Avant d'aller plus loin, je tiens, au nom de tous mes collègues et en mon nom personnel, à souhaiter à tous — et particulièrement à nos collègues féminines et aux témoins qui sont avec nous aujourd'hui — une excellente Journée internationale de la femme. Nous ne manquerons pas de garder cette considération à l'esprit dans nos travaux d'aujourd'hui.
Bienvenue à la 53e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier 2023, le Comité se réunit afin de poursuivre son étude du système canadien de mise en liberté sous caution.
La réunion d’aujourd’hui se déroule sous forme hybride, conformément à l’ordre de la Chambre adopté le jeudi 23 juin 2022. Les députés peuvent participer en personne ou à distance, avec l’application Zoom.
Pour garantir le bon déroulement de la séance, j’aimerais transmettre certaines consignes aux témoins et aux députés.
Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l’icône du microphone pour activer votre micro. Veuillez vous mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne l’interprétation, ceux qui sont sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre la transmission du parquet sans interprétation, l'anglais et le français. Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal désiré.
Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence. Les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole doivent lever la main. Les députés sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour tenir à jour une liste des intervenants, et nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Je dois vous rappeler que la décision rendue le 7 mars dernier par le président de la Chambre concernant les réunions virtuelles s'applique depuis mardi. M. Rota a notamment précisé que « les interprètes ne pourront offrir de services d’interprétation simultanée si les députés, et les témoins, dans le cas des comités, participant virtuellement n’utilisent pas les casques d’écoute approuvés par la Chambre. »
Merci. Nous poursuivons donc notre étude du système canadien de mise en liberté sous caution.
Nous allons ainsi entendre aujourd'hui le témoignage à titre personnel de Mme Nicole Myers, professeure agrégée à l'Université Queen's où j'ai moi-même étudié. Nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Emilie Coyle, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Nous recevons enfin, également par vidéoconférence, Mme Jennifer Dunn, directrice générale du London Abused Women's Centre.
Nous vous souhaitons la bienvenue et nous nous réjouissons de vous accueillir aujourd'hui. Vous aurez droit à cinq minutes chacune pour nous présenter vos observations préliminaires, après quoi les membres du Comité vous poseront leurs questions. Je vous présenterai ce carton jaune lorsqu'il vous restera une trentaine de secondes, et ce carton rouge lorsque votre temps sera écoulé. Je vous demanderais de bien vouloir conclure à ce moment‑là de telle sorte que je n'ai pas à vous interrompre.
La même consigne s'applique aux députés.
Bienvenue au Comité, madame Vecchio.
Je suis de la vieille école; j'utilise des petits cartons.
Nous allons d'abord entendre Mme Myers pour les cinq premières minutes.
:
Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
Je m'appelle Nicole Myers et je suis professeure agrégée à l'Université Queen's. Voilà près de 20 ans que j'étudie les questions liées à la mise en liberté sous caution et à la détention préventive.
Lorsqu'un événement tragique a lieu, il est tout à fait compréhensible que les gens, et tout particulièrement les policiers, soient indignés et préoccupés et souhaitent trouver une façon d'éviter qu'une telle chose puisse se reproduire. Je conviens que le moment est venu de revoir notre système de mise en liberté sous caution et d'apporter les correctifs qui s'imposent.
Bien qu'un incident tragique puisse être à l'origine de notre désir de procéder à un examen de la loi et du fonctionnement du système, nos conclusions quant à l'état de la situation et aux orientations à prendre pour apporter les changements requis doivent pouvoir s'appuyer sur un processus systématique de collecte de données empiriques. Lorsqu'il est question de mise en liberté sous caution, nous devons garder à l'esprit les principes fondamentaux de notre système de justice pénale ainsi que les droits inscrits dans notre Charte des droits et libertés, y compris la présomption d'innocence et le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable.
La Cour suprême du Canada a insisté sur le fait qu'il fallait faire preuve de retenue dans la décision concernant la mise en liberté sous caution, la position de base devant être que l'inculpé sera libéré sans condition. Pour qu'un individu puisse répondre de ses actes et être sanctionné pour son comportement, il faut d'abord que l'on établisse qu'il est coupable de l'infraction dont il est accusé.
Que savons-nous exactement de la situation? Nous savons que le taux de criminalité au Canada, y compris l'incidence des crimes avec violence, demeure au plus bas niveau jamais atteint. Il n'en reste pas moins que ceux qui déterminent les conditions de mise en liberté sont généralement plus restrictifs et moins enclins à prendre des risques. À titre d'exemple, depuis 2005‑2006, le nombre d'individus en détention avant procès au Canada a dépassé le nombre de ceux qui ont été trouvés coupables et qui purgent une peine dans un établissement provincial. En 2021‑2022, 70,5 % de la population carcérale provinciale au pays était en détention préventive. Le taux de recours à la détention avant jugement a plus que doublé au cours des 40 dernières années, et le nombre de personnes en détention préventive a quadruplé pendant cette période.
Le nombre et la proportion d'individus en détention provisoire montrent bien que le Canada ne fait pas preuve de laxisme en la matière. Bien des gens sont en effet détenus avant d'avoir été trouvés coupables.
Le problème vient en grande partie du fait qu'il n'existe pas de moyen précis et fiable de savoir qui va aller commettre un acte criminel ou une infraction grave avec violence. On ne peut pas et on ne devrait pas s'attendre à ce que notre système de justice pénale puisse cerner, traiter et éliminer tous les facteurs de risque. Toute tentative de prévoir les risques est à la fois peu fiable et discriminatoire, surtout à l'encontre des Autochtones, des Noirs et des membres des autres communautés racisées.
La loi prévoit d'ores et déjà des mécanismes permettant de garder des prévenus en détention avant leur procès lorsque la situation l'exige, et notamment aux fins de la sécurité publique.
Les individus gardés en détention préventive ne peuvent plus circuler dans la collectivité, ce qui peut procurer certains avantages à court terme du point de vue de la sécurité publique. Il s'agit toutefois d'une protection temporaire dont les effets sont neutralisés par des répercussions négatives sur la sécurité publique à plus long terme.
Non seulement la détention est-elle extrêmement dispendieuse, mais elle est également criminogène. Même de très courtes périodes de détention font augmenter, et non baisser, les risques qu'un individu commette d'autres infractions.
La proposition visant à créer davantage de situations où le fardeau de la preuve serait renversé n'est pas un outil pouvant nous aider dans notre quête d'une plus grande sécurité publique. Les mesures prévoyant un tel renversement sont problématiques et inutiles, car elles ne tiennent pas compte de l'inégalité des pouvoirs et des ressources dont disposent respectivement l'inculpé et l'État. Lorsque la liberté d'une personne est en jeu, il faut imposer à l'État le fardeau de prouver que sa détention est justifiée, plutôt que de demander à l'inculpé de démontrer que l'on devrait le libérer.
Si l'inculpé représente un risque significatif pour la société, la Couronne fait valoir ses arguments en ce sens au tribunal qui peut décider qu'il sera gardé en détention. Si l'on choisit de le libérer, il doit respecter certaines conditions et être soumis à une surveillance au sein de la collectivité. Il est risqué de vouloir rendre notre régime plus restrictif alors même que nos prisons provinciales sont déjà remplies d'individus dont la culpabilité n'a pas été judiciairement établie. Le resserrement de notre régime de mise en liberté sous caution avec un recours accru à la détention préventive aura des effets discriminatoires sur les membres de notre société qui sont les plus marginalisés, qui font l'objet d'une surveillance policière plus soutenue ou qui sont incarcérés dans une mesure disproportionnée. On les placera ainsi dans une position encore plus vulnérable en obtenant l'effet inverse de celui recherché, à savoir rendre nos collectivités plus sûres.
