:
Mesdames et messieurs, je déclare la séance ouverte. Merci de votre patience. Je l’apprécie.
Comme vous le savez, des votes sont prévus et les votes ont préséance sur tout le reste. De plus, chers collègues, sachez que notre ancienne députée, Mme Normandin, a eu son bébé.
Des voix: Félicitations!
Le président: Il s’appelle Léopold, rien de moins, comme un prince belge.
N’est‑ce pas une bonne idée? N’y a‑t‑il pas là un bon lien à faire? Non?
Cela vous montre toutefois que notre comité est le plus productif de la Colline.
:
Oh, cela arrive de temps en temps.
Sur ce, nous accueillons trois témoins: Eileen Beauchamp, Gary Goode et le colonel retraité, David Salisbury.
Je vais simplement vous appeler dans l’ordre où j'ai mentionné vos noms. Vous aurez cinq minutes chacun.
Madame Beauchamp, c'est à vous pour cinq minutes.
Vous êtes en sourdine, madame.
:
Bonjour, distingués membres du Comité. Je vous remercie de me donner l’occasion d’aborder cette question cruciale concernant les sites contaminés actuels et hérités de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes.
Je m’appelle Eileen Beauchamp et j'entends vous parler de ce qui me rattache à ce dossier. Mon père, un vétéran de la guerre de Corée, a servi dans les Forces armées canadiennes de 1951 à 1975, notamment à la BFC Gagetown dans les années 1960. Notre famille a vécu dans des logements familiaux à la BFC Gagetown de 1962 à 1969, et nous avons participé à des activités récréatives sur place. Bon nombre de ces activités se déroulent dans des zones qui, plus tard, allaient être désignées des zones de pulvérisation de produits chimiques dangereux, comme l’agent orange.
Malheureusement, ma famille a dû faire face à de graves problèmes de santé au fil des ans, notamment à des cancers et autres. Tout au long de ma vie, on m’a diagnostiqué de multiples maladies liées au système endocrinien, comme des maladies auto-immunes. En octobre et en novembre 2017 on m'a diagnostiqué trois cancers: un mélanome, un cancer du sein et un lymphome non hodgkinien. Les lymphomes non hodgkiniens sont associés aux expositions à des produits chimiques.
Mon expérience n’est pas unique, car un nombre incalculable de militaires, de vétérans, de membres de familles de militaires et de civils passés par la BFC Gagetown ont dû faire face aux mêmes problèmes et maladies.
L’histoire de la contamination de la BFC Gagetown s’étend sur des décennies. De 1956 à 2004, on a procédé à une pulvérisation intensive d’herbicides avec des produits chimiques comme l’agent orange, de nombreuses autres dioxines, le DDT et des glyphosates. Bon nombre de ces produits chimiques nocifs, en particulier les dioxines, sont des cancérogènes connus.
Bien que l'enquête de 2005 ait eu pour objet d'examiner une partie de ces expositions, certains pans assez importants demeurent inexplorés. L’accent a surtout porté sur l'utilisation de l’agent Orange en 1966 et 1967, malgré les preuves de pulvérisations chimiques antérieures et postérieures. Entre 1956 et 1984, plus de 6 500 barils de produits chimiques nocifs ont été pulvérisés sur environ 181 000 acres, sans égard particulier pour les répercussions plus générales sur l’environnement et la santé. Les méthodes d’analyse omettaient des facteurs cruciaux comme la mesure des dioxines présents dans les tissus adipeux des espèces consommées, tissus dans lesquels ces toxines s’accumulent. L'enquête a permis de répondre à certaines préoccupations liées à la contamination, mais de grandes questions se posent encore. Ainsi, la portée chronologique et environnementale de l’exposition n'a pas été examinée, ce qui n'a pas vraiment permis de recenser toutes les personnes touchées ni les impacts à long terme.
En 2007, un programme de paiement de faveur forfaitaire a été mis en œuvre; cependant, la disposition de temporisation a mis fin aux demandes en décembre 2011, excluant les personnes ayant contracté une maladie plus tard. Les différences de traitement entre le MDN et Anciens Combattants Canada en ce qui concerne la reconnaissance et l’indemnisation des maladies d’exposition ont contribué à accroître le niveau de confusion et de frustration chez les demandeurs.
L’inventaire des sites contaminés fédéraux ne saisit pas entièrement la portée de la contamination héritée à la BFC Gagetown. Ce défaut empêche de faire un suivi efficace des résultats en matière de santé liés à l’exposition, ce qui nuit aux efforts visant à étudier les répercussions à long terme et à offrir du soutien au personnel militaire, aux anciens combattants, aux familles et aux civils touchés.
Grâce au travail de sensibilisation par des groupes comme Brats in the Battlefield et aux enseignements tirés des pratiques internationales, j’ai mis la main sur ce qui pourrait être une solution: le PACT Act américain. Cette loi prévoit le versement de prestations bonifiées aux anciens combattants exposés à des substances toxiques, ce qui simplifiera les soins de santé et l’indemnisation. Le Canada pourrait adopter un cadre semblable pour améliorer les systèmes de soutien. Des études, comme celle de l’université Massey en Nouvelle-Zélande, portant sur les anciens combattants du Vietnam, révèlent les effets génétiques et multigénérationnels de l’exposition à des substances toxiques, ce qui souligne l’importance d’une recherche soutenue et de mises à jour stratégiques.
L’héritage de la contamination à la BFC Gagetown a profondément marqué les familles des militaires, les vétérans et les civils. Ces personnes méritent d’être reconnues, de connaître les faits et d’obtenir justice. Pour cela, il faut adopter une approche intégrée, compatissante et avant-gardiste.
J’exhorte le Comité à accorder la priorité à cette question, en favorisant la transparence, de meilleurs systèmes de soutien et des solutions législatives pour lutter contre les contaminants présents à la BFC Gagetown et ailleurs.
Je vous remercie de votre attention.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Bonjour, monsieur le président et distingués membres du Comité et merci de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui sur cette question des sites contaminés actuels et anciens qui relèvent de la responsabilité du ministère de la Défense nationale
Je suis fier de témoigner aujourd’hui au nom des Brats In The Battlefield et de tous ceux qui ont subi les effets néfastes des produits chimiques nocifs employés à Gagetown.
