:
La séance est ouverte. Bon retour à tous après cette semaine de relâche.
Bienvenue à la 36e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 22 septembre, le Comité se réunit pour commencer son étude sur le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel en ce qui a trait à l'intoxication volontaire extrême.
Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, ce qui signifie que les membres du Comité assistent à la réunion en personne ou à distance au moyen de l'application Zoom.
J'aimerais prendre quelques instants pour informer les témoins et les membres de certaines consignes.
Veuillez attendre que je vous désigne par votre nom avant de prendre la parole. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro et veillez à mettre ce dernier en sourdine lorsque vous ne parlez pas. Pour l'interprétation, ceux qui sont sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais et le français. Pour ceux qui sont dans la salle, vous pouvez utiliser l'oreillette et sélectionner le canal souhaité. Je vous rappelle également que toutes vos interventions doivent être adressées à la présidence.
Pour les membres dans la salle, si vous souhaitez prendre la parole, veuillez lever la main. Les membres qui sont sur Zoom doivent pour ce faire utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même gérerons l'ordre des interventions du mieux que nous pourrons. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension.
M. Perron a une question.
:
Oui. Merci d'avoir posé la question. Je pense qu'ils ont été faits. Tout va bien jusqu'ici.
J'ai aussi les deux cartons que voici. Quand il ne restera que 30 secondes à votre temps de parole, je lèverai le carton jaune. Quand votre temps sera écoulé, je lèverai le carton rouge. Je n'aime pas interrompre, donc si je peux éviter ce dernier carton, je l'éviterai. Essayez de faire attention à cela.
Monsieur Perron, les tests ont été faits.
J'aimerais maintenant accueillir nos témoins de cette première heure. Nous recevons aujourd'hui Benjamin Roebuck, ombudsman des victimes d'actes criminels. Notre liste indique que vous deviez témoigner par vidéoconférence, mais je vois que vous êtes ici dans la salle. Nous avons également avec nous, par vidéoconférence, Rhiannon Thomas, du Women and Harm Reduction International Network.
Monsieur Roebuck, nous allons commencer par vous. Vous avez cinq minutes.
Monsieur le président, membres du Comité, je vous remercie de votre invitation. Je suis heureux de vous rencontrer tous.
Nous nous trouvons aujourd'hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinabe. Je reconnais notre responsabilité commune et ma responsabilité personnelle de travailler à résoudre les problèmes anciens et actuels liés au colonialisme, au racisme et à l'oppression dont les peuples autochtones ont fait l'objet. Cette démarche consiste notamment à travailler en collaboration afin de mettre un terme à la criminalisation des peuples autochtones et de tirer des leçons de la résilience et de la vitalité des diverses cultures autochtones.
Comme vous le savez peut-être, ma nomination au poste d'ombudsman date de peu. Je suis très reconnaissant qu'on m'ait donné la possibilité de travailler pour les victimes et les survivants d'actes criminels au Canada. Je suis tout nouveau — je n'ai que trois semaines d'expérience —, alors soyez patients avec moi pendant que j'essaie de me mettre à jour.
Je tiens à remercier les membres du Comité du travail assidu qu'ils font en matière de justice et de droits de la personne. Je sais que de nombreuses décisions prises récemment par la Cour suprême du Canada ainsi que les projets de loi d'initiative gouvernementale et parlementaire requièrent votre attention.
Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels est une ressource indépendante pour les victimes au Canada. Notre bureau a été créé pour aider le gouvernement fédéral à respecter ses engagements envers les victimes d'actes criminels. Les victimes communiquent avec notre bureau pour connaître leurs droits aux termes des lois fédérales, pour en savoir plus sur les services fédéraux qui leur sont offerts ou pour déposer des plaintes au sujet des organismes fédéraux et des lois fédérales qui les concernent. Nous aidons à résoudre les problèmes et à trouver des solutions lorsque les droits des victimes n'ont pas été respectés, et nous collaborons avec les parties prenantes à travers le pays pour identifier les nouvelles tendances ou cerner les enjeux qui ont une incidence sur les victimes d'actes criminels. Sur la base de ce travail, nous formulons, le cas échéant, des recommandations à l'intention des organismes fédéraux et nous veillons à ce que les préoccupations des victimes soient prises en compte dans le processus législatif.