La solution à privilégier réside dans un examen approfondi des principes qui sous-tendent la loi avec la participation des intervenants du système judiciaire et de la collectivité. Il s'agirait d'examiner les objectifs de la mise en liberté sous caution en vue d'assurer un juste équilibre entre le respect des droits et la sécurité publique. À ce titre, nous pourrions renoncer à modifier l'article 515 du Code criminel et prendre un peu de recul pour plutôt revoir complètement notre loi sur la mise en liberté sous caution, à la lumière des récents jugements de la Cour suprême du Canada, en énonçant explicitement les principes, les objectifs et les orientations devant guider les différentes instances dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
Nous devrions mettre en place les conditions nécessaires pour inciter les corps policiers à utiliser leur pouvoir de libération en ayant notamment recours aux citations à comparaître pour manquement qui ont été instaurées au moyen du projet de loi . Si moins de causes mineures se retrouvent devant le tribunal des cautionnements, celui‑ci aura davantage de temps et de ressources à consacrer aux cas les plus risqués ou les plus graves.
Nous devons rendre le traitement des dossiers plus efficient, notamment du point de vue de l'accès à la justice. Un financement accru de l'aide juridique contribuera à réduire le nombre d'individus gardés en détention ainsi que la durée de leur détention et de la période pendant laquelle ils doivent respecter des conditions dans la collectivité. Nous devons réfléchir à des mécanismes fondés sur des principes pour réduire le recours à la détention.
La crise que traverse notre régime de mise en liberté sous caution n'est aucunement attribuable à la trop grande clémence ou au laxisme exagéré du système. Il s'agit à n'en pas douter d'événements tragiques. Les allégations de violence, surtout dans les cas de récidive, sont particulièrement préoccupantes. L'occasion est belle pour réfléchir à ces enjeux et apporter les changements nécessaires. Il faut toutefois déterminer quelles sont nos priorités. Est‑ce davantage la sécurité publique à court terme ou à long terme qui nous intéresse? Je vous encourage tous à faire le nécessaire pour sauvegarder les limites et les principes bien établis de notre droit pénal en accordant la priorité au long terme.
Merci.
:
Merci beaucoup. Je vais lire mes notes à l'écran, mais je jetterai un coup d'œil de temps à autre pour voir si vous me présentez un carton jaune.
Bonjour à tous. Je suis ravie d'être des vôtres cet après-midi. Comme vous êtes nombreux à le savoir, le travail accompli depuis 1978 par l'ACSEF, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, a grandement contribué à façonner l'offre de services et la stratégie d'intervention au bénéfice de la population canadienne de femmes et de personnes de diverses identités de genre qui purgent une peine fédérale ou risquent l'incarcération. Nous accomplissons tout cela en rêvant d'un monde formé de collectivités fortes et bien équipées où chaque personne trouvera ce dont elle a besoin.
Je vous parle aujourd'hui depuis le territoire traditionnel du peuple Lenape, un endroit que l'on appelle aujourd'hui Manhattan.
L'ACSEF s'emploie à lutter contre les tendances systémiques qui font en sorte que les femmes et les personnes de diverses identités de genre touchées par la criminalisation se voient dépossédées de leur humanité et laissées pour compte par la société. Il est essentiel de s'interroger sur l'efficacité de notre système de mise en liberté sous caution dans un contexte où bon nombre des femmes et des personnes de diverses identités de genre que nous accompagnons sont ainsi déshumanisées et exclues de la collectivité du fait qu'il leur est impossible de bénéficier d'une telle remise en liberté après leur criminalisation.
Si vous voulez un exemple probant à ce sujet, je peux vous citer une discussion qui m'a été rapportée récemment concernant le déménagement du tribunal des cautionnements au palais de justice de la rue Finch à Toronto. Certains ont applaudi cette décision, car on se retrouvait ainsi plus près de la prison Vanier, le centre de détention provincial pour les femmes. On aurait par conséquent moins de chemin à parcourir pour y amener celles auxquelles on refuse une mise en liberté sous caution. J'estime que le message ne saurait être plus clair.
Je suis vraiment heureuse de témoigner aujourd'hui en même temps que Mme Nicole Myers. Si vous avez visité notre site Web récemment, vous savez que l'ACSEF a envoyé à la fin janvier, de concert avec l'Association canadienne des libertés civiles et Mme Myers, une lettre à ce sujet au et au . Je vais traiter de certains des éléments que nous avons abordés dans cette lettre en plus de vous faire part d'autres réflexions à ce propos.
Nous avons exprimé nos réserves quant à la lettre des premiers ministres provinciaux concernant la réforme du régime de mise en liberté sous caution. Nous avons tenté de faire ressortir les contradictions dans l'orientation que les premiers ministres semblent vouloir imprimer à cette réforme. Nous sommes particulièrement préoccupés du fait que l'on semble totalement faire fi des nombreuses recherches documentant le recours actuel à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire au Canada.
Comme Mme Myers l'a déjà souligné, il y a maintenant plus de gens en détention avant procès que de détenus purgeant une peine d'emprisonnement dans nos établissements provinciaux et territoriaux. Nous tenons à rappeler que notre système judiciaire est fondé d'abord et avant tout sur la présomption d'innocence. Cette présomption s'accompagne du droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable. La triste réalité c'est que trop de gens se retrouvent en détention avant d'avoir été trouvés coupables.
Je ne saurais trop insister sur l'importance de cette présomption d'innocence. Nous en sommes d'autant plus conscients que nous sommes à même de constater la très grande influence qu'exerce l'État dans la vie de ces personnes avec lesquelles nous travaillons. Celles‑ci n'ont elles-mêmes que très peu de moyens à leur disposition. Elles se font carrément emporter par le tourbillon du système de justice pénale sans avoir la possibilité de prendre leur destinée en main.
Dans ce contexte, il y a une mise en garde qui s'impose. Il convient ainsi de faire montre d'une grande prudence dans la réforme de notre droit pénal, car tout changement apporté pourrait avoir des conséquences non désirées, en particulier pour les personnes déjà marginalisées. Lorsqu'on propose un renversement du fardeau de la preuve, comme le font les premiers ministres provinciaux dans leur lettre, on néglige de prendre en compte cet énorme déséquilibre des pouvoirs entre l'État et les personnes inculpées. Des décisions de cette importance ne devraient jamais être prises à la légère ou en réaction à un événement quelconque.
Enfin, notre lettre fait un survol de quelques-unes des données les plus importantes concernant le fonctionnement du régime de mise en liberté sous caution au Canada. Je ne vous en dirai pas plus pour l'instant, mais je serai ravie de répondre à toutes vos questions à ce sujet. De fait, je suis persuadée que Mme Myers sera mieux à même de vous éclairer relativement à ces enjeux.
Par ailleurs, je m'en voudrais de ne pas parler également de toutes ces personnes qui perdent la vie en détention alors qu'elles sont en attente de leur procès. En Ontario seulement, plus de 280 personnes sont mortes de cette manière depuis 2010. Le lien entre ces décès pendant la détention et la réforme du régime de mise en liberté sous caution est indéniable. On peut en effet affirmer qu'il y a un lien direct entre le grand nombre de personnes incarcérées qui sont en détention provisoire, soit plus des trois quarts de la population carcérale en Ontario, et les décès qui surviennent dans ces conditions.
