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Monsieur le président, chers membres du Comité, bonjour. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous faire part de certaines de nos plus grandes préoccupations, tout particulièrement concernant la situation des droits de la personne aux Philippines. Je prendrai d'abord la parole, puis Mme Palabay vous fera part de ses préoccupations.
Au cours des dernières années, le Canada a changé son approche à l'égard des Philippines pour adopter une approche axée sur le renforcement de la sécurité économique et les liens commerciaux avec le pays dans le cadre de sa stratégie pour l'Indo-Pacifique, qui met l'accent sur la croissance commerciale et la sécurité régionale. Toutefois, cette collaboration accrue en matière de défense donne lieu à des préoccupations majeures. Étant donné la ferme position du Canada en matière de droits de la personne, il est préoccupant de constater que les droits de la personne ne constituent pas une condition préalable à toute coopération avec les Philippines dans les domaines du commerce et de la sécurité.
On ne peut passer sous silence les enjeux éthiques entourant une coopération accrue en matière de défense avec un pays où ont lieu de graves violations des droits de la personne. Si le Canada souhaite préserver l'intégrité de sa politique étrangère, il doit faire des droits de la personne une priorité, au même titre que ses intérêts commerciaux et ceux liés à la sécurité économique. Le Canada doit exiger des Philippines qu'il se penche sur les violations en cours, faute de quoi la réputation du Canada à l'échelle internationale pourrait s'avérer grandement compromise. Le Canada doit impérativement réévaluer sérieusement ses efforts de coopération en matière de défense et s'assurer que ses gestes cadrent avec les valeurs qu'il préconise sur la scène internationale.
Je vous cède la parole, madame Palabay.
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Bonjour, distingués membres du comité de la défense nationale.
La semaine dernière, nous étions avec des parents de victimes de violations des droits de la personne. Sans sépulture où se recueillir, les familles des disparus ont offert des fleurs à leurs proches. Il a été documenté que, depuis Marcos père, près de 2 000 personnes ont été enlevées par les forces de l'État et sont toujours portées disparues, tandis que 14 d'entre elles ont été déclarées desaparecidos sous Marcos fils.
Nous avons pleuré avec des familles de victimes de la guerre contre la drogue, ainsi qu'avec des centaines de personnes tuées extrajudiciairement dans le cadre des campagnes anti-insurrectionnelles du gouvernement. Au cours des deux dernières années, 105 agriculteurs et Autochtones ont été tués dans cette guerre anti-insurrectionnelle menée par les forces armées philippines, lors de combats, pour mettre fin au mouvement communiste. Ces rassemblements témoignent de la dégradation grandissante, troublante et désastreuse des droits de la personne et du droit humanitaire international aux Philippines.
Nous recevons des rapports sur des opérations militaires et des bombardements dans des collectivités rurales et autochtones. Des armes, des munitions et des hélicoptères — la plupart achetés à l'extérieur des Philippines — sont utilisés dans ces opérations sur des villages afin de forcer les habitants à évacuer leurs collectivités, ou bien pour détruire des fermes, des maisons et des écoles pour les priver de leurs moyens de subsistance.
Nous craignons que des troupes et du matériel canadiens ne soient directement impliqués dans les campagnes anti-insurrectionnelles qui sont à l'origine de ces violations, étant donné l'accord sur des troupes étrangères, le SoVFA, qui est en cours de négociation entre nos pays.
Alors que le Canada élabore des accords en matière de sécurité avec le gouvernement philippin, nous croyons qu'il est essentiel de placer les droits de la personne et le droit humanitaire international au cœur des discussions. Il doit y avoir cohérence entre les politiques et les pratiques, comme l'indiquent vos lignes directrices dans « Voix à risque » et les initiatives en matière de droits de la personne du Sommet pour la démocratie.
Nous croyons sincèrement que la SoVFA favorisera, sinon aggravera, le climat d'impunité aux Philippines et placera les troupes canadiennes dans le contexte d'une guerre contre-insurrectionnelle, rendant le Canada complice des violations qui y sont commises.
Nous préconisons des solutions politiques et diplomatiques pacifiques en Asie, en particulier en Asie du Sud-Est. Nous croyons qu'il faut démilitariser, et non exacerber les tensions militaires et accroître la présence militaire dans la mer des Philippines occidentales. Nous devons faire de notre mieux pour ne pas aggraver le contexte déjà difficile des droits de la personne au pays.
Merci.
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Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la mise à jour de la politique de défense.
Cette mise à jour est un pas dans la bonne direction, d'autant plus qu'elle offre une transparence accrue de la politique de défense du Canada en cette période d'incertitude mondiale sans précédent. En tant que puissance moyenne dotée d'une solide tradition multilatérale, le Canada est particulièrement bien placé pour influencer la façon dont nous relevons collectivement les défis urgents en matière de sécurité.
Aujourd'hui, j'aimerais souligner trois principaux sujets de préoccupation et faire ensuite trois recommandations.
Les trois principaux sujets de préoccupation sont les crises multiples qui se chevauchent, les changements climatiques dans l'Arctique et le rôle transformateur de la technologie dans la guerre.
Premièrement, la communauté mondiale, y compris le Canada, est confrontée à une multitude de crises successives. L'environnement de sécurité mondial est de plus en plus volatil et marqué par la concurrence des grandes puissances et ses ramifications. Les conflits comme ceux en Ukraine, au Moyen–Orient et au Soudan démontrent que les menaces se limitent rarement aux frontières d'un État ou d'une région. Ils transcendent les frontières et sont plus complexes que jamais. Nous sommes confrontés au risque du recours aux armes nucléaires dans de multiples contextes, et nous assistons à la dégradation des cadres internationaux de contrôle des armes. Le droit international, y compris le droit humanitaire international, est régulièrement violé. En même temps, les catastrophes liées au climat touchent tous les pays, et les nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle amplifient les menaces existantes et en créent de nouvelles.
Nous devons reconnaître qu'aucun de ces problèmes ne peut être résolu uniquement par des moyens militaires. Ils nécessitent plutôt un dialogue et une coopération à l'échelle mondiale. Malheureusement, le concept d'interdépendance n'est pas mentionné dans cette mise à jour de la politique, malgré sa pertinence pour réagir efficacement à ces crises.
