Bienvenue à la septième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément à la motion adoptée le mardi 8 février, le Comité se réunit pour examiner la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
La réunion d'aujourd'hui se déroulera en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Les députés participent en personne ou à distance à l'aide de l'application Zoom. Les délibérations seront publiées sur le site Web de la Chambre des communes.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Je tiens d'abord à nous excuser d'être un peu en retard à cause des votes que nous avions aujourd'hui. Nous aurons donc peut-être un peu moins de temps.
Pour le premier groupe de témoins, j'aimerais présenter la surintendante Lisa Byrne de l'Association canadienne des chefs de police, qui parlera pendant cinq minutes. Ce sera ensuite au tour de l'Association du Barreau canadien, représentée par Mme Jeneane Grundberg, présidente de la Section du droit municipal, et par M. Kevin Westell, secrétaire de la Section de la justice pénale. Je crois qu'ils partageront leur temps.
Nous allons commencer par l'Association canadienne des chefs de police, pour cinq minutes.
Allez‑y, s'il vous plaît.
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Bonjour tout le monde. Merci de cette occasion de m'adresser au Comité au nom de l'Association canadienne des chefs de police.
Les enquêtes et les poursuites relatives à la traite des personnes exigent une participation importante de la part des victimes. Cela entraîne une revictimisation des personnes qui doivent raconter à nouveau leur histoire et revivre leurs expériences à plusieurs reprises.
Bien que la police au Canada mette l'accent sur des pratiques qui tiennent compte des traumatismes, la nature du système requis pour tenir les contrevenants responsables est accusatoire, difficile à naviguer et n'est pas axée sur les victimes. L'objectif premier devrait être de soutenir pleinement les victimes qui sont souvent des enfants et des personnes vulnérables. On peut notamment aider la victime à quitter la situation d'exploitation, ce qui a souvent lieu en l'absence d'accusations criminelles ou de responsabilité du délinquant. Une stratégie importante employée par la police pour lutter contre la traite des personnes à des fins sexuelles consiste à tenir les contrevenants responsables devant les tribunaux en s'appuyant davantage sur des preuves corroboratives et moins sur le témoignage direct de la victime.
La « Marchandisation des activités sexuelles » et les articles connexes du Code criminel sont utiles à la police pour lutter contre le trafic sexuel. Par exemple, en 2018, la police de Vancouver a utilisé le paragraphe 286.1(2), « obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans », pour arrêter et condamner 24 individus qui ont déployé des efforts pour acheter des services sexuels auprès d'enfants. En 2020 et 2021, la Police provinciale de l'Ontario a accusé 26 hommes et 2 femmes de diverses infractions liées à la traite des personnes, notamment la traite des personnes, l'obtention d'avantages matériels, le proxénétisme et la publicité de services sexuels.
Les services de police utilisent ces infractions pour cibler les délinquants qui sont souvent les acheteurs de services sexuels et les profiteurs des victimes de la traite des personnes. Ces infractions peuvent nécessiter ou non une preuve sous forme de témoignage de la victime. Elles sont souvent appuyées par des preuves corroboratives que la police peut obtenir à l'aide de mandats de perquisition, d'ordonnances de production, et d'autres techniques de collecte de preuves.
Par exemple, je suis au courant d'une enquête menée dans le Sud-Ouest de l'Ontario au cours de laquelle une victime de la traite sexuelle âgée de 17 ans n'a jamais fait de déclaration à la police. Malgré l'offre de soutien à la victime, la combinaison de sa peur et de ses vulnérabilités personnelles l'a empêché de faire une déclaration. Toutefois, la police a pu recueillir suffisamment de preuves pour arrêter l'accusé. On a obtenu un mandat pour fouiller un téléphone que l'accusé avait en sa possession lors de son arrestation. Les preuves qu'il contenait, ainsi que les preuves corroboratives de la mère de la victime, étaient suffisantes pour prouver l'accusation de proxénétisme. Le contrevenant a plaidé coupable et a été condamné à une peine d'emprisonnement.
Les infractions prévues à l'article 286 du Code criminel ont permis de responsabiliser ce délinquant, alors que les mêmes éléments de preuve, sans le témoignage de la victime, n'auraient pas été suffisants pour prouver une accusation de traite des personnes selon la norme requise devant un tribunal pénal. De plus, lorsque la traite des personnes et les infractions prévues à l'article 286 sont relevées dans la même affaire, la loi à l'étude offre la souplesse nécessaire pour élaborer une stratégie de poursuite lorsque le témoignage de la victime n'est pas ou ne devient pas disponible pour diverses raisons.
Le Code criminel prévoit également des exceptions pour les personnes qui fournissent leurs propres services sexuels, que ce soit de façon indépendante ou en collaboration, tant que le seul avantage reçu provient de la vente de leurs propres services sexuels. Les exceptions codifiées au paragraphe 286.2(4) et à l'article 286.5 s'étendent à ceux qui aident d'autres personnes à vendre leurs propres services sexuels — par exemple en assurant leur sécurité — et qui en tirent un avantage financier ou matériel, tant qu'il n'y a pas de relation d'exploitation. Par conséquent, la police ne porte pas d'accusations dans ces circonstances.
La Cour d'appel de l'Ontario a récemment confirmé la constitutionnalité des infractions pertinentes et a défini plus précisément les exceptions dans l'affaire Regina c. N.S. J'encourage le Comité à se référer à cette affaire dans le cadre de son processus décisionnel.
La Loi ne permet actuellement pas à la police de cibler les personnes qui fournissent leurs propres services sexuels ni celles qui tirent un avantage financier ou matériel de situations non exploitantes. La police a pour objectif de cibler les délinquants prédateurs et les groupes criminels organisés qui exploitent les victimes vulnérables. La loi à l'étude est un outil essentiel pour permettre à la police d'assurer la sécurité des enfants, des adultes vulnérables et des victimes d'actes criminels ainsi que pour, le cas échéant, poursuivre les délinquants qui les exploitent.
L'ACCP recommande que les dispositions législatives actuelles soient maintenues et ne réclame pas de changements.
Merci.
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Monsieur le président, distingués membres du Comité, bonjour.
Je m'appelle Kevin Westell. Je suis secrétaire de la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien et criminaliste qui exerce en Colombie-Britannique, soit le territoire traditionnel des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. C'est ici que je me trouve en ce moment.
Merci d'avoir invité l'ABC à discuter de cette loi. Mme Grundberg m'accompagne. Nous allons partager le temps alloué. Elle prendra la parole après moi et fait partie du groupe du droit municipal. Je donne quant à moi le point de vue du groupe de la justice pénale.
L'ABC est une association nationale qui compte 36 000 membres, y compris des avocats, des étudiants en droit, des notaires et des universitaires. Entre autres choses, nous avons pour mandat d'améliorer la loi et l'administration de la justice.
Ma section de l'ABC est notamment fière de compter parmi ses membres des procureurs de la Couronne ainsi que des avocats de la défense, et également des membres des barreaux du pays qui représentent aussi des témoins vulnérables. C'est pour cette raison que nous disons que nous apportons dans le système un point de vue unique et équilibré de l'utilisateur final.
Les observations que je vais faire pour exprimer le point de vue des criminalistes portent sur la mesure dans laquelle cette loi est vraiment conçue pour donner suite à l'objectif global qui figure dans le document technique de 2017 du ministère de la Justice, à savoir trouver un équilibre entre les intérêts de deux groupes vulnérables: les victimes de la prostitution et les enfants qui pourraient y être exposés.
Je vais d'abord parler de l'article 286.1, qui criminalise l'achat de services sexuels auprès d'adultes, y compris les transactions consensuelles et non exploitantes. La vente de services sexuels n'est pas criminalisée, mais la criminalisation de l'achat de services sexuels demeure en soi un risque de préjudice pour les travailleurs du sexe vulnérables au sein de nos populations. Nous estimons que cet article devrait être complètement éliminé. En effet, l'article 286.1 est arbitraire, exagérément disproportionné et trop général. Il rend criminellement responsables les personnes qui offrent des services sexuels consensuels et non exploitants, et les empêche ainsi de prendre des mesures de protection.