Je me suis engagé dans les Forces armées canadiennes moins de trois mois après avoir fêté mon 18e anniversaire. J'ai servi mon pays sous l'uniforme durant un peu moins de trois ans et demi. J'ai été stationné à la BFC Gagetown. J’ai servi au sein du 2e Bataillon Black Watch et j’ai été réaffecté au Royal Canadian Regiment au cours de ma dernière année de service.
Pendant mon temps comme fantassin, j'ai passé des semaines entières à évoluer dans la zone d’entraînement et dans les champs de tir. Il nous est arrivé, des jours durant, de creuser des tranchées et de ramper dans les zones d’entraînement saturées de produits chimiques. Lors des entraînements d'été, nous inhalions la poussière en suspension qui était omniprésente. L’ensemble de la zone d’entraînement et des champs de tir étaient régulièrement pulvérisés avec du 2,4‑D et du 2,4,5‑T, du Tordon 101 et du Tordon 10K. Ces produits chimiques étaient mieux connus sous les noms d’agent Orange, d’agent Violet et d’agent Blanc.
Ces mélanges chimiques ont été largement répandus sur 181 038 acres dans les zones d’entraînement de la BFC Gagetown
Les gouvernements qui se sont succédé au fédéral et le MDN voudraient vous faire croire qu'il n'y a jamais eu plus que deux barils et demi d’herbicides Tordon, 2,4‑D et 2,4,5‑Thautement toxiques, de pulvérisés par les Américains à Gagetown.
Le document DND‑A-2004-00207, que le ministère de la Défense nationale avait prétendu avoir perdu, montre qu’entre 1956 et 1984, le ministère a pulvérisé 6 504 barils des mêmes produits chimiques hautement toxiques que les Américains avaient utilisés au Vietnam. En vérité, les gouvernements fédéraux successifs et le ministère de la Défense nationale ont pulvérisé plus de ces produits chimiques hautement toxiques à l’acre à la BFC Gagetown que l’armée américaine n’en a pulvérisé par acre au Vietnam, pendant toute la guerre.
Le 24 janvier 1985, le MDN a informé le cabinet du Nouveau-Brunswick de l’utilisation de défoliants à la BFC Gagetown. On en trouve le détail aux pages 75 à 90 du document A‑2004-00207 du MDN, qui a été obtenu par le biais d'une demande d'accès à l'information. Ce document comptait 167 pages, mais 85 d'entre elles n'ont pas été remises. Nous aimerions les voir.
Au cours de la séance d’information, le major M. Rushton a admis qu’en 1964, le gouvernement et le ministère de la Défense nationale étaient préoccupés par la présence de dioxine dans le 2,4,5‑T. Il a déclaré qu’à l’époque, le gouvernement connaissait peu les produits chimiques utilisés et leurs effets sur les humains et l’environnement. La substance chimique 2,4,5‑T est un précurseur de dioxine.
Lors de la même séance d’information, le 24 janvier 1985, M. Walter a déclaré qu’en 1983, le quartier général de la Défense s’inquiétait du risque de dommages environnementaux causés par la migration et la persistance du picloram, qui est le principal ingrédient des boulettes Tordon. Plusieurs autres établissements de défense ont démontré que, dans des sols particulièrement sablonneux, ces produits ont tendance à migrer.
À elle seule, cette déclaration remet en question l'affirmation du gouvernement fédéral et de la Défense nationale voulant que ces produits chimiques n’aient pas été pulvérisés sur aucune autre base militaire au Canada. Dès 1964, le gouvernement canadien, le cabinet du Nouveau-Brunswick et le ministère de la Défense nationale savaient que ces produits chimiques étaient toxiques et persistants, mais ils n’ont rien dit. Ils n’ont rien fait pour prévenir d’autres expositions, maladies et décès.
Le Dr Dwernychuk, qui est probablement l’autorité de référence en la matière, a déclaré à maintes reprises aux médias que cela ne faisait aucune différence si ces produits chimiques étaient homologués pour une utilisation au Canada: ils n’auraient jamais dû être pulvérisés. Il a précisé que la dioxine pouvait demeurer active dans le sol durant un siècle et que les soldats dans la zone d’entraînement, et les civils dans le secteur, ont dû en subir les conséquences. Selon lui, l’exposition à ces produits chimiques peut modifier notre ADN et avoir des effets sur 7 à 10 générations.
Mme Meg Sears a déclaré que l'enquête menée à Gagetown a comporté de graves lacunes et que la base était toujours contaminée. Le gouvernement canadien et le ministère de la Défense nationale ont fait appel à l’industrie chimique pour évaluer les risques pour la santé découlant de l’utilisation de produits chimiques nocifs à Gagetown. Ils ont appelé cela une étude indépendante et impartiale. Notre gouvernement a ensuite embauché le fondateur même de l'entreprise responsable de l'étude pour lui confier la direction d'un examen par les pairs du travail qu'il venait d'effectuer à Gagetown. À mon avis, il s’agit là d’un conflit d’intérêts qui illustre clairement la nécessité de lancer une enquête publique entièrement indépendante en vue d'établir les faits.
Brats in the Battlefield espère que la formation d'un comité permanent d'enquête, qui se fait attendre depuis longtemps...
Je vous remercie de me donner l'occasion d'aborder la question cruciale de la protection de la santé du personnel militaire du Canada au moyen d'une approche axée sur la santé de la population en ce qui concerne les risques environnementaux.
Je m'appelle David Salisbury. J'ai servi dans les services médicaux des Forces armées canadiennes pendant plus de 28 ans. Après avoir commencé à travailler comme médecin militaire généraliste et médecin de vol, j'ai obtenu une maîtrise en santé au travail et un certificat de spécialisation aux États-Unis, ainsi qu'une bourse du Royal College au Canada en médecine aérospatiale et en médecine communautaire.
Pendant cinq ans, j'ai été commandant du Centre de médecine environnementale des Forces canadiennes à Toronto et, avec le lieutenant Greg Cooke, j'ai conçu et mis en œuvre la nouvelle Direction — Protection de la santé de la Force au sein de la Direction générale des services de santé au début des années 2000.
J'ai pris ma retraite des Forces armées canadiennes en 2004, à titre de directeur de cette organisation, pour entrer dans la vie civile à titre de médecin chef en santé publique à la ville d'Ottawa.