Comme on le souligne dans un rapport sur les décès survenus chez les détenus en Ontario, qui a été rendu public en décembre 2022, la détention provisoire accroît les risques qu'une personne perde la vie, et ce, pour différentes raisons. Il y a notamment un risque plus élevé de suicide — quatre fois supérieur à celui enregistré chez les personnes en détention après condamnation — et de surdose de drogue. Le rapport nous en dit davantage sur ces motifs en parlant notamment des difficultés d'adaptation, de l'incertitude, du sevrage d'alcool ou de drogue, de la perturbation des relations avec les proches, de l'isolement, des conditions restrictives et du fait qu'on est incarcéré pour une première fois.
Je vais m'arrêter là, mais je répondrai volontiers à toutes vos questions. J'espère pouvoir en profiter pour exprimer le reste de mes observations.
Je vous remercie de votre attention.
:
Merci, monsieur le président, et merci au Comité de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je suis très heureuse de vous revoir tous.
Je m'appelle Jennifer Dunn. Je suis directrice exécutive du London Abused Women's Centre, ou LAWC, qui est situé ici, à London, en Ontario. Notre centre est une organisation féministe qui réclame et favorise des changements personnels, sociaux et systémiques visant à mettre fin à la violence des hommes à l'encontre des femmes et des filles.
Le LAWC est une organisation non résidentielle qui offre aux femmes et aux filles âgées de plus de 12 ans qui ont été victimes d'abus, d'agressions, d'exploitation ou de traite, ou qui ont subi des tortures non étatiques, l'accès immédiat à des services de thérapie, de défense et de soutien à long terme, axés sur les femmes et sensibles aux traumatismes.
Nous savons qu'en vertu de la loi canadienne, une personne accusée d'un crime est présumée innocente jusqu'à preuve de culpabilité. La mise en liberté sous caution permet à la personne de rester hors de prison pendant le processus judiciaire. Nous savons aussi que le processus judiciaire peut durer des mois.
J'ai lu qu'il en coûte beaucoup plus cher de garder une personne accusée en détention que de la surveiller dans la collectivité pendant qu'elle attend son procès, mais je pose la question suivante: à qui cela coûte‑t‑il beaucoup plus cher? Quel en est le coût pour une femme qui doit purger une peine de prison à vie pour avoir été brutalement agressée par un homme pendant qu'il était en liberté sous caution?
Au London Abused Women's Centre, nous avons un groupe de femmes qui en ont vécu l'expérience et qui sont payées pour nous conseiller dans notre travail. Il y a quelques semaines, j'ai eu le privilège de passer une heure avec ce groupe de femmes. Je leur ai proposé de parler un peu du système canadien de mise en liberté sous caution. J'ai pris le temps d'écouter toutes les histoires qu'elles voulaient bien me raconter. Avec leur permission, je vous en livre quelques-unes aujourd'hui.
Je cite: « Ils lui ont offert tous les aménagements possibles. Ils voulaient lui donner la possibilité que cela n'interfère pas avec son travail. C'est un homme d'affaires bien établi. »
J'ai parlé avec une victime dont l'agresseur est en liberté sous caution. Il est autorisé à aller travailler. Je précise qu'elle travaille au même endroit que lui. Il est censé être surveillé au travail. Il est censé se tenir à une certaine distance d'elle, mais ce n'est tout simplement pas le cas. Comme cet homme occupe une position hiérarchique très élevée, l'entreprise semble détourner le regard. Des conditions de mise en liberté sous caution plus fermes dans cette situation pourraient aider cette femme à aller travailler sans crainte. Ce n'est pas elle qui est en tort. Elle ne devrait pas avoir à se trouver un autre emploi pour se sentir en sécurité.
Je cite à nouveau: « C'est à la victime qu'il incombe de se protéger, et non à l'agresseur de respecter ses conditions. » Une autre femme me disait ceci: « En tant que victime, j'ai l'impression de devoir prouver que je suis la victime plus qu'il n'est accusé de ses actes. »
Une femme a raconté ce qui suit: « Mon agresseur a été arrêté dans l'entrée devant chez moi pour violence conjugale. Moins de 12 heures plus tard, il était libéré sous caution. Ces violences duraient depuis des années, mais je ne les avais jamais signalées avant. Il a enfreint ses conditions tous les jours et n'en a jamais vraiment subi les conséquences. »
Lundi dernier, le a déclaré que « les Canadiens méritent d'être et de se sentir en sécurité ». J'ai lu que le ministre a déclaré qu'il était « important de noter que les lois sur la mise en liberté sous caution indiquent clairement que la détention d'un accusé est justifiée si elle est nécessaire pour protéger la sécurité du public », mais sur le terrain, d'après ce que nous constatons au London Abused Women's Centre, cela n'a pas particulièrement de sens.
Il arrive même que la police lance des avertissements pour la sécurité publique, mais qu'un récidiviste soit tout de même libéré sous caution. Je pense à un ancien policier qui a passé plus des deux tiers de sa carrière suspendu avec salaire pour des accusations criminelles et des fautes professionnelles. Il a été accusé d'agression sexuelle, d'agression sexuelle avec étouffement, d'agression sexuelle causant des lésions corporelles, de séquestration et la liste est encore longue. C'est en décembre que la police a émis pour la première fois un avertissement pour la sécurité publique avec sa photo et certains des noms qu'il utilisait en ligne. Il doit maintenant répondre d'accusations concernant quatre femmes différentes et a plaidé coupable d'avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution. La semaine dernière, le 27 février, il a de nouveau été libéré sous caution.
Nous voyons constamment le système de privilèges à l'œuvre, de sorte que les agresseurs qui ont les moyens de s'offrir les meilleurs avocats sont ceux qui en bénéficient le plus. Même le système de cautionnement est fait pour les gens qui ont de l'argent. La facilité avec laquelle un délinquant peut être libéré sous caution est souvent considérée comme si on lui excusait ses actes, comme si l'on ne responsabilisait pas les délinquants et comme si l'on minimisait les crimes violents.
Les femmes à qui j'ai parlé ont peur. Elles ont peur non seulement de leurs agresseurs, mais aussi du système qui est censé les protéger. J'en cite une: « Il marque des points, il est bien établi, il est connu. La mise en liberté sous caution ne devrait pas se fonder sur les privilèges, mais c'est parfois le cas. »
Pour conclure, le London Abused Women's Centre et les femmes que nous servons aimeraient recommander au Comité de s'assurer de prendre la perspective des personnes les plus vulnérables. Pensez à la violence faite aux femmes lorsque vous étudiez le système canadien de mise en liberté sous caution. Le gouvernement doit donner la priorité aux droits des victimes.
Je vous remercie de votre attention.
:
Merci beaucoup de m'avoir invitée à participer à cette séance du Comité aujourd'hui.
Il est très important de nous assurer de protéger les gens quand on veut réformer le système de mise en liberté sous caution, le système de justice pénale, protéger les victimes de violence, mettre un terme à l'exploitation sexuelle et régir tout ce qui touche la vie des femmes et influence la façon dont nous vivons.
Madame Dunn, j'ai eu l'occasion de travailler avec vous à plusieurs reprises sur des sujets tels que la traite de personnes et l'exploitation sexuelle. Nous en avons déjà parlé.