Lorsque la Cour suprême du Canada a statué dans l'affaire R. c. Brown que l'article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel, cela a eu des conséquences néfastes immédiates sur les survivants de crimes violents. Le libellé de la loi et le langage utilisé par Cour suprême du Canada sont difficiles à comprendre et ils ont contribué à propager une désinformation généralisée au sujet des expériences hautement traumatisantes et très personnelles que vivent les Canadiens.
Les organismes qui soutiennent les femmes ayant subi de la violence fondée sur le sexe et les nombreuses jeunes survivantes d'agressions sexuelles, en particulier, ont cru que le gouvernement avait permis que l'intoxication devienne une défense admissible à l'égard de la violence imposée au corps des femmes et des filles. Cette assertion a provoqué une détresse considérable, la résurgence de souvenirs traumatisants et des manifestations dans les écoles secondaires à l'occasion desquelles de jeunes survivantes ont relaté leurs expériences personnelles, parfois sans les ressources nécessaires pour le faire en toute sécurité.
En tant qu'ombudsman des victimes d'actes criminels, je crois qu'il était urgent d'agir, et je suis reconnaissant du fait que l'ensemble du gouvernement ait réagi rapidement à la décision de la Cour suprême du Canada. Je me réjouis également du message clair qu'a envoyé le , lorsqu'il a répété à plusieurs reprises que le fait d'être ivre ou drogué ne constituait pas une défense pour une personne qui commet un acte criminel comme une agression sexuelle. Je pense qu'il s'agit là d'un gage d'empathie et que cela témoigne d'une attitude porteuse d'espoir pour ce qui est de répondre à d'autres préoccupations soulevées par les victimes d'actes criminels.
Je comprends également que l'approche non conventionnelle qui a permis à cette loi d'être adoptée avant qu'elle ne puisse être pleinement examinée et soupesée par nos comités parlementaires a créé pour nous l'obligation de s'engager de façon significative à l'égard de ce processus.
Tout ce qui entoure l'intoxication causée par l'alcool et d'autres substances est une réalité très présente dans de nombreux contextes qui mènent à la victimisation criminelle. Dans les réalités troubles qui caractérisent ces situations, les gens peuvent osciller entre la conscience et l'inconscience de leur comportement et de ce qu'ils font aux autres, ce qui rend difficile l'établissement de critères objectifs en matière de culpabilité. D'autres témoins expliqueront que la défense évoquant l'intoxication extrême est surtout invoquée par les hommes qui commettent des actes de violence à l'endroit des femmes. Alors que le gouvernement du Canada lance son plan d'action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, je vous invite à examiner cette loi sous cet angle.
Notre bureau a quelques recommandations simples sur lesquelles je vous invite à réfléchir. La première est un langage clair. La persistance de la désinformation au sujet de cette loi aura des conséquences sur les femmes et les filles. Le libellé du projet de loi est compliqué, et nous recommandons que les messages envoyés au public soient clairs et constants.
La deuxième recommandation est de procéder à une consultation approfondie. Les divers points de vue exprimés par les Canadiens au sein du Comité doivent façonner le projet de loi. Si d'importantes préoccupations sont soulevées, nous recommandons que le projet de loi soit revu et modifié en conséquence.
La troisième recommandation concerne la surveillance. L'intoxication est très courante dans les contextes de crimes violents, et vous avez entendu des préoccupations importantes de la part des groupes de femmes et des survivantes quant à la possibilité que cette défense soit utilisée de façon abusive. Nous recommandons qu'un examen en bonne et due forme soit fait après deux ans afin d'évaluer comment cette défense aura été utilisée devant les tribunaux.
Je vous remercie encore une fois de votre temps. J'ai hâte de poursuivre la conversation.
:
Je remercie le Comité d'avoir invité le Women and Harm Reduction International Network — ou WHRIN, en abrégé — à parler du projet de loi .
Je m'appelle Rhiannon Thomas. Je suis ici en tant que représentante pour parler de considérations similaires à celles qu'a évoquées l'intervenant précédent.