Cela fait plus de 20 ans que je n'ai pas porté l'uniforme, mais mon intérêt pour la médecine du travail et la santé publique ainsi que ma préoccupation pour la santé des hommes et des femmes en uniforme ne se sont pas démentis.
Aujourd'hui, je me concentrerai sur les menaces pour la santé auxquelles nos troupes sont confrontées, particulièrement celles qui découlent de risques environnementaux toxiques sur le champ de bataille moderne et au pays, en garnison. Ces menaces, ainsi que les maladies infectieuses et les expositions industrielles, ont une incidence directe sur l'état de préparation opérationnelle de nos militaires et sur les résultats à long terme en matière de santé de tous les membres du personnel du ministère de la Défense nationale, le MDN, tant ceux des Forces armées canadiennes, les FAC que les employés civils du MDN.
Tout d'abord, permettez-moi de mettre les choses en contexte. Par le passé, les maladies et les risques environnementaux ont fait plus de victimes et compromis plus d'opérations militaires que les opérations de combat comme telles. Qu'il s'agisse de l'impact de la fièvre des tranchées durant la Première Guerre mondiale, des effets dévastateurs du paludisme pendant la campagne de Birmanie de la Seconde Guerre mondiale ou maintenant des maladies respiratoires généralisées liées aux fosses de brûlage en Irak et en Afghanistan, la leçon est claire. La prévention est aussi importante que l'entraînement au combat. Pour protéger nos troupes, nous devons prévoir et contrer les menaces pour la santé inhérentes aux environnements de conflits modernes ainsi que celles qui sont présentes dans nos installations militaires au pays.
Le champ de bataille moderne et les bases canadiennes, qui sont essentiellement des sites industriels miniatures, présentent des défis nouveaux et complexes en matière de santé. Selon certaines estimations, plus de 10 millions de nouvelles substances et formulations chimiques sont introduites dans l'environnement chaque année. Le Canada évalue environ 450 nouvelles substances chaque année en vertu du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE. Les risques pour la santé humaine de la plupart de ces substances demeurent inconnus ou mal compris.
Les opérations militaires d'aujourd'hui se déroulent souvent dans des régions où les risques environnementaux sont amplifiés par l'action humaine; par exemple, l'uranium appauvri et d'autres métaux lourds présents dans les munitions perforantes de blindage présentent des risques à long terme de cancer et d'autres maladies. La destruction d'installations industrielles pendant les combats rejette des produits chimiques dangereux comme le benzène et l'amiante, qui contaminent l'air, le sol et l'eau. Les armes et les véhicules modernes sont souvent fabriqués avec des composites et des métaux de pointe, qui dégagent des fumées toxiques au moment de la destruction ou de la combustion. Les fosses de brûlage couramment utilisées pour éliminer les déchets dans les zones de guerre émettent des toxines cancérogènes liées à des maladies respiratoires, des cancers et d'autres problèmes chroniques. Les solvants et les combustibles utilisés dans le fonctionnement des systèmes d'armes modernes contiennent des substances reconnues comme étant neurotoxiques ou des substances si nouvelles que leurs effets sur la santé sont en grande partie inconnus.
Ces risques environnementaux aggravent les difficultés traditionnelles du déploiement en matière de santé. Cependant, nous devons aussi reconnaître les menaces qui existent plus près de chez nous. Les garnisons sont, à bien des égards, des complexes industriels miniatures. Le travail quotidien d'entretien des véhicules, des aéronefs et des navires — j'inclus les navires parce que j'ai entendu M. Tolmie parler de la marine, mais je n'ai pas servi dans la marine — consiste à manipuler des matières dangereuses. Les exercices de l'entraînement exposent le personnel à des risques industriels souvent mal documentés. Par exemple, l'exposition à long terme aux solvants, aux combustibles et aux métaux lourds peut entraîner des problèmes de santé chroniques si elle n'est pas adéquatement atténuée.
Les FAC disposent depuis longtemps d'une capacité de médecine préventive, traditionnellement axée sur les maladies infectieuses et les dangers comme le bruit et les blessures physiques. Cependant, depuis le début des années 2000, d'importants progrès ont été réalisés dans la lutte contre les risques toxiques supplémentaires liés au champ de bataille moderne et, dans une certaine mesure, aux opérations au pays.
La création d'une direction de protection de la santé de la Force et le déploiement d'hygiénistes industriels ont été des étapes cruciales dans la prévention des maladies au sein de nos forces armées. Les évaluations préalables au déploiement incluent désormais des évaluations de l'environnement et de la santé au travail, une pratique qui a sans aucun doute permis d'éviter d'innombrables expositions et maladies.
Il s'agit de progrès louables qui jettent des bases solides pour la prochaine étape de protection de la santé, qui comprend l'évaluation continue et la documentation des expositions industrielles au pays et à l'étranger.
Cette question ne concerne pas seulement la santé immédiate ou à long terme...
En conclusion, j'exhorte le Comité à continuer d'accorder la priorité à la protection de la santé comme pierre angulaire de notre stratégie de défense. Améliorer les mesures de prévention, renforcer les systèmes de surveillance de la santé, investir dans la recherche et l'innovation, reconnaître officiellement que les anciens combattants peuvent développer des maladies professionnelles longtemps après leur service, et envisager la désignation d'un diagnostic présomptif, comme en ont parlé les deux intervenants précédents, en s'inspirant de la loi PACT.
En misant sur les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies et en adoptant une approche globale en matière de santé de la population, nous pouvons veiller à ce que les Forces canadiennes demeurent résilientes, aptes sur le plan opérationnel et, par-dessus tout, soignées.
Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins.
Monsieur Salisbury, merci beaucoup d'avoir servi notre pays. Je vous suis reconnaissant d'être ici, en personne.
Je remercie également nos invités qui sont en ligne.
J'aimerais commencer par quelques questions.
Madame Beauchamp, je vous remercie de votre témoignage. Je vous remercie d'être ici.
Sur combien de bases avez-vous vécu dans votre enfance? Lorsque nous parlons des « fils et filles de militaires », la terminologie est évidemment...
:
J'ai lu la liste du projet d'établissement des faits.
Nous avons un document qui précise ce qui a été pulvérisé à Gagetown. C'était un peu différent de ce sur quoi ils se sont concentrés dans le projet d'établissement des faits. Ils ont eu tendance à se concentrer uniquement sur l'agent Orange, mais il y avait d'autres substances, qu'elles aient été pulvérisées séparément ou individuellement, sur lesquelles ils n'ont pas mis l'accent.
