant la procédure d'extradition. Par exemple, le tribunal peut déterminer que le temps ainsi passé au Royaume‑Uni équivaut peut-être à peu près au temps pendant lequel il aurait été détenu s'il avait été jugé coupable. Le tribunal peut juger que l'infraction, à son avis, n'est pas assez grave pour justifier l'extradition. Il essaiera également de rechercher, avec le pays demandeur, d'éventuelles mesures moins coercitives, la possibilité de condamner la personne à une peine non privative de liberté ou à une amende ou à une mesure de déjudiciarisation qui éviterait l'incarcération.
:
C'est le juge. En fait, le rôle du ministre, au Royaume‑Uni, est maintenant très limité. Il a déjà possédé un pouvoir discrétionnaire très étendu, comme celui qu'il possède encore, je crois, au Canada, mais, au fil du temps, on l'a restreint pour les motifs que j'ai exposés dans ma déclaration liminaire.
À la suite de mon examen, j'ai recommandé de restreindre davantage son pouvoir discrétionnaire. À l'époque, il tenait encore compte des droits de la personne [difficultés techniques], parce que nous étions d'avis que ce genre de décision était vraiment judiciaire. Il fallait la prendre à l'abri de toute influence politique et en toute transparence. Le gouvernement du Royaume‑Uni s'est rangé à cet avis.
Au Royaume‑Uni, le ministre n'examine que le risque d'application de la peine capitale et, dans ce cas, l'assurance reçue qu'elle ne sera pas appliquée. Des engagements spéciaux ont‑ils été pris, par exemple le pays a‑t‑il accepté de seulement poursuivre le défendeur pour les infractions pour lesquelles on l'extrade? Si un pays a réclamé l'extradition d'une personne avant un autre pays, comment les départager? Le ministre doit répondre à un ensemble très limité de questions, qui sont essentiellement d'une application très technique. Toutes les autres relèvent désormais des tribunaux.
:
Je remercie les témoins de leur participation.
Je vous interroge d'abord, monsieur Doobay.
J'ai bien écouté votre déclaration liminaire. Vous avez évoqué les tensions qui existent dans notre système d'extradition ainsi que la recherche du juste milieu entre les sanctions et la protection des libertés civiles. Vous avez également abordé le rôle du procureur au Canada. Je ne suis pas certain de la fidélité de mes notes. Vous avez rapproché le rôle du procureur au Royaume‑Uni de celui d'un ministre de la justice, dont certains des devoirs sont d'agir avec justice et de divulguer les éléments de preuve qui ne sont pas favorables. Autrement dit, peut-être pourrait‑on normalement les divulguer mais, parfois, dans certains pays, on risque de ne pas le faire.
Essayiez-vous de laisser entendre que, pour les audiences d'extradition, le Canada ne possède pas ce genre de système de poursuites qui relève du ministre de la Justice? Laissez-vous entendre que nos procureurs retiennent délibérément des éléments de preuve disculpatoires sans la nécessité de se plier au devoir de les divulguer?
:
À mon avis, c'est la question la plus importante, parce que je crois que personne n'estime qu'un criminel ait droit à l'impunité sans être inquiété. Quand on possède suffisamment d'éléments de preuve pour envisager des poursuites contre quelqu'un, la question la plus importante qui se pose alors est celle de la juridiction.
Au Royaume‑Uni, la décision est généralement prise entre les procureurs des différents pays. Il est certain que les critères par lesquels leur décision tient compte du suspect ou du défendeur sont mystérieux. Je crains cependant que, d'ordinaire, ils n'écoutent que leur désir d'obtenir une condamnation ou la peine maximale. Ils font peu de cas, dans leur effort de conciliation, de l'effet, chez la personne, de son extradition de son pays de résidence, dont elle connaît bien le système, vers un autre pays, pour qu'elle y fasse l'objet de poursuites.
Je crois que c'est [difficultés techniques] qu'en plus d'examiner le processus d'extradition, vous examinez également le système de décision de poursuivre quelqu'un. Dans un contexte d'extradition, le tribunal qui affirmerait son intention de mettre fin à la tradition et de ne poursuivre le défendeur devant aucune juridiction… malgré des preuves apparemment suffisantes pour qu'on doive le poursuivre ne donnerait pas une bonne image de lui-même.
Je fais allusion à l'une de vos premières observations. Des pays l'affirment pour leurs ressortissants ou leurs citoyens. Ils refusent de les extrader, mais il les poursuivront à la place. Ils ne leur confèrent pas l'impunité, mais ces personnes sont ensuite poursuivies dans le pays où elles vivent ou résident ordinairement et dans un système qu'elles connaissent bien.
:
C'est difficile, mais je crois qu'il doit être difficile de prouver qu'il y a des risques de torture.
Au Royaume-Uni, on a aussi souvent recours à un témoin expert. Une fois que vous avez des documents objectifs qui prouvent que la torture peut être présente dans certains pays, dans des situations particulières [difficultés techniques] montrent que cela peut s'appliquer à quelqu'un. Habituellement, le tribunal bénéficie de l'aide d'un expert sur ce pays, une personne qui peut déclarer: « Écoutez, j'applique les généralités à cette personne en particulier et, selon moi, cette personne court le risque d'être torturée. »
C'est difficile, mais je crois que ce que j'ai souligné plus tôt constitue un problème plus grave, soit qu'il est maintenant courant de recevoir une assurance diplomatique. Même s'il y a des risques, il ne faut pas s'en faire, car on vous donne l'assurance que, dans ce cas précis, cela ne se produira pas.
:
Cela peut faire la différence de deux façons.
D'abord, du point de vue des [difficultés techniques] étrangers, parce que, si vous répondez aux exigences de la majorité des activités menées au Royaume-Uni, l'un des critères dont le tribunal doit tenir compte est le lien de la personne avec le Royaume-Uni. Évidemment, un citoyen ou un résident britannique aura des liens plus forts qu'une autre personne.
La deuxième façon où cela peut s'avérer pertinent est au titre de l'article 8, soit le droit au respect de la vie privée et familiale, ce qui s'inscrit dans la quête d'un juste milieu. Comme je l'ai dit, habituellement, le tribunal estime que la nécessité d'avoir des accords d'extradition efficaces l'emporte sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Toutefois, dans de rares cas, le tribunal peut statuer que la nationalité de la personne, son lieu de résidence et son droit au respect de la vie privée et familiale l'emportent sur...
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais poursuivre avec M. Doobay.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait référence à l'obligation de divulguer des éléments de preuve qui pourraient être disculpatoires. Je ne sais pas trop comment cela fonctionne concrètement, puisque vous nous avez aussi dit que, au Royaume-Uni, les demandes d'extradition n'exigent généralement pas de preuve.
Pourriez-vous simplement revenir sur ce point et nous expliquer où ces notions se rejoignent?