Bienvenue à la 70e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 22 mars 2023, le Comité se réunit en public pour commencer son étude du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes).
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais formuler quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et veuillez le désactiver lorsque vous ne parlez pas.
Pour accéder à l'interprétation, pour ceux qui sont sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Pour ceux qui sont dans la salle, vous pouvez utiliser l'oreillette pour sélectionner le canal désiré.
Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la présidence. Pour les députés présents dans la salle, si vous souhaitez prendre la parole, veuillez lever la main. Pour les membres sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ».
Le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour gérer l'ordre des interventions. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Bienvenue à tous.
Nous étudions le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes). Pour nous aider dans notre étude aujourd'hui, nous recevons Janine Benedet, c.r., professeure de droit à la Peter Allard School of Law de l'Université de la Colombie-Britannique. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Holly Wood, chercheuse et éducatrice à la Brave Education for Trafficking Prevention; et Sandra Ka Hon Chu, de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
Je vous présente mes excuses. Je crois que nous avons dû annuler votre comparution la dernière fois. Merci d'avoir reporté notre rencontre et d'être revenues. Il se passe des choses au Parlement qui nous obligent à nous adapter de temps à autre, mais je vous remercie d'être ici.
Vous disposerez chacune de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire, après quoi les membres du Comité vous poseront des questions. J'espère que pendant cette période, vous pourrez répondre à toutes les questions que vous n'aurez pas abordées.
Nous allons commencer par Mme Benedet, qui dispose de cinq minutes.
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Merci, monsieur le président. Je remercie le Comité de m'avoir invitée à traiter de cet important projet de loi.
Je suis professeure de droit et avocate à Vancouver, et j'ai acquis de l'expertise en droit pénal dans le domaine dont nous traitons aujourd'hui et dans les domaines connexes de la violence et de l'exploitation sexuelles au cours de mes 25 années de recherche, d'enseignement et de représentation de clientes devant les tribunaux.
Dans mon allocution d'ouverture, je formulerai quatre observations: deux à portée générale et deux portant précisément sur le projet de loi. Je sais que le temps m'est compté, alors j'essaierai d'être claire et concise.
Premièrement, la traite de personnes constitue un grave problème dans le monde et au Canada. C'est une pratique qui cible des personnes vulnérables à des fins lucratives. Thomson Reuters a récemment mené une enquête qui a révélé que 700 établissements au Canada sont impliqués dans la traite de personnes à des fins sexuelles, bon nombre d'entre eux ayant des liens avec des criminels connus. Ce cabinet a estimé que les profits illicites au Canada et aux États-Unis s'élèvent à 2,5 milliards de dollars par année.
La plupart des victimes de la traite de personnes au Canada sont des Canadiennes. C'est une pratique qui cible de façon disproportionnée les femmes et les filles autochtones, les personnes ayant une déficience intellectuelle et d'autres groupes vulnérables.
Le Canada s'est engagé sur la scène internationale à lutter contre la traite de personnes, et nous ne pouvons pas nous permettre de nous asseoir sur nos lauriers ou de faire du déni. La traite de personnes n'est pas une panique morale ni un tour de prestidigitation.
Deuxièmement, la distinction entre la traite de personnes à des fins sexuelles et l'industrie de la prostitution dans son ensemble continue d'être mal comprise du point de vue juridique. La prostitution n'est pas toujours du trafic sexuel. Sur le plan juridique, la différence entre la traite de personnes à des fins sexuelles et la prostitution — même lorsqu'elle est renommée « travail du sexe » — n'est pas que l'une est forcée et l'autre libre. C'est une idée fausse répandue. La différence, c'est que la traite exige une tierce partie, un trafiquant. On ne peut pas faire le trafic de sa propre personne.
Là où il n'y a pas de tierce partie, il n'y a pas de traite, mais il peut quand même y avoir de l'exploitation. Prenons un exemple simple: un homme qui achète un enfant de 14 ans qui s'est enfui de la maison et échange avec lui de la drogue contre des faveurs sexuelles exploite cet enfant, mais s'il n'y a pas de tierce partie impliquée — pas de proxénète —, ce n'est pas de la traite au sens juridique du terme.
La question litigieuse de savoir si toute prostitution est une forme d'exploitation et de discrimination n'est pas ce dont le Comité est saisi aujourd'hui.
Bien entendu, les lois sur la traite de personnes s'appliquent aux trafiquants et non aux acheteurs à l'origine de la demande en matière de traite. Le Canada a l'obligation internationale de cibler la demande en services sexuels qui stimule la traite de personnes, mais il existe des infractions distinctes pour les acheteurs de services sexuels, qui ne sont pas non plus examinées par le Comité aujourd'hui.
Troisièmement, en ce qui concerne le projet de loi lui-même, la définition de la traite dans le Code criminel est inutilement alambiquée et trop restrictive. Il est très difficile pour les victimes de se manifester, et le fait que l'infraction soit si difficile à prouver empire les choses. Seulement 12 % des accusations de trafic qui sont portées devant les tribunaux donnent lieu à une condamnation pour une infraction de trafic.
Il serait très utile de supprimer l'exigence de prouver une crainte raisonnable pour la sécurité, comme le fait ce projet de loi, car il est inapproprié d'imposer une exigence de raisonnabilité aux victimes. Nous devrions nous concentrer sur les actes du trafiquant. De plus, la peur pour la sécurité n'est pas la seule façon dont les trafiquants influencent et contrôlent leurs victimes. Un trafiquant qui contrôle l'accès aux drogues ou qui menace de divulguer des photographies pornographiques à la famille d'une femme ou de signaler sa fraude à l'aide sociale dispose d'un moyen très efficace pour l'obliger à rester dans la prostitution, de sorte que l'exigence de craindre pour sa sécurité est trop restrictive et inutile.
Nous avons rejeté une exigence semblable dans le droit relatif aux agressions sexuelles, et la seule infraction qui reste dans le Code criminel avec une exigence semblable est le harcèlement criminel, et cette exigence est continuellement critiquée.