Le 2,4‑D et le 2,4,5‑T ont été pulvérisés pendant de nombreuses années. Je crois que cela s'est produit en 1956, 1957, 1958 et 1959. Étant donné qu'une fois mélangés, ces deux produits chimiques constituent le mélange de l'agent Orange, ils ont été pulvérisés bien avant 1966 et 1967. Il y avait aussi le Tordon 101 — je crois qu'on l'appelle ainsi —, qui est une dioxine liquide. Il y a aussi le Tordon 10K, des granulés, qui ont été pulvérisés. La liste est très longue.
Dans mon mémoire, j'ai fait un lien avec l'un des documents dans lequel on identifie toutes les substances qui ont été pulvérisées, mais on ne se concentre pas vraiment sur toutes.
Le problème avec certains de ces produits chimiques, d'après ce que j'ai lu et étudié, se situe au niveau des mélanges de l'agent Orange, de l'agent Blanc et de l'agent Pourpre, qui ont été pulvérisés. M. Goode pourra vous en dire davantage à ce sujet, car il comprend ces produits un peu mieux que moi. Cependant, il y a ce qu'on appelle un composant TCDD, qui est un sous-produit. C'est celui‑là qui contient une dioxine plus toxique que le 2,4‑D et le 2,4,5‑T seuls.
L'étude de la Commission du Maine sur l'utilisation nocive des produits chimiques à Gagetown a été dirigée par le président du Sénat du Maine, le sénateur Troy Jackson. J'ai fourni à cette commission le document du MDN dont j'ai parlé dans mon introduction, qui indique clairement la quantité de produits chimiques pulvérisés, soit quand, où et combien. Au bout du compte, il a été décidé à l'unanimité par les membres de leur assemblée législative qu'ils voulaient poursuivre dans cette voie. Ils voulaient aller de l'avant avec l'étude de cette commission. Malheureusement, la gouverneure de l'époque était à cheval sur les détails. Elle n'a pas voulu signer une quarantaine de demandes différentes. Il se trouve que c'est l'une d'elles.
Il y a de bonnes chances que les choses progressent dans un proche avenir, parce que M. Jackson est candidat au poste de gouverneur. S'il est élu, le dossier a sûrement de bonnes chances de progresser.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être ici aujourd'hui pour répondre à certaines de nos questions. Je leur suis vraiment reconnaissante d'avoir abordé ces questions et d'avoir eu le courage de venir ici aujourd'hui. Ce n'est pas facile d'en parler.
Monsieur Goode, vers la fin de mes six minutes, j'aimerais vous donner l'occasion de terminer votre déclaration préliminaire, car je sais qu'il y avait des recommandations précises que vous aviez commencé à citer. J'aimerais vous donner une minute pour terminer.
Cependant, je vais commencer par quelques questions.
Ma première s'adresse à Mme Beauchamp.
Vous avez parlé des problèmes auxquels votre famille a été confrontée parce qu'elle se trouvait sur des sites contaminés. À un moment donné, vous avez parlé d'une clause d'extinction pour certaines des prestations que les gens pouvaient recevoir s'ils étaient touchés. Vous avez dit que les gens qui sont touchés mais dont les symptômes ont commencé à se manifester après 2011 ne recevraient plus ces prestations.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et peut-être nous faire une recommandation à cet égard?
:
Je vais prendre mon cas en exemple. On m'a diagnostiqué trois cancers en 2017. J'ai opté pour certaines procédures médicales, ou la médecine complémentaire. Je n'avais aucun recours à moins de payer de ma poche. Il a été déclaré que le ministère des Anciens Combattants n'indemnise et ne verse des prestations qu'aux anciens combattants. Or, le paiement
à titre gracieuxqui a été versé en 2011 incluait également les anciens combattants, les civils et les membres de la famille. À mon avis, cette déclaration était donc inexacte.
Comme il y avait une clause d'extinction, les derniers paiements qui pouvaient être émis à titre gracieux l'ont été le 31 décembre 2011. Il n'y avait aucun moyen de demander une indemnisation après cette date.
Le problème selon moi, c'est que certaines maladies et certains cancers sont diagnostiqués plus tard. Le lymphome non hodgkinien est généralement diagnostiqué après l'âge de 60 ans. Lorsqu'on a mené l'étude dans le cadre du projet d'établissement des faits, l'on n'a jamais tenu compte des maladies de longue durée. À l'heure actuelle, il n'y a vraiment aucun recours pour un membre civil, qu'il s'agisse d'un employé de la Défense nationale, d'un membre de la famille d'un ancien combattant ou d'un membre de la collectivité qui pourrait avoir été touché, surtout en ce qui concerne les dioxines à Gagetown. Lorsque je grandissais là‑bas, comme de nombreuses autres personnes et de nombreux membres de ma famille, nous exercions nos loisirs là où l'on avait pulvérisé des produits chimiques. Nous pêchions dans les ruisseaux. Nous buvions l'eau de source. Nous mangions les bleuets. Nous brûlions même du bois en hiver.
Tout au long de ma vie, j'ai eu beaucoup de maladies et à l'âge de 20 ans, j'ai perdu un enfant trois jours après sa naissance. J'avais une endométriose et une colite. Comment une personne peut-elle contracter toutes ces maladies?
À l'âge de 61 ans, on a fini par me diagnostiquer trois cancers distincts qui ne sont pas du tout liés. Pour ce qui est de l'indemnisation, je pense qu'il faudra tenir une séance de remue-méninges afin d'établir un cadre qui aidera les personnes qui ont été exposées à des produits chimiques toxiques, y compris à ceux d'aujourd'hui comme les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, les SPFA.
Il y a une autre question à laquelle j'aimerais qu'on réponde, et je veux aussi donner du temps à M. Goode.
Étant donné que les services de santé relèvent des provinces, quelles recommandations aimeriez-vous que le gouvernement provincial mette en œuvre relativement aux services de santé pour les personnes touchées par les produits chimiques nocifs sur les sites contaminés?
Je me tourne maintenant vers M. Goode. Je ne sais pas si vous avez des réponses à cette question, mais peut-être pourriez-vous intégrer vos recommandations à cette réponse.
:
Merci, monsieur le président.
Je vais commencer par vous, madame Beauchamp.