Voici une entrée en matière et une mise en contexte. Le WHRIN a été créé en 2009 par la communauté mondiale des femmes qui consomment des drogues et par des activistes focalisées sur la politique en matière de drogues et les droits de la personne. La création de l'organisme se voulait une réponse à la pénurie mondiale de services, de recherches et de programmes de formation ouverts aux femmes, aux personnes identifiées comme étant des femmes et aux personnes de genre différent qui consomment des drogues. Le WHRIN a passé les 15 dernières années à travailler pour améliorer la disponibilité, la qualité, la pertinence et l'accessibilité des services sanitaires, sociaux et juridiques pour les femmes qui consomment des drogues.
Le WHRIN rappelle au Comité que les drogues, y compris l'alcool, bien que parfois associées à la violence, ne peuvent être considérées comme la cause directe de la violence. Le WHRIN soutient que la dépendance aux drogues n'est pas une maladie et que la consommation de drogues en soi ne nie pas l'existence du libre arbitre et de l'intention.
Je suis certaine que les membres de ce comité sont très conscients que ce sont les femmes qui sont le plus souvent les victimes de la violence, qu'elle soit physique, sexuelle ou socioéconomique. Je veux dire par là que les femmes qui vivent des relations dans lesquelles la violence sexiste se produit n'ont souvent pas les moyens économiques d'en sortir librement ou en toute sécurité. En outre, comme le Comité n'est pas sans le savoir, les enfants sont souvent pris dans ces situations.
Comme l'a dit le témoin précédent, il est très probable que les hommes qui se livrent à la violence dans les relations intimes et à la violence fondée sur le sexe tenteront d'utiliser cette défense si elle leur est offerte.
Pour certains hommes, la consommation de drogues et la violence à l'égard de la partenaire intime peuvent être l'expression d'un besoin de pouvoir et de contrôle lié à des insécurités liées au sexe. La violence à l'égard du partenaire intime est généralement infligée par des hommes qui, portés par un contexte patriarcal, pensent que la violence est appropriée dans certaines situations. Cette violence se produit dans des contextes où l'agresseur a le contrôle. Elle doit être comprise comme délibérée et, dans une certaine mesure, préméditée, et ce, sans égard pour la quantité d'alcool ou de substances intoxicantes consommées, le cas échéant.
Cette constatation a d'ailleurs des conséquences pour les services destinés aux auteurs d'actes violents, aux termes desquels la consommation de drogues doit évidemment être considérée comme un facteur secondaire lorsqu'il s'agit d'intervenir pour prévenir la violence, étant donné que l'intention de faire subir de la violence précède invariablement la consommation d'alcool ou d'autres drogues.
La violence sexuelle est un domaine à l'égard duquel l'utilisation de cette défense devrait nous inciter à la plus grande prudence. Les femmes sont en grande majorité les victimes de la violence sexuelle. Ce type de crime est l'un de ceux qui sont les moins déclarés en raison de l'obstacle que constitue le fait que la police ne croit pas les témoignages narratifs. Même lorsque les affaires sont portées devant les tribunaux, les survivantes sont soumises à des contre-interrogatoires qui ne tiennent pas compte de leur traumatisme. Si une survivante est une personne dont on sait qu'elle consomme des drogues, par exemple, ses souvenirs des événements sont souvent discrédités. Ainsi, une survivante peut être blâmée pour une agression sexuelle, tandis que l'agresseur — utilisant cette défense — gagne la possibilité d'être acquitté pour cause d'intoxication.
De plus, lorsque l'on tient compte des réalités socioéconomiques liées au sexe, on constate que les femmes ont moins accès à l'aide juridique. Dans la plupart des provinces, l'aide juridique a reculé pendant de nombreuses années, de sorte qu'elle n'est plus accessible qu'aux accusés qui risquent une peine d'emprisonnement, et non aux survivantes. En outre, en tant que parents et, souvent, principaux pourvoyeurs de soins, les femmes qui voudraient invoquer une telle défense peuvent être réticentes à le faire de peur de se voir enlever la garde des enfants.