Au moment où les appels à l'augmentation des dépenses en matière de défense s'intensifient au Canada et dans le monde entier, on a tendance à qualifier le Canada de « traînard » en ce qui touche le volet militaire. Pourtant, comme l'a souligné Ernie Regehr, cofondateur de Project Ploughshares, le Canada se classe parmi les 10 % des pays qui dépensent le plus en armement dans le monde. Le fait de se concentrer sur les dépenses militaires en tant que pourcentage du PIB obscurcit cette réalité.
De plus, les crises interreliées auxquelles nous sommes confrontés exigent plus que des solutions militaires. Elles exigent des investissements dans des mesures de sécurité non militaires comme la consolidation de la paix et la diplomatie, qui demeurent nettement sous-financées. Même si les dépenses en matière de défense retiennent beaucoup l'attention, nos ressources et nos capacités diplomatiques n'ont pas reçu d'attention ou d'investissements suffisants.
Deuxièmement, même si la mise à jour de la politique désigne les changements climatiques et la sécurité dans l'Arctique comme des préoccupations clés, elle n'aborde pas pleinement les répercussions plus larges liées à la sécurité mondiale et au bien-être des Canadiens. Les Forces armées canadiennes, ou FAC, et le ministère de la Défense nationale sont de plus en plus appelés à intervenir en cas de catastrophes liées au climat au Canada. Grâce à leurs capacités et à leurs ressources, ils sont souvent les mieux équipés pour faire face à de telles urgences. Cependant, les dirigeants des FAC ont récemment indiqué que leur capacité à répondre aux catastrophes naturelles pourrait être mise à rude épreuve en raison d'autres engagements.
Si les FAC n'ont pas la capacité de répondre aux crises climatiques à grande échelle, quel ministère sera en mesure de le faire? Nous avons besoin d'une vision claire et détaillée qui décrit comment les FAC et le ministère de la Défense nationale s'adapteront aux défis liés au climat et soutiendront les interventions nationales en cas de catastrophe. De plus, un protocole interorganismes d'intervention en cas de catastrophe est grandement nécessaire, un protocole qui comprend du financement et des ressources désignés pour les urgences liées au climat, afin de veiller à ce que les FAC ne soient pas surchargées par ce rôle en évolution.
L'évolution de la dynamique de la sécurité dans l'Arctique, en particulier en raison de l'intérêt accru des grandes puissances, rehausse l'urgence d'une stratégie canadienne claire pour faire face aux répercussions tant climatiques que sécuritaires.
Troisièmement, la mise à jour de la politique reconnaît l'impact transformateur des nouvelles technologies sur la guerre. Cependant, des termes comme « IA » et « apprentissage automatique » en disent peu sur la façon dont le Canada prévoit faire face aux menaces technologiques ou même tirer parti de ces progrès.
La position du Canada sur l'interopérabilité avec ses alliés, en particulier en ce qui concerne le déploiement de systèmes d'armes potentiellement autonomes, nécessite une formulation plus précise, surtout en ce qui a trait aux engagements à l'égard de la surveillance humaine. Une plus grande transparence et une meilleure planification stratégique dans ce domaine sont essentielles pour garantir que les progrès technologiques du Canada respectent les normes éthiques et juridiques. Il est essentiel que le Canada priorise l'élaboration d'un cadre global pour l'intelligence artificielle et la défense, qu'il détaille son engagement à l'égard du contrôle humain et de la responsabilité juridique, et qu'il joue un rôle de premier plan dans les discussions mondiales sur les systèmes d'armes autonomes.
En réponse à ces préoccupations, je propose les trois recommandations suivantes: premièrement, renforcer la collaboration interministérielle et la capacité diplomatique; deuxièmement, adopter une perspective plus large en matière de sécurité lorsqu'il s'agit d'examiner les changements climatiques; et troisièmement, fournir plus d'orientation sur le déploiement de nouvelles technologies en matière de défense.
Monsieur le président, ceux d'entre nous qui s'occupent du contrôle des armements et du désarmement sont témoins du coût humanitaire des conflits et voient de leurs propres yeux comment les politiques avant-gardistes peuvent sauver des vies. Le point de vue de la société civile n'est pas un optimisme naïf, mais un réalisme éclairé, fondé sur les dures réalités auxquelles nous sommes confrontés et sur la conviction que la prévention est à la fois possible et nécessaire.
Je vous remercie de l'attention que vous porterez à ces points.
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Merci beaucoup pour cette question. Je pense qu'elle est excellente. C'est certainement un problème dont nous sommes conscients à l'échelle nationale, et le ministère de la Défense nationale s'y est déjà penché.
Je pense qu'il y a un nombre incalculable de mesures de sécurité à mettre en place pour déterminer quels systèmes sont utilisés et à quelles fins. Les systèmes d'intelligence artificielle peuvent se leurrer eux-mêmes. Ils font des erreurs. Ils ont des préjugés inhérents. Le ministère de la Défense nationale doit avoir une stratégie globale.
J'ai été consulté sur la stratégie du ministère de la Défense nationale en matière d'intelligence artificielle. Il faut lui donner plus de substance. Nous avons besoin de savoir clairement quels systèmes seront utilisés, à quelles fins et dans quelles applications. Serviront-ils à des tâches administratives, comme le recrutement du personnel? Ou bien à des fins de ciblage? Il y a un grand nombre de préoccupations, bien sûr, qui seront soulevées en fonction des diverses possibilités d'utilisation. Le ministère de la Défense nationale doit avoir des politiques et des orientations claires. Il n'en existe aucune à l'heure actuelle permettant de déterminer quels systèmes sont permis et lesquels ne le sont pas.
Vous avez soulevé la question de la partialité. Il est extrêmement important que votre Comité en tienne compte dans son examen de l'application des technologies nouvelles et émergentes. Des préjugés seront intégrés dans les systèmes, et les efforts technologiques pour y remédier ne seront pas suffisants. Il faut préciser clairement qui prend les décisions et qui sera tenu responsable de ces décisions lorsque ces systèmes sont déployés.