Quatrièmement, même si j'appuie ce changement, j'aimerais qu'il aille plus loin. La définition de l'exploitation dans le projet de loi se limite à faire entrer ou rester une personne dans le commerce du sexe — je parle ici de la traite de personnes à des fins sexuelles — par la coercition, la tromperie, l'abus de position de confiance, de pouvoir ou d'autorité, ou tout autre acte semblable. Cette définition est encore très étroite, selon l'interprétation qu'en feront les tribunaux, et elle ne tient pas compte d'un certain nombre de façons dont les trafiquants préparent et manipulent leurs cibles et les choisissent en fonction de leur vulnérabilité.
Le Protocole de Palerme inclut l'exploitation d'une condition de vulnérabilité dans sa définition de l'exploitation, et j'aimerais que la définition du Code criminel canadien soit harmonisée avec nos engagements internationaux et avec cette définition acceptée à l'échelle internationale.
Je vous remercie du temps que vous m'accordez. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
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Bonjour. Je m'appelle Holly Wood et je représente Brave Education for Trafficking Prevention.
Je suis étudiante à la maîtrise en droit de l'Université Carleton, où je termine actuellement ma thèse sur les réactions de la police à la traite de personnes à des fins sexuelles et au travail du sexe en Ontario. Je détiens un baccalauréat ès arts avec distinction en droit de l'Université Carleton.
Je suis éducatrice agréée à l'échelle nationale en prévention de la traite de personnes au sein de Brave Education, où je participe à l'élaboration et à la mise en œuvre de programmes de prévention de l'exploitation sexuelle pour les élèves de la maternelle à la douzième année et les adultes. Je suis vice-présidente de la Coalition d'Ottawa pour mettre fin à la traite de personnes et présidente du comité de défense des droits de la personne. J'ai travaillé pour le ministère des Services à l'enfance et des Services sociaux et communautaires de l'Ontario auprès de jeunes en foyer d'accueil qui risquent d'être victimes de la traite de personnes ou qui le sont activement. J'ai travaillé à la Société Elizabeth Fry d'Ottawa avec des femmes qui ont été criminalisées parce qu'elles avaient été victimes de la traite de personnes, et j'ai travaillé en défense criminelle; la société pour laquelle j'ai travaillé a défendu avec succès un trafiquant.
Pour mon premier exemple à l'appui du projet de loi , je me référerai à l'expérience d'une survivante avec qui Brave a travaillé. Par respect, je parlerai d'elle de façon anonyme.
À 19 ans, elle a été victime de la traite de personnes de la part d'un homme qu'elle aimait et qu'elle croyait être son petit ami. Elle entretenait une relation avec celui qui l'exploitait. Il l'a fait travailler dans cinq villes du Canada. Après des années de traite, elle a appris ce qu'était la traite de personnes. Elle a appris qu'elle avait en fait été victime de la traite de personnes.
Elle a poursuivi son trafiquant. Lorsqu'on lui a demandé de se présenter devant le tribunal pour présenter une déclaration de la victime, elle est montée à la barre devant son trafiquant. Elle a regardé dans la salle d'audience et a croisé son regard. Elle s'est immédiatement sentie envahie par des sentiments d'amour et de dépendance. Elle a quitté la salle d'audience en courant et n'a pas témoigné, parce que même si elle savait qu'elle avait été victime de traite, elle était tellement amoureuse de lui que le fait de le voir dans cette salle d'audience a déclenché une réaction émotive d'amour et non de peur. Elle n'avait pas peur de son trafiquant; elle était amoureuse de lui. Encore aujourd'hui, elle nous affirme qu'elle retournerait auprès de son trafiquant en un instant, parce qu'il l'a fait se sentir aimée plus que sa famille et ses amis ne l'ont jamais fait.
Elle est un parfait exemple de la raison pour laquelle ce projet de loi est si important. Même lorsque les victimes savent qu'elles ont fait l'objet de traite de personnes, leurs sentiments d'amour et d'attirance envers leurs trafiquants ne disparaissent pas. Les effets de la manipulation, de la coercition et de l'amour excessif ne cessent pas simplement parce qu'un survivant a été extirpé de sa situation. Par conséquent, il est plus que jamais important de supprimer l'exigence de prouver la peur pour que les survivants de la traite de personnes puissent obtenir justice sans avoir à assumer le fardeau injuste de prouver la peur et sans devoir craindre que les années de relations émotionnelles qu'ils ont eues avec leur trafiquant les empêchent d'obtenir une condamnation pour le crime qu'ils ont subi.
La traite et l'exploitation des personnes peuvent toucher tout le monde, pas seulement les femmes et les filles. Pour mon dernier exemple, je m'appuierai sur les recherches publiées par ma collègue Ena Lucia Mariaca Pacheco sur l'exploitation des hommes et la traite de personnes. Selon ces recherches, plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les hommes ou les garçons peuvent hésiter à manifester de la peur après avoir été victimes de traite ou d'exploitation.
Au Canada, les attentes sociales veulent que les hommes soient forts et durs et qu'ils étouffent leurs émotions. Par conséquent, de nombreux hommes et garçons peuvent ressentir de la pression pour ne pas manifester de crainte ou de faiblesse. Ils peuvent penser qu'exprimer leur peur ou leur vulnérabilité n'est ni productif ni utile, et ils peuvent choisir d'intérioriser leurs émotions pour garder un sentiment de contrôle ou essayer d'oublier leur traumatisme. Les victimes masculines peuvent éprouver un sentiment de honte, d'embarras, de jugement ou de stigmatisation si elles montrent qu'elles ont peur ou qu'elles sont incapables de se protéger de leur trafiquant masculin ou féminin.