J'ai des questions sur le processus de reconnaissance des maladies.
Dans votre témoignage, vous avez parlé de cette clause d'extinction mettant fin aux prestations en 2011. Dans la démarche que vous avez faite, lorsque vous avez eu votre diagnostic de la part de votre médecin, quelles démarches avez-vous entreprises pour que les Forces armées canadiennes reconnaissent votre maladie comme étant une maladie professionnelle?
:
Je trouve cela fort étonnant.
Je viens du Saguenay—Lac‑Saint‑Jean, où se trouve l'employeur Rio Tinto, une entreprise auparavant nommée Alcan. On sait que de nombreuses maladies, notamment des cas de cancer, sont liées au travail effectué par les travailleurs de ces usines. La forme sous laquelle ces maladies se présentent chez ces gens, qu'il s'agisse de cancers de la vessie ou autres, permet aux médecins de savoir qu'elles peuvent découler d'une exposition aux produits chimiques d'Alcan ou d'autres alumineries. C'est une forme de reconnaissance.
Ce que vous êtes en train de me dire, c'est que le ministère de la Défense nationale n'a pas de cadre pour déterminer les maladies qui peuvent apparaître chez d'anciens militaires en raison de leur exposition à des produits chimiques ou à des produits toxiques.
Je remercie les témoins de comparaître aujourd'hui.
Monsieur Goode et madame Beauchamp, dans vos deux notes d'information à l'intention du Comité — je vous remercie d'ailleurs de nous les avoir remises à l'avance —, vous avez parlé de différentes demandes d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels, ou AIPRP, de documents et d'études d'accès à l'information, qui montrent la déconnexion entre les conclusions de la commission Furlong, les déclarations publiques du gouvernement et les preuves factuelles vérifiées.
Pouvez-vous déposer ces documents auprès du Comité afin que nous ayons une idée claire des voies à suivre?
:
Oui, je peux répondre à cette question.
C'était le document du MDN, comme je l'ai dit plus tôt. Ils l'ont perdu au fil du temps et ne l'ont pas présenté à la BFC Gagetown ni au projet d'établissement des faits de la région. Cependant, une charmante dame de l'Agent Orange Association of Canada l'a trouvé sans problème. Il a été présenté au théâtre de la BFC Gagetown, où on a tenu une assemblée publique pour expliquer aux membres des collectivités d'Oromocto et de Gagetown que l'on n'avait pulvérisé que 2,5 barils sur une période de sept jours en 1966-1967. Encore une fois, Kenneth Dobbie, qui était à l'époque président de l'Agent Orange Association of Canada, s'est présenté au micro et a clairement indiqué ce qui avait été pulvérisé, quand et en quelle quantité.
Si vous consultez le document du ministère de la Défense nationale, vous verrez qu'on y indique exactement ce qui a été pulvérisé, à quel moment et dans quelle mesure. Ce n'est pas un mensonge ni une exagération que de dire que, par acre, une plus grande quantité de ces produits chimiques ont été pulvérisés à la BFC Gagetown qu'au Vietnam pendant toute la durée de la guerre. Ce n'est pas une fausseté.
:
D'accord. Je pense qu'il serait utile pour le Comité d'avoir ces documents aux fins de son étude.
Monsieur Salisbury, j'aimerais m'adresser à vous. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez souligné que « les maladies et les risques environnementaux ont fait plus de victimes [...] que les opérations de combat comme telles ». C'est incroyable. La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage d'employés civils et d'anciens combattants de Moose Jaw. Nous avons appris que la base n'avait pas réussi à résoudre les contaminations connues, ni même à informer les personnes directement touchées. Nous avons entendu parler des effets dévastateurs que cela a eus depuis la centralisation du groupe des opérations immobilières des Forces canadiennes. Le sous-ministre adjoint, Infrastructure et environnement, le SMA(IE), supervise les sites contaminés sur les terres du MDN, mais la surveillance quotidienne et la gestion de ces sites individuels sont déléguées aux commandants des bases et des escadres et aux agents environnementaux. Il s'agit d'officiers en uniforme qui ne font pas partie de la chaîne de commandement et du SMA.
En vous fondant sur votre expérience, pouvez-vous nous parler de ce problème? Parlez-nous de la déconnexion qui existe.
:
Merci beaucoup de la question.
J'ai eu le plaisir de servir à Moose Jaw pendant trois ans. J'ai été médecin de vol des Snowbirds pendant trois ans, de 1983 à 1986. Je dois dire, en fait, que lorsque cette question a été soulevée, j'ai été abasourdi. En tant que médecin-chef de la base de Moose Jaw, je ne savais absolument pas qu'il y avait des sites contaminés à ce moment‑là.
C'était dans les années 1980, et je dois admettre que nous avons fait des progrès à cet égard. Pour moi, le problème est la déconnexion entre toutes les différentes parties qui pourraient être touchées. Il y a trois groupes sur une base donnée qui peuvent être touchés. Il y a les militaires en uniforme et les employés civils, puis il y a les familles, dont beaucoup vivent sur la base ou dans les environs de la base. Ils n'ont pas de système intégré de prestation des soins médicaux.
Les militaires reçoivent leurs soins médicaux de médecins en uniforme ou, souvent maintenant, de médecins contractuels. Les employés civils sont responsables d'obtenir leurs propres soins de santé dans la région. Ils sont censés être suivis par le service de santé au travail de Santé Canada, mais compte tenu des chiffres, cela ne se fait probablement pas très efficacement. Il y a un petit nombre d'employés, et vous n'allez pas affecter un médecin en santé du travail — ou même une infirmière en santé du travail — à 60, 70 ou même 200 employés. Le Ministère n'a pas les ressources pour cela.
Enfin, il y a les familles pauvres... Els m'a suivi pendant 29 ans et elle est passée par tellement de médecins différents que nous ne pouvons pas tous nous en rappeler. J'ai eu 11 affectations différentes à 11 endroits différents. Mes dossiers médicaux me suivent lorsque je passe d'une affectation à l'autre. Ce n'est pas le cas pour les familles, et chaque province a son propre système.
:
Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins de cet après-midi.
Monsieur Salisbury, je vais commencer par vous. Merci de votre service.
Vous avez parlé d'une mauvaise documentation, et les deux autres témoins, Mme Beauchamp et M. Goode, ont parlé d'incidents et d'activités qui ont probablement eu lieu dans les années 1950 et 1960.