Il est important de noter qu'en raison de la criminalisation de nombreuses drogues couramment utilisées, les recherches sur leurs effets physiologiques sont limitées, recherches qui auraient également une incidence sur les limites de l'utilisation de cette défense. Étant donné les exemptions requises, il est difficile, voire impossible, d'étudier correctement si diverses drogues troublent les perceptions et la capacité à prendre des décisions éclairées et comment elles le font. Une drogue que nous connaissons bien est l'alcool, puisqu'il est légal. Nous savons qu'il a une incidence sur les inhibitions, les perceptions, le jugement, etc., et ses liens avec la violence ont clairement été démontrés — peut-être pas de manière causale — par de nombreuses études.
Enfin, il faut également tenir compte de la criminalisation des drogues, de la consommation de drogues et des personnes qui en consomment. Quelle incidence cela aura‑t‑il sur les groupes qui sont les plus touchés par cette prohibition? Les Noirs, les Autochtones et les pauvres de ce pays — qui sont le plus souvent incarcérés de manière disproportionnée et ont moins accès à des avocats coûteux — ne seront certainement pas en mesure de payer des témoins experts capables de faire des affirmations sur les degrés d'intoxication et sur la relation que cette intoxication peut avoir avec l'intention criminelle.
Je ferais aussi référence au nombre croissant de femmes, particulièrement de femmes autochtones, dans les prisons fédérales. Vous pouvez trouver aisément ces chiffres sur le site Web du gouvernement du Canada. J'encouragerais les honorables membres du Comité à lire également le rapport que le Bureau de l'enquêteur correctionnel a publié la semaine dernière, dans lequel il fait observer que ces chiffres augmentent et que les prisonniers autochtones, et particulièrement les femmes, sont incarcérés plus longtemps et plus souvent dans des établissements à sécurité maximale. Je vous pose donc la question suivante: ces Canadiens et Canadiennes pourront-ils se prévaloir de cette défense?
En résumé...
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Bonjour, madame Thomas et monsieur Roebuck, et merci beaucoup de témoigner aujourd'hui pour nous aider dans le cadre de cette importante étude.
Je tenterai de répartir équitablement mes questions entre les deux témoins. Tout dépend du temps. Je sais que je ne dispose que de six minutes.
J'interrogerai d'abord M. Roebuck. Je tiens à vous féliciter personnellement de votre nomination à ce poste particulier qui est extrêmement important pour les victimes de toutes les régions du pays. Je m'en voudrais de ne pas souligner que ce poste est resté vacant pendant près de 13 mois, malgré les protestations de l'opposition officielle et d'autres députés, qui demandaient au gouvernement de le pouvoir parce que les victimes ont besoin d'être entendues.
Comme vous l'avez indiqué lors de votre témoignage précédent — j'ai effectué quelques recherches —, il existe une inégalité réelle entre les droits de l'accusé et ceux des victimes dans le système de justice pénale. Vous avez convenu que ce déséquilibre est particulièrement manifeste en ce qui concerne les articles 15 et 28 de la Charte. Il est donc très important que vous soyez là pour remplir ce rôle. Il nous aurait été fort utile de bénéficier de vos connaissances et de votre expérience quand nous avons étudié le projet de loi et, plus récemment, la question des droits des victimes sur le plan de la participation au système de justice pénale.
Cela étant dit, je veux vous offrir l'occasion de nous en dire peut-être un peu plus sur les recommandations dont vous avez parlé. À titre d'ancien procureur de la Couronne, je sais parfaitement que les statistiques sur le taux de réussite des poursuites sont catastrophiques au pays. Cette situation est attribuable au manque de reddition de comptes, à la méconnaissance des droits et au manque de confiance des victimes envers les autorités policières et les intervenants du système de justice pénale. Vous avez vous-même convenu que les fausses informations, souvent alarmistes, ont fusé de partout dès que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision.
J'aimerais, monsieur, que vous m'expliquiez ce que votre bureau fait exactement pour atténuer les craintes et certaines des préoccupations qu'ont les victimes, notamment en ce qui concerne l'arrêt de la Cour suprême du Canada et la réponse du gouvernement, qui a réagi en adoptant le projet de loi .