Les articles 286.2 et 286.4 présentent également des risques pour la sécurité. Lorsqu'on restreint la capacité des travailleurs du sexe à faire de la publicité, on limite leur accès à une clientèle, ce qui les force à mener leurs activités dans des endroits publics plutôt qu'à l'intérieur où c'est plus sécuritaire. De plus, lorsqu'on restreint la capacité des travailleurs du sexe à embaucher des employés comme des gardes du corps et des adjoints administratifs en rendant ces personnes passibles de poursuites pénales, on limite gravement leur capacité à se protéger et à s'organiser, à faire croître leur entreprise grâce à des clients réguliers dans des lieux sécuritaires.
Des contestations fondées sur la Charte qui s'appuyaient sur cette notion ou sur des préoccupations de ce genre ont mené des cours supérieures à statuer que les articles dont j'ai parlé sont inconstitutionnels, et la quantité importante de litiges qui portent sur l'étendue de ces dispositions et sur leur constitutionnalité prouvent que des modifications s'imposent pour en réduire la portée.
Enfin, d'un point de vue pénal, il y a la question des peines minimales obligatoires. Lors de son assemblée générale annuelle de 2017, l'ABC a adopté une résolution qui exhorte le gouvernement fédéral à éliminer les peines minimales obligatoires pour les infractions autres que le meurtre et à inclure une soupape de sécurité pour les infractions qui ont encore des peines minimales obligatoires. Les peines minimales obligatoires prévues par cette loi sont vulnérables sur le plan constitutionnel, et les sections de l'ABC recommandent de les éliminer.
La Cour d'appel de l'Ontario, dans Regina c. Joseph, a récemment statué que la peine minimale obligatoire exigée à l'article 286.2 est inconstitutionnelle et inopérante. Le maintien de peines minimales obligatoires prévues par la Loi va à l'encontre de son objectif noble et plus vaste: accorder la priorité à la protection des populations vulnérables contre l'exploitation. L'imposition de peines minimales obligatoires montre constamment qu'elles aggravent l'exploitation des populations vulnérables, en particulier les Noirs, les Autochtones et les populations racisées.
De plus, comme l'a souligné l'Agence de la santé publique du Canada, les femmes autochtones, qui sont les plus susceptibles se voir imposer une peine minimale obligatoire, sont aussi nettement surreprésentées dans l'industrie du sexe. L'imposition de peines minimales obligatoires aux personnes qui communiquent dans le but d'offrir des services sexuels empêche l'autodétermination de personnes vulnérables et marginalisées par rapport à leur propre corps, ce qui les marginalise davantage. C'est l'opposé de l'objectif que l'on cherchait à atteindre grâce à cette mesure législative.
Je vous remercie de votre temps, et je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir lorsque ce sera mon tour.
Je vais céder la parole à Mme Grundberg.
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Je vais m'en tenir aux grandes lignes.
Premièrement, nous recommandons des révisions pour ajouter des définitions au paragraphe 213(1.1), à propos de l'infraction de communiquer dans le but d'offrir des services sexuels moyennant rétribution.
Deuxièmement, nous recommandons que la même interdiction s'applique également aux autres situations où des enfants fréquentent... Les cours d'école, les terrains de jeu et les garderies sont mentionnés, mais il faudrait inclure d'autres endroits comme les piscines, les installations récréatives et les centres commerciaux.
Troisièmement, nous encourageons le Comité à multiplier les consultations populaires.
Quatrièmement, nous soulignons que depuis que le projet de loi est devenu loi, le rapport final de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié. Pour faciliter la consultation, nous avons joint les appels à la justice pertinents, et nous vous encourageons à vous y référer lorsque vous délibérerez sur les modifications futures.
Merci beaucoup de nous donner cette occasion de témoigner.
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Merci beaucoup, monsieur Cooper.
Pour situer le contexte, trois interdictions se rapportent à la communication.
Il y a d'abord l'interdiction visant la personne qui offre des services sexuels moyennant rétribution au paragraphe 213(1.1). C'est le paragraphe sur lequel nous avons mis l'accent dans notre mémoire. Cette interdiction empêche le travailleur du sexe « de rendre ou d'offrir des services sexuels moyennant rétribution [...] dans un endroit public ou situé à la vue du public qui est une garderie, un terrain d'école ou un terrain de jeu ou qui est situé à côté d'une garderie ou de l'un ou l'autre de ces terrains. »
La définition d'« endroit public » au paragraphe 231(2) ne s'applique qu'à ce paragraphe, mais, comme je l'ai mentionné dans notre mémoire, c'est un peu circulaire. Il est simplement indiqué qu'un endroit public est essentiellement un endroit auquel le public est invité. La définition manque de substance, si je puis dire, ou de contexte.
On parle ensuite d'une interdiction de gêner la circulation. En vertu du paragraphe 213(1), cette interdiction s'applique à la personne qui offre les services et à celle qui les obtient.
Or, l'article 286.1, le principal article concernant la communication, s'applique à la personne qui obtient les services moyennant rétribution. Il est plus vaste, car il dit que la personne qui « communique avec quiconque en vue d'obtenir, moyennant rétribution, [d]es services sexuels » commet une infraction. Il y a deux catégories d'infraction, si je puis dire: une infraction générale punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et, bien entendu, l'infraction plus grave punissable par mise en accusation qui consiste à communiquer « dans un endroit public ou situé à la vue du public […] lorsque cet endroit est soit un parc, soit un terrain sur lequel est situé une école ou un établissement religieux soit un endroit quelconque où il est raisonnable de s’attendre à ce que s’y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ou encore lorsque cet endroit est à côté soit d’un parc, soit d’un terrain sur lequel est situé une école ou un établissement religieux soit d’un endroit quelconque où il est raisonnable de s’attendre à ce que s’y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ».
Pour la personne qui communique dans le but d'obtenir des services moyennant rétribution, le type d'emplacements est plus vaste et comprend les endroits « où il est raisonnable de s'attendre à ce que s'y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». À l'heure actuelle, c'est toutefois plus limité pour le travailleur du sexe. Il est question d'un endroit public ou situé à la vue du public, et on en mentionne trois: les garderies, les terrains d'école et les terrains de jeu.
Le problème avec ces trois termes, dans le contexte de l'article 213(1.1), c'est qu'ils ne sont pas définis. Par exemple, un terme comme « terrain de jeu » peut sembler évident en soi à première vue. Eh bien, qu'est‑ce que cela signifie? S'agit‑il d'un endroit — comme on pourrait d'abord le penser — où il y a des glissades, des barres de suspension et ainsi de suite? Est-ce que cela signifie que c'est limité à une activité extérieure, ou s'agit‑il également des endroits qui se trouvent dans des installations récréatives? Nous ne le savons tout simplement pas. Lorsque les termes sont ambigus, c'est difficile tant sur le plan de la conformité que de l'application.
Dans notre mémoire, nous énonçons des cas de jurisprudence après 2014 qui ne sont pas directement liés à ces articles, mais pour lesquels on a eu de la difficulté à définir ce qu'on entend par « endroit public ». Nous vous laissons les examiner, car ils montrent que les tribunaux sont aux prises avec ce problème.
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Je n'ai pas de statistiques sous la main, mais je serai heureuse de vous en communiquer plus tard, si c'est acceptable.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, la difficulté, pour nous, dans l'application de la Loi, c'est vraiment d'amener la victime à se présenter en cour et de recueillir son témoignage. Dans les affaires de trafic de personnes, il est très difficile d'obtenir la collaboration des victimes et de les amener à témoigner. Les vulnérabilités sont nombreuses, et quand, notamment, des groupes criminalisés de haut vol sont en cause, la victime est exposée à des menaces supplémentaires qui l'incitent beaucoup au silence.