Vous avez parlé de certaines de vos clientes et vous nous avez dit qu'elles ont peur. Lorsqu'on parle de réforme de la mise en liberté sous caution, nous savons déjà qu'il est très difficile pour les femmes de passer à l'action et de faire... Nous savons déjà qu'il est difficile d'aller voir la police, mais dans une perspective de réforme de la mise en liberté sous caution, quand on sait que ces gens sont remis en liberté, c'est aussi très... Elles se sentent perdues. Elles ont l'impression que personne ne les écoute.
Qu'entendez-vous d'autre de ces femmes, madame Dunn, quand leur conjoint ou leur agresseur est libéré sous caution? Pouvez-vous me donner un exemple du nombre de fois où ils sont libérés sous caution? Est‑ce une, deux ou trois fois? De quels types de données disposez-vous à ce sujet?
:
C'est un plaisir de vous voir, madame Vecchio.
Nous entendons tous les jours de nombreuses histoires que nous pourrions citer ici et qui illustrent parfaitement le phénomène.
Il y a celui que j'ai donné dans mon exposé, celui de l'ancien policier qui a fait la une des journaux ces derniers temps, dans cette ville. Il fait l'objet de quatre accusations de quatre femmes différentes. Il a été libéré sous caution à maintes reprises, même après avoir plaidé coupable d'infraction à ses conditions. C'est problématique, parce qu'il y a des femmes qui accèdent à nos services tous les jours, qui sont constamment en train de regarder par-dessus leur épaule, qui ne se sentent pas en sécurité et qui ne savent pas ce qui va se passer ensuite. Là est le problème.
Vous avez mentionné le fait que parfois, les femmes ne portent pas plainte. C'est parfois très délicat pour les femmes de le faire, parce que quand elles voient dans les médias ou ailleurs que cela arrive — peut-être à des personnes qu'elles connaissent —, qu'un individu est libéré après avoir fait quelque chose d'absolument horrible ou qu'il semble que justice n'a pas été rendue, il est encore plus difficile pour une femme de sentir qu'on lui fera confiance quand elle décidera de raconter son histoire.
:
Il est important de se rappeler que parmi les personnes placées en détention préalable au procès se trouvent des personnes qui ont elles-mêmes subi des préjudices des centaines, voire des milliers de fois au cours de leur vie. Le préjudice causé par la détention est un enjeu auquel nous ne pensons pas souvent. En effet, la détention et les répercussions qu'elle a sur la vie de personnes déjà très marginalisées et vulnérables est un sujet qui n'est pas assez souvent abordé.
Un séjour en prison, ne serait‑ce que de deux semaines, peut avoir des conséquences inimaginables sur la vie d'une personne. Les individus placés en détention préalable au procès pendant ce que certains pourraient considérer comme de très courtes périodes sont à risque de perdre leur emploi et leur logement. Par ailleurs, de nombreux parents avec lesquels nous travaillons perdent la garde de leur enfant.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, au sein du système fédéral, la moitié de la population avec laquelle nous travaillons dans les prisons réservées aux femmes sont d'origine autochtone. Cette proportion est encore plus élevée dans les établissements correctionnels provinciaux et territoriaux, notamment dans les Prairies.
Vous êtes tous très conscients des efforts que nous déployons pour lutter contre les effets de la colonisation au pays. La réforme du cautionnement fait en sorte que davantage de personnes se retrouvent en détention préalable au procès, ce qui entrave nos efforts pour lutter contre les séquelles de la colonisation. En effet, nous nous retrouvons aux prises avec une épidémie d'enfants autochtones séparés de leurs parents. En réalité, le système de libération sous caution s'inscrit dans un vaste contexte de pauvreté, de discrimination et d'incarcération. Nous sommes d'avis que ce cycle pourrait être brisé grâce au soutien communautaire, et par la mise en place de services sociaux appropriés. Comme l'a affirmé un autre témoin, la prévention joue un rôle essentiel.
L'autre élément à retenir, si je peux me permettre... Ou souhaitiez-vous me poser une question? Je comprends que votre temps est limité.
:
Je peux parler de certaines situations particulières que les femmes à qui nous offrons nos services nous ont rapportées.
C'est difficile, parce que comme je l'ai dit à Mme Vecchio, aucune femme ne devrait avoir à vivre dans la crainte de façon permanente, en allant faire son épicerie ou lors d'un rendez-vous, par exemple. Ici, au centre, nous avons dû gérer une situation dans laquelle l'agresseur d'une de nos clientes la suivait dans un stationnement. L'homme avait purgé sa peine et avait été libéré. Cependant, il semble que parfois, cela n'ait pas d'incidence sur le comportement de ces individus, d'où les cas de récidives.
Jusqu'où devons-nous aller pour protéger les victimes dans ce genre de situation? Nous devons toujours penser à l'intérêt des victimes lorsqu'il est question de criminalité et de mise en liberté sous caution, alors je ne...
:
Pardonnez-moi de vous interrompre, mais mon temps de parole est compté.
J'aimerais que vous répondiez à la question que vous nous avez posée, à savoir dans quelles circonstances on devrait ou pourrait mieux protéger les victimes.
La présomption d'innocence est évidemment un principe sur lequel j'imagine qu'on s'entend tous, mais la règle veut qu'on garde une personne en détention avant son procès lorsqu'on juge qu'il y a des risques qu'elle ne s'y présente pas ou lorsqu'on considère que la sécurité du public pourrait être compromise si cette personne est mise en liberté.
Vous dites au Comité qu'il faudrait détenir davantage de personnes. Je vous comprends, parce que des victimes constatent que des individus mis en liberté sous caution commettent des crimes. Toutefois, quelles sont ces circonstances? Que devrait-on changer dans la Loi pour que ces victimes puissent marcher sans avoir à craindre de récidive de leur agresseur? Pour quels crimes ou dans quelles circonstances devrait-on être plus sévère en matière de détention préventive?
:
Pour être honnête avec vous, je pense que nous devons impérativement examiner ce genre d'enjeux sous l'angle de la violence faite aux femmes. Compte tenu de nos connaissances, de notre expérience et du travail que nous accomplissons, c'est la réponse que je peux vous donner.
En ce qui concerne la situation que j'ai présentée, celle de l'ex‑policier qui est actuellement en liberté sous caution, l'individu est soumis à un dispositif de suivi par GPS et n'a pas le droit d'utiliser certains moyens de communication. Ce sont des situations de ce type. Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude parce que ces technologies sont récentes, mais peut-être que la mise en place de telles mesures aurait permis d'empêcher cet individu libéré sous caution de récidiver. Dans ce cas particulier, l'individu a dû en arriver à sa quatrième inculpation avant que ce genre de mesures n'entrent en jeu.
Chaque cas est différent, et il n'existe pas d'approche universelle lorsqu'il est question de violence familiale, d'agressions sexuelles et de ce type de crimes. Comme chaque situation est complètement différente, il est difficile de déterminer une approche globale...
L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, ou l'ACSEF, regroupe 23 sociétés membres locales à la grandeur du pays. Ces sociétés membres mènent des activités essentielles sur le terrain en offrant du soutien aux personnes marginalisées. Plusieurs sociétés membres se sont dotées de programmes d'hébergement, mais la plupart n'en ont pas, et c'est un problème.
Aucune société membre de l'Association Elizabeth Fry n'est présente dans le nord du Canada. Il existe très peu de ressources destinées aux personnes qui pourraient être libérées sous caution dans leur collectivité dans le nord. Pourtant, ces personnes ont souvent besoin d'avoir accès à un site d'hébergement pour pouvoir être libérées sous caution.
Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'on ne compte que quatre sites d'hébergement pour les femmes en liberté provisoire à Toronto, la métropole canadienne. Les places sont réservées aux femmes autochtones. Le fait que notre métropole ne compte pas plus de sites d'hébergement pour les femmes en liberté provisoire est problématique. Au nord de l'Ontario, nous avons établi quelques sociétés membres comportant des programmes d'hébergement, mais elles n'ont pas les ressources adéquates pour répondre à la demande. Il est évident que l'ACSEF et la clientèle qu'elle dessert bénéficieraient grandement de ressources supplémentaires.
Par souci de transparence, je veux dire que ma femme et Mme Coyle travaillent pour la même organisation. J'essaierai donc de ne pas poser de questions difficiles.
Je voudrais revenir sur un point. Je pense que nous nous entendons tous à cet égard et je demanderai simplement que quelqu'un réponde par oui. La Constitution garantit à une personne le droit de se présenter devant un juge dans les 24 heures.
Madame Myers, c'est bien cela?
Mme Nicole Meyers: Oui.
M. Frank Caputo: Si quelqu'un attend deux semaines pour une audience sur la libération sous caution, ce n'est pas habituellement la responsabilité du procureur. Un procureur peut généralement obtenir une détention provisoire de trois jours, mais au‑delà de cela, c'est un délai imputable à la défense, en général, si la personne attend deux semaines. Je ne vois pas comment cela pourrait se produire autrement. Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel ce serait la responsabilité du tribunal ou de la Couronne?
:
Si nous avons un système qui fonctionne correctement, un certain nombre de questions qui ont été soulignées ne poseront pas autant problème.
Nous nous entendons tous pour dire que la sécurité publique est primordiale, et je pense que tous les témoins sont du même avis. Pouvons-nous tous convenir que c'est la priorité? Je l'espère. J'espère que c'est le cas.
Il y a également le fait — et certains des témoins d'aujourd'hui l'ont souligné — que des personnes de différents calibres se retrouvent dans une salle d'audience. D'après mon expérience, certaines personnes ne devraient pas être dans un tribunal. Elles franchissent ces portes. Elles peuvent avoir commis une erreur. Elles peuvent avoir commis quelques erreurs, mais le tribunal n'est pas leur place.
Comprenez-vous ce que je veux dire? Ce n'est pas un milieu convivial. Comprenez-vous cela?
Je me tourne vers vous, madame Myers, car vous êtes ici.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier les trois témoins pour leur présence et leurs exposés.
Mes questions s'adresseront à Mme Myers et à Mme Coyle.
Je poserai les deux mêmes questions, parce que je veux seulement comprendre très clairement votre point de vue et l'analyse que vous faites en fonction de votre expérience dans le cadre de notre étude sur le système de mise en liberté sous caution.
Pour ma première question, je commencerai par vous, madame Myers. Quels sont, selon vous, les problèmes auxquels nous sommes confrontés au Canada lorsqu'il s'agit de notre système de mise en liberté sous caution à l'heure actuelle, à la fois sur le plan pratique et sur le plan juridique peut-être?
:
Nous sommes confrontés à toute une série de problèmes. Il n'y a pas qu'une seule réponse à votre question.
Beaucoup trop de causes mineures se retrouvent devant les tribunaux, en premier lieu, et on pourrait résoudre ce problème en partie en incitant les corps policiers à exercer leur pouvoir de libération, à recourir aux citations à comparaître pour manquement, ce qui, du moins d'après mon expérience, ne se fait pas de manière généralisée.
Nous rencontrons également des difficultés liées à une réticence à prendre des risques dans les tribunaux, ce qui est compréhensible, car lorsque des incidents comme celui‑ci se produisent, lorsque des policiers sont tués par quelqu'un qui est censé avoir été libéré sous caution à ce moment‑là... De plus, nous sommes très préoccupés par la violence que subissent les femmes. Nous sommes à juste titre préoccupés par ce qui arrive aux victimes, mais nous devons néanmoins prendre du recul et réfléchir à la meilleure façon d'assurer la sécurité de ces personnes.
Garder davantage de personnes en détention et les libérer en leur imposant des conditions qui ne peuvent raisonnablement pas être respectées n'améliorera pas notre sécurité publique. Nous devons être conscients que nos moyens se limitent à ce que nous pouvons faire au début du processus, parce que nous devons maintenir au centre du système la présomption d'innocence, le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable et la position selon laquelle la libération sous caution est censée se faire sans condition.
:
Il s'agirait de fournir une meilleure orientation et des conseils clairs aux décideurs sur ce à quoi nous voulons qu'ils réfléchissent et ce sur quoi nous voulons qu’ils se concentrent lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire.
Nous pourrions également envisager des mesures pour réduire le recours à la détention, quelque chose de similaire à ce que nous voyons dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, en sachant, bien sûr, que les jeunes sont différents des adultes, mais en réfléchissant à la question de savoir qui nous voulons garder en détention et qui nous voulons laisser sortir.
Par exemple, nous pourrions essayer de concentrer notre attention sur les gens qui ont été accusés d'infractions particulièrement graves et qui ont un casier judiciaire témoignant d'un modèle de comportement de ce type.
Peut-être voulons-nous réfléchir à la peine que les personnes recevraient probablement si elles étaient condamnées. Si la peine est inférieure à six mois de détention, devrions-nous les libérer dans la collectivité?
Dans le cas des personnes qui sont accusées de ne pas avoir respecté une condition de leur libération, il convient de voir si elles ont commis une nouvelle infraction substantielle en même temps, ou si cette condition de libération a causé un préjudice à une victime identifiable.
Nous pourrions également réfléchir à la manière de fournir le meilleur soutien possible aux gens au sein de la collectivité, si nous savons que non seulement cela coûte moins cher, mais aussi que cela contribue à réduire les risques que les gens commettent des infractions. Comment soutenir les individus? Comment aidons-nous les collectivités pour que les gens puissent rester dans la collectivité, maintenir leurs liens avec elle et continuer de s'y investir, en réduisant plutôt qu'en augmentant les risques qu'ils commettent d'autres infractions?
:
D'accord, je vous remercie.
Madame Myers, en réponse à une question précédente, vous avez parlé de l'optique que nous devons avoir et vous nous avez suggéré de nous concentrer sur la gravité des accusations.
C'est un peu notre travail, ici. Nous devons chercher un compromis entre protéger adéquatement les victimes et éviter qu'un innocent se retrouve derrière les barreaux. Je continue à me demander comment nous allons concilier les deux choses et je ne trouve pas cela simple.
Vous dites que nous devrions peut-être nous concentrer sur la gravité des accusations, mais nous savons très bien que ce n'est pas parce qu'on est accusé d'un crime grave qu'on en est obligatoirement coupable. En effet, des innocents sont accusés de crimes graves.
Est-ce que vous pouvez nous aider davantage? Sur quoi devrions-nous nous concentrer? Que devrions-nous étudier et changer dans la loi actuelle pour mieux protéger les victimes tout en évitant les erreurs judiciaires?
:
Nous revenons à l'étude du système canadien de mise en liberté sous caution. Nous sommes à la deuxième heure.
J'espère que le témoin en ligne a vu mes petites fiches.
Votre qualité sonore a déjà été testée. Espérons que, pour l'interprétation, vous avez fait le bon choix entre « parquet », « anglais » ou « français ».
Je conseille la même chose aux témoins ici présents. S'ils veulent ajuster leurs écouteurs, ils peuvent choisir le canal qu'ils préfèrent.
Chacun de vous disposera de cinq minutes. Soyez les bienvenus.