:
Monsieur, je vous ai précisément demandé ce que faisait votre bureau pour contribuer aux connaissances globales dans le cadre de vos recommandations. Vous avez parlé des connaissances, des meilleures consultations, de la modification du projet de loi et de la surveillance des données. Ce sont les quatre points saillants que j'ai retenus de votre exposé.
J'ai entendu d'autres témoins dire qu'il importe que le gouvernement réagisse adéquatement à l'arrêt de la Cour suprême du Canada. Je ne critique pas le gouvernement. Il a agi de manière appropriée, et nous lui avions instamment demandé d'intervenir, mais la hâte avec laquelle il a adopté le projet de loi, sans procéder à des consultations adéquates et sans faire d'annonce publique à l'intention des groupes de défense des victimes afin d'informer la population que cette mesure n'ouvrira pas la porte à une avalanche de poursuite, a suscité moult critiques.
Comme je l'ai indiqué d'entrée de jeu, il est déjà difficile de convaincre une victime de participer au processus. J'ai personnellement participé à un certain nombre de tables rondes, et malgré mes explications sur le projet de loi , les gens craignent encore que la défense dispose maintenant d'un autre outil dans le cadre des procès.
Je voudrais savoir ce que fait votre bureau pour atténuer ces craintes.
:
C'est une excellente question.
Il serait essentiel d'effectuer de réels investissements dans les services de soutien aux femmes et aux familles qui sont aux prises avec la violence entre partenaires intimes et fondée sur le sexe, car ces services sont rares. Par exemple, le réseau de refuges qui accueille les femmes qui fuient la violence déborde constamment, une situation qui a été particulièrement mise en évidence pendant la pandémie et les confinements.
Je pense qu'il faut réellement investir dans les services aux femmes victimes de violence et particulièrement de violence sexuelle. Je ne saurais trop insister sur le fait qu'il est extrêmement difficile de tenter de signaler la violence sexuelle à la police.
Je suis sûre que tous les honorables membres du Comité comprendront l'aspect sombre de la criminalité sur le plan de la violence sexuelle. Cette violence est très difficile à signaler, et même une fois qu'elle l'a été, il est fort traumatisant de témoigner en cour parce qu'il n'existe aucun soutien pour aider les gens à se débrouiller dans le système et dans le processus.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins d'être avec nous ce matin.
Monsieur Roebuck, je vous félicite pour le poste important que vous occupez. Je ne peux pas croire que ce poste ait été libre si longtemps, comme l'a mentionné mon collègue conservateur. Quoi qu'il en soit, vous êtes là.
Dans votre énoncé, vous avez fait des recommandations et utilisé un langage clair. Vous avez dit qu'il faudrait faire une consultation significative et effectuer un examen formel après deux ans. Dans ces recommandations, je sens que vous avez des craintes importantes.
Avec le projet de loi , a-t-on trouvé l'équilibre recherché entre la défense des individus et la protection des victimes, ou pensez-vous plutôt que le projet de loi ne sera pas efficace?
:
C'est une excellente question.
Monsieur le président, de façon générale, nous avons du travail à faire au Canada pour concilier les droits des contrevenants et ceux des victimes dans le système. En effet, les droits des contrevenants sont garantis par la Charte, alors que les victimes doivent habituellement demander que leurs droits soient respectés, et aucun recours ne s'offre à elles en dehors du mécanisme de plainte. Voilà pourquoi mon bureau est extrêmement important pour les victimes et les survivants et survivantes d'actes criminels.
Pour ce qui est du langage clair, le libellé du projet de loi n'est pas facile à comprendre pour le Canadien moyen. Je vous en lirai un passage:
elle s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable, dans les circonstances, relativement à la consommation de substances intoxicantes.
Ce n'est pas clair pour un survivant ou une survivante d'agression sexuelle qui tente de comprendre la loi. Le message doit donc être limpide, car comme Mme Thomas l'a fait remarquer, nous savons que moins de 6 % des agressions sexuelles sont signalées à la police au Canada. Si une femme a l'impression qu'elle ne sera pas crue en cas d'intoxication, c'est grave. Nous devons éclaircir ce point.
