Bienvenue à la 95 e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de renvoi adopté par la Chambre le 7 février 2023, le Comité se réunit en séance publique pour commencer son étude du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (conduite contrôlante ou coercitive).
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 15 juin 2023. Certains députés participent en personne et d'autres, à distance, au moyen de l'application Zoom.
[Français]
Je peux confirmer que tous les tests de son ont été faits.
[Traduction]
Pour la première heure, nous accueillons Laurel Collins, députée de Victoria et marraine du projet de loi .
Bienvenue au Comité. Vous êtes le seul témoin de la première heure. Vous avez cinq minutes pour faire votre exposé, si vous en avez préparé un, après quoi nous passerons aux questions des députés.
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Merci, madame la présidente.
Merci, chers collègues, de m'avoir invitée à venir parler de mon projet de loi, le projet de loi . Celui‑ci criminaliserait les comportements coercitifs et contrôlants.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers les membres du Comité pour le travail accompli dans ce dossier, et les membres de tous les partis pour leur appui à ce projet de loi. En tant que députés, nous avons la responsabilité de nous attaquer à la violence fondée sur le sexe, à la violence entre partenaires intimes et de travailler à mettre fin aux féminicides.
Je tiens à souligner que nous sommes réunis aujourd'hui sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Dans le cadre de ces discussions, il est important de souligner que les Autochtones sont surreprésentés dans notre système de justice pénale et que les femmes autochtones sont victimes de violence fondée sur le sexe de façon démesurée. Elles sont touchées de façon disproportionnée par la violence fondée sur le sexe, et je pense que nous avons tous la responsabilité de continuer de lutter contre le génocide auquel font face les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones.
Les recherches montrent que les femmes autochtones, les femmes noires, les femmes de couleur et les personnes 2SLGBTQ+, les personnes handicapées, les personnes à faible revenu, les nouveaux arrivants et les membres d'autres groupes marginalisés sont plus à risque de subir des comportements coercitifs et contrôlants. Il est essentiel de leur donner des outils pour demander de l'aide, dénoncer et quitter ces situations si nous voulons aider les victimes et les survivants de violence entre partenaires intimes.
Fondamentalement, ce projet de loi vise à faire en sorte que le système de justice pénale puisse mieux lutter contre la violence familiale. Nous savons que notre cadre actuel ne fonctionne pas. Il ne soutient pas adéquatement les victimes et ne reflète pas adéquatement la façon dont la violence entre partenaires intimes se vit réellement. Le projet de loi propose de tenir compte des schémas de comportement. Ces schémas ont une incidence importante sur une personne dans sa relation.
J'ai parlé à la Chambre de mon lien personnel avec ce projet de loi. J'ai vu ma soeur être victime de comportements coercitifs et contrôlants, puis de violence physique de la part d'un partenaire intime. Je me souviens que j'avais tellement peur pour sa vie. Cela m'empêchait de dormir la nuit.
Pendant que nous discutons de cette question, je pense à Angie Sweeney, de Sault Ste. Marie, et aux autres victimes tuées par son conjoint. C'étaient des enfants. Je pense à ce qui est arrivé la semaine dernière au Manitoba à une femme, à ses enfants et à sa nièce. Je pense à la femme qui a été tuée à l'extérieur d'une école primaire le mois dernier. Cela aurait pu être ma soeur et il pourrait s'agir, un moment donné, de l'une de vos électrices ou de personnes que nous connaissons et que nous aimons.
Il est très important que nous adoptions rapidement ce projet de loi à la Chambre. Tous les six jours, au Canada, une femme meurt de violence conjugale. C'est trop.
J'exhorte le Comité — et je crois en vous — à faire ce travail. J'attends avec impatience la discussion qui va suivre. Il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes, et ce projet de loi est une pièce importante du casse-tête.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Madame Collins, je vous remercie de comparaître devant le comité de la justice et je vous félicite d'avoir réussi à mener un projet de loi d'initiative parlementaire si loin. Cela n'arrive pas tous les jours.
J'aimerais vous interroger sur deux ou trois choses. Votre projet de loi s'applique aux partenaires intimes, qu'ils soient mariés, en union libre ou seulement des partenaires amoureux, mais aussi aux anciens partenaires séparés depuis moins de deux ans. Lorsque nous avons étudié la question, nous avons entendu parler de la vulnérabilité particulière des conjoints lorsqu'ils vivent sous le même toit et du fait qu'il devrait peut-être y avoir une période ensuite où cela s'appliquerait.
D'où vient cette période de deux ans? Sur quoi se fonde cette limite de temps? Pourquoi pas un an ou trois ans? Comment en êtes-vous arrivés à fixer cette période à deux ans?
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Je vous remercie de cette question.
Vous remarquerez qu'il s'agit d'un changement par rapport aux versions précédentes du projet de loi que mon extraordinaire collègue, M. Garrison, a présentées. Des gens d'organismes de première ligne m'ont dit que la période la plus dangereuse pour les personnes qui quittent ce genre de situation est souvent la période où elles tentent de partir et celle qui suit.
Nous avons eu divers échanges sur la période à prévoir et sur la façon de procéder. Nous avons appris des recherches menées au Royaume-Uni sur un projet de loi comparable que c'était une énorme erreur de ne pas inclure cette période.
Je repense aussi à mon expérience personnelle. C'est quand ma sœur a quitté son conjoint que j'ai eu le plus peur pour sa vie. C'est à ce moment‑là que la violence s'est intensifiée. Nous savons que les personnes qui ont des enfants en commun avec leur ex‑conjoint, en particulier, resteront en contact avec lui plus longtemps, donc nous voulions nous assurer de prévoir une période suffisamment longue pour englober la période la plus dangereuse.
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Il y a beaucoup de recherches qui montrent les effets pernicieux du système de droit de la famille sur les femmes, surtout lorsqu'elles fuient des situations de violence. Bien sûr, les partenaires violents essaieront d'utiliser tous les outils à leur disposition.
L'une des leçons que nous tirons de l'exemple du Royaume-Uni, c'est qu'il y a encore fort à faire pour éduquer les procureurs, les juges, etc. Il y a eu une étude sur ce genre d'affaires, en particulier, et on a constaté quelques cas d'utilisation de ces recours après la criminalisation du contrôle coercitif au Royaume-Uni. Les chercheurs ont toutefois constaté que les juges étaient en mesure de voir la différence, du moins y sont-ils arrivés dans les affaires examinées, mais il s'agissait d'un petit échantillon.
Dans un cas, il y avait des accusations croisées de contrôle coercitif de la part des deux partenaires, mais l'un des partenaires, l'homme, avait filmé la femme pendant un an à son insu. Il a présenté cela comme une preuve de son comportement coercitif et contrôlant, et le juge y a clairement vu un exemple de contrôle coercitif. Il a été en mesure de l'identifier et de trancher en faveur de la personne qui était la victime.
Il y avait d'autres exemples dans cette étude de cas de gens ayant déposé des accusations de contrôle coercitif et des raisons pour lesquelles ces accusations avaient été rejetées. Il avait été déterminé qu'elles avaient été utilisées pour tenter de continuer de contrôler la partenaire dans le cadre du procès devant le tribunal de la famille.
Il est vraiment important, pour la mise en œuvre de ce projet de loi, d'offrir de la formation appropriée pour sensibiliser les gens, et pas seulement les juges, les procureurs et le personnel du système de justice pénale, mais aussi les policiers. Une autre étude a démontré qu'après une formation dans un poste de police, les arrestations liées au contrôle coercitif ont bondi de 41 %. Il est vraiment essentiel de sensibiliser tous les acteurs de notre système de justice pénale à la façon dont cela fonctionne.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour, madame Collins. Merci beaucoup d'avoir présenté ce projet de loi d'initiative parlementaire.
Je tiens à prendre un instant pour vous remercier de porter cette cause, surtout à la lumière des expériences vécues par votre propre soeur et par de nombreuses autres femmes racisées et autochtones qui sont victimes du genre de contrôle coercitif que votre projet de loi tente de contrer. Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour ce travail.
En effet, il s'appuie sur une étude antérieure du Comité, à laquelle vous avez fait allusion, je crois, et qui s'est conclue par un rapport intitulé La pandémie de l'ombre: mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes. Je pense que le titre témoigne bien de la nécessité de sensibiliser les gens, alors à tout le moins, c'est exactement ce que vous faites.
J'aimerais commencer par vous interroger sur la nature des consultations que vous avez menées. Plus particulièrement, comment se sont déroulées vos conversations avec les groupes de femmes et les organismes communautaires autochtones? Comment ces conversations ont-elles orienté le libellé et l'intention de ce projet de loi d'initiative parlementaire?
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Merci beaucoup de cette question.
J'aimerais d'abord revenir rapidement sur ce que vous avez dit en introduction au sujet de la sensibilisation et de l'importance pour le gouvernement de lancer une campagne de sensibilisation parallèlement à l'adoption de ce projet de loi. Je ne peux pas le faire au moyen d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Je ne peux pas dépenser d'argent. Il est vraiment important que le gouvernement lui-même mène une campagne de sensibilisation à ce sujet. C'est ce que le Royaume-Uni a fait après l'adoption de sa loi. Il est essentiel que les victimes, les agresseurs et tous les intervenants du système de justice pénale sachent de quoi il s'agit et comment cela fonctionne.
Pour répondre à votre question sur les consultations, je tiens encore une fois à féliciter mon collègue, M. Garrison, pour son bon travail. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce projet de loi, c'était aux côtés de mon collègue. Nous avons rencontré des gens d'organismes locaux de la région de Victoria. Nous avons rencontré des gens des organismes de première ligne et des maisons de transition, des organismes qui travaillent auprès des nouveaux arrivants et des organismes autochtones. Ce que chacun d'entre eux nous a dit, c'est que le système de justice pénale ne sert pas bien les victimes de violence entre partenaires intimes et qu'il faut vraiment modifier nos lois.
Je me souviens d'une histoire qui est ressortie des premières consultations auxquelles j'ai participé. Elle portait sur la prévalence du contrôle coercitif chez les nouvelles arrivantes, surtout lorsque leur partenaire a le contrôle de leurs documents d'immigration et de leur passeport et qu'il est l'agent de liaison et la personne responsable de leur présence au Canada. J'ai entendu quel genre de pouvoir que cela leur donne sur ces nouvelles arrivantes, qui sont souvent des femmes, des femmes racisées, et à quel point il est essentiel que nous leur fournissions des mécanismes de soutien.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie mon collègue M. Mendicino qui a eu la générosité de m'accorder ses 15 secondes.
Bonjour, madame Collins.
Nous sommes heureux de vous recevoir au Comité. Vous avez raison de mentionner que votre collègue M. Garrison a travaillé fort à cette question, mais je vous prierais de noter qu'il nous a fait travailler très fort aussi, avec beaucoup de plaisir.
Je vais entrer directement dans le vif du sujet. Vous avez énuméré un certain nombre de groupes d'individus qui pourraient être éventuellement des victimes de comportements contrôlants et coercitifs. Vous nous avez parlé de groupes, des personnes LGBTQ, des personnes racisées, des Autochtones, des personnes handicapées et j'en oublie. Vous en avez énuméré un certain nombre.
Êtes-vous en mesure de me dire comment il se fait que ces groupes en particulier sont victimes de comportements contrôlants et coercitifs?
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Merci de cette question et de tout le travail que le Comité et vous avez réalisé dans ce dossier.
Dans notre démarche pour modifier le Code criminel, je pense qu'il importe de voir comment nos identités croisées sont touchées par ces changements et par le système de justice pénale actuel. Tellement de gens sont confrontés à des obstacles en société, et le contrôle coercitif représente un obstacle supplémentaire pour ceux qui veulent quitter ces situations; vous en avez nommées quelques‑unes. Nous avons parlé un peu des nouveaux arrivants. Les passeports, les documents d'immigration et le processus menant à la citoyenneté constituent d'autres obstacles. Il s'agit aussi de moyens pour un partenaire d'exercer un contrôle coercitif.
Pour certains autres groupes, comme les personnes ayant un handicap, on peut comprendre que les obstacles auxquels ils font face dans la société ne les aident pas à quitter leur partenaire. Je pense à tous les groupes marginalisés, aux personnes 2SLGBTQI+ et aux gens racisés, qui se heurtent souvent à des obstacles à l'égalité des revenus. Parce que la dépendance financière joue un rôle important dans le maintien des partenaires dans des situations où il y a souvent de la violence, nous devons nous assurer de comprendre comment toutes ces identités se recoupent.
Le projet de loi stipule ceci: « Commet une infraction quiconque se livre, de façon répétée ou continue, à l'égard d'une personne avec laquelle il entretient un lien ». Le lien est défini plus loin, mais lorsqu'on dit « se livre, de façon répétée ou continue », ce n'est pas réellement défini, et je m'interroge sur la portée que devrait avoir cette définition.
Quelqu'un qui agirait d'une telle façon envers son partenaire durant quelques semaines et qui corrigerait ensuite la situation serait-il exonéré de toute responsabilité?
Combien de fois le comportement doit-il être répété ou pendant combien de temps doit-il être continu? Êtes-vous en mesure de préciser cela un peu?
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D'accord. Je vais essayer de sauver 15 secondes.
Madame Collins, je vous remercie de votre présence et je vous félicite d'avoir fait progresser votre projet de loi d'initiative parlementaire aussi loin. Nous vous souhaitons la meilleure des chances pour son éventuelle adoption par le Parlement.
M. Mendicino a fait référence à une autre étude réalisée par le Comité et qui a mené à la présentation d'un rapport intitulé La pandémie de l'ombre: Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes. Dans une des recommandations, la recommandation 2, on lit ce qui suit: « [...] sur le libellé d'une infraction liée aux comportements coercitifs et contrôlants dans le Code criminel, qui pourrait s'appuyer sur le libellé du projet de loi [...] ». Je pense que c'était la version précédente de M. Garrison.
Avez-vous des observations sur les raisons pour lesquelles le gouvernement n'a pas donné suite à cette recommandation, n'a pas présenté un projet de loi d'initiative ministérielle ni accéléré l'examen d'un tel projet de loi, laissant à une énième personne — vous — le soin de présenter un projet de loi d'initiative parlementaire?
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J'ai essayé de faire preuve d'une grande générosité dans mes commentaires, mais je ressens de la frustration. Je suis frustrée que le gouvernement ne l'ait pas fait. Cela fait deux ans que le comité de la justice a recommandé la criminalisation du contrôle coercitif, et l'ombudsman a fait la même recommandation au gouvernement.
Tous les six jours, une femme est tuée par son partenaire intime. Réfléchissez à cela. Évidemment, cela n'empêchera pas tous les féminicides, mais cela changera les choses.
Je suis extrêmement déçue que le gouvernement n'ait pas agi de son propre chef. Je suis honorée de travailler avec mon collègue, M. Garrison, pour présenter ce projet de loi, mais les projets de loi d'initiative ministérielle progressent plus rapidement à la Chambre. Cela aurait pu se faire il y a deux ans. Il faut le faire dès maintenant. Un projet de loi d'initiative ministérielle pourrait aussi comprendre des mesures de financement pour les organismes de première ligne, pour les victimes qui doivent traiter avec le système de justice pénale et pour la campagne de sensibilisation nécessaire si l'on veut connaître du succès.
J'aimerais que ce gouvernement l'ait déjà fait.
Comme dans toute affaire pénale, c'est une chose de créer une nouvelle loi ou de définir une nouvelle infraction comme celle de « comportements coercitifs et contrôlants » qu'on trouve dans votre projet de loi, mais parvenir à traduire les auteurs en justice, c'est autre chose. La difficulté est souvent là.
Mon collègue, M. Moore, a donné un exemple qui est lié à notre étude sur la traite des personnes. Ma question ne porte pas sur la traite des personnes, mais sur la difficulté de porter des accusations dans les cas liés à des problèmes relationnels.
Dans son témoignage, Mme Holly Wood, d'un organisme appelé BRAVE Education, a parlé d'une jeune femme qui était dans une relation. J'aimerais citer quelques phrases. Elle a dit ce qui suit:
À 19 ans, elle a été victime de la traite de personnes de la part d'un homme qu'elle aimait et qu'elle croyait être son petit ami. Elle entretenait une relation avec celui qui l'exploitait. Il l'a fait travailler dans cinq villes du Canada. Après des années de traite, elle a appris ce qu'était la traite de personnes. Elle a appris qu'elle avait en fait été victime de la traite de personnes.
Elle a porté plainte. Elle a porté plainte et elle est allée au procès, mais à ce moment‑là, lorsqu'elle a vu cet homme, elle a réalisé qu'elle était toujours amoureuse de lui et a refusé de témoigner.
La parole est à vous.
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Merci, madame la présidente.
Madame Collins, je vous remercie beaucoup d'être présente parmi nous ce matin.
Je vous remercie tous les deux du travail que vous avez effectué pour le projet de loi .
Évidemment, en tant que femme, on comprend très bien l'importance de mettre en place des lois, comme celle-ci, pour que la violence faite aux femmes soit éradiquée ou, à tout le moins, diminuée.
Au Québec, 2 700 femmes ont eu accès à des centres pour femmes violentées, soit une ressource en hébergement. C'est sans compter les quelque 1 900 enfants qui ont aussi été hébergés. Également, plus de 25 000 personnes ont demandé des services parallèles, comme des consultations ou de l'accompagnement. On voit donc que ce problème est très présent.
[Traduction]
Vous avez utilisé la définition de « partenaires amoureux ». Pourquoi n'utilisez-vous pas la définition de « conjoint de fait » qui figure déjà à l'article 2 du Code criminel?
:
Merci, madame la présidente.
En deux minutes et demie, je vais devoir poser une question plus simple.
En ce qui concerne la peine de cinq ans dont on parle, vous proposez donc qu'une personne coupable de ce type de comportement soit passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans.
En Écosse, entre autres, je sais que la peine pour ce type de comportement est de 14 ans. Par ailleurs, notre code criminel prévoit un certain nombre de peines différentes pour toutes sortes d'infractions ou d'actes criminels qui peuvent être liés ou qui peuvent s'apparenter au comportement contrôlant ou coercitif.
J'aimerais que vous me parliez de l'exercice que vous avez fait, de votre réflexion sur la peine proposée.
Comment en êtes-vous venue à décider que le Code criminel imposerait une peine de cinq ans plutôt que de 10 ans ou 14 ans, ou d'un an ou de deux ans?
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue à cette deuxième heure.
[Français]
Nous accueillons, par vidéoconférence et à titre personnel, Carmen Gill, professeure, Département de sociologie, Université du Nouveau‑Brunswick.
[Traduction]
Nous accueillons également, par vidéoconférence, Mme Andrea Silverstone, directrice générale de la Sagesse Domestic Violence Prevention Society.
[Français]
Soyez les bienvenues.
Vous avez cinq minutes pour faire vos présentations, qui seront suivies par des questions des membres du Comité.
[Traduction]
Madame Gill, veuillez commencer. Vous avez cinq minutes.
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Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette séance au sujet du projet de loi .
Je reconnais respectueusement que je vous parle depuis le territoire traditionnel non cédé des Wolastoqiyik, au Nouveau-Brunswick.
Mes recherches portent principalement sur les interventions policières dans les cas de violence entre partenaires intimes, en particulier sur le contrôle coercitif. J'ai donc mené des enquêtes auprès de policiers au Nouveau-Brunswick, mais aussi dans l'ensemble du Canada, sur leur perception de la violence entre partenaires intimes et du contrôle coercitif. J'ai donc entendu beaucoup de commentaires sur la façon dont ils perçoivent ce problème précis et sur l'absence de réponse dans diverses parties du pays.
Nous savons que la violence entre partenaires intimes est de nature multidimensionnelle et englobe de nombreuses formes de violence. Malheureusement, la violence entre partenaires intimes est considérée comme un événement ponctuel, et nous ne tenons pas compte de la complexité du problème découlant du recours, par l'agresseur, à des tactiques répétitives comme l'exploitation, la manipulation, l'isolement et la microrégulation de la vie quotidienne, qu'on appelle aussi le contrôle coercitif.
Le comportement violent n'implique pas forcément la violence physique ou un incident isolé, mais il importe de nous concentrer sur les modèles de comportements répétés et continus qui se produisent sur des périodes prolongées. Quel que soit le moment où la violence commence et la forme sous laquelle cette violence se présente, il s'agit pour l'agresseur d'un moyen de maintenir son contrôle sur sa partenaire.
Étant donné que le système de justice pénale canadien met principalement l'accent sur la preuve de violence physique, les premiers intervenants doivent trouver des preuves de cette violence. Par conséquent, on néglige le contexte de la violence et les préjudices causés dans le cadre de cette dynamique, de sorte que le contrôle coercitif n'est pas pris en compte ou est rejeté. Lors d'une intervention, il est presque impossible, pour un policier, de reconnaître la privation du droit à la liberté, l'obstruction de la liberté et la dynamique du pouvoir et du contrôle.
La reconnaissance du contrôle coercitif comme une infraction reviendrait enfin à reconnaître que le pouvoir et le contrôle à l'endroit d'un partenaire intime constituent un crime contre la personne. Cela permettrait aux personnes prises dans des relations de violence de signaler la violence dont elles sont victimes, même si cette violence n'est pas physique. Le renforcement de la capacité du système de justice pénale à réagir aux formes de violence non physique fera en sorte que les interventions policières seront moins axées sur l'incident, ce qui réduira le nombre de cas où la victime-survivante est considérée, à tort, comme l'agresseur principal.
Il arrive trop souvent que les victimes de violence ne cherchent pas à obtenir de l'aide parce qu'elles estiment que ce qu'elles vivent n'est pas assez grave. Cependant, on ne les prend pas au sérieux lorsqu'elles demandent de l'aide, étant donné qu'il est difficile de déterminer comment la forme de violence se produit. Il est important de renforcer la sécurité des femmes. À cette fin, l'État doit accepter la responsabilité de prendre des mesures contre le contrôle coercitif, ce qui n'est pas le cas actuellement. L'infraction de contrôle coercitif serait une reconnaissance claire du fait que la violence entre partenaires intimes est un modèle de contrôle et de pouvoir à l'endroit de la victime et légitimerait les expériences vécues par les victimes. Une telle infraction pourrait également prévenir les homicides commis par un partenaire intime.
Bien entendu, il est important de garder à l'esprit que toute modification à la législation entraîne des conséquences imprévues. Ces conséquences peuvent toutefois être surmontées grâce à la sensibilisation, la formation et une meilleure connaissance de la question. Considérant l'incidence de cette possible infraction de contrôle coercitif, il est impératif que l'adoption et la mise en œuvre de cette disposition se fassent conjointement, par exemple, avec l'élaboration d'outils d'évaluation des risques et la formation des intervenants de première ligne, notamment les policiers, qui sont responsables de déterminer s'il y a eu une infraction de violence entre partenaires intimes. Bien entendu, tous les acteurs judiciaires devraient être plus sensibilisés à cette question précise.
Cela dit, il est important d'examiner le projet de loi pour veiller à ce qu'il soit aussi clair que possible. J'aurai peut-être des suggestions relativement au libellé de l'amendement, notamment par rapport à la définition de « partenaire intime » ou à la limite de deux ans après la séparation, pour n'en nommer que quelques-unes.
Je vous remercie.
À titre de directrice générale de Sagesse, un organisme de prévention et d'intervention en matière de violence familiale établi en Alberta, j'ai pu constater de mes propres yeux, dans de milliers de cas, les graves répercussions de la violence familiale. Nous les voyons trop souvent dans les médias, comme le meurtre de cinq personnes, dont trois enfants, la fin de semaine dernière au Manitoba, ou le meurtre, à Calgary, d'une mère qui venait de laisser ses enfants à la garderie. Dans le cadre de mon travail à l'Observatoire canadien du féminicide, je vois cette douloureuse réalité être décrite dans tous ces détails accablants. Dans bon nombre de ces cas — la plupart, en fait —, je vois le lourd tribut du contrôle coercitif.
Essentiellement, le contrôle coercitif est un modèle de comportement qui réduit à néant l'autonomie personnelle. La victime est incapable de prendre des décisions dans son propre intérêt par crainte de représailles de la personne qui exerce un contrôle sur elle. Ce contrôle est souvent de faible intensité, mais cumulatif, de sorte que la personne qui subit ce contrôle vient à douter d'elle-même et même qu'elle subit de la violence. Ce manque de compréhension se répercute sur les personnes de leur entourage, qui ne reconnaissent pas que la situation constitue de la violence familiale, mais voient graduellement s'éroder les relations de la victime avec ses proches.
Lorsqu'une victime est consciente qu'il s'agit de contrôle coercitif, les probabilités qu'elle appelle la police sont d'environ 20 %, mais le cas échéant, elle découvre alors que la violence qu'elle subit n'est pas illégale et que le système de justice ne peut pas la protéger. La police peut écouter, mais ne peut pas agir. Ce manque de soutien survient au moment où le soutien est primordial. Les relations minées par le contrôle coercitif sont caractérisées par des comportements violents plus fréquents et plus graves moins susceptibles de cesser. C'est l'un des meilleurs indicateurs du degré de létalité. Ce danger accru rend impérative une intervention juridique.
Mes travaux de maîtrise — et maintenant de doctorat — sur le contrôle coercitif, ainsi que l'étude des pratiques prometteuses à l'échelle mondiale, révèlent que la criminalisation du contrôle coercitif change la donne. Au Royaume-Uni, lorsque le système de justice a modifié sa définition pratique de la violence familiale afin d'inclure le contrôle coercitif, le nombre d'appels à la police a augmenté de 31 %. Soudainement, les victimes ont commencé à croire que les services de police et, par extension, les tribunaux, interviendraient dans les incidents de violence qu'elles subissaient.
Nous pouvons aussi changer cette trajectoire pour les victimes de violence au Canada. Le contrôle coercitif est présent dans 95 % des relations caractérisées par la violence. Traiter de la question du contrôle coercitif sur le plan pénal permettrait aux services policiers et au système de justice d'intervenir pour mettre fin à l'escalade et à la fréquence de la violence.
Toutefois, cette mesure législative n'aurait pas seulement pour effet de changer notre système de justice. Elle changerait aussi la perception de la violence familiale au sein de la société. Elle favoriserait un discours qui fera comprendre à tous les Canadiens que la violence est beaucoup plus qu'un œil au beurre noir ou un os cassé et que les victimes restent dans des relations violentes parce qu'ils ont perdu leur autonomie personnelle. Cela contribuerait à déstigmatiser la violence familiale, ce qui nous permettrait, en tant que société, de mieux lutter contre la violence.
Enfin, cela réduirait le fardeau à long terme sur nos systèmes de santé et de justice, car la réalité, c'est que la violence a un coût énorme. En 2009, le gouvernement du Canada estimait le coût annuel de la violence familiale à 7,4 milliards de dollars, soit environ 220 $ par Canadien. Ce coût a sans doute augmenté, pour les personnes qui fuient la violence, étant donné l'inflation normale et l'augmentation des dépenses de base comme le logement.
Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, nous appuyons le projet de loi , que nous considérons comme une mesure essentielle pour protéger les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne énoncés dans notre Charte des droits et libertés. Cependant, ce projet de loi n'est pas une panacée qui mettrait fin immédiatement à l'épidémie de violence familiale. Cette loi, comme toute loi, a ses limites.
Premièrement, la période de deux ans après une relation est précisée à l'alinéa 264.01(3)c) proposé. Le contrôle coercitif peut se poursuivre longtemps après la fin de la relation, particulièrement dans le cas d'ex‑conjoints qui utilisent le système judiciaire pour exercer un contrôle.
Deuxièmement, les expériences des enfants ne sont pas explicitement reconnues et sont uniquement prises en compte sous l'angle du préjudice causé au parent. D'un autre côté, par exemple, le Domestic Abuse Bill, en Écosse, comprend des facteurs aggravants liés aux enfants.
Enfin, cette mesure législative ne réglerait pas les problèmes structurels qui ont une incidence sur la prestation de la justice aux groupes dignes d'équité. Cependant, la recherche sur l'application de lois relatives au contrôle coercitif au sein d'autres administrations peut répondre à bon nombre de ces préoccupations. Dans une étude sur des cas précis ayant fait l'objet de poursuites en vertu de la loi sur le contrôle coercitif au Royaume-Uni, Evan Stark a souligné que la loi « était correctement appliquée aux modèles de violence habituels comprenant de multiples éléments de coercition et de contrôle ».
Les recherches d'Andy Myhill et d'autres indiquent que l'effet des lois visant à prévenir la violence familiale est considérablement amélioré, pour un vaste éventail de groupes, lorsque la police dispose d'outils de dépistage qui aident à déterminer les mesures de contrôle. Cela signifie que pour être efficace, cette mesure législative doit être accompagnée d'un financement et d'un plan pour offrir aux policiers, aux juges et aux procureurs de la Couronne une formation pour les aider à mieux comprendre le contrôle coercitif. Des organismes comme le mien, Sagesse, peuvent contribuer à cela.
Pour terminer, je tiens à vous remercier de l'invitation à comparaître et de votre examen approfondi de ce projet de loi. Je pense qu'il est temps d'écouter les millions de Canadiens qui sont touchés et d'agir immédiatement pour les protéger.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Madame Gill et madame Silverstone, je vous remercie de votre présence. Merci de nous faire profiter de votre expertise. On ne réalise pas toujours que la violence entre partenaires intimes s'étend à tous les groupes socioéconomiques.
J'ai des questions sur un aspect pertinent par rapport au projet de loi. En fait, ce sont deux volets d'une même question.
J'aimerais savoir si vous pourriez toutes les deux faire des commentaires sur la rapidité avec laquelle le contrôle coercitif apparaît au début d'une relation. Selon mon expérience, les relations commencent souvent de façon très intense, puis le contrôle coercitif peut littéralement se manifester après quelques semaines. Je veux m'assurer que cela est pris en compte dans la mesure législative. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet. En outre, à l'inverse, dans quelle mesure le contrôle coercitif peut‑il s'établir rapidement?
J'imagine que la réponse prendra la majeure partie du temps qui m'est imparti, mais j'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, s'il vous plaît.
C'est vraiment insidieux, car au début, c'est perçu comme quelque chose de très positif. La personne sera très attentionnée envers l'autre et voudra faire des activités avec l'autre. Cela se transforme rapidement en un comportement plus contrôlant, mais au début, la perception peut être qu'il s'agit d'un couple très amoureux. C'est considéré comme tout à fait normal, mais il ne faut pas nécessairement beaucoup de temps avant de voir apparaître un comportement contrôlant qu'on présente comme de la simple attention, comme un désir de prendre soin de l'autre.
Il n'y a pas nécessairement de temps précis avant qu'une tendance se dessine. On ne parle pas du lendemain, mais il y a des signes avant-coureurs quelques semaines après le début de la relation, en particulier quand la personne commence à déclarer son amour après moins de deux semaines, qu'elle est prête à se marier après un mois et demi, qu'elle est prête à adopter un autre mode de vie ou qu'elle commence à demander certaines choses. Une personne peut être profondément amoureuse et commencer à donner de l'argent ou prêter sa voiture, ou voir l'autre décider d'emménager après deux mois. C'est à ce moment‑là que l'on commence à observer un comportement contrôlant.
Prenez par exemple la chronologie de l'homicide dans une relation créée par Jane Monckton Smith. La relation commence de façon plutôt normale: la personne pense avoir trouvé quelqu'un qui se soucie vraiment d'elle. Il y a ensuite une escalade, puis cela évolue vers la prochaine étape; la personne démontrera à quel point elle se soucie de l'autre, mais cette forme de sollicitude est, en fait, un moyen de piéger quelqu'un dans une toile, puis la situation ne fait que se dégrader.
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J'aimerais, à titre d'exemple, ajouter l'expérience de certaines des clientes avec lesquelles nous avons travaillé.
Pendant que Mme Gill parlait, j'ai repensé à l'une de nos clientes, qui a raconté la première fois qu'elle était sortie au restaurant avec celui qui deviendrait son mari. Il lui avait dit: « Tu devrais peut-être commander ceci. » La deuxième fois, il a commandé pour elle. La fois suivante, il lui a dit exactement quoi manger et ce qu'elle devait porter. La fois d'après, lorsqu'elle est montée dans la voiture, il l'a obligée à retourner se changer.
Une des analogies que nous utilisons est celle d'une grenouille dans l'eau bouillante. La grenouille ne sent rien tant que l'eau n'est pas bouillante. Soudainement, la femme s'est retrouvée dans une situation où elle était mariée à cet homme qui contrôlait chacun des aspects de sa vie. Il l'avait isolée de ses amis, mais graduellement, par petites étapes, jusqu'à ce qu'elle se retrouve complètement isolée dans cette situation.
J'aimerais aussi souligner que le contrôle coercitif — et je pense que Mme Collins en a parlé — est une expérience très subjective. Certaines personnes n'ont pas l'impression d'être contrôlées si leur partenaire commande le repas pour elles. Elles ont l'impression que c'est leur choix parce que c'est ce qu'elles veulent. Toutefois, si elles ont peur de commander leur repas elles-mêmes par crainte de subir des représailles plus tard, comme l'usage de la force ou quelque chose du genre, c'est là que cela devient du contrôle coercitif.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Mesdames Gill et Silverstone, merci beaucoup de comparaître devant nous aujourd'hui.
J'aimerais me concentrer sur les amendements que vous proposez au projet de loi.
J'aimerais commencer par la définition de qui serait visé par la mesure législative en vertu du paragraphe 264.01(3) proposé. Essentiellement, la loi s'applique selon moi aux personnes qui sont « des époux, des conjoints de fait ou des partenaires amoureux actuels ». Par « partenaires amoureux », on entend uniquement « deux personnes qui ont convenu de se marier ». Dans les autres cas, elles doivent habiter ensemble.
Deux personnes qui se fréquentent depuis cinq ou sept ans, n'habitent pas ensemble et n'ont pas convenu de se marier peuvent très bien avoir des problèmes de contrôle coercitif, mais je crois comprendre qu'elles ne sont pas visées par cette mesure législative. Je me demande si vous pourriez chacune faire un commentaire à ce sujet et nous dire, peut-être, si vous considérez que c'est suffisant.
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Je peux répondre. Je vous remercie de la question.
C'est un aspect de l'amendement sur lequel je me suis aussi penchée. Étant donné qu'il existe déjà une définition de « partenaire intime » à l'article 2 du Code criminel du Canada, je pense que la définition dans cet amendement précis pourrait renvoyer à cet article.
Le libellé choisi — « partenaires amoureux » et « deux personnes qui ont convenu de se marier » — me pose problème. Vous m'excuserez, mais je trouve que c'est un peu dépassé. Les gens ne se marieront pas nécessairement. Ils sortent ensemble. Ils ont une relation. Il est de plus en plus fréquent que des personnes sortent ensemble sans vivre ensemble. C'est presque la nouvelle norme. Les gens ne se marient pas. Je vais parler du Québec, parce qu'au Québec, beaucoup de gens ne se marient pas. L'utilisation de « partenaires amoureux » me semble plutôt étrange.
L'inclusion de la notion de « partenaires amoureux » pourrait ouvrir la porte à d'autres formes de partenariat, comme les personnes qui sont prises dans une situation de traite de personnes et qui sont dans une relation amoureuse. J'ai eu des discussions au sujet de la traite de personnes avec des juges. J'ai expliqué que beaucoup de victimes de la traite de personnes sont dans une relation amoureuse et pensent que la personne qui les exploite est leur amoureux, ce qui n'est pas le cas. Cela pourrait ouvrir la porte à ce genre de situation. J'aimerais vraiment une définition un peu plus large ou que l'on revienne à l'article 2.
Il y a aussi la limite de deux ans après la séparation. Les recherches démontrent que le contrôle et le suivi d'une victime se poursuivent bien au‑delà de deux ans après la séparation. Je pense qu'il est important de souligner que la période qui suit la séparation est certes d'une grande importance, mais qu'il convient de ne pas la limiter à deux ans ou moins, car j'ai vu des cas où la victime avait été contrôlée bien au‑delà de deux ans.
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Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, je souhaite la bienvenue aux deux témoins.
Je vous remercie d'être parmi nous. Vos commentaires et vos observations sont des plus précieux.
Madame Gill, vous proposez un amendement pour inclure les enfants parmi les victimes potentielles. J'y ai réfléchi, et je me demande comment cela pourrait s'appliquer.
Prenons l'exemple d'un enfant qui se fait dire d'aller réfléchir dans sa chambre par un de ses parents parce que son comportement n'est pas acceptable. Il va se dire que, s'il n'y va pas, on va l'y emmener de force et qu'il sera victime de violence.
Vous allez me dire que je fais une caricature et que je vais loin, mais je cherche la limite.
Si on inclut les enfants parmi les victimes potentielles, comment va-t-on éviter qu'il y ait des condamnations qui n'auraient aucun sens? On veut que les parents, les enseignants et tout le monde puissent continuer d'exercer un certain contrôle sur les enfants et leur comportement. Quelle limite va-t-on instaurer, si on inclut les enfants parmi les victimes potentielles?
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C'est une excellente question. Cela peut être très problématique, nous sommes d'accord.
Lorsque les enfants sont victimes de tels comportements, leur mère l'est aussi, généralement. Si une mère est victime de contrôle coercitif, par exemple, son enfant le sera aussi.
Je n'envisagerais pas les enfants comme des victimes seules de contrôle coercitif. Cela s'inscrirait plutôt dans le cadre de la relation que les parents ont entre eux. Quand on parle de violence entre partenaires intimes, en général, les enfants sont laissés pour compte. Or ils ne sont pas seulement des témoins, ils sont aussi partie prenante d'une certaine dynamique où ils sont contrôlés par l'agresseur.
On peut penser à des comportements comme le simple fait de regarder un enfant d'une certaine façon pour lui faire comprendre qu'il ferait mieux de marcher droit, comme on dit, parce qu'on...
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Merci, madame Silverstone.
Ma prochaine question s'adresse à vous deux, mais je ne sais pas qui est la mieux placée pour y répondre.
Selon l'article 5 du projet de loi , quelqu'un qui est accusé d'avoir eu un comportement contrôlant ou coercitif pourrait invoquer la défense selon laquelle l'accusé a agi dans l'intérêt supérieur de la personne envers laquelle la conduite était dirigée. Par exemple, si on accuse son conjoint d'avoir eu un tel comportement, celui-ci va dire qu'il croyait sincèrement agir dans l'intérêt de sa conjointe ou de son épouse en contrôlant telle ou telle chose. Vous allez me dire que j'exagère, et j'en conviens.
La question qui me chicote est la suivante. Admettons que l'accusé ait cru sincèrement agir dans l'intérêt de la victime. Dans ce cas, l'article 5 n'ouvre-t-il pas la porte à la défense voulant que l'individu n'avait pas une intention délictueuse? Même si on accusait une personne d'avoir eu un comportement qui n'est pas acceptable, cette personne n'avait peut-être pas l'intention de commettre un acte criminel. À l'article 5, il est bien mentionné que la personne a agi « dans l'intérêt supérieur de la personne envers laquelle la conduite était dirigée ».
Madame Gill, que dites-vous de cette possibilité? Mme Silverstone va pouvoir répondre à cette question par la suite.
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Selon nous, il faudrait apporter quatre amendements principaux au projet de loi.
Le premier concerne le type de relation. Nous sommes d'avis qu'il serait très utile d'avoir au Canada une mesure législative sur le contrôle coercitif qui vise également les victimes d'exploitation sexuelle, surtout puisque l'exploitation sexuelle et la violence entre partenaires intimes sont souvent reliées.
Un autre élément est la durée de la relation. Nous savons que le risque de contrôle coercitif subsiste longtemps après la fin de la relation, surtout lorsque des enfants sont mêlés à la situation.
Il y a aussi la question d'inclure les enfants. J'en ai déjà parlé brièvement, surtout par rapport à l'aliénation parentale.
Enfin, il y a la question de l'effet important.
Ce sont les quatre amendements que nous recommandons.
L'un des points forts du projet de loi, selon nous, c'est le critère du caractère raisonnable. Je pense qu'il répond à bien des questions qu'on peut se poser quand quelqu'un dit: « Je le fais pour ton bien. »
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D'abord, dès que le Royaume-Uni a informé l'ensemble de la population qu'il avait ajouté le contrôle coercitif à la définition de la violence familiale, les appels à la police ont augmenté de 30 %. Je trouve très important de mener une campagne de sensibilisation du public sur la définition du contrôle coercitif et sur le fait que le système judiciaire prend cet enjeu très au sérieux.
Chez Sagesse, nous recevons souvent des appels de femmes qui disent ne pas être certaines que ce qu'elles vivent est une situation de violence, mais qui sentent que quelque chose ne va pas. Elles décrivent ce qu'elles vivent, et c'est presque toujours du contrôle coercitif. Dès que nous nommons le problème, elles reconnaissent qu'il s'agit bien de cela. Voilà pourquoi c'est tellement terrible.
Le Royaume-Uni a mené d'excellentes campagnes. Sagesse s'en est inspiré. Nous avons fait beaucoup de travail qui a été jugé très pertinent.
Selon moi, c'est là le plus important. Il faut d'abord nommer le problème, puis informer les gens qu'il s'agit d'une forme de violence et qu'ils peuvent demander de l'aide pour s'en sortir.
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Merci, madame la présidente.
Mesdames Gill et Silverstone, une question me chicote. Madame Gill, vous disiez que, au Nouveau‑Brunswick, on avait créé un tribunal spécialisé dans les cas de violence familiale et que les plaintes avaient augmenté après sa création. Je n'ai pas de difficulté à le croire. Les victimes se disaient probablement qu'elles avaient davantage de chance d'être crues et entendues.
Le projet de loi à l'étude traite de comportements violents et coercitifs de façon répétée et continue. Il ne s'agit donc pas de gestes de violence précis, comme un coup de poing ou un coup de couteau, qui sont des événements précis. La victime rapporte à la police que son conjoint ou sa conjointe l'a attaquée avec un couteau. C'est simple.
J'aimerais vous entendre sur la façon dont le projet de loi s'articulera autour des plaintes et des infractions. Par exemple, quelle victime va dire que son conjoint, la première année, a pris le contrôle de son compte de banque et que, la deuxième année, il l'a suivie quatre ou cinq fois? Je sens qu'il y a une certaine fluidité dans le comportement.
Ne craignez-vous pas que ce soit difficile de porter plainte ou de bien cerner l'infraction qui fera l'objet d'un éventuel procès?
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L'infraction ne consisterait pas nécessairement en un événement, mais en un ensemble de comportements. Comment fait-on pour déterminer qu'il s'agit de comportements de contrôle? Il va falloir revoir la façon dont on pose des questions aux victimes. Cela va permettre d'établir le type de comportement de contrôle dont elles ont été victimes. Je ne pense pas que ce sera problématique.
D'ailleurs, j'ai souvent vu des cas où des femmes ont appelé la police parce qu'elles craignaient pour leur vie, mais, au moment où la police a répondu à l'appel, il n'y avait pas eu d'événement physique, d'infraction physique. Les policiers ne pouvaient donc pas cerner ce qui avait poussé la femme à appeler la police. On n'a pas posé de questions sur les événements qui ont précédé l'appel à la police.
Cela va nous amener ou nous forcer à revoir la façon de poser des questions sur l'ensemble de la situation. Il faut voir cela de façon beaucoup plus large. Il ne s'agit pas d'un coup de poing ou d'une gifle. Il s'agit de quelqu'un qui terrorise une personne pendant des semaines, des mois, voire des années, ce qu'on ne considère toujours pas comme un crime. À mon avis, c'est problématique.