J'ai fait part d'une expérience au Comité lors de notre première réunion. Lorsque j'étais conseiller municipal, nous faisions affaire avec le gouvernement fédéral et Transports Canada, qui prenaient en charge les terrains aéroportuaires de notre municipalité. Nous avons trouvé des preuves de la présence de PFAS, mais il a fallu ensuite se battre pour obtenir une indemnisation pour la municipalité en ce qui concerne les coûts d'assainissement.
Une partie de la bataille et de la lutte a consisté à obtenir les documents appropriés pour prouver notre cause. Sans violer la confidentialité, nous avons dû chercher des gens qui travaillaient auparavant à l'aéroport et qui ont témoigné que cela s'était produit et faisait partie de leurs fonctions.
Comment pouvons-nous régler le problème de la mauvaise documentation, dans ce cas‑ci, de problèmes qui remontent aux années 1950 et 1960?
Je vous pose cette question parce que vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez dit avoir été médecin chef à la Ville d'Ottawa. Vous êtes certainement au courant de toute la question des demandes d'accès à l'information et des demandes d'AIPRP dont il a été question ici aujourd'hui. Avez-vous des recommandations en ce sens?
:
Pour les particuliers, ce sera extrêmement difficile. L'un des aspects dont je n'ai pas parlé dans mon intervention, parce que j'ai dépassé mon temps de parole — j'en suis désolé, monsieur le président —, c'est que nous devons vraiment adopter une attitude différente, surtout en ce qui concerne les expositions historiques.
Nous ne trouverons pas ce à quoi les gens ont été exposés. Nous ne serons pas en mesure de les tester et de dire qu'ils ont été exposés à ceci ou cela, et nous le savons maintenant. Nous allons devoir travailler en fonction de ce que l'on appelle très succinctement aux États-Unis les diagnostics présomptifs dans la PACT Act. C'est-à-dire, vous obtenez ce diagnostic et nous savons que vous avez vécu dans telle ou telle région. Nous allons faire le lien entre ces deux éléments et ainsi présumer que c'est la cause de votre diagnostic.
Je dirais que, dans l'ensemble, les médecins ne s'intéressent pas beaucoup à la causalité pour la plupart. Nous diagnostiquons les patients, nous les traitons pour leurs maladies et nous passons à autre chose. La causalité est un concept très nébuleux à certains égards, et c'est aussi extrêmement difficile à prouver. Il y a un aspect en épidémiologie qu'on appelle la fraction de risque attribuable. Je vais vous donner rapidement un exemple. Nous savons que l'amiante, par exemple, cause le cancer du poumon et non ce dont tout le monde parle, c'est-à-dire le mésothéliome. C'est un fait avéré.
Si vous avez un mésothéliome, nous savons que c'est à cause de l'amiante, car c'est à peu près la seule cause. Si vous avez le cancer du poumon et si vous êtes un fumeur invétéré, ou si vous avez travaillé dans un bar où vous avez été exposé à la fumée secondaire, il n'y a aucun moyen de savoir si votre cancer a été causé par votre tabagisme ou par le fait de travailler dans un bar enfumé, ou encore par l'exposition à l'amiante dans votre travail. Il n'y a pas de moyen scientifique ou médical de démêler tout cela. Nous devons, à des fins historiques, travailler sur un diagnostic présomptif et présumer que les gens ont été exposés. Nous allons leur donner le bénéfice du doute et nous allons nous occuper d'eux de ce point de vue.
À l'avenir, je suppose qu'on peut espérer que les dossiers de santé électroniques régleront une partie de ce problème. Nous devons aussi veiller à ce que ces dossiers de santé électroniques puissent être interreliés, ce qui est un énorme problème. Je pense qu'en Ontario, il y a 12 différents fournisseurs de dossiers de santé électroniques, et on ne peut interrelier ces dossiers de santé électroniques, même s'ils sont censés tous respecter la même norme qui, soit dit en passant, est la norme HL7. C'est la norme internationale de communication électronique des renseignements sur la santé.
Je pense que cela fait partie de la solution. L'autre élément, c'est que nous devons prendre des mesures plus rigoureuses pour nous occuper des familles. Je ne sais pas si nous pouvons dire que c'est une honte, mais c'est assurément une véritable lacune dans notre système que de ne pas s'occuper des familles des membres en uniforme, parce qu'elles déménagent aussi souvent que les membres. Jusqu'à...
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur Salisbury, je vous remercie de votre explication sur la causalité. En médecine, on se penche peut-être trop souvent sur le traitement sans trop se poser de questions sur la causalité.
Si le ministère de la Défense nationale peine à reconnaître les maladies professionnelles des militaires, cela peut laisser supposer que les données n'offrent pas un portrait tout à fait représentatif de la réalité. Je garde en tête le cas de Mme Beauchamp. Du point de vue du ministère, comment peut-on agir pour traiter les maladies liées à l'exposition à des produits chimiques et soutenir les personnes atteintes, si on n'a pas de données?
Je comprends que, après qu'une personne s'est retirée des Forces armées canadiennes, il devient difficile d'avoir un diagnostic qui prouve le lien de causalité entre la maladie en question et l'exposition de la personne à des éléments chimiques sur la base militaire.
N'y aurait-il pas une lacune sur le plan des données dont dispose le ministère pour prendre des décisions?
:
Je vous remercie de votre question.
[Traduction]
Je ne répondrai pas en français, parce que mes appareils auditifs m'ont empêché de bien comprendre le français.
Oui, je crois qu'il y a une lacune, et je pense qu'elle est à la fois bureaucratique et scientifique. Je vais prendre mon propre exemple. J'ai eu 11 affectations différentes au cours d'une carrière de 28 ans. Dans au moins trois de ces affectations, j'avais quatre bureaux. Comment documenter toutes les expositions dont j'ai pu être l'objet? Je ne parle pas ici des incidents involontaires survenus lorsque j'ai mené des enquêtes sur des accidents d'aéronefs, lorsque je m'occupais des produits de combustion d'un incendie d'avion, ni des six mois que j'ai passés en Croatie, où rien n'était documenté.
Il est très difficile pour nous d'établir un lien de causalité. Si nous exigeons une preuve de cause à effet, nous allons négliger les soins dispensés aux gens qui ont des maladies.