De plus, en appliquant la Loi, plus nous constatons d'infractions… Nous pouvons nous en servir à la façon de leviers. Elles ne constitueront pas nécessairement les chefs d'accusation que nous porterons à long terme, mais les moyens d'obtenir et de rassembler des éléments de preuve. Nous nous en servons pour obtenir une autorisation judiciaire, par exemple des mandats de perquisition pour fouiller le contenu de téléphones et obtenir d'autres éléments qui pourraient corroborer le témoignage de la victime ou le remplacer.
Nous ne ciblons pas les personnes qui vendent leurs propres services sexuels, mais les contrevenants qui exploitent des victimes vulnérables, et, aussi, les acheteurs de ces services, qui sont des exploiteurs, particulièrement dans l'entourage d'enfants.
Voilà certaines des principales stratégies de la police canadienne.
Si vous avez besoin d'éclaircissements, n'hésitez pas à le dire.
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Pour l'application de la Loi, quand, ordinairement, nous entamons une enquête, c'est habituellement à la suite d'une plainte, déposée par la victime ou un témoin, souvent du fait d'un acte violent ou d'un autre acte manifeste.
D'habitude, ceux qui vendent leurs propres services sexuels… Si ça se fait consensuellement, paisiblement, ce n'est pas porté à notre attention. En amont, nous ne ciblons pas les personnes qui vendent leurs propres services sexuels.
Je dirais plutôt que nos enquêtes se font après coup, quand il se commet des infractions supplémentaires ou quand nous avons des motifs, comme la violence, l'intimidation, la coercition ou la présence d'enfants, qui permettent les distinctions en question. Nous ne faisons pas le ciblage proactif de personnes qui vendent leurs propres services sexuels de manière consensuelle.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Westell, l'Association du Barreau canadien considère que la criminalisation de la prostitution n’est pas nécessairement utile. Cela dit, jusqu’où seriez-vous prêts à aller? Je n'ai entendu personne dire que l’exploitation sexuelle des mineurs était acceptable et qu'elle devrait être légalisée. Par contre, quand on parle de prostitution entre adultes consentants, certaines personnes nous disent que cela devrait être permis et décriminalisé, alors que d’autres soutiennent que cela devrait demeurer criminel. Il y a aussi les questions liées aux gens qui travaillent dans cet environnement.
Selon l'Association du Barreau canadien, jusqu’où devrait-on aller? Dans le contexte d'un éventuel processus de décriminalisation, quels comportements devrait-on continuer à considérer comme des actes criminels et lesquels devrait-on tolérer davantage?
Je n'envie pas la position de celui qui doit trouver ce juste milieu, parce qu'il s'agit vraiment d'un juste milieu entre des travailleurs du sexe, adultes et consentants, et ceux qui utilisent l'industrie du sexe pour victimiser et exploiter des personnes, y compris des enfants. Je ne vous envie donc pas ce travail très difficile.
Actuellement, la police, au Canada, estime que le Code criminel suffit, bien que, entendant les témoins Grundberg et Westell, je comprenne leur point de vue.
Nous devrions peut-être réfléchir, en ce qui concerne le Code criminel, aux infractions pour lesquelles nous n'avons pas besoin de victimiser quelqu'un de nouveau ni d'obtenir son concours.
Je ne prétendrai pas être en mesure de vous donner aujourd'hui des réponses légitimes, mais j'estime que nous devrions réfléchir à la possibilité d'ajouter d'autres infractions en élargissant les définitions concernant la participation du crime organisé, la commission d'actes de violence, la participation des enfants et toute infraction qui pourrait être mieux définie par rapport au catégories générales de victimes, en discuter et peut-être, également, examiner les exceptions, pour déterminer si nous pourrons…
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Westell, de la Section de la justice pénale. J'aimerais approfondir le sujet abordé par mon collègue M. Fortin et vos réponses à ses questions. Vous avez dit, au début de votre déclaration, que l'Association du Barreau canadien apportait un point de vue unique et équilibré, ce que j'ai trouvé très bien. J'ai été membre de l'ABC pendant de nombreuses années, mais c'était il y a plus de 10 ans; je peux témoigner de ma participation à l'époque.
Dans le contexte de notre examen, pouvez-vous nous en dire plus sur le point de vue de votre section? Pouvez-vous aussi nous dire si vous ou votre section avez examiné le modèle de la Nouvelle-Zélande?
Notre comité tente de déterminer s'il vaut mieux abroger la Loi, la laisser telle quelle ou la modifier. S'il vaut mieux la modifier, quelles modifications devraient y être apportées en vue de régler les problèmes soulevés?
Je suis d'accord avec vous à plusieurs égards. Il existe déjà des dispositions législatives sur la traite de personnes et autres. Quels sont les objectifs de la Loi, et quelles sont vos recommandations pour le Comité?
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Je vais commencer par dire que je n'ai qu'une connaissance générale du modèle de la Nouvelle-Zélande, de son efficacité et de sa mise en œuvre. Je ne pourrai donc pas répondre à cette partie de la question.
Pour répondre au reste de la question, je dirais que notre section est formée d'un groupe d'avocats qui comprend des représentants de la Couronne et de la défense. Je le répète, nos membres travaillent spécifiquement sur des dossiers au nom de personnes vulnérables, y compris des victimes d'infractions sexuelles. Tous ces points de vue sont représentés lorsque nous prenons position par rapport à des questions comme celle‑ci.
Il y a le côté doctrinal, c'est‑à‑dire le principe. Quels principes devraient sous-tendre notre position? Il y a aussi le côté pratique. En pratique, quand les projets de loi ou les dispositions législatives ont une portée trop large, ils donnent lieu à des contestations constitutionnelles qui sont fondées, qu'elles soient couronnées de succès ou non. Ces contestations coûtent du temps aux tribunaux et de l'argent aux contribuables.
Les lois doivent être non seulement justes, mais aussi précises. La précision protège contre les contestations constitutionnelles découlant d'infractions ou de dispositions législatives d'ordre pénal dont la portée est trop large. Nos réserves relatives à l'article 286.1 se rapportent à cela. L'article touche des personnes qui ne sont pas... Que ce soit en théorie ou en pratique, il est évident que les personnes qui ne répondent pas à la définition classique d'une travailleuse du sexe victime d'exploitation ou d'âge mineur subissent les conséquences des dispositions qui les empêchent de travailler ouvertement, ce qui les met en danger. À notre avis, si elles doivent se cacher, cette obligation les pousse vers la clandestinité.
Nous vous recommandons d'éliminer l'article 286.1 et de rendre les articles 286.2 et 286.4 plus précis. C'est ce que nous demandons.
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Merci, monsieur le président.
Je reviens à vous, monsieur Westell. J'interviendrai rapidement, parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Comme vous venez de l'entendre, je dispose de deux minutes et demie pour poser mes questions.
J'aimerais vous entendre sur un aspect en particulier. Mme Byrne nous a dit que certains groupes et certaines organisations criminelles étaient impliqués dans l'industrie du sexe. Elle nous a aussi dit que même des jeunes de 12 ans et plus, qui vont à l'école, participent à cette industrie en tant que proxénètes.
Quand les personnes impliquées ont moins de 18 ans, ce ne sont pas les mêmes dispositions du Code criminel qui s'appliquent. Cela dit, oublions cet aspect et revenons au problème des groupes criminels de façon générale.
Premièrement, selon vous, qui représentez l'Association du Barreau canadien, quelle est la principale difficulté que rencontrent les procureurs de la Couronne lorsqu'ils doivent poursuivre des proxénètes membres de groupes criminels?