Par conséquent, en éliminant la peur et en montrant aux victimes masculines qu'il est acceptable de dénoncer enfin leur exploitation, nous espérons observer une augmentation des divulgations et des condamnations. Il est important d'aborder ce projet de loi avec empathie et compréhension, en admettant que toute réaction à un traumatisme est le fruit d'une interaction complexe de facteurs personnels, culturels et sociétaux. La peur peut prendre diverses formes pour différentes personnes, et dans bien des cas, cela ne correspond pas du tout à ce que la disposition actuelle considère comme de la peur.
Je remercie le Comité, et tous les autres organismes parlementaires d'accorder au crime dévastateur qu'est la traite de personnes l'attention qu'il aurait dû recevoir depuis longtemps. Le projet de loi est l'une des nombreuses mesures que nous devons prendre pour protéger nos communautés et, surtout, les personnes touchées par le crime de la traite de personnes.
Le fait est que les lois canadiennes actuelles n'évoluent pas au même rythme que la traite de personnes. Dans le mouvement de lutte contre la traite de personnes, nous avons coutume de dire que c'est un système juridique et non un système de justice.
Pour moi et mon équipe à Brave, le projet de loi peut modifier le discours de notre système judiciaire et rendre la justice plus accessible aux victimes de la traite de personnes. Plus important encore, le projet de loi S‑224 renforcera le message indiquant que la traite de personnes au Canada n'est pas acceptable, ne sera pas tolérée et sera punie à l'avenant, dans le respect des droits et de la dignité des victimes qui, avec l'aide du projet de loi S‑224, seront plus enclines à affronter leurs trafiquants dans une salle d'audience afin de protéger les générations actuelles et futures.
Je vous remercie.
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Bonjour. Je m'appelle Elene Lam et je suis directrice générale de Butterfly. Nous travaillons avec plus de 5 000 travailleurs et travailleuses du sexe migrants au Canada.
Je suis choquée que le Comité n'ait consulté ni les droits des migrants, ni la justice raciale, ni les travailleurs et travailleuses du sexe qui sont directement touchés. Un grand nombre de spécialistes de la violence faite aux femmes et de la justice raciale et d'organisations de défense des droits de la personne ont déjà manifesté leur opposition à ce projet de loi et se sont dits préoccupés de ne pas avoir l'occasion de vous expliquer en quoi ce projet de loi est préjudiciable.
On prétend que le projet de loi aidera à porter des accusations contre les trafiquants et à les traduire en justice, mais ce ne sera pas le cas. Comme Mme Ka Hon Chu l'expliquera, ce projet de loi se traduira par une augmentation du nombre d'accusations de traite de personnes portées contre les migrants, les Noirs et les personnes racisées, les travailleurs et travailleuses du sexe et les gens qui fournissent des services de soutien aux autres. Cela les privera de leur gagne-pain, les fera vivre dans la peur et les poussera à travailler encore plus dans la clandestinité.
Certains membres du Comité se sont déjà dits préoccupés par le fait que le projet de loi ne fait pas de distinction entre le travail du sexe et la traite de personnes. Il ne peut pas faire de distinction entre les gens qui ont demandé à une autre personne d’organiser le travail et ceux qui sont exploités ou forcés de se prostituer. Les deux seront accusés de traite, quelle que soit la nature de la relation. Il est erroné de présumer que toutes les tierces parties exploitent quelqu'un et font la traite de personnes. Les travailleurs et travailleuses du sexe migrants pauvres et racisés comptent sur le soutien de la communauté pour rester en sécurité. Ils s'entraident à accéder au transport, à la nourriture, aux soins médicaux, à la traduction et à un milieu de travail sécuritaire. Si le projet de loi est adopté, toute personne qui aide les travailleurs et travailleuses du sexe à rester en sécurité, en particulier les Noirs et les migrants, sera accusée de traite de personnes. Les gens auront trop peur d'être associés au travail du sexe, ce qui rendra les travailleurs et travailleuses du sexe plus isolées et vulnérables.
Les personnes qui s'opposent au travail du sexe recourent depuis longtemps à des campagnes et à des politiques contre la traite de personnes pour promouvoir leur programme raciste et anti-migrants. Ils encouragent la panique morale, la discrimination raciale et la haine contre l'industrie du sexe. En réclamant la criminalisation du travail du sexe et une augmentation des services de police, les campagnes de lutte contre la traite de personnes ne visent souvent pas à mettre fin à la traite de personnes, mais plutôt à mettre fin à l'industrie du sexe. Il ne s'agit pas de protéger les travailleuses du sexe, mais de mettre fin au travail du sexe.
Vous êtes tous ici aujourd'hui parce que vous avez à cœur les droits et la sécurité des personnes vulnérables. Vous devriez écouter la communauté et ce que de nombreux travailleurs et travailleuses du sexe racisés, noirs et migrants vous diront: « Ne me privez pas de mon moyen de subsistance. Nous ne pouvons pas laisser le projet de loi être adopté. Ce projet de loi ne nous protège pas. Il nous met en danger. »
Je vais maintenant donner à Mme Ka Hon Chu le temps de fournir plus d'explications.
Je vous remercie.
Je m'appelle Sandra Ka Hon Chu, et je suis codirectrice générale du Réseau juridique VIH.
J'ai deux choses principales à ajouter concernant le projet de loi . Premièrement, la suppression de l'exigence d'une menace pour la sécurité va faire en sorte que l'on va cibler des cas où il n'y a pas d'exploitation. Les défenseurs de ce projet de loi font valoir qu'il peut être difficile d'obtenir des preuves directes auprès d'une éventuelle plaignante, mais on s'appuie d'ores et déjà pour ce faire sur un critère objectif qui n'exige pas le témoignage de la plaignante. En éliminant cette exigence, on ne fait qu'habiliter davantage la police et les procureurs à définir, souvent de façon erronée, ce qui constitue de la violence et de l'exploitation pour un groupe donné. Dans le cas des travailleuses du sexe, on présume d'emblée qu'il y a violence et exploitation. À titre d'exemple, Katrin Roots a démontré que les policiers exercent des pressions sur les travailleuses du sexe pour qu'elles se disent victimes de la traite des personnes, même lorsqu'elles affirment le contraire. Sans l'exigence d'une menace pour la sécurité, on peut s'appuyer sur une perception biaisée de l'industrie du sexe pour conclure qu'il y a coercition ou exploitation.