:
Je ne pense pas que nous puissions créer au Canada la même chose que ce qui est offert aux anciens combattants aux États-Unis. Il s'agit d'une énorme organisation de prestation de services de santé qui est en fait plus importante que l'armée elle-même pour ce qui est de la prestation des services.
Il n'est pas juste de dire que nous ne pouvons pas utiliser le diagnostic présomptif comme guide pour déterminer qui nous allons soigner et qui nous allons prendre en charge. Nous pourrions élaborer notre propre version des lieux au Canada qui, à notre avis, méritent d'être pris en considération et dresser une liste de diagnostics. Il y a beaucoup de recherche dans le monde. La liste de l'OIT dont les témoins précédents ont parlé est un bon point de départ. Les diagnostics présomptifs et les expositions que le département des Anciens combattants aux États-Unis est actuellement prêt à indemniser ou à traiter font également partie intégrante de la PACT Act.
Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas tout simplement reproduire intégralement ce système. Je ne vois pas de mal à le faire. Nous passons trop de temps à nous disputer au sujet de l'indemnisation et trop de temps... Nous avons conçu un système adversatif, et ce ne devrait pas être le cas. Cela fonctionne peut-être en droit, mais pas en médecine, alors je pense que nous devons aller dans ce sens.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins d'être venus aujourd'hui
Je pensais qu'il suffisait d'un simple exercice de calcul pour avoir un portrait de la situation. Dans un monde idéal, nous pourrions saisir dans un ordinateur des données sur toutes les maladies diagnostiquées, les endroits où les militaires ont vécu, travaillé et servi, les produits chimiques figurant à la liste de l'Organisation internationale du Travail, les types d'emploi, la durée de l'affectation des militaires à ces endroits et tout autre facteur pertinent.
Ne pourrions‑nous pas, ensuite, entrer ces données dans un ordinateur doté de certaines capacités de l'intelligence artificielle capable d'établir des liens, ce qui nous donnerait une assez bonne estimation de la corrélation — peut‑être pas de la causalité — entre ces facteurs? Nous pourrions ensuite imputer une part de responsabilité.
:
Je vais vous donner un exemple.
Le document de l'OIT compte 620 pages. Ce travail a déjà été fait pour vous. Ce document établit un lien entre l'exposition et les diagnostics de maladies professionnelles ou de maladies liées au travail. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous ne pouvons pas accepter aveuglément cette preuve en raison du facteur de risque attribuable. On estime qu'entre 45 % et 50 % de l'ensemble des Canadiens développeront un cancer. Bien sûr, nous sommes tous exposés à des risques environnementaux. Comment faire la part des choses dans tout cela?
L'important, selon moi, c'est de prodiguer des soins, de traiter les malades et de cesser de parler de causalité. Je sais que cette solution ne satisfait pas tout le monde. Nous devons commencer à nous concentrer sur le soin des malades pour éviter qu'ils aient à se battre contre la bureaucratie pour obtenir une indemnité et faire reconnaître une part de responsabilité. C'est là un gaspillage de ressources qui pourraient être mieux utilisées pour traiter les patients qui requièrent des soins.
:
Docteur Salisbury, avant de commencer à travailler ici, j'exerçais un vrai métier, j'étais médecin. Quoi qu'il en soit, je suis d'accord avec vous. En tant que médecin, vous ne vous souciez pas de la causalité. Qui s'en soucie quand vous devez traiter une personne atteinte du cancer?
Le travail que nous faisons ici va certes... Il va bien au‑delà de l'armée. Tous les jours, des gens reçoivent un diagnostic de cancer. Comme vous l'avez dit, 40 % des Canadiens, ou quel que soit le pourcentage, auront un cancer.
Nous savons que certains produits présents dans l'environnement peuvent causer le cancer, mais en tant que gouvernement, comme nous réglementons l'industrie, les forces armées, et... Si nous utilisons des fonds publics, nous devons faire preuve de prudence. La vraie question semble être de savoir jusqu'où nous pouvons aller pour essayer d'établir un lien entre une exposition et un effet réel et assumer les obligations financières qui y sont associées, que ce soit nous, en tant que gouvernement, ou des entreprises privées. Cependant, c'est nous, le gouvernement, qui établissons les règles, n'est‑ce pas? C'est une question que les gouvernements devront se poser de plus en plus souvent: comment attribuer le risque et jusqu'où aller pour essayer d'établir un lien entre un effet et la causalité? Cela semble être un problème colossal.
Quant à la question qui nous occupe ici, pouvez‑vous nous dire si l'armée a cherché à examiner des militaires qui ont vécu à différents endroits et à différentes périodes? Par exemple, nous avons entendu parler de Gagetown ici. A‑t‑on vérifié si les militaires qui ont servi à Gagetown pendant une période donnée étaient plus susceptibles d'avoir certains types de cancers, par exemple?
:
Ce serait la façon de mener l'étude, mais le problème serait que, si nous commençons l'étude à partir de la date reconnue de l'exposition à l'agent Orange, en 1966 et 1967, cela représente une période de plus de 60 ans, multipliée par un nombre moyen de membres des forces armées variant entre 90 000 et 100 000, avec des cohortes susceptibles de changer selon le groupe et le degré variable d'exposition, certains militaires n'ayant pas été exposés du tout et d'autres l'ayant été... C'est un énorme casse‑tête.
C'est faisable. L'intelligence artificielle peut certes jouer un rôle de premier plan en santé publique pour ce genre d'études à condition que les documents soient numérisés, ce qui n'est pas toujours le cas. Ensuite, si vous voulez communiquer avec une personne, la question de la protection des renseignements personnels va se poser. Nous devons tenir compte de tout cela si nous voulons mener une étude.
Je ne dis pas que c'est impossible, mais je me demande si le bénéfice en vaudrait l'effort et s'il ne serait pas préférable de nous concentrer sur les personnes qui étaient là à tel moment et qui ont reçu tel diagnostic. Ce serait beaucoup plus simple.
Il y a beaucoup d'indemnités... Nous critiquons le ministère de la Défense nationale, mais c'est vrai pour l'indemnisation des accidentés du travail en général. Tous nos systèmes d'indemnisation des accidentés du travail sont établis selon un modèle accusatoire.