Deuxièmement, y aurait-il, à votre avis, une façon de renforcer les lois actuelles afin qu'elles soient plus sévères ou efficaces contre les groupes criminels qui s'investissent dans l'industrie du sexe?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins pour leurs témoignages, leur collaboration et leurs réponses aux questions de mes collègues.
Je vais m'adresser principalement à la surintendante Byrne.
En ma qualité de nouveau député, j'étais curieux d'entendre votre témoignage. J'ai lu votre mémoire très attentivement. J'ai mené une carrière en droit pendant 30 ans. Durant les 18 dernières années de cette carrière, j'ai occupé le poste de procureur de la Couronne. Je comprends ce que vous voulez dire lorsque vous parlez des défis liés aux poursuites. Toutefois, ce n'est pas là‑dessus que je vais me concentrer.
Je vais me concentrer sur l'une des grosses questions que nous nous posons depuis plusieurs semaines. D'après vous, du point de vue de l'application de la Loi, à quoi ressemblera le Canada si le Comité et, au bout du compte, le gouvernement recommandent d'abroger la Loi? Avant que vous répondiez... Nous avons reçu plusieurs témoins. Il y en a un en particulier qui me vient à l'esprit. Ce témoin nous a dit que le Canada deviendrait le bordel du Nord et que l'industrie du sexe pourrait faire tout ce qu'elle voudrait.
J'aimerais votre point de vue de policière chevronnée sur la question.
J'aimerais aussi ajouter à cela mon point de vue de femme. J'aimerais voir un Canada doté d'une approche très équilibrée selon laquelle les femmes — ou dans certains cas les hommes, bien que ce soit surtout des femmes — ont le droit de mener des activités légales pour subvenir à leurs besoins. Nous devons toutefois trouver un équilibre, d'une manière ou d'une autre, car le commerce du sexe, et le sexe lui-même en tant qu'industrie, peuvent être utilisés de façon très négative. J'ai déjà décrit toutes ces situations.
Selon moi, le Canada trouvera cet équilibre. Je pense que nous pouvons le faire. Je pense que nous pouvons examiner ce qui se fait dans le reste du monde et atteindre réellement cet équilibre, peut-être avec une nouvelle mesure législative, ou en modifiant la Loi actuelle.
Cependant, les enquêtes comportent tant de défis pour les services de police — je suis certaine que le procureur de la Couronne et vous, en tant qu'ancien procureur de la Couronne, le comprendrez —, notamment les défis d'ordre constitutionnel qui n'ont aucun rapport avec le travail du sexe, comme l'arrêt Jordan. Il y a des questions liées à la divulgation et au fardeau de la preuve requis en cour criminelle, qui n'a fait que croître dans mes 20 ans de carrière dans la police. Ces enquêtes peuvent être très complexes. On en vient à envisager le recours à d'autres dispositions, notamment la disposition sur le crime organisé. J'ai commandé l'équipe des enquêtes sur le crime organisé. On parle d'enquêtes sur plusieurs années avec des poursuites judiciaires qui durent plusieurs années et qui coûtent des centaines de milliers voire des millions de dollars. Est‑ce réaliste, dans tous les cas, si nous voulons trouver l'équilibre que nous recherchons en matière de sécurité publique?
Je pense que le Canada trouvera cet équilibre sans avoir à mener une enquête d'une telle ampleur chaque fois, ce qui serait impossible dans notre système actuel.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les membres du Comité de l'occasion de me joindre à vous aujourd'hui.
Je m'appelle Andrea Heinz. J'habite à Edmonton, en Alberta, sur les terres du Traité no 6. J'ai un diplôme en services correctionnels et je suis actuellement étudiante de quatrième année au baccalauréat en administration publique spécialisé en gouvernance, droit et gestion. Mes études ont surtout porté sur la violence envers les femmes et ses répercussions. J'ai publié des articles sur le commerce du sexe et j'ai passé près de 10 ans à interagir avec une multitude de personnes, d'organismes et de groupes, comme les personnes qui entrent dans l'industrie du sexe ou qui en sortent, les acheteurs de sexe qui participent au programme des délinquants sexuels d'Edmonton, les fournisseurs de soins de santé, les étudiants universitaires et les politiciens, les membres et les recrues du Service de police d'Edmonton.
Avant ce travail, j'ai passé sept ans, de 2006 à 2013, dans l'industrie du sexe autorisée et réglementée d'Edmonton. Je suis entrée dans l'industrie à 22 ans, criblée de dettes, sans éducation ou compétence valable. Une annonce dans le journal local a attiré mon attention. Elle visait les femmes de 18 à 30 ans. Elle disait: « Divertissement pour adultes, gagnez 2 000 $ par semaine ». C'était une annonce pour une maison de prostitution. L'endroit était autorisé par ma ville et semblait sûr. J'étais loin de me douter que le divertissement pour hommes aurait des répercussions si graves sur ma vie par la suite.
Cinq minutes ne suffisent pas pour vous parler de l'ensemble des indignités et des traumatismes dont j'ai été témoin et que j'ai personnellement subis après avoir été achetée à des fins sexuelles plus de 4 300 fois. J'ai sombré dans une profonde dépression en quelques mois seulement. Après, quelque chose a changé en moi. J'ai alors commencé à me dire que c'était mon choix, que c'était un travail comme un autre, et que c'est le propriétaire de l'endroit où je travaillais qui était responsable du tort que je subissais. Je me suis dit que c'était une question de relations de travail. J'ai commencé à m'identifier comme travailleuse du sexe; je reconnais maintenant que c'était un instinct d'autoconservation.
Permettez-moi de reprendre les propos de la survivante canadienne Natasha Falle lors de la contestation Bedford: « Je ne pouvais pas admettre que je n'étais pas là par choix. Nous ne pourrions pas vivre dans notre propre peau si nous l'admettions. Nous avions besoin de croire que c'était notre choix. » Cet état d'esprit n'a toutefois pas empêché le préjudice.
J'ai ouvert ma propre maison de prostitution à l'âge de 25 ans. J'étais convaincue qu'avoir de meilleures conditions de travail assurerait ma sécurité et celle des autres femmes. Cette décision regrettable m'a fait comprendre que la source du mal, ce sont les hommes qui achètent des services sexuels, comme Trisha Baptie l'a exprimé avec justesse. Avant cela, j'entretenais l'illusion selon laquelle c'est moi qui détenais le pouvoir. Or, ce sont des hommes misogynes, à la sexualité exacerbée et estimant avoir tous les droits qui détenaient ce pouvoir et qui en abusaient. J'ai été étranglée, giflée, mordue. On m'a craché dessus. J'ai été agressée verbalement. Il m'est arrivé qu'on retire le préservatif, qu'on me filme à mon insu, qu'on me harcèle, et plus encore.
Le commerce du sexe est un système patriarcal de viol à peine voilé qui permet aux hommes d'utiliser l'argent plutôt que la force physique pour assouvir leurs besoins de gratification sexuelle immédiate.
La notion de travail du sexe est omniprésente et semble très acceptable lorsqu'elle n'est pas examinée d'un point de vue critique. L'usage répété d'euphémismes par rapport à cette notion de « travail » tend à recadrer le discours et à justifier ce qui est intrinsèquement de l'exploitation sexuelle. La prochaine fois que vous entendrez l'expression « travail du sexe », examinez‑en la signification réelle. Vous constaterez la réalité qui se cache derrière, celle de femmes objectivées, violées et tuées. Il y a un continuum de préjudices, et même dans le meilleur des cas, le travail du sexe sous-tend toujours l'objectivation des femmes.