Accueillons d'abord M. Danardo Jones, professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Windsor. Ensuite, en visio, Mme Markita Kaulius, présidente de Families for Justice. Enfin, en personne, Mme Lia Vlietstra, travailleuse de soutien au tribunal des cautionnements, Victim Services of Brant.
Entendons d'abord M. Jones, qui dispose de cinq minutes.
:
Je précise que je suis seulement doctorant, que je n'ai pas encore le grade de docteur, ce qui est pour très bientôt. Cela fait quand même plaisir de se le faire dire.
Je vous remercie de votre invitation à participer à l'étude du système canadien de mise en liberté sous caution. Avant de répondre aux questions, j'ai trois observations à faire.
D'abord, la libération sous caution est un droit d'origine constitutionnelle, qui trouve son expression dans l'alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés, mais elle a fait partie pendant des siècles de la common law. Ce n'est pas une nouveauté. Cela ne date pas de 1982. Cela fait partie de la tradition de la common law depuis très longtemps. Elle reconnaît que l'État a l'obligation de prouver la culpabilité de l'accusé avant de lui refuser le droit à la liberté ou d'abréger ce droit. Ce droit englobe d'autres impératifs constitutionnels — par exemple la présomption d'innocence, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et le droit à un procès équitable. Mais, pris tous ensemble, ces droits constitutionnels constituent peut-être les plus fortes mesures de protection en matière de procédure pour les personnes accusées d'infractions criminelles.
Je le dis, pour donner le ton au conseil suivant: nous devons faire preuve de prudence pour ne pas protéger la sécurité publique, dont l'importance est capitale, au détriment de la confiance du public dans l'administration de la justice et au coût d'une érosion de nos droits constitutionnels.
Ensuite, la liberté sous caution n'est pas une question de bienveillance ou d'indulgence judiciaire. Cela ne l'a jamais été. En effet, dans notre jurisprudence criminelle sur la mise en liberté sous caution, le Code criminel et la jurisprudence présument la remise en liberté. Et pour cause. L'accusé est présumé innocent. La Cour suprême du Canada l'a répété à maintes reprises: pour accorder la liberté sous caution, on ne tient pas compte de questions étrangères aux exigences formulées dans le Code criminel ou la jurisprudence concernant la mise en liberté par voie judiciaire.
La mise en liberté sous caution est question de gestion du risque. Ce n'est pas une science, c'est un art. Les facteurs à prendre en considération sont énoncés dans le Code criminel: le juge ou le juge de paix doit en tenir compte dans sa décision, mais on nous rappelle également que le principe de retenue est d'une importance capitale — l'idée de ne pas se reposer ou de se reposer excessivement sur les réactions carcérales à l'étape de la libération sous caution.
Et pour cause. Il est impossible d'indemniser quelqu'un pour perte de sa liberté, après son acquittement ou l'avortement du procès, ce qui est fréquent. L'indemnisation est impossible. J'ai entendu quelques témoins évoquer certaines des conséquences collatérales du refus de la mise en liberté sous caution ou de se la faire accorder, mais à des conditions pénibles, que ce soit la perte d'un emploi, le bouleversement de la vie familiale et ainsi de suite.
Enfin, je tiens à discuter des motifs des piètres résultats obtenus par ceux qui demandent la libération sous caution. Ce n'est pas que, intrinsèquement, ils présentent un risque. C'est que la société manque d'infrastructures pour leur permettre de vivre normalement dans une communauté, ailleurs, dans l'attente du procès. Souvent, c'est ce qui explique les transgressions, faute de logement et d'un accès convenable à des traitements ou aux nécessités qui favorisent la vie en société.
Merci.
:
Merci beaucoup pour votre invitation.
Le 27 décembre 2022, le meurtre d'un agent de la Police provinciale de l'Ontario a relancé l'examen du système canadien de mise en liberté sous caution. Avant de tuer par balles l'agent Greg Pierzchala, en Ontario, le suspect de 25 ans, Randall McKenzie, était recherché par la police pour omission de comparaître au mois d'août précédent. Il était accusé de voies de fait et il devait se défendre d'un certain nombre d'accusations de possession d'armes. Après son omission de comparaître, un juge a émis un mandat pour son arrestation.
M. McKenzie avait été frappé par une interdiction à vie de posséder des armes à feu, après avoir été trouvé coupable d'un vol à main armée commis en 2017. Il a passé une grande partie de sa peine de près de trois ans dans un établissement à sécurité maximale pour avoir prétendument poignardé un codétenu. Pendant qu'il était en liberté conditionnelle pour des accusations de voies de fait contre un autre policier et pour avoir prétendument été en possession illégale d'une arme de poing, M. McKenzie doit maintenant répondre à une accusation de meurtre au premier degré de l'agent Pierzchala.
Ces derniers mois, six policiers sont morts en service au Canada. Le public canadien et plusieurs corps de police sont très préoccupés et exigent de nouvelles réformes pour le système de mise en liberté sous caution.
Le 13 janvier 2023, des premiers ministres des provinces ont réclamé du gouvernement fédéral la prise de mesures immédiates pour renforcer les réformes du système canadien de mise en liberté sous caution, ce pour quoi ils bénéficient de l'appui de plusieurs corps de police. De plus, des millions de Canadiens demandent des réformes pour ce système et exigent des lois plus rigoureuses pour la détermination des peines au Canada. Nous croyons qu'on privilégie les droits des accusés aux dépens de ceux des victimes et de la sécurité publique.
La justice pénale sert essentiellement à priver de liberté quiconque menace dangereusement la santé publique. À cette fin, il faut apporter de véritables modifications au Code criminel, compétence exclusivement fédérale.
Pour la plupart des Canadiens, la mesure est comble. Nous ne pouvons ne pas réagir à la mort de policiers ou à celle d'innocents. Vous, les élus, votre priorité est d'examiner les systèmes judiciaires et ceux de la sécurité publique, de vous engager à entièrement comprendre les meilleurs recours, à déterminer ce qui ne donne pas de résultats et à réclamer des changements pour que ça cesse. Il n'y aura pas de vaches sacrées, à commencer par la libération sous caution jusqu'à la détermination de la peine en passant par la pénurie chronique et croissante d'effectifs policiers.
Des statistiques récentes sur la Colombie-Britannique montrent que 200 personnes ont été à l'origine de l'ouverture de plus de 11 000 dossiers de la police en un an seulement. Nos organismes policiers ont également signalé une augmentation importante du nombre de délinquants qui, systématiquement, enfreignent leurs conditions de mise en liberté sans conséquence pour eux, pendant qu'ils sont en liberté sous caution et qu'ils omettent de comparaître, sans conséquence non plus.
Il y a longtemps qu'on aurait dû lancer cet appel urgent à des conditions de remise en liberté sous caution plus rigoureuses, à des conséquences et à des peines plus sévères et à une détermination plus grande de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice en ce qui concerne les règles d'évaluation des accusations et de la liberté sous caution.
En Colombie-Britannique, depuis 2017, le temps pris par la province pour revoir les dossiers qu'elle reçoit de la police a augmenté de 118 %, tandis que le nombre de décisions du Service des poursuites de la province de ne pas accuser les suspects pour les affaires figurant dans les dossiers de la police a augmenté de 75 %.
Notre système de justice pénale ne fonctionne pas, et c'est vrai depuis des années. Quand on les interroge sur notre système de justice pénale, la plupart des Canadiens le qualifient de farce, en évoquant les peines inappropriées qu'il impose pour des crimes graves, et ces peines se fondent sur des précédents judiciaires. Elles englobent notamment des affaires de conduite avec les facultés affaiblies, la traque, la violence en milieu familial et les homicides.