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L'un des risques que nous courons si nous nous positionnons contre ces États, c'est que nous nous engagions dans un nivellement par le bas, car bien des choses considérées acceptables en République populaire de Chine, en Russie et en Corée du Nord ne seraient pas jugées souhaitables dans une démocratie canadienne. Les démocraties doivent tenir compte de l'application éthique des technologies.
La meilleure approche à notre disposition, c'est la diplomatie. Nous devons travailler avec ces États antagonistes. Malheureusement, à l'échelle internationale, c'est principalement avec des États aux vues similaires que nous échangeons. Nous ne discutons pas assez souvent avec nos adversaires. Il y a quelques discussions bilatérales, notamment entre les États-Unis et la Chine, concernant certaines technologies émergentes. Cependant, il y a aussi une course acharnée, que ce soit pour les semi-conducteurs ou d'autres composantes des technologies émergentes, qui nuit à ce qu’il est possible d'accomplir dans le domaine diplomatique.
Au Canada, je sais qu'on se préoccupe évidemment des États antagonistes. Je ne dis pas qu'il faut les prendre à la légère ou en faire peu de cas. Je pense que c'est un problème de taille que nous devons résoudre. Cependant, nous ne voulons pas nous engager dans un nivellement par le bas en disant que si c'est acceptable pour la Chine, cela devrait l'être pour nous. Je pense que nous avons de meilleures valeurs que cela.
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Il existe un certain nombre d'actions et de possibilités.
Premièrement, sachant que l'accord sur le statut des forces étrangères présentes est en cours de négociation, il faut s'assurer que les droits de la personne sont une condition préalable à la conclusion de tout accord.
Deuxièmement, il importe que nous soutenions les organisations communautaires, comme Karapatan, pour répertorier les violations des droits de la personne, car le monde ignore qu'une guerre fait rage aux Philippines. Ce pays est le théâtre d'attentats à la bombe et d'exécutions extrajudiciaires, et les journalistes y sont muselés. Dernièrement, un groupe qui fait la promotion d'une négociation de paix ou qui demande au gouvernement de rétablir l'accord de paix négocié il y a des années a été arrêté.
Je pense qu'il est impératif que le Canada exige que les droits de la personne fassent partie de l'accord lorsqu'il négocie avec l'armée ou le gouvernement philippin.
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Oui. Je pense que l'entente sur les forces étrangères en visite actuellement négociée, qui prévoira l'envoi de soldats canadiens sur le terrain, est déjà un signe du risque que le Canada participe à la campagne anti-insurrectionnelle du gouvernement.
L'approche pannationale du gouvernement est la cause principale de la violation des droits de la personne aux Philippines. Le gouvernement a constitué une force de frappe pour mettre fin au communisme local. C'est très dangereux, parce que nombre d'entre nous — y compris des gens ici, au Canada — sont ciblés simplement parce que nous faisons la promotion de la paix et des droits de la personne. Dès qu'on fait quelque chose de semblable, le gouvernement et l'armée jugent qu'on fait partie de l'insurrection.
Je pense qu'il est important que le Canada ne se retrouve pas mêlé à ce genre de dynamiques aux Philippines. En soutenant directement une armée qui commet des violations et des abus des droits de la personne depuis des décennies, je pense que le Canada devient directement complice de ce qui se passe actuellement aux Philippines.
Certains affirment que la situation est beaucoup mieux sous le gouvernement Duterte que sous le gouvernement Marcos. Ce n'est pas vrai. En fait, la guerre contre la drogue se poursuit. C'est maintenant le sujet le plus important au sénat des Philippines, mais les tueries se poursuivent — en particulier les exécutions extrajudiciaires, les arrestations arbitraires et les autres exactions.
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Merci beaucoup de cette question.
Je pense qu'il y a encore beaucoup de coopération dans l'Arctique. Certains aspects de la sécurité dans l'Arctique ne sont pas nécessairement encore militarisés, mais je pense que nous observons une tendance en ce sens chez d'autres grandes puissances également. Il y a dans cette région des droits de passage qui préoccupent le Canada, selon moi, et nous devons certainement nous préparer à cette réalité. Avec les changements climatiques, je pense qu'il sera plus difficile de patrouiller et de contrôler réellement cette région.
Je pense qu'il y a encore beaucoup d'aspects non liés à la sécurité que nous devons prendre en considération. Il faudra une coopération accrue entre le Canada et les États antagonistes, particulièrement avec la Russie. Je pense que cette question nous préoccupe beaucoup. Selon moi, la mise à jour de la politique de défense s'oriente vers une sorte d'intervention plus militaire. Cependant, je n'observe pas le même niveau de réflexion concernant les interventions non militaires et les communautés de cette région, et, de fait, les communautés autochtones de cette région, ainsi que leurs connaissances et leurs contributions. Je pense que nous risquons de trop militariser cette région au détriment des interventions efficaces qui seront nécessaires en raison des changements climatiques.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Agustin, vous avez mentionné quelque chose de très intéressant, à savoir que le Canada devrait mettre au centre de toutes ses politiques les droits de la personne à l'échelle internationale.
On s'entendra pour dire que le Canada n'est ni une puissance commerciale ni une puissance militaire. C'est un souverainiste québécois qui vous le dit. Toutefois, le Canada a quand même un historique de défense des droits de la personne.
Maintenant, nous avons parlé de l'implication directe ou indirecte du Canada dans la violation des droits de la personne aux Philippines. Il y a des allégations contre des sociétés minières canadiennes qui exercent leurs activités sur le sol des Philippines et qui violeraient les droits de la personne.
Êtes-vous au courant de ces allégations? J'aimerais que le Comité entende vos commentaires là-dessus.
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Si je comprends bien ce que vous me dites, monsieur Agustin, non seulement le Canada soutient un gouvernement qui, lui, commet des exactions et des violations des droits de la personne, mais, en plus, il est incapable de contrôler ses propres sociétés minières qui exercent leurs activités sur le sol philippin et qui violent les droits de la personne. C'est quand même assez paradoxal et contradictoire.
Vous avez également parlé de personnes originaires des Philippines qui subissent, à l'étranger, de la répression transnationale de la part du gouvernement philippin. N'est-ce pas là, encore une fois, un immense paradoxe?