La LPCPVE est une loi bien écrite et équilibrée. Décriminaliser la demande aurait pour effet d'éliminer l'outil le plus puissant dont nous disposions au Canada pour prévenir et contrer l'exploitation. L'abrogation de l'infraction concernant l’achat de services sexuels, soit l'article 286.1, favoriserait l'expansion du marché. L'absence de dissuasion sociale donnerait le feu vert à l'achat de services sexuels. Cela inciterait les exploiteurs à en tirer parti et à ouvrir plus d'agences et de maisons de prostitution, entraînant ainsi une recrudescence du proxénétisme et de la traite des personnes afin de satisfaire à une demande incontrôlée pour le corps des femmes.
La traite de personnes est une infraction précise comportant un seuil élevé pour le dépôt d'accusations. L'abrogation de la LPCPVE signifierait que le Canada n'aurait aucun outil pour lutter contre la coercition, le proxénétisme et l'exploitation, problèmes actuellement visés par les infractions relatives à la publicité des services sexuels, au proxénétisme et à l'avantage matériel, aux articles 286.4, 286.3 et 286.2, respectivement. Les exploiteurs et les profiteurs espèrent une décriminalisation complète.
Le Canada n'arrive déjà pas à endiguer la victimisation qui se produit en ce moment. Quel est le plan de notre pays pour se préparer à un éventuel afflux massif de femmes dans le commerce du sexe et pour leur offrir les mesures de soutien importantes dont la plupart d'entre elles pourraient avoir besoin à long terme? Les organismes de bienfaisance et les ONG qui travaillent à réparer les torts subséquents sont largement sous-financés, en plus d'être submergés de demandes de services.
En fin de compte, les lois en vigueur, quelles qu'elles soient, ne sont pas présentes dans les chambres pendant les échanges. Plus il y aura d'échanges, plus les préjudices seront importants, quantitativement, car ils sont inhérents à cette activité. Nous devons réduire le marché et nous devons enfin souscrire à cette loi et veiller à son application uniforme. Ce n'est qu'alors que nous pourrons procéder à un examen honnête de son efficacité.
Je vous remercie.
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Je remercie le Comité de nous recevoir. Je veux d'abord remercier l'ensemble des femmes survivantes qui sont venues témoigner durant vos séances. Je veux souligner leur apport, et particulièrement celui d'Andrea Heinz, qui est ici aujourd'hui avec nous.
La Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, soit la CLES, est un groupe qui intervient, depuis plus de 15 ans, auprès des femmes et des filles victimes d'exploitation sexuelle au Québec. Nous soutenons plus ou moins 200 femmes par année ainsi que des proches, qui viennent chercher de l'aide pour soutenir leurs filles. Nous rencontrons des femmes qui souhaitent sortir de la prostitution et d'autres, non. Elles ont cependant toutes le désir de prévenir l'entrée dans la prostitution des autres femmes. Cela devrait nous dire quelque chose.
Étant donné que nous avons juste cinq minutes, je vais aller tout de suite à la question fondamentale à laquelle nous jugeons que le Canada est confronté, et tout particulièrement vous, en tant que Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Est-ce que nous souhaitons, au Canada, affirmer qu'il existe un droit pour les hommes — parce que les clients sont majoritairement des hommes — d'acheter des actes sexuels de la part des femmes et des filles — parce que ce sont majoritairement elles qui sont achetées?
Si la réponse est oui, vous choisirez de décriminaliser totalement la prostitution et l'achat d'actes sexuels. Cela aura des conséquences énormes sur les femmes et les filles. Des pays tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne et la Nouvelle‑Zélande ont fait ce choix à divers degrés. Ils vivent tous, aujourd'hui, avec un accroissement exponentiel d'hommes souhaitant acheter des services sexuels et, comme nous l'avons entendu plus tôt, même de jeunes hommes qui souhaitent devenir des proxénètes. Cela augmente la traite humaine, et certains de ces pays songent présentement à modifier leur réponse parce qu'ils voient l'impact de la décriminalisation totale.
Si plus d'hommes veulent avoir accès à des actes sexuels tarifés, plus de femmes et de filles devront y consentir ou être amenées à le faire. Derrière la prostitution se développe une industrie dont on parle trop peu, qui est avide de profit et souhaite entretenir l'idée qu'il s'agit d'un droit pour les hommes d'acheter des actes sexuels et d'un simple choix pour les femmes.
Nous savons déjà que les femmes parmi les plus marginalisées, les femmes autochtones, les femmes migrantes, les femmes des communautés racisées sont surreprésentées dans l'industrie du sexe. La décriminalisation totale de cette industrie et de la pratique de l'achat d'actes sexuels rend ce fait tolérable et invisible. Nous constatons d'ailleurs que, loin de questionner l'existence d'une telle réalité, des femmes provenant de ces groupes sont souvent instrumentalisées par les défenseurs de la décriminalisation totale de la prostitution, afin de défendre cette pratique patriarcale en invoquant la sécurité des femmes. C'est odieux!
Si la réponse à notre question est non et si vous souhaitez faire obstacle à cette pratique patriarcale, vous vous intéresserez à ce qui se passe dans des pays tels que la Suède, la Norvège, l'Islande ou la France, qui ont choisi ce qu'on appelle le modèle d'égalité plutôt que le modèle « nordique ». C'est de ce modèle, d'ailleurs, que la loi de 2014 s'est inspirée. Il propose non seulement de réprimer, mais aussi de prévenir l'entrée dans la prostitution, de questionner cette pratique vieille comme le monde, apparemment, de soutenir celles qui sont aux prises avec la prostitution et qui veulent en sortir, et elles sont majoritaires.
Nous souhaitons aussi, par le modèle d'égalité, cibler les responsables de cette exploitation, c'est-à-dire les clients et les proxénètes, qui sont ceux qui ont le réel choix dans la situation. La France a adopté sa loi criminalisant l'achat d'actes sexuels en 2016. Elle en a fait l'évaluation en 2020. Je vous invite à regarder les rapports qu'elle a produits. Son évaluation est positive, malgré le fait que la loi n'a pas été appliquée de façon égale dans chaque département français et que trop peu d'argent a été investi, entre autres, afin de soutenir les femmes dans leur parcours de sortie de la prostitution. L'évaluation est positive, donc, et la loi est maintenue et renforcée.
Le gouvernement du Québec a déjà répondu non à la question que je vous posais au début. Il s'est doté d'une politique d'égalité en 2007, qui affirme que la prostitution est une forme de violence envers les femmes. C'est de là que nous devons partir. Le Québec a adopté, depuis ce temps, une stratégie gouvernementale pour contrer les violences sexuelles et, tout récemment, un nouveau plan d'action contre l'exploitation sexuelle des mineurs.
Nous comptons sur vous et nous comptons sur votre compréhension de la situation à laquelle notre société fait face. Nous devons refuser cette pratique, qui place les femmes dans un état d'insécurité et qui va également à l'encontre de l'égalité pour toutes les femmes. Nous croyons...
Je m'appelle Glendyne Gerrard, je suis cofondatrice et directrice de Defend Dignity, un organisme national qui vise à mettre fin à toutes les formes d'exploitation sexuelle au Canada.
Je m'adresse à vous du territoire de la Première Nation des Mississaugas de Credit. Je vous remercie de me donner le privilège de comparaître au Comité aujourd'hui.
Defend Dignity appuie fermement la LPCPVE et ses objectifs. Nous convenons de la nécessité de dénoncer et d’interdire l’achat de services sexuels qui crée une demande de prostitution, et le fait de tirer parti de l’exploitation d’autres personnes par de tierces parties, afin d'enrayer la prostitution et mettre fin aux préjudices qu'elle cause.
Dans le cadre de notre travail, nous avons sensibilisé plus de 10 000 personnes au pays au sujet de l'exploitation sexuelle. Nous leur rappelons que la prostitution ne peut exister sans acheteurs. Nous promouvons l'égalité des sexes et cherchons des moyens de démanteler les attitudes patriarcales qui alimentent la demande pour l'achat de services sexuels.