Le projet de loi , fédéral, adopté en 2019, visait en partie à moderniser et à rendre plus efficace le processus de mise en liberté sous caution. Mais, involontairement, il permet à plus de récidivistes de retrouver la liberté. Nous assistons maintenant à la mise en place de politiques qui facilitent la remise en liberté sous caution, qui semblent transformer les palais de justice en machines judiciaires qui règlent les cas des individus à la chaîne.
Au Canada, on relâche à répétition les personnes arrêtées — qui ont un énorme casier judiciaire d'infractions ou de crimes violents, des récidivistes sûrs de leur impunité — ou on leur inflige des peines tout au plus minimales.
Les Canadiens estiment qu'un coupable devrait rester derrière les barreaux [difficultés techniques] au public. Assurer la sécurité des victimes et des témoins devrait être une partie essentielle de la prise de décision dans les procédures de remise en liberté.
Nous aimerions voir un projet de loi proposant une réforme qui se concentre davantage sur les personnes que nous considérons comme étant des délinquants chroniques, les individus qui ont eu un comportement violent de façon répétée, qui ont fait usage d'armes à feu et qui ont commis des actes avec les facultés affaiblies par la consommation d'alcool ou de drogues. Les antécédents criminels devraient être largement pris en compte lorsqu'il s'agit de déterminer si une mise en liberté sous caution doit être accordée.
Au nom de toutes les victimes de crimes, j'exhorte le Comité de la justice et des droits de la personne et le gouvernement du Canada à effectuer les changements nécessaires pour améliorer la réforme du système de mise en liberté sous caution afin d'assurer la sécurité de tous les Canadiens.
Merci.
Je vous remercie de prendre le temps de m'écouter et de me donner l'occasion de m'adresser à vous au sujet de la réforme du système de mise en liberté sous caution. C'est un dossier qui a des répercussions importantes en Ontario. J'ai espoir que la présente étude donnera lieu à des changements positifs pour mieux protéger les victimes dans les collectivités.
Je m'appelle Lia Vlietstra, et cela fait 10 ans que j'offre du soutien aux victimes à titre de travailleuse de soutien au tribunal des cautionnements au sein de l'organisme Victim Services of Brant. Mon poste est financé par Centraide Brant. Notre bureau est situé au poste de police de Brantford. Nous venons en aide à des clients de la ville de Brantford, du comté de Brant et des Six Nations de la rivière Grand.
Dans le cadre de mes fonctions au tribunal des cautionnements, je communique avec la victime dont l'agresseur comparaît au tribunal des cautionnements afin qu'elle me fasse part de ses craintes sur le plan de la sécurité et d'autres informations qu'elle souhaiterait que je transmette au tribunal. Je présente ensuite le tout à la Couronne afin qu'elle en tienne compte au moment de proposer des conditions de libération au tribunal avant que l'accusé ne soit mis en liberté sous caution.
Lorsque je m'entretiens avec la victime, j'effectue une évaluation des risques et des ressources dont elle pourrait avoir besoin dans l'immédiat si l'agresseur est mis en liberté sous caution. Il pourrait, par exemple, être nécessaire de changer les serrures à son domicile et d'établir un plan pour assurer sa sécurité. Après l'audience sur la libération sous caution, j'informe la victime des conditions de mise en liberté sous caution et j'offre d'autres mesures de soutien.
Mon travail est devenu difficile dans les dernières années en raison du nombre élevé d'arrestations et de la rapidité avec laquelle les délinquants sont libérés. On l'observe particulièrement dans les cas de violence entre partenaires intimes. Il peut arriver que nous n'ayons même pas le temps de recourir aux services d'un serrurier pour changer les serrures avant que l'accusé soit mis en liberté sous caution avec la seule promesse qu'il respectera les conditions.
Il peut s'avérer extrêmement important d'aviser la victime le plus tôt possible de la libération de l'accusé. J'ai déjà dû appeler le 911 pendant que j'étais au téléphone avec une victime de violence entre partenaires intimes, car l'accusé s'est présenté chez elle 10 minutes après avoir été libéré sous caution avec la condition de ne pas entrer en contact avec la victime.
C'est la triste réalité de notre système de mise en liberté sous caution. C'est un système qui n'est pas adapté aux particularités de chaque cas, en raison du principe de l'échelle découlant de la décision de la Cour suprême rendue dans l'affaire R c. Antic en 2017. À l'heure actuelle, un individu accusé de violence conjugale, d'agression sexuelle ou de vol qualifié peut être libéré selon la même forme de libération qu'une personne accusée de méfait et de vol conformément...
Je vais passer en revue les changements qui, à mon avis, devraient être apportés pour protéger la sécurité publique et la confiance du public envers le système de mise en liberté sous caution.
Les récidivistes violents ne devraient pas avoir droit à une mise en liberté sous caution. Les trafiquants de drogues, particulièrement de fentanyl et de méthamphétamine, ne devraient pas non plus avoir droit à une mise en liberté sous caution. Il en va de même pour les personnes accusées d'avoir utilisé une arme à feu. Il faudrait avoir davantage recours à la caution financière et confisquer le montant total du cautionnement dans les cas où le délinquant est reconnu coupable d'avoir manqué aux conditions de sa mise en liberté sous caution. Les cautions doivent faire l'objet d'une vérification minutieuse en ce qui a trait à leur capacité de supervision et à leurs avoirs financiers. Dans les cas de violence entre partenaires intimes, la caution de l'accusé ne devrait pas être le nouveau partenaire intime.
Il faut mettre en place des conditions de mise en liberté sous caution visant à réduire les facteurs de risque spécifiques à chaque cas. Par exemple, si un délinquant se présente au tribunal seulement lorsqu'il est en état d'ébriété, des conditions de supervision et de soutien doivent être imposées pour s'attaquer au problème de consommation d'alcool en tant que facteur de risque, particulièrement si les accusations concernent des actes de violence.
Des conditions plus strictes pour assurer la sécurité de la victime doivent être mises en place. À Brantford, il n'est pas rare qu'un tribunal impose le respect d'un rayon de 50 m seulement par rapport au lieu de résidence ou de travail de la victime. Cela représente environ la distance entre deux maisons et permet à l'accusé d'habiter dans le même pâté de maisons que sa victime.
Dans les cas de harcèlement criminel, où l'accusé n'a aucune raison de se trouver dans la même ville que la victime, une région géographique comprenant l'ensemble de la ville devrait être imposée. C'est une demande qui a été formulée dans certains cas, mais cette condition n'a pas été imposée parce qu'elle était trop contraignante pour l'accusé.
Des motifs tertiaires devraient également être pris en considération dans les cas où l'accusé a un lourd casier judiciaire. Cela va au cœur de l'un des aspects évalués dans le cadre des motifs tertiaires, c'est-à-dire la confiance du public envers l'administration de la justice. Les programmes de supervision de la mise en liberté sous caution ne devraient pas être utilisés comme moyen de supervision dans les cas de violence, et particulièrement de violence entre partenaires intimes. Ils fonctionnent très bien, mais ils ne peuvent pas procurer la supervision nécessaire pour dissiper les préoccupations relatives aux motifs secondaires.