Sur la plupart des tribunes, le Canada dit que la Chine s'est ingérée, entre autres, dans notre système électoral et qu'elle a commis des cyberattaques contre le Canada. Le Canada dénonce le fait que la Chine commet de la répression transnationale, mais, en même temps, il soutient un gouvernement qui agit exactement de la même façon que Pékin.
Ne trouvez-vous pas qu'il s'agit là d'une immense contradiction, d'un immense paradoxe en ce qui concerne la position du Canada?
Je pense qu'il est juste de dire que les politiques et les mouvements de la Chine dans ces domaines sont préoccupants. Je pense que le défi pour le Canada et d'autres puissances moyennes consiste à trouver une façon de travailler dans la sphère diplomatique, parce qu'il n'existe pas de solutions militaires à cet égard.
Le Canada pourrait peut-être faire jouer davantage la diplomatie en collaborant avec d'autres puissances moyennes afin de trouver des moyens de faire face à la Chine dans les dossiers qui nous préoccupent et de travailler avec les États-Unis. Je sais qu'une nouvelle administration s'en vient. Il y aura des défis liés à la collaboration, mais aussi des possibilités.
J'ignore quelle serait l'autre solution si nous ne recourons pas à la voie diplomatique. Comme vous l'avez souligné, nous ne sommes pas une puissance militaire. Nous ne pourrons pas vraiment changer les choses. Nous travaillons mieux lorsque nous collaborons avec nos alliés et dans le cadre d'alliances. C'est la réalité à laquelle nous devons composer.
Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas préoccupés et que nous ne devrions pas nous occuper de notre propre sécurité nationale et de notre propre défense. C'est ce que nous faisons, d'ailleurs. Nous excellons particulièrement dans le domaine de la cybersécurité et nous gardons l'œil sur la menace émanant de la République populaire de Chine. La diplomatie n'est toutefois pas facile. Nous devons trouver des moyens de travailler avec nos alliés pour réagir le mieux possible aux mouvements de la Chine et réfléchir aux manières dont nous pourrions le faire, que ce soit de façon multilatérale ou bilatérale, avec nos alliés.
Je pense qu'il y a des possibilités.
Il y a eu beaucoup de discussions et de mouvement pour comprendre les répercussions de l'intelligence artificielle sur l'armée et le ministère de la Défense nationale. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Je pense que nous sommes l'un des premiers pays à avoir une stratégie en matière d'intelligence artificielle, mais cette stratégie est plutôt un document d'orientation ou de vision. Elle ne nous dit pas vraiment quelles sont les politiques. Je crois qu'il faut maintenant travailler à élaborer ces politiques.
Nous avons les talents en intelligence artificielle, comme je l'ai dit plus tôt, et nous avons l'expertise juridique et technique requise. Je pense que nous pouvons être un chef de file dans ce domaine. Nous avons généralement joué un rôle de chef de file dans les discussions plus générales sur l'intelligence artificielle, mais dans les discussions relatives au domaine militaire, nous n'avons pas pris la place que nous pourrions prendre, selon moi, en raison des enjeux de capacité d'Affaires mondiales Canada et du ministère de la Défense nationale. Nous devons nous attaquer à ce problème.
Il faut à la fois tirer parti de l'intelligence artificielle pour la défense et tenir compte des répercussions éthiques et juridiques qui préoccupent nos alliés. Même dans le cadre des discussions des Nations unies, nous ne sommes pas à l'avant-plan en ce qui a trait aux préoccupations éthiques et juridiques, simplement parce que nous ne semblons pas avoir de vision politique sur la façon de procéder avec la technologie. Il faut une vision politique dans ce dossier. Ce n'est pas une question de manque d'expertise juridique ou technique.
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Les États-Unis sont un chef de file absolu en ce qui a trait aux applications de l'intelligence artificielle en matière de défense. Je ne pense pas que nous ayons le budget ou la capacité requis pour nous comparer aux États-Unis, parce qu'ils sont beaucoup plus avancés que tous les autres pays.
Toutefois, je dirais que notre situation est similaire à celle des États semblables au nôtre. Nous n'accusons pas de retard. Je pense que c'est une perception erronée. Nous investissons beaucoup dans la recherche sur l'intelligence artificielle, tant à des fins civiles que militaires. Une grande partie de cette technologie est à double usage, et elle passe donc du secteur civil au secteur militaire. Je pense que d'autres témoins aborderont plus tard le sujet de l'approvisionnement et ce qu'il signifie. Ce n'est pas une question sur laquelle je me concentre, mais je ne pense pas que nous ayons pris du retard dans ce domaine. Je pense que nous nous préoccupons grandement de l'intégration de ces systèmes, et que nous sommes à l'avant-garde dans notre réflexion à ce sujet.
Ce que nous constatons, cependant, c'est que certains pays comme les Pays-Bas et la République de Corée sont des chefs de file dans ces discussions internationales. Je pense que nous pourrions nous en inspirer un peu plus afin de trouver des façons d'accroître notre contribution, parce que c'est là que se trouve le décalage. Il n'est pas de nature technique, mais plutôt de nature réglementaire.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remarque que vous avez donné cet avertissement avant que je prenne la parole, ce qui donne à penser qu'il y a peut-être une raison à cela.
Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui. Merci beaucoup de votre présence.
Nous parlions des droits de la personne, et je sais que cela n'a peut-être rien à voir avec la défense, mais c'est un enjeu important pour moi. J'ai beaucoup travaillé avec M. Brunelle-Duceppe à la question des sociétés minières canadiennes et des répercussions qu'elles ont eues sur les droits de la personne aux Philippines et dans d'autres régions. Cependant, tenons-nous‑en à la défense.
Pourriez-vous nous parler un peu de la façon dont le Canada pourrait contribuer à la désescalade du conflit dans la mer de Chine méridionale, s'il vous plaît?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je suis reconnaissant de l'occasion qui m'est offerte de partager avec les membres du Comité mes réflexions sur la mise à jour de la politique de défense.
Je concentrerai mes commentaires sur trois engagements qui ont été pris depuis la publication de « Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada », en avril 2024. Ce comité peut suivre de près ces trois engagements et s'assurer que l'exécutif, quel que soit le parti au pouvoir, les respecte.