Nous devons également examiner la question dans le contexte des politiques en matière de stupéfiants et d'alcool et de la réduction des méfaits, et considérer l'importance des programmes de consommation sécuritaire pour permettre aux gens de consommer dans des contextes plus sûrs que ceux où la violence privée pourrait survenir.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Il y a des parallèles à tracer avec d'autres types de comportements, à mon avis.
Avec des troubles comme la psychose, il est généralement compris qu'il s'agit d'une rupture partielle avec la réalité ou une différence partielle de perception. Je pense que la manière dont nous parlons de l'intoxication extrême est peut-être en réalité simpliste et que nous devons considérer la fluidité des répercussions de l'intoxication extrême.
Je pense que c'est un point très important à considérer et qu'il faut également tenir compte de l'impression des victimes, comme certains l'ont recommandé. Je pense toutefois qu'il est simpliste de présumer que le contrevenant est complètement détaché de la réalité tout au long de l'infraction.
:
C'est une excellente question et les réponses sont nombreuses.
Je représente le WHRIN, mais j'ai de nombreuses années d'expérience à travailler aux premières lignes avec les personnes qui consomment des substances, ainsi qu'à accompagner les gens dans les systèmes judiciaires. La pauvreté est le principal défi. Si vous êtes une personne pauvre au Canada, votre accès aux soutiens juridiques est minime. D'après mon expérience avec la plupart des gens qui sont dans les systèmes provinciaux plus particulièrement, mais aussi dans le système fédéral, s'ils n'ont pas accès à des soutiens juridiques, ils finissent souvent par plaider coupables et purger leur peine, qu'ils soient coupables ou non, pour la simple raison que c'est la seule option qui s'offre aux gens s'ils n'ont pas d'argent pour embaucher un avocat. Je suis certaine que je n'ai pas besoin de parler de la façon dont la situation de pauvreté au Canada augmente avec le coût de la vie, notamment.
Il y a ensuite tous ces autres défis auxquels ces gens sont confrontés. Les personnes noires ou autochtones sont arrêtées par la police de manière disproportionnée. Il existe de nombreuses preuves à ce sujet. J'espère que, à mesure que nous continuons de recueillir plus de données fondées sur la race dans diverses régions de ce pays, nous commencerons à voir des faits et des chiffres sur ces renseignements.
Encore une fois, la pauvreté, la race, l'adresse d'où les gens appellent pour signaler des crimes... Je suis ici à Toronto, et je peux certainement dire que lorsque vous appelez le 911, selon la nature du problème, si vous appelez pour une ambulance, la police viendra selon l'endroit d'où vous appelez. Si vous téléphonez d'un quartier pauvre, la police arrivera aussi automatiquement.
Par ailleurs, un autre défi est le fait que nous sommes actuellement dans une situation où nous parlons de criminalisation des drogues et de la consommation de drogues, ce qui a une incidence directe sur ce type de loi. Lorsque les gens sont criminalisés pour leur consommation de drogues, les personnes qui seront touchées de façon disproportionnée et plus susceptibles d'être arrêtés ou inculpées seront, encore une fois, les personnes pauvres, racisées et autrement marginalisées.
:
Merci, monsieur le président.
Madame Thomas, merci de votre travail. Mon épouse travaille au nom des femmes dans une capacité similaire, alors je vous suis évidemment reconnaissant de votre travail.
Merci, monsieur Roebuck, et félicitations pour votre nomination.
Je vais commencer par parler d'un sujet qui m'est venu à l'esprit plus tôt dans la journée quand j'écoutais les délibérations. Il y a une distinction cruciale qu'il faut faire ici, et c'est le fait d'invoquer une défense par rapport à la réussite d'une défense, ce qui est deux choses bien différentes. Le fait d'invoquer une défense dépend du seuil à atteindre, à savoir quand quelqu'un peut invoquer cette défense et dans quelles circonstances. Ici, il s'agit de savoir s'il y a intoxication extrême. Le a déclaré que cette défense sera rarement fructueuse. Mais c'est très différent de dire qu'on autorisera rarement que cette défense soit invoquée. Ce sont deux choses différentes.