En outre, afin de mieux comprendre les hommes qui achètent ces services, nous étudions les attitudes des clients à partir de commentaires publiés sur un forum en ligne canadien consacré aux escortes. Sur de tels sites, les clients évaluent et notent les escortes dont ils ont retenu les services.
Notre analyse des commentaires sur un forum canadien a révélé que le terme le plus fréquemment recherché est « jeune ». Les acheteurs préfèrent les jeunes escortes. Un des clients a écrit: « Payer plus cher, ça ne veut pas dire plus de services. C'est juste le prix à payer pour pénétrer une jeune fille sexy par-derrière ».
Le deuxième terme le plus recherché fait référence à la taille du corps d'une femme. Certains clients notent sur 10 les différentes parties du corps des femmes.
Troisièmement, le racisme et les stéréotypes racistes sont omniprésents sur le forum. Au sujet des photos qui figurent sur le site d'une vendeuse, un acheteur a écrit: « Je me demande quand j'aurai aussi une photo de fesses, surtout pour une femme noire. »
Enfin, les femmes transgenres sont celles qui subissent la plus grande violence. Dans une discussion sur les femmes transgenres prostituées, un acheteur a dit: « Je pense que tout le monde a le droit de choisir avec qui avoir des relations sexuelles, mais ne pas le divulguer, en particulier dans la publicité, c'est de la tromperie, à mon avis, et cela peut entraîner des situations dangereuses. Je ne cautionne pas la violence, mais c'est une réalité. »
Nous avons aussi un groupe d'hommes qui font de la sensibilisation auprès des clients. Ils répondent aux annonces de services sexuels publiées en ligne et rencontrent les acheteurs au moment de l'achat pour les renseigner sur les préjudices potentiels découlant de leur décision d'achat et, pour ceux qui le souhaitent, des renseignements sur les ressources pour le traitement de la dépendance sexuelle.
Nos recherches et notre travail auprès des acheteurs de services sexuels ont révélé que leurs attitudes et leurs actions peuvent être nuisibles. Les acheteurs de sexe masculin pensent que les hommes ont le droit de se servir du corps des femmes — principalement — à des fins sexuelles contre rétribution, et que le fait de payer leur donne le droit de faire ce qu'ils veulent. Nos lois font office d'enseignants qui contribuent à façonner notre culture. L'infraction relative à l’achat de services sexuels doit être maintenue afin de décourager ces attitudes et comportements néfastes.
Defend Dignity fournit également une aide financière par l'intermédiaire de son fonds de soutien aux personnes qui sont dans l'industrie du sexe ou qui cherchent à en sortir. À ce jour, nous avons reçu 291 demandes; près de 200 000 $ ont été versés. Parmi les besoins les plus courants, soulignons le remboursement de dettes, puisque les proxénètes et les trafiquants accumulent souvent des dettes faramineuses sur les cartes de crédit ou les services de téléphonie cellulaire, le counselling traumatologique, le logement, les soins dentaires et l'éducation. Les demandes proviennent de partout au Canada, par l'intermédiaire de 80 fournisseurs de services, d'organismes d'application de la Loi et d'organismes de soutien.
Les demandeurs sont représentatifs du grand nombre de personnes qui sont dans l'industrie du sexe non par choix et qui ont besoin de la protection de cette mesure législative. Ces personnes sont l'une des principales raisons pour lesquelles nous appuyons la LPCPVE. Nous sommes extrêmement reconnaissants des renseignements qu'elles nous ont fournis dans leurs formulaires de demande et dans les lettres qui les accompagnaient.
Vous avez reçu un mémoire de Mme Mikhaela Gray, qui a effectué une analyse des données provenant des demandes de financement que nous avons reçues au printemps de 2021 à notre fonds. Elle présente un résumé de ses conclusions dans son mémoire. Cinquante-trois demandes ont été analysées afin de mieux comprendre les diverses expériences des personnes touchées par l'industrie du sexe. Cette analyse a fait l'objet d'un examen par les pairs et sera publiée sous peu dans une revue universitaire.
Je tiens à souligner deux résultats importants de cette recherche. Les 53 femmes ont utilisé divers termes pour décrire leur expérience: prostitution, escorte, prostitution de survie, traite de personnes. Au total, 96 % des femmes ont déclaré avoir été exploitées par un tiers ou avoir été victimes de la traite de personnes pendant qu'elles étaient dans l'industrie, et 36 % d'entre elles ont été victimes de gangs ou du crime organisé.
On constate des variations dans toutes leurs expériences, quelle que soit la manière dont elles décrivent leur participation dans l'industrie: choix, exploitation et coercition. Par exemple, neuf femmes ont déclaré être entrées dans l'industrie de manière indépendante, mais six d'entre elles ont également déclaré qu'un trafiquant était intervenu à un moment donné. Des 34 femmes qui ont déclaré s'être prostituées, 26 ont aussi dit avoir été victimes de la traite de personnes.
L'étude a révélé que la définition que les personnes donnent elles-mêmes de leur expérience peut prendre différentes formes. Une terminologie à usage unique ne permet pas de rendre compte adéquatement de leur expérience. Beaucoup ont décrit la façon dont les limites ont été franchies. Elles ont été constamment mises dans des situations qu'elles ne souhaitaient pas.
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Merci beaucoup de cette question.
Je veux vraiment souligner ce que Mme Gerrard a dit, que cela fait partie de la culture. Cela fait partie de notre culture patriarcale, en particulier ici, au Canada. Nous considérons que notre nation est très progressiste, et elle l'est à bien des égards, mais nous ne sommes pas à la hauteur en matière d'égalité des sexes et d'égalité fondée sur le sexe.
Je pense vraiment que la Loi est bien conçue. Je pense que le seul aspect qu'il faut vraiment rectifier est peut-être l'article 213. Nous savons que les personnes visées par cette disposition de la LPCPVE sont nos vendeuses de services sexuels les plus vulnérables, celles qui se trouvent dans la rue, qui ont des problèmes de santé complexes, des problèmes de santé mentale non traités, des traumatismes intergénérationnels et des dépendances.
J'ai vraiment le sentiment... et, s'il vous plaît, je ne suis pas avocate, alors je n'ai pas la réponse exacte, mais je peux dire que les femmes subissent un préjudice. À cet égard, nous les ciblons toujours d'une certaine manière. Nous devons supprimer la totalité des obstacles auxquels elles sont confrontées. Cela inclut la suppression de toutes les condamnations historiques ou actuelles des personnes qui vendent des services sexuels, ainsi que la mise en évidence de l'origine du préjudice. Encore une fois, cela vient de la culture et du patriarcat associé à notre masculinité.
Je pense vraiment que nous avons, au Canada, des hommes merveilleux qui font de grandes choses, mais nous avons aussi une pourriture sociale qui prend le dessus. Nous le constatons très nettement. L'idéologie du travail sexuel s'infiltre dans toutes les facettes de la vie des femmes canadiennes. Nous ne pouvons pas marcher dans la rue sans être sollicitées à des fins sexuelles. Je fais mon jogging dans mon quartier, avec mes enfants dans une poussette, et des hommes s'arrêtent et me harcèlent. Parfois, je suis même avec mon mari. Tous les coups sont permis.
J'ai l'impression que nous allons être jetées aux loups et que la chasse sera ouverte. Nous devons vraiment travailler à changer le discours. Les femmes méritent mieux que d'être des produits de consommation sexuelle.
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Je pense que c'est un grave manque de vision. D'un point de vue très, très étroit, cela peut sembler logique à certaines personnes: « Elle dit qu'elle veut vendre des services sexuels; qui sommes-nous pour empiéter sur les libertés individuelles? » Nous devons commencer à penser au bien collectif, et surtout au bien collectif des femmes ici au Canada. Encore une fois, nous savons que beaucoup d'entre nous sont soumises à la perversion des hommes, essentiellement.