[Traduction]
Ces trois engagements sont les suivants: une stratégie d'acquisition de matériel militaire prêt à l'emploi pour le programme de sous-marins canadiens de patrouille, ou PSCP; la numérisation de la défense; et l'atteinte de l'objectif de 2 % du PIB pour les dépenses en défense d'ici 2032.
L'été dernier, le gouvernement a annoncé que le Canada procéderait à l'acquisition de nouveaux sous-marins. Une demande de renseignements a ensuite été transmise aux soumissionnaires potentiels. Cette demande indique que le gouvernement souhaite acquérir un modèle prêt à l'emploi avec un minimum de modifications. La stratégie actuelle est strictement axée sur l'acquisition des bateaux, puis sur la gestion de l'intégration des systèmes d'armes spécialisées ou l'intégration de nouveaux systèmes après leur livraison. Bien que cette stratégie comporte des risques notables en ce qui concerne les coûts d'intégration et d'adaptation futurs, elle constitue la bonne approche. Le fait est qu'il vaut mieux avoir des bateaux imparfaits que de ne pas en avoir du tout.
Je recommande donc au Comité de surveiller de près le PSCP afin de prévenir les efforts visant à canadianiser ou à modifier les bateaux avant leur livraison.
[Français]
Le ministère de la Défense nationale et les forces armées progressent également sur la voie de la numérisation de la défense, du moins en théorie. Cet effort doit devenir une priorité, sinon les Forces armées canadiennes ne seront pas en mesure d'exploiter pleinement leurs nouvelles flottes, et le Canada se laissera distancer par ses principaux alliés.
En effet, ce comité devrait pousser le gouvernement à mettre en avant une stratégie globale de numérisation pour l'ensemble de la communauté de sécurité nationale, ce qui pourrait nécessiter de repenser les politiques existantes en matière de souveraineté des données.
Si le Canada n'accélère pas ses efforts de numérisation, il ne pourra pas pleinement interopérer avec ses alliés, et ses arguments en faveur de l'adhésion du deuxième pilier de l'accord AUKUS seront affaiblis.
[Traduction]
Enfin, le Comité a un rôle important à jouer pour veiller à ce que le Canada atteigne la cible de 2 % du PIB pour les dépenses en défense. Le Canada n'atteindra cet objectif que s'il y a un consensus entre les partis. Il est essentiel que le Comité parle d'une seule voix de la nécessité d'atteindre la cible et de demander des comptes à tous les gouvernements lorsqu'ils ne la respectent pas.
Je me contenterai de dire que les résultats de l'élection présidentielle de mardi aux États-Unis renforcent l'importance d'atteindre cet objectif, afin que le Canada ne subisse pas les conséquences économiques d'être perçu comme un traînard en matière de défense.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Mon intention est de critiquer le statu quo, afin que nous puissions en tirer des leçons et peut-être, pendant la période des questions, discuter de solutions.
Essentiellement, à mon avis, les valeurs de « Protection, Sécurité, Engagement », les précurseures de la politique de défense actuelle, n'ont rien apporté de substantiel pour l'équipement militaire moderne. En fait, le Canada est devenu plus faible, plus incertain et essentiellement absent des troupes déployables nécessaires pour les missions des Nations unies ou, bien sûr, de l'OTAN.
La mise à jour de la politique de défense de 2024 intitulée « Notre Nord, fort et libre » n'est pas mieux, malheureusement, en ce sens qu'elle promet de l'équipement dont nous avons un besoin urgent dans des années, mais rien aujourd'hui. En effet, les dépenses de défense de 2024 seront inférieures à celles de 2023.
Évidemment, nous sommes bien au courant de ce qui vient de se passer aux États-Unis. Tant les républicains que les démocrates sont unis et se font de plus en plus entendre pour dire au Canada à quel point ils sont déçus et frustrés et à quel point ils en ont assez de l'incapacité du Canada à se défendre et à défendre ses alliés, en mentionnant particulièrement l'Arctique.
Entretemps, comme nous le savons — et j'ai participé aux dernières renégociations de l'ALENA —, les négociations arriveront à échéance à un moment où divers acteurs clés au sud de la frontière ont clairement indiqué qu'un minimum de 3 % se profile peut-être à l'horizon et que la défense, la sécurité, le commerce et la sécurité frontalière sont tous interreliés.
En cette période de crise internationale, avec ce qui se passe au Moyen-Orient et en Ukraine, l'état de préparation militaire du Canada est à son plus bas niveau en 50 ans. L'an dernier, en 2023, le Canada a dépensé plus d'argent pour des consultants et des services professionnels qu'il n'en a dépensé pour l'armée, la force maritime et la force aérienne combinées, ce qui, bien franchement, est de la folie.
Plus de 50 % des parcs de véhicules de l'armée sont en attente de pièces de rechange et de techniciens. La force maritime a énormément de mal à garder une poignée de vieux navires de guerre en mer, en particulier dans la région indo-pacifique, et elle manque désespérément de marins formés. La force aérienne n'est pas en mesure de participer à d'importants exercices de dissuasion de l'OTAN, que ce soit dans le Nord ou au‑dessus des océans, en collaboration avec nos amis et alliés. En effet, elle n'a pas les pilotes, les pièces de rechange ou l'argent nécessaires pour faire voler les aéronefs.
Dans l'Arctique, qui est beaucoup plus grand que l'Europe, le Canada compte moins de 300 employés de soutien militaire, ce qui n'est pas dissuasif. Ils ne sont essentiellement pas armés. Certains d'entre eux travaillent à temps partiel, et on peut les remercier. Il y a environ 1 600 Rangers canadiens équipés de motoneiges et de fusils, qui ne sont pas des combattants. Leur rôle est d'observer et de faire des rapports.
En fin de compte, le Canada ne dispose pas d'éléments de combat assignés en permanence pour dissuader la présence potentielle des Russes ou des Chinois, qui se rendent de plus en plus souvent dans nos eaux, mais d'autres pays sont bien organisés. La Russie, en particulier, compte entre 25 000 et 35 000 soldats de combat déployés dans son Arctique, et est munie d'énormes quantités d'équipement opérationnel pour les forces aérienne, terrestre et maritime.
Les États-Unis, heureusement, comptent 22 000 professionnels militaires à temps plein et à temps partiel qui disposent de plus d'équipement que l'ensemble des Forces canadiennes pour les combats. Je remercie les États-Unis de défendre notre Arctique.