En ce qui a trait aux mesures de soutien pour les délinquants, je peux dire que la plupart des contrevenants, des membres de la famille et des partenaires intimes m'ont dit souhaiter que les délinquants reçoivent l'aide dont ils ont besoin. Que ce soit pour des problèmes de dépendance ou de santé mentale, ils veulent qu'ils aient un endroit où vivre et recevoir de la médication, une évaluation de leur santé mentale, des services de counselling et un traitement. Malheureusement, on ne peut pas obtenir cela d'un tribunal des cautionnements.
Lorsque le juge de paix procède à une évaluation au titre de l'article 493 et détermine que l'accusé appartient à une population vulnérable, il doit examiner des solutions de rechange à l'incarcération. Habituellement, cela signifie que l'accusé est libéré sur son propre engagement ou qu'il sera assujetti à un programme de supervision de la mise en liberté sous caution.
Il faut en faire davantage au stade de la mise en liberté sous caution pour les petits délinquants aux prises avec des problèmes de dépendance et de santé mentale. Lorsqu'une ordonnance de probation est imposée à un délinquant, il arrive qu'il fasse déjà l'objet d'une dizaine de séries d'accusations.
Je vous remercie pour votre attention. Je suis prête à répondre à vos questions.
Monsieur Danardo Jones, je suis ravi de votre présence. Plus tôt durant notre étude, nous avons reçu le chef Darren Montour du service de police des Six Nations. C'est le service de police qui a supervisé les conditions de libération sous caution de la personne qui est maintenant accusée du meurtre de Greg Pierzchala. Le chef Montour a souligné les graves problèmes sociaux qui ont une incidence sur le système de mise en liberté sous caution et notre système judiciaire.
Il a terminé son témoignage en disant ceci: « C'est triste à voir, mais nous avons la responsabilité » — il parle du système de justice — « de veiller à la sécurité publique dans nos communautés, car dans 99 % des cas, le prévenu est Autochtone, tout comme la victime. »
:
Nous savons que la race est un facteur extrêmement important pour déterminer qui obtient une libération sous caution, selon quelles conditions et qui est en mesure de respecter les conditions fixées, que ce soit par la Couronne, un juge ou un juge de paix.
Comme je l'ai mentionné, la mise en liberté sous caution est une question de gestion du risque, et le risque est évalué en fonction de l'apparence de la personne. Certaines personnes ont une apparence qui donne l'impression d'un risque élevé. Il existe de nombreuses données sociologiques qui appuient ce fait. Ce n'est pas quelque chose qui échappe à nos tribunaux. La Cour suprême du Canada et la Cour d'appel, notamment, rappellent régulièrement aux juges des tribunaux inférieurs d'admettre d'office ce fait.
Les facteurs Gladue jouent un rôle, en ce sens qu'ils rappellent aux juristes spécialisés dans les libérations sous caution que les personnes non autochtones et non racisées, particulièrement par rapport aux accusés noirs, bénéficient de possibilités qui ne s'offrent pas à ces individus. Malheureusement, ce sont ces individus qui sont accusés de façon excessive et qui se retrouvent devant les tribunaux des cautionnements.
Prendre la race en considération entraîne l'un de deux résultats. Cela contribue à uniformiser les règles du jeu, afin que notre système soit plus équitable, ou bien, à tout le moins, cela contribue à fournir un contexte, ce qui permet à la Couronne ou à un juge de paix de prendre une décision éclairée lorsqu'il s'agit de déterminer si la libération du prévenu avant le procès présente un risque trop élevé.
C'est tout. Il s'agit seulement de fournir le contexte nécessaire pour permettre à un juge de paix ou à un juge de prendre une décision concernant le risque.
:
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins qui sont avec nous.
Monsieur Jones, nous sommes en train de réviser les dispositions relatives à la mise en liberté sous caution et nous entendons des témoins crédibles et importants nous dire qu'il y a trop de gens qui sont libérés trop facilement. D'un autre côté, cependant, nous entendons d'autres témoins nous dire qu'il y a au contraire trop de gens en prison et que ceux‑ci devraient être relâchés. Plus tôt, un témoin nous a dit que près de 70 % des accusés étaient détenus avant leur procès, ce qui m'apparaît un peu étonnant et non souhaitable. Par contre, quand j'entends parler des problèmes que vivent les victimes dont l'agresseur récidive après avoir été mis en liberté trop facilement, je trouve cela sérieux et inquiétant.
Selon vous, où tracer la ligne? Comment pourrions‑nous d'une part éviter que des victimes soient en danger ou que des récidivistes en liberté provisoire commettent d'autres crimes? Comment d'autre part éviter d'emprisonner des personnes innocentes qui n'ont pas encore eu droit à leur procès? Comment servir les intérêts de chacun?
:
Je ne dirais pas que cela a une incidence sur les décisions qui sont prises dans un tribunal des cautionnements, car ce sont des considérations différentes qui sont prises en compte, qui sont examinées, à l'étape de la détermination de la peine. Nous parlons de proportionnalité. Nous parlons de peines équitables. Qu'est‑ce qu'une peine proportionnelle?
C'est ce que nous prenons en considération: la gravité de l'infraction, la culpabilité morale du délinquant. Nous prenons ce facteur en considération.
Vous avez soulevé la question de la dimension communicative d'une peine. Quel message envoie‑t‑elle au public? Est‑ce qu'on dit que ce délit ou ce comportement particulier n'est pas grave s'il n'est pas assorti d'une peine minimale obligatoire?
Ce que je vous dis, c'est que nos tribunaux sont bien placés pour envoyer un message quant aux conditions ou à la dénonciation, pour relier une peine qui exprime l'aversion de la société à un comportement particulier. Nos tribunaux sont bien placés pour le faire. Je ne pense pas que nos tribunaux aient prononcé des peines clémentes qui envoient aux criminels potentiels le message qu'ils peuvent commettre des crimes en toute impunité. Je ne pense pas que c'est ce qui se passe avec l'abolition des peines minimales obligatoires.
:
En effet. Grâce aux données en matière de sciences sociales, nous savons que les policiers font du profilage racial. À l'heure actuelle, cette affirmation n'est pas très controversée. Il en résulte des poursuites excessives à l'encontre des personnes racialisées, des Autochtones et des Noirs.
Quand ces gens sont devant un tribunal des cautionnements, comme je l'ai dit plus tôt, en raison de la façon dont nous interprétons le risque et de la façon dont le risque est inscrit sur les corps, ces individus, que le fardeau de la preuve incombe à la Couronne ou qu'il soit inversé, sont considérées comme moins susceptibles de respecter la condition de liberté sous caution qui leur a été imposée que quelqu'un qui n'est pas dans la même situation. Nous avons certaines idées sur la question de savoir qui est le plus digne de confiance. C'est le seuil des preuves lors d'une audience de mise en liberté sous caution, à savoir des preuves crédibles et dignes de confiance. Certaines personnes, en raison de certains récits raciaux, comme je l'ai dit, sont considérées comme plus crédibles et plus dignes de confiance. Nous ne parlons pas seulement de la personne accusée, mais aussi de toutes les cautions sur lesquelles elle peut compter.
La façon dont le risque est compris et dont nous percevons le risque sur des corps particuliers pose un problème profond. C'est là que la sensibilité, la prise de conscience ou la conscience raciale entre en ligne de compte. Est‑ce quelque chose que l'on peut légiférer? Pas nécessairement. Comme je l'ai dit, le projet de loi nous a fourni un libellé, mais il incombe aux procureurs, aux avocats de la défense, aux juges de la paix et aux juges de commencer à prendre conscience de certaines de ces réalités raciales sur le terrain et à les incorporer dans leur prise de décision.