Deuxièmement, comme l'indiquait Mme Lam, les amendements risquent de cibler tous les tiers intervenant dans le travail du sexe, y compris les personnes offrant des services de soutien aux travailleuses de cette industrie. Les forces de l'ordre ont toujours dit à Butterfly et au Réseau juridique VIH que le rôle joué par un tiers auprès des travailleuses du sexe laisse toujours supposer qu'il y a exploitation, ce qui justifie que l'on fasse enquête. Des chercheurs ont toutefois établi que la police et les procureurs ne manquent pas d'insister sur l'importance du problème du proxénétisme, en portant leur attention sur les jeunes hommes pauvres et racisés, et principalement sur les Noirs, bien que les travailleuses du sexe soient plus nuancées en décrivant ces tiers comme des protecteurs et des partenaires intimes. Comme Mme Lam l'a mentionné, les travailleurs et les travailleuses du sexe sont également nombreux à devoir assumer un rôle de tiers. Les migrants, les Asiatiques et les membres des autres communautés racisées s'en remettent à leurs proches et à leur communauté pour qu'on les protège et qu'on les appuie dans leur travail, mais sont souvent victimes des efforts de lutte contre la traite des personnes.
Les membres du réseau Butterfly ont été accusés à titre de tierces parties simplement parce qu'ils ont aidé des travailleuses du sexe pour leurs communications avec les clients, l'établissement de leur horaire, leur publicité et le filtrage des clients. Les peines imposées pour ces infractions sont déjà sévères, mais un tiers reconnu coupable de traite des personnes s'expose à une peine minimale obligatoire de quatre années d'incarcération, ce qui peut se traduire par la perte de son statut et l'expulsion du pays pour ceux et celles qui n'ont pas la citoyenneté canadienne.
Si vous voulez vraiment aider les personnes à risque d'exploitation et de maltraitance, vous devez écouter les travailleuses du sexe et rejeter le projet de loi dans sa totalité; décriminaliser complètement le travail du sexe en supprimant toutes les infractions criminelles qui y sont reliées; abroger les dispositions réglementaires de l'immigration interdisant aux migrants de travailler dans cette industrie; mettre un terme à la surveillance, aux descentes de police, à la détention et à l'expulsion des travailleuses du sexe; miser sur des mesures non carcérales pour assurer la sécurité, comme un travail décent, des soins de santé et du logement pour tous; et investir dans les ressources communautaires afin que tous aient accès au soutien nécessaire.
Merci.
Merci à vous deux, mesdames Lam et Ka Hun Cho.
Nous passons maintenant au premier tour de questions où chacun aura droit à six minutes.
Je demanderais à nos témoins de bien vouloir noter que j'utilise ces petits cartons pour leur indiquer qu'il leur reste 30 secondes ou que le temps est écoulé, de telle sorte que je n'aie pas à les interrompre.
Nous commençons par M. Moore pour une période de six minutes.
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Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins. Nous recevons vraiment des invitées exceptionnelles pour l'étude de cet important projet de loi.
Je tiens également à vous remercier de comparaître à nouveau devant le Comité. Notre calendrier et les différents votes nous ont obligés à reporter votre témoignage à quelques reprises. Il était vraiment important pour nous de pouvoir vous entendre, et je me réjouis que nous puissions enfin le faire aujourd'hui. Vous nous avez déjà beaucoup éclairés.
Madame Benedet, vous avez comparu en juin 2022 devant le comité sénatorial qui étudiait ce projet de loi. Vous avez alors déclaré qu'« il serait utile de supprimer l’obligation de prouver une appréhension raisonnable de crainte », notamment parce que « le recours à la norme du caractère raisonnable tend à ramener les stéréotypes et les mythes sur la traite des personnes. »
Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?
Chaque fois que l'on intègre un critère objectif à la considération d'un crime comme celui‑ci, il faut établir en quelque sorte un point de référence permettant d'évaluer le « caractère raisonnable ». De façon générale, je pense que nous reconnaissons désormais qu'il est inapproprié de s'en remettre à une tierce partie pour déterminer si la crainte de la victime était raisonnable.
Dans le contexte de la traite des personnes, il ne faut pas oublier que ces condamnations sont très difficiles à obtenir. Parfois, le comportement coercitif et la crainte qu'il provoque ne sont ni explicites ni évidents. Il y a tellement de manipulation en coulisses — ou parfois de façon assez flagrante, comme vous l'a démontré Mme Wood — qu'il est difficile de dire qu'une personne raisonnable craindrait pour sa sécurité dans ces conditions.
Nous le savons. Nous connaissons l'historique de ces dispositions, car elles ont déjà figuré dans le droit relatif aux agressions sexuelles. Auparavant, si vous vous soumettiez à une activité sexuelle par crainte, les tribunaux ne devaient-ils pas déterminer si votre crainte était raisonnable? La porte était grand ouverte pour les mythes et les stéréotypes, et les juges avaient beau jeu de dire: « Eh bien, vous auriez pu faire ceci ou cela »; ou « Vous aviez d'autres options »; ou encore « La porte n'était pas verrouillée »; ou bien « Vous auriez pu retourner dans votre famille ».
On peut entendre les mêmes arguments dans le contexte de la traite des personnes: « Vous n'avez pas pris votre téléphone cellulaire ». « Vous étiez toujours en contact avec votre mère, alors comment peut‑on dire que vous aviez des craintes raisonnables pour votre sécurité? »
C'est une exigence inappropriée. C'est également inapproprié dans le cas du harcèlement criminel pour lequel de telles dispositions continuent de s'appliquer. Nous avons beaucoup de preuves de cela par rapport à d'autres infractions, et nous en avons aussi dans le cas de la traite des personnes. C'est en partie la raison pour laquelle les condamnations sont si difficiles à obtenir.