Nous sommes confrontés à des dangers et à des défis sans précédent et, bien franchement, je ne vois chez le gouvernement aucun sentiment d'urgence à changer, à modifier ou à réorienter ses efforts pour soutenir et aider les Forces canadiennes.
Voici quelques faits.
Moins de 35 de nos militaires sont déployés dans des missions de l'ONU. En 2003, nous en avions près de 2 500. Nous sommes le seul pays de l'OTAN dont le niveau de préparation opérationnelle militaire diminue, alors que celui de tous les autres pays monte en flèche.
Notre système d'approvisionnement est le plus lent et le moins efficace de l'OTAN — en fait, de tous les pays que j'ai pu trouver. Nous sommes le seul pays de l'OTAN à ne pas avoir de plan chiffré pour atteindre 2 % du PIB, ce qui a été accepté pour la première fois par le ministre de la Défense en 2008 et réitéré en 2014, 2015, 2016, 2017... Je pourrais continuer.
Nous sommes le seul pays de l'OTAN dont le a admis publiquement qu'il ne pouvait pas convaincre ses collègues du Cabinet de l'importance des dépenses en défense de l'OTAN et des 2 % du PIB. Comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes le seul pays de l'OTAN dont le budget de défense a diminué cette année.
Monsieur le président, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Le Canada consacre des sommes considérables aux aspects généraux de la défense. Comme vous le savez bien, en 2017, l'OTAN a modifié les règles selon lesquelles toute une série de postes budgétaires liés à la lutte et à la victoire des guerres par les nations étaient comptabilisés dans les dépenses de défense: les pensions des vétérans, certaines des agences de soutien, et j'en passe.
Ce que nous devons faire, c'est remettre en question le rendement des investissements canadiens en défense. Le rendement dépend d'un grand nombre de facteurs. Il comprend de pouvoir compter sur des hommes et des femmes bien formés, aptes et compétents qui sont prêts à aller outre-mer et à réaliser des actes dangereux en notre nom. Ils doivent avoir les installations, la formation, les infrastructures et l'équipement adéquats, ainsi que l'argent pour acheter des munitions.
D'ailleurs, comment se porte ce contrat de munitions? Je suis désolé. Je vous pose une question. C'est injuste.
Nous n'en avons pas pour notre argent. Pourquoi? Si un pays dépense plus pour des services professionnels et des consultants que pour l'armée, la marine et la force aérienne combinées; si un pays a augmenté son nombre de fonctionnaires de plus de 40 % depuis 2015 à un coût maintenant stupéfiant; et si un pays est doté essentiellement d'un système d'approvisionnement en matière de défense qui est sans doute l'un des pires au monde pour l'achat de gros équipements comme le matériel de combat, les aéronefs, les navires et les sous-marins... Soit dit en passant, les preuves sont irréfutables. Rien n'indique que le gouvernement actuel a acheté un vaste et complexe système d'armes modernes au cours de la dernière décennie.
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Merci, monsieur le président.
Bienvenue à nos témoins.
Général Leslie, cet été, j'ai eu l'occasion de visiter le centre de recrutement, ici à Ottawa. Le personnel y fait un travail remarquable. Les recruteurs semblent faire un excellent travail pour encourager les gens à présenter leur candidature. On a rapporté à maintes reprises que près de 70 000 candidatures ont été reçues au cours d'une année civile, mais que seulement 5 000 personnes ont complété le processus.
J'aimerais avoir vos observations sur les façons de corriger la situation. Je ne veux pas parler d'obstacles d'ordre administratif, mais comment peut‑on régler ce problème, sachant que cela ne découle pas d'un manque d'intérêt des gens?
Il semble y avoir des problèmes internes liés à l'examen des candidatures. La question est abordée dans la mise à jour de la politique de défense. On y présente les changements et les recommandations qui, espérons‑le, permettront de régler ce problème, en tout ou en partie. Pourrais-je avoir votre opinion sur cette question précise?
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Oui, et je suis ravi d'en parler. Je vais peut-être trahir mon âge, mais quand je me suis enrôlé dans les Forces armées canadiennes, il y a bien longtemps, il m'a fallu quatre ou cinq jours pour remplir les formulaires. Les appareils portables et les médias sociaux n'existaient pas à l'époque.
Au plus fort de la guerre en Afghanistan, près de 5 000 soldats étaient déployés. Nous avions moins d'argent et une force plus petite. Nous achetions du nouvel équipement un peu partout. Nous avons décentralisé le recrutement. Essentiellement, ce rôle a été confié aux unités de la Réserve, étant donné leur proximité avec le bassin de population, contrairement à la Force régulière. Quant à la Force régulière, nous avons mobilisé activement les bataillons et les régiments, et nous avons fait preuve d'intransigeance quant à l'acceptation des risques.
Faut‑il être en parfaite santé pour s'enrôler dans les Forces armées canadiennes? La réponse est non, mais il y a facteurs susceptibles d'entraîner un refus. De quoi s'agit-il? Cela peut être de suivre une partie de l'instruction simultanément, d'accepter le risque de duplication, de veiller à ce que personne ne se blesse avant l'obtention du diplôme, puis aller de l'avant. La vérification des antécédents prend beaucoup trop de temps. Quel est le risque réel qu'un soldat connaisse tel ou tel individu, sachant qu'on parle de systèmes d'armement qu'on peut facilement se procurer dans divers bazars internationaux?
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins.
Monsieur Lagassé, en 2023, vous avez écrit un article intitulé « Defence Policy and Procurement Costs: The Case for Pessimism Bias ».
C'était quelques mois avant que la politique de défense soit annoncée. Vous avez dit que le ministère, lorsqu'il faisait un budget, était plutôt optimiste, mais qu'il devait peut-être changer son fusil d'épaule, si vous me permettez l'expression, et être plus pessimiste.
Quand vous avez vu la nouvelle politique, avez-vous considéré que le ministère avait pris en compte l'article que vous aviez écrit quelques mois auparavant?
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Je crois que non, et je vais vous donner un exemple.