:
Nous devons adopter les meilleures pratiques d'hygiène industrielle dans le but de prévenir toute exposition à n'importe quel produit, parce qu'il est impossible de connaître les effets de tous les nouveaux produits lancés sur le marché. De nos jours, par exemple, on intègre certains produits aux aéronefs. Les appareils sont construits à partir de matériaux composites, comme on les appelle. Que renferment ces matériaux composites? Pour être honnête, je pense que personne ne le sait vraiment parce qu'il s'agit d'un amalgame de fibres de carbone et de liants. Que se passe‑t‑il si vous brûlez ce produit? Personne ne peut faire ce test. Je veux dire, nous ne le faisons pas, nous ne pouvons pas.
L'autre point que nous devons retenir de tout cela, c'est que la toxicologie s'appuie sur les racines. Par exemple, tout produit est toxique d'une manière ou d'une autre. Le bois est toxique s'il est transformé en aérosol et réduit en une fine poussière qui peut être inhalée. Par contre, cette table en bois n'est pas toxique ou dangereuse pour moi, sauf si je me cogne la tête dessus.
La solution consiste à promouvoir des pratiques exemplaires et des mesures de protection, mais aussi à faire le suivi des personnes au fil du temps. Je reviens encore au diagnostic présomptif.
:
Premièrement, il est nécessaire de lancer une enquête publique entièrement indépendante sur l'utilisation de produits chimiques nocifs à la BFC Gagetown et le projet d'établissement des faits à la base de Gagetown. Je recommande également que la base fasse l'objet d'une nouvelle enquête approfondie et d'essais.
Lors des essais effectués à Gagetown, les enquêteurs ont prélevé leurs échantillons de sol à seulement quatre centimètres de profondeur. Selon M. Dwernychuk, c'est à partir de 30 centimètres de profondeur qu'on commence à trouver une plus grande quantité de produits nocifs.
Ils ont transporté le sol traité par camions à partir de Moncton, au Nouveau-Brunswick, pour ensuite le répandre à la grandeur de la zone d'entraînement. À quelle profondeur? Était‑ce pendant la période des essais? Je n'en suis pas certain. J'ai cherché cette information en vain, mais nous finirons bien par la trouver.
Nous avons besoin d'honnêteté, de reddition de comptes et de justice. Nous ne sommes pas ici pour condamner qui que ce soit. Nous sommes ici pour vous aider à trouver des solutions pour améliorer le sort de tout le monde.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur Salisbury, j'ai bien compris, tout à l'heure, la logique derrière votre affirmation voulant qu'on passe trop de temps à se battre pour des compensations et qu'on est peut-être enfermé dans une logique d'adversaires. Je comprends bien cela. Cependant, bien que je ne connaisse pas particulièrement la médecine, je sais qu'il existe un principe de précaution. Comme vous le savez, on a interdit l'utilisation de l'amiante parce qu'on savait très bien que ce produit avait des effets négatifs sur la santé.
Donc, sans tomber dans un débat stérile sur la compensation, il faut tout de même admettre que le ministère de la Défense nationale doit déterminer quels sites posent problème et peuvent avoir des effets sur la santé. Je pense que c'est un travail essentiel pour protéger la santé des militaires présentement actifs. Toutefois, je me demande comment on pourrait arriver à faire cela sans reconnaître les maladies des militaires qui sont passés par ces sites.
À votre connaissance, ce principe de précaution est-il pris en considération par les spécialistes de la santé des Forces armées canadiennes?
:
Je suis ravi d'essayer de répondre à cette question.
Quand l'initiative d'établissement des faits a été lancée à la base de Gagetown et dans les environs, Cantox Environmental appartenait à Ciba Specialty Chemicals. Il s'agit d'une très grande entreprise de produits chimiques fondée par d'anciens employés de Santé Canada qui ont quitté le ministère pour créer des entreprises à but lucratif offrant leurs services au gouvernement, au ministère de la Défense nationale et à l'industrie en général.
Si vous voulez en savoir un peu plus sur leur travail, adressez‑vous à . L'entreprise a intenté une poursuite contre elle parce qu'elle avait fait preuve d'honnêteté, mais elle a finalement abandonné la poursuite.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le gouvernement de l'époque a fait appel à une entreprise de produits chimiques pour faire une évaluation des risques pour la santé liés aux produits chimiques pulvérisés à la BFC Gagetown, et pourquoi l'un des fondateurs de cette entreprise a dirigé l'examen par les pairs de l'initiative d'établissement des faits à la base de Gagetown. C'est inimaginable. Comment pouvons‑nous croire ce qu'ils disent?
Si le ministère ne reconnaît pas avoir lui‑même pulvérisé les 6 504 barils — c'est exactement le même produit qui a été répandu au Vietnam —, comment pouvons‑nous croire les conclusions de ce projet d'établissement des faits?
:
Il est important de mener cette enquête pour aller au fond des choses et entendre les faits et la vérité. Personnellement, je crois qu'on nous a caché la vérité.
L'étude menée par l'État du Maine... le sénateur Jackson lui‑même et des représentants de la Chambre ont dit que les dés avaient été pipés. C'est ce qu'il a dit. Le sénateur Jackson a lui‑même demandé s'il fallait envoyer des membres de la garde nationale du Maine à Gagetown pour vraiment savoir ce qui est encore enfoui dans le sol encore aujourd'hui. Nous ne le saurons que si nous faisons des tests.
M. Furlong m'a dit que la teneur était 170 fois plus élevée que la norme, mais il a ensuite affirmé qu'elle n'était que 143 fois supérieure aux lignes directrices émises par le Conseil canadien des ministres de l'environnement. Quel chiffre est le bon?
Il y a tellement de questions sans réponse et de lacunes dans ce projet d'établissement des faits. Nous ne connaissons pas toute la réponse.
La seule façon de prévenir les maladies, c'est d'abord d'en chercher la cause. C'est un traitement en soi. C'est la démarche que nous devons entreprendre.
:
Merci, madame Mathyssen.
Malheureusement, notre temps est écoulé.
Veuillez nous excuser d'avoir commencé la réunion avec un peu de retard, mais il y a des votes ce soir et nous devons y participer.
Au nom du Comité, je tiens à vous remercier, monsieur Goode, madame Beauchamp et monsieur Salisbury, de votre contribution à cette étude. Nous sommes impatients de poursuivre nos travaux dans un avenir raisonnablement proche.
La séance est levée.