C'est vraiment très difficile. C'est très décevant. Je pense que nous devons prendre le recul nécessaire et reconnaître l'activité pour ce qu'elle est, à savoir un accès sexuel coercitif. Ce n'est pas du travail. Nous devons examiner où se situent les limites entre le pouvoir et la soumission. Je ne pense vraiment pas que nous soyons nombreuses à exercer cette activité avec un grand pouvoir. Je sais que ce n'était pas mon cas. Bien sûr, on ne m'a pas mis un pistolet sur la tempe. Je n'étais pas soumise à un proxénète ou un trafiquant. Mon proxénète, c'était la pauvreté. C'est le cas de beaucoup de femmes. Parce que nous sommes si dépendantes de cela, parce que nous sommes matériellement assujetties dans la société canadienne, nous nous rangeons du côté de nos agresseurs. Nous nous rallions à nos agresseurs. Nous sourions à nos agresseurs lorsqu'ils nous maltraitent, parce que nous avons besoin de l'argent. Ce n'est pas juste de faire subir cela aux femmes.
Alors oui, c'est un énorme problème. C'est un problème à multiples facettes. Nous devons l'aborder sous tous les angles. Il y a tellement de travail à faire. Nous ne pouvons pas nous contenter d'abandonner les femmes, de donner le feu vert à l'exploitation et de penser que le problème se résoudra de lui-même. Cela ne se produira pas.
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Je vous remercie de cette question.
La recherche que nous avons entreprise a pour but de nous aider à comprendre pleinement les conséquences de l'industrie du sexe. Voici quelques-unes des questions autour desquelles nous avons articulé notre recherche. Quels sont les facteurs qui poussent une personne à s'engager dans l'industrie du sexe? Quelles sont les conséquences de l'implication dans l'industrie du sexe sur le bien-être émotionnel, mental et physique d'une personne, quelle que soit la façon dont elle décrit personnellement son expérience? Dans quelle mesure des tiers sont-ils intervenus? Je vous en ai parlé. S'agissait‑il d'un ami, d'un gang, d'un trafiquant? Dans quelle mesure un tiers est‑il intervenu? Qu'est‑ce qui permet à une personne de choisir de quitter l'industrie ou de ne pas y entrer ou y retourner?
Ce sont des points que nous avons examinés. Je peux certainement vous dire que les effets de l'industrie du sexe sur le bien-être physique, émotionnel et mental des personnes étaient tous négatifs. Je pourrais vous lire toutes sortes de citations tirées de nos recherches auprès de ces 53 personnes. Pas une seule d'entre elles n'a été épargnée sur le plan physique, émotionnel ou mental. La violence était omniprésente. Toutes sortes de choses horribles se sont produites.
J'espère que vous avez retenu que la plus jeune des 53 personnes n'avait que deux ans. Elle a été exploitée par sa famille, ce qui est, malheureusement, un phénomène courant.
Cette recherche n'a révélé que des effets négatifs.
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La guerre des chiffres est toujours une guerre un peu spéciale. Les contacts que nous avons avec des femmes en Nouvelle‑Zélande dressent un portait tout autre.
On parlait tout à l'heure des femmes autochtones. En Nouvelle‑Zélande, les femmes maories ont même créé une organisation pour lutter contre ce choix de leur société. Ces femmes parlent de l'augmentation à la fois de la banalisation de la prostitution dans l'ensemble de la société néo-zélandaise, incluant leur communauté, et du fait que des jeunes filles maories sont amenées de plus en plus dans la prostitution.
La Nouvelle‑Zélande est le seul pays au monde qui a choisi l'option de la décriminalisation totale. Comme je le disais tout à l'heure, le problème, c'est que la décriminalisation totale de la prostitution rend tout à fait invisibles les méfaits et les conséquences de la prostitution sur les femmes en général, et particulièrement sur les femmes autochtones et les femmes racisées. Selon les données que j'ai, il y a eu une augmentation de la traite à l'international, parce qu'il y a à la fois une augmentation d'hommes néo-zélandais qui veulent acheter des actes sexuels et un accroissement du tourisme sexuel.
Montréal est déjà reconnue comme la plaque tournante, entre autres, de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. On peut tous imaginer ce que cela deviendrait, si le Canada choisissait de décriminaliser totalement la prostitution.
Nous vous invitons, je vous invite à arrêter de regarder la question de la prostitution sous l'angle de la nécessité de l'amélioration des conditions de pratique de la prostitution. Vous devez regarder pourquoi la prostitution existe, qui est emmené dans la prostitution, l'impact de la prostitution sur l'accès à la sécurité, à la dignité et à l'égalité pour toutes les femmes.
Vous avez une responsabilité énorme à l'heure actuelle. Vous tenez entre vos mains la possibilité de décider qu'au Canada, on va donner la priorité à un regard sur la prostitution qui est lié à la question de l'égalité pour toutes. Ce que vous avez entendu jusqu'à maintenant, surtout de la part du lobby très puissant qui veut arriver à une décriminalisation totale de la prostitution au Canada, c'est l'histoire de celles dont on veut bien parler. Or cela rend invisibles la majorité des autres femmes et des filles qui sont amenées dans la prostitution, comme le disait Mme Heinz, d'abord par la pauvreté.
On vient de sortir d'une pandémie et on est encore un peu dedans. Les femmes se sont appauvries au Canada depuis 2020. Est-ce qu'on sait ce que cet appauvrissement aura comme effet sur l'entrée dans la prostitution?
Il est clair qu'il y a partout au monde une industrie qui s'abreuve à cette pauvreté et aux inégalités sociales et économiques, et qui attend une décision comme celle que, malheureusement, certains d'entre vous portent, à savoir qu'on doit se débarrasser de ces lois parce qu'elles empêchent de consommer des actes sexuels. On se met la tête dans le sable et on croit qu'on n'a pas de rôle à jouer pour mettre fin à cette pratique patriarcale.
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Selon nous, le changement le plus fondamental que la loi de 2014 a apporté a été de déplacer le crime d'achat d'actes sexuels dans la section des crimes contre la personne. On a donc reconnu que la prostitution n'était pas une transaction entre adultes consentants. C'est cela qui est le plus important.
Le problème qui se pose à l'heure actuelle, c'est qu'on regarde seulement la partie du Code criminel. Or les objectifs ou l'inspiration de la loi canadienne sont ancrés dans un modèle qui couvre, comme je le disais tout à l'heure, à la fois la prévention de l'entrée dans la prostitution et la prévention auprès des petits garçons. Ils ne viennent pas au monde en pensant qu'ils peuvent acheter des actes sexuels d'autres personnes, ils l'apprennent. Ils ne naissent pas en voulant être proxénètes un jour, ils l'apprennent. Malheureusement, à l'heure actuelle, ils l'apprennent de partout.
On parlait tantôt de la culture, des médias et de la banalisation en général. D'abord et avant tout, c'est cela qu'il faut arriver à contrer. Effectivement, on peut se concentrer sur les articles du Code criminel, mais nous croyons qu'aucune personne ne devrait être criminalisée, peu importe où elle se trouve, lorsqu'elle est en situation d'exploitation sexuelle. Cela devrait être très clair. D'ailleurs, dans les modèles qui ont été les plus satisfaisants dans le monde, aucune criminalisation des femmes n'était tolérée. Je dis « femmes », parce que c'est majoritairement des femmes qui sont en cause.
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Merci, monsieur le président.
Madame Matte, vous étiez sur une belle lancée, et j'aimerais vous donner l'occasion de compléter votre réponse.
Tantôt, vous avez dit que vous privilégiiez le modèle d'égalité plutôt que le modèle nordique. Vous avez aussi dit que, en 2007, Québec avait agi en ce sens. En effet, l'Assemblée nationale a aussi privilégié le modèle d'égalité.
J'aimerais vous entendre davantage à ce sujet. D'abord, qu'est-ce que le modèle d'égalité? Ensuite, qu'a fait le Québec pour se diriger vers ce modèle?