Lorsque je regarde le Code criminel, en particulier les articles 266 à 278 et les suivants, voici ce que nous voyons: si une personne veut présenter des preuves d'activités sexuelles antérieures, par exemple, dans le cadre de sa défense contre une agression sexuelle ou de contacts sexuels ou une allégation similaire, ou si quelqu'un cherche à obtenir un dossier concernant la victime, elle doit passer par une audience sur la preuve distincte. Dans ce cas, nous n'avons pas d'audience de preuve distincte. Nous avons simplement la défense qui peut être invoquée. Dans les deux exemples que j'ai cités, si je me souviens bien, la victime a le droit d'être présente dans la salle d'audience. Cela signifie que la victime a le droit à un avocat et qu'elle peut faire des observations ou présenter des arguments au juge.
D'une part, nous avons ce système robuste qui fait valoir que nous allons avoir un seuil élevé, et avant même d'atteindre ce seuil, nous allons demander au juge d'entendre si c'est approprié. D'autre part, nous avons l'intoxication extrême, et cette défense peut simplement être soulevée et la victime n'est pas entendue. C'est ce que je vois dans le projet de loi .
En réfléchissant et en écoutant les déclarations, j'en suis arrivé à la conclusion suivante: ne serait‑il pas prudent d'élaborer une mesure législative qui reflète, disons, les articles 276 à 278 et les suivants, en énonçant qu'avant d'invoquer cette défense, vous devez avoir une audience préliminaire devant un juge où la victime pourrait avoir son propre avocat? Est‑ce que ce serait une mesure qui diminuerait peut-être le recours à des défenses très douteuses de ce genre qui sont invoquées — sans succès, mais qui sont soulevées — et qui tiendrait davantage compte des préoccupations des victimes?
Je suis conscient que c'est une question très chargée, alors je sais qu'il faudra la majorité de votre temps pour y répondre.
Madame Thomas et monsieur Roebuck, je serais ravi d'entendre ce que vous avez à dire tous les deux à ce sujet.
:
Merci de votre question, monsieur le président.
Je pense qu'un certain nombre d'avocats de partout au pays sont probablement nerveux quant à l'orientation de cette question, mais elle est très intéressante et nous pouvons faire un meilleur examen de la position des victimes dans le processus judiciaire. Certains pays ont plus de droits en place pour ce qui est de la représentation juridique des victimes, et il existe des avantages et des inconvénients aux différentes approches à cet égard.
Je veux reconnaître qu'invoquer la défense peut parfois être tout aussi dommageable pour la victime qu'une défense réussie. Passer par le processus judiciaire cause de la détresse. Je pense que s'il y a un moyen de l'envisager tôt, sans avoir besoin de subir un procès complet, c'est précieux et cela mérite d'être étudié davantage.
C'est une question très intéressante.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame Thomas, je vous souhaite la bienvenue.
Monsieur Roebuck, félicitations pour votre nouveau poste. Je suis certaine que vous aurez beaucoup de travail.
J'ai écouté les dernières réunions qui ont eu lieu au cours des semaines passées. On a parlé de ce que le gouvernement a dû faire pour faire adopter... J'ai également entendu beaucoup de désinformation avant l'adoption. Bien franchement, ces fausses informations circulent toujours. En tant que femme, cela me dérange beaucoup.
Madame Thomas, je vous remercie de votre témoignage. Je vous remercie de mettre en lumière une fois de plus le fait qu'une femme qui subit de la violence sexuelle, de la violence entre partenaires intimes, de la violence fondée sur le sexe et tout cela, a désespérément besoin de services de soutien. Évidemment, c'est pour les droits de toutes les victimes.
Ce que j'aimerais vous demander, monsieur Roebuck, puisque vous êtes avec nous aujourd'hui, c'est de nous parler, s'il vous plaît, des services de soutien qui sont disponibles au Canada pour les victimes. En particulier, y en a‑t‑il, par exemple, pour les survivants d'agressions sexuelles, pour les survivantes de violence conjugale?
:
Partout au Canada, il existe des réponses variées à la victimisation. Chaque province et territoire dispose de mécanismes différents pour financer et soutenir les services.