Nous venons d'apprendre de la part d'un des hauts fonctionnaires du Parlement que même les projections en ce qui concerne l'atteinte de l'objectif de 2 % du PIB pour les dépenses de défense d'ici 2032 sont basées sur des analyses selon lesquelles l'économie canadienne sera en récession. C'est une autre façon d'interpréter la situation. On va atteindre la cible parce qu'on tient certaines choses pour acquises sur le plan économique et qu'on ne tient pas compte de différents scénarios. Je dois malheureusement répondre à votre question par la négative. On va voir ce qui va se passer du côté du budget, par exemple, en ce qui a trait aux sous-marins, mais j'estime également qu'on va être assez optimiste.
Cela fait partie d'une culture selon laquelle on veut toujours aller de l'avant et on ne veut pas donner de réponses directes et honnêtes, surtout au ministère des Finances. Ce dernier veut toujours qu'on dépense moins et le ministère de la Défense nationale veut toujours avoir l'approbation, la permission du gouvernement pour mettre en œuvre des projets. Cela crée donc un scénario où le ministère de la Défense nationale indique qu'un projet coûte beaucoup moins afin d'avoir l'approbation du ministère des Finances pour une ligne budgétaire. Cela crée des scénarios, comme le général le disait, où on se retrouve avec plusieurs projets alors qu'on n'a tout simplement pas le budget nécessaire pour les mettre en œuvre. Autrement dit, il manque d'argent. Même si le projet est bien conçu et qu'il est prêt à être mis en œuvre, on décide de ne pas avancer, parce qu'on n'a tout simplement pas les fonds nécessaires pour répondre aux besoins.
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Je vous remercie tous les deux de comparaître aujourd'hui.
Je suis toujours disposée à parler davantage de ces fameux ou arbitraires 2 %, peu importe comment vous voulez les qualifier. Pour des raisons évidentes, le Canada a fait l'objet de beaucoup de pressions pour atteindre cette cible, et je pense que nous pourrions y arriver grâce aux dépenses à venir, possiblement, notamment pour les F‑35, les sous-marins, etc.
Au Comité, il a longuement été question de l'extraordinaire crise de recrutement et de rétention qui sévit actuellement. Il y a une crise du logement militaire. Il manque beaucoup d'équipement aux militaires sur le terrain pour faire le travail qui leur est demandé. Nous avons considérablement recours à la sous-traitance et à des experts-conseils. Je pense, général, que c'est en partie lié au point que vous avez soulevé. Il y a eu des compressions, puis une expansion, mais c'est insuffisant pour satisfaire aux besoins. Je suis convaincue que cela découle du recours aux experts-conseils externes. C'est mon opinion.
Êtes-vous d'accord pour dire que l'atteinte des 2 % par l'intermédiaire des grands projets d'acquisition ne suffit pas? Que devons-nous faire pour concentrer nos efforts et veiller à faire ce dont les gens sur le terrain ont réellement besoin?
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Je suis profondément et sincèrement reconnaissant des efforts du Comité de mettre en lumière certains enjeux qui revêtent de plus en plus d'importance pour les Canadiens ordinaires. Malheureusement, ce n'est pas tâche facile, car fondamentalement, la plupart des Canadiens ignorent tout des questions de défense. Très franchement, je ne pense pas que le gouvernement ait fait beaucoup pour conscientiser les Canadiens quant aux conséquences du non-respect de nos obligations, de nos promesses.
N'oublions pas cela. En 2008, par l'intermédiaire du ministre de la Défense, nous avons promis que nous respecterions nos engagements. La promesse a été répétée en 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022. Oups! En 2023, nous avons annoncé que nous n'atteindrions pas la cible avant 2032, une date arbitraire choisie par le pour se tirer d'embarras lors de sa visite à Washington.
Il n'y a rien dans le cadre fiscal qui indique que le gouvernement du Canada est sérieux et veut véritablement atteindre ces 2 %. Si cela ne figure pas dans le cadre fiscal, ce sont des paroles en l'air. Où est le contrat de munitions? Vous parlez d'une idée facile à vendre! C'est représentatif. C'est typique. Les gens ont perdu de vue l'apport réel requis des Forces canadiennes. C'est sur cette base que nous devrions être évalués. Très franchement, c'est en fonction de cela que nos alliés nous évaluent.
Lorsqu'on se lamente de ne pas pouvoir atteindre les 2 % d'ici 2024, le reste de l'OTAN s'en moque, car nous avons promis que nous pourrions le faire et que nous y arriverions, et voilà où nous en sommes. Je pense que nous nous retrouverons dans une situation étonnamment difficile au cours des deux prochains mois, alors que nous subirons un barrage de questions très difficiles dans le contexte de la défense nord-américaine, de notre contribution à l'OTAN et du libre-échange nord-américain. Toutes ces choses sont liées, mais beaucoup de Canadiens ne voient pas les choses du même œil.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux deux témoins d'être venus répondre à nos questions.
La mise en place de mesures pour atteindre l'objectif de 2 % beaucoup plus tôt que prévu occasionnerait des dépenses colossales. Je suis d'accord pour dire que nous devons travailler en vue de cet objectif et en arriver à un état de préparation approprié compte tenu de la situation dans le monde et des résultats des élections américaines.
Toutefois, pour aller de l'avant, il faut que la population appuie un tant soit peu les dépenses. Je me demande quel message le gouvernement devrait commencer à envoyer au grand public. Les réunions des comités sont pratiquement le seul espace public où se tiennent ces conversations et où les Canadiens peuvent s'informer sur ces questions. Par contre, je ne pense pas que tout le monde les suive.
Quels arguments devrait-on invoquer pour rallier les gens à un changement d'orientation aussi considérable?
Ma question s'adresse aux deux témoins.
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Je ferais valoir en premier lieu que des développements notables se sont produits, mais que ces développements n'ont pas bien été compris. C'est sur cet aspect que mon point de vue diffère un peu de celui du général Leslie.
Parmi les nouvelles capacités, certaines ne sont pas encore en service, mais au cours des dernières années, nous avons acheté de nouveaux avions de ravitaillement en vol et des avions de patrouille maritime. Nous avons commandé 88 chasseurs F‑35. Nous avons des drones pour l'Arctique de même que des véhicules MRZR pour les forces spéciales. Nous allons obtenir un certain nombre de brise-glaces polaires et de brise-glaces de programme. Nous faisons également l'acquisition d'un système de satellites pour le projet Polar Epsilon. La liste est longue.
Je suis étonné de voir persister cette idée — qui me rappelle les indicateurs tardifs diffusés pendant la pandémie de COVID — selon laquelle les Forces armées canadiennes sont mal équipées et qu'elles tombent en morceaux. Cette perception n'est pas erronée à l'heure actuelle parce que nous accusons un retard d'une décennie ou d'une génération sur le plan des capacités militaires. Par contre, dans 10 ou 15 ans, un grand nombre de capacités seront ajoutées à notre arsenal.
Il faut au moins essayer de décrire les choses sous un angle positif. Si nous lançons un message trop négatif, autant jeter l'éponge. Il faut reconnaître que des efforts sont déployés pour renflouer l'armée canadienne. Si nous voulons que les Canadiens s'enrôlent dans les forces et les soutiennent, il faut leur dire que nous achetons de nouveaux équipements. Pourquoi les Canadiens voudraient-ils se joindre à une armée sous-équipée? Pourquoi s'enrôler dans une armée dont on dit continuellement qu'elle est sur le point de s'effondrer?
Il ne faut pas occulter les problèmes, mais il faut aussi reconnaître au moins les progrès accomplis. Deux gouvernements sont impliqués. De nombreuses personnes peuvent s'attribuer le mérite. Si nous nous concentrons uniquement sur ce qui va mal et que nous n'essayons pas de démontrer les progrès accomplis... Ce n'est pas suffisant, mais les choses s'améliorent. Il faut relater ce pan essentiel de l'histoire si nous voulons que les Canadiens se joignent aux forces armées.
Je suis quelqu'un de plutôt pessimiste. D'aucuns seraient surpris de m'entendre prononcer ces paroles.
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Je dirais qu'un de nos principaux problèmes, c'est d'essayer de tout faire — et nous cherchons à le faire avec un budget très limité.
Comme je l'ai dit à bien d'autres tribunes, nous aimons penser que nous sommes l'Australie de l'Amérique du Nord, alors qu'en réalité, nous sommes la Nouvelle‑Zélande de l'Amérique du Nord. Je veux simplement dire par là qu'il vaut mieux reconnaître que si nous dépensons seulement 1,5 % de notre PIB pour la défense — ce qui a été le cas par le passé —, nous devrions peut‑être focaliser sur des secteurs et des contributions en particulier et faire de notre mieux de cette manière. Nous pourrions nous concentrer sur l'Arctique, ce que les États‑Unis nous demandent de faire avec toujours plus d'insistance. Nous pourrions aussi jouer d'autres rôles précis. Je ne sais simplement pas comment nous pourrions continuer comme cela, en dépensant moins que ce que nous disons et en tentant d'appliquer une politique de 2,5 % du PIB pour la défense, alors que nous ne dépensons que 1,5 % de notre PIB.
Je dirais que nous devons choisir des rôles et des contributions précis et y travailler en faisant de notre mieux, au lieu d'essayer de tout faire.
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Je comprends ce que le professeur a dit, et c'est très logique. Cependant, c'est très difficile de prévoir l'avenir, donc il faut se garder de la flexibilité dans la suite de cartes qu'on pourrait jouer.
Bien sûr, il ne faut pas oublier la valeur de la diplomatie, d'un corps diplomatique bien doté et engagé, et de l'aide internationale. Un autre pilier, si l'on veut, c'est les capacités de défense ou de dissuasion. Il se pourrait qu'un jour, dans 5 ou 10 ans, on veuille se concentrer davantage sur les Nations unies, soit en général, les capacités terrestres. Il se pourrait qu'on veuille peut-être appuyer une force de l'OTAN, qui opère d'habitude en milieu terrestre, en plus de compter sur quelques capacités aériennes et marines.
La souveraineté exige qu'on focalise beaucoup plus sur la surveillance, qui met en jeu des satellites et la force aérienne. Il faut aussi surveiller ce qui se trouve à la surface de l'eau et en dessous, un travail qui revient essentiellement à la marine. Cela demande toujours de déployer des soldats, mais en bien plus petit nombre que pour d'autres opérations.
Il faut avoir de la flexibilité quand on bâtit ses forces pour pouvoir effectuer différentes missions. Il faut trouver un équilibre. Je dirais qu'à l'heure actuelle, comme le professeur l'a dit, nous ne faisons rien de très bien.
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Ce sont des commentaires affreux pour terminer la réunion: nous ne faisons rien de très bien. Il me semble que Mme Gallant va sauter sur cette citation pour en faire le titre de notre étude.
Je tiens à vous remercier tous les deux au nom du Comité pour nous avoir parlé de cet enjeu, un enjeu d'actualité bien réel.
Je pense que Mme Lapointe ou Mme Lambropoulos a dit, à la grande surprise de tous ici, que ce ne sont pas tous les gens au Canada qui suivent les délibérations de ce Comité. Je sais qu'il devrait le faire, et c'est choquant qu'ils ne nous écoutent pas. Il faut faire passer le message. Je suis particulièrement reconnaissant envers M. Lagassé de nous rappeler que nous avons un certain nombre de réalisations à notre actif.
Cela me rappelle une expérience que j'ai vécue aux États‑Unis. J'y dirigeais une délégation de parlementaires. Mon coprésident témoignait devant le comité des affaires étrangères et a dit: « Ces sacrés Canadiens, ils ne dépensent pas les 2 %. Je vais les rencontrer cet après‑midi et je vais leur faire savoir. » Cet après‑midi‑là, nous nous sommes tous réunis dans son bureau et, comme on pouvait s'y attendre, Bill a dit: « Je présume que vous êtes ici à cause de ce que j'ai dit. » Eh bien, c'était aussi pour d'autres raisons, mais après qu'il nous a sermonnés, j'ai utilisé la liste des choses que nous avons accomplies de M. Lagassé. J'ai fait valoir que nous avions presque tout acheté de lui.
Je ne pense pas que ce soit un échec cuisant, mais vous nous avez tous les deux brillamment parlé de cet enjeu et avez apporté une réelle contribution à notre étude.
Sur ce, la séance est levée.