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J'imagine que la police pourrait mieux répondre à la question que moi.
Ce que je peux dire, c'est que certaines femmes avec qui nous travaillons sont effectivement aux prises avec le crime organisé. Cela existe donc au Québec, comme cela existe ailleurs au Canada et dans le monde.
Il y a aussi des femmes qui sont tout simplement amenées dans l'industrie du sexe par la banalisation. Par exemple, une de leurs amies leur a peut-être dit que c'était une façon de gagner de l'argent. Il peut aussi s'agir d'une femme qui a rencontré un homme: il a commencé par lui dire qu'il l'aimait beaucoup et qu'il voulait bâtir quelque chose avec elle. Puisqu'il a besoin d'argent pour faire cela, il l'envoie se prostituer.
Je répète que j'ai été frappée par les paroles de la personne qui est intervenue lors du dernier tour de questions. Elle a parlé du fait que des jeunes hommes de 12 à 15 ans tentent de convaincre des jeunes filles de vendre des services sexuels.
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Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier nos témoins de cet après-midi pour leurs témoignages et leurs réponses à une multitude de questions.
Je vais d'abord m'adresser à Mme Heinz. Je vous remercie sincèrement de votre témoignage d'aujourd'hui ainsi que du courage dont vous faites preuve en parlant ouvertement du chapitre sombre auquel vous avez survécu; vous avez fait preuve d'une extrême résilience et vous militez à présent avec vigueur contre l'industrie.
Je réfléchissais à l'un des derniers commentaires de votre déclaration liminaire, quand vous avez dit que vous vouliez en fin de compte réduire le marché. L'un des objectifs primordiaux de cette loi est de réduire la demande.
Madame Heinz, je vais vous donner l'occasion de préciser en 30 secondes environ, si vous le pouvez, ce que vous entendez par la réduction du marché, et de nous faire part de vos idées sur la manière de concrétiser cet objectif.
Réduire le marché devrait être notre priorité. Cela éliminera un nombre important de personnes qui vendent des services sexuels et qui ne sont pas là par choix. Toute politique que nous mettons en œuvre va soit élargir le marché, soit le réduire. Nous nous comparons souvent à la Nouvelle-Zélande, mais à mon avis, c'est comme si nous comparions des pommes et des oranges. La Nouvelle-Zélande est une île du Pacifique qui compte environ cinq millions d'habitants. Le Canada a une population environ huit fois plus importante et partage une frontière de près de 9 000 kilomètres avec les États-Unis.
La population des États-Unis dépasse les 330 millions d'habitants, et leur population masculine d'âge adulte représente plus du double de notre population totale ici au Canada, ce qui signifie qu'il y a plus de 100 millions d'hommes adultes aux États-Unis. Alors quand Cathy Peters a déclaré que nous risquons de devenir le « bordel de l'Amérique », elle a vu juste.
Aucun d'entre nous n'a de boule de cristal qui lui permet de prédire ce qui se passera avec les changements que nous apporterons, mais nous devons considérer le Canada comme une entité à part entière, comme une nation à part entière, et nous demander quels risques nous sommes prêts à prendre pour assurer la subsistance et la sécurité des femmes.
Je tiens également à souligner l'efficacité du programme d'Edmonton pour les délinquants sexuels. Nous avons un taux de récidive remarquablement faible de 1 % à 3 % pour les hommes qui participent à ce programme d'une durée de huit heures. C'est un excellent programme pendant lequel j'ai eu la chance de prendre la parole au cours des neuf dernières années. J'ai constaté une évolution spectaculaire chez bon nombre des hommes qui y participent.
Je tiens à dire que, personnellement, j'estime que l'exploitation est double à bien des égards dans cette industrie. La plupart des hommes ne veulent pas acheter de services sexuels. La plupart des hommes sont également victimes de la culture qui leur dit que leur masculinité exige qu'ils soient des consommateurs sexuels, qu'ils consomment le corps des femmes sans se préoccuper de l'être humain et de tout ce qui va avec.
Je pense vraiment que les hommes qui ont la possibilité de s'éduquer, qui ont accès à des programmes de mesures de rechange, sont nombreux à changer de cap et à cesser d'exploiter les femmes. Ils me disent toujours: « Je n'avais aucune idée. Je n'en avais vraiment aucune idée. Je tenais cela pour acquis. Elle m'a dit qu'elle voulait être là. Je n'ai vu personne, comme un proxénète, et j'ai pensé qu'il n'y avait pas de mal. »
Je crois que le problème est que les gens assimilent cela à du sexe naturel et sain — celui auquel, par chance, la plupart des gens participent. Je pense que chaque fois que nous examinons le commerce du sexe, il ne correspond pas à ce que nous savons être un consentement sexuel authentique. L'une des pierres angulaires du consentement sexuel est qu'il est donné librement. Le fait même que nous ayons recours à cette énorme coercition économique pour attirer des personnes marginalisées et vulnérables dans l'industrie montre bien ce qui est nécessaire pour qu'elles jouent le jeu et sourient, comme je l'ai dit, malgré les violences dont elles sont victimes.
Je pense vraiment que nous avons besoin d'une stratégie qui comporte la création d'un organisme interministériel qui travaillerait avec Condition féminine Canada, la Sécurité publique, FEGC et Justice, car il s'agit d'un problème aux multiples facettes. Il est question de violence conjugale, d'inégalité économique, de trafic et de tous ces problèmes. Il s'agirait donc d'une stratégie qui s'étendrait sur plusieurs décennies. Elle est nécessaire et il faut maintenir le cap.
Trisha Baptie a déclaré qu'il nous faut plus de temps, et c'est le cas, mais il faut aussi plus d'effort. L'effort n'y est pas; nous pouvons faire mieux pour les femmes et les filles canadiennes. Je pense que l'éducation en est la pierre angulaire. Le gouvernement fédéral doit donner de l'argent aux provinces pour que nous puissions avoir un programme d'études dans tous nos établissements d'enseignement, surtout à partir de la septième année, car nous voyons de jeunes hommes devenir des exploiteurs.
Merci.
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En ce qui concerne notre fonds de soutien aux survivantes, je dirais qu'environ 17 % des personnes qui nous font des demandes sont des Autochtones. Nous ne leur demandons pas précisément quelle a été leur expérience avec la police. Je ne peux répondre à cette question que de manière anecdotique, à partir de mes propres conversations avec différentes survivantes autochtones, noires ou de couleur. Je peux répondre à la question en disant qu'il y a effectivement eu d'assez mauvaises expériences avec la police. Inversement, il y en a qui ont eu de bonnes expériences avec la police.
Je veux vraiment parler de cela et dire à quel point c'est important. Si nous parlons de modifier la Loi, je vous encourage vivement à inclure un volet formation pour tous les aspects, tous les éléments de notre système judiciaire.
Comme je l'ai mentionné, nous avons formé 10 000 personnes à l'échelle du Canada. Nous l'avons fait récemment lors d'un sommet, le Sommet canadien sur l'exploitation sexuelle, où nous avons consacré une journée entière à la formation de policiers, de procureurs de la Couronne, de juges et de quiconque voulait participer à cette formation. Une partie de la formation consistait à écouter les témoignages de personnes autochtones: elles relataient leurs expériences à la police quant aux choses à faire, aux choses à ne pas faire et à certains des défis auxquels elles ont été confrontées.
Je ne nie absolument pas que les Autochtones aient parfois eu des difficultés dans leurs rapports avec la police, mais je pense qu'une meilleure formation est nécessaire, et je crois que c'est possible. Nous avons été très encouragés par la participation d'environ 75 policiers, procureurs de la Couronne et juges à la formation de mai dernier. Ils étaient tous très favorables à la LPCPVE, que vous êtes en train d'examiner; ils voulaient simplement apprendre à mieux la mettre en œuvre et l'appliquer.