Dans de nombreux endroits, nous voyons que des services génériques sont offerts aux victimes d'actes criminels, et tout type de survivant peut y avoir accès. À Ottawa, nous avons les Services aux victimes d'Ottawa. Il s'agit de services plus généraux. Il y a aussi des services spécialisés pour les survivants d'agressions sexuelles, comme un centre d'aide aux victimes de viols ou un centre pour les agressions sexuelles, ou encore des services spécialisés pour la violence familiale.
Les prestataires de services ont toujours de la difficulté à trouver du financement. Beaucoup se tournent vers des subventions, année après année, pour avoir accès à un financement pilote ou un financement cyclique. Ils passent tellement de temps à essayer d'obtenir les ressources dont ils ont besoin pour faire leur travail, alors que ce temps pourrait être utilisé pour aider les survivants s'ils avaient plus de ressources. Avant d'occuper ce poste, notre centre de recherche s'est penché sur le bien-être des prestataires de services aux victimes pendant la pandémie. Il est certain que la pression qu'ils ressentent pour répondre à ces cas compliqués a des répercussions sur eux.
Je pense que nous devons mieux soutenir les prestataires qui essaient de travailler avec les survivants.
:
C'est une grande question.
Je vais simplement répéter qu'il existe des disparités entre les systèmes fédéraux et provinciaux et qu'un déséquilibre en découle. Je suis encouragée d'entendre parler d'un comité provincial-fédéral des victimes — j'oublie comment il s'appelle — qui discute de cette question.
Si le Comité souhaite communiquer ces informations, il doit passer par ces réseaux qui existent déjà, car il y a des réseaux dans tout le pays et, comme d'autres l'ont dit, ils sont différents selon que vous vivez en milieu rural ou en ville.
J'habite dans une ville, l'une des plus grandes villes de notre pays, et pour parler uniquement de cette ville, je sais que les services y sont insuffisants. Je ne peux qu'imaginer la situation pour quelqu'un qui vit dans une zone rurale.
Je pense que c'est crucial. Si vous voulez parler de communication, vous devrez examiner les services et les systèmes qui sont en place et parler aux personnes qui font ce travail en première ligne maintenant. C'est ainsi que l'information pourra être transmise aux victimes, aux survivants et aux intervenants qui font ce travail.
:
Vous avez soulevé un point essentiel, à savoir que, malgré la réponse rapide à ce problème, il y aura toujours cette préoccupation.
Je pense que cela en dit long sur l'histoire du fonctionnement de ces systèmes et de tous les problèmes sous-jacents qui expliquent pourquoi les femmes ne vont pas se défendre, en particulier en ce qui concerne la violence sexuelle, mais aussi d'autres types de violence, notamment celle fondée sur le sexe et celle entre partenaires intimes. C'est parce qu'il n'y a pas de systèmes en place pour y répondre. Peu importe la rapidité avec laquelle le gouvernement peut réagir, si ces systèmes et services ne sont pas en place pour aider les survivantes, alors il est très difficile pour les gens de ne pas craindre davantage que cette défense ne vienne alimenter un système qui fonctionne déjà contre les victimes et les survivantes de violence sexuelle et d'autres types de violence.
Encore une fois, ma recommandation est de vraiment examiner ces systèmes et la façon dont ils sont inégalement répartis dans le pays. Si vous considérez la sous-déclaration de ces crimes par rapport à leur nombre réel, et ensuite la façon dont le financement pourrait être distribué à ces services en fonction des crimes déclarés, je pense que vous pourriez commencer à avoir une vue d'ensemble de la situation.
:
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les deux témoins d'avoir ramené notre attention sur les défis plus vastes auxquels nous sommes confrontés dans le système de justice, au‑delà de ceux que nous abordons dans le projet de loi . Je tiens particulièrement à remercier Mme Thomas de nous avoir rappelé l'interaction qui existe entre la pauvreté, le racisme systémique et l'accès à la justice dans notre système.
Puisque notre réunion tire à sa fin, j'aimerais maintenant donner aux témoins qui le souhaitent l'occasion d'ajouter quelque chose, très brièvement.
Je vais commencer avec Mme Thomas, puis passer à M. Roebuck.