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Merci pour ces précisions qui nous sont vraiment utiles.
Madame Wood, selon le Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, dont l'étude sur la traite des personnes s'est étendue sur plus d'une décennie, « les femmes et les filles représentaient la grande majorité — 96 % — des victimes détectées de la traite des personnes » et « une victime sur quatre avait moins de 18 ans ».
Vous avez fait un commentaire que j'ai trouvé excellent en indiquant que nous devions nous assurer d'avoir un système de justice, et pas seulement un système judiciaire. Selon moi, c'est un objectif que nous devrions tous chercher à atteindre. Il faut que les victimes sentent que justice a été faite, plutôt que d'avoir l'impression de se retrouver dans les engrenages gigantesques d'un système judiciaire qui ne leur accorde aucune importance et qui ne fait pas passer la justice avant tout le reste. C'est assurément le but que nous visons.
Pourriez-vous nous en dire plus long sur le travail que Brave Education effectue auprès des jeunes étudiants? J'ai trouvé vraiment sidérant d'apprendre qu'une victime sur quatre avait moins de 18 ans. Vous nous avez présenté un excellent exposé, mais j'aimerais en savoir un peu plus sur votre travail.
J'ajouterais aux statistiques que vous avez citées le fait que les femmes et les filles autochtones comptent pour environ 51 % des victimes de la traite des personnes au Canada. Nous n'avons pas nécessairement de chiffres aussi sombres pour les hommes et les garçons, car ces cas sont moins ouvertement déclarés. On estime toutefois que la proportion d'hommes et de garçons parmi les victimes pourrait aller jusqu'à 25 %. Notre organisation mène des recherches sur ces questions avec le concours de Mme Pacheco.
Nous faisons du travail de prévention et de sensibilisation relativement à la traite des personnes, et nous essayons de fournir à tous des outils pour la contrer. Nous voyons en outre à ce que les considérations culturelles soient toujours prises en compte. Nous sommes actifs dans les collectivités de chaque province et de chaque territoire au Canada. Nous voulons nous assurer que les jeunes puissent bien reconnaître les signes d'exploitation liés à la traite des personnes, surtout dans le contexte technologique avec toutes ces manœuvres de manipulation, de conditionnement et de recrutement que nous sommes à même d'observer.
Nous menons de vastes consultations à la grandeur du Canada afin de sensibiliser les gens, de mieux comprendre les enjeux et d'adapter nos programmes aux besoins des différentes collectivités compte tenu de l'évolution incessante de la problématique criminelle que représente la traite des personnes.
Notre travail sur le terrain nous expose à des situations vraiment horribles. Des jeunes femmes et des filles sont portées disparues — surtout dans les communautés autochtones — et on suspecte qu'elles sont victimes de la traite des personnes. L'enquête sur les femmes et les fillettes disparues et assassinées s'est d'ailleurs penchée sur bon nombre de ces cas.
Je ne saurais trop insister sur le fait que la situation n'arrête pas d'évoluer, comme nous pouvons le constater dans le cadre de nos programmes que nous nous efforçons de tenir à jour dans la mesure du possible étant donné que nous apprenons sans cesse de nouvelles choses.
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Certainement. Comme je l'indiquais dans mes observations préliminaires, j'estime que ce n'est pas pour rien que le protocole de Palerme définit l'exploitation en faisant référence à une situation de vulnérabilité. C'est ainsi qu'il a fallu élargir le champ d'application de l'autre infraction prévue à l'article 153 du Code criminel concernant l'exploitation sexuelle d'une jeune personne. On était tout simplement trop restrictif en se limitant aux individus en situation de confiance, de pouvoir ou d'autorité. Il a fallu ajouter à cela le lien de dépendance et la relation visant l'exploitation d'une jeune personne.
Les tribunaux peuvent parfois interpréter de façon très étroite les notions de confiance, de pouvoir et d'autorité. Dans certains cas, on essaie d'établir l'existence d'un lien d'autorité en bonne et due forme. Bien souvent, on est plutôt en présence, surtout dans le cas des jeunes victimes, de l'exploitation d'une situation de vulnérabilité.
Je mentionnais par exemple ces femmes et ces adolescentes vivant avec une déficience intellectuelle, dont j'ai pu étudier la situation au fil des ans. Dans bien des cas, il faut bien peu de menaces, de violence ou de coercition pour recruter ces femmes et ces filles aux fins du commerce sexuel. Les individus se livrant à la traite des personnes n'ont ainsi qu'à sélectionner leurs victimes en fonction de leur degré de vulnérabilité et de marginalisation. Ils n'ont pas toujours besoin de recourir à la violence du fait qu'ils choisissent ces victimes qu'ils peuvent recruter et maintenir au sein de l'industrie du sexe en utilisant d'autres formes de manipulation.
Je pense qu'il est important de reconnaître cet état de fait. Si l'on retrouve autant de jeunes personnes et de femmes et de filles autochtones parmi les victimes, c'est en partie en raison de leur vulnérabilité. C'est ainsi qu'il n'est pas toujours nécessaire d'avoir recours aux menaces ou à la violence pour piéger quelqu'un aux fins de la traite des personnes.
Je veux renchérir sur ce que disait Mme Benedet.
À l'issue des recherches qu'elle a menées auprès des travailleuses du sexe, Christine Bruckert de l'Université d'Ottawa a conclu que la majorité d'entre elles étaient indépendantes dans leur travail. Elle a estimé que cette proportion se situe entre 80 et 90 % pour l'ensemble du pays. Il n'y a personne qui dit à ces travailleuses ce qu'elles doivent faire ou combien d'argent elles doivent rapporter. Elles prennent elles-mêmes leurs décisions sans y être contraintes sous la menace.
Les victimes de la traite des personnes n'ont pas cette chance. Elles sont sous le contrôle de leur trafiquant. Elles savent qu'il y a souvent un prix physique et émotif à payer si elles ne ramènent pas suffisamment d'argent à la maison, ce qui montre bien qu'un tiers contrôle les faits et gestes d'une autre personne dans les cas où il y a traite. Si les travailleuses du sexe ont le plein contrôle de leurs actions et peuvent faire un choix tout à fait éclairé quant au moment où elles commencent à se livrer à ces activités et arrêtent de le faire, et quant aux personnes avec lesquelles elles vont avoir des rapports sexuels, la situation des victimes de la traite des personnes est loin d'être aussi enviable.
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Bonjour, monsieur le président. C'est moi qui remplace M. Fortin.
Bonjour à tous.
Je remercie les témoins d'être parmi nous et d'avoir livré des témoignages très précis.
Madame Benedet, vous avez énoncé rapidement quatre points. Tout d'abord, vous disiez qu'il ne fallait pas prendre cette question à la légère. Ensuite, vous disiez que, pour qu'il y ait traite des personnes, il fallait nécessairement qu'il y ait des trafiquants. Votre mise au point à ce sujet était assez claire. Puis, vous avez mentionné qu'actuellement, seulement 12 % des mises en accusation menaient à de réelles accusations. C'est donc quelque chose de très difficile à prouver. À ce sujet, vous avez dit quelque chose qui m'a interpellé: il faut mettre l'accent sur les activités du trafiquant. J'aimerais que vous en disiez davantage là-dessus.
Que faudrait-il faire de plus? Faudrait-il apporter une modification particulière au projet de loi dans sa forme actuelle?
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J'ai beaucoup d'estime pour le travail de Mme Woods, mais je ne suis certes pas d'accord avec son analyse suivant laquelle entre 80 % et 90 % des travailleuses du sexe ne sont pas victimes d'exploitation. Qu'un tiers ait un rôle à jouer ou non, c'est souvent en grande partie une situation d'exploitation qui pousse les gens vers la prostitution. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les femmes et les filles autochtones sont représentées de façon aussi disproportionnée dans l'industrie du sexe.
Pour répondre directement à votre question quant à savoir ce que nous pourrions faire de plus, j'encouragerais le Comité à jeter un coup d'œil sur certaines initiatives mises de l'avant par des États membres en Europe. Ainsi, l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a un bureau pour lutter contre la traite des personnes. Ce bureau accomplit un excellent travail de surveillance et de contrôle. Parmi tous les pays membres, je dirais que c'est la France qui se démarque par ses avancées en la matière. Il faut vraiment adopter chez nous des lois nous permettant de donner suite à nos obligations internationales. Nous sommes ainsi tenus de sévir contre la traite des personnes, et nous pouvons nous appuyer à cette fin sur une définition établie à l'échelle internationale qui parle de l'exploitation d'une situation de vulnérabilité.
Bien que le projet de loi constitue certes un pas en avant, je crains que nous mettions simplement davantage en lumière la coercition, le recours à la force physique, la crainte et les menaces comme éléments définissant l'exploitation. Nous nous sommes débarrassés de l'exigence du caractère raisonnable — ce qui est une bonne chose —, mais il convient de se demander comment les tribunaux interpréteront la précision « tout autre acte semblable ». Vont-ils prendre en considération les menaces de dénoncer quelqu'un parce qu'il fraude l'aide sociale? Que vont-ils faire de ceux qui menacent d'envoyer des photos pornographiques aux proches de leur victime? Est‑ce que de tels comportements seront considérés comme des formes de coercition? Est‑ce qu'on va tenir compte des manipulations psychologiques de ce genre? Nous avions à Vancouver un trafiquant bien connu qui a fait l'achat d'un petit chien. Si les filles se comportaient bien, elles pouvaient aller promener le chien. Si elles s'écartaient du droit chemin, il s'en prenait au chien ou menaçait de le faire.
Ce sont là des techniques très efficaces pour exercer un contrôle sur les gens. Nous devons simplement éviter de rendre la définition si étroite qu'elle en deviendrait purement théorique. À mes yeux, nous devrions pour ce faire nous en remettre à nos engagements internationaux.
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Oui. Merci pour votre question, monsieur Garrison.
Je vais répondre en premier, madame Lam, puis je vous céderai la parole.
Nous avons mentionné en particulier la décriminalisation du travail du sexe, car nous pensons que ce projet de loi assimile le travail du sexe à l'exploitation sexuelle. La décriminalisation du travail du sexe permet aux personnes qui sont victimes d'abus et d'exploitation dans le cadre du travail du sexe de bénéficier de la législation sur le travail et l'emploi, des lois sur la santé et la sécurité au travail et de toutes les mesures auxquelles ont accès les autres personnes dans les secteurs non criminalisés.
Je tiens également à faire une brève observation au sujet du Protocole de Palerme, car il s'agit d'un point important dont la personne précédente a parlé. L'ONU elle-même a critiqué cette condition de vulnérabilité préexistante en disant qu'elle est tellement vaste et vague qu'elle englobera tout, y compris les personnes ayant un statut d'immigrant irrégulier et les personnes qui sont des gestionnaires, des superviseurs et des transporteurs qui fournissent des services de soutien aux travailleurs et travailleuses du sexe. Je vous mets en garde contre l'élargissement de cette notion. La définition actuelle de la traite des personnes n'exige pas que la sécurité physique soit menacée. Elle comprend déjà les menaces à la sécurité psychologique. Le plaignant n'est déjà pas tenu de témoigner. Dans sa forme actuelle, elle est interprétée de façon si large que si on élargit cette notion, elle englobera beaucoup plus de personnes.
Je vais céder la parole à Mme Lam, qui a déjà parlé de l'expérience de Butterfly, mais je tenais à souligner que l'ONU elle-même a critiqué l'élargissement de cette notion.
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Lorsque nous parlons de cette question, je pense que nous devons être clairs quant à ce que nous allons faire. Allons-nous mettre fin à l'exploitation et à la traite des personnes, ou allons-nous mettre fin au travail du sexe? Je crois qu'il faut que ce soit très clair. J'entends constamment des gens faire certains amalgames qui donnent lieu à beaucoup de désinformation, et on dit que le but est de mettre fin à l'exploitation et non de mettre fin au travail du sexe, mais beaucoup de recommandations visant à mettre fin au travail du sexe créent en fait une vulnérabilité et une plus grande possibilité d'exploitation de la communauté, en particulier l'exploitation des travailleurs et travailleuses du sexe migrants d'origine asiatique et des travailleurs et travailleuses du sexe racisés.
Lorsque nous réfléchissons à la solution, nous devons penser à ce qui donne du pouvoir aux gens. Nous parlons beaucoup des raisons pour lesquelles il y a de l'exploitation, c'est‑à‑dire le rapport de force et le contrôle du pouvoir. Bon nombre des recommandations, comme intensifier la surveillance policière et adopter de nouvelles lois pénales, font en sorte qu'il est plus difficile pour les gens de se protéger et d'avoir le pouvoir d'agir. Un grand nombre des recommandations formulées par Mme Chu proposent de donner à la personne le pouvoir d'agir.
Lorsque j'entends l'hypothèse selon laquelle les gens ne peuvent pas prendre des décisions au sujet de leur propre vie, je trouve cela extrêmement dangereux, car cela prive les gens de leur capacité d'agir, en particulier les travailleurs et travailleuses du sexe. Peu importe l'âge du travailleur ou de la travailleuse du sexe, cette personne doit pouvoir détenir une certaine capacité d'agir. Au lieu d'imposer une vision moraliste selon laquelle le travail du sexe est mauvais et ne devrait pas être pratiqué, nous devons reconnaître et comprendre la complexité de la relation. Il faut donner aux gens le pouvoir et les ressources dont ils ont besoin pour prendre des décisions concernant leur vie, comme nous l'avons fait dans le cas de la violence familiale. Nous ne laisserions pas la police arrêter un mari et dire à sa conjointe « Vous ne savez pas que votre mari est violent. Vous allez peut-être le découvrir dans cinq ans et le faire arrêter. » Pourquoi ferions-nous cela avec les travailleurs et travailleuses du sexe? Au lieu de cela, il faut informer les gens du pouvoir qu'ils ont au sein de la relation conjugale. Il faut leur parler des différents types de soutien. Il faut faire savoir aux personnes qui souhaitent quitter la relation qu'elles peuvent être protégées. Il faut leur demander « Quel genre de soutien vous recevez? »
Il en va de même en ce qui concerne les travailleurs et travailleuses du sexe. Il est extrêmement ridicule de présumer que toutes les tierces parties sont dangereuses, violentes et se livrent à la traite des personnes. Certaines travailleuses n'ont pas de cartes de crédit. Leurs maris se servent de leurs cartes de crédit pour payer les factures et des accusations sont portées contre eux. C'est la loi et c'est ce qui se passe à l'heure actuelle. Ils sont accusés non seulement aux termes des lois visant les travailleurs et travailleuses du sexe, mais aussi de la législation sur la traite des personnes, et ils peuvent être emprisonnés pendant des années.
Quand on se penche sur le profil des trafiquants, on constate que ce sont de jeunes hommes noirs. Lorsqu'on examine les statistiques sur les personnes accusées, on se rend compte qu'un bon nombre sont des jeunes. Ils aident d'autres personnes. Allons-nous voir un plus grand nombre de travailleurs et travailleuses du sexe et de personnes racisées en prison? Est‑ce une solution? Non. Un grand nombre des recommandations formulées ne vont pas mettre fin à la traite des personnes ni à l'exploitation. Elles ne feront que rendre les travailleurs et travailleuses du sexe, les gens qui œuvrent dans l'industrie du sexe, plus vulnérables, plus stigmatisés et plus marginalisés.
C'est pourquoi, lorsqu'il est question de trouver des solutions, il faut se demander comment on peut donner du pouvoir aux gens et leur donner la capacité d'agir. Ils peuvent vous dire ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin, au lieu que vous supposiez qu'ils n'ont pas de cervelle et qu'ils ne savent pas qu'ils sont victimes de la traite de personnes. Il s'agit de savoir comment nous pouvons aider les gens à renforcer leurs capacités et à avoir le pouvoir de prendre de meilleures décisions au sujet de leur vie, au lieu de leur imposer vos mesures moralisatrices.
Les travailleurs et travailleuses du sexe ne cessent de répéter qu'ils devraient avoir le droit de décider s'ils veulent continuer ou arrêter leur travail. Ils devraient avoir leur mot à dire.
Merci.
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Oui, si le temps le permet, je vais peut-être partager mon temps de parole avec M. Van Popta.
Je tiens à préciser deux ou trois choses.
Premièrement, je vous remercie, mesdames, de votre présence tant attendue pour parler de cette question importante. J'aimerais revenir un peu en arrière, avec tout le respect que je dois à Mme Chu et à Mme Lam.
Je viens du milieu juridique. J'ai été procureur pendant près de 18 ans. En fait, à mon bureau de Brantford, en Ontario, à environ une heure à l'ouest de Toronto, j'étais le procureur de la Couronne désigné pour les cas de traite de personnes. Mon expérience diffère peut-être de celle d'autres procureurs au pays. Cependant, je peux vous dire que l'expérience que Mme Lam et Mme Chu ont décrite, à savoir que les procureurs cherchent simplement une solution facile et exacerbent le problème de la prostitution, n'a jamais été la mienne. La traite des personnes, en soi, compte tenu des outils que nous avons dans le Code criminel et de la vulnérabilité de la victime elle-même, rend les poursuites extrêmement difficiles.
Présenter des projets de loi qui donnent aux procureurs des outils pour faciliter les poursuites — pour tenir ces délinquants responsables et les condamner en conséquence —, constitue, à mon avis, la bonne chose à faire pour les législateurs. Je dis cela en tout respect, car mon expérience professionnelle et mon expérience des services de police diffèrent peut-être de celles décrites par Mme Lam et Mme Chu.
Je vais maintenant m'adresser à Holly Wood et à la professeure. J'ai un document qui a été préparé par le Réseau juridique VIH et par l'organisme Butterfly, les deux organisations que Mme Lam et Mme Chu représentent.
Je veux lire un passage, et j'aimerais avoir vos observations et vos réflexions à ce sujet.
Il est écrit que « les lois canadiennes sur la traite des personnes sont depuis longtemps des lois contre le travail du sexe. Aujourd'hui, les procureurs, les policiers et les décideurs continuent de considérer principalement la traite des personnes comme de la traite des personnes à des fins sexuelles, et le travail du sexe est souvent perçu comme de la traite des personnes, quelles que soient les circonstances. »
Peut-être que Holly Wood peut répondre en premier et nous dire ce qu'elle pense de ce passage.
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Pour revenir à notre conversation, je dirais que nous avons, à mon avis, beaucoup de préjugés sociaux, juridiques et politiques en ce qui concerne le travail du sexe et la traite des personnes à des fins sexuelles. Ils sont souvent amalgamés. C'est ce que je dirais.
Cependant, je pense que vous avez soulevé un excellent point quand vous avez dit que, lorsque vous intentez des poursuites pour des infractions liées à la traite de personnes, le seuil juridique est élevé. La participation des victimes est essentielle. Vous devez vous acquitter du fardeau de la preuve.
Dans le cadre mon travail avec des policiers, j'ai constaté que s'ils s'occupent d'un cas soupçonné de traite de personnes... et il s'agit de policiers non seulement de l'Ontario, mais aussi de la Colombie-Britannique, du Manitoba, etc. Cela s'est produit dans ma ville natale il y a environ un mois. On soupçonnait qu'une jeune fille de 14 ans était victime de traite dans une chambre d'hôtel. Le policier est entré pour vérifier, et la fille a dit: « Oh, non, c'est mon copain. Nous sommes en couple et nous invitons des gens ici. »
Dans une telle situation, le policier doit partir. Encore une fois, il est question du seuil juridique. Le policier examine la situation et se demande si la jeune fille semble avoir peur, mais il constate qu'elle semble parfaitement consentante, alors, même si elle est jeune, il doit partir. Les policiers doivent laisser de côté des piles de dossiers en raison du seuil juridique élevé attribuable aux dispositions actuelles du Code criminel concernant la traite des personnes.
Je vais céder la parole à la professeure Benedet.
Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire conjoint, j'aimerais qu'on rejette l'ensemble du projet de loi. En 2021, on a mis en place une exigence subjective en ce qui concerne la traite des personnes. Elle a été remplacée par le critère de la personne raisonnable en raison de la notion selon laquelle il était trop difficile d'obtenir une condamnation si on exigeait le témoignage des plaignants.
Je ne saurais trop insister sur le fait que le témoignage des plaignants n'est pas nécessaire dans le cadre de la loi actuelle. Vous devez rejeter le projet de loi dans son intégralité. Vous devez appuyer, comme Mme Lam l'a dit, des mesures non carcérales pour assurer la sécurité. Les gens n'ont pas besoin d'une plus grande surveillance policière. Nous avons investi des centaines de millions de dollars dans des initiatives de lutte contre la traite des personnes et nous avons permis à un plus grand nombre de policiers et de procureurs de prospérer dans ce monde voué à lutter contre la traite des personnes, mais tout cela ne s'est pas traduit par une amélioration de la sécurité. Nous nous soucions de la sécurité des travailleurs migrants et des gens qui sont victimes d'exploitation et de mauvais traitements, et il faut les soutenir pour qu'ils puissent obtenir un logement décent et avoir accès à des mesures de soutien au revenu et à des services de garde — toutes ces choses qui, je suis certaine que les autres témoins en conviendront, sont utiles pour aider les gens.
Je veux laisser du temps à Mme Lam pour qu'elle vous en dise plus long au sujet des expériences vécues par Butterfly relativement au travail des policiers dans le domaine de la traite des personnes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais essayer d'intervenir rapidement, car deux minutes et demie, c'est court.
Madame Wood, j'aimerais que vous donniez des réponses brèves, s'il vous plaît.
Vous avez parlé tantôt d'un haut taux de personnes dans le domaine qui seraient totalement indépendantes. Quel serait, selon vous, le ratio de personnes qui sont victimes de la traite par rapport aux personnes qui se disent consentantes?
Lorsque nous travaillons avec la communauté, nous constatons que la peur de la police et des organismes d'application de la loi est le principal facteur qui pourrait créer des conditions de travail dangereuses et de la vulnérabilité chez les travailleurs et les travailleuses. Il faut éliminer les dispositions du Code criminel qui s'appliquent aux travailleurs et aux travailleuses du sexe, ainsi qu'aux clients et aux tierces parties, afin qu'ils puissent bénéficier d'un système de soutien et travailler en toute sécurité. C'est très important.
Il est également très important que les travailleurs et les travailleuses puissent profiter des mesures de soutien au revenu, pour qu'ils puissent avoir des conditions de travail sûres. Il faut décriminaliser le travail du sexe et ne pas présumer que les tierces parties se livrent à l'exploitation et à la traite des personnes. C'est aussi très important.
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Merci, monsieur Garrison.
Je tiens à remercier tous les témoins de leurs précieux témoignages. Je vous remercie de votre présence. Je m'excuse à nouveau que nous ayons dû annuler la dernière fois.
La réunion a été très enrichissante. Je pense que tous les membres ont pu poser leurs questions et obtenir des réponses. Merci.
Il ne reste qu'un point à régler concernant les travaux du Comité. Je pense qu'il s'agit d'adopter le budget pour l'étude du projet de loi . Est‑ce que tout le monde est d'accord?
Des députés: D'accord.
Le président: Merci. C'est tout. Nous nous reverrons mercredi. La séance est levée